la medisance

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 11ème dimanche après la Pentecôte

la Médisance

 

Solutum est vinculum linguae ejus, et loquebatur recte.

Sa langue se délia, et il parla très bien

(S. Marc, VII, 35.)

Qu’il serait à désirer, M.F., que l’on pût dire de chacun de nous ce que l’Évangile dit de ce muet que Jésus guérit, qu’il parlait très bien. Hélas ! M.F., ne pourrai–on pas, au contraire, nous reprocher que nous parlons presque toujours mal, surtout lorsque nous parlons de notre prochain. Quelle est, en effet, la conduite de la plupart des chrétiens de nos jours ? La voici. Critiquer, censurer, noircir et condamner ce que fait et dit le prochain : voilà de tous les vices le plus commun, le plus universellement répandu, et, peut-être, le plus mauvais de tous. Vice que l’on ne pourra jamais assez détester, vice qui a les suites les plus funestes, qui porte partout le trouble et la désolation. Ah ! plut à Dieu, de me donner un de ces charbons dont l’ange se servit pour purifier les lèvres du prophète Isaïe , afin d’en purifier la langue de tous les hommes ! Oh ! que de maux l’on bannirait de dessus la terre, si l’on pouvait en chasser la médisance ! Puissé-je, M.F., vous en donner tant d’horreur, que vous ayez le bonheur de vous en corriger pour toujours !

Quel est mon dessein, M.F. ? le voici. – C’est de vous faire connaître : 1° ce que c’est que la médisance ; 2° quelles en sont les causes et les suites ; 3° la nécessité et la difficulté de la réparer.

I. – Je ne veux pas entreprendre de vous montrer la grandeur, la noirceur de ce crime qui fait tant de mal ; c’est-à-dire, qui est la cause de tant de disputes, de haines, de meurtres et d’inimitiés qui durent souvent autant que la vie des personnes, vu qu’il n’épargne pas plus les bons que les mauvais ; il me suffit de vous dire que ce crime est un de ceux qui traînent le plus d’âmes en enfer. Je crois qu’il vous est plus nécessaire de vous faire connaître en combien de manières nous pouvons nous en rendre coupables ; afin que, connaissant le mal que vous faites, vous puissiez vous en corriger, et éviter les tourments qui lui sont préparés dans l’autre vie. Si vous me demandez : Qu’est-ce qu’une médisance ? je vous dirai : c’est faire connaître un défaut ou une faute du prochain d’une manière capable de nuire, plus ou moins, à sa réputation, et cela se fait en plusieurs manières.

1° On médit lorsqu’on impute au prochain un mal qu’il n’a pas fait ou un défaut qu’il n’a pas, c’est ce qui s’appelle calomnie ; crime infiniment affreux, qui, cependant, est très commun. Ne vous y trompez pas, M.F., de la médisance à la calomnie, il n’y a qu’un petit pas. Si nous examinons bien les choses, nous voyons que presque toujours, on ajoute ou augmente au mal qu’on dit du prochain. Une chose qui passe par plusieurs bouches n’est plus la même, celui qui l’a dite le premier ne la reconnaît plus, tant on change ou ajoute  ; de là, je conclus qu’un médisant est presque toujours un calomniateur, et tout calomniateur est un infâme. Il y a un saint Père qui nous dit que l’on devrait chasser les médisants de la société des hommes comme des bêtes féroces.

2° L’on médit quand on augmente le mal que le prochain a fait. Vous avez vu quelqu’un qui a fait quelque faute ; que faites-vous ? au lieu de la couvrir du manteau de la charité, ou, du moins, de la diminuer, vous la grossissez. Vous verrez un domestique qui se reposera un instant, un ouvrier, de même ; si quelqu’un vous en parle, vous direz, sans autre examen, qu’il est un fainéant, qu’il vole l’argent de son maître. Vous verrez passer une personne dans une vigne ou un verger, elle prendra quelques raisins et quelques fruits, ce qu’elle ne devrait pas faire, il est vrai ; vous allez raconter à tous ceux que vous verrez qu’un tel est un voleur, qu’il faut prendre garde, quand même il n’a jamais rien volé ; ainsi du reste… C’est ce qu’on appelle médire par exagération. Écoutez saint François de Sales : « Ne dites pas, nous dit cet admirable saint, qu’un tel est un ivrogne et un voleur, pour l’avoir vu voler ou s’enivrer une fois. Noé et Loth s’enivrèrent une fois  ; cependant, ni l’un ni l’autre n’étaient ivrognes. Saint Pierre ne fut pas un blasphémateur pour avoir blasphémé dans une occasion . Une personne n’est pas vicieuse pour être tombée une fois dans le vice, et quand même elle tomberait plusieurs fois, l’on court toujours risque de médire dans une accusation. C’est ce qui arriva à Simon le lépreux, lorsqu’il vit Madeleine aux pieds du Sauveur, qu’elle arrosait de ses larmes : « Si cet homme, disait-il, était un prophète comme on le dit, est-ce qu’il ne connaîtrait pas que c’est une pécheresse qui est à ses pieds  ? » Il se trompait grossièrement : Madeleine n’était plus une pécheresse, mais une sainte pénitente, parce que ses péchés lui étaient tous pardonnés. Voyez encore cet orgueilleux pharisien, qui, se tenant au haut du temple, faisait l’étalage de toutes ses prétendues bonnes œuvres en remerciant Dieu de n’être pas de ces hommes qui sont adultères, injustes et voleurs, tel qu’est ce publicain. Il disait que ce publicain était un pécheur ; tandis qu’il avait été justifié à l’heure même . Ah ! mes enfants, nous dit cet aimable saint François de Sales, parce que la miséricorde de Dieu est si grande, qu’un seul instant suffit pour qu’il pardonne le plus grand crime du monde, comment pouvons-nous oser dire que celui qui était hier un grand pécheur le soit aujourd’hui ? » Je conclus en disant que, presque toujours, nous nous trompons lorsque nous jugeons mal du prochain, quelque apparence de vérité qu’ait la chose sur laquelle nous portons notre jugement.

3° Je dis que l’on médit quand on fait connaître, sans raison légitime, un défaut caché du prochain, ou une faute qui n’est pas connue. Il y a des personnes qui s’imaginent que quand elles savent quelque mal du prochain, elles peuvent le dire à d’autres et s’en entretenir. Vous vous trompez, mon ami. Qu’avons-nous, dans notre sainte religion, de plus recommandé que la charité ? La raison même nous inspire de ne pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fit à nous-mêmes. Voyez cela un peu de près : serions-nous bien contents si quelqu’un nous avait vus faire une faute, et qu’il allât la publier à tout le monde ? non, sans doute ; au contraire : s’il avait la charité de la tenir cachée, nous lui serions bien reconnaissants. Voyez combien cela vous fâche si l’on dit quelque chose sur votre compte ou sur celui de votre famille : où est donc la justice et la charité ? tant que la faute de votre prochain est cachée, il conservera sa réputation ; mais dès que vous la faites connaître, vous lui enlevez sa réputation, et, en cela, vous lui faites un plus grand tort que si vous lui enleviez une partie de ses biens, puisque l’Esprit Saint nous dit qu’une bonne réputation vaut mieux que les richesses .

4° On médit lorsqu’on interprète en mauvaise part les bonnes actions du prochain. Il y a des personnes qui sont semblables à l’araignée, qui change en poison la meilleure chose. Une pauvre personne, une fois sur la langue des médisants, est semblable à un grain de blé sous la meule du moulin : il est déchiré, écrasé et entièrement détruit. Ces personnes-là vous prêteront des intentions que vous n’avez jamais eues, elles empoisonneront toutes vos actions et vos démarches : si vous avez de la piété, que vous vouliez remplir fidèlement vos devoirs de religion, vous n’êtes plus qu’un hypocrite, un dieu d’église et un démon de maison. Si vous faites des bonnes œuvres, elles penseront que c’est par orgueil, pour vous faire voir. Si vous fuyez le monde, vous serez un être singulier, une personne qui est faible d’esprit ; si vous avez soin de votre bien, vous n’êtes plus qu’un avare ; disons mieux, M.F. : la langue du médisant est comme un ver qui pique les bons fruits, c’est-à-dire, les meilleures actions du monde et tâche de les tourner en mauvaise part. La langue du médisant est une chenille qui salit les plus belles fleurs en y laissant la trace dégoûtante de son écume.

