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POUR LE JOUR DE NOËL
(DEUXIÈME SERMON)
Sur le Mystère
Evangelizo vobis gaudium magnum : natus est vobis hodie Salvator.
Je viens vous apporter une heureuse nouvelle : c’est qu’il vous est né aujourd’hui un Sauveur.
(S. Luc, II, 11.)
Apprendre à un moribond qu’un habile médecin va le retirer des portes de la mort et lui rendre une santé parfaite, quelle heureuse nouvelle, M.F. ! Mais infiniment plus heureuse est celle que l’ange apporte à tous les hommes dans la personne des bergers. Le démon avait fait des blessures mortelles à notre âme : il y avait mis trois passions funestes, d’où découlent toutes les autres ; c’est-à-dire, l’orgueil, l’avarice et la sensualité. Oui, M.F., nous étions tous sous ces honteuses passions, comme des malades désespérés qui n’attendent que la mort éternelle, si Jésus-Christ n’était pas venu à notre secours. Mais ce tendre Sauveur vient au monde dans l’humiliation, dans la pauvreté, dans les souffrances, pour détruire cet ouvrage du démon, et pour appliquer des remèdes efficaces aux cruelles blessures que nous avait faites cet ancien serpent. Oui, M.F., c’est ce tendre Sauveur plein de charité qui vient nous guérir et nous mériter la grâce d’une vie humble, pauvre et mortifiée ; et, pour nous exciter plus efficacement à la pratique de ces vertus, il veut lui-même nous en donner l’exemple. C’est ce que nous voyons d’une manière admirable dans sa naissance. Il nous prépare, par ses humiliations et son obéissance, un remède à notre orgueil ; par son extrême pauvreté, un remède à notre amour pour les biens de ce monde ; par son état de souffrances et de mortification, un remède à notre amour pour les plaisirs des sens, et, par là, il nous rend la vie spirituelle et nous ouvre la porte du ciel. Grâce précieuse, M.F., mais peu connue de la plus grande partie des chrétiens. Ce Messie, M.F., ce tendre Sauveur vient au monde pour le sauver : cependant, nous dit l’Évangile, personne ne veut le recevoir ; il est obligé de naître dans une étable, sur une poignée de paille. Non, M.F., nous ne pouvons nous empêcher de blâmer la conduite des Juifs envers ce divin Jésus. Mais, hélas ! que la conduite que nous tenons envers lui est encore bien plus cruelle, puisque les Juifs ne le connaissaient pas pour le Messie, au lieu que nous, nous le connaissons véritablement pour notre Dieu ! Je vais donc, M.F., vous montrer : 1? les grands biens que cette naissance nous procure, 2? que Jésus est notre modèle dans tout ce que nous devons faire.
I. Pour comprendre, M.F., la grandeur des biens que la naissance de Jésus-Christ nous a procurés, il faudrait pouvoir comprendre l’état malheureux où le péché d’Adam nous avait précipités, ce que jamais nous ne pourrons.
Je dis donc que la première plaie de notre cur, c’est l’orgueil, cette passion, M.F., si dangereuse, qui consiste dans un fonds d’amour et d’estime de nous-mêmes, qui fait 1? que nous n’aimons à dépendre de personne, 2? que nous ne craignons rien tant que d’être humiliés aux yeux des hommes, et 3? que nous cherchons tout ce qui peut nous relever dans leur esprit. Voilà, M.F., la funeste passion que Jésus-Christ vient combattre par sa naissance dans la plus profonde humilité. Non seulement il veut dépendre de son Père et lui obéir en tout, il veut encore obéir aux hommes et dépendre en quelque sorte de leur volonté. En effet, l’empereur Auguste, soit par vanité, soit par intérêt, soit par caprice, ordonna que l’on fît le dénombrement de tous ses sujets, et que chaque famille en particulier se fit enregistrer dans l’endroit d’où elle tirait son origine. Mais l’obéissance de Jésus fut si grande, qu’à peine eût-on publié l’édit, la sainte Vierge et saint Joseph se mirent en chemin. Quelle leçon, M.F. ! Dieu obéit à ses créatures et veut dépendre d’elles ! Hélas ! que nous en sommes éloignés ! Que de vains prétextes ne cherchons-nous pas pour nous dispenser d’obéir aux commandements de Dieu, ou aux ordres de ceux qui tiennent sa place à notre égard ! Quelle honte pour nous, ou plutôt, M.F., quel orgueil de ne vouloir jamais obéir, mais toujours commander, de croire que nous avons toujours droit et jamais tort !
