l’eternite apres la mort

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 1er DIMANCHE DE L’AVENT

(DEUXIÈME SERMON)


Sur les vérités éternelles

Memorare novissima tua, et in æternum non peccabis.

Souvenez-vous de vos fins dernières, et vous ne pécherez jamais.

(Eccli., VII, 40.)

Il faut donc, M.F., que ces vérités soient bien puissantes et bien salutaires, puisque l’Esprit-Saint nous assure que, si nous les méditons sérieusement, nous ne  pécherons jamais. Ce n’est pas bien difficile à comprendre. En effet, M.F., qui est celui qui pourrait s’attacher aux biens de ce monde en pensant que dans peu de temps il  n’y sera plus ? que depuis Adam jusqu’à présent, personne n’a rien emporté, et qu’il en fera de même ? Quel est celui qui pourrait tant s’occuper des choses terrestres, s’il était bien persuadé que le temps qu’il passe sur la  terre ne lui est donné que pour travailler à gagner le  ciel ? Quel est celui qui voudrait bien graver dans sa tête,  encore mieux dans son cœur, que la vie d’un chrétien ne  doit être qu’une vie de larmes et de pénitence, et pourrait encore, se livrer aux plaisirs et aux folles joies du monde ? Quel est celui qui, étant bien convaincu qu’il peut mourir à tout moment, ne se tiendrait pas toujours prêt ? Mais, me direz-vous, pourquoi est-ce donc que ces vérités, qui ont tant converti de pécheurs, font si peu d’impression sur nous ? Hélas ! M.F., c’est que nous ne les méditons pas sérieusement ; c’est que, notre cœur étant occupé des objets sensibles qui peuvent satisfaire ses penchants ; c’est que, notre esprit n’étant rempli que des affaires temporelles, nous perdons de vue ces grandes vérités qui seules devraient faire toute notre occupation dans ce monde.

Si vous me demandez pourquoi le Saint-Esprit nous recommande si fort de ne les jamais perdre de vue, en voici la raison : c’est qu’il n’y a rien qui soit plus capable de nous détacher de nous-mêmes et des biens de ce monde, rien de si puissant pour nous faire supporter les misères de la vie en esprit de pénitence, et, si je disais mieux, c’est que ces vérités nous font nous détacher de toutes les choses créées pour ne nous attacher qu’à Dieu seul. Ah ! M.F., n’oublions jamais ces grandes vérités, c’est à savoir : que notre vie n’est qu’un songe ; que la mort nous poursuit de bien près, et que bientôt elle nous atteindra ; que nous serons un jour jugés bien rigoureusement, et qu’après ce jugement notre sort sera fixé pour jamais.

Voyez, M.F., combien Jésus-Christ désire nous sauver : tantôt il se présente à nous comme un pauvre enfant dans sa crèche, couché sur une poignée de paille qu’il arrose de ses larmes ; tantôt comme un criminel, lié, garrotté, couronné d’épines, flagellé, tombant sous le poids de sa croix, enfin mourant dans les supplices pour l’amour de nous. Si cela n’est pas capable de nous toucher, de nous attirer à lui, il nous fait annoncer qu’il viendra un jour, revêtu de tout l’éclat de sa gloire et de la majesté de son Père, pour nous juger sans grâce et sans miséricorde ; où il dévoilera à la face de tout l’univers le bien et le mal que nous aurons fait pendant tous les instants de notre vie. Dites-moi, M.F., si nous pensions bien à tout cela, en faudrait-il davantage pour nous faire vivre et mourir en saints ?

Mais Jésus-Christ, pour nous faire comprendre ce que nous devons faire pour aller au ciel, nous dit dans l’Évangile, que les gens du monde mènent une vie entièrement opposée à celle de ceux qui sont à lui tout de bon. Les bons chrétiens, nous dit-il, font consister leur bonheur dans les larmes, la pénitence et le mépris ; mais les gens du monde font consister leur bonheur dans les plaisirs, la joie et les honneurs de la terre, et fuient tout le reste ; de sorte, nous dit Jésus-Christ, que leur vie est entièrement opposée l’une à l’autre, et que jamais ils ne seront d’accord dans leur manière d’agir et de penser. Ce qui est assez facile à comprendre.

1° Je dis qu’il y a quatre choses qui font le bonheur d’un bon chrétien, ce sont : la brièveté de la vie, la pensée de la mort, le jugement et l’éternité. Et nous voyons que ces quatre mêmes choses font le désespoir d’un mauvais chrétien, c’est-à-dire d’une personne qui oublie ses fins dernières pour ne s’occuper que des choses présentes.

 Je dis donc que la brièveté de la vie console un bon chrétien en ce qu’il se représente que ses peines, ses chagrins, ses persécutions, ses tentations, sa séparation de son Dieu, ne seront pas longues. Quelle joie pour nous, M.F., quand nous pensons que nous quitterons dans peu de temps ce monde où nous sommes tant exposés à offenser le bon Dieu, qui est un Sauveur si charitable, qui a tant souffert pour nous ! Ah ! M.F., avec cette pensée, pourrions-nous bien nous attacher à la vie qui est remplie de tant de misères ?