5° Je dis que l’on médit même en ne disant rien, et voici comment : on louera en votre présence une personne que 1’on sait que vous connaissez ; vous n’en dites rien ou vous ne la louez que faiblement : votre silence et votre affectation font penser que vous savez sur son compte quelque chose de mauvais qui vous porte à ne rien dire. D’autres médisent par une manière de compassion. Vous ne savez pas, disent-ils, vous connaissez bien une telle ; avez-vous entendu dire ce qui lui est arrivé ? que c’est donc dommage qu’elle se soit laissé tromper !… n’est-ce pas, vous êtes bien comme moi, vous ne l’auriez pas cru ?… Saint François nous dit qu’une pareille médisance est semblable à un trait envenimé, qu’on trempe dans l’huile, afin qu’il pénètre plus avant. Enfin, un geste, un sourire, un mais, un coup de tête, un petit air de mépris : tout cela fait beaucoup penser de la personne dont on parle.

Mais la médisance la plus noire et la plus funeste dans ses suites, c’est de rapporter à quelqu’un ce qu’un autre a dit de lui ou fait contre lui. Ces rapports produisent les maux les plus affreux, qui font naître des sentiments de haine, de vengeance qui durent souvent jusqu’à la mort. Pour vous montrer combien ces sortes de gens sont coupables, écoutez ce que nous dit l’Esprit–Saint : « Il y a six choses que Dieu hait, mais il déteste la septième, cette septième ce sont les rapports . Voilà à peu près, M.F., en combien de manières l’on peut pécher par la médisance. Sondez votre cœur, et voyez si vous n’êtes, en rien, coupables sur cette matière.

 D’abord, je vous dirai que l’on ne doit pas facilement croire le mal que l’on dit des autres, et, quoiqu’une personne accusée ne se défende pas, l’on ne doit pas croire que ce que l’on dit est bien sûr ; en voici un exemple qui vous montrera que nous pouvons tous nous tromper, et que nous ne devons croire que très difficilement le mal que l’on nous dit des autres. Il est rapporté dans l’histoire, qu’un homme veuf n’ayant qu’une fille unique fort jeune, la recommanda à un de ses parents et alla se faire religieux dans un monastère de solitaires. Sa vertu le fit aimer de tous les religieux. De son côté, il était très content de sa vocation ; mais, quelque temps après, pensant à sa fille, la tendresse qu’il sentit pour cette enfant le remplit de douleur et de tristesse de l’avoir ainsi abandonnée. Le père abbé s’en aperçut, et lui dit un jour : « Qu’avez-vous, mon frère, qui vous afflige tant ? » – « Hélas ! mon père, lui répondit le solitaire, j’ai laissé dans la ville une enfant fort jeune : voilà le sujet de ma peine. » L’abbé ne sachant pas que ce fût une fille, croyant que c’était un fils, lui dit : « Allez le chercher, amenez-le ici, et vous l’élèverez auprès de vous. » De suite, il part, regardant cela comme une voix du ciel, il va trouver sa petite fille qui s’appelait Marine. II lui dit de prendre le nom de Marin, lui défendit de jamais faire connaître qu’elle était une fille, et il l’amena dans son monastère. Son père prit tant de soin de lui montrer la nécessité de la perfection dans une personne qui quittait le monde pour se donner à Dieu, que, dans peu de temps, elle devint un modèle de vertu, même pour les anciens religieux, toute jeune qu’elle était. Son père, avant de mourir, lui recommanda bien de nouveau de ne jamais dire qui elle était. Marine n’avait encore que dix-sept ans lorsque son saint père la laissa ; tous les religieux ne l’appelaient que le frère Marin. Son humilité qui était si profonde et sa vertu si peu commune la firent aimer et respecter de tous les religieux. Mais, le démon, jaloux de la voir marcher avec tant de rapidité dans la vertu, ou plutôt, Dieu, voulant l’éprouver, permit qu’elle fût calomniée de la manière la plus noire. Il lui eût été facile de faire reconnaître son innocence ; mais elle ne le fit pas. Vous allez voir qu’une personne qui aime véritablement Dieu, regarde tout ce que Dieu permet qu’il nous arrive, même la médisance et la calomnie, comme ne nous étant donné que pour notre bien. Les frères avaient coutume d’aller au marché certains jours de la semaine pour aller chercher leurs provisions, le frère les y accompagnait. Le maître de l’hôtellerie avait une fille, qui s’était abandonnée au péché avec un soldat. S’étant aperçu que sa fille était enceinte, il voulut savoir d’elle qui l’avait débauchée ; cette fille, pleine de malice, inventa la plus noire médisance et la plus affreuse calomnie, et dit à son père que c’était le frère Marin qui l’avait séduite, et qu’elle était tombée dans le péché avec lui. Le père, plein de fureur, vient faire ses plaintes à l’abbé, qui fut bien étonné d’un tel fait de la part du frère Marin, qui passait pour un grand saint. Le père abbé fit venir le frère Marin en sa présence, lui demanda ce qu’il avait fait, quelle vie il avait menée, quelle honte pour un religieux ! Le pauvre frère Marin, élevant son cœur à Dieu, pensa à ce qu’il devait répondre, et plutôt que de diffamer cette impudique fille, il se contenta de dire