Mais, allons plus loin, M.F., nous verrons quelque chose de plus. Après un voyage de plus de quarante lieues Marie et Joseph arrivèrent à Bethléem. Dites-moi, lorsque cette ville reçut son Dieu, son Sauveur, devait-elle mettre des bornes aux honneurs qu’elle lui rendrait ? Ne devait-on pas dire dans ce moment, comme dans son entrée à Jérusalem : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, gloire lui soit rendue au plus haut des cieux ! » Mais non, ce tendre Sauveur ne venait que pour souffrir ; il a voulu commencer en naissant. Tout le monde les rebute ; personne ne veut les loger. Voilà donc où en est réduit le maître de l’univers, le roi du ciel et de la terre, méprisé, rejeté des hommes, réduit à emprunter aux animaux une demeure. Mon Dieu, quelle humiliation ! quel anéantissement ! Non, M.F., rien ne nous est si sensible que les affronts, les mépris et les rebuts ; mais si nous voulons considérer ceux que le Sauveur reçoit en naissant, aurons-nous bien le courage de nous plaindre, en voyant le Fils de Dieu réduit à une telle humiliation ? Apprenons, M.F., à souffrir tout ce qui pourra nous arriver, avec patience et en esprit de pénitence. Quel bonheur, pour un chrétien, de pouvoir imiter en quelque chose son Dieu et son Sauveur !
Allons plus loin, et nous verrons que Jésus-Christ, bien loin de vouloir chercher ce qui pouvait le relever aux yeux des hommes, veut, au contraire, naître dans l’obscurité, dans l’oubli. Il veut seulement que de pauvres bergers soient instruits de sa naissance par un ange qui vient leur annoncer cette heureuse nouvelle. Dites-moi, M.F., après un tel exemple, qui de nous pourrait encore conserver un cur enflé d’orgueil et rempli de vanité, et désirer l’estime, les louanges, la considération du monde ? Voyez, M.F., et contemplez ce tendre enfant ; voyez-le qui déjà verse des larmes d’amour, qui pleure nos péchés, nos maux. Ah ! M.F., quel exemple de pauvreté, d’humilité, de détachement des biens de la vie ! Travaillons, M.F., à devenir humbles, méprisables à nos yeux, nous dit saint Augustin ; si un Dieu a tant méprisé toutes les choses créées, comment pourrions-nous les aimer ? S’il avait été permis de les aimer, Celui qui s’est fait homme pour nous l’aurait bien déclaré. Voilà, M.F., le remède que le divin Sauveur applique à notre première plaie, qui est l’orgueil. Mais nous en avons une deuxième qui n’est pas moins dangereuse : c’est l’avarice.
