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12ème DIMANCHE APRÈS LA PENTE-CÔTE
Sur le premier Commandement de Dieu
(DEUXIÈME SERMON)
Diliges Dominum Deum tuum.
Vous aimerez le Seigneur votre Dieu.
(S. Luc, X, 27.)
Adorer Dieu, M.F., et l’aimer, c’est la plus belle fonction de l’homme sur la terre ; puisque, par cette adoration, nous nous rendons semblables aux anges et aux saints qui sont dans le ciel. Ô mon Dieu ! quel honneur et quel bonheur pour une vile créature, d’avoir le pouvoir d’adorer et d’aimer un Dieu si grand, si puissant, si aimable et si bienfaisant ! Non, M.F., non, il me semble que Dieu n’aurait pas dû faire ce commandement ; mais seulement nous souffrir prosternés en sa sainte présence. Un Dieu, M.F., nous commander de l’aimer et de l’adorer !… pourquoi cela ; M.F. ? Est-ce que Dieu a besoin de nos adorations et de nos prières ? Dites-moi, M.F., est-ce nous qui plaçons ces rayons de gloire sur sa tête ? Est-ce nous qui augmentons sa grandeur et sa puissance, puisqu’il nous commande de l’aimer sous peine de châtiments éternels ? Ah ! vil néant, créature indigne de ce bonheur, dont les anges même, tout saints et tout purs qu’ils sont, se reconnaissent infiniment indignes, et qui, si Dieu leur permet de se prosterner devant lui, ne le font qu’en tremblant ! Ô mon Dieu ! que l’homme connaît peu son bonheur et son privilège !… Mais non, M.F., ne sortons pas de notre simplicité ordinaire. Ah ! M.F., cette pensée, que nous pouvons aimer et adorer un Dieu si grand, nous semble si au-dessus de nos mérites, qu’elle nous arrache de la voie de la simplicité. Ah ! M.F., pouvoir adorer Dieu, l’aimer et le prier ! Ô mon Dieu, quel bonheur !… qui pourra jamais-le comprendre ?… Non, M.F., toutes nos adorations et toute notre amitié n’ajoutent rien au bonheur et à la gloire de notre Dieu ; mais, comme le bon Dieu ne veut que notre bonheur ici-bas, il sait qu’il ne se trouve que dans l’amour que nous aurons pour lui, et que tous ceux qui le chercheront hors de lui, ne le trouveront jamais. De sorte, M.F., que, quand le bon Dieu nous ordonne de l’aimer et de l’adorer, c’est qu’il veut nous forcer à être heureux. Voyons donc tous ensemble, 1? en quoi consiste cette adoration que nous devons à Dieu et qui nous rend si heureux, et 2? comment nous devons la lui rendre.
I. Si vous me demandez maintenant, M.F., ce que c’est qu’adorer Dieu. Le voici. C’est à la fois croire à Dieu et croire en Dieu. Remarquez bien, M.F., la différence qu’il y a entre croire à Dieu et croire en Dieu. Croire à Dieu, qui est la foi des démons, c’est croire qu’il y a un Dieu, qu’il existe, qu’il récompense la vertu et punit le péché. Ô mon Dieu ! que de chrétiens n’ont pas la foi des démons ! Ils nient l’existence de Dieu, et, dans leur aveuglement épouvantable et leur frénésie, osent soutenir qu’après ce monde, il n’y a ni punition ni récompense. Ah ! malheureux, si la corruption de votre cur vous a portés jusqu’à un tel excès d’aveuglement, allez, interrogez un possédé du démon, il vous apprendra ce que vous devez croire de l’autre vie ; il vous dira que, nécessairement, le péché est puni et la vertu est récompensée. Oh ! quel malheur, M.F. ! Quand la foi est éteinte dans un cur, de quelles extravagances n’est-on pas capable ? Mais, quand nous disons croire en Dieu, c’est reconnaître qu’il est notre Dieu, notre Créateur, notre Rédempteur, et que nous le prenons pour notre modèle ; c’est le reconnaître comme Celui dont nous dépendons en toutes choses, pour l’âme et pour le corps ; pour les choses spirituelles et pour les temporelles ; comme Celui de qui nous attendons tout, et sans lequel nous ne pouvons rien. Nous voyons dans la Vie de saint François qu’il passait des nuits entières sans faire d’autre prière que celle-ci : « Seigneur, vous êtes tout, et moi je ne suis rien ; vous êtes le créateur de toutes choses, vous êtes le conservateur de tout l’univers ; et moi je ne suis rien. »
Adorer Dieu, M.F., c’est lui offrir un sacrifice de tout nous-même, c’est-à-dire, M.F., être soumis à sa sainte volonté dans les croix, les afflictions, les maladies, les pertes de biens, et être prêt à donner volontiers notre vie pour son amour, s’il le faut. Disons, encore mieux, M.F., c’est lui faire une offrande universelle de tout ce que nous sommes : je veux dire, de notre corps par un culte extérieur, et de notre âme avec toutes ses facultés, par un culte intérieur. Expliquons cela, M.F., d’une, manière plus simple. Si je demandais à un enfant : Quand faut-il adorer Dieu, et comment faut-il l’adorer ? il me répondrait : « Le matin et le soir, et souvent dans la journée, c’est-à-dire, toujours. » C’est-à-dire, M.F., que nous devons faire sur la terre ce que les anges et les saints font dans le ciel. Le prophète Isaïe nous dit qu’il vit Notre Seigneur assis sur un beau trône de gloire ; les séraphins l’adoraient avec un si grand respect, qu’ils couvraient leurs faces et leurs pieds de leurs ailes, et ils chantaient continuellement : « Saint, Saint, saint, est le grand Dieu des armées, gloire, honneur, adoration, lui soient rendus dans tous les siècles . »
Nous lisons dans la Vie de la bienheureuse Victoire, de l’ordre de l’Incarnation, qu’il y avait une religieuse de son ordre, qui était très dévote et remplie de l’amour divin. Étant un jour en oraison, Notre Seigneur l’appela par son nom ; cette sainte lui répondit, dans sa simplicité ordinaire : « Mon divin Jésus, que voulez-vous de moi ? » Le Seigneur lui dit : « J’ai des séraphins dans le ciel qui me louent et me bénissent et m’adorent sans cesse ; je veux en avoir aussi sur la terre, je veux que vous soyez de ce nombre. » C’est dire, M.F., que la fonction des bienheureux dans le ciel, est de n’être occupé qu’à bénir le bon Dieu dans toutes ses perfections, et que nous devons faire tout de même, pendant que nous sommes sur la terre ; les saints, en triomphant et en jouissant, et nous, en combattant. Saint Jean nous dit qu’il vit une si grande troupe de saints, qu’il serait impossible de les compter ; ils étaient devant le trône de Dieu, disant de tout leur cur et de toute leur force : « Honneur, bénédiction, action de grâces soient rendus à notre Dieu . »
II. Je dis donc, M.F., que nous devons souvent adorer Dieu, 1? de corps : c’est-à-dire qu’il faut nous mettre à genoux, quand nous voulons adorer Dieu, pour lui montrer le respect que nous avons en sa sainte présence. Le saint roi David adorait le Seigneur sept fois par jour , et il se tenait si longtemps à genoux ; qu’il avoue lui-même, qu’à force de prier, et, en priant, de se tenir à genoux, ses genoux étaient devenus faibles et infirmes . Le prophète Daniel, étant à Babylone, se tournait contre Jérusalem, et adorait Dieu trois fois le jour . Nôtre Seigneur lui-même, qui n’avait nullement besoin de prier, pour nous en donner l’exemple, passait souvent les nuits entières à prier , à genoux, le plus souvent la face contre terre ; comme il le fit dans le jardin des Olives. Il y a eu quantité de saints qui ont imité Jésus-Christ dans sa prière. Saint Jacques adorait souvent Dieu, non seulement à genoux, mais encore la face contre terre ; en sorte que son front, à force de toucher la terre, était devenu dur comme la peau d’un chameau . Nous voyons, dans la Vie de saint Barthélemy, qu’il fléchissait cent fois par jour le genou à terre et autant la nuit . Si vous ne pouvez pas, M.F., adorer le bon Dieu aussi souvent et à genoux ; au moins, faites-vous un devoir de le faire soir et matin et de temps en temps, dans le jour, quand vous êtes seuls dans vos maisons ; pour lui montrer que vous l’aimez et que vous le reconnaissez pour votre créateur et votre conservateur.
Surtout, M.F., après avoir donné notre cur à Dieu en nous éveillant, nous étant débarrassés de toutes pensées qui n’ont pas rapport à Dieu, nous étant habillés avec modestie, sans perdre la présence de Dieu, il faut faire notre prière avec autant de respect qu’il est possible, et un peu longue si nous le pouvons. Il faut prendre bien garde de ne jamais rien faire avant d’avoir fait ses prières : comme faire son lit, une partie de son ménage, mettre sa marmite sur le feu, appeler ses domestiques ou ses enfants, aller donner à manger aux bêtes, ni ne jamais rien commander à ses enfants et à ses domestiques, avant qu’ils aient fait leur prière. Si vous le faisiez, vous seriez les bourreaux de leurs pauvres âmes, et, si vous l’avez fait, il faut vous en confesser et ne plus y retourner. Rappelez-vous bien que c’est le matin que le bon Dieu nous prépare toutes les grâces qui sont nécessaires pour passer saintement la journée. De sorte que, si nous faisons mal notre prière ou si nous ne la faisons pas, nous perdons toutes les grâces que le bon Dieu nous avait destinées pour rendre nos actions méritoires. Le démon sait combien il est avantageux pour un chrétien de bien faire sa prière ; il n’oublie aucun moyen de nous la faire faire mal, ou manquer. Il disait un jour, par la bouche d’un possédé, que, s’il pouvait avoir le premier moment de la journée, il était sûr d’avoir tout le reste.
Pour faire votre prière comme il faut, il faut prendre de l’eau bénite, afin d’éloigner de vous le démon, et faire le signe de la croix, disant : « Mon Dieu, par cette eau bénite et par le Sang précieux de Jésus-Christ votre Fils ; lavez-moi, purifiez-moi de tous mes péchés. » IL faut bien nous persuader que si nous le faisons avec foi, nous effacerons tous nos péchés véniels, en supposant que nous n’en ayons point de mortel. Ô mon Dieu ! un chrétien peut-il bien commettre un péché mortel qui lui ravit le ciel, le sépare de son Dieu pour toute l’éternité !… Ô mon Dieu, quel malheur, et, cependant, si peu connu du pécheur !
Je dis que nous devons faire notre prière à genoux, et non couché sur une chaise ou contre un lit, ni devant le feu ; quoique l’on puisse s’appuyer les mains sur le dossier d’une chaise. Il faut commencer notre prière par un acte de foi, la plus vive qu’il nous est possible, en nous pénétrant vivement de la présence de Dieu, c’est-à-dire, de la grandeur d’un Dieu si bon, qui veut bien nous souffrir en sa sainte présence, nous, qui, depuis bien longtemps, mériterions d’être abîmés dans les enfers. Il faut bien prendre garde de ne jamais se déranger, ni déranger ceux qui font leur prière, à moins que ce ne soit bien nécessaire : parce qu’on est cause qu’ils s’occupent de nous ou de ce que nous leur disons ; ils font mal leur prière, et, par conséquent, nous en sommes la cause. Si maintenant vous me demandez aussi comment il faut faire pour adorer, c’est-à-dire, prier Dieu continuellement ; car l’on ne peut pas être à genoux toute la journée. Rien de plus facile ; écoutez-moi un instant, et vous allez voir qu’on peut adorer Dieu et le prier, sans quitter son travail, en quatre manières ; mais cela, après avoir bien fait sa prière à genoux. Je dis en quatre manières : par pensées, par désirs, par paroles, par actions. Je dis 1? par pensée. Quand on aime quelqu’un, ne trouve-t-on pas un certain plaisir à y penser ? Eh bien ! M.F., qui nous empêche de penser à Dieu pendant la journée, tantôt en pensant aux souffrances que Jésus-Christ a endurées pour nous ; combien il nous aime, combien il désire nous rendre heureux, puisqu’il a bien voulu mourir pour nous ; combien il a été bon de nous faire naître dans le sein de l’Église catholique, où nous trouvons tant de moyens de nous rendre heureux, c’est-à-dire, de nous sauver ; tandis que tant d’autres n’ont pas le même bonheur. De temps en temps, dans le courant du jour, portons nos pensées et nos désirs vers le ciel, pour y contempler d’avance les biens et le bonheur que le bon Dieu nous y prépare après un moment de combat. Cette seule pensée, M.F., qu’un jour nous irons y voir le bon Dieu, et que nous serons délivrés de toute sorte de peine, ne devrait-elle pas nous consoler dans nos croix ? Si nous sommes chargés de quelque fardeau, pensons vite que nous sommes à la suite de Jésus-Christ, portant sa croix pour l’amour de nous ; unissons nos souffrances et nos peines à celles de ce divin Sauveur. Sommes-nous pauvres ? portons notre pensée dans la crèche : voyons et contemplons notre aimable Jésus couché sur une poignée de paille, sans aucune ressource humaine. Et, si vous voulez, regardez-le encore, mourant sur une croix, dépouillé même de ses habits. Sommes-nous calomniés ? pensons, M.F., aux blasphèmes que l’on a vomis contre lui pendant sa passion, lui qui était la sainteté même. De temps en temps, pendant la journée, faisons prononcer à notre cur ces douces paroles : « Mon Dieu, je vous aime, et je vous adore avec tous vos saints anges et tous vos saints qui sont dans le ciel. » Notre Seigneur dit un jour à sainte Catherine de Sienne : « Je veux, que tu fasses une retraite dans ton cur et que tu t’y enfermes avec moi, et que tu me tiennes compagnie. » Quelle bonté, M.F., de la part de ce bon Sauveur, de prendre plaisir à converser avec une chétive créature ! Eh bien ! M.F., faisons de même ; entretenons-nous avec le bon Dieu, notre aimable Jésus, qui est dans notre cur par sa grâce. Adorons-le, en lui donnant notre cur ; aimons-le, nous donnant tout à lui. Ne passons jamais un jour sans le remercier de tant de grâces qu’il nous a accordées pendant notre vie ; demandons-lui pardon de nos péchés, en le priant de n’y plus penser, mais de les oublier pour l’éternité. Demandons-lui la grâce de ne penser qu’à lui, et de ne désirer que de lui plaire, dans tout ce que nous ferons pendant toute notre vie. « Mon Dieu, devons-nous dire, je désire vous aimer autant que tous les anges et tous les saints ensemble. Je veux unir mon amour à celui que, votre sainte Mère a eu pour vous, pendant qu’elle était sur la terre. Mon Dieu, quand est-ce que j’aurai le bonheur de vous aller voir un jour dans le ciel, afin de vous aimer plus parfaitement ? » Si nous sommes seuls dans nos maisons, qui nous empêche de nous mettre à genoux ? Quand nous ne ferions que dire : « Mon Dieu, je veux vous aimer de tout mon cur, avec tous ses mouvements et toutes ses pensées et ses désirs ; que le temps me dure de vous aller voir dans le ciel ! » Voyez-vous, M.F., comme il est facile de nous entretenir avec le bon Dieu et de le prier continuellement ? Voilà, M.F., ce que c’est que prier toute la journée.
2? Nous adorons Dieu par le désir du ciel. Comment ne pas désirer de posséder Dieu, de le voir, ce qui est tout notre bonheur ?…
3? Nous disons que nous devons prier par paroles. Quand nous aimons quelqu’un, n’avons-nous pas un grand plaisir à nous entretenir de lui et à parler de lui ! Eh bien ! M.F., au lieu de parler de la conduite de l’un et de l’autre ; ce que nous ne faisons presque jamais sans offenser le bon Dieu ; qui nous empêche de tourner notre conversation du côté des choses de Dieu, soit en lisant quelque Vie de Saint, soit en racontant ce que nous avons entendu dans une instruction, dans un catéchisme ? Entretenons-nous surtout de notre sainte religion ; du bonheur que nous avons dans la religion chrétienne, des grâces que le bon Dieu nous y fait. Hélas ! M., F., s’il ne faut qu’une mauvaise conversation pour perdre une personne, souvent il n’en faut qu’une bonne pour la convertir, ou lui faire éviter le péché. Combien de fois, après avoir été avec quelqu’un qui nous à parlé du bon Dieu, nous sommes-nous sentis tout portés au bon Dieu ; avons-nous pensé à mieux faire !… Voilà ce qui faisait tant de saints au commencement de l’Église ; toutes les conversations, tous les discours étaient du bon Dieu. Par là, les chrétiens s’animaient les uns les autres ; ils concevaient toujours un nouveau goût pour les choses de Dieu.
4? Nous avons dit que nous devons adorer Dieu par nos actions. Rien de plus facile, de plus méritoire : Si vous désirez savoir comment cela se fait, le voici. Pour que nos actions soient méritoires et soient une prière continuelle nous devons d’abord, le matin, offrir toutes nos actions en général ; c’est-à-dire, tout ce que nous ferons pendant la journée. Nous disons au bon Dieu, avant de commencer : « Mon Dieu, je vous offre toutes les pensées, les désirs, les paroles et les actions que je ferai pendant ce jour ; faites-moi la grâce de les bien faire et dans la seule vue de vous plaire. » Ensuite, de temps en temps, pendant la journée, nous renouvelons notre offrande, en disant à Dieu : « Vous savez, mon Dieu, vous savez que je vous ai promis dès le matin de tout faire pour l’amour de vous. » Si nous faisons quelque aumône, dirigeons notre intention, en disant : « Mon Dieu, recevez cette aumône, ou ce service que je vais rendre à mon prochain ; c’est pour vous demander telle grâce. » Une fois, vous les ferez en l’honneur de la mort et passion de Jésus-Christ, pour obtenir votre conversion ou celle de vos enfants, de vos domestiques ou d’autres personnes qui vous intéressent ; une autre fois, en l’honneur de la très sainte Vierge, pour demander sa sainte protection pour vous et pour d’autres. Si l’on nous commande quelque chose qui nous répugne, disons au bon Dieu : « Mon Dieu, je vous offre cela pour honorer le moment où l’on vous a fait mourir pour moi. » Faisons-nous quelque chose qui nous fatigue bien ? offrons-le au bon Dieu, afin qu’il nous délivre des peines de l’autre vie. Lorsque nous nous reposons un moment, regardons le ciel qui, un jour, sera notre demeure. Voyez, M.F., si nous avions le bonheur de nous comporter de cette manière, combien nous gagnerions pour le ciel, en ne faisant que ce que nous faisons, mais en le faisant uniquement pour Dieu, et dans la seule vue de lui plaire. Saint Jean Chrysostome nous dit que trois choses se font aimer : la beauté, la bonté et l’amour. « Eh bien ! nous dit ce grand saint, le bon Dieu renferme toutes ces qualités. » Nous lisons dans la Vie de sainte Lidwine que, se sentant des douleurs très violentes, un ange lui apparut pour la consoler. Elle nous le dit elle-même : sa beauté lui parut si grande, et elle en fut si ravie, qu’elle oublia entièrement ses souffrances. Valérien ayant vu l’ange qui conservait la pureté de sainte Cécile, sa beauté le charma tant et lui toucha tellement le cur, quoiqu’il fût encore païen, qu’il se convertit sur-le-champ . Saint Jean, le disciple bien-aimé, nous dit qu’il vit un ange d’une beauté si grande, qu’il voulut l’adorer, mais l’ange lui dit : « Ne faites pas cela, je ne suis qu’un serviteur de Dieu comme vous. » Lorsque Moïse demanda au Seigneur la grâce de lui faire voir sa face le Seigneur lui dit : « Moïse, il est impossible à un homme mortel de voir ma face sans mourir ; ma beauté est si grande, que toute personne qui me verra, ne pourra vivre ; il faut que son âme sorte de son corps par la seule vue de ma beauté ». Sainte Thérèse nous dit que Jésus-Christ lui était apparu souvent ; mais que jamais aucun homme ne pourra se former une idée de la grandeur de sa beauté, tant elle est au-dessus de tout ce que nous pouvons penser. Dites-moi, M.F., si nous avions le bonheur de nous former une idée de la beauté de Dieu, pourrions-nous ne pas l’aimer ? Oh ! que nous sommes aveugles ! Hélas ! c’est que nous ne pensons qu’à la terre et aux choses créées, et non aux choses de Dieu, qui nous élèveraient jusqu’à lui, qui nous démontreraient quelque peu ses perfections, et qui toucheraient nos curs. Écoutez saint Augustin : « Ô beauté ancienne et toujours nouvelle ! je vous ai aimée bien tard ! » Il appelle la beauté de Dieu ancienne, parce qu’elle est de toute éternité, et il l’appelle toujours nouvelle, parce que, plus on la voit, plus on la trouve belle. Pourquoi est-ce, M.F., que les anges et les saints ne se lasseront jamais d’aimer Dieu et de le contempler ? C’est, M.F., qu’ils sentiront toujours un nouveau goût et un nouveau plaisir. Et pourquoi, M.F., ne ferions-nous pas la même chose sur la terre, puisque nous le pouvons ? Ah ! M.F., quelle vie heureuse nous mènerions en nous préparant le ciel !
Nous lisons dans la Vie de saint Dominique, qu’il s’était renoncé si entièrement lui-même, qu’il ne pouvait penser, ni désirer, ni aimer autre chose que Dieu seul. Après avoir passé toute la journée à allumer dans les curs le feu de l’amour divin par ses prédications, il s’envolait la nuit dans le ciel, par ses contemplations et ses entretiens avec son Dieu. C’était toutes ses occupations. Dans ses voyages, il ne pensait uniquement qu’à Dieu ; rien n’était capable de le distraire de cette heureuse pensée : que Dieu était bon, aimable, et qu’il méritait bien d’être aimé. Il ne pouvait comprendre comment il se pouvait trouver des hommes sur la terre qui pussent ne pas aimer le bon Dieu, puisqu’il était si aimable. Il versait des torrents de larmes sur le malheur de ceux qui ne voulaient pas aimer un Dieu si bon et si digne d’être aimé. Un jour, des hérétiques ayant cherché le moyen de le faire périr, mais le bon Dieu l’ayant sauvé par un miracle, un d’entre eux, lui demanda ce qu’il aurait fait s’il était tombé entre leurs mains ? Il lui répondit : « Je sens un si grand désir d’aimer le bon Dieu, je voudrais tant souffrir et mourir pour lui, que je vous aurais prié de me tuer, non d’un seul coup, mais de couper mes membres à tant petits morceaux que vous auriez pu, ensuite de m’arracher la langue et les yeux, les uns après les autres, et, après avoir roulé le tronc de mon corps dans mon sang, de me couper la tête ; et je voudrais que tous les hommes fussent dans la même disposition que moi, parce que Dieu est si beau et si bon, que jamais l’on ne fera rien qui puisse approcher de ce qu’il mérite . » Eh bien ! M.F., est-ce aimer le bon Dieu que d’être dans une si belle disposition ? N’est-ce pas l’aimer tout de bon, de tout son cur et plus que soi-même ?
Dites-moi, M.F., l’aimons-nous comme ce saint, nous qui semblons nous faire une espèce de plaisir de l’offenser, nous qui ne voulons pas faire le moindre sacrifice pour éviter le péché ? Dites-moi, M.F., aimons-nous le bon Dieu en manquant nos prières, en les faisant sans respect et sans dévotion ? Que de fois nous ne nous mettons pas seulement à genoux ? Aimons-nous le bon Dieu, M.F., lorsque nous ne donnons pas même le temps de prier le bon Dieu à nos domestiques ou à nos enfants ? Aimions-nous le bon Dieu, M.F., lorsque nous avons mangé de la viande les jours défendus ? Dites-moi, M.F., aimons-nous le bon Dieu lorsque nous travaillons les saints jours du dimanche ? Aimons-nous le bon Dieu lorsque nous sommes sans respect dans l’église, que nous y dormons, causons et tournons la tête ou que nous sortons dehors, pendant les offices ? Hélas ! M.F., disons-le en gémissant, que de fantômes d’adorateurs ! Hélas ! que de chrétiens qui ne sont chrétiens que de nom !
En troisième lieu, nous disons que nous devons aimer le bon Dieu parce qu’il est infiniment bon. Quand Moïse demanda au Seigneur de lui faire voir sa face, il lui dit : « Moïse, si je te fais voir ma face, je te montrerai l’abrégé et l’assemblage de tous les biens . » Nous lisons dans l’Évangile qu’une femme s’étant prosternée devant Notre Seigneur, l’appela « Bon Maître. » Notre Seigneur lui dit : « Pourquoi m’appelez-vous Bon Maître, il n’y a que Dieu seul qui soit bon ; » voulant nous dire qu’il est la source de toute sorte de biens. Sainte Madeleine de Pazzi nous dit qu’elle voudrait avoir assez de force pour se faire entendre aux quatre coins du monde, afin de dire à tous les hommes d’aimer le bon Dieu de tout leur cur, parce qu’il est infiniment aimable. Nous lisons dans la Vie de saint Jacques, religieux de Saint Dominique , qu’il s’en allait dans les campagnes et dans les bois, criant, de toutes ses forces : « Ô ciel ! et vous, ô terre ! n’aimez-vous pas le bon Dieu aussi bien que les autres créatures, puisqu’il est infiniment digne d’être aimé ? Ô mon Sauveur ! si les hommes sont si ingrats que de ne pas vous aimer, ô vous, toutes les créatures, aimez votre Créateur, puisqu’il est si bon et si aimable ! » Ah ! M.F., si nous pouvions une fois comprendre combien l’on est heureux en aimant le bon Dieu, nous pleurerions nuit et jour d’avoir été si longtemps privés de ce bonheur !… Hélas ! que l’homme est misérable ! un simple respect humain, un petit qu’en-dira-t-on, lui empêchera de montrer à ses frères qu’il aime son Dieu !… Ô mon Dieu ! peut-on bien le comprendre ?…
Nous lisons dans l’histoire que, en tourmentant saint Poly-carpe, ses bourreaux lui disaient : « Pourquoi est-ce que vous n’adorez pas les idoles ? » « C’est, leur dit-il, que je ne peux pas ; parce que je n’adore qu’un seul Dieu, créateur du ciel et de la terre. ». « Mais, lui disaient-ils, si vous ne faites pas ce que nous voulons, nous vous ferons mourir. » « Je consens volontiers à mourir, mais jamais je n’adorerai le démon. » « Mais quel mal trouvez-vous à dire : Seigneur César, et à sacrifier, pour sauver votre vie ? » « Je ne le ferai pas, je préfère mourir. » « Jure par la fortune de César, lui dit le juge, et dis des injures à ton Christ. » Le saint lui dit : « Comment pourrais-je dire des injures à mon Dieu : il y a quatre-vingts ans que je le sers, et il ne m’a fait que du bien. » Le peuple, tout en fureur d’entendre la manière dont il répondait au juge, s’écria : « C’est le docteur de l’Asie, le père des chrétiens ; livrez-le nous. ». « Écoute, juge, lui dit le saint évêque, voici ma religion : je suis chrétien, je sais souffrir, mourir, et non dire des injures à mon Sauveur Jésus-Christ qui m’a tant aimé et qui mérite tant d’être aimé ! » « Si tu ne veux pas obéir, lui dit le juge, je te ferai brûler tout vif. » « Le feu dont vous me menacez ne dure qu’un moment ; mais vous ne connaissez pas celui de la justice de Dieu, qui brûlera éternellement les impies. Que tardez-vous ! voilà mon corps prêt à recevoir tous les tourments que vous pourrez inventer. » Tous les païens se mirent à crier : « Il mérite la mort, qu’il soit brûlé vif. » Hélas ! tous ces malheureux préparent le bûcher, comme des désespérés, et pendant ce temps-là, saint Polycarpe se prépare à la mort, et remercie Jésus-Christ de lui faire part de son calice. Le bûcher étant prêt, on prit notre saint et on le jeta dedans ; mais les flammes, moins cruelles que les bourreaux, respectaient notre saint et faisaient autour de lui comme un voile, de sorte que son corps n’en reçut aucun dommage : ce qui obligea le persécuteur à le faire poignarder dans son bûcher. Le sang coula avec tant d’abondance que le feu en fut tout éteint . Voilà, M.F., ce que l’on appelle aimer le bon Dieu parfaitement, c’est l’aimer plus que sa vie même. Hélas ! où trouverions-nous des chrétiens, dans le malheureux siècle où nous vivons, qui fissent cela pour le bon Dieu ? Hélas ! qu’ils seraient semés bien clairs ! Mais aussi, qu’il en est peu qui iront au ciel !
Nous devons aimer le bon Dieu à cause des biens que nous en recevons continuellement. D’abord, notre premier bienfait, c’est notre création. Nous avons le bonheur d’être doués de tant de bel-les qualités : un corps et une âme formés par la main du Tout-puissant ; une âme qui ne doit jamais périr, qui est destinée à aller passer son éternité avec les anges dans le ciel ; une âme, dis-je, qui est capable de connaître Dieu, de l’aimer et de le servir ; une âme qui est le plus bel ouvrage de la très sainte Trinité, une âme que Dieu seul surpasse. En effet toutes les créatures qui sont sur la terre périront ; au lieu que notre âme ne sera jamais détruite. Ô mon Dieu si nous étions tant soit peu pénétrés de ce bienfait, ne passerions-nous pas toute notre vie en actions de grâces, à la vue d’un don si grand et si précieux ?
Un autre bienfait qui n’est pas moindre, M.F., c’est le don que le Père éternel nous a fait de son Fils, qui a souffert et enduré tant de tourments pour nous racheter, après que nous nous fûmes vendus au démon par le péché d’Adam. Quel autre plus grand bienfait pouvait-il nous faire que d’établir une religion si sainte et si consolante pour tous ceux qui la connaissent et qui ont le bonheur de la pratiquer. Saint Augustin dit : « Ah ! belle religion, si l’on te méprise, c’est bien parce que l’on ne te connaît pas. » « Non, M.F., nous dit saint Paul, vous n’êtes plus vous-mêmes, vous avez été rachetés tous par le sang d’un Dieu fait homme . » « Ô mes enfants, nous dit saint Jean, quel honneur pour de viles créatures d’avoir été adoptées pour les enfants de Dieu même, pour les frères de Jésus-Christ ! Quelle charité ; nous dit-il, que nous soyons appelés enfants de Dieu et que, véritablement, nous le soyons ; et qu’avec cette qualité si glorieuse, il nous promette encore le ciel ! »
Examinez encore, si vous voulez, tous ces bienfaits particuliers : il nous a fait naître de parents chrétiens, il nous a conservé la vie, malgré que nous fussions ses ennemis ; il nous a tant de fois pardonné nos péchés, il nous a prodigué tant de grâces pendant toute notre vie. Après tout cela, M.F., est-il bien possible que nous n’aimions pas un Dieu si bon et si bienfaisant ? Ô mon Dieu ! quel malheur est comparable ! Nous lisons dans l’histoire, qu’un homme avait tiré une épine de la patte d’un lion ; ce même lion fut pris au bout de quelque temps pour être mis avec les autres dans la fosse. Cet homme, qui lui avait tiré son épine, fut condamné à être dévoré par les lions. Étant dans la fosse pour y être dévoré, ce lion le reconnut. Bien loin de le dévorer, il se jeta à ses pieds, et se laissa dévorer parles autres lions en défendant son bienfaiteur.
Ah ! ingrats que nous sommes, est-il bien possible que nous passions notre vie, sans vivre de manière à montrer au bon Dieu que nous lui sommes reconnaissants de tous ses bienfaits ? Comprenez, si vous le pouvez, M, F., quelle sera notre honte, un jour, lorsque le bon Dieu nous montrera que les bêtes sans raison ont été plus reconnaissantes des moindres bienfaits qu’elles ont reçus des hommes, et que nous, comblés de tant de grâces, de lumières et de biens, bien loin d’en remercier notre Dieu, nous ne faisons que l’offenser ! Ô mon Dieu ! quel malheur est comparable à ce-lui-là ! Il est rapporté dans la Vie de saint Louis, roi de France, qu’étant allé dans la Terre sainte, un de ses cavaliers étant allé à la chasse, il entendit les gémissements d’un lion. S’étant approché, il vit ce lion qu’un gros serpent avait entouré de sa queue et commençait à manger. Ce cavalier trouva moyen de tuer le serpent. Ce lion en fut si reconnaissant, qu’il se mit à sa suite, comme un agneau qui suit son berger. Comme ce cavalier était obligé de traverser les mers, le lion ne pouvant entrer dans le vaisseau, se mit à la nage en suivant son bienfaiteur, jusqu’à ce qu’il eût perdu la vie dans les eaux. Quel exemple, M.F. : une bête perdre la vie pour témoigner sa reconnaissance à son bienfaiteur ! et nous, bien loin de témoigner la nôtre à notre Dieu, nous ne cessons de l’offenser par le péché qui lui fait tant d’outrages ! Saint Paul nous dit que celui qui n’aime pas Dieu n’est pas digne de vivre ; en effet, ou l’homme doit aimer son Dieu, ou il doit cesser de vivre.
Nous disons que nous devons aimer le bon Dieu parce qu’il nous le commande. Saint Augustin s’écrie, en nous parlant de ce commandement : «Ô aimable commandement ! Mon Dieu ! qui suis-je, pour que vous me commandiez de vous aimer ? Si je ne vous aime pas, vous me menacez de grandes misères : est-ce donc une petite misère que de ne pas vous aimer ? Quoi ! mon Dieu, vous me commandez de vous aimer ? N’êtes-vous pas infiniment aimable ? N’est-ce pas déjà trop que vous vouliez nous le permettre ? Ô quel bonheur pour une créature aussi misérable que nous de pouvoir aimer un Dieu si aimable ! Ah ! grâce inestimable, que vous êtes peu connue ! »
Nous lisons dans l’Évangile qu’un docteur de la loi dit un jour à Jésus-Christ : « Maître, quel est le plus grand de tous les commandements ? » Jésus-Christ lui répondit, le voici : « Vous aimerez le Seigneur de tout votre cur, de toute votre âme et de toutes vos forces, » Saint Augustin nous dit : « Si vous avez le bonheur d’aimer le bon Dieu, vous deviendrez, en quelque sorte, semblable à lui ; si vous aimez la terre, vous deviendrez tout terrestre ; mais si vous aimez les choses du ciel, vous deviendrez tout céleste. » Ô mon Dieu ! quel bonheur de vous aimer ; puisque vous aimant nous recevons toutes sortes de biens. Non, M.F., ne soyons pas étonnés si tant de grands du monde ont quitté le brouard du siècle pour aller s’ensevelir dans des forêts ou entre quatre murs, pour ne plus rien faire autre qu’aimer Dieu. Voyez un saint Paul, ermite, dont toute l’occupation, pendant quatre-vingts ans, fut de prier et aimer le bon Dieu le jour et la nuit. Voyez encore un saint Antoine auquel il semble que les nuits ne soient pas assez grandes pour louer, dans le silence, son Dieu et son Sauveur, et qui se plaint que le soleil vient trop vite . Aimer le bon Dieu, M.F., ah ! quel bonheur, quand nous aurons le bonheur de le comprendre ! Jusqu’à quand, M.F., aurons-nous de la répugnance pour faire un ouvrage qui devrait faire tout notre bonheur dans ce monde et notre félicité dans l’éternité ?… Aimer Dieu, M.F., ah ! quel bonheur !… Mon Dieu, donnez-nous la foi et nous vous aimerons de tout notre cur.