« Je suis un pécheur qui mérite de faire pénitence. » L’abbé n’examina pas davantage, la croyant coupable du crime dont on l’accusait, la fit châtier sévèrement et la chassa du monastère. Mais, cette pauvre enfant, semblable à Jésus-Christ, reçoit les coups et les affronts sans ouvrir la bouche pour se plaindre, ni pour faire reconnaître son innocence, elle, à qui cela était si facile. Elle resta trois ans à la porte du monastère, étant regardée de tous les religieux comme une infâme ; quand les religieux passaient, elle se prosternait devant eux pour leur demander le secours de leurs prières, un pauvre morceau de pain pour ne pas mourir de faim. La fille de l’hôtellerie étant accouchée, garda pendant quelque temps cet enfant, ; mais dès qu’il fut sevré, elle l’envoya au frère Marin comme s’il en avait été le père. Sans rien faire paraître de son innocence, elle le reçut comme son enfant, le nourrit pendant deux ans, partageant avec cet enfant les petites aumônes qu’on lui faisait. Les religieux, touchés de voir tant d’humilité, allèrent prier l’abbé d’avoir pitié du frère Marin, en lui représentant que, depuis cinq ans, il faisait pénitence à la porte du monastère, qu’il fallait le recevoir et lui pardonner pour l’amour de Jésus-Christ. Le père abbé l’ayant fait venir, lui fit de sanglants reproches : « Votre père était un saint, lui dit l’abbé, il vous fit entrer ici dès votre enfance, et vous avez eu l’effronterie de déshonorer cette maison par le crime le plus détestable ; cependant, je vous permets d’entrer dans cette maison avec cet enfant, dont vous êtes l’indigne père, et je vous condamne, pour l’expiation de votre péché, aux ouvrages les plus vils et les plus bas, et à servir tous les frères. Ce pauvre frère Marin, sans dire un mot de plainte, se soumet à tout, toujours content et toujours bien résolu de ne rien dire pour faire connaître qu’il n’était point coupable. Ce nouveauté travail, qu’à peine un homme robuste aurait pu soutenir, ne le découragea point. Cependant, au bout de quelque temps, accablé par la fatigue du travail et les austérités de ses jeûnes, il succomba, et, peu de temps après il mourut. L’abbé ordonna, par charité, qu’on lui rendît les derniers devoirs comme à un autre religieux ; mais, que pour donner plus d’horreur de ce vice, on l’enterrât loin du monastère, afin qu’on en perdît le souvenir. Mais, Dieu voulut faire connaître son innocence qu’elle avait tenue cachée si longtemps. Ayant reconnu que c’était une fille : « O mon Dieu, s’écrièrent-ils en se frappant la poitrine, comment cette sainte fille a-t-elle pu souffrir avec tant de patience, tant d’opprobres et d’afflictions, sans se plaindre, lui étant si facile de se justifier ? » Ils courent au père abbé, poussant de grands cris et répandant des larmes en abondance : « Venez, mon père, disent-ils, venez voir le frère Marin. » L’abbé, étonné de ces cris et de ces larmes, court vers cette pauvre fille innocente. Il fut saisi d’une si vive douleur, qu’il se mit à genoux, frappant la terre de son front et versant des torrents de larmes. Ils s’écrièrent tous ensemble, lui, et ses religieux éplorés : « O sainte et innocente fille, je vous conjure, par la miséricorde de Jésus-Christ, de me pardonner toutes les peines et les injustes reproches que je vous ai faits ! – Hélas ! s’écriait l’abbé, j’ai été dans l’ignorance, et vous avez eu assez de patience pour tout souffrir, et moi, trop peu de lumières pour reconnaître la sainteté de votre vie. » Ayant fait déposer le corps de cette sainte fille dans la chapelle du monastère, ils portèrent cette nouvelle au père de la fille qui avait accusé le frère Marin. Cette pauvre malheureuse, qui avait faussement accusé sainte Marine, était, depuis son péché, possédée du démon, et vint toute désespérée avouer son crime aux pieds de la sainte, lui en demandant pardon. Elle fut sur-le-champ délivrée par son intercession.