2? Cette deuxième plaie que le péché a faite dans le cur de l’homme, c’est l’avarice, je veux dire, l’amour déréglé des richesses et des biens de cette vie. Hélas ! que cette passion fait de ravages dans le monde ! Saint Paul qui s’y connaissait encore bien mieux que nous, dit qu’elle est la source de toutes sortes de vices . N’est-ce pas, en effet, de ce maudit intérêt que viennent les injustices, les envies, les haines, les parjures, les procès, les querelles, les animosités et la dureté pour les pauvres ? D’après cela, M.F., pouvons-nous être étonnés que Jésus-Christ, qui vient sur la terre pour guérir les passions des hommes, naisse dans la plus grande pauvreté, dans les privations de toutes les commodités qui paraissent si nécessaires à l’homme ? D’abord nous voyons qu’il choisit une mère pauvre ; il veut passer pour « le fils d’un pauvre artisan . » Comme les prophètes avaient annoncé qu’il naîtrait de la famille royale de David, afin de concilier cette noble origine avec son amour pour la pauvreté, il permet qu’au moment de sa naissance, cette illustre famille soit tombée dans l’indigence. Il ne s’en tient pas là : Marie et Joseph, quoique bien pauvres, avaient une chétive maison à Nazareth ; c’en est trop pour lui, il ne veut pas naître dans un lieu qui leur appartient ; et pour cela il oblige sa sainte Mère de faire le voyage de Bethléem dans le temps où elle doit le mettre au monde. Cependant, dans Bethléem, qui était la patrie de David son père, il nous semble qu’il aurait dit trouver quelque ressource, surtout parmi ses parents ; mais non, personne ne veut le reconnaître, personne ne veut lui prêter un logement ; pour lui, il n’y a rien.. Dites-moi, où va-t-il aller, ce divin Sauveur, pour se mettre à l’abri des injures du temps, puisque toutes les places sont prises ? Joseph et Marie se présentent dans plusieurs auberges ; mais non ! ils sont pauvres, et pour eux il n’y a point de place ! Ah ! aimable Sauveur, dans quel état de trouble et d’abandon ne te vois-je pas réduit !
Joseph et Marie s’empressent de chercher de tous côtés. Enfin, ils aperçoivent une étable où les animaux se retirent dans les mauvais temps ; c’est dans l’hiver, c’était tout ouvert, presque autant que dans les rues. Eh quoi ! M.F., une étable pour la demeure d’un Dieu ! Oui, M.F., c’est là que Dieu veut naître. Il ne tenait qu’à lui de naître dans le palais le plus magnifique ; mais non, son amour pour la pauvreté ne serait pas satisfait ; une étable sera son palais, une crèche son berceau, un peu de paille composera tout son lit, de misérables langes seront tous ses ornements, et de pauvres bergers formeront sa cour. Dites-moi, M.F., pouvait-il nous donner une plus belle leçon du mépris que nous devons faire des biens et des richesses de ce monde ? Pouvait-il nous mieux faire comprendre l’amour que nous devons avoir pour la pauvreté et le mépris ? Venez, M.F., vous qui êtes tant attachés aux choses de la terre, écoutez la leçon que ce divin Sauveur vous donne, et si vous ne l’entendez pas encore parler, nous dit saint Bernard, écoutez cette étable, écoutez son berceau, et les langes qui l’enveloppent ! Que nous dit tout cela ? Ce que Jésus-Christ vous dira un jour lui-même : « Malheur à vous, riches du siècle » Ah ! qu’il est difficile à ceux qui atta-chent leur cur aux biens de ce monde, de se sauver !
Mais, me direz-vous, pourquoi est-il si difficile à ceux qui sont riches de cur, de se sauver ? C’est, M.F., que les personnes riches, si elles n’ont pas le cur détaché de leurs biens, sont remplies d’orgueil, méprisent les pauvres, s’attachent à la vie présente, sont dénuées d’amour de Dieu : disons mieux, les richesses sont l’instrument de toutes les passions.
Ah ! malheur aux riches, puisqu’il leur est si difficile de se sauver ! Prions donc, M.F., cet enfant couché sur une poignée de paille, privé de tout ce qui est nécessaire, même à la vie de l’homme. Prenons bien garde, M.F., de ne jamais attacher nos curs à des choses si viles et si méprisables, puisque, si nous avons le malheur de ne pas bien savoir en user, elles seront la perte de notre pauvre âme. Que notre cur soit pauvre, afin de pouvoir prendre part à la naissance de ce Sauveur. Vous voyez qu’il n’appelle que les pauvres, et les riches ne viennent que longtemps après, pour nous apprendre que les richesses nous éloignent de Dieu, presque sans que nous nous en apercevions.
