prier pour les ames du Purgatoire

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Abbé Rossignoli

Les Merveilles Divines dans les Ames du Purgatoire

 

Les Merveilles Divines dans les Âmes du Purgatoire du Père Rossignoli

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Introduction

 La charité bien comprise nous fait un devoir très-pressant

          de subvenir aux nécessités des âmes du Purgatoire 1

  1 – Excellence des suffrages en faveur des morts 6

  2 – Ne pas soulager les défunts par des aumônes, c’est se priver soi-même

         de grands avantages spirituels 10

  3 – Dieu exauce les prières des communautés ferventes en faveur des

         défunts 15

  4 – La conversion renvoyée au soir de la vie conduit l’âme à la cruelle

         faim du Purgatoire 18

  5 – La miséricorde envers les défunts procure le salut de l’âme, et souvent

         même celui du corps 21

  6 – Le purgatoire des paroles inconvenantes 24

  7 – Une âme du Purgatoire rappelée à l’expiation sur la terre 27

  8 – Combien les âmes du Purgatoire sont soulagées par le jeûne et l’oraison 30

  9 – Intercession d’une femme pleine de foi 33

10 –  La protection du Ciel en faveur de l’homme de bien 36

11 – Martyre de charité de sainte Christine-l’Admirable pour la délivrance

         des âmes du Purgatoire 40

12 – La Mère de Dieu mère des âmes du Purgatoire 44

13 – Dieu accorde à ses saints de grandes grâces en faveur des âmes du

         Purgatoire 47

14 – Comment les prières d’un saint délivrent quantité d’âmes 50

15 –  La peine transférée d’un défunt à un vivant 54

16 – C’est se délivrer soi-même que de secourir les âmes du Purgatoire 57

17 – Les souffrances du Purgatoire bien que passagères paraissent

         extrèmement longues 61

18 – Les peines du Purgatoire conformes aux fautes commises 64

19 – Le Ciel bénit ceux qui prient pour les morts 68

20 – Ingratitude des héritiers envers leurs bienfaiteurs 70

21 – Actions de grâces des âmes du Purgatoire envers leurs libérateurs 74

22 – Il faut travailler par soi-même à éviter le Purgatoire 77

23 – Traits divers de charité 81

24 – Souffrances des âmes qui ont donné du scandale 84

25 – Pour entrer au Ciel il faut être exempt de la moindre faute 87

26 – Admirable commerce de charité entre les vivants et les défunts 91

27 – Traits divers 96

28 – Traits merveilleux sur la mort et sur le Purgatoire 99

29 – Les indulgences 102

30 – La protection des saints utile, après la mort à qui l’a invoquée ici-bas 105

31 – Reconnaissance des âmes pour leurs bienfaiteurs 108

32 – Celui qui souffre pieusement ici-bas va tout droit au repos éternel 111

33 – Sainte usure de ceux qui appliquent leurs oeuvres au soulagement des défunts 114

34 – Le sang de Notre-Seigneur dans l’Eucharistie 117

35 – Il vaut mieux mourir  avec la certitude d’aller en Purgatoire

         que de vivre en danger de péché 120

36 – Les justes eux-mêmes ne sont pas irrépréhensibles devant Dieu 125

37 – On ne sort du Purgatoire qu’après une expiation entière et complète 128

38 – La dévotion du saint Rosaire 131

39 – Tourment apaisé 135

40 – Protection des âmes du Purgatoire 137

41 – Oeuvres d’insigne charité envers les âmes du Purgatoire 140

42 – Supplication merveilleuse 143

43 – Bienfaits des âmes du Purgatoire envers ceux qui les assistent 145

44 – La sainte communion pour les morts 148

45 – La divine Eucharistie154

46 – Le pardon d’une offense soulage les âmes souffrantes 154

47 – Valeur du saint sacrifice en faveur des âmes du Purgatoire 157

48 – Obéissance à la volonté divine 160

49 – Délivrance d’une âme 162

50 – Bonté des anges pour les pauvres du Purgatoire 165

51 – Reconnaissance des âmes du Purgatoire 168

SECONDE  PARTIE

Introduction 172

52 – Grand pêcheur délivré par une âme du Purgatoire 176

53 – Défunt répondant aux prières qu’on fait pour eux 180

54 – La divine Marie et le Scapulaire 182

55 – Accusations du démon contre les morts 185

56 – Un Purgatoire plus long à qui n’a pas prié pour les morts 188

57 – Rigueur de la justice divine 191

58 – Protection miraculeuse 194

59 – Apparitions et révélations 196

60 – Mérite de la sainte obéissance 199

61 – Dévouement charitable 203

62 – Suffrages conformes aux bonnes oeuvres accomplies pendant la vie 206

63 – Idée du feu du Purgatoire et des leçons qu’il nous donne 208

64 – Marie au jour de son Assomption 211

65 – Récompense du bien accompli pendant la vie 214

66 – Combien effrayants sont les tourments du Purgatoire 216

67 – La crainte du Purgatoire fait taire la volupté 220

68 – Les plaintes douloureuses des âmes du Purgatoire 224

69 – La plus grande souffrance du Purgatoire est la privation de la vue de Dieu 228

70 – Les peines du Purgatoire conformes aux fautes commises.234

71 – Reconnaissance des âmes du Purgatoire 237

72 – L’oeil de la justice divine 241

73 – Supplications des âmes pour obtenir qu’on les secoure 244

74 – Récompense de ce que l’on fait pour les âmes du Purgatoire 247

75 – Dévotion extraordinaire envers les âmes 251

76 – Petites aumônes faites de bon coeur 254

77 – Le besoin que nous avons d’être purifiés 257

78 – Iniquité convertie en oeuvre méritoire 261

79 – L’amour du prochain doit s’étendre au delà de cette vie 265

80 – Révélations sur l’autre vie 268

81 – Prix des souffrances d’ici-bas 271

82 – L’intercession des justes apaise la colère divine 275

83 – Un rayon de la lumière céleste dans le Purgatoire 278

84 – Utilité des sacrements pour nous purifier devant Dieu 282

85 – Prières exaucées 285

86 – Dieu instruit les vivants sur les mystères de l’autre vie 288

87 – Combien la prière est utile aux âmes du Purgatoire 292

88 – Efficacité de la prière des justes en faveur des âmes 296

89 – Protection spéciale de Marie 301

90 – L’or et l’argent des vertus doivent être souvent purifiés par le feu 304

91 – Récompense assurée à l’aumône pour les âmes du Purgatoire 308

92 – Supplications des âmes du Purgatoire pour qu’on se souvienne d’elles 312

93 – Combien Dieu aime qu’on prie pour ses parents défunts 316

94 – La peine du Purgatoire prolongée jusqu’à l’acquittement des dettes 319

95 – Les âmes délivrées venant au-devant de leurs bienfaiteurs 323

96 – Double prodige 326

97 – Purgatoire imposé à ceux qui résistent à la parole de Dieu 330

98 – Zèle pour les âmes du Purgatoire 334

99 – Communion sainte entre la terre et le Purgatoire 337

100 – L’affection pour les amis et les parents ne meurt point avec eux 341

101 – C’est une erreur de s’en remettre sur les autres du soin d’apaiser la

          colère de Dieu 346

Conclusion 351

APPENDICE

Recueil de pratiques et de prières en faveur des âmes du Purgatoire

  I – Intentions 356

 II – Pratiques 359

III – Prières     363

       Prière pour obtenir une bonne mort 371

       Exercice pour se disposer à bien mourrir 374

 

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Les Merveilles Divines dans les Ames du Purgatoire

de l’abbé Rossignoli   –

PREMIERE  PARTIE

 

 


     Les Merveilles Divines dans les Âmes du Purgatoire

PREMIERE PARTIE

Introduction.

La charité bien comprise nous fait un devoir très pressant de subvenir aux

nécessités des âmes du Purgatoire


Ordinavit in une charitatem : Dieu m’a placé

sous l’étendard de la charité ( Cant.2,4 ).

Il ne peut entrer dans ma pensée de réduire ici à quelques lignes tout ce

qu’il y a de parfait dans la charité envers les pauvres âmes du Purgatoire

je me borne à quelques considérations rapides toute charité est d’autant

plus grande que les misères qu’elle soulage le sont elles-même là ou le

besoin est extrême l’obligation d’y porter remède devient plus pressante or

quelle plus douloureuse nécessité se peut-il concevoir que celle d’âmes

plongées dans un océan de tourments vouées aux souffrances les plus atroces

aux plus inexprimables angoisses ? Les commentateurs appliquent au

Purgatoire ce mot de Mala-



chie,III,3 : "Sedebit conflans, et Purgabit filios levi , et colabit eos

quasi aurum : Le messie sera comme un homme qui s’assied pour faire fondre

et pour épurer l’argent ; il purifiera les enfants de Lévi et il les rendra

nets comme l’or qui a passé par le feu ;" le comparent à un alambic de

toutes les peines imaginables d’ici-bas comme si Dieu à l’exemple de ces

savants qui distillent de diverses substances les esprits les plus purs pour

en composer un extrait qui les représente dans toute leur force avait réuni

dans le Purgatoire par une opération semblable les différentes espèces de

maux dont nous souffrons davantage dans cette vie les maladies naturelles

les supplices violents les tortures les tourments infligés aux martyrs etc

et en avait exprimé l’essence et l’activité c’est ce que paraît avoir

indiqué le prophète Isaie, IV, 4, dans ce passage :"Abluet Dominus sordes

filiurum Sion in spiritu ardoris :Le Seigneur purifiera les souillures de la

fille de Sion dans l’ardeur du feu." Ce feu est doué d’une puissance

surnaturelle d’une activité et d’une violence cent fois plus grandes que

celles du nôtre parce qu’il a été choisi pour instrument de la divine

justice Tertullien appelle même le Purgatoire un enfer momentané : car

observe-t-il les deux peines principales celle du sens et celle du dam  y

sont réservées aux âmes avec seule différence de la durée les damnés ne

devant jamais voir finir leurs tourments le feu est le même suivant saint

Augustin :" Eodem igne purgatur justus et torquetur damnatus." Combien donc

n’est-ce pas une charité excellente d’apporter du soulagement à ces âmes

infortunées il ne s’agit pas seulement de nourrir un affamé de couvrir celui

qui man –



que de vêtements de délivrer un malade de sa fièvre mais de retirer des

malheureux de l’abîme immense de tous les maux cette charité est plus

précieuse encore si l’on considère le grand bien dont ces âmes vont être

mises en possession l’histoire a enregistré comme un prodige de bonté

l’action du grand Théodose qui tira de son abjection la pauvre jeune fille

Athénais pour la faire monter sur le trône impérial David a exprimé de mille

manières sa reconnaissance pour la divine miséricorde qui l’avait ôté à la

garde des troupeaux et établi chef de son peuple Oh combien meilleure est la

charité qui procure à une âme la possession de l’éternelle béatitude ne

pourrait-on pas dire dans un certain sens qu’elle est aussi élevée que le

bien même qu’elle assure ? il est vrai que nous ne pouvons guère en saisir

toute l’étendue ignorants comme nous le sommes de ces célestes profondeurs

mais ces âmes bénies sont placées mieux que nous pour cela elles savent tout

ce qui est caché sous ces simples mots voir Dieu face à face Dieu le premier

principe et la fin dernière s’unir entièrement à cet objet souverainement

aimable après lequel elles soupirent de tout ce qu’elles ont d’intelligence

et d’amour cette ardeur ce désir invincible cette flamme brûlante leur cause

un tourment plus insupportable que la flamme extérieure et vengeresse qui

les consume l’illustre Tertullien explique admirablement cette vérité par

l’exemple de Job image sensible de l’âme du Purgatoire ainsi que l’Eglise le

fait entendre elle-même en lisant son histoire dans l’office des morts tout

le corps de ce prophète de la patience était couvert d’ulcères douloureux

qui le



tourmentaient de la tête aux pieds et cependant celui de tous ses organes

qui le faisait le plus cruellement souffrir et dont il se plaignait le plus

haut c’était la vue qui n’aperçevait  plus le bien suprême (C. XVIII, 2 )

:"In amaritudinibus moratur oculus meus : cur faciem tuam abscondis ? Mon

oeil est plongé dans l’amertume : Oh! pourquoi me cachez-vous votre visage

?" Comme s’il avait dit : Mon supplice le plus amer c’est de ne vous voir

plus ; ô mon Dieu!"On plaint l’oeil tout entier dans les tourments" dit

encore Tertullien ainsi l’âme souffrante du Purgatoire n’a point de torture

qui l’éprouve autant que la privation de la présence visible de son Dieu les

autres peines auprès de celles-là ne lui semblent rien or que fait la

charité dont nous parlons ? elle met fin à cet état d’horrible souffrance

elle apaise cette soif ardente elle comble ces immenses désirs en leur

assurant la possession de leur céleste objet l’amour de Dieu y est

d’ailleurs intéressé lui-même directement Dieu veut souverainement avoir

auprès de lui ces âmes qu’il aime afin de les faire participautes de sa

gloire " Deliciae meae esse am filius hominum, dit-il au livre des

proverbes, VIII, 31 : Mes délices sont d’habiter avec les enfants des hommes

; " comme si la compagnie de ses créatures  ajoutait quelque chose à sa

félicité éternelle, et qu’il ne fût point complètement heureux tant qu’il ne

la communique pas ces âmes en effet sont ses chères filles les épouses du

Sauveur rachetées au prix de tout son sang et adoptées par lui il se réjouit

donc de les délivrer de la prison ou elles gémissent et de les introduire à

la lumière de son paradis pensez un peu quelle serait la consolation d’un

roi





 

 

1ère Merveille



éprouvent une entière contrition ; elles sont rentrées en grâce avec Dieu, auquel elles sont présentement agréables, ayant recouvré le titre de ses amies et de ses filles. Les pécheurs, eux, sont devant le Seigneur, comme des rebelles et des ennemis. Si donc la charité bien ordonnée veut que nous nous conformions à la très sage bonté de Dieu, il va de soi que nous devons nous attacher davantage à ceux qu’il aime, de préférence à ceux qui se déclarent en révolte contre lui. »

 Bertrand, toutefois, ne se rendait point à ces raisons. Une miraculeuse apparition le convainquit enfin. Dieu permit que la nuit suivante, en allant au chœur pour chanter l’office, il vit venir au-devant de lui une âme du purgatoire sous la forme d’un spectre horrible, chargé d’un poids qu’il ne pouvait soulevait. L’apparition s’approcha en se plaignant et en gémissant, et le chargea de cet insupportable fardeau, sous lequel le bon religieux succombait. Oh ! alors, comme dit Isaïe, « le tourment lui donna l’intelligence : Vexatio dedit intellectum ; » et il comprit qu’il devait faire davantage pour les âmes souffrantes. Le matin, dès qu’il le put, la compassion dans le cœur et les larmes aux yeux, il monta au saint autel en leur faveur, et il continua cette pratique le reste de sa vie.

 Le grand docteur saint Thomas d’Aquin paraît avoir tranché la controverse par ces lignes de la Somme théologique (Supp. « . quaest. 71. art. v. ad 3) : « Les suffrages pour les morts sont plus agréables que les suffrages pour les vivants, parce que les premiers se trouvent dans un plus pressant besoin, ne pouvant se secourir eux-mêmes comme ceux qui vivent encore. » Plusieurs autres docteurs enseignent la même chose, et on doit

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tout au moins conclure qu’il faut avoir en grande estime la prière pour les morts./

 

 

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2ème MERVEILLE

NE PAS SOULAGER LES DEFUNTS PAR LES AUMONES, C’EST SE PRIVER SOI-MEME DE GRANDS AVANTAGES SPIRITUELS

Noliesse pusillanismis, et facere elcemosypam ne despicias : Ne soyez point faible

de cœur, et ne méprisez point l’aumône. (Eccli, vii, 3)

 Le Docteur angélique, saint Thomas, préfère au jeûne et à la prière le mérite de l’aumône, quand il s’agit d’expier les fautes passées. « L’aumône, dit-il, (In 4, d. 15, q. 3), possède plus complètement la vertu de la satisfaction que la prière, et la prière plus complètement que le jeûne. » C’est pourquoi de grands serviteurs de Dieu et de grands saints l’ont principalement choisie comme moyen de secourir les défunts. Nous pouvons citer parmi eux, comme l’un des plus remarquables, le pieux Raban-Maur, premier abbé de Fulde, au IXè siècle, puis archevêque de Mayence. L’abbé Thrithème, écrivain distingué de l’ordre de Saint-Benoît, raconte que Raban avait prescrit aux économes de son monastère de faire constamment les plus abondantes largesses aux pauvres. Cependant, le procureur de l’abbaye, appelé Edédard, trop attaché aux biens de ce monde et moins préoccupés par des indigents,

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retenait souvent la part qui leur était destinée. Le saint abbé avait, de plus, et du commun consentement, décrété que, chaque fois que l’un des religieux passerait à une meilleure vie, sa portion serait pendant trente jours distribuée aux mendiants, afin que l’âme du défunt fût soulagée par cette aumône. L’avare procureur omettait cette distribution, ou bien la remettait au-delà du trentième jour, malgré la tradition ancienne observée par saint Grégoire-le-Grand, qui marque ce temps comme le plus propice aux suffrages pour les morts. Il arriva, l’an 830, que le monastère de Fulde fut éprouvé par une sorte de contagion, qui emporta le bon nombre de moines, et même l’un des supérieurs. Raban-Maur, plein de zèle et de charité pour ces chères âmes, fit venir Edédard, et lui rappela la pieuse pratique. « Ayez grand soin, lui dit-il, que nos constitutions soient fidèlement observées, et qu’on gratifie les pauvres, durant un mois entier, de la nourriture destinée aux frères que nous venons de perdre. Si vous y manquiez, vous seriez très-coupable devant Dieu, et certainement, il vous en punirait. » Le procureur promit d’obéir.

 Mais, hélas ! combien fatale est la passion de l’avarice, dans un homme consacré à Dieu surtout ! Edédard, qui en était dominé, qui avait le cœur étroit et la main serrée, ne fit point ce qu’il devait, priva les pauvres et resta sans pitié pour les âmes de ses frères. Dans la crainte, tout à fait déraisonnable, que les vivants ne vinssent à manquer, il négligea à la fois les indigents et les défunts. La justice divine ne laissa point impunie cette infidélité.

 Un jour qu’il avait été accablé d’affaires, le soir venu,

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comme les religieux s’étaient déjà retirés, il traversait la salle du chapitre, tenant une lanterne à la main. Quel fut sont étonnement de voir l’abbé, avec une quantité de moines, assis à leurs places, tenant conseil malgré l’heure avancée ! Il ne comprenait pas le sujet d’une réunion semblable, à pareil moment, lorsque, regardant plus attentivement, il reconnut le supérieur défunt, avec les autres religieux défunts aussi. Il est difficile d’exprimer la terreur dont il fut saisi ; un froid glacial, qui courut aussitôt dans ses veines, le cloua à sa place, comme une statue sans vie. Mais cette terreur était peu de chose auprès de ce qui lui était réservé. Le supérieur et quelques un des morts, se levant, vinrent à lui, le dépouillèrent de son habit et se mirent à le frapper à coups de fouet avec tant de violence, qu’il resta privé de sentiment. En même temps, il lui disaient : « Reçois, malheureux, reçois le châtiment de ton avarice ! tu en éprouveras un plus terrible dans trois jours, lorsque tu seras descendu dans la tombe avec nous. Alors le suffrage qui t’est réservé sera appliqué à ceux que tu as privés des leurs. » Puis tout disparut. Pour lui, il était couvert de sang et de plaies.

 Il fut trouvé dans cet état par la communauté, au moment où elle se rendait au chœur, après minuit. On le porte à l’infirmerie à moitié mort, et on s’empresse de lui prodiguer tous les soins que réclamait sa position. Mais lui, dès qu’il put parler : « Hâtez-vous, s’écria-t-il, appelez tout de suite le père abbé : j’ai plus besoin des remèdes de l’âme que de ceux du corps. Ces membres ne sauraient plus guérir ! » Dès que l’abbé fut venu, en sa présence et devant toute la maison, il raconta le terrible événement, dont l’état où il était

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rendait un trop sensible témoignage. Quand il eut ajouté qu’il devait paraître au tribunal de DIEU dans trois jours, il supplia qu’on lui administrât les derniers sacrements, en protestant de tout son regret. Il les eut à peine reçus, avec les marques d’une grande dévotion, qu’il commença à baisser, jusqu’au moment où il expira, le troisième jour, au milieu des prières de ses confrères et des exhortations de l’abbé, qui lui rappelait les miséricordes de DIEU et la confiance qu’il faut avoir en lui.

 On chanta aussitôt la messe des morts, et on distribua, selon l’usage, la part des pauvres. La punition n’était pas finie cependant. Le défunt apparut à Raban, pâle, défiguré. L’abbé, frappé, de cette vision, lui demanda ce qu’il y avait à faire pour lui. « Ah ! répondit l’âme infortunée, les prières de notre sainte communauté m’ont procuré du soulagement, mais je ne puis obtenir ma grâce entière avant la délivrance de tous ceux de mes frères que mon avarice a frustrés des suffrages qui leur étaient dus. Ce qu’on a donné aux pauvres en mon nom leur a profité, et non point à moi, selon l’ordre de la divine Justice. Je vous supplie donc, mon père, vous qui êtes si bon, qui m’avez accordé tant d’intérêt pendant ma vie, de faire redoubler les aumônes. J’espère que moyennant cela la clémence du Seigneur nous délivrera tous, eux d’abord, et moi ensuite.

 Raban-Maur le promit, et la chose fut faite. Un autre mois était à peine écoulé, qu’Edédard lui apparut de nouveau, vêtu de blanc, entouré de rayons lumineux, la joie peinte sur le visage. Il rendit au monastère les actions de grâces les plus touchantes pour la charité

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dont on avait usé envers lui, assurant qu’au ciel, où il s’envolait, il ne cesserait de conjurer le Dieu de toute bonté pour ses bienfaiteurs.

 Combien d’utiles réflexions se présentent à l’esprit à la lecture de cette histoire ! On y voit, premièrement, que les pauvres âmes du purgatoire ne peuvent rien pour elles-mêmes ; et Dieu permet, dans cette circonstance, qu’elles viennent châtier l’oubli qu’on fait de leurs peines. Secondement, dans l’application des suffrages le Seigneur fait quelquefois une exception contre celui qui a démérité d’une manière spéciale, alors surtout qu’on a manqué aux devoirs de prières et de bonnes œuvres envers les autres, ce qui rend indigne de recueillir pour soi-même un fruit si précieux. Troisièmement, nous devons exciter en nous un grand zèle pour ces bonnes et tristes âmes, à l’exemple des religieux de Fulde, toujours empressés dans cet exercice de charité. L’historien que nous citons ajoute qu’ils portaient cette affection si loin, que chacun se privait encore d’une partie de ses aliments pour les distribuer aux mendiants à la même intention

(V. Trithemus, Vita-Bab-Mauri, I. II ; Théophile Raynaud, jésuite, Heter. Spirit., p.2, sect. 3, punct. 7)./

 

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3ème Merveille

DIEU EXAUCE LES PRIERES DES COMMUNAUTES FERVENTES EN FAVEUR DES DEFUNTS

Oculi Domini super justos, et aures ejus in preces corum : Les yeux du Seigneur sont ouverts sur les justes ; et son oreille est attentive à leur prière (XXXIII, 16)

Saint Chrysostome expose quelque part, en développant les promesses de Jésus-christ à ceux qui sont rassemblés en son nom, combien sont bonnes et profitables les prières des communautés ferventes, vivant dans la pratique de l’oraison et de la pénitence. « Dieu lui-même, dit-il, atteste souvent dans la divine Ecriture qu’il a les oreilles attentives à ceux qui se sont réunis pour le prier. » On en vit une preuve for touchante dans une chartreuse d’Angleterre, comme je vais le raconter.

Un personnage de haute noblesse et de richesses considérables, étant mort dans ce pays, laissait un fils que cette perte avait cruellement affecté, et qui, plein de zèle pour le salut de celui qu’il aimait à si juste titre, se rendit aussitôt chez les chartreux. C’était dans leur église que s’était fait l’office des funérailles. Il présenta au prieur une grosse somme d’argent, à titre d’aumône, avec prière à la communauté d’avoir un souvenir devant Dieu pour l’âme de son cher défunt. A l’instant, les religieux sont convoqués au chœur : « Ser-

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-viteurs de Dieu, leur dit le prieur, unissons nos prières en faveur du défunt qui a été enterré ici dernièrement , ce jeune homme, qui nous fait une offrande considérable, nous le demande. » Les moines alors entonnèrent d’une seule voix le Requiscat in pace, auquel le supérieur répondit Amen, puis chacun se retira en silence dans sa cellule.

Le bienfaiteur restait tout étonné. « C’est bien peu de chose, pensait-il : quoi ! pour une somme aussi importante, un seul Requiscat in pace ! » Il s’approche donc du prieur avec modestie, et lui dit d’un ton de plainte respectueux : « C’est là tout, mon père ? et l’âme de celui que je pleure n’aura point d’autre suffrages, lorsque j’ai fait preuve envers vous de quelque générosité , » Le saint homme, surpris à son tour de cette question, lui répondit avec douceur : « Prétendriez-vous, mon fils, peser dans la même balance votre aumône, fût-elle un monceau d’or, et les prières de mes religieux, si courtes soient-elles , » ?  Non certes, reprit le jeune homme ; non, mon père, je n’entends point établir e comparaison. Cependant, je trouve que deux ou trois paroles sont bien peu de choses, et que j’ai fait davantage pour le monastère. ?  Je vois que vous doutez encore, mon enfant. Attendez un moment : vous allez, grâce à Dieu, vous assurer de votre erreur. »

Se tournant vers le père cellérier : « Allez, lui dit-il trouver l’un après l’autre nos frères dans leurs cellules ; dites-leur d’écrire sur un morceau de papier leur Requiscat in pace  et de me l’apporter tout de suite. » Il commanda en même temps à un frère convers d’aller prendre une balance. Il y mit, d’un côté, l’argent et l’or du jeune homme, et le poids emporta rapidement

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qu’il n’y avait point d’autre foi où l’on pût opérer son salut.  Puis il avait désavoué, avec tous les signes du repentir le plus sincère, les scandales de sa vie mondaine, l’oubli qu’il avait fait de ses devoirs ; accompagnant cet acte de soupirs et de gémissements, et assurant qu’il voudrait pour tout au monde verser sur ces malheurs des larmes de sang.  Une si vive et si noble contrition l’avait préservé de l’enfer, et, quand il s’était présenté au tribunal de Dieu, il avait trouvé un juge apaisé, mais non satisfait, qui lui faisait expier dans un douloureux purgatoire les restes de son infidélité.

Ceci nous montre, une fois de plus, l’inconcevable folie de ceux qui remettent leur conversion au dernier moment.

(V. Daniel, histoire d’Angleterre, l. v, ch. 7.)

IV MERVEILLE  CONTENU ERRONE

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Ve MERVEILLE

LA MISÉRICORDE ENVERS LES DÉFUNTS PROCURE LE SALUT DE L’ÂME, ET SOUVENT MÊME CELUI DU CORPS.

 

Benefacit unimæ suæ vir misericors.

L’homme de miséricorde assure le bonheur

de son âme. (Prov. xi, 29.)

 

Pour exciter la piété des fidèles à prier en faveur des âmes de ceux qui ont été mis à mort par la justice humaine, et qui souffrent dans les flammes de l’expiation, il n’est peut-être point de trait plus pathétique que celui-ci.

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Il y avait aux environs de Rome, vers l’an 1620, un jeune homme de vie dissolue et scandaleuse, qui était devenu à cause de cela un objet à la fois d’horreur et de terreur.  Ses excès, ses violences continuelles lui suscitèrent des ennemis décidés, qui résolurent de lui arracher la vie.  Le malheureux, au milieu de ses désordres, avait conservé une grande compassion pour les âmes du purgatoire, pour lesquelles il faisait dire de temps en temps des messes, ou donnait l’aumône ; il priait même pour elles avec toute la ferveur dont il était capable, dans ce triste état de conscience.  Cette unique dévotion devait lui sauver miraculeusement la vie de l’âme et celle du corps.

Un soir qu’il se rendait à Tivoli, monté sur un bon cheval, pensant échapper aux embûches qu’il savait dressées contre lui, il se trouva au contraire qu’il marchait juste au-devant d’elles.  En effet, n’ignorant pas qu’il devait passer par là, ils s’étaient placés en embuscade armés d’arquebuses, derrière un petit bois, et attendaient son arrivée pour le tuer.  Il approchait rapidement de ce lieu, quand il aperçut au-dessus de sa tête les membres d’un criminel attaché aux branches d’un chêne pour l’exemple des malfaiteurs.  Emu de pitié, il s’arrête afin de réciter quelques prières, suivant sa coutume, pour cette pauvre âme abandonnée.  Mais voici que, comme il priait, une merveille inconcevable frappe ses yeux, aux derniers rayons du jour : ces membres décharnés, desséchés, séparés, se rejoignent, tombent à terre, s’animent, s’approchent du cavalier sous une forme vivante.  Il restait à sa place, cloué par la terreur.  Le fantôme prend la bride du cheval et dit au jeune homme :  « Descends et me laisse

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monter un moment ; il y va de ton salut ! tu vas m’attendre ici ; je ne serai pas long.  »  Tel était son saisissement, que, sans proférer une parole, il descend et laisse son cheval aux mains du cadavre ressuscité, qui y monte et le lance en avant.

Au bruit qu’ils entendent, les ennemis s’apprêtent, dressent leurs arquebuses, les déchargent, et, voyant tomber le cavalier, s’enfuient au plus vite, avant que le coup n’attirât du monde et ne les fit découvrir.  Ils étaient sûrs d’avoir enfin tué leur homme.  Ils se trompaient.  Tout tremblant, hors de lui, celui-ci n’avait pas bougé, lorsqu’il vit revenir le spectre, lequel s’arrêtant lui dit :  « Tu viens d’entendre cette décharge d’arquebuses ; elle t’était destinée : tu serais mort infailliblement : mort quant à la vie présente, mort quant à l’âme.  Les âmes souffrantes du purgatoire, pour lesquelles tu as une compatissante dévotion, ont obtenu de Dieu que je vinsse à ton secours dans cet extrême péril.  Reconnais cet immense bienfait, en continuant de prier pour elles, mais plus encore en changeant de vie et en te conduisant désormais comme il convient à un chrétien. »

Ce discours fini, le cadavre reprit sa place, comme si une invisible main le rattachait aux branches.  Quant au jeune homme, il n’est pas besoin de s’étendre sur la révolution qui s’était opérée en lui.  Peu de jours après, il se décida à dire adieu au monde pour faire pénitence dans un ordre austère, où il vécut dans une grande perfection.

Combien donc est vraie cette parole de la divine Ecriture :  L’homme de miséricorde assure le bonheur de son âme !

(V. J.-B. Manni Sac. Trig., disc. 12)


6ème MERVEILLE

LE PURGATOIRE DES PAROLES INCONVENANTES.


Ex verbis tuis condemnaberis :  Vous serez

Condamné sur vos paroles. (Matth. XII, 37.)

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 Saint Ambroise recommande fortement aux vierges consacrées à Dieu l’observation rigoureuse du silence, principalement lorsqu’elles sont au chœur pour le chant des louanges divines, parce que, dit-il, « l’époux céleste, quand il vient, n’entre dans une âme qu’autant que les portes en sont fermées aux discours profanes :  Sponsus vult clausam esse januam, cùm pulsat : janua nostra os nostrum est ; Christo propemodiùm soli debet aperiri : Notre porte, c’est la bouche, et elle ne doit s’ouvrir que pour le Seigneur. » (De Virg., v.) Césaire nous apprend, par un mémorable exemple, combien les conversations dans le lieu saint déplaisent à Dieu.  Voici ce trait.

 Dans un monastère de l’ordre de Citeaux, appelé Saint-Sauveur, deux jeunes filles de riches maisons firent profession et vouèrent à Dieu leur virginité.  L’une avait nom Gertrude, l’autre Marguerite.  On les avait placées, au chœur, l’une à côté de l’autre.  La première, Gertrude, quoique très vertueuse, avait le malheureux défaut du bavardage, et rompait souvent le silence, faute dans laquelle elle entraînait sa compagne ; ce qui lui attira un sévère châtiment après sa mort.  Une maladie l’emporta à la fleur de ses années.  On l’avait

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enterrée, suivant l’usage, au fond de l’église. Or, un

soir que les religieuses étaient réunies à chanter l’office,

la voici qui apparaît devant l’autel, y fait la génuflexion

accoutumée et va s’asseoir auprès de Marguerite. La

bonne sœur, à cette vue, est saisie de frayeur, devient

pâle, tremblante, prête à défaillir. On s’empresse autour

d’elle, on s’informe du mal qu’elle éprouve, on lui pro-

digue mille soins. Alors, sans dire un mot, elle se pros-

terne aux pieds de l’abbesse, lui demande sa bénédiction

et commence à raconter ce qui lui est arrivé. La dé-

funte, ajoute-t-elle, aussitôt après l’office des vêpres et

pendant qu’on récitait l’oraison, s’était levée, avait fait

une grande inclination jusqu’à terre et avait disparu.

La prudente supérieure, craignant que tout cela ne

fût le jeu d’une imagination troublée, ou bien quelque

illusion du démon, lui donna cette consigne : « Si

Gertrude vous apparaît encore, vous lui direz Benedi-

cite, à quoi elle répondra, suivant notre usage, Domi-

nus : nous lui demanderez alors d’où elle vient et ce

qu’elle veut. »

 Le jour suivant, à la même heure, nouvelle appari-

tion. Marguerite la salue : « Benedicite ! – Dominus !

répond le fantôme. – Ma chère sœur Gertrude, pour-

suit la religieuse, d’où venez-vous à cette heure et que

voulez-vous ? – Je viens, dit-elle, satisfaire à la justice

divine dans le même lieu où j’ai péché avec toi, lorsque

j’ai tant de fois rompu le silence et te l’ai fait rompre

pour des choses futiles, pendant les saintes cérémo-

nies. Le Seigneur équitable veut que je m’acquitte en-

vers lui à l’endroit et dans les circonstances où je l’ai

offensé. Oh ! si tu savais combien je souffre ! Je suis

tout  environnée de flammes ; ma langue surtout en est

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consumée, sans que je trouve le moindre soulagement.

Ma bien-aimée sœur, profite de mon exemple ; mets un

frein à tes paroles ; oublie que je t’ai donné ce scandale

et n’y entraîne personne à  ma suite, parce qu’un sup-

plice pareil te serait réservé. » Elle disparaût.

 Plusieurs fois encore, elle revint réclamer les prières

des religieuses, jusqu’à ce que, délivrée par leurs suf-

frages, elle dit à sa compagne un tendre adieu et se

dirigea, sous ses yeux, vers le tombeau où on l’avait

ensevelie ; elle en souleva la pierre et s’y coucha pour

toujours.

 Ces différentes émotions agirent si fortement sur

Marguerite, qu’elle tomba dans une grave maladie et

ne tarda pas à être à toute extrémité. On la crut même

morte. Mais ce n’était qu’une sorte d’extase, durant

laquelle il lui fut révélé des choses admirables de l’au-

tre vie. Elle les raconta, quand elle fut revenue à elle,

à des sœurs étonnées, et les exhorta à marcher de plus

en plus dans la voie courageuse de la mortification des

sens. De son côté, elle devint d’une scrupuleuse exacti-

tude à la règle du silence, ayant toujours présent à

l’esprit le châtiment infligé à sœur Gertrude. Elle veil-

lait tellement sur ses paroles, qu’on aurait pu lui appli-

quer le mont du Prophète royal : « Dixi : custodiam vias

meas ut non delinquam in linguâ meà posui ori meo

custodiam : Je me suis promis de veiller sur moi, afin de

ne point pécher par ma langue, et j’ai mis une barrière

à mes lèvres. »

  (V.Césaire, Illustr. Mirac., I, XVIII, ch. 36, Alexis

  Segala, Triumph. Purg. , p.II, c. 24, n. 32.)

 

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7ème Merveille        UNE AME DU PURGATOIRE RAPPELEE A L’EXPIATION

SUR LA TERRE.


 Dedi illi tempus ut paenitentiam ageret : Je lui ai accordé du temps pour faire Pénitence. (Apocal. II, 21)

Oh ! que ne donneraient pas les âmes du purgatoire

pour avoir quelques moments de ce temps dont nous

prodiguons les heures dans des occupations inutiles et

dans les vanités terrestres ! Quelles pénitences, quels

travaux n’entreprendraient-elles pas volontiers, avec

empressement, pour s’épargner seulement quelques

minutes de leurs cruelles tortures ! Citons un nouvel

exemple, plus admirable à la vérité qu’il n’est imitable,

celui de la vénérable vierge Angèle Tholoméi, domi-

nicaine.

 Elevée dès le premier âge dans l’amour de la vertu,

elle fit, par sa correspondance à la grâce, de rapides

progrès dans la perfection. Bientôt elle tomba dange-

reusement malade. Quand elle vit qu’il n’y avait plus

d’espérance du côté de la science humaine, elle eut

recours à son bienheureux frère, J.-B. Tholoméi, dont

la sainteté était déjà célèbre ; mais les ferventes oraisons

de ces deux âmes n’obtinrent point ce qu’elles dési-

raient, DIEU ayant d’autres desseins sur sa servante.

On peut dire ici, comme saint Augustin au sujet de

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Lazare : « Distulit sanare infirmum, ut resuscitaret mor-

tuum : Il tarde de guérir le malade, afin de ressusciter

le mort »

 Angèle était donc près de rendre le dernier soupir,

lorsqu’elle eut une vision. Il lui sembla qu’elle était

transportée dans une lieu très-vaste, où étaient repré-

sentées au vif toutes les peines du purgatoire. C’étaient

les tourments les plus variés : ici, des flammes arden-

tes ; là, des étangs de glace ; ailleurs, du soufre bouil-

lant, des roues à pointes de fer rougies au feu ; des

bêtes féroces à la dent aiguë, et cent autres supplices

dont la seule idée fait frémir. Il lui fut montré en quel

lieu son âme, qui allait sortir de son corps, allait se

rendre pour expier certains défauts qu’elle n’avait pas

assez combattus durant sa vie. En un mot, tel fut cet

horrible spectacle, que, lorsqu’elle retrouva sa connais-

sance, elle frémissait de la tête aux pieds. Elle raconta

tout à son saint frère, le suppliant de lui obtenir par

ses prières assez de vie pour se purifier de ces fautes

et éviter de pareils tourments.

 Malgré ces désirs et ces supplications, le Seigneur

marqua le moment final, et elle expira. Mais, pendant

que l’on portait son corps en terre, le bienheureux

Jean-Baptiste, mu par une inspiration d’en-haut, com-

manda à sa sœur, au nom de JESUS-CHRIST , de quitter

les ombres de la mort et de reparaître vivante. O pro-

dige ! à l’instant le corps s’agite, la tête se lève, la

défunte est ressuscitée !

 Elle savait à quel dessein le Ciel avait permis pour

elle un tel miracle. Aussi n’eut-elle plus d’autre souci

que de faire pénitence. Elle ne se contentait pas des

austérités aordinaires, cilices, disciplines, veilles pro-

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Longées, jeunes rigoureux ; tout cela lui paraissait insignifiant auprès de ce qu’elle avait vu, mais elle demandait à l’eau et au feu une expiation plus complète : au milieu de l’hiver elle se plongeait dans une étang glacé ; d’autre fois, elle se mettait dans les flammes et y restait plusieurs secondes, malgré les plus cuisantes douleurs ; ou bien elle se roulait dans les épines jusqu’à rester tout en sang. Elle n’était attentive qu’a rechercher  les moyens de mortifier  sa chair, de la punir des moindres fautes. Elle ne se montrait pas moins avides des peines morales et des contradictions de toutes sortes. Elle était devenue un objet de pitié et presque d’horreur pour les témoins de son martyres. Plus d’une fois on lui conseilla de modérer ses austérités, on lui reprocha d’être trop cruelle pour elle-même. – « Ah ! Répondait-elle, qu’est-ce que tout cela, en comparaison des supplices réservés dans l’autre vie au infidélités qu’on se permet ici-bas si aisément ? Qu’est-ce que cela ? Qu’est-ce que cela ? Puissé-je en faire cent fois d’avantages ! » Et elle continuait. Enfin, semblable à l’or purifié par le feu, elle fut de nouveau appelée par le juge souverain au lieu du céleste repos, où elle s’envola, il faut le croire, sans passer par une expiation nouvelle. Combien ce trait nous devrait faire trembler ! Quoi ! Voilà une bonne religieuse, une fervente sœur Angèle, dans le travail de cette effroyable pénitence ; elle l’accomplit en tremblant et nous, pêcheurs, nous nous en dormons trantiquellement dans la mer de nos iniquités ! Quel sommeil ! Quelle illusion ! Quel endurcissement !

Frère Dominique-Marie Marchesi, Vie de la vénérable Angelae Tholomeae, 9 nov, au Diario Dominicano

 

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8e MERVEILLE

COMBIEN LES AMES DU PURGATOIRE SONT SOULAGEES PAR LE JEUNE ET L’ORAISON.

Le Seigneur exaucera vos prières, si vous persévérez dans la prière et le jeûne

(Judith IV, 12)

La charité doit porter tous les fidèles, sans exception, à s’intéresser aux souffrances des pauvres âmes qui expirent leurs péchés par le feu ; mais elle créé un devoir plus pressant encore s’il s’agit de parents, d’amis, de bienfaiteurs. La reine Gude, épouse de Sanche roi de Léon, l’avait compris.

Ce grand prince venait de triompher d’une révolte par la valeur de ses armes, et les rebelles étaient amenés à une entière soumission, lorsque leur chef Gonzalve, voyant qu’il ne pouvait résister à la force, appela la ruse à son secours. Il vint se jeter aux pieds du monarque, lui demanda humblement pardon et l’obtint. Admis dans l’intimité de Sanche, ou du moins dans ses bonnes grâces, le félon préparait une horrible trahison : il présente au roi un fruit empoisonné. A peine Sanche l’eut’il goûté que, se sentant mortellement atteint, il voulut être reporté tout de suite dans sa capitale ; mais il expira en route. Ce fut une grande désolation par tout le royaume, où Sanche était fort

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aimé ; comment peindre de la douleur de sa femme Gude ? Elle ne cessait de pleurer, de gémir, de plaindre la victime d’une si lâche perfidie. Mais, comme elle était chrétienne, elle s’occupa surtout de prier et de faire prier pour défunt ; c’est en cela qu’elle plaça le plus grand luxe de ses funérailles, qui eurent d’ailleurs toute la pompe ordinaire pour de tels personnages. Le corps avait été porté au monastère de Castillo, où l’on célébra quantité de messes. La pieuse veuve ne voulut point s’éloigner de ces chères dépouilles ; elle déposa son diadème et prit le voile de la pénitence parmi les religieuses, accompagnée dans ce sacrifice par plusieurs dames de la cour. Elle se dévoua ainsi à Dieu et aux œuvres saintes, principalement en faveur de son époux défunt.

La nuit aussi bien que le jour, elle faisait monter au ciel les plus ardentes prières ; mais le samedi jour consacré à la divine Marie, elle redoublait ses oraisons, ses pénitences, ses aumônes, la rigueur de son jeûne, afin de délivrer cette âme des tourments du purgatoire, si elle y était encore détenue. Un samedi qu’elle était agenouillée devant l’autel de la Reine du ciel et qu’elle s’acquittait avec ferveur, de ce touchant devoir, Sanche lui apparut. Il était couvert d’habits de deuil et avait pour ceinture un double rang de chaînes rougies par le feu. Il commença par remercier Gude de ce qu’elle faisait pour lui et la supplia en même temps de continuer cette œuvre de charité, et même de faire davantage si elle pouvait. « Ah ! lui dit-il s’il m’était donné ma chère épouse, de vous faire connaître  mes supplices que j’endure dans le purgatoire, combien s’augmenterait votre zèle pour celui que vous aimez encore ! Par

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les entrailles de la divine miséricorde, secourez-moi, Gude, secourez-moi ! Je suis dévoré dans ces flammes, Crucior in hac flamâ »

On le pense bien, il n’en fallait pas tant pour ranimer le zèle de pieuse femme ; redoubla de ferveur, de prières, de suffrages de toutes sortes, par elle-même et par les autres. Pendant quarante jours sans interruption, elle ne faisait que verser des larmes afin d’éteindre de feu qui consumait son mari, multiplier les prières afin de faire tomber ses chaînes, répandre d’immenses largesses dans les main des pauvres afin de racheter les fautes pour lesquelles il souffrait. En outre, elle fit dire un grand nombre de messes, et fit présent pour cela d’un riche ornement, destiné à rehausser la pompe des cérémonies sacrées.

Au bout de ces quarante jours, un samedi encore, le roi lui apparut de nouveau, non-seulement délivré de ses liens brûlants, mais environné d’un éclat céleste, vêtu d’un manteau d’une éclatante blancheur, dans lequel Gude reconnut l’objet précieux qu’elle avait donné pour l’église et que Dieu avait miraculeusement appliqué au salut de Sanche et à son triomphe. – « Me voici, lui dit-il  d’un air heureux ; je suis libre ; grâce à vous, pieuse reine, je n’ai plus à souffrir. Soyez bénie à jamais ! Persévérez dans vos saints exercices. Méditez les peines de l’autre vie, et plus encore la gloire du paradis, où je vais vous attendre et où je serai votre protecteur. » Gude tendit les bras vers lui, mais elle ne put le toucher ; seulement, elle saisit l’ornement, qui resta en sa possession et qu’elle donna de nouveau à l’église de Saint-Etienne. Il en avait, en effet, disparu quoique enfermé avec soin, et on admira par quel pro-

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CHAPITRE IX  VIDE

CHAPITRE X    VIDE

 

11ème  Merveille

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occupons. On ne pourrait croire les pénitences et les austérités qu’elle s’est imposées pour elles, si le récit n’en était garanti par les historiens les plus dignes de foi. Ils racontent donc que l’âme de cette pieuse vierge, séparée de son corps, fut portée par les anges dans le purgatoire afin de voir les souffrances qu’on y endure, et qu’elle en prit une compassion inexprimable. De là, elle fut ravie au ciel, dans la gloire immortelle des élus, et, présentée à la divine Majesté, elle entendit ce discours : "Christine, te voici au séjour de la félicité qui ne finit plus ; je te laisse le choix, ou bien de vivre dès aujourd’hui éternellement parmi les bienheureux, ou de retourner sur la terre pendant quelques années, obtenir des mérites, par tes expiations, en faveur des pauvres âmes que tu as contemplées au lieu de la douleur. Si tu préfères le premier parti, tu es au port, tu n’as plus rien à craindre ; si c’est le second, retourne dans ton corps pour y endurer le martyre de la charité, soulager des malheureux et embellir d’autant ta couronne".

 La généreuse fille répondit : "Retournons donc, ô Seigneur, retournons à souffrir, à me sacrifier pour les âmes des défunts ; je ne refuse pour cela aucun calice d’amertume, aucun martyre".

 Elle ressuscita, en présence de tous ceux qui étaient venus l’ensevelir, et aussitôt commencèrent les pénitences les plus épouvantables, dont on ne lit point les détails sans frémir. C’était peu pour elle de rester plusieurs jours de suite dans un jeûne absolu, de se rouler parmi les épines, de châtier ses membres délicats par des disciplines affreuses ; elle se jeta plusieurs fois dans des brasiers ardents, d’où elle ne pouvait sortir vivante

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que par miracle, et, à peine retirée, elle courait se plonger jusqu’au cou dans un étang glacé, où elle éprouvait d’indicibles angoisses. Elle s’exposait, dans cette ardeur sainte, aux roues des moulins, aux dents de fer des machines, à tout ce qui pouvait torturer ses sens et expier les délicatesses des autres. Ce qui l’encourageait dans ces rigoureuses pratiques et les lui rendait douces (nous n’en citons qu’une bien faible partie), c’est que Dieu permettait aux âmes qu’elle délivrait de lui apparaître et de la remercier l’une après l’autre ; elles se manifestaient quelquefois par troupes entières, et cette vue donnait à Christine un courage surnaturel.

 Rappelons une seule de ces apparitions. Louis, le comte de Léon, dans la basse Allemagne, seigneur vaillant et renommé dans les conseils, avait pour Christine une grande vénération, et écoutait volontiers les reproches qu’elle lui adressait au sujet de bien des écarts auxquels il s’abandonnait. Etant tombé malade et en danger de mort, il expédia un messager pour la supplier de venir : car il désirait ardemment s’entretenir avec elle des intérêts de son âme, avant de paraître devant Dieu. Elle ne fut pas plus tôt venue, qu’il se jeta à ses pieds et lui dit, au milieu de ses larmes et de ses gémissements : "Vous savez bien déjà, servante de Dieu, quel grand pécheur je suis. Dans peu de temps, d’heures peut-être, il va me falloir rendre compte au Juge suprême de mes coupables et nombreuses fautes. Ah ! vous qui êtes si fidèle au Seigneur, conjurez-le, au nom de sa miséricorde, de m’accorder un acte de vraie contrition, afin que mes péchés me soient remis ; et puis, par vos suffrages, je vous en supplie, obtenez à

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cette pauvre âme quelque diminution dans les peines qu’elle mérite". La vierge compatissante pria avec toute la ferveur dont elle était capable, et Louis, plein de regrets, réconcilié par une bonne confession, rendit l’âme à son Créateur.

 Il ne tarda guère à apparaître à Christine et lui dit : "O servante de Jésus-Christ, si vous saviez à quels tourments ineffables je suis condamné, combien vous auriez pitié de moi ! Je vous conjure de nouveau, par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, de redoubler votre intercession en ma faveur, afin que je sois délivré". Christine, touchée de pitié, lui répondit : "Allez en paix, âme souffrante : je m’offre à endurer dans mon corps la moitié des tourments qui vous seraient infligés encore par la justice divine".

 Elle s’adonna donc à des pénitences nouvelles, effroyables, le feu, l’eau, la glace, etc. Elle allait sur les lieux mêmes où elle avait entendu dire que Louis se livrait à des plaisirs défendus lorsqu’il vivait, et là, par ses larmes, par le sang qu’elle tirait de ses veines, elle cherchait à expier. Elle continua ainsi, épouvantant tous les témoins de son courage et de sa charité, jusqu’à ce que le défunt se montra à elle de nouveau, mais cette fois environné de gloire. Il lui rendit de grandes actions de grâces de ce que, par ses souffrances, il était acquitté envers l’éternelle justice et montait dans les splendeurs de la patrie. Christine, ravie, l’y accompagna du regard, et cette nouvelle joie lui fut une compensation de tout ce qu’elle s’imposait de privations et de misères.

(V. S. Surius, Vie de Christine-l’Admirable, 23 juin ; Denys-le-Chartreux, De quatuaor novissimis, ch. 50).

 

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12ème Merveille

LA MERE DE DIEU MERE DES AMES DU PURGATOIRE.

 

Ego mater pulchroe ditertionis et sanctus Spei : Je suis la mère du bel amour et de la sainte espérance? (Eccli. XXIV, 24).

 

 Ce beau nom de Mère des âmes du purgatoire, la Reine du Ciel se le donne à elle-même, dans les Révélations de sainte Brigitte : "Je suis, dit-elle à cette sainte, la mère de tous ceux qui sont dans le lieu de l’expiation ; mes prières adoucissent les châtiments qui leur sont infligés pour leurs fautes( liv. IVè, c. 1, 38)".

Et certainement si les saints du paradis peuvent par leur intercession obtenir la grâce de ces âmes, qui osera nier que Celle qui est tant au-dessus d’eux ne jouisse de ce privilège à un bien plus haut degré, alors surtout qu’elle est appelée par l’Eglise Consolatrice des affligés, Mère de la miséricorde ? Saint Pierre Damien rapporte l’apparition d’une personne sortie du purgatoire, qui assurait que dans la fête de la glorieuse assomption de Marie il avait été délivré plus d’âmes (Opusc. "’, 2è p., c. 3). Il raconte, en outre, le mémorable exemple d’un prêtre à qui il fut donné de voir une admirable chose dans la basilique de Sainte-Cécile, l’une des plus célèbres de Rome.

 Il sembla à ce prêtre qu’il était tiré de son sommeil

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par un ami défunt et conduit dans cette église. Là, il aperçut une troupe de vierges saintes, Cécile, Agnès, Agathe, et autres, qui se groupèrent autour d’un trône magnifique, sur lequel la Mère de Dieu vint s’asseoir, environnée d’anges et de bienheureux qui lui faisaient la cour. Notre-Dame avait un visage majestueux à la fois et serein, qui faisait la joie de toute la sainte et silencieuse assemblée. Alors parut une pauvre petite femme en habits négligés, mais ayant sur les épaules des fourrures assez précieuses. Elle se mit humblement aux pieds de la céleste Reine, joignant les mains, les yeux pleins de larmes, et dit en soupirant : "Mère des miséricordes, au nom de votre ineffable bonté je vous supplie d’avoir pitié du malheureux Jean Patrizi, qui vient de mourir et qui souffre cruellement dans le purgatoire". Trois fois elle répéta la même prière, y mettant chaque fois plus de ferveur, sans recevoir aucune réponse. Enfin, elle éleva encore la voix et ajouta : "Vous savez bien, ô très-miséricordieuse Reine, que je suis cette mendiante qui, à la porte de votre grande basilique, demandais l’aumône, dans le cœur de l’hiver, sans autre vêtement qu’un misérable haillon. Oh! Comme je tremblais de froid : C’est alors que Jean, imploré par moi au nom de la vierge Marie, ôta de ses épaules et me donna cette précieuse fourrure, s’en privant lui-même. Une si grande charité, faite en votre nom, mérite bien quelque indulgence !"

 A cette touchante requête, la Reine du ciel jeta sur la suppliante un regard plein d’amour. "L’homme pour lequel tu pries, lui répondit-elle, est condamné pour longtemps à de rudes souffrances à cause de ses nombreux et graves péchés. Mais, comme il a eu deux

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vertus spéciales, la miséricorde envers les pauvres et la dévotion pour mes autels, je veux user de condescendance".

 Des autres bienheureux qui étaient présents intercédèrent à leur tour. Marie ordonna qu’on amenât Patrizi au milieu de l’assemblée : aussitôt, une troupe de démons l’introduisirent, pâle, défiguré, chargé de chaînes qui lui déchiraient les membres. La Sainte Vierge leur commanda de le délier à l’instant même et de le mettre en liberté, afin qu’il pût se joindre aux saints qui faisaient la couronne de son trône. Quand cet ordre eut été exécuté, tout disparut, et l’église rentra dans son silence ordinaire.

 Le bon prêtre qui avait joui de cette vision ne cessa plus, à partir de ce moment, de prêcher en tous lieux la clémence de la divine Marie envers les pauvres âmes qui n’ont pas encore acquitté toute leur dette, pourvu qu’elles aient été charitables et qu’elles l’aient servie.

 

(V. Pierre Damien, Opusc., 34 c. 4 . Théophile Raynaud, Heter. Spirit. 2è partie, sect. 3, 2è point q. 2).

 

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13ème Merveille

DIEU ACCORDE A SES SAINTS DE GRANDES GRACES

EN FAVEUR DES AMES DU PURGATOIRE.


Mirificavit Dominus sanctum suam ; Dominus exaudict me cum clmavero ad eum : Le Seigneur a exalté son serviteur ; il m’exaucera lorsque je crierai vers lui (PS. IV. 4).

Il ne serait pas inutile d’examiner ici, comment et par quels suffrages les bienheureux déjà couronnés peuvent secourir les âmes de l’Eglise souffrante. Il est certain, et tel est l’enseignement des maîtres de la théologie saint Augustin et saint Thomas, que les saints sont très puissants à cet égard par voie de supplication, ou, comme on dit, d’impétration. C’est tout ce qu’il nous suffit de savoir, et nous nous bornerons à rapporter un nouvel exemple de ce pouvoir dans la personne du roi de France Dagobert 1er. Le récit est emprunté à Théophile Raynaud, qui ajoute, à titre de confirmation, que les détails en sont sculptés sur le tombeau du prince dans la basilique royale de Saint-Denys près Paris. (1) Dagobert avait construit cette église en 636, et on y a depuis enseveli les Rois Très-Chrétiens.

 Ansoald, évêque de Poitiers, avait fait le voyage de

 

(1) Ces sculptures s’y voient encore aujourd’hui, et les archéologues les considèrent comme symboliques. (Trad.).

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Sicile pour s’acquitter d’une ambassade et traiter quelques affaires de son Eglise. Comme il revenait satisfait, se dirigeant vers Marseille, une tempête s’éleva, qui le força de s’arrêter dans une petite île à moitié déserte. Là vivait en ermite un fidèle serviteur de Dieu, qui s’appelait Jean et qui était en lointaine réputation de sainteté ; on venait de toutes parts se recommander à ses prières et réclamer son intercession, à laquelle on attribuait des miracles nombreux. Ansoald, quittant le vaisseau, se rendit à cet ermitage et se plut à interroger le pieux solitaire sur les choses célestes, et spécialement sur la gloire qui nous est réservée dans le paradis. Après ces conversations spirituelles, Jean s’informa du pays de l’évêque, du sujet de son voyage, de sa navigation, etc. Quand il eut appris qu’il était français, qu’il retournait de Sicile dans son diocèse et les autres particularités, il lui demanda s’il connaissait la vie édifiante du roi Dagobert. "Sans aucun doute", répondit le prélat  et il raconta tout ce qu’il en savait : que, après des guerres malheureuses, il s’était adonné à la piété, à la glorification de l’Eglise, à la construction de temples magnifiques et à l’embellissement des saintes cérémonies. Il parlait avec âme. Mais Jean l’interrompit bientôt : "Vous ignorez, ce semble, dit-il, que ce prince est passé à une meilleure vie ?" Comme l’évêque paraissait étonné de cette nouvelle, et même incrédule, l’ermite lui raconta une vision qu’il avait eue. Un matin que, fatigué de ses longues veilles, il s’était laissé gagner par le sommeil, il avait vu paraître un vénérable personnage en cheveux blancs, qui, le secouant, lui disait : "Levez-vous tout de suite et vous mettez en oraison afin d’implorer la divine miséricorde en faveur du roi

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Dagobert, dont l’âme est sortie aujourd’hui même de son corps". Le serviteur de Dieu avait commencé effectivement à prier, lorsqu’il aperçut sur les flots de la Méditerranée une troupe de monstres infernaux qui semblaient conduire le prince dans une barque, par une permission spéciale du Seigneur. Ils le poussaient avec fureur vers l’île volcanique du Stromboli, d’où s’élancent des flammes continuelles, d’un cratère célèbre, et en même temps ils le frappaient avec beaucoup de cruauté, et de diverses manières. L’infortuné roi appelait à son secours, avec de grands cris, les martyrs Denys et Maurice, le saint évêque Martin, qu’il avait honorés particulièrement durant sa vie et auxquels il avait élevé trois magnifiques églises ; il espérait qu’ils le tireraient des mains de ses bourreaux. Un moment après, voici que le ciel se couvre, l’orage accourt, la foudre gronde, d’horribles éclairs sillonnent l’air et frappent les démons au visage ; puis, au milieu de la tempête, trois personnages vêtus de blanc, éclatants comme le soleil, se montrent à Dagobert et le regardent avec des marques de compassion. Il les interroge, toujours suppliant : "Oh ! qui êtes-vous ? Venez-vous me délivrer ?" Ils lui répondent qu’ils sont Denys, Maurice et Martin, qu’ils descendent à son appel et qu’ils le tireront de ce péril pour le conduire à l’éternelle félicité. Aussitôt, ils lèvent contre les esprits infernaux un bras menaçant, leur arrachent leur victime toute tremblante, les mettent en fuite ; après quoi, ils l’embrassent tendrement, le consolent et l’emportent avec eux au ciel en chantant avec le Prophète et d’une voix d’une angélique douceur : "Beatus quem elegisti et assumpsisty, Domine ! inhabitabit inotriis tuis ; replebi-

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tur in bonis domûs tuoe ; sanctum est templum iuum, mirabile in oequitate : Bienheureux, Seigneur, celui que vous avez choisi et attiré à vous ! il habitera dans vos parvis ; il sera rassasié des biens de votre maison ; votre demeure est sainte, et on l’admire parce que les justes seuls y sont reçus".

 Tel fut le récit du bon anachorète Jean, et c’est à la suite de la connaissance qui en fut répandue en France par Ansoald que l’on exprima sur le marbre de Saint-Denys toute l’histoire, afin que la mémoire en fût conservée et que les princes apprissent de-là à s’assurer la protection des saints en les priant et en honorant leurs autels.

 

(V. le chroniqueur bénédictin du XIè siècle, Aymon, Histoire des Français, liv. IV, ch. 24 ; Raynaud, Heter. Spirit., 3è p., sect. 3, 2è point, q. 2.).

 

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14ème Merveille

COMMENT LES PRIERES D’UN SAINT DELIVRENT

QUANTITE D’AMES


Millet tible auxilium de sancto : Dieu vous enverra son secours du fond du santuaire (PS. XIX, 3).

 Ce que nous venons de voir de la puissante intercession des saints en faveur des âmes du purgatoire, me remet en mémoire tout ce qu’a opéré dans le même genre le grand serviteur de Dieu Jean de Nivelle, cha-

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noine primicier de la cathédrale de Liège (1). Thomas de Catimpré s’étend au long sur les œuvres apostoliques de ce pieux personnage, qu’il loue extrêmement. Bornons-nous à ce qui touche notre sujet.

 Un prédicateur plein de zèle, prêchant en Angleterre, se livrait à des mouvements oratoires très vifs contre les impies qui osent outrager en face la divine Majesté. Une femme du monde, livrée à de grands désordres, assistait à ce sermon ; elle y fut tellement touchée de la grâce du Saint-Esprit et de la terreur des jugements de Dieu, qu’elle voulut donner devant tout le monde la preuve de son repentir et de sa contrition.

 "Mon père, s’écria-t-elle à haute voix et en versant des larmes, mon père ! la confession, la confession tout de suite pour cette malheureuse pécheresse !" Celui-ci, dans l’admiration de cette grande foi, l’invita cependant à se taire jusqu’à la fin du discours et à ne point troubler le recueillement des autres. Elle le fit pour un moment ; mais, le repentir oppressant de plus en plus son cœur, elle s’écria de nouveau : "Oh ! je vous en prie, serviteur de Dieu, descendez un seul instant pour me donner l’absolution des mes crimes, de mes énormes offenses !". Le prêtre lui imposa encore silence, ajoutant qu’il n’avait plus que peu de chose à dire, et qu’il serait ensuite à sa disposition, pour la consoler et rendre la

 

 

(1) C’est le même, dit-on, qui a donné lieu au proverbe si répandu du chien de Jean de Nivelle. Ce fidèle animal l’accompagnait dans toutes ses courses apostoliques, et devint à Liège une vraie célébrité. On le battait tellement, pendant la dernière maladie de son maître, pour l’empêcher de sauter sur son lit, qu’il finit par s’enfuir chaque fois qu’il apercevait un visage nouveau, quelques caresses qu’on lui fit. (Trad.).

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paix à sa conscience troublée. Il termina en récapitulant brièvement ce qu’il venait d’exprimer touchant la gravité du péché ; mais, à ce tableau qui la saisissait, cette femme se leva et recommença ses cris, comme hors d’elle-même : "Point de retard, mon père ! tout de suite, tout de suite ! la douleur me brise, et je me meurs…" Et, en effet, elle tombe sur le pavé de l’église et expire au milieu de ses sanglots.

 Grande fut la stupeur de l’assistance et le trouble du prédicateur. Il regrettait de ne s’être pas rendu immédiatement à la prière de cette pauvre pécheresse convertie qui soupirait après la parole du pardon. Après ce premier moment d’agitation, il se recueillit, et, s’adressant aux auditeurs, il leur demanda de se mettre en prières pour supplier la divine Majesté d’user de miséricorde envers cette âme et de daigner lui faire connaître en quel état elle se trouvait, afin qu’on pût mériter pour elle des suffrages si elle en avait besoin. Quant il fut rentré dans son monastère, il s’enferma dans sa cellule pendant trois jours, à prier continuellement, sans prendre ni repos ni nourriture; la troisième nuit, la défunte lui apparut toute glorieuse, le visage resplendissant d’allégresse, et elle lui dit : "Voici la pécheresse pour laquelle vous faites tant de prières : je suis délivrée des peines que m’avaient méritées mes innombrables fautes. Rendez plutôt d’éternelles actions de grâces à la bonté divine, qui m’a si promptement accueillie. Oui, je vole pour toujours dans le magnifique séjour du ciel, et j’y serai votre protectrice". Et comme le bon père paraissait douter de la vision et craindre que tout cela ne fût un rêve de son imagination, elle ajouta : "Afin que vous n’hésitiez point à

 

CHAPITRE XV    VIDE

CHAPITRE XVI     VIDE

CHAPITRE XVII

 

 

 

65

D’avoir péché par la langue, en prononçant des mots obscènes, des serments et des malédictions ; le troisième, d’avoir péché en actions, par toute espèce de souillures et larcins. L’ange prit sa défense et rappela les actes de vertu qu’il avait produits : les prières fervent souvent récitées, les aumônes abondantes distribuées aux malheureux, les jeûnes et les mortifications qu’il s’imposait au milieu même des camps. Il a jouta spécialement qu’au moment de la mort il avait recouru avec grand abandon à la Mère ses miséricordes, à la Reine du ciel, et qu’elle lui avait fait produire les actes d’une vraie contrition.

Après ce double plaidoyer, le juge souverain prononça que l’accusé serait exempt des peines éternelles, mais qu’il ferait un douloureux et long purgatoire, dans ce sens que l’expiation serait parfaitement conforme aux fautes commises. « Il faut, dit-il, que cette âme soit entièrement purifiée, et elle subira un châtiment en rapport avec ses faiblesses. La peine des yeux sera de contempler des objets affreux ; celle de la langue d’être percée de mille pointes et tourmentée de la soif ; celle du toucher, d’être plongé dans un océan de feu. »

A ce moment parut l’avocate des pêcheurs, la Mère de DIEU, pour demander en grâce à son divin Fils un adoucissement à tant de supplices réunis ; elle rappelait que ce soldat avait jeûné les veilles de ses fêtes, récité son office souvent, et recouru à sa protection par de dévotes prières. Le Sauveur, touché de cette intervention, consentit à adoucir la sentence, et ajouta que pour obtenir davantage encore il faudrait, de la part des vivants, des prières, des aumônes et des pénitences :

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La seconde vision fut celle d’une noble demoiselle, dont Brigitte vit les grands tourments et entendit les plaintes. La sainte était livrée à une haute contemplation lorsqu’elle se trouva tout à coup ravie extase en présence des peines de l’autre vie. Parmi bon nombre de personnes, elle observa une jeune fille de condition distinguée, qui se désolait au sujet de sa mère dont l’excessive indulgence, pire que la haine, l’avait laissée trop à elle-même et à ses goûts de dépense, de délicatesse et de vanité. En outre, elle l’avait conduite aux spectacles, aux festins, aux réunions mondaines et licencieuses. En un mot, au lieu de retenir une jeunesse déjà portée d’elle-même au plaisir et à l’oubli des devoirs sérieux du christianisme, cette mère aveugle l’avait pour ainsi dire introduite dans la vie légère et sans retenue qui ruine les âmes.

 Il est vrai, ajoutait la malheureuse condamnée, que ma mère me conseillait de temps en temps quelques actes de vertu et plusieurs dévotions utiles ; mais, comme d’autre part elle consentait à mes égarements, ce bien se mêlait au mal ; c’étaient des aliments, sains d’eux-mêmes, empoisonnés et rendus mauvais. Toutefois, je dois rendre grâces à l’infinie miséricorde du Sauveur, qui n’a pas permis ma damnation éternelle, que je méritais si bien par tant de fautes.

Avant de mourir, touchée de repentir, je me suis confessée ; et quoique cette conversion fût l’effet de la crainte, au moment où j’entrais en agonie je mes ressouvins de la douloureuse Passion du Sauveur, et cette pensée me porta à une sincère contrition. Je m’écriai donc, de cœur plus que de bouche : « Seigneur, JESUS, je crois que vous êtes mon DIEU. Ayez pitié de moi, ô Fils de la Vierge Marie, au nom de vos douleurs du Calvaire. J’ai un vif regret de mes péchés, et je souhaiterais de les réparer si j’avais pour cela du temps.

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En disant ces mots j’expirai. J’ai été  délivrée de l’enfer, mais précipitée dans les plus graves tourments du purgatoire. »

 

 Après ce discours, que DIEU fit entendre distinctement à la saintes, afin qu’il servit d’instruction à tous, l’âme continua d’expliquer ce qu’elle endurait en rapport avec ses fautes : « Maintenant, disait-elle, cette tête qui se plaisait aux parures et à la vanité, qui cherchait à attirer les regards, est dévorée de flammes à l’intérieur et à l’extérieur, et de flammes si cuisantes, qu’il me semble que je suis le point de mire de toutes les flèches du ciel. Ces épaules et ces bras que j’aimais à découvrir sont cruellement étreints dans des chaînes de fer. Ces pieds, ornés pour la danse, et objets de vanité, sont entourés de vipères qui les mordent et les souillent de leur bave immonde. Tous ces membres, chargés de colliers, de bracelets, de fleurs, de joyaux, se trouvent plongés dans des tortures qui leur font éprouver à la fois la consomption du feu et l’insupportable froid de la glace. »

 L’infortunée poursuivant ce tableau, afin d’émouvoir la compassion de Brigitte et d’obtenir ses suffrages. La sainte raconta tout à une cousine de la défunte qui s’abandonnait elle-même à la mondanité ; ce qui fit sur elle une telle impression, qu’elle commença par renoncer à ses vains ajustements, et plus tard se voua à la pénitence dans un ordre extrêmement austère, où elle n’avait de bonheur que dans les mortifications, les jeûnes et les prières, tant pour elle-même que pour soulager sa pauvre parente.

(V. Révélations de sainte Brigitte, liv. VI, ch. 38 et 52).

 

 

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19ème MERVEILLE

LE CIEL BENIT CEUX QUI PRIENT POUR LES MORTS

Bénis soyez-vous du Seigneur, vous qui avez exercé la miséricorde.

 

 Avant de quitter sainte Brigitte, je veux rapporter une autre de ses visions, qui montre clairement combien sont bénis des anges et des élus ceux qui s’occupent généreusement à prier en faveur des défunts. Ils reçoivent, à bien meilleur titre encore, l’expression ardente de la reconnaissance de David envers les habitants de Jabès : Bénis soyez-vous du Seigneur, vous qui avez usé de miséricorde envers votre maître Saül et qui lui avez donné la sépulture !

 Brigitte vit donc, une autre fois, ouvert devant elle le lieu où les âmes sont purifiées comme l’or dans le creuset, avant de monter au séjour de l’éternel repos. Elle y entendit la voix d’un ange qui disait parmi ses prières : « Béni soit celui qui, vivant encore sur la terre, aide les âmes de ses oraisons et de ses bonnes œuvres ! car l’infaillible justice de DIEU exige que les âmes soient purifiées par les tourments du purgatoire ou délivrées par les bonnes œuvres de leurs amis. »

 Alors la sainte entendit un chœur de voix suppliantes : « O Seigneur JESUS-CHRIST, très-juste juge, au nom de

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votre infinie miséricorde n"ayez point égard à nos innombrables fautes mais

aux mérites de votre très précieuse passion  inspirez un sentiment de vraie

charité au coeur des ecclésiastiques ces religieux des prêtres et des

prélats afin que par leurs prières et leurs sacrifices par les aumônes  par

les indulgences ils nous secourent dans notre triste situation ils peuvent

s’ils le veulent adoucir et abréger nos tourments ineffables et faire que

nous soyons plus tôt près de vous ô Dieu !" Enfin de l’abîme de ce lieu de

souffrance d’autres supplications frappaient l’oreille :"Grâces et mille

fois grâces à ceux qui nous envoient du soulagement dans notre malheur !"

Puis une sorte de lumière brillante d’un côté nuageuse de l’autre descendit

d’en-haut et pénétra dans le Purgatoire pour faire comprendre que le

soulagement venait avec des prières mais non parfait encore et de nouvelles

voix chantaient :"O Seigneur Dieu, que votre puissance infinie rende au

centuple le bien que nous font ceux qui pensent à intercéder pour notre

délivrance et à contribuer à nous introduire dans votre céleste et douce

lumière !" Voilà donc la récompense assurée de ceux qui prient pour les

morts voilà les intercesseurs qu’ils s’attachent ce sont des âmes qui

envoyées par eux dans la félicité éternelle n’oublient jamais un pareil

service et le rendent en prières semblables admirable communion des fidèles

entre eux qui fait de l’Eglise une seule famille étroitement unie source

assurée de grâces pour qui sait comprendre plaise à Dieu que chacun de mes

lecteurs éprouve quelque chose des sentiments de compassion et de faveur

dont ces visions remplirent la grande

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sainte Brigitte jusqu’à la fin de sa vie hélas combien nous avons besoin de

nous assurer un appui dans l’autre monde nous que tant de fautes exposent

aux rigueurs de la divine colère !"

                        (V. Révélations de sainte Brigitte, liv. IV, ch.7 ;

                         Théophile Raynaud, LLeter.Spirit, 2e partie;sect.

                         1,7epoint.)

 

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20ème MERVEILLE

Ingratitude des Héritiers envers leurs bienfaiteurs.


Ingrati fuerunt et qui proeparavit eis vitam :

Ils se sont montrés ingrats envers celui de qui ils tiennent la vie.(Esdr.)

Si Dieu doit juger sans miséricorde celui qui n’a pas eu de miséricorde

envers les autres Judicium sine misericordia illi qui fecit misericordiam (s.Jacques,11,13.)

quelle sera sa rigueur à l’égard de ces héritiers qui font à l’âme de leurs

bienfaiteurs cette injustice de n’acquitter point leurs legs pieux ? je

n’hésite pas pour ma part à leur appliquer le mot du IVe concile de Carthage

et à les appeler Egentium necatores meurtriers des malheureux on va voir

dans ce chapitre un exemple du châtiment réservé à leur impiété et à leur

criminelle usurpation car enfin tout ce qu’ils ont retenu de la sorte ne

leur appartient pas c’est un bien dérobé oh combien de

71:

fois ces héritages manqués au cachet de l’ingratitude n’ont-ils enfanté pour

leurs possesseurs que labeurs et peines a Milan une propriété peu éloignée

de la ville avait été affreusement tourmentée et désolée par la grèle

pendant que les campagnes voisines étaient demeurées intactes et

florissantes on ignorait la cause de ce désastre particulier lorsque

l’apparition d’une âme du Purgatoire fit connaître  que c’était un châtiment

de la justice divine sur des enfants ingrats qui n’avaient point exécuté la

dernière volonté de leur père relativement à des oeuvres pieuses on raconte

aussi et sur le nombre il y a certainement des faits prouvés que maintes

fois les âmes des défunts ont fait entendre dans les maisons des bruits

effrayants ont bouleversé les meubles et autres choses semblables pour le

même motif a Ferrare un des plus beaux palais de la ville était resté

inhabitable par suite du tapage nocturne qui s’y faisait régulièrement et

dont la cause naturelle avait échappé à toutes les investigations le

propriétaire voyant la perte considérable qui en résultait pour lui chaque

année avait tout employé mais inutilement un étudiant en droit fatigué de

ses plaintes et persuadé qu’il n’y avait au fond que de ridicules terreurs

s’offrit hardiment à demeurer dans cette maison seul et à prouver la vanité

des craintes générales pourvu qu’on lui garantit un logement gratuit pendant

dix ans l’une des chambres le propriétaire y consentit bien volontier

l’étudiant s’installa au palais le jour même après y avoir fait porter ses

livres et tout son bagage la nuit vient notre jeune homme plein de courage

72:

se mit à étudier tranquillement il avait à soutenir le lendemain une thèse

importante et son esprit n’était rempli que de cette idée comme il avait

d’ailleurs de la piété il avait fait bénir le cierge qui l’éclairait

persuadé qu’au cas ou le démon tenterait quelque chose contre lui ce saint

objet le préserverait de malheur il étudiait donc sinon sans émotion du

moins sans crainte appréciable lorsque vers le milieu de la nuit un bruit

singulier se fait entendre dans tous les appartements on eût  dit d’un

mouvement de chaînes trainées lourdement sur le parquet sans s’émouvoir

notre étudiant s’apprête à voir ce que c’est  et attend avec impassibilité

car il distinguait l’approche de ce bruit qui venait de son côté il tenait

les yeux fixés sur la porte prêt à interpeller le nouveau-venu lorsque cette

porte s’ouvre et qu’aperçoit-il ? un spectre hideux des fers aux pieds et

aux mains qui sans lui adresser une parole ni répondre à ses questions

s’assied à côté de lui et le regarde avec des yeux terribles le jeune homme

commençait à trembler bien fort mais ayant fait une prière intérieur à Dieu

il se rassied à son tour et continue de consulter ses livres et d’écrire

"que cherches-tu donc avec tant de soin ? demanda enfin le fantôme d’une

voix sépulcrale – je cherche un texte de loi qui m’est indispensable pour ma

thèse de demain. -Ce n’est pas dans ce livre que tu le trouveras reprend

l’effrayant visiteur ; je vois là, sur la table, un darthole à tel endroit

tu auras ce que tu veux –     je vous remercie". Et il poursuit son travail

je n’oserais dire qu’il le fit en toute liberté d’esprit on ne pouvait pas

l’exiger de lui dès que la première lueur du jour parut le spectre

73

se leva faisant de nouveau résonner ses chaînes et sortit comme il était

venu mais le jeune homme se lève à son tour sa lumière à la main et le suit

pas à pas jusqu’à une sorte de cave ou la terre sembla s’ouvrir et ou la

vision s’évanouit il laisse son cierge bénit à cet endroit et remonte dans

sa chambre aussitôt  que l’heure le lui permit il sortit et alla raconter

l’histoire à ses amis on se rend au palais on visite les lieux on descend ou

était le cierge on creuse et on trouve un cadavre dont personne ne put

indiquer l’origine on appela donc un prêtre ces restes ignorés furent

déposés dans un cercueil et inhumés en terre sainte après les cérémonies et

les prières ordinaires on dit pour le défunt un grand nombre de messes et

depuis ce moment le palais demeura libre de tout ce qui l’avait rendu

inhabitable tout le monde fut persuadé que Dieu avait permis à une âme

abandonnée dans le Purgatoire de solliciter ainsi les suffrages de ses

frères.

               (v.Jacques Hautin,Patroc,defunet,1.II,art.5;

              Nicolas Lagus, Mirac.SS.Sacram,1r. VII,dist. 4, ch.27. )

(1) Cette histoire paraîtra presque incroyable mais les livres les plus

sérieux et les plus dignes de foi en contiennent de semblables à toutes les

époques et dans tous les pays voyez par exemple la Mystique divine du

célèbre Goerrés traduite par M.Sainte-Foi ou le savant critique a rassemblé

une foule de traits plus étonnants encore et authentiquement prouvés nous

rappelerons que Pline dans une de ses lettres raconte une apparition du même

genre à laquelle il déclare positivement croire Suétone en a plusieurs dans

ses Douze Césars notamment au n° 59 de sa Vie de Caligula.(note du traduct.)

 

 

74:

21ème Merveille

Actions de grâces des âmes du Purgatoire envers leurs libérateurs.


Salvasti nos de affigentibus nos, et odientes nos confudisti

Vous nous avez délivrés de nos persécuteurs, et vous avez confondu ceux qui nous

haissaient.Ps .XIIII,8.

Des âmes que l’illustre saint Nicolas de Tolentino avait délivrée par ses

prières lui adressèrent les paroles du psaume que je viens de prendre pour

épigraphe une des plus grandes vertus de cet admirable serviteur de Dieu fut

sa charité son dévouement pour l’Eglise souffrante pour elle il jeûnait

souvent au pain et à l’eau il se donnait des disciplines cruelles il se

mettait autour des reins une chaîne de fer étroitement sérrée ce fut surtout

lorsque l’obéissance l’eut forcé à se laisser ordonner prêtre  qu’il

témoigna cet empressement et ce zèle en offrant l’auguste sacrifice aussi

les âmes qu’il soulageait par tant de suffrages lui apparurent-elles

plusieurs fois pour en réclamer de lui la continuation il demeurait à

Vallimanèsé près de Pise tout occupé de ses excercices spirituels lorsqu’un

samedi pendant la nuit comme il s’était retiré pour prendre un peu de repos

il vit en songe une personne toute dolente qui le supplia de monter pour

elle au saint autel la matinée suivante et aussi pour quelques autres mes

qui souf-

75:

fraient d’une manière affreuse dans le Purgatoire Nicolas reconnaissait la

voix mais ne pouvait se rappeler distinctement celui qui l’interpellait il

lui demanda donc qui il était.-"Je suis, répondit l’apparition, l’âme de

votre défunt ami le frère l’ellégrino d’Osima, qui ai pu éviter, par la

divine miséricorde, les châtiments éternels dus à mes fautes, mais non pas

l’expiation douloureuse qui leur est réservée pour un temps. Je viens, au

nom de beaucoup d’âmes aussi malheureuses que moi, vous supplier de dire

pour nous demain la sainte Messe, et nous espérons de là ou notre délivrance

entière ou du moins un grand soulagement." Le saint lui répondit avec sa

bonté accoutumée :"Que le Seigneur daigne vous secourir par les mérites de

son sang, par lequel il vous a rachetées ! Mais pour cette messe de Requiem,

je ne puis la dire demain : c’est moi qui dois chanter au coeur la messe du

couvent, et le dimanche il ne nous est pas permis de faire l’office des

morts." Alors l’âme soupirant et gémissant ajouta :"Ah ! venez avec moi, je

vous en conjure pour l’amour de Dieu ; venez contempler nos souffrances, et

vous ne me refuserez plus: vous êtes trop bon pour nous laisser dans de

pareilles angoisses." Il lui sembla qu’il était transporté dans une plaine

immense ou il aperçut une grande multitude d’âmes de tout état de tout âge

et de toute condition livrées à des tortures diverses et épouvantables du

geste et de la voix elles imploraient tristement son assistance. -"Voilà,

lui dit le frère Pellégrino, la malheureuse situation de ceux qui m’ont

député auprès de vous. Nous avons la confiance que le Seigneur ne refuserait

rien à vos sacrifices, et que sa divine miséricorde nous délivrerait."

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Le serviteur de Dieu à ce spectacle trois fois lamentable ne pouvait

contenir son émotion il se mit aussitôt à genoux et pria avec grande ferveur

pour tant d’infortunés il eût voulu que ses larmes éteignissent le feu qui

les consumait le matin venu dès qu’il fut réveillé il courut chez le prieur

lui raconter en détail toute sa vision et lui exposer la demande que le

frère Pellégrino lui avait faite d’une messe de Requiem ce jour-là même le

père ne put l’entendre sans partager sa vive émotion et cédant à ce

sentiment il le dispensa non-seulement pour ce jour-là mais pour toute la

semaine suivante de la messe conventuelle afin qu’il pût vaquer au

soulagement des âmes qui paraissent l’avoir imploré heureux de cette

permission Nicolas se rendit incontinent à la sacristie et célébra avec une

extraordinaire ardeur de plus il passa le jour et même la nuit à toutes

sortes de bonnes oeuvres dans la même intention  macérations jeûne

disciplines oraisons prolongées l’auteur de sa vie assure que le démon le

troubla plusieurs fois visiblement dans ce saint exercice mais en vain il

continua ainsi toute la semaine alors il revit l’âme du frère Pellégrino

mais non plus dans son état de douleur dans ses flammes dans sa tristesse

une robe blanche le recouvrait il était environné d’une splendeur toute

céleste dans laquelle se jouaient une quantité d’autres âmes aussi heureuses

toutes ensemble lui rendaient grâce et l’appelaient leur libérateur puis

elles s’élevèrent au Ciel en chantant : Salvâsti nos de affligentibus nos,

et odientes nos confudisti !

(V. Surius, Vita S. Nicol. Tol., 10 sept ;jourdain de Saxe,Vies des fr. erm. de S- Augustins.)

 

 

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22ème Merveille

Il faut travailler par soi-même à éviter le purgatoire


« Tout ce que vous pouvez faire, hâtez-vous de l’accomplir : car ni le travaille si la volonté de vous suivront après la mort » (Ecclés. 13,10)

C’est avec grande raison que Thomas à Kempis nous avertit de ne pas trop compter sur les suffrages de nos amis et de nos parents après notre mort, et de prendre nous-mêmes le plus grand soin de notre salut. Ne vous fiez point à vos amis et à vos proches, dit-il dans l’Imitation (Liv 1, chap. 23) : car ils vous oublieront plus que vous ne pensez. Si vous ne vous occupez pas de vous même actuellement, qui s’occupera de vous quand vous aurez disparu ? Je ne sache pas qu’il y ait souvenir plus sacré que celui d’un père dans le cœur de sa fille. Et pourtant, il s’est trouvé des filles même vertueuses, qui ont oublié ceux de qui elles tenaient le jour !  un exemple entre plusieurs autres.

Archangèle Panigorola, prieure du monastère de Sainte Marthe à Milan, avait une zèles extraordinaire pour le soulagement des âmes du purgatoire ; elle priait et faisait beaucoup priez en leur faveur. Cependant elle ne songeait que rarement et presque sans

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effet à l’âme de son père Gothard, bien qu’elle l’eut tendrement aimé pendant sa vie. L’idée lui venait bien quelquefois, et elle prenait la résolution de le recommander particulièrement : puis elle pensait à autre chose ou à d’autres âmes, et l’oubli persévérait. Un événement inattendu et merveilleux la tira de cette insensibilité.

Le jour de la tête des morts, elle s’était renfermée dans sa cellule à prier pour eux et à faire en leur faveur divers actes de pénitence. Tout d’un coup son ange gardien lui apparaît, la prend par la main la conduit en esprit au purgatoire. Là, parmi les âmes qu’elle aperçut, elle reconnut celle de son père, plongée dans un étang d’eau glacée. A peine eut-il reconnu lui-même sa fille, qu’il se souleva vers elle en criant : « Hélas ! Archangèle ma fille, comment as-tu pu oublier si longtemps ton malheureux père, dans les tortures qu’il souffre ici ? Tu te montres animée d’une douce charité envers les étrangers ; j’en ai vu beaucoup monter au ciel par les suffrages : et pour moi qui suis ton père, à qui tu dois tant, qui t’ai aimée, élevée, favorisée, tu n’as pas le moindre sentiment de compassion ! Ne vois-tu pas que je suis transi, avec d’insupportables douleurs, dans ce lac de glace, pour châtiment de ma tiédeur au service de Dieu et de mon indifférence à l’égard de sa loi et du salut des âmes ? Ah ! sois donc émue une seule fois de pitié pour ton père, et fais par la ferveur de tes prières qu’il obtienne enfin miséricorde et monte au séjour de la gloire et du repos ! »

Archangèle demeura interdite à ces proches, qu’elle reconnaissait mériter ; bientôt sa douleur se répandit en un torrent de larmes, et c’est parmi les san

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glots qu’elle put répondre ce peu de mots : « Je ferai, ô mon bien-aimé père, tout ce que vous me demandez, et je ferai immédiatement. Plaise au Seigneur que mes supplications vous délivrent ! »

L’ange la conduisit alors dans un autre lieu. Elle lui demanda comment il se faisait que, ayant eu souvent l’intention  et formé la résolution de prier pour son père elle l’avait le plus souvent oublié, et pourquoi Dieu avait permis une telle distraction. « Je me rappelle même, dit-elle, qu’un matin, comme je me mettais à intercéder pour lui, je fus ravie en esprit, et il me sembla que je lui offrais un pain très blanc, mais qu’il le regardait d’un air dédaigneux et refusait de le prendre. Ce qui me fit craindre qu’il ne fût damné. Le fait est que je ne songeai pour plus guère à prier pour lui, tandis que j’y songeai pour tant d’autres qui ne me sont attachés par aucun lien. L’ange lui répondit : « Votre oubli a été permis de Dieu en punition du peu de zèle de votre père, quand il était en vie, à travailler à son salut. Il n’avait point de mauvaises mœurs, cela est vrai ; mais il ne montrait non plus aucun empressement pour les œuvres pieuses que le Ciel lui inspirait, et quand il en accomplissait quelqu’une, c’était sans l’attention ni l’intention désirables. Dieu impose pour l’ordinaire cette peine à ceux qui ont ainsi passé leur existence, sans empressement pour le bien : il permet qu’on se conduise envers eux comme ils se sont conduits envers le Seigneur. Oubli pour oubli. Tel était le sens de ce refus du pain qui vous a été montré. Mais maintenant, il faut multiplier vos suffrages en sa faveur, et obtenir de la divine miséricorde qu’elle le dire de ce lieu de tourments. »

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Archangèle revint à elle, mais si émue, si brisée de chagrin, qu’elle n’eut plus un instant de calme ; il lui semblait toujours entendre les gémissements et les cris de son pauvre père, et elle versait toutes les larmes de ses yeux. Nous ne pouvons dire combien de prières, de jeûnes, de macérations elle fit pour cette âme si chère. Elle avait coutume de demander la délivrance des âmes au nom du sang très–précieux du Sauveur et de l’amour infini qu’il nous a témoigné sur la croix ; elle ajouta désormais une nouvelle invocation, celle des mérites de la divine Mère, lorsqu’au calvaire elle contemplait son fils expirant. Enfin, lorsque l’éternelle justice eut été satisfaite, l’âme de Gothard lui apparut, lumineuse, inondée de joie ; elle la remercia dans les termes les plus touchants ; après quoi  elle s’éleva triomphante au ciel, laissant Archangèle aussi heureuse qu’elle avait pu auparavant éprouver de chagrin et de regrets.

(V. Vie de la sœur Archangèle Panagorala, par le R.P Octave Ivitiati, de la compagnie de Jésus, 1er Partie, ch. 11e)

 

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23ème Merveille             Traits divers de Charité


« Mon âme se réjouis dans le Seigneur, parce qu’il ma revêtu du manteau du salut »

(Is LXI, 40)

Ente le père Jules Mandnelli, de la Compagnie de Jésus, et les âmes du purgatoire, il y avait un tel échange de prières d’une part et de visites de l’antre, qu’on ne saurait en redire tous les détails. Je me  borne ici à quelques-uns.

Rien de gracieux comme ce qui lui arriva avec l’âme de l’archevêque de Capone, César Costa, son oncle du côté maternel. Ce prélat, le voyant mal vêtu dans une fonction ecclésiastique, et jugeant qu’il devait souffrir de froid, lui donna de l’argent pour se procurer un manteau meilleur et plus chaud. Le Père Pachela et le mit sur ses épaules pour faire visite accoutumée des malades, à travers la ville. Un jour, après la mort de l’archevêque, comme il était déjà sur le pas de la porte pour sortir, ayant son luisant manteau, il voit venir les  défunt, environné de flammes, qui le supplie de lui prêter  un moment ce vêtement. Le bon Père, tout étonné, de lui donne ; et le prélat s’en entoure comme s’il voulait s’y cacher et comme s’il y trouvait un rafraîchissement délicieux. Mandnelli comprit que cette âme souffrait dans le purgatoire, et qu’elle voulait marquer par-là que son unique soulagement était dans la charité dont elle avait preuve envers lui. C’est pourquoi il lui promit de prier pour elle avec plus de zèle, à partir de cette heure, ajoutant qu’il fallait lui rendre son manteau, parce qu’il était envoyé quelques part pour la gloire de Dieu et que la chose pressait.

Un autre jour, c’est le baron de Montfort, qui, ayant été lié d’amitié avec le Père, lui apparut quelques temps après sa mort et se recommanda à lui avec une confiance toute amicale. Il revint plusieurs fois pour le même objet, jusqu’à ce que, après une messe de Requiem qu’il avait demandée, il cessa de se faire voir : ce qui donna au Père l’assurance qu’il était délivré.

Il avait eu pour maître Antoine Ugolino, qui fut depuis un prélat distingué de la cour de Grégoire XIII. Après sa mort, cet ancien professeur apparut à Mancinelli avec tous les attributs ordinaires de l’âme souffrante, visage pâle et défait, flammes autour de lui, chaînes étroites et présantes, etc., et il supplia, au nom des leçons qu’il lui avait données autrefois, d’intercéder pour lui dans l’extrémité où il se trouvait, et d’offrir le saint sacrifice. Le pieux jésuite s’empressa de faire de grand matin, le jour suivant, il monta dans cette intention au saint autel, afin d’immoler l’hostie de propitiation. Il put contempler ensuite cette même âme dans la plus belle gloire, au milieu de rayons célestes, respirant une félicité ineffable et lui témoignant pour sa charité une reconnaissance vive et sans bornes.

Et vraiment, on peut le dire, les sacrifices offerts par ce digne religieux semblaient avoir auprès du Seigneur

83 à suivre

 

 

CHAPITRE 24  VIDE SUR LE SITE

 

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25ème Merveille

 

88 :

Elle tenait les yeux baissés, avec une certaine honte, comme si elle eut peur de contempler en face la gloire de l’adorable Majesté ; elle semblait même chercher à se cacher et à fuir les regards de son Rédempteur. Gertrude, émue de voir sa fille spirituelle trembler ainsi devant l’Eternel Epoux, se tourna vers lui et lui adressa cette invocation : »Très doux Jésus, pourquoi donc votre infinie bonté n’invite -t’elle pas celle qui s’est donnée à vous parfaitement, à s’approcher et à entrer dans la joie qui lui est réservée ?pourquoi ne l’attirez-vous pas dans vos bras, et la laissez-vous ainsi seule, triste, craintive ? »Le Seigneur aussitôt fit signe à la bonne religieuse de s ‘avancer, avec un sourire de tendresse. Mais elle, plus troublée encore, hésitait, tremblait, et enfin, après une profonde inclination, se retira.

  L’étonnement de Gertrude était au comble. Elle s’adressa cette fois à l’âme et lui dit : »Comment, ma fille ! vous vous éloignez du Sauveur qui vous appelle !vous voilà en possession de ce que vous avez désiré toute votre vie ; et c’est pour vous en séparer avec cette froideur ! Ne voyez-vous pas ce que Jésus attend de vous ? »La jeune fille lui répondit : »Ah ! ma mère, je ne suis pas encore assez digne de paraître devant l’Agneau immaculé ; il me reste des taches terrestres. Il faut être plus pur que la lumière pour s’unir au Soleil de la justice, et je n’ai pas cette pureté parfaite sur laquelle se reposent avec complaisance ses regards. Je vous assure que, quand même la porte du ciel m’eût été toute grande ouverte et que j’eusse pu m’y élancer d’un bond, je n’aurais pas osé le faire avant d’être entièrement délivrée des plus légères imperfections ;il me

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semble que les chœurs de vierges qui suivent Notre-Seigneur m’eût repoussée.- Et comment cela, reprit l’abbesse, puisque je vous vois environnée de lumière et de gloire ? – Ah ! répondit-elle, tout ceci n’est encore que la frange du dernier vêtement de l’immortalité ; c ‘est bien autre chose quand on voit Dieu, qu’on vit de lui, qu’on en jouit pour toujours ! mais pour cela il ne faut pas une tache ! »

  L’autre vision est à peu près semblable. Elle eut pour objet la sœur de cette même religieuse, un peu plus jeune, mais non moins vertueuse. Elle était morte dans la fleur de l’âge, chargée d’œuvres saintes et de mérites. Elle s’était fait remarquer surtout par une dévotion toute singulière envers le très-saint Sacrement. La communauté s’empressa de prier pour son âme et d’offrir à cette intention des pénitences et des oraisons nombreuses. Gertrude la vit, brillante aussi, agenouillée devant le Roi de gloire, de qui s’échappaient cinq rayons enflammés qui allaient doucement frapper les cinq sens de la défunte. Mais elle n’en avait pas moins sur le front comme un nuage de chagrin et une tristesse visible. La sainte, s’adressant de nouveau à Notre-Seigneur, lui demanda comment il pouvait illuminer de la sorte toute sa servante , sans qu’elle éprouva aussitôt une joie parfaite. Jésus lui répondit que, jusqu’à ce moment, cette pieuse fille était digne seulement de contempler sa divine humanité et de jouir de la vue de ses cinq plaies, mais qu’elle ne méritait pas encore la vision béatifique de la divinité, parce qu’il restait en elle certaines taches légères contractées dans l’observation des règles. Gertrude supplia le Seigneur d’user envers elle d’indulgence, de lui pardonner ces misères

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et de l’admettre au sort le plus heureux, après lequel nous soupirons tous ? Notre-Seigneur répondit que à moins de suffrages en sa faveur, la divine justice exigeait l’entier accomplissement de la peine , laquelle d’ailleurs était si bien comprise de cette âme et lui était si agréable, qu’elle ne consentirait point à en être exemptée. Elle fit signe effectivement, qu’il en était ainsi, et le sauveur, en signe de bienveillance, étendit sa main sur sa tête.

  Dès cet instant, la sainte abbesse s’imposa plusieurs pratiques méritoires, afin de soulager et de délivrer l’âme de sa sœur ; elle pensait à elle principalement au saint sacrifice, et il lui semblait alors la voir s’élever peu à peu au ciel. Un jour, l’âme lui apparût et lui dit : « la dévotion que j’ai eue au divin Sacrement, durant ma vie , me fait recueillir des fruits particuliers de l’adorable Hostie quand on l’offre pour moi. C’est pourquoi je suis sur le point d’être introduite à jamais au séjour où m’attend le céleste époux pour me couronner. Oh ! que je suis heureuse du culte que je lui ai rendu pendant les courtes années d’une si passagère existence : et quel bon maître nous servons ! » Par ces paroles , elle enflamma d’un nouvel amour pour la sainte eucharistie toute la communauté que dirigeait Gertrude, et on y conçut en même temps un plus scrupuleux éloignement pour les moindres fautes, puisqu’il n’en est aucune qui ne doive être expiée.

                            (V. Louis de Blois Monite spirituale, ch.13.)

 

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 26ème Merveille

ADMIRABLE COMMERCE DE CHARITE ENTRE LES VIVANTS ET LES DEFUNTS

 

 Vigilate in oratioibus, mutuam in vobis-

Metipsis charitatem habentes: Veillez dans

 la prière, exerçant la charité les uns envers

                                                                                                                                                              les autres(1Petr. Iv, 7.)

 

 

Il ne serait pas facile de décider à qui la prière pour les morts est le plus utile, ou aux morts eux-mêmes ou à ceux qui travaillent à leur délivrance. En effet, si d’une part les âmes du Purgatoire sont puissamment soulagées par nos suffrages, de l’autre elles nous obtiennent elles-mêmes des grâces non moins précieuses. La vie de la vénérable Mère Marie-Françoise du Saint-Sacrement qui avait la plus grande dévotion à ces pauvres âmes, peut fournir d’utiles éclaircissements sur ce sujet.

  Elle avait été élevée dans cette sainte pratique, et tant qu’elle vécut elle y resta fidèle ; elle était tout cœur, tout dévouement envers ces âmes souffrantes ; pour elles chaque jour elle récitait le rosaire, qu’elle avait coutume d’appeler son aumônier, et elle en terminait chaque dizaine par le Requiescant in pace. Les jours de fête, où elle était plus libre de son temps, elle y ajoutait l’office des morts. La meilleure partie de l’année, elle se condamnait pour elles au jeûne au pain

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et à l’eau, sans parler des cruelles disciplines dont elle accablait son corps ; ainsi, elle ne quittait jamais son rude cilice. Le repos qu’elle était obligée de prendre, elle le troublait encore par plusieurs genres de mortifications. Toutes les fonctions dont elle s’acquittait, les travaux qu’elle faisait, les pensées de son esprit, le souffrances intérieures, les fatigues du corps, les persécutions continuelles des démons, elle consacrait tout aux âmes des défunts.

  Ce n’est pas tout. Elle s’unissait avec les religieuses qu’elle fréquentait davantage, afin de former avec elles une sorte de ligne de bonnes œuvres et de prières. Quand des ecclésiastiques venaient au monastère, elle les exhortait  à dire des messes de Requiem ; elle en faisait autant envers les laïques qu’elle voyait, les engageant à répandre beaucoup d’aumônes dans le même but. En un mot, pour les secourir , elles avait renoncé au mérite personnel de ses œuvres ; elle présentait chaque jour à la justice divine, pour leur soulagement, les oraisons, les pénitences , les privations qu’elle s’imposait, et les indulgences qu’elle gagnait. Le matin esprit s’efforça de lui suggérer une pensée de regret ; il lui représenta qu’en se dépouillant ainsi de tous ses mérites elle n’en aurait plus aucun quand elle paraîtrait devant Dieu, et devrait par conséquent souffrir elle-même un long purgatoire. Mais il ne réussit point ; tout retour d’intérêt propre était impossible à cette âme généreuse et ferme comme le diamant : les défunts qui lui apparaissaient l’assuraient d’ailleurs qu’ils sauraient bien compenser cette différence par leur intercession quand ils seraient délivrés, et que Dieu ne ferait point tourner contre elle son héroïque charité.

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  Ceci nous amène à dire encore un mot de la reconnaissance des âmes du purgatoire envers les bienfaiteurs. Un la vit dans cette sainte femme. Ces âmes la visitaient fréquemment, non-seulement pour solliciter ses suffrages, mais pour l’en remercier. Des témoins ont assuré que , plusieurs fois, elle l’attendrirent visiblement à sa porte, quand elle se rendait à l’office de matines, pour se recommander à elle ; d’autres fois, elles pénétrèrent dans la chambre, afin de lui présenter leur requête ; elles se rangeaient autour de son lit jusqu’à ce qu’elle s’éveillât. Pour elle, elle ne témoignait aucune crainte devant ces apparitions, qui auraient rempli tout autre de frayeur. »Nos peines sont adoucies, disaient les âmes, rien que par votre présence. »Elles lui disaient en entrant, afin qu’elle ne se crût point le jouet de quelque rêve ou d’une illusion du démon : »Nous vous saluons, servante de Dieu, épouse du Seigneur : que Jésus soit avec vous toujours ! »Puis elles témