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SERMON
POUR LA FÊTE DU SAINT PATRON
Quæsivi de eis virum, qui interponeret sepem et staret oppositum contra me pro terra, ne dissiparem eam.
J’ai cherché parmi eux un homme qui se présentât comme un rempart entre moi et eux, qui s’opposât à moi pour la défense de cette terre, afin que je ne la détruise point
(Ézéch., XXII, 30.)
Dieu, M.F., peut-il nous montrer son amour et sa tendresse pour les hommes d’une manière plus claire que dans ces paroles : « Lorsque ma justice me forcera à vous punir, cherchez parmi vous un de mes amis, afin qu’il s’oppose à ma vengeance, et m’empêche de vous punir. » Qui pourra donc raconter les prodiges de l’amour d’un Dieu pour ses créatures ? Il ne s’est pas contenté d’envoyer son Fils unique, l’objet de ses plus tendres complaisances ; il a consenti à ce qu’il perdît la vie pour nous sauver et nous délivrer de sa vengeance éternelle. Non content de nous avoir fait naître dans le sein de son Église, qui nous nourrit du Corps adorable de Jésus-Christ et nous abreuve de son Sang précieux ; non content de nous avoir confié à un ange de la cour céleste, qui, depuis le premier instant de notre vie, nous prodigue ses soins ; il a voulu encore nous donner à chacun un saint Patron pour veiller continuellement sur nous pour être notre modèle, notre défenseur. Non content de donner à chacun de nous un protecteur, son amour veut encore que chaque paroisse soit dédiée à un saint du ciel, qui lui sert de patron, et auquel les fidèles peuvent recourir comme des enfants à leur père. Notre saint Patron est un bon roi, ne désirant que le bonheur de ses sujets, et n’oubliant rien pour leur procurer tout ce qui peut les rendre heureux. Il éloigne de nous les fléaux de la justice de Dieu, que nous avons mérités par nos péchés, et nous procure les moyens nécessaires pour opérer notre salut. Quel est mon dessein, M.F. ? le voici. C’est d’abord de vous montrer tous les bienfaits que nous recevons par la protection de notre saint Patron, et d’examiner ensuite comment nous y correspondons.
I. Pour vous faire comprendre le besoin que nous avons de la protection de notre saint Patron pendant notre vie, à l’heure de notre mort, et après notre mort, il faudrait pouvoir vous faire comprendre aussi les dangers auxquels nous sommes exposés pendant notre vie. Désirez-vous connaître nos ennemis les plus redoutables ? C’est le monde, par ses mauvais exemples ; le démon, par ses tentations ; notre chair, par sa pente au mal. Tout l’enfer a juré notre perte éternelle, et, tant que nous resterons sur la terre, il faut nous attendre à combattre ; nous sommes très assurés que nos combats ne finiront qu’avec notre vie. Job, ce grand saint de l’Ancien Testament, nous fait le plus beau portrait de la vie de l’homme, en disant que « nous naissons en pleurant, nous vivons en gémissant et nous quittons la vie en souffrant » ce qui lui fait dire que le moment de notre mort est préférable à celui de notre naissance. Nous vivons peu, nous souffrons beaucoup, et notre vie n’est qu’une guerre continuelle . Nous n’aurons pas quitté une croix que nous en trouverons une autre. Élie fuyant la colère de la reine Jézabel, alla se cacher dans une caverne ; là, accablé d’ennuis et de misères, il s’adressa à Dieu en lui disant : « Mon Dieu, pourquoi me laissez-vous souffrir si longtemps ? Vous avez bien retiré mes pères de ce monde, retirez–moi aussi, puisque séparé de vous l’on ne fait que souffrir. » Le Seigneur lui répondit: « Il te reste encore bien des années à souffrir . » Un jour que Jérémie considérait combien l’homme est misérable en ce monde, il s’écria en pleurant : « Oh ! Seigneur, m’allez-vous laisser encore bien longtemps sur la terre ; de grâce, faites que mes maux finissent bientôt ! » Le saint roi David disait en se couchant : « Ah ! Seigneur, si du moins cette nuit était la dernière de ma vie ! Mon Dieu, jusqu’à quand prolongerez-vous mon exil ; puisque les ennemis de mon salut ne cherchent que ma perte ; de quel côté que je me tourne, je ne vois que péchés. Ah ! qui me donnera des ailes comme à la colombe pour sortir de cette terre étrangère, pour voler vers vous . Si nous lisons l’Évangile, nous voyons Jésus-Christ ne promettre que des croix, des persécutions et des souffrances Un jour une mère se présenta à lui, en disant: « Seigneur, j’ai une grâce à vous demander : faites que mes deux enfants soient l’un à votre droite et l’autre à votre gauche dans votre royaume. » Le Sauveur la regarda d’un air de compassion, et lui dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez ; cette grâce appartient à mon Père, pour moi, voilà tout ce que je puis vous donner : c’est ma croix, mon calice d’amertume et toutes mes souffrances. » Un jour que Jésus-Christ était suivi d’une multitude de peuple, voulant bien lui montrer en quoi consistait le bonheur de l’homme, il s’assit et dit : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’un jour ils seront consolés ; bienheureux les pauvres, bienheureux ceux qui sont méprisés et persécutés, parce que le royaume des cieux leur appartient. En vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous gémirez, pendant que les gens du monde se réjouiront ; mais leur joie se changera en tristesse, et votre tristesse se changera en une joie éternelle » Dites-moi, M.F., qui de nous pourra échapper à tant de dangers, à tant d’artifices du monde et du démon ? « Hélas ! s’écrie saint Antoine, quel est celui qui ne tombera pas dans les pièges que Satan et le monde tendent continuellement ? »
Mais quel bonheur pour nous, d’avoir pour Patron un si grand saint , dont toute l’occupation est de veiller sur nous, d’éloigner de nous les dangers dans lesquels nous pourrions tomber ; un Patron, dis-je, qui est chargé non seulement de cette paroisse, mais encore de tout le monde chrétien ! Il est si puissant maintenant dans le ciel ! Dieu, qui l’aime infiniment, lui accordera tout ce qu’il demandera. Il a versé son sang pour son Dieu ; il n’est monté sur le premier trône du monde chrétien que dans l’espérance d’y donner sa vie pour son Dieu ; s’il est riche, c’est parce qu’il a été pauvre des biens de ce monde ; s’il est si élevé en dignité, c’est parce qu’il s’est méprisé lui-même ; aussi est-il maintenant élevé sur le premier trône de la cour céleste, attendant le bonheur de nous voir tous auprès de lui dans le ciel. Il nous dit, à tous, pour nous encourager : « Faites ce que j’ai fait, vivez comme j’ai vécu, méprisez le monde comme je l’ai méprisé moi-même. » Ne vous semble-t-il pas que toute l’année, notre saint Patron n’a cessé de ramasser des trésors de grâces célestes, pour avoir le plaisir de nous enrichir, au jour consacré à honorer le triomphe de son martyre et de toutes ses pénitences ? Ne sentez-vous pas en vous-mêmes une voix intérieure qui vous dit que tout vous sera accordé ? Ah ! bonheur ! ah ! grâce précieuse et jour de bénédiction ! Que de biens, de faveurs et de forces nous sont accordés en ce jour !
Notre Patron veille non seulement à notre salut, en nous procurant tous les moyens nécessaires pour nous sauver ; mais encore, il veille sur nos biens et notre santé. Le démon, notre ennemi, est tellement furieux de nous voir gagner le ciel qu’il a perdu, qu’il fait tout son possible pour nous rendre malheureux, même dès ce monde. Souvent Dieu, en punition de nos péchés, lui donne le pouvoir de provoquer la grêle, les tempêtes, les pluies torrentielles, les sécheresses ; tout cela, afin de nous faire périr de misère. Plusieurs maladies que nous éprouvons ne viennent, pour la plupart, que du démon, et si nous n’avions pas notre saint Patron qui s’oppose à la justice de Dieu, nous serions réduits à la dernière misère, par des fléaux qui détruiraient nos récoltes, et des maladies qui nous affligeraient continuellement. Voyez ce que le démon fit au saint homme Job, par ce petit pouvoir qu’il avait reçu de Dieu. Satan fit tomber sur ses troupeaux le feu du ciel qui les brûla tous ; il souleva des voleurs qui lui enlevèrent toutes ses autres bêtes ; il excita une tempête si furieuse, qu’elle renversa sa maison et écrasa tous ses enfants ; il le frappa lui-même d’un ulcère, qui le tenait depuis la tête jusqu’aux pieds ; son corps pourrissait, sa chair tombait par morceaux, il répandait une telle puanteur, que personne n’osait l’approcher ; les vers le mangeaient tout vivant ; il fut contraint d’aller se mettre sur un fumier, là il ôtait avec des têtes de pots cassés les vers qui le mangeaient: tout cela ne lui arriva que par la permission de Dieu, et cependant c’était un grand saint, puisque Dieu lui-même dit au démon, que Job était alors sans égal sur la terre . Hélas ! que de fois, sans notre saint Patron, Dieu nous aurait punis, soit dans nos biens en faisant périr nos récoltes, soit en nous accablant de- maladies ou d’infirmités ?