Nous pouvons convenir que cet état du Sauveur doit être bien consolant pour les pauvres, puisqu’ils ont un Dieu pour leur père, leur modèle et leur ami. Mais les pauvres doivent, s’ils veulent recevoir la récompense promise aux pauvres, qui est le royaume des cieux, ils doivent imiter leur Sauveur, endurer, supporter leur pauvreté en esprit de pénitence, ne point murmurer, ne point porter envie aux riches, mais au contraire, les plaindre, parce qu’ils sont beaucoup en danger pour leur salut ; ils ne doivent pas médire contre eux, mais suivre l’exemple de Jésus-Christ qui s’est réduit à la dernière misère bien volontairement. Il ne se plaint pas, au contraire, il verse des larmes sur le malheur des riches ; par là, M.F., il a guéri les deux plaies que le péché nous a faites.
3? « Il va plus loin, il veut encore guérir la troisième plaie que le péché nous a faite, qui est la sensualité. La sensualité consiste dans l’amour déréglé des plaisirs que nous goûtons par les sens. C’est de cette funeste passion que naissent l’excès dans le boire et le manger, l’amour de ses aises, des commodités, de la vie molle, et l’impureté ; en un mot, tout ce que la loi de Dieu nous a défendu. Que fait notre Sauveur pour nous guérir de cette dangereuse maladie et de ce vice ? Il naît, M.F., dans les souffrances, les larmes et les mortifications ; il nait, durant la nuit, dans la saison la plus rigoureuse de l’année ; à peine est-il né, qu’il est couché sur une poignée de paille et dans une pauvre étable toute ouverte. Ah ! homme sensuel, gourmand, impudique, entrez dans ce réduit de misère, et vous verrez ce que fait un Dieu pour vous guérir ! Croyez-vous, M.F., que c’est là votre Dieu, votre Sauveur, votre tendre Rédempteur ? Oui, me direz-vous. Mais, si vous le croyez, vous devez l’imiter. Hélas ! que notre vie est éloignée de la sienne ! Hélas ! vous le voyez, M.F., il souffre, et vous ne voulez rien souffrir ; il se sacrifie pour votre salut, et vous ne voulez rien faire pour le gagner. Hélas ! comment vous comportez-vous dans son service ? Tout vous rebute ; tout vous incommode ; à peine vous voit-on faire vos Pâques ; vos prières sont ou manquées, ou mal faites ; à peine vous voit-on assister aux saints offices ; encore, M.F., comment vous y comportez-vous ? Ah ! que les larmes, que les souffrances de ce divin Enfant vous sont de terribles menaces ! Malheur à vous !
Ah ! malheur à vous qui riez maintenant, parce qu’un jour viendra où vous verserez des larmes ; et ces larmes seront d’autant plus cuisantes, qu’elles ne tariront jamais ! « Le royaume des cieux, nous dit-il, souffre violence ; il n’est que pour ceux qui se la font continuellement . » « Heureux, nous dit ce tendre Sauveur, heureux ceux qui pleurent en ce monde, parce qu’un jour ils seront consolés ! » Que celui qui prend Jésus-Christ pour modèle depuis son berceau jusqu’à la croix, est heureux ! Qu’il a de quoi s’encourager ! qu’il a de quoi imiter ! que d’armes puissantes pour repousser le démon ! Disons mieux : la vie d’imitation de Jésus-Christ est une vie de saint.
L’histoire nous en fournit un bel exemple : nous y voyons qu’une veuve qui avait peu de biens, mais qui avait de la vertu et du zèle pour le salut de ses enfants, avait une fille âgée de dix ans, nommée Dorothée. Cette petite fille était vive, portée à la dissipation ; la mère craignait que cette enfant ne se perdît avec ses petites compagnes ; elle la mit en pension chez une maîtresse bien vertueuse, pour la former à la vertu. Elle y fit des progrès admirables dans la piété, et retint dans son cur tous les bons avis que sa bonne maîtresse lui avait donnés ; mais surtout celui de se proposer Jésus-Christ pour modèle dans toutes ses actions. Lorsqu’elle fut rendue à sa mère, elle fut l’exemple et la consolation de toute sa famille. Elle ne se plaignait jamais de rien ; elle était patiente, douce, obéissante, toujours contente, d’une humeur égale dans ses travaux et dans les croix qui lui arrivaient, chaste, ennemie de toute vanité, respectant tout le monde, ne parlant mal de personne, aimant à rendre service, toujours unie à Dieu. Une telle conduite la rendit bientôt un objet d’estime à toute la paroisse ; mais, comme d’ordinaire, les faux sages, qui sont aveugles et orgueilleux, en furent fâchés, parce que, sans le savoir, ils ne sont vertueux et sages que parce, que tous les estiment ; ils ne peuvent en souffrir d’autres, par crainte qu’on ne fasse plus attention à eux, et que l’on ne tourne toute l’estime du côté des autres.
C’est ce qui arriva à cette jeune fille. Quelques compagnes envieuses entreprirent de noircir sa réputation, la traitèrent d’hypocrite et de fausse dévote. Mais Dorothée recevait cela sans se plaindre ; elle le souffrait pour l’amour de Jésus-Christ et ne laissait pas de toujours bien aimer celles qui la calomniaient. Plus tard, son innocence fut connue, et tout le monde en eut encore plus d’estime.
Le curé de la paroisse, admirant en elle les heureux effets de la grâce et le fruit que faisait cette jeune fille parmi celles qui la fréquentaient, lui dit un jour : « Dorothée, je vous prie de me dire en confiance comment vous vivez, comment vous vous comportez avec vos compagnes. » « Monsieur, lui répondit-elle, il me semble que je fais peu de chose, en comparaison de ce que je devrais faire. Je me suis toujours souvenue d’un avis que ma maîtresse m’a donné, lorsque je n’avais encore que douze ans. Elle me répétait souvent de me proposer Jésus-Christ pour modèle dans toutes mes actions et dans toutes mes peines. C’est ce que j’ai tâché de faire. Voici comment je le fais : Lorsque je m’éveille et que je me lève, je me représente l’enfant Jésus qui, à son réveil, s’offrait à Dieu son Père en sacrifice ; pour l’imiter, je m’offre en sacrifice à Dieu, en lui consacrant ma journée, et tous mes travaux, et toutes mes pensées. Lorsque je prie, je me représente Jésus priant son Père au jardin des Olives la face contre terre, et, dans mon cur, je m’unis à cette divine disposition. Lorsque je travaille, je pense que Jésus-Christ, aussi fatigué, travaille pour mon salut ; et, loin de me plaindre, j’unis avec amour et avec résignation mes travaux aux siens. Quand on me commande quelque chose, je me représente Jésus-Christ qui était soumis, obéissant à la sainte Vierge et à saint Joseph, et, dans ce moment, j’unis mon obéissance à la sienne. Si l’on me commande quelque chose de dur et de pénible, je pense aussitôt que Jésus-Christ s’est soumis à la mort de la croix pour nous sauver ; ensuite, j’accepte de bon cur tout ce qu’on me commande, quelque difficile que ce soit. Si l’on parle de moi, si l’on me dit des duretés et des injures, je ne réponds rien, je souffre en patience, me souvenant que Jésus-Christ a souffert en silence et sans se plaindre les humiliations, les calomnies, les tourments et les opprobres les plus cruels ; je pense alors que Jésus était innocent et ne méritait pas ce qu’on lui faisait souffrir, au lieu que moi, je suis une pécheresse et j’en mérite bien plus que l’on ne peut m’en faire souffrir. Lorsque