2? La pensée de la mort. Heureuse nouvelle, s’écria saint Jérôme, quand on vint lui annoncer qu’il allait mourir, heureuse nouvelle qui va me réunir à mon Dieu pour jamais ! Et en effet, M.F., puisque la mort est l’instrument dont le bon Dieu se sert pour nous délivrer ;

3? Je dis que le jugement, bien loin de jeter le chrétien dans le désespoir, ne fait que le consoler. Il va trouver non un juge sévère, mais son père et son sauveur : Oui, son père, qui l’attend pour lui ouvrir les entrailles de sa miséricorde, afin de le recevoir dans son sein paternel ; son sauveur, qui va manifester à la face de tout l’univers toutes ses larmes, ses pénitences et toutes les bonnes œuvres qu’il a faites pendant tous les jours de sa vie ;

4? La pensée de l’éternité met le comble à sa joie. Si son bonheur est infini dans ses douceurs et ses grandeurs, l’éternité lui assure qu’il ne finira jamais. Que cette pensée, M.F., doit nous encourager à bien servir le bon Dieu et à supporter avec patience toutes les misères de la vie, puisque, une fois dans le ciel, nous n’en sortirons jamais ! Ah ! M.F., toutes les misères de ce monde passent, tout cela ne dure qu’un moment, au lieu que la récompense durera toujours. Courage ! nous dit saint Paul, tout à l’heure nous serons au bout de la route.

Mais pour un chrétien, M.F., qui a perdu de vue la pensée de ses fins dernières, ce n’est plus de même :

1? La brièveté de la vie est un chagrin et une amertume qui le trouble et le ronge jusqu’au milieu de ses plaisirs ;

2? Il fait tout ce qu’il peut pour éloigner la pensée de la mort. Tout ce qui lui en donne le souvenir l’effraie ; remèdes et médecins, tout est appelé à son secours au moindre avertissement que la mort approche. Il croit toujours qu’il pourra trouver le bonheur ici-bas. Mais non, il se trompe : ce pauvre malheureux, en quittant le bon Dieu, quitte ce qui pouvait lui procurer le bonheur ; il sera forcé d’avouer, à l’heure de la mort, qu’il a passé sa vie en cherchant un bien qu’il n’a pas pu trouver. Hors de Dieu, hélas ! beaucoup de peines, beaucoup de souffrances, point de consolation, et point de récompense ! Avant son départ, il aura beau s’écrier, comme ce roi dont nous parle l’Écriture dans l’ancien Testament, lequel, se voyant sur le point de quitter la vie et tous ses biens, disait : « Ah ! il faut donc que je meure ! que je laisse tous ces grands biens, mes parterres et mes beaux jardins, pour aller dans un pays où je ne connais personne ! » Hélas ! la mort, qui est la consolation du juste, devient son désespoir ; il faut mourir, et il n’y a pas même pensé !

3? Le jugement. Ah ! triste pensée, il faut aller rendre à Dieu compte d’une vie qui n’est qu’une chaîne de péchés, et… point de bonnes œuvres qui puissent le rassurer. Il voit clairement, dans le moment de son départ, que le bon Dieu ne l’avait mis sur la terre que pour le servir et sauver sa pauvre âme, et il n’a fait qu’outrager le bon Dieu et perdre cette belle âme. Il voit, il comprend bien, dans ce moment, que le bon Dieu ne voulait pas le perdre, mais absolument le sauver, et que ce sont ses péchés qui le forcent de le condamner ;

4? L’éternité. Il voit que, dans quelques minutes, il va être jeté en enfer. Mon Dieu, quel désespoir ! Mais si la pensée de l’éternité console tant un chrétien, en ce que son bonheur ne finira jamais, cette même pensée achève le désespoir de ce pauvre malheureux. Ah ! pensée désespérante, il faut commencer son enfer pour ne le jamais finir ! Il voit, en entrant, un malheureux Caïn qui brûle depuis le commencement du monde, et qui n’est pas plus avancé que lui qui ne fait que d’entrer. Alors, les démons mêmes qui l’ont porté au péché avec tant de fureur, lui remettront devant les yeux, afin de rendre son supplice encore plus violent, toutes les grâces que le bon Dieu lui avait méritées par sa mort et sa sainte Passion. II voit combien, même sur la terre, en se sauvant, il aurait été plus heureux. Il voit combien Jésus-Christ était bon pour ceux qui voulaient l’aimer. Mais malgré toutes ces réflexions, qui pour lui seront comme autant d’enfers, il faudra se résoudre à boire pendant toute l’éternité, à pleine bouche, le fiel de la fureur de celui qui devait être tout son bonheur, s’il avait voulu l’aimer. Ah ! triste méditation que ce chrétien fera pendant toute l’éternité, en se disant à lui-même : un temps méprisé, une âme réprouvée, un Dieu perdu, un ciel rejeté et une éternité de souffrances ! Ah ! Ciel ! quel malheur ! Voilà, M.F., ce que fait celui qui perd de vue ses fins dernières.