Et que fait donc notre saint Patron lorsqu’il voit que Dieu va nous punir ? Il court se jeter à ses pieds, lui rappelle les tourments qu’il a endurés, et le sang qu’il a répandu pour son amour. Il lui demande grâce pour nous, afin que nous nous convertissions et que nous changions de vie. Après cela, il nous inspire de bonnes pensées, avec le désir de sortir du péché et de nous convertir. Mais dans quelle inquiétude n’est-il pas lorsqu’il voit que, malgré tout, nous continuons à pécher ? Saint Bernard a bien raison de dire, que le saint Patron est le médiateur entre Jésus-Christ et les fidèles : « Nous sommes trop criminels, dit ce grand saint, pour pouvoir nous adresser directement à Dieu ; nous avons besoin d’avoir recours à un autre médiateur que Jésus-Christ pour demander notre grâce. » « J’ai cherché parmi eux, dit le Seigneur par le prophète Ézéchiel, un homme qui mette une haie et qui s’oppose à moi, de crainte que je ne perde cette terre » Cette terre c’est la paroisse, qui, souvent, a mérité d’être détruite à cause des péchés qui s’y commettent. Mais Dieu s’est choisi dans notre saint Patron, un homme selon son cur, pour s’opposer à sa colère, comme fit autrefois Moïse. Dieu, irrité contre son peuple à cause de ses péchés, voulait le détruire ; mais Moïse pria le Seigneur d’avoir compassion de son peuple, préférant être puni à sa place. « Moïse, dit le Seigneur, ne prie pas, parce que je ne veux pas le pardonner. » «Seigneur, lui dit Moise, de grâce, pardonnez ce peuple ! » « Eh bien ! je le pardonne, lui dit le Seigneur . » Oh ! combien de fois notre saint Patron ne nous a-t-il pas obtenu la même grâce !
Saint Cyprien dit que les saints patrons des églises ont grand soin du salut de notre âme. Hélas ! que de personnes, dans une paroisse, sont adonnées les unes à la colère, les autres à la gourmandise, d’autres à l’impureté ou à l’ivrognerie ; Dieu a résolu de les perdre en les abîmant dans les enfers. Que fait notre saint Patron, en voyant tant de maux prêts à nous accabler ? II fait comme ce jardinier dont il est parlé dans l’Évangile . Son maître ne trouvant point de fruit sur un certain arbre pendant plusieurs années, dit au jardinier : « Coupez cet arbre et mettez-le au feu, puisqu’il ne porte pas de fruit et qu’il occupe la place d’un autre. » Le jardinier se jette aux pieds de son maître : « Seigneur, laissez-le encore un an ! Je le fumerai ! je travaillerai la terre, j’y mettrai mes soins, peut-être portera-t-il du fruit ; si une autre année il ne porte rien, je le couperai et le jetterai au feu. » Hélas ! depuis combien d’années Dieu attend-il que vous portiez du bon fruit, et il n’en voit en vous que du mauvais ? Combien de fois avait-il résolu de vous jeter dans le feu, si votre saint Patron n’avait pas, comme le jardinier, demandé grâce pour vous, toujours dans l’espérance que vous vous convertiriez ?
Notre saint Patron, M.F., ne se contente pas de nous secourir pendant notre vie, il redouble encore ses soins à l’heure de la mort, afin de nous défendre contre le démon, qui fait ses derniers efforts pour nous perdre. Nous lisons dans l’histoire du Canada, qu’une bonne religieuse vit le saint Patron de sa paroisse venir, avec plusieurs saints et même la sainte Vierge, au secours d’un mourant ; ils prièrent tant le bon Dieu pour lui, qu’il lui obtinrent sa grâce. Disons mieux : notre saint Patron regarde tous les habitants de la paroisse comme un père regarde ses enfants, les aimant tous d’un amour sans égal ; il n’a point de repos qu’il ne nous ait tous conduits dans le ciel avec lui. Si nous allons en purgatoire, il priera pour nous, il viendra nous visiter pour nous consoler, et nous faire espérer qu’un jour nous jouirons du bonheur des saints. Il inspirera à nos parents, à nos amis la, pensée de prier pour nous, de faire dire des messes. Vous conviendrez avec moi, M.F., que nous sommes bien heureux d’avoir un tel protecteur, pour solliciter la miséricorde de Dieu en notre faveur ; car, sans lui, depuis bien longtemps Dieu nous aurait accablés de maux en punition de nos péchés.