je prends mes repas, je me représente Jésus prenant les siens avec modestie et frugalité pour travailler ensuite à la gloire de son Père. Si je mange quelque chose de dégoûtant, je pense aussitôt au fiel que Jésus-Christ a goûté sur la croix, et je lui fais le sacrifice de ma sensualité. Quand j’ai faim, ou que je n’ai pas de quoi me rassasier, je ne laisse pas que d’être contente, en me souvenant que Jésus-Christ a passé quarante jours et quarante nuits sans manger, et qu’il a souffert une faim cruelle pour mon amour et pour expier les intempérances des hommes. Lorsque je prends quelques moments de récréation, que je suis à causer avec quelqu’un, je me représente combien Jésus-Christ était doux, affable avec tous. Si j’entends de mauvais discours, ou que je vois faire quelque péché, j’en demande aussitôt pardon à Dieu, en me représentant combien Jésus-Christ avait le cur percé de douleur, quand il voyait son Père offensé. Lorsque je pense aux péchés sans nombre que l’on commet dans le monde, combien Dieu est outragé sur la terre, j’en gémis en soupirant ; je m’unis aux dispositions de Jésus-Christ, qui disait à son Père en parlant de l’homme : « Ah ! mon Père, le monde ne vous connaît pas . » Lorsque je vais me confesser, je me représente Jésus qui pleure mes péchés au jardin des Oliviers et sur la Croix. Si j’assiste à la sainte Messe, j’unis aussitôt mon esprit et mon cur aux saintes intentions de Jésus, qui se sacrifie sur l’autel pour la gloire de son Père, pour l’expiation des péchés des hommes et pour le salut de tous. Lorsque j’entends chanter quelque cantique et que j’entends chanter les louanges de Dieu, je me réjouis en Dieu, je me représente ce glorieux cantique et cette heureuse soirée que Jésus-Christ passa avec ses apôtres, après l’institution du sacrement adorable. Lorsque je vais prendre mon repos, je me représente Jésus-Christ qui ne prenait le sien qu’afin de retrouver de nouvelles forces pour la gloire de son Père, ou bien je me représente que mon lit est bien différent de la croix sur laquelle Jésus-Christ se coucha comme un agneau, en offrant à Dieu son esprit et sa vie ; ensuite je m’endors en disant ces paroles de Jésus-Christ sur la Croix : « Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains . » Le curé, ne pouvant se lasser d’admirer tant de lumière dans une jeune villageoise, lui dit : « Ô Dorothée, que vous êtes heureuse ! que de consolations n’avez-vous pas dans votre état ! » « Il est vrai que j’ai des consolations dans le service de Dieu ; mais je vous avoue que j’ai bien des combats à soutenir : il me faut faire de grandes violences, pour supporter les railleries de ceux qui se moquent de moi, et pour surmonter mes passions qui sont très vives. Si le bon Dieu me fait des grâces, il permet aussi que j’aie bien des tentations ; tantôt je suis dans le chagrin ; tantôt le dégoût pour la prière m’accable. » « Que faites-vous, lui dit le curé, pour surmonter vos répugnances et vos tentations ? » « Lorsque je suis, lui dit-elle, dans les tortures de l’esprit, je me représente le Sauveur au jardin des Olives, abattu, torturé et affligé jusqu’à la mort ; ou bien je me le représente délaissé et sans consolation sur la croix ; et, m’unissant à lui, je dis aussitôt ces paroles, qu’il prononça lui-même dans le jardin des Olives : « Mon Dieu, que votre volonté soit faite . » Quant à mes tentations, lorsque je sens quelque attrait d’aller dans certaines compagnies, dans les veillées, dans les danses et les divertissements dangereux, ou bien lorsque j’ai de violentes tentations de consentir à quelque péché, je me représente Jésus-Christ qui me dit ces paroles : Eh ! quoi, ma fille, veux-tu donc me quitter, pour te livrer au monde et à ses plaisirs ? Veux-tu me reprendre ton cur, pour le donner à la vanité et au démon ? N’y a-t-il pas déjà assez de personnes qui m’offensent ? Veux-tu te mettre de leur parti et abandonner mon service ? Aussitôt je lui réponds du fond du cur : Non, mon Dieu, jamais je ne vous abandonnerai ; je vous serai fidèle jusqu’à la mort ! « Où irais-je, Seigneur, en vous quittant, puisque vous avez les paroles de la vie éternelle . » Ces paroles me remplissent, dans le moment, de force et de courage. » « Dans les conversations que vous avez avec vos compagnes, lui dit le curé, de quoi vous entretenez-vous ? » « Je les entretiens des mêmes choses dont j’ai pris la liberté de vous entretenir ; je leur dis de se proposer Jésus-Christ pour modèle dans toutes leurs actions, de se souvenir, dans leurs prières, dans leurs repas, dans le travail, dans les conversations, dans les peines de la vie, comme Jésus-Christ se comporterait lui-même dans ces occasions, et de toujours s’unir à ses divines intentions ; je leur dis que je me sers de cette sainte pratique et que je m’en trouve bien, qu’il n’y a rien de plus grand et de plus noble que de vouloir suivre et imiter Jésus-Christ, et qu’il n’y a rien de plus doux que de servir un si bon Maître. »
Oh ! heureuse, M.F., l’âme qui a pris Jésus-Christ pour son guide, son modèle et son bien-aimé ! Que de grâces, que de consolations qui ne se trouvent jamais dans le service du monde ! Voilà, M.F., les consolations que vous auriez, si vous vouliez vous donner la peine de bien élever vos enfants, et leur inspirer, non pas la vanité et l’amour des plaisirs du monde, mais la résolution de prendre Jésus-Christ pour modèle dans tout ce qu’ils font. Oh ! les enfants heureux ! Oh ! les parents chéris de Dieu !
II. Oui, M.F., ce n’est pas seulement pour nous racheter que Jésus-Christ est venu, mais encore pour nous servir d’exemple. Il nous dit : « Je suis venu chercher et sauver ce qui était perdu ; » et dans un autre endroit, il nous dit : « Je vous ai donné l’exemple, afin que vous fassiez ce que vous voyez que j’ai fait . » Lorsque saint Jean baptisait Jésus-Christ au Jourdain, il entendit le Père éternel qui dit : « Voici mon Fils bien-aimé, écoutez-le . » Il veut que nous écoutions ses paroles, et que nous imitions ses vertus. Il ne les a pratiquées que pour nous montrer ce que nous devions faire. Puisque les chrétiens sont les enfants de Dieu, ils doivent marcher sur les traces de leur maître qui est Jésus-Christ lui-même. Saint Augustin nous dit qu’un chrétien qui ne veut pas imiter Jésus-Christ, ne mérite pas de porter le nom de chrétien. Il nous dit dans un autre endroit : L’homme est créé pour imiter Jésus-Christ, qui s’est fait homme afin de se rendre visible et pour que nous puissions l’imiter. Au jour du jugement, nous serons examinés pour voir si notre vie a été conforme à celle de Jésus-Christ, depuis sa naissance jusqu’à sa mort. Tous les saints qui sont entrés dans le ciel, n’y sont entrés que parce qu’ils ont imité Jésus-Christ.
En premier lieu, un bon chrétien doit imiter sa charité, qui est une vertu qui nous porte à aimer Dieu de tout notre cur et le prochain comme nous-même. Jésus-Christ aime son Père depuis l’instant de sa conception jusqu’à sa mort, en disant : « Je fais toujours le bon plaisir de mon Père . » Il ne s’est pas contenté de le dire, mais il a donné sa vie pour réparer les outrages que le péché lui avait faits. Il aime son prochain, non seulement comme lui-même, mais plus que lui-même, puisqu’il a donné son sang et sa vie pour nous tirer de l’enfer. Nous devons, à l’exemple de Jésus-Christ, aimer le bon Dieu de tout notre cur, le préférer à tout, ne rien aimer que par rapport à lui. Nous devons aimer notre prochain comme nous-même, c’est-à-dire lui souhaiter tout ce que nous voudrions que l’on nous souhaitât à nous-même, faire tout ce qui dépend de nous pour l’aider à sauver sa pauvre âme.
En deuxième lieu, il nous faut imiter sa pauvreté et son détachement des choses de la vie. Vous voyez, M.F., qu’il naît pauvre, qu’il a vécu pauvre, et qu’il est mort pauvre, puisqu’avant de mourir, il a permis qu’on lui arrachât tous ses habits. Pendant toute sa vie, il n’a jamais rien eu à lui en particulier. Ah ! bel exemple du mépris des choses de la terre !