Je dis que nous devons aimer le bon Dieu à cause des grands biens que nous en recevons. « Dieu, nous dit saint Jean, aime ceux qui l’aiment . » Dites-moi, M.F., pouvons-nous avoir un plus grand bonheur en ce monde que d’être aimés de Dieu même ? Ainsi, M.F., le bon Dieu nous aimera selon que nous l’aimerons, c’est-à-dire que si nous l’aimons beaucoup, il nous aimera beaucoup ; ce qui nous devrait porter à aimer le bon Dieu autant que nous le pouvons, et que nous en sommes capables. Cet amour sera la mesure de la gloire que nous aurons en paradis, elle sera à proportion de l’amour que nous aurons eu pour lui pendant notre vie ; ceux qui auront plus aimé le bon Dieu en ce monde auront une plus grande gloire dans le ciel, et l’aimeront davantage ; parce que la vertu de charité nous accompagnera toute l’éternité, et elle recevra un nouveau degré dans le ciel. Oh ! M.F., quel bonheur d’avoir beaucoup aimé le bon Dieu pendant notre vie ! nous l’aimerons beaucoup dans le paradis.
Saint Antoine nous dit qu’il n’y a rien que le démon craigne tant qu’une âme qui aime le bon Dieu ; et que celui qui aime le bon Dieu porte avec lui la marque d’un prédestiné ; puisqu’il n’y a que les démons et les réprouvés qui n’aiment pas le bon Dieu. Hélas ! M.F., le plus grand de tous les malheurs ; c’est qu’ils n’auront jamais le bonheur de l’aimer. Ô mon Dieu, peut-on bien y penser et ne pas mourir de regret !… Nous lisons dans la Vie de sainte Catherine de Gênes, qu’étant présente lorsqu’on exorcisait un possédé, elle lui demanda comment il s’appelait. Le démon lui répondit qu’il s’appelait : Esprit sans amour de Dieu. « Eh quoi ! lui dit la sainte, tu n’aimas pas le bon Dieu qui est si aimable ? » « Oh ! non, non, s’écria-t-il. » « Ah ! je n’aurais jamais cru qu’il y eût une créature qui n’aimât pas le bon Dieu. » Elle tomba morte. Etant revenue à elle, comme on lui demanda ce qui l’avait fait évanouir, elle répondit que jamais elle n’aurait pu croire qu’il y eût une créature qui n’aimât pas le bon Dieu ; que cela l’avait tellement surprise, que le cur lui avait manqué. Mais, dites-moi, M.F., n’avait-elle pas raison ? puisque nous ne sommes créés que pour cela seul. Dès que nous cessons d’aimer le bon Dieu, nous ne faisons pas ce que le bon Dieu veut que nous fassions.
En effet, M.F., quelle est la première demande que l’on nous a faite lorsque nous sommes venus au catéchisme pour nous instruire de notre religion ? « Qui vous a créé et conservé jusqu’à présent ? » Nous avons répondu : « C’est Dieu. » « Et pourquoi encore ? » « Pour le connaître, l’aimer, le servir et, par ce moyen, acquérir la vie éternelle. » Oui, M.F., notre unique occupation sur la terre est d’aimer le bon Dieu ; c’est-à-dire de commencer à faire ce que nous ferons pendant toute l’éternité. Pourquoi encore devons-nous aimer le bon Dieu ? C’est, M.F., que tout notre bonheur se trouve et ne peut se trouver que dans l’amour de Dieu. De sorte, M.F., que quand nous n’aimerons pas le bon Dieu, nous serons toujours malheureux ; et si nous voulons avoir quelques consolations et quelques adoucissements dans nos peines, nous n’en trouverons que dans l’amour que nous aurons pour Dieu. Si vous voulez vous en convaincre, allez trouver le plus heureux selon le monde ; s’il n’aime pas le bon Dieu, il ne sera que malheureux ; et au contraire, si vous allez trouver le plus malheureux aux yeux du monde, s’il vous répond qu’il aime Dieu, il est heureux sous tous les rapports. Ô mon Dieu ! ouvrez donc les yeux de notre âme, et nous chercherons notre bonheur où nous pouvons le trouver !
III. Mais, me direz-vous en finissant, comment devons-nous donc aimer le bon Dieu ? Comment il faut l’aimer, M.F. ? Écoutez saint Bernard, il va lui-même nous l’apprendre en nous disant que nous devons aimer Dieu sans mesure. « Comme Dieu est infiniment aimable, nous ne pourrons jamais l’aimer comme il le mérite. » Mais Jésus-Christ, lui-même nous apprend la mesure dont nous devons l’aimer, en nous disant : « Vous aimerez votre Dieu de toute votre âme, de tout votre cur, de toutes vos forces. Vous graverez bien ces pensées dans votre esprit, et vous apprendrez toutes ces choses à vos enfants. » Saint Bernard nous dit, qu’aimer le bon Dieu de tout notre cur, c’est l’aimer courageusement et avec ferveur : c’est-à-dire, être prêt à souffrir tout ce que le démon et le monde nous feront souffrir, plutôt que de cesser de l’aimer. C’est le préférer à tout, et n’aimer rien que pour l’amour de lui. Saint Augustin disait à Dieu : « Quand mon cur, ô mon Dieu, sera trop grand pour vous aimer, alors j’aimerai quelque autre chose avec vous ; mais comme mon cur sera toujours trop petit pour vous, et que vous êtes infiniment aimable, je n’aimerai jamais que vous. » Nous devons aimer le bon Dieu, non seulement comme nous-mêmes, mais encore plus que nous-mêmes, et être toujours dans la résolution de donner notre vie pour lui.