 Mais, me direz-vous peut-être, vous dites bien qu’il y a une éternité malheureuse pour le pécheur ; mais il faudrait donc nous le montrer ? Il serait bien facile, M.F. ; mais ce serait faire affront à des chrétiens. Ce serait bien mieux pour vous, si je pouvais vous convaincre de la nécessité où vous êtes de faire tout ce que vous pouvez pour en éviter les tourments. Si vous voulez, je vous en dirai bien deux mots en passant, puisque vous êtes si ignorants ou si aveugles que d’avoir quelque doute là-dessus. Écoutez-moi bien. Voici ce que nous dit le Saint-Esprit par la bouche du prophète Daniel : Il y a deux sortes d’hommes ; il y en a qui sont justes, il y en a qui sont pécheurs ; les uns meurent dans la grâce de Dieu, les autres dans sa haine. Tous paraîtront un jour devant le bon Dieu, tous se réveilleront du sommeil de la mort ; tous seront jugés et recevront une sentence sans appel, après laquelle les uns n’auront plus rien à craindre, et les autres rien à espérer. Mais la différence qui sera trouvée entre les uns et les autres sera bien grande parce que les uns s’éveilleront pour aller jouir d’une gloire éternelle, les autres pour être couverts d’opprobres, abîmés dans toutes sortes de maux, et cela pendant toute l’éternité. Le Saint-Esprit nous dit partout quel sera le sort des pécheurs dans l’autre vie ; il nous dit : « Le Seigneur répandra sur leur chair le feu, afin qu’ils brûlent et qu’ils soient éternellement dévorés. » Le saint roi David dit que « le pécheur qui a méprisé son Dieu pendant sa vie sera jeté dans l’enfer. » Si vous voulez aller plus loin, saint Jean-Baptiste, prêchant aux Juifs le baptême de la pénitence pour les préparer à la venue du Messie, leur apprend encore quel sera le sort du pécheur dans l’autre monde, en leur disant que Jésus-Christ viendra un jour, qu’il séparera le bon grain d’avec le mauvais grain et la paille : Les bons grains qui sont les justes, le Père éternel les mettra dans son grenier qui est le ciel ; les mauvais grains et la paille qui sont les pécheurs, seront liés en bottes et on les jettera dans le feu qui est l’enfer ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents.

Jésus-Christ nous dit dans l’Évangile que le mauvais riche meurt et que l’enfer est son sépulcre, où il souffre des maux infinis ; Lazare, lui, est transporté par les anges dans le sein d’Abraham, c’est-à-dire, dans le ciel. Dans un autre endroit il nous dit, parlant du pécheur : « Va, maudit, au feu qui a été préparé au démon et à ceux qui l’ont imité. » Saint Augustin nous dit en parlant du pécheur : « Va, maudit, tu as méprisé ton Dieu et ses grâces pendant la vie ; va, maudit, tu seras précipité dans un étang de feu et de soufre pendant toute l’éternité. » Non, M.F., non, tout ceci est inutile ; il n’est pas besoin d’aller à de si grandes preuves pour vous montrer qu’il y a une vie heureuse ou malheureuse, selon que nous aurons bien ou mal vécu. Ouvrez seulement votre catéchisme, et vous y trouverez tout ce que vous devez croire, savoir et faire. En effet, M.F., quelle est la pre-mière demande que l’on vous a faite lorsque vous êtes venus à l’Église vous faire instruire ? N’est-ce pas celle-ci : qui vous a créé et conservé jusqu’à présent ? N’avez-vous pas répondu tout simplement que c’est Dieu ? Et pourquoi ? vous a-t-on dit. – C’est, avez-vous répondu, pour le connaître, l’aimer, le servir, et par ce moyen acquérir la vie éternelle. Voilà donc toute l’occupation d’un bon chrétien et tout son bonheur. Il doit apprendre à connaître Dieu, c’est-à-dire, à savoir les moyens les plus sûrs qu’il doit employer pour plaire au bon Dieu, éviter le mal et faire le bien.

Je dis, M.F., que nous devons aimer le bon Dieu. Ah ! M.F., ne nous y trompons pas ; si nous n’aimons pas le bon Dieu dans ce monde, jamais nous n’aurons le bonheur de l’aimer dans l’autre. Ne vous a-t-on pas dit, lorsque vous êtes venus au catéchisme, que si vous ne sauviez pas votre âme, tout était perdu pour vous ? Que vous auriez beau pleurer pendant toute l’éternité, que vous n’avanceriez rien ? Ne vous a-t-on pas dit, en vous faisant distinguer le bien d’avec le mal, qu’un seul péché mortel pouvait vous perdre pour jamais ? Que le péché est le seul mal que vous ayez à craindre, puisqu’il n’y a que lui qui a le pouvoir de nous séparer de Dieu pour toute l’éternité, en nous jetant en enfer ? Ne vous a-t-on pas dit que nous mourrons un jour, et que chaque jour est peut-être le dernier pour nous ? Ne vous a-t-on pas fait ressouvenir qu’au moment où nous mourrons, nous serons jugés rigoureusement, et que tout ce que nous avons fait pendant notre vie de bien et de mal nous accompagnera au tribunal de Dieu ? N’avais je pas raison de vous dire que nous n’avons qu’à savoir ce que renferme notre catéchisme, et nous avons toute la science nécessaire pour nous sauver ? Lorsque vous êtes venus ici dans votre enfance, ne vous a-t-on pas dit qu’après ce temps qui finira bientôt, il en viendra un autre qui ne finira jamais, qui renfermera toutes sortes de biens ou de maux, selon que nous aurons bien ou mal fait ? Dites-moi, M.F., si toutes ces vérités étaient gravées dans nos cœurs, pourrions-nous vivre sans aimer le bon Dieu et sans faire tout ce qui dépend de nous pour éviter tous ces malheurs ?