Voyez, M.F., combien la calomnie et la médisance font souffrir de pauvres innocents ! combien y a-t-il, même dans le monde, de pauvres personnes que l’on accuse faussement, et qu’au jugement nous reconnaîtrons innocentes. Cependant, ceux qui sont accusés de cette manière doivent reconnaître que c’est Dieu qui le permet, et que le meilleur moyen pour eux est de laisser entre les mains de Dieu leur innocence et ne point se tourmenter de ce que leur réputation peut en souffrir ; presque tous les saints ont fait cela. Voyez encore saint François de Sales, qui fut accusé devant un rand nombre, d’avoir fait tuer un homme pour vivre avec sa femme. Le saint laissa tout entre les mains de Dieu, ne se finit point en peine de sa réputation. A ceux qui lui conseillaient de la défendre, il répondait qu’il laissait à celui qui avait permis que sa réputation fût flétrie, le soin de la rétablir dès qu’il le trouverait bon. Comme la calomnie est quelque chose de très sensible, Dieu permet que presque tous les saints aient été calomniés. Je crois que le meilleur parti que nous ayons à prendre dans ces choses-là, c’est de ne rien dire, de bien demander au bon Dieu de souffrir tout cela pour l’amour de lui et de prier pour eux. D’ailleurs, Dieu ne permet cela que pour ceux sur lesquels il a de grandes vues de miséricorde. Si une personne est calomniée, c’est que Dieu a résolu de la faire parvenir à une haute perfection. Nous devons plaindre ceux qui noircissent notre réputation et nous réjouir par rapport à nous ; parce que ce sont des biens que nous ramassons pour le ciel. Revenons à notre matière, parce que notre principal but est de faire connaître le mal que le médisant se fait à lui–même.

Je vous dirai que la médisance est un péché mortel, lorsque c’est quelque chose de grave, puisque saint Paul met ce péché au nombre de ceux qui excluent du royaume des cieux . Le Saint-Esprit nous dit que le médisant est maudit de Dieu, qu’il est en abomination à Dieu et aux hommes . Il est vrai que la médisance est plus ou moins grande, selon la qualité, la proximité et la dignité des personnes de qui on parle. C’est, par conséquent, un plus grand péché de faire connaître les défauts et les vices de ses supérieurs, comme de son père et de sa mère, de sa femme, de son mari, de ses frères et sœurs et de ses parents, que ceux des étrangers, parce que l’on doit avoir plus de charité pour eux que pour les autres. Parler mal des personnes consacrées et des ministres de l’Église, c’est encore un plus grand péché, à cause des suites qui sont si funestes pour la religion et à cause de l’outrage que l’on fait à leur caractère. Écoutez, voici ce que le Saint-Esprit nous dit par la bouche de son prophète : « Médire de ses ministres, c’est toucher à la prunelle de son œil  ; » c’est-à-dire, que rien ne peut l’outrager d’une manière si sensible, et par conséquent, crime toujours si grand que jamais vous ne pourrez le comprendre… Jésus-Christ nous dit aussi : « Celui qui vous méprise, me méprise . » Aussi, M.F., quand vous êtes avec des personnes d’une autre paroisse, qui sont toujours après parler mal de leur pasteur, il ne faut jamais y prendre part ; vous retirer, si vous le pouvez, ou bien, si vous ne le pouvez pas, ne rien dire.