II. Vous venez de voir l’empressement et le désir qu’a notre saint Patron de nous rendre heureux, soit en écartant de nous les tempêtes, soit en faisant tout ce qui dépend de lui pour nous faire recouvrer l’amitié de Dieu, lorsque nous avons eu le malheur de la perdre, ou pour la conserver en nous, lorsque nous avons le bonheur de l’avoir. Mais quelles sont, M.F., nos obligations envers notre bienfaiteur ? Les voici. Nous devons passer saintement le jour de sa fête, et la célébrer comme celle de Pâques ou de Noël ; nous occupant à prier le bon Dieu et à faire de bonnes uvres ; nous mériterons ainsi les grâces qui nous sont promises dans ce grand jour de triomphe. Ne manquons pas ce jour-là de nous confesser et de communier. Il faut nous entretenir sur les vertus que le saint a pratiquées, et tâcher de les imiter. Comme notre Patron est un saint martyr, nous devons imiter sa patience dans les souffrances. Il a souffert la mort avec tant de courage et de joie, qu’il semblait porter envie à saint Laurent, car Dieu lui avait fait connaître que le martyre de ce saint serait plus rigoureux. Lorsqu’il nous arrive quelques peines, rappelons-nous les souffrances du saint Patron que nous avons pris pour modèle, et prions-le de nous obtenir la grâce de faire un bon usage de nos épreuves ; remercions-le encore des grâces qu’il nous obtient pendant l’année, grâces que nous ne connaîtrons bien qu’après notre mort ; prions de ne pas regarder notre ingratitude, mais de nous recevoir sous sa sainte protection. Que surtout les pères et mères lui demandent avec instance de recevoir sous sa protection leurs enfants, leurs domestiques et tous leurs biens ; afin que Dieu les bénisse, et que le démon n’ait point d’empire sur eux. Prions-le enfin de nous assister à l’heure de la mort, car il est certain qu’à ce moment où il faudra rendre compte de toute notre vie, nous serons saisis de crainte. Demandons-lui alors ce grand amour qui nous donnera la force de mourir pour Dieu, comme i1 l’a fait lui-même.
Aux premiers temps de l’Église, les fidèles d’une même contrée venaient en foule le jour de la fête d’un saint, pour avoir le bonheur de participer aux grâces que Dieu accordait en ce jour. L’on commençait l’office la veille ; le soir et la nuit, on priait sur le tombeau du saint, on entendait la parole de Dieu, on chantait des hymnes et des cantiques en son honneur. Après avoir passé la nuit si pieusement, on entendait la messe, où tous les assistants avaient le bonheur de communier ; ensuite chacun se retirait en louant Dieu des victoires qu’il avait fait remporter au saint, et le remerciaient des grâces qu’il avait accordées par son intercession. D’après cela, M.F., qui pourrait douter que Dieu ne répandit ses grâces avec abondance sur cette réunion de fidèles, et que les saints eux-mêmes ne fussent heureux de les protéger ? Voilà la manière dont autrefois se célébraient les fêtes des saints patrons.