Nous pouvons dire que tous les martyrs l’ont véritablement aimé, puisqu’ils ont préféré souffrir la perte de leurs biens, le mépris, les prisons, les fouets, les roues, les gibets, le fer et le feu, et enfin tout ce que la rage des tyrans a pu inventer, plutôt que de l’offenser.
Il est rapporté dans l’histoire des martyrs du Japon, que quand on leur annonçait l’Évangile et qu’on les instruisait des grandeurs de Dieu, de ses bontés et de son amour pour les hommes ; surtout quand on leur apprenait les grands mystères de notre sainte religion, tout ce que le bon Dieu avait fait pour les hommes : un Dieu naissant dans la pauvreté, un Dieu souffrant et mourant pour le salut, « oh ! qu’il est bon, s’écriaient-ils, qu’il est bon le Dieu des chrétiens ! oh ! qu’il est aimable ! » Mais quand on leur disait que ce même Dieu nous avait fait un commandement par lequel il nous ordonnait de l’aimer, et que si nous ne l’aimions pas il nous menaçait d’un châtiment éternel, ils en étaient si étonnés et si surpris qu’ils ne pouvaient en revenir. « Eh quoi ! disaient-ils, faire à des hommes raisonnables un précepte d’aimer Dieu, qui nous a tant aimés !… n’est-ce pas le plus grand de tous les malheurs que de ne l’aimer pas, et n’est-ce pas le plus grand de tous les bonheurs que de l’aimer ? Eh quoi ! est-ce que les chrétiens ne sont pas toujours au pied des autels pour adorer leur Dieu, pénétrés de tant de bonté et tout embrasés de son amour ? » Mais quand on venait à leur apprendre qu’il y avait des chrétiens qui, non seulement ne l’aimaient pas, mais encore qui passaient presque toute leur vie à l’offenser : « Ô peuple ingrat ! ô peuple barbare ! s’écriaient-ils avec indignation, est-il bien possible que des chrétiens soient capables de telles horreurs ! Ah ! dans quelle terre maudite habitent donc ces hommes sans cur et sans sentiments ? » Hélas ! M.F., si ces martyrs reparaissaient maintenant sur la terre, et qu’on leur fît le récit de tous outrages que les chrétiens font à chaque instant à Dieu, à un Dieu si bon qui veut et qui ne cherche que leur bonheur éternel ; hélas ! M.F., pourraient-ils bien le croire ? Triste pensée, M.F., jusqu’à présent nous n’avons pas aimé le bon Dieu !….
Non seulement un bon chrétien doit aimer le bon Dieu de tout son cur ; mais encore il doit faire tous ses efforts pour le faire aimer des autres hommes. Les pères et mères, les maîtres et maîtresses doivent user de tout leur pouvoir pour le faire aimer de leurs enfants et de leurs domestiques. Oh ! qu’un père et une mère auront de mérite auprès du bon Dieu, si tous ceux qui sont avec eux l’aiment autant qu’il est possible ! Oh ! que de bénédictions le bon Dieu répandrait sur ces maisons !… Oh ! que de biens et pour le temps et pour l’éternité !…
Mais quelles sont les marques par lesquelles nous reconnaîtrons que nous aimons le bon Dieu ? Les voici, M.F.. C’est si nous pensons souvent à lui, si notre esprit en est souvent occupé, si nous avons beaucoup de plaisir, si nous aimons à entendre parler de lui dans les instructions, et dans tout ce qui peut nous faire rappeler de lui. Si nous aimons le bon Dieu, M.F., nous craindrons grandement de l’offenser, nous serons toujours sur nos gardes, nous veillerons sur tous les mouvements de notre cur, crainte d’être trompés par le démon. Mais le dernier moyen, c’est de le lui demander souvent, puisque son amour vient du ciel. Il faut y porter notre pensée pendant la journée, la nuit même, en nous éveillant, en produisant des actes d’amour de Dieu, lui disant : « Mon Dieu, faites-moi la grâce de vous aimer autant qu’il est possible que je vous aime. » Il faut avoir une grande dévotion à la sainte Vierge qui a aimé le bon Dieu, elle seule, plus que tous les saints ensemble : avoir une grande dévotion au Saint-Esprit, surtout à neuf heures du matin. Ce fut le moment où le Saint-Esprit descendit sur les apôtres, pour les embraser de son amour . A midi, il faut nous rappeler le mystère de l’Incarnation, où le fils de Dieu s’est incarné dans le sein de la bienheureuse Vierge Marie, en lui demandant de descendre dans nos curs, comme il descendit dans le sein de sa bienheureuse Mère . A trois heures, il faut nous représenter ce bon et charitable Sauveur, qui meurt pour nous mériter un amour éternel. Nous devons, dans ce moment, produire un acte de contrition, pour lui témoigner le regret que nous avons de l’avoir offensé.
Concluons, M.F., que puisque notre bonheur ne peut se trouver que dans l’amour que nous aurons pour Dieu, nous devons grandement craindre le péché, puisque lui seul nous le fait perdre. Allez, M.F., puiser cet amour divin dans les sacrements que vous pouvez recevoir ! Allez à la table sainte avec un grand tremblement et avec une grande confiance, puisqu’il est notre Dieu, notre Sauveur et notre Père, qui ne veut que notre bonheur ; je vous le souhaite…