 Hélas ! M.F., que ces vérités ont fait trembler de saints, et converti de grands pécheurs, et ont poussé de pénitents à user de rigueur dans leurs pénitences et leurs macérations ! Nous lisons dans l’histoire, que saint Ambroise, écrivant à l’empereur Théodose, qui avait commis un péché plutôt par surprise que par malice, lui disait : « J’ai eu une vision où le bon Dieu m’a montré que, vous voyant venir à l’église, je devais vous en fermer la porte ; que votre péché vous avait rendu indigne d’y entrer. » Après la lecture de cette lettre, l’empereur commença à répandre des larmes en abondance ; cependant il alla selon sa coutume se présenter à la porte de l’église, dans l’espérance que l’évêque se laisserait toucher par ses larmes et son repentir. Mais l’évêque, bien loin de se laisser fléchir comme ces ministres lâches et complaisants, le voyant s’approcher de l’église, lui dit, selon l’ordre qu’il en avait reçu de Dieu, de s’arrêter, qu’il était indigne d’entrer dans la maison de Celui qu’il avait osé outrager, et de commencer à expier son péché. « Il est vrai, lui dit l’empereur, que je suis pécheur et indigne d’entrer dans le temple du Seigneur ; mais le bon Dieu voit mon repentir. David a bien péché et le Seigneur lui a bien pardonné. » – « Eh bien ! lui dit saint Ambroise, si vous avez imité David dans son péché, imitez-le dans sa pénitence. » L’empereur, sans rien répliquer à ces paroles, se retire ; les larmes coulent de ses yeux ; son cœur se brise de douleur ; il arrache ses habits royaux, en prend de pauvres et de déchirés, se jette la face contre terre, se livre à toute l’amertume de la douleur ; il fait retentir son palais des cris les plus déchirants. Ses sujets, le voyant dans une si grande désolation, n’ont le courage ni de le voir, ni de lui dire la moindre chose pour le consoler ; ils se contentent de mêler leurs larmes à celles de leur maître ; son palais est changé en un lieu de deuil, de larmes et de pénitences. Il ne se contenta pas de confesser son péché dans le tribunal de la pénitence, il l’avouait publiquement, afin que cette humiliation attirât sur lui les miséricordes de Dieu. Il était inconsolable de voir que ses sujets allaient à l’église et que lui-même en était privé. Si on lui permettait d’assister à une prière publique, il y paraissait de la manière la plus humiliante ; il n’était ni debout, ni à genoux comme les autres, mais le visage prosterné contre la terre qu’il trempait de ses larmes. Il s’arrachait les cheveux pour montrer la grandeur de sa douleur ; il prenait des pierres avec lesquelles il se meurtrissait la poitrine, en criant miséricorde. Il conserva toute sa vie le souvenir de son péché ; ses yeux versaient continuellement des larmes. Mais si vous me demandez, quelle fut la cause de tant de larmes, d’une si grande douleur et d’une pénitence si extraordinaire ? Hélas ! M.F., ce fut la seule pensée qu’un jour Dieu le citerait avec son péché, devant son tribunal où il serait jugé sans miséricorde.

Hélas ! M.F., si ces grandes vérités étaient bien gravées dans nos cœurs, pourrions-nous vivre sans travailler continuellement à apaiser la justice de Dieu que nos péchés ont irrité ? En effet, M.F., quel est celui qui, pensant qu’il n’est dans ce monde que pour sauver son âme, pourrait encore chercher à tromper, à faire tort à son prochain ? Quel est celui qui voudrait s’enrichir par des moyens injustes, s’il était bien convaincu que, tous ces biens qu’il ramasse aux dépens du salut de son âme ; dans quelque temps il va les laisser à des héritiers, peut-être à des ingrats, qui les dissiperont en débauches, sans peut-être faire la moindre prière pour le repos de son âme ? Mais quand bien même ils en feraient des bonnes œuvres si vous avez laissé votre âme dans le péché, ces bonnes œuvres ne vous tireront pas de l’enfer. Quel est celui qui pourrait encore se livrer aux amusements du monde, qui sont si courts et si funestes à notre salut, en perdant de vue la grande affaire de son éternité ? Quel est celui qui, étant bien persuadé qu’un seul péché mortel peut le damner, aurait le courage de le commettre ? ou, qui, ayant le malheur de l’avoir commis, pourrait encore rester dans un état si déplorable où la main de Dieu peut le frapper à chaque instant, et ne s’empresserait pas de vite avoir recours au sacrement de pénitence, seul remède que le bon Dieu nous offre dans sa miséricorde ? Quel est celui, M.F., qui, pensant qu’il peut mourir à tout moment, ne vivrait pas toujours en tremblant sur le bord de l’abîme ? Qui est celui qui s’attacherait si fort à la vie, pensant que peut-être demain il n’y sera plus ? Quel est celui, M.F., qui, étant très assuré qu’au moment où il ira paraître devant son Dieu, il sera jugé rigoureusement, ne craindrait pas toujours de subir un jugement si redoutable même aux plus justes ? Quel est celui, M.F., qui, étant très assuré qu’après cette vie périssable nous en aurons une autre heureuse ou malheureuse, selon que nous aurons bien ou mal vécu, ne mettrait pas tous ses soins à mériter les biens que le bon Dieu prépare à ceux qui l’ont aimé ?