Que pensez-vous de cela ? Est-ce bien ainsi que nous les célébrons maintenant ? Hélas ! si les premiers chrétiens reparaissaient sur la terre, pourraient-ils nous reconnaître pour leurs imitateurs ? Ne nous diraient–ils pas que nos fêtes ne diffèrent en rien de celles des païens ? N’est-ce pas ordinairement en ces saints jours, que Dieu est le plus offensé ? Ne semblons-nous pas réunir nos biens et nos forces pour multiplier le péché presque à l’infini ? De quoi nous occupons-nous la veille et même plusieurs jours d’avance ? N’est-ce pas à faire des dépenses folles et superflues ? Et pendant ce temps–là, des pauvres meurent de faim, et nos péchés appellent sur nous la colère de Dieu, à ce point que l’éternité ne suffira pas à y satisfaire. Vous devriez passer la nuit à gémir, en considérant combien peu vous avez imité votre saint Patron ; et cependant vous consacrez ce temps-là à préparer tout ce qui pourra flatter votre gourmandise. Ne dirait-on pas que ce jour est un jour de débauche ? Les parents et les amis viennent-ils, comme autrefois, pour avoir le bonheur de participer aux grâces que Dieu nous accorde par l’intercession du saint Patron ? Ils viennent, mais pour passer ce jour presque tout entier à table. Autrefois, les saints offices étaient bien plus longs qu’aujourd’hui, et pourtant ils semblaient toujours trop courts ; maintenant l’on voit même des pères de famille qui, pendant les offices, sont à table à se remplir le corps de viandes et de vin. Les premiers chrétiens s’invitaient mutuellement, afin de multiplier leurs bonnes uvres et leurs prières ; aujourd’hui, ne semble-t-il pas qu’on s’invite pour multiplier les péchés par les orgies, les excès qui se font dans le boire et le manger ? Pense-t-on bien que Dieu demandera compte même d’un centime dépensé mal à propos ! Ne semble-t-il pas que nous ne faisons la fête que pour outrager notre saint Patron, et multiplier notre ingratitude ?
Regardons de plus près, M.F., et nous reconnaîtrons que nous sommes loin d’imiter celui que Dieu nous a donné pour modèle. Il a passé sa vie dans la pénitence et les larmes, il est mort dans les tourments ; or, je suis sûr qu’il y a des paroisses où il se commet plus de péchés ces jours-là que dans toute l’année. Le Seigneur disait aux Juifs, que leurs fêtes lui étaient en abomination , et qu’il prendrait l’ordure de leurs fêtes pour la leur jeter au visage. Il veut nous faire ainsi comprendre combien il est offensé en ces jours qui devraient se passer dans les larmes et la prière. Nous lisons dans l’Évangile, que Jésus-Christ est venu sur la terre pour allumer dans les âmes le feu de l’amour divin ; mais nous pouvons croire que le démon roule aussi sur la terre, pour allumer le feu impur dans le cur des chrétiens ; et ce qu’il provoque avec le plus de fureur, ce sont les bals et les danses. J’ai longtemps balancé, si je vous parlerais d’une matière si difficile à faire comprendre, et si peu méditée par les chrétiens de nos jours, aveuglés par leurs passions. Si la foi n’était pas éteinte dans vos curs, d’un seul coup dil, vous comprendriez la grandeur de l’abîme où vous vous précipitez, en vous abandonnant avec tant de fureur à ces malheureux plaisirs. Mais vous me direz : Vouloir nous parler de la danse et du mal que l’on y fait, c’est perdre son temps ; nous n’en ferons ni plus, ni moins. Je le crois, vraiment, puisque Tertullien assure que plusieurs refusaient de se faire chrétiens, plutôt que de se priver de tels plaisirs.
J’entends encore quelqu’un me dire : Quel mal peut-il y avoir à se récréer un moment ? Je ne fais tort à personne, je ne veux pas être religieuse ou religieux. Si je ne fréquente pas les danses, je resterai dans le monde comme une personne morte ? Mon ami, vous vous trompez : ou vous serez religieux, ou vous serez damné. Qu’est-ce qu’une personne religieuse ? Ce n’est pas autre chose qu’une personne qui remplit ses devoirs de chrétien. Vous dites que je ne gagnerai rien en vous parlant de la danse, et que vous n’en ferez ni plus ni moins. Vous vous trompez encore. En méprisant les instructions de votre pasteur, vous vous attirerez un nouveau châtiment de Dieu, et moi, en remplissant mon devoir j’y gagnerai beaucoup. Dieu ne me demandera pas à l’heure de la mort, si vous avez rempli vos devoirs ; mais si je vous ai enseigné ce que vous deviez faire pour les bien remplir. Vous dites encore que je ne viendrai jamais à bout de vous faire croire qu’il y a du mal à se récréer un moment en dansant ? Vous ne voulez pas croire qu’il y ait du mal ? c’est votre affaire ; pour moi, il me suffit de vous le dire de manière à vous le faire comprendre, si toutefois vous le voulez. En agissant ainsi, je fais tout ce que je dois faire. Il ne faut pas que cela vous irrite : votre pasteur fait son devoir. Mais, me direz-vous, les commandements de Dieu ne défendent pas la danse, l’Écriture sainte non plus ? Peut-être ne l’avez-vous pas bien examiné. Suivez-moi un instant, et vous allez voir qu’il n’est pas un commandement de Dieu que la danse ne fasse transgresser, ni un sacrement quelle ne fasse profaner.