En troisième lieu, nous devons imiter sa douceur. Il nous dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cur . » Saint Bernard nous dit qu’il a la douceur dans son nom, qui est celui de Jésus . Lorsque les apôtres voulaient faire descendre le feu du ciel sur une ville de Samarie, qui n’avait pas voulu recevoir le Sauveur :
« Voulez-vous, lui dirent ses disciples, que nous disions au feu du ciel de descendre sur cette ville ? » Notre-Seigneur leur répondit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez ; le Fils de l’homme n’est pas venu sur la terre pour perdre les âmes, mais pour les sauver . » Imitons sa douceur envers Dieu, en recevant avec douceur tout ce qui nous viendra de sa part, peines, chagrins et autres maux. Soyons bons envers notre prochain, sachons ne point nous laisser aller à la colère contre lui, mais le traiter avec bonté, avec charité. Soyons aussi doux à l’égard de nous-même ; veillons à ne jamais agir par caprice, par colère ; si nous tombons dans quelque faute, il ne faut pas nous emporter contre nous-même, mais nous humilier profondément devant Dieu, et, sans trop nous tourmenter, continuer nos pratiques de religion. « Bienheureux, nous dit Jésus-Christ, ceux qui ont le cur doux, parce qu’ils posséderont la terre », c’est-à-dire le cur des hommes !
En quatrième lieu, nous devons imiter son humilité. Il nous dit lui-même : « Apprenez de moi que je suis humble de cur. » Son humilité a été si grande, que, quoiqu’il fût roi de tout le monde, il voulut passer pour « le dernier de tous les hommes ! » Voyez combien il pratique l’humilité, en naissant dans une étable, abandonné de tout le monde. Il a voulu être circoncis, c’est-à-dire passer pour un pécheur, lui qui était la sainteté même, incapable de jamais pécher ; il a souffert qu’on l’appelât sorcier, magicien, séducteur ; il a toujours caché ce qui pouvait le faire estimer aux yeux des hommes. Il a voulu laver les pieds à ses apôtres, et même au traître Judas, quoiqu’il sût bien qu’il le devait trahir ; enfin, il a voulu être vendu comme un vil esclave, traîné la corde au cou par les rues de Jérusalem, comme s’il avait été le plus criminel du monde. Tâchez, M.F., d’imiter sa grande humilité en cachant le bien que vous faites, en souffrant avec patience les injures et les mépris, et toutes les persécutions que l’on pourra faire contre vous, à l’exemple de Jésus-Christ.
Nous devons encore imiter sa patience. Qu’il a été patient, de rester neuf mois renfermé dans le sein de sa mère, lui que le ciel et la terre ne peuvent contenir ! Quelle patience, de converser parmi les hommes, dont la plupart étaient endurcis et chargés de crimes ! Quelle patience pendant toute sa passion ! On le prend, on le lie, on le couvre de pierres, on le flagelle, on l’attache à la croix, on le fait mourir, sans qu’il ait dit une seule parole pour se plaindre. Imitons, M.F., cette patience lorsqu’on nous méprise et qu’on nous persécute à tort. Imitons encore sa prière. Il a prié en versant des larmes de sang.
Ah ! M.F., quel bonheur pour nous que la naissance, de ce divin Sauveur ! Nous n’avons qu’à marcher sur ses traces ; nous n’avons plus qu’à faire ce qu’il a fait lui-même. Quelle gloire pour des chrétiens, d’avoir en Jésus-Christ un modèle de toutes les vertus que nous devons pratiquer pour lui plaire et sauver notre âme ! Pères et mères, formez vos enfants sur ce beau modèle, proposez-leur souvent les vertus de Jésus-Christ pour exemple .
Heureuse nouvelle que, du ciel, l’ange nous annonce dans la personne des bergers, puisque avec elle nous avons tout : le ciel, le salut de notre âme, et notre Dieu ! Ce que je…