Ah ! M.F., disons encore mieux, qui est-ce qui, méditant bien ces grandes vérités, ne vivrait et ne mourrait pas en saint ? Ô mon âme, s’écriait un saint pénitent, souviens-toi de tes péchés et de ces grandes vérités ; n’oublie jamais d’où tu viens, où tu vas, de qui tu as reçu l’être, à qui tu dois donner ton cœur, ce que tu as apporté en venant au monde et ce que tu emporteras en sortant de ton exil. Hélas ! M, F., nous n’aurons guère songé à tout cela jusqu’à présent ; hélas ! nous attendons, pour y penser, que nos larmes et nos pénitences soient sans fruit. Que nous serions heureux, M.F., si ces grandes vérités pouvaient dissiper les ténèbres qui nous aveuglent sur l’affaire de notre salut ! si nous avions le bonheur de bien être convaincus que nous n’avons été que pur néant et misérable ver de terre ; que nous ne sommes que pécheurs et coupables ; que nous serons un jour éternellement heureux si nous évitons le péché, et éternellement malheureux si nous suivons nos penchants ! Hélas ! M.F., pour nous préparer au terrible passage, nous n’avons peut-être que quelques instants. Rentrons dans nos cœurs, M.F., pour ne nous occuper que de ces grandes vérités, seules dignes de nous occuper, seules capables de nous convertir.

 Laissons passer, M.F., ce qui passe et périt avec nous ; attachons-nous à ce qui est éternel et permanent. Disons à toutes les choses d’ici-bas, comme tous les saints : Non ! non ! vous ne m’êtes plus rien, puisque, peut-être demain, vous ou moi ne serons plus ; laissez-moi profiter du peu de temps qui me reste pour essayer si le bon Dieu voudra bien me pardonner. Ah ! non, non, je ne veux plus vivre que pour Dieu, en méprisant les biens périssables. Ah ! que ces saints ont bien compris ces grandes vérités ! et nous pouvons dire qu’ils en ont fait toute leur occupation. Nous lisons dans l’histoire de l’Église qu’un grand nombre de saints, pénétrés des vérités éternelles et du néant de ce monde, l’ont méprisé et abandonné, pour aller s’enfermer dans des monastères ou s’ensevelir dans le fond des forêts, pour avoir le moyen de méditer ces vérités avec plus de loisir. Et là, dans des antres sombres et obscurs, séparés du bruit et du tumulte du monde, ils ne s’occupaient que de ces vérités immuables ; et, pénétrés de ces grands sentiments, ils exerçaient sur leur corps toutes les rigueurs de la pénitence que leur amour pour Dieu pouvait leur inspirer. La prière, le jeûne et la discipline réduisaient leur corps à un état digne de la plus grande compassion. Une grande partie ne mangeaient que quelques racines qu’ils trouvaient en remuant la terre ; s’ils mangeaient quelques morceaux de pain, ils les détrempaient avec leurs larmes, se voyant forcés de soulager un corps qui était aussi mort que vivant. Ainsi passaient-ils leur vie qui n’était qu’un martyre continuel. Et quand après vingt, trente, quarante ou quatre-vingts ans de pénitence, ils arrivaient à la fin de leur course, encore tout effrayés, ils s’écriaient les uns aux autres en tremblant : Pensez-vous, mes amis, que Dieu aura encore pitié de nos âmes et qu’il se laissera fléchir ? Qu’il voudra encore nous accorder le pardon de nos péchés ? Pensez-vous que nous pourrons encore trouver grâce devant ce juge qui alors sera sans miséricorde ? Ah ! qui priera pour nous, pour adoucir la sévérité de notre juge ? Ah ! pouvons-nous encore espérer d’avoir un jour part au bonheur des enfants de Dieu ?

Oui, M.F., nous voyons que les saints pénitents, après avoir eu le bonheur de connaître ce que c’est que le péché, et combien le bon Dieu le punit rigoureusement dans l’autre vie, ne mettaient point de bornes à leurs pénitences. Saint Jérôme nous rapporte qu’une dame romaine, ayant quitté son mari à cause des vices auxquels il se livrait, crut qu’étant séparée par les lois, elle pouvait sans péché se remarier à un autre légitimement. Saint Jérôme nous dit que, lui ayant fait connaître son péché ; elle fut pénétrée d’une si grande douleur, couverte d’une telle confusion, qu’elle quitta sur-le-champ ses habits du monde et se revêtit d’un sac ; les cheveux épars, le visage, souillé, les mains toutes sales, la tête couverte de cendre et de poussière, les habits tout déchirés, la bouche fermée : dans ce triste état, elle va se jeter aux pieds du Saint-Père. Le Saint-Père et tous ceux qui furent témoins de ce spectacle, semblaient ne plus pouvoir vivre en voyant l’état où cette dame romaine s’était mise pour une faute d’ignorance. Rome, dit ce Père, faisait retentir son enceinte des cris les plus déchirants, et semblait vouloir partager les douleurs de cette grande pénitente. Elle avouait publiquement son péché, et toujours avec des torrents de larmes. Elle porta ses habits de pénitence toute sa vie ; sa douleur, sa pénitence la suivirent jusqu’au tombeau. Non contente de tout cela, elle vendit tous ses biens, qui étaient immenses, afin de vivre et de mourir, dans la plus grande pauvreté.

Mais, vous, vous demandez quelle fut donc la cause de tout cela ? Hélas ! la seule pensée qu’un jour elle serait sommée d’aller paraître avec son péché devant le tribunal de Jésus-Christ. Elle demandait en grâce à Dieu de prolonger sa vie de quelques jours, pour qu’elle eût le temps de faire pénitence. Hélas ! s’écriait-elle à chaque instant ; il faut que j’aille paraître devant le bon Dieu ; que vais-je devenir, si mon péché n’est pas effacé par mes larmes et ma pénitence ? Ô heureuse pénitence ! Ô larmes salutaires ! Venez à mon secours : c’est vous seules que je veux pour compagnes pendant tous les jours de ma vie.