Vous savez aussi bien que moi que ces sortes de folies et d’extravagances ne se font ordinairement que les dimanches et les fêtes. Que fera donc en pareil jour une fille ou un garçon qui ont résolu d’aller danser ? Quel amour auront-ils pour Dieu ? leur esprit ne sera-t-il pas tout occupé de leurs parures, afin de plaire aux personnes avec lesquelles ils espèrent se trouver ? Supposez qu’ils fassent leur prière, comment la feront-ils ? Hélas ! Dieu seul le sait !… D’ailleurs quel amour de Dieu peut avoir une personne qui ne respire que l’amour des plaisirs et des créatures ? Vous conviendrez avec moi qu’il est impossible de plaire à Dieu et au monde ; non, jamais cela ne sera. Dieu nous défend le jurement. Hélas ! que de querelles, de jurements et de blasphèmes, causés par la jalousie que font naître les jeunes personnes, quand elles sont dans de telles assemblées ? N’y avez-vous pas souvent des disputes ou des batailles ? Qui pourrait compter tous les crimes qui se commettent dans ces réunions infernales ? Le troisième commandement nous commande de sanctifier le saint jour du Dimanche. Peut-on croire qu’un garçon qui aura passé plusieurs heures avec une fille dont le cur est semblable à une fournaise, satisfera ainsi au précepte ? Saint Augustin a bien raison de dire que les hommes feraient bien mieux de labourer leur terre, et les filles de filer leur quenouille, que d’aller danser ; le mal serait moindre. Le quatrième commandement de Dieu ordonne aux enfants de respecter leurs parents. Ces jeunes gens qui fréquentent les danses, ont-ils le respect et la soumission qu’ils doivent à leurs parents ? Non sans doute: ils les font mourir de chagrin, soit en les méprisant, soit en dépensant leur argent mal à propos, soit même en leur reprochant leur conduite passée. Quel chagrin ne doivent pas concevoir ces parents, si leur foi n’est pas encore éteinte, en voyant leurs enfants livrés à de tels plaisirs, ou, pour parler plus clairement, à ces libertinages ? Ces enfants ne sont plus pour le ciel, mais des victimes engraissées pour l’enfer. Supposez que les parents n’aient pas encore perdu la foi,
hélas ! je n’ose aller plus loin ! que de parents aveugles !… que d’enfants réprouvés !…
Y a-t-il un lieu, un temps, une occasion, où il se commette tant de péchés d’impureté que dans les danses et à la suite des danses ? N’est-ce pas dans ces assemblées que l’on est le plus violemment porté au péché contraire à la sainte vertu de chasteté ? N’est-ce pas là que tous les sens sont portés à la volupté ? Pourrait-on examiner cela un peu de près, et ne pas mourir d’horreur à la vue de tant de crimes qui se commettent ? N’est-ce pas dans ces assemblées, que le démon allume avec fureur le feu impur dans le cur des jeunes gens, pour anéantir en eux la grâce du baptême ? N’est-ce pas là que l’enfer se fait des esclaves autant qu’il en veut ? Si, malgré l’éloignement des occasions, et les secours de la prière, un chrétien a encore tant de peine pour garder la pureté du cur ; comment pourrait-il conserver cette vertu, au milieu de tant d’objets capables de la faire succomber. « Voyez, nous dit saint Jean Chrysostome, voyez cette fille mondaine et volage, ou plutôt ce tison infernal, qui, par sa beauté et ses vaines parures, allume dans le cur de ce jeune homme le feu impur de la concupiscence. Ne les voyez-vous pas, aussi bien l’un que l’autre, chercher à se charmer par leurs airs, leurs gestes et leurs autres manières ? Comptez, malheureux, si vous le pouvez, le nombre de vos mauvaises pensées, de vos mauvais désirs et de vos mauvaises actions. N’est-ce pas là où vous entendez ces airs qui flattent les oreilles, enflamment et brûlent les curs, et font de ces assemblées des fournaises d’impudicité ? » N’est-ce pas là, M.F., que les garçons et les filles s’abreuvent à la source du crime, qui va bientôt, comme un torrent ou une rivière débordée, inonder, perdre et empoisonner tous les environs ?… Allez, pères et mères réprouvés, allez dans les enfers où la fureur de Dieu vous attend, vous et les belles actions que vous avez faites, en laissant courir vos enfants. Allez, ils ne tarderont pas à vous y rejoindre, puisque vous leur avez si bien tracé le chemin ! Allez compter le nombre d’années que vos garçons et vos filles ont perdues, allez devant votre juge rendre compte de votre vie, et vous verrez si votre pasteur avait raison de défendre ces sortes de joies infernales !…