D’après cela, M.F., vous conviendrez avec moi que pour faire une bonne confession il ne suffit pas de dire que l’on a médit du prochain ; il faut encore dire si c’est par légèreté, par haine, par vengeance, si nous avons cherché à nuire à sa réputation ; dire de quelles personnes nous avons parlé : si c’est d’un supérieur, d’un égal, d’un père et d’une mère, de nos parents, des personnes consacrées à Dieu ; devant combien de personnes : tout cela est nécessaire pour faire une bonne confession. Beaucoup de personnes se trompent sur ce dernier acte ; l’on s’accusera bien d’avoir médit du prochain, mais on ne dit ni de qui, ni quelle était l’intention en disant du mal de ces personnes, ce qui est cause de bien des confessions sacrilèges. D’autres, si on leur demande si ces médisances ont porté perte au prochain, vous répondront que non. – Mon ami, vous vous trompez ; toutes les fois que vous avez dit une chose qui n’était pas connue de la personne à qui vous parlez, cela porte perte au prochain, parce que vous avez toujours diminué dans l’esprit de cette personne la bonne estime qu’elle pouvait avoir de lui. De là, nous pouvons facilement conclure que presque jamais l’on ne médit sans nuire ou affaiblir, en quelque manière, la réputation du prochain. – Mais, me direz-vous, quand c’est public, il n’y a point de mal. – Mon ami, quand c’est public, c’est comme si une personne avait tout le corps couvert de lèpre, sinon un petit endroit, et que vous disiez, parce que ce corps est presque tout couvert de lèpre, il faut achever de l’en couvrir. C’est la même chose. Si la chose est publique, vous devez au contraire avoir de la compassion de ce pauvre malheureux, cacher, et diminuer sa faute autant que vous pouvez. Voyez s’il est juste, envoyant une personne malade sur le bord d’un précipice, de profiter de sa faiblesse et de ce qu’elle est prête à tomber, pour l’y pousser ? Eh bien ! voilà ce que l’on fait quand on renouvelle ce qui est déjà public. – Mais, me direz-vous, lorsqu’on le dit à un ami, avec promesse de ne le dire à personne ? – Vous vous trompez encore ; comment voulez-vous que les autres ne le disent pas, puisque vous ne pouvez pas vous empêcher de le dire ? C’est comme si vous disiez à quelqu’un : « Tenez, mon ami, je vais vous dire quelque chose, je vous prie d’être plus sage et plus discret que moi ; ayez plus de charité que moi ; ne faites pas, ne dites pas ce que je vous dis. » Je crois que le meilleur moyen, c’est de ne rien dire ; quoi que l’on fasse, que l’on dise, ne vous mêlez de rien, sinon de travailler à gagner le ciel. Jamais l’on n’est fâché de ne rien avoir dit, et presque toujours l’on se repent d’avoir trop parlé. L’Esprit–Saint nous dit que « tel qui parle tant, ne parle pas toujours bien . »

II. – Voyons maintenant quelles sont les causes et les suites de la médisance. Il y a plusieurs motifs qui nous portent à médire du prochain. Les uns médisent par envie, c’est ce qui arrive, surtout parmi les gens du même état, pour s’attirer les pratiques ; ils diront du mal des autres : que leurs marchandises ne valent rien ; ou qu’ils trompent, qu’il n’y a rien chez eux et qu’il leur serait impossible de donner la marchandise à ce prix ; que plusieurs personnes s’en sont plaintes… qu’ils verront bien qu’elle ne leur fera pas bon usage… ou bien : que le poids n’y est pas ni la mesure. Un journalier dira qu’un autre n’est pas bon ouvrier ; que voilà combien de maisons où il va, et qu’on n’en est pas trop content ; il ne travaille pas, il s’amuse ; ou bien : il ne sait pas travailler. « Ce que je vous dis, il n’en faut rien dire, ajoutent-ils, parce que cela lui porterait perte. » « Il faut », lui dites-vous ; il valait bien mieux vous -même ne rien dire, cela aurait été bien plus tôt, fait.

Un habitant verra que le bien de son voisin prospère mieux que le sien : cela le fâche, il en dira du mal. D’autres parlent mal de leurs voisins par vengeance si vous avez dit ou fait quelque chose à quelqu’un, même par devoir ou charité, ils chercheront à vous décrier, à inventer mille choses contre vous, afin de se venger. Si l’on dit du bien, cela les fâche, ils vous diront : « Il est bien comme les autres, il a bien ses défauts ; il a fait cela, il a dit cela ; vous ne le connaissez pas ? c’est que vous n’avez jamais eu à faire avec lui. » Plusieurs médisent par orgueil, ils croient se relever en rabaissant les autres, en disant du mal des autres ; ils feront valoir leurs prétendues bonnes qualités ; tout ce qu’ils diront et feront sera bien, et tout ce que les autres feront ou diront sera mal. Mais, la plupart médisent par légèreté, par une certaine démangeaison de parler, sans examiner si c’est vrai ou non ; il faut qu’ils parlent. Quoique ceux-là soient moins coupables que les autres, c’est-à-dire que ceux qui médisent par haine, par envie ou vengeance, ils ne sont pas sans péché ; quelque motif qui les fasse agir, ils ne flétrissent pas moins la réputation du prochain.