 Hélas ! M.F., nous dit le grand saint Jean Climaque , si la pensée de l’éternité a porté tant de saints à faire des pénitences si extraordinaires, quel sera donc notre sort à nous qui sommes si pécheurs et… point de pénitence ? Mon Dieu ! que votre justice sera terrible pour ces pauvres pécheurs qui n’auront rien sur quoi s’appuyer ! « Ah ! mes amis, nous dit-il, j’ai vu des pénitents dans un lieu que l’on ne peut ni voir ni même y penser sans verser des larmes ; dans un lieu, dis-je, dépourvu de tout secours humain, de toute consolation humaine : ce n’était qu’obscurité, que puanteur, que saleté ; tout y était si affreux, que l’on ne pouvait les voir sans pleurer de compassion. Ces illustres et saints pénitents ne voyaient dans ce lieu ni feu, ni vin, seulement quelques racines et quelques morceaux de pain dur et noir qu’ils arrosaient de leurs larmes. Lorsque je fus arrivé, nous dit saint Jean Climaque, dans ce lieu de pénitence que l’on nommait avec bien juste raison « le séjour de pleurs et de larmes, » je vis véritablement, si j’ose dire, ce que l’œil de celui qui néglige son salut n’a jamais vu, et ce que l’oreille de celui qui est paresseux dans ses devoirs n’a jamais entendu, et ce que le cœur de celui qui marche lâchement dans le chemin de la vertu n’a jamais pu comprendre ; car je vous assure que je vis des actions et j’entendis des paroles capables de fléchir la colère de Dieu. Les uns passaient les nuits entières, se tenant sur le bout de leurs pieds, et cela à la rigueur de l’hiver ; et, quand leur pauvre corps tombait de lassitude et de faiblesse : Ah ! maudit, se disaient-ils à eux-mêmes, puisque tu as eu le malheur de tant outrager le bon Dieu, il faut que tu souffres ou dans ce monde ou dans l’autre : choisis le parti que tu veux prendre ; les souffrances de ce monde ne sont que d’un moment, au lieu que celles de l’autre vie sont éternelles : J’en vis d’autres qui, les yeux toujours élevés vers le ciel, poussaient les cris les plus déchirants en demandant miséricorde ; d’autres, qui se faisaient lier les mains, même les doigts, pendant leur prière, comme des criminels qui se croyaient indignes de fixer le ciel, ils étaient tellement pénétrés de leur misère et de leur néant, qu’ils ne savaient par où commencer leurs prières ; ils s’offraient à Dieu comme des victimes prêtes à être immolées. L’on en voyait d’autres, revêtus d’un sac, couverts de cendre, couchés sur le carreau, se battre le front contre les pierres ; d’autres qui pleuraient avec tant de larmes, qu’ils formaient des ruisseaux. J’en vis qui étaient tellement couverts d’ulcères, qu’il en sortait une infection capable de faire mourir ceux qui étaient auprès d’eux. Ils avaient si peu soin d’eux, que leur corps ressemblait à une brassée d’os couverte d’une peau. De quelque côté que l’on se tournât, l’on n’entendait que des cris et des sanglots qui vous déchiraient les entrailles et faisaient couler vos larmes. Leurs cris les plus ordinaires étaient ceux-ci : Ah ! malheur à nous qui avons péché ! Les uns portaient leur rigueur si loin, qu’ils ne buvaient de l’eau que pour s’empêcher de mourir ; d’autres, quand ils mettaient quelque morceau de pain à leur bouche, le rejetaient aussitôt en disant qu’ils étaient indignes de manger le pain des enfants de Dieu après l’avoir tant outragé. Ils avaient toujours l’image de la mort présente à leur esprit et devant les yeux ; ils se disaient les uns aux autres : Hélas ! mes amis, qu’allons-nous devenir ? Croyez-vous que nous avançons un peu dans la route de la pénitence ? Oh ! que nos plaies sont profondes ! que nos dettes sont grandes ! que ferons-nous pour les acquitter ? Faisons, se disaient-ils, comme les Ninivites. Hélas ! que sait-on si le bon Dieu n’aura pas encore pitié de nous ? Faisons tout ce que nous pourrons pour essayer si le Seigneur voudra encore se laisser toucher ; courons dans la carrière de la pénitence, sans épargner ce corps de péché qui n’est qu’un abîme de corruption ; tuons ce maudit corps, comme il a voulu tuer nos pauvres âmes. C’était leur langage ordinaire ; il suffisait, nous dit saint Jean Climaque, de les regarder, pour pleurer amèrement : ils avaient les yeux abattus, enfoncés dans la tête, ils n’avaient plus de poils aux paupières ; leurs joues étaient tellement retirées, qu’il semblait que le feu les avait rôties, tant il leur était ordinaire de pleurer à chaudes larmes ; leur visage était si défiguré et si pâle, qu’ils ressemblaient à des morts qui seraient demeurés deux jours dans le tombeau. Il y en avait qui se meurtrissaient tellement la poitrine à coups de pierres, qu’à plusieurs, on voyait le sang leur sortir par la bouche ; plusieurs demandaient à leur supérieur de leur mettre les fers au cou et aux mains et des entraves aux pieds ; une partie les gardèrent jusqu’au tombeau. Ils étaient si humbles, ils aimaient tant le bon Dieu, ils avaient tant de douleur de leurs péchés, lorsqu’ils se voyaient sur le point d’aller paraître devant leur juge, qu’ils priaient en grâce leur supérieur de ne pas les ensevelir, mais de les jeter dans quelque rivière ou dans quelque bois pour servir de pâture aux loups et aux bêtes sauvages. Voilà, nous dit saint Jean Climaque, la manière dont vivaient ces âmes saintes et innocentes. Lorsque je fus de retour, continue le même saint, et que le supérieur vit que j’étais si défait, qu’à peine pouvait-il me reconnaître, et que je semblais ne plus pouvoir vivre : Eh bien ! mon père, me dit-il, avez-vous vu les travaux et les combats de nos généreux soldats ? Je ne pus lui répondre que par des larmes et des sanglots, tant ce genre de vie m’avait effrayé dans des corps humains.