Ah ! me direz-vous, vous en dites plus qu’il y en a ! J’en dis trop ! Eh bien ! écoutez les saints Pères en disent-ils trop ? Saint Ephrem nous dit que la danse est la perdition des filles et des femmes, l’aveuglement des hommes, la tristesse des anges et la joie des démons. Mais, mon Dieu, peut-on bien avoir les yeux fascinés jusqu’à ce point, que de vouloir croire qu’il n’y a point de mal ; tandis que c’est la corde, par laquelle le démon traîne le plus d’âmes en enfer ?… Allez, pauvres parents, aveugles et réprouvés, allez mépriser ce que vous dira votre pasteur ! Allez ! continuez votre route ! écoutez tout, et ne profitez de rien ! Il n’y a point de mal ? Mais dites-moi, à quoi avez-vous donc renoncé le jour de votre baptême ? ou plutôt, à quelles conditions vous l’a-t-on donné ? N’est-ce pas en vous faisant prêter serment à la face du ciel et de la terre, en présence de Jésus-Christ sur l’autel, que vous renonciez pour toute votre vie, à Satan, à ses pompes et à ses oeuvres, c’est-à-dire, au péché, aux plaisirs et à toutes les vanités du monde ? N’est-ce pas en vous faisant promettre que vous vouliez marcher à la suite d’un Dieu crucifié ! Dites–moi, n’est-ce pas véritablement violer les promesses de votre baptême, et profaner ce sacrement de miséricorde ? Ne profanez-vous pas aussi celui de la Confirmation, en changeant la croix de Jésus-Christ que vous y avez reçue, contre de vains ajustements ; en rougissant de cette croix qui devrait être votre gloire et votre bonheur ? Saint Augustin assure, que ceux qui vont aux danses, renoncent véritablement à Jésus-Christ pour se donner au démon. Quelle horreur ! chasser Jésus-Christ après l’avoir reçu clans votre cur ! « Aujourd’hui, nous dit saint Ephrem, ils s’unissent à Jésus-Christ et demain au démon. » Hélas ! que de Judas, après l’avoir reçu, vont le vendre à Satan, dans ces assemblées où se réunit tout ce quil y a de plus vicieux ! Quant au sacrement de Pénitence, quelle vie contradictoire ! Un chrétien qui, après un seul péché, ne devrait plus que pleurer toute sa vie, ne pense qu’à se livrer à toutes ces joies mondaines ! Plusieurs ne profanent-ils pas le sacrement de l’Extrême-onction, en faisant des mouvements indécents des pieds, des mains et de tout le corps, qui doit être sanctifié par les huiles saintes ? N’outrage-t-on pas le sacrement de l’Ordre, par le mépris que l’on fait des instructions de son pasteur ? Mais pour le sacrement du Mariage, hélas ! que d’infidélités ne médite-t-on pas dans ces assemblées ? il semble qu’alors tout soit permis. Qu’il faut être aveugle pour croire qu’il n’y a point de mal !…
Le concile d’Aix-la-Chapelle défend la danse, même aux noces ; et saint Charles Borromée, archevêque de Milan, dit que l’on donnait trois ans de pénitence à une personne qui avait dansé, et si elle y retournait, on la menaçait d’excommunication. S’il n’y a point de mal, alors les saints Pères et l’Église se sont trompés ? Mais qui vous dit qu’il n’y a point de mal ! Ce ne peut être qu’un libertin, une fille volage et mondaine, qui tâchent d’étouffer autant qu’ils peuvent les remords de leur conscience. Il y a, dites-vous, des prêtres qui n’en parlent pas en confession, ou qui, sans le permettre, ne refusent pas l’absolution. Ah ! je ne sais pas s’il y a des prêtres si aveugles, mais je crois que ceux qui vont chercher des prêtres faciles, vont chercher un passeport qui les conduit en enfer. Pour moi, si j’allais à la danse, je ne voudrais pas recevoir l’absolution, n’ayant pas un véritable désir de n’y plus retourner. Ecoutez saint Augustin, et vous verrez si la danse est une si bonne action. Il nous dit que « la danse est la ruine des âmes, un renversement de toute honnêteté, un spectacle honteux, une profession publique du crime. » Saint Ephrem l’appelle « la perte des bonnes murs et l’aliment du vice. » Saint Jean Chrysostome: « une école publique d’incontinence. » Tertullien : « le temple de Vénus, le consistoire de l’impudicité et la citadelle de toutes les turpitudes. » « Voilà une fille qui danse, dit saint Ambroise, mais c’est la fille d’une adultère ; parce qu’une femme chrétienne apprendrait à sa fille la modestie, la pudeur, et non la danse ! » Hélas ! que de jeunes gens, depuis qu’ils vont aux danses, ne fréquentent plus les sacrements, ou ne font que les profaner ! Que de pauvres personnes y ont perdu la pitié et la foi ! Que de gens n’ouvriront les yeux sur leur malheur que pour tomber en enfer !
Dites-moi, M.F., est-ce la vie qu’a menée le saint Patron que nous avons pris pour modèle et pour protecteur ? lui qui n’a vécu que dans les larmes et la pénitence ; qui fait consister tout son bonheur à gémir et à donner sa vie pour plaire à Dieu ? Trouverons-nous quelque chose qui puisse nous rassurer, lorsque Dieu le présentera au jugement, pour voir si notre vie a été conforme à la sienne ? Non, M.F., notre saint Patron n’a point fréquenté les plaisirs mondains, notre saint Patron ne s’est point adonné à la gourmandise, ni au vin, mais à la pénitence. « Allez, nous dira-t-il, lorsque nous lui demanderons sa protection, allez au tribunal de Dieu ; allez, misérables, vous n’avez vécu que pour être vus des hommes, dans vos fêtes toutes païennes ; voilà les grâces que je vous ai obtenues de Dieu et que vous avez méprisées, allez, maintenant, chercher du secours vers celui à qui vous avez si bien obéi ! Vous m’avez méprisé, je vous méprise à mon tour !… Allez, Dieu me commande de vous abandonner, vous n’êtes plus mes enfants, mais ceux du démon. » Oh ! M.F., peut-on bien penser à cela, et ne pas changer de vie ? N’imiterons-nous pas notre Patron, afin qu’il puisse nous reconnaître pour ses enfants ? Or, reconnaîtra-t-il ses enfants, lorsqu’il confrontera ses pénitences avec notre mollesse, ses larmes avec nos plaisirs et nos joies mondaines, sa crainte d’offenser Dieu avec cette fureur à courir au mal ? N’oublions jamais que si saint Sixte est notre protecteur, il est aussi notre modèle, et que notre vie sera un jour confrontée avec la sienne.
Finissons, M.F., en reconnaissant que nos fêtes, loin d’être chrétiennes, ressemblent plutôt à celles des païens, qui les faisaient consister à honorer leurs dieux par les plaisirs, l’ivrognerie et la gourmandise. Laissons les plaisirs du monde et la gourmandise, ce sont deux chaînes par lesquelles le démon en conduit un grand nombre en enfer. Il est rapporté dans la vie, de sainte Madeleine de Pazzi que Dieu lui fit voir un grand nombre de religieux qui brûlaient dans un étang de feu, en lui disant qu’ils avaient mérité ce malheur pour avoir abusé des récréations que la règle leur accordait. « O âmes, s’écriait-elle en pleurant amèrement, vous qui êtes encore sur la terre, tremblez sur le temps que vous n’employez pas uniquement pour le bon Dieu ! » Le démon disait à saint Dominique qu’il gagnait. beaucoup dans le lieu où ses religieux prenaient la récréation, et cependant ces religieux étaient très austères . Hélas ! si quelques moments perdus sont si sévèrement punis, que pouvons-nous dire de ces danses et de ces débauches, où il se commet tant de crimes, et où tant d’âmes sont livrées au démon ? Que devons-nous donc faire en ce saint jour ? Redoubler nos bonnes uvres, nos prières et nos pénitences. Laissez dire à ces pauvres aveugles qu’il n’y a point de mal. Écoutez la voix de votre pasteur, il connaît mieux les dangers que vous ; il a à cur de vous conduire au ciel, et vous regretteriez toute l’éternité de ne l’avoir pas écouté. O notre saint Patron, aidez-nous à mépriser le monde et ses plaisirs, à faire comme vous pénitence, afin que nous ayons le bonheur d’aller vous voir un jour dans le paradis. Ainsi soit-il.