Je crois que le péché de médisance renferme presque tout ce qu’il y a de plus mauvais. Oui, M.F., ce péché renferme le poison de tous les vices, la petitesse de la vanité, le venin de la jalousie, l’aigreur de la colère, le fiel de la haine et la légèreté si indigne d’un chrétien ; c’est ce qui fait dire à saint Jacques, apôtre, « que la langue du médisant est pleine d’un venin mortel, qu’elle est un monde d’iniquité . » Si nous voulons nous donner la peine d’examiner, rien de si clair à concevoir. N’est-ce pas, en effet, la médisance qui sème presque partout la discorde, la division, qui brouille les amis, qui empêche les ennemis de se réconcilier, qui trouble la paix des ménages, qui aigrit le frère contre le frère, le mari contre la femme, la belle-fille contre sa belle–mère, le gendre contre son beau-père. Combien de ménages bien d’accord, qu’une seule mauvaise langue a mis sens dessus dessous, qui ne peuvent ni se voir, ni se parler. Qui en est la cause ? La seule mauvaise langue du voisin ou de la voisine…

Oui, M.F., la langue d’un médisant empoisonne toutes les bonnes actions et met à jour toutes les mauvaises. C’est elle qui, tant de fois, répand sur toute une famille des taches, qui passent des pères aux enfants, d’une génération à une autre, et qui, peut-être, ne s’effaceront jamais ? La langue médisante va même fouiller jusque dans le tombeau des morts, elle remue les cendres de ces pauvres malheureux, en faisant revivre, c’est-à-dire en renouvelant leurs défauts qui étaient ensevelis avec eux dans le tombeau. Quelle noirceur ! M.F., de quelle indignation ne seriez-vous pas pénétrés, si vous voyiez un malheureux acharné contre un cadavre, le déchirer en mille pièces ? Cela vous ferait gémir de compassion. Eh bien ! le crime est encore bien plus grand d’aller renouveler les fautes d’un pauvre mort. Combien de personnes, qui ont cette habitude en parlant de quelqu’un qui sera mort : « Ah ! il en a bien fait en son temps, c’était un ivrogne accompli, un adroit fini, enfin, c’était un mauvais vivant. » Hélas ! mon ami, peut-être que vous vous trompez, et quand cela serait tel que vous le dites, peut-être qu’il est maintenant dans le ciel, le bon Dieu l’a pardonné. Mais où est votre charité ? Ne faites-vous pas attention que vous flétrissez la réputation de ses enfants, s’il en a, ou de ses parents ? seriez-vous content que l’on parlât de la sorte de vos parents ?

 Avec la charité, nous n’aurions rien à dire de personne, c’est-à-dire nous ne nous mettrions en peine d’examiner que notre conduite et non celle des autres. Mais, si vous mettez la charité de côté, vous ne trouverez pas un homme sur la terre en qui vous n’aperceviez quelque défaut ; de sorte que la langue du médisant trouve toujours de quoi dire. Non, M.F., nous ne connaîtrons qu’au grand jour des vengeances, le mal que la langue d’un médisant a fait. Voyez, la seule calomnie qu’Aman fit contre les Juifs, parce que Mardochée n’avait pas voulu plier le genou devant lui, avait déterminé le roi à faire mourir tous les Juifs . Si la calomnie n’avait pas été découverte, la nation juive allait être définie : c’était le dessein du général. O mon Dieu ! que de sang répandu pour une seule calomnie ! Mais Dieu, qui n’abandonne jamais l’innocent, permit que ce malheureux périt par le même supplice dont il voulait faire périr les Juifs .

Mais, sans aller si loin, combien de mal ne fait pas une personne qui dira à son enfant du mal de son père ou de sa mère ou de ses maîtres. Vous lui en avez donné mauvaise opinion, il les regardera avec mépris ; s’il ne craignait pas d’être puni, il les outragerait. Les pères et mères, maîtres ou maîtresses les maudiront, leur jureront après, les traiteront durement ; qui sera la cause de tout cela ? votre mauvaise langue. Vous avez parlé mal des ministres de l’Église, et peut-être même de votre pasteur ; vous avez affaibli la foi en ceux qui vous écoutaient, ils ont abandonné les sacrements, ils vivent sans religion ; et qui en est la cause ? votre mauvaise langue. Vous êtes cause que ce marchand et cet ouvrier n’ont plus les mêmes pratiques, parce que vous les avez décriés. Cette femme, qui faisait bien bon ménage avec son mari, vous l’avez calomniée auprès de lui ; maintenant, il ne peut plus la souffrir, de sorte que, depuis vos rapports, ce n’est plus que haine et malédiction.