Hélas ! M.F., où en sommes-nous ? Quels seraient notre sort et notre éternité si Dieu en demandait autant de nous ? Ah ! non, non, M.F., jamais de ciel pour nous, s’il en fallait autant ! Ah ! si du moins, sans faire ces grandes et épouvantables pénitences, nous avions seulement le bonheur de cesser de pécher et de commencer aujourd’hui à aimer le bon Dieu, nous pourrions encore espérer le même bonheur. Mon Dieu, que nous sommes aveugles sur notre bonheur éternel !- Hélas ! M.F., ces grands saints, que nous admirons sans avoir le courage de les imiter, dites-moi, avaient-ils un autre évangile à suivre ? Avaient-ils une autre religion à pratiquer ? Avaient-ils un autre Dieu à servir, une autre éternité à craindre ou à espérer ? Non, sans doute, M.F., mais ils avaient la foi que nous n’avons pas, que nous avons presque éteinte par la multitude de nos péchés : c’est qu’ils pensaient sérieusement au salut de leur pauvre âme, tandis que nous la laissons de côté, cette pauvre âme, qui est si pauvre et qui a tant coûté à Jésus-Christ, et qu’il nous est indifférent de sauver ou de damner. C’est qu’ils méditaient sans cesse sur ces grandes et terribles vérités de l’autre vie, la perte d’un Dieu, la grandeur du péché, une éternité heureuse ou malheureuse, l’incertitude de la mort, les abîmes redoutables des jugements de Dieu et les suites d’un avenir heureux ou malheureux, selon que nous aurons bien ou mal vécu ; tandis que nous, nous n’y pensons pas même : n’étant occupés que des choses de ce monde, nous laissons notre âme et le ciel de côté. En un mot, c’est qu’ils vivaient en pénitents et en saints, tandis que nous vivons en mondains, dans le péché et les plaisirs du monde, et… point de pénitence.

Ô aveuglement de l’homme, que tu es grand ! Qui pourra jamais te comprendre ? N’être dans ce monde que pour aimer le bon Dieu et sauver notre âme, et ne vivre que pour l’offenser et rendre notre âme malheureuse pendant l’éternité !… En effet, M.F., quelle a été notre vie jusqu’à présent ? A quoi avons-nous pensé depuis que nous sommes sur la terre ? A qui avons-nous donné notre cœur ? Qu’avons-nous fait pour Dieu, notre première et dernière fin ? Quel zèle, quelle ardeur, avons-nous eus pour la gloire de Dieu et le salut de notre pauvre âme, qui a tant coûté de souffrances à Jésus-Christ ? Combien, au contraire, n’avons-nous pas de reproches à nous faire ?

Hélas ! bien loin d’avoir employé toute notre vie à procurer la gloire de Dieu et à nous assurer le bonheur éternel, peut-être n’y avons-nous pas même pensé un seul jour, comme un chrétien doit le faire toute sa vie. Ah ! ingrats, est-ce pour cela que le bon Dieu nous a créés et mis sur la terre ? N’est-ce pas au contraire pour ne nous occuper que de lui et lui consacrer tous les mouvements de notre cœur ? Nous ne devrions vivre que pour lui, et peut-être n’avons-nous pas encore vécu un seul jour que nous puissions dire être tout pour lui et pour lui seul.

 Hélas ! M.F., bientôt il nous faudra aller lui rendre compte de toutes nos actions. Qu’aurons-nous à lui présenter ? Qu’aurons-nous à répondre à ses interrogations lorsqu’il nous montrera, d’un côté, toutes les grâces qu’il nous a accordées pendant toute notre vie, et de l’autre, le peu de profit ou plutôt le mépris que nous en avons fait ? Est-il bien possible que, ayant entre les mains tant de grâces si précieuses, nous soyons encore si tièdes, si lâches et si languissants dans le service de Dieu ? Ah ! M.F., si des idolâtres et des païens avaient reçu autant de grâces que nous, ne seraient-ils pas devenus de grands saints ? Combien, M.F., de grands pécheurs, s’ils avaient été comblés de tant de bienfaits que nous, n’auraient-ils pas fait pénitence, comme les Ninivites, sous la cendre et le cilice ? Rappelons-nous, M.F., tout ce que le bon Dieu a fait pour nous depuis que nous sommes au monde. Combien sont morts sans avoir eu le bonheur de recevoir le saint Baptême ? Combien d’autres qui, après un seul péché mortel, ont été frappés de mort subite et sont tombés en enfer ! Oh ! combien de dangers même corporels dont Dieu, dans sa miséricorde, nous a préservés, préférablement à tant d’autres qui ont péri d’une manière extraordinaire ! Et combien de fois, après avoir eu le malheur de pécher, le bon Dieu ne nous a-t-il pas poursuivis par des remords de conscience, par de bonnes pensées ! Combien d’instructions, combien de bons exemples, qui semblaient nous reprocher notre indifférence pour notre salut !

Dites-moi, M.F., après tant de traits de la miséricorde du bon Dieu, qu’aurons-nous à lui répondre, lorsqu’il nous demandera compte du profit que nous en avons fait ? Ô triste pensée, M.F., pour un pécheur qui a tout méprisé, et qui n’a su profiter de rien ! Eh bien ! ingrats, va nous dire Jésus-Christ, est-ce que les vertus que je vous ai commandées étaient trop difficiles ? Ne pouviez-vous pas les pratiquer aussi bien que tant d’autres ? Dans quel état paraissez-vous devant moi ! Ne saviez-vous pas qu’un jour viendrait où je vous demanderais compte de tout ce que j’ai fait pour vous ? Eh bien ! misérable, rendez-moi compte de tout ce que ma miséricorde a fait pour vous ! Hélas ! M.F., qu’allons-nous répondre, ou plutôt quelle confusion pour nous !

Prévenons, M.F., ce moment si malheureux pour le pécheur, en profitant désormais des grâces que la bonté de Dieu veut bien encore nous accorder aujourd’hui. Je dis aujourd’hui, puisque peut-être demain, ou le bon Dieu nous aura abandonnés, ou nous ne serons plus dans ce monde. Savez-vous, M.F., le langage que nous allons tenir dans ce moment ? Le voici : Ah ! dirons-nous, je savais très bien que je n’étais sur la terre que pour un peu de temps, et cependant je n’ai vécu que pour le monde. En perdant la vie éternelle, je savais que quelques années finiraient ma course, et que mille ans n’auraient pas été trop longs pour me préparer à ce triste et terrible passage de ce monde à l’éternité où je pouvais entrer à chaque instant ; et, ce peu de temps, je ne l’ai employé qu’aux affaires du temps, aux amusements et à des riens. Voilà ce temps précieux que Dieu ne m’avait donné que pour m’assurer un bonheur éternel : il va disparaître à mes yeux, et l’éternité va commencer pour ne finir jamais. Sera-t-elle heureuse ou malheureuse ? Hélas ! qu’ai-je fait pour la mériter heureuse ? Ô temps perdu ! ô éternité oubliée ! ô cruelle méprise ! que tu jettes d’âmes en enfer ! ô aveuglement de l’homme, qui pourra te comprendre ? Quatre jours à passer dans ce monde, et une éternité entière dans l’autre : et ces quatre jours ont fait toute mon occupation, et, pour l’éternité, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour l’effacer de ma mémoire ! Ô mon Dieu ! où est donc notre foi ? Où est notre raison, pour vivre comme nous vivons ?

Que devons-nous conclure de tout cela, M.F. ? C’est que, malgré que nous ayons tant méprisé de grâces, si nous voulons profiter de celles que le bon Dieu veut nous accorder dans sa miséricorde, non seulement nous pouvons racheter le temps passé, mais nous pouvons encore nous procurer un bonheur infini dans l’autre vie. Si le bon Dieu nous a conservé la vie malgré tant de péchés, ce n’est que parce qu’il voulait répandre sur nous la grandeur de ses miséricordes ; plus nous sommes pécheurs, plus il désire notre salut, afin que nous soyons comme autant d’instruments pour publier pendant toute l’éternité la grandeur de ses miséricordes sur les pécheurs.

Oui, M.F., il nous attend les bras ouverts ; il nous ouvre la plaie de son divin Cœur, pour nous cacher à la sévérité de la justice de son Père ; il nous présente tous les mérites de sa mort et passion, afin de payer pour nos péchés. Si notre retour est sincère, il se charge de répondre pour nous au tribunal de son Père, quand nous serons interrogés pour rendre compte de notre vie.

 Heureux celui qui obéit à la voix de son Dieu qui l’appelle ! Heureux, M.F., celui qui n’aura jamais perdu de vue que sa vie est bien courte, qu’il peut mourir à chaque instant, et qu’après cette vie il sera jugé, pour une éternité de bonheur ou de malheur, pour le ciel ou l’enfer ! Ô mon Dieu ! si nous pensions sans cesse à nos fins dernières, pourrions-nous bien vivre dans le péché, pourrions-nous bien oublier ce temps à venir qui, une fois commencé, ne finira jamais ? Dites-moi, M.F., croyez-vous à cette éternité, vous qui depuis peut-être dix ou vingt ans êtes dans la haine de Dieu ? Croyez-vous à l’éternité, M.F., vous qui avez le bien d’autrui ? Ah ! non, non, si vous y croyiez, vous ne pourriez pas vivre comme vous vivez. Dites-moi, misérable ; qui depuis tant d’années avez des péchés cachés dans vos confessions, qui êtes coupable d’autant de sacrilèges que vous avez fait de communions ; hélas ! si vous le croyiez un petit peu, ne mourriez-vous pas d’horreur de vous-même en pensant qu’à tout moment vous êtes exposé à aller rendre compte de toutes ces turpitudes devant un juge qui sera sans miséricorde ? Oui, M.F., si nous avions le bonheur de bien méditer sur ce qui nous attend après ce monde qui est si court, il nous serait impossible de ne pas travailler toute notre vie en tremblant dans la crainte de ne pas réussir à sauver notre pauvre âme. Heureux, M.F., celui qui se tiendra toujours prêt ! C’est ce que je vous souhaite…



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