III. – Si les suites de la médisance, M.F., sont si terribles, la difficulté de la réparer n’en est pas moins grande. Lorsque la médisance est considérable, M.F., il ne suffit pas de s’en confesser ; je ne veux pas dire qu’il ne faut pas s’en confesser ; non, M.F., si vous ne confessez pas vos médisances, vous serez damnés, malgré toutes les pénitences que vous pourrez faire ; mais je veux dire qu’en les confessant, il faut absolument, si l’on peut, réparer la perte que la calomnie a causée à votre prochain, et comme le voleur qui ne rend pas le bien qu’il a volé ne verra jamais le ciel, de même, celui qui aura ôté la réputation à son prochain ne verra jamais le ciel, s’il ne fait pas tout ce qui dépendra de lui pour réparer la réputation de son voisin.

Mais, me direz-vous, comment faut-il donc faire pour réparer la réputation de son prochain ? – Le voici. Si ce que l’on a dit contre lui est faux, il faut absolument aller trouver toutes les personnes à qui on a parlé mal de cette personne, en disant que tout ce que l’on a dit était faux, que c’était par haine, par vengeance ou par légèreté ; quand même nous devrions nous faire passer pour un menteur, un fourbe, un imposteur, nous devons le faire. Si ce que nous avons dit est vrai, nous ne pouvons pas nous dédire, parce qu’il n’est jamais permis de mentir ; mais l’on doit dire tout le bien que l’on connaît de cette personne, afin d’effacer le mal que l’on en a dit. Si cette médisance, cette calomnie lui ont causé quelque tort, l’on est obligé de le réparer autant qu’on le peut. Jugez d’après cela, M.F., combien il est difficile de réparer les suites de la médisance. Voyez, M.F., combien il est sensible d’aller publier que l’on est un menteur ; cependant, si ce que nous avons dit est faux, il faut le faire, ou jamais de ciel ! Hélas ! M.F., que ce défaut de réparation va damner du monde ! Le monde est rempli de médisants et de calomniateurs, et il n’y en a presque point qui réparent, et, par conséquent, presque point qui seront sauvés. II n’y a pas de milieu, M.F., ou la réparation, si nous le pouvons, ou la damnation. C’est comme le bien que nous aurions pris ; nous serons damnés, si nous pouvons le rendre et que nous ne le rendions pas. Eh bien ! M.F., sentez-vous à présent le mal que vous faites par votre langue et la difficulté qu’il y a de le réparer ?

Il faut cependant comprendre que tout n’est pas médisance, lorsqu’on fait connaître les défauts d’un enfant à ses parents, d’un domestique à son maître, pourvu que ce soit dans la pensée qu’ils s’en corrigeront, qu’on n’en parle qu’à ceux qui peuvent y remédier et toujours guidé par les liens de la charité.

Je finis en disant que, non seulement, il est mal fait de médire et de calomnier, mais encore d’écouter la médisance et la calomnie avec plaisir ; car si personne n’écoutait, il n’y aurait pas de médisants. Par là, on se rend complice de tout le mal que fait le médisant. Saint Bernard nous dit qu’il est très difficile de savoir qui est le plus coupable de celui qui médit ou de celui qui écoute ; l’un a le démon sur la langue et l’autre dans les oreilles. – Mais, me direz-vous, que faut-il faire lorsqu’on se trouve dans une compagnie qui médit ? – Le voici. Si c’est un inférieur, c’est-à-dire, une personne qui soit au-dessous de vous, vous devez lui imposer silence de suite, en lui faisant voir le mal qu’elle fait. Si c’est une personne de votre rang, vous devez adroitement détourner la conversation en parlant d’autre chose, ou ne faisant pas semblant d’entendre ce qu’elle dit. Si c’est un supérieur, c’est-à-dire une personne qui est au-dessus de vous, il ne faut pas la reprendre ; mais faire paraître un air sérieux et triste, qui lui montre qu’il vous fait de la peine, et, si vous pouvez vous en aller, il faut le faire.

Que devons-nous conclure de tout cela, M.F. ? Le voici. C’est de ne pas prendre l’habitude de parler de la conduite des autres, de penser qu’il y aurait bien à dire sur notre compte si l’on nous connaissait tel que nous sommes, et de fuir les compagnies du monde autant que nous pouvons, de dire souvent comme saint Augustin : « Mon Dieu, faites-moi la grâce de me connaître tel que je suis. » Heureux ! mille fois heureux, celui qui ne se servira de sa langue que pour demander à Dieu le pardon de ses péchés et chanter ses louanges ! C’est ce que je …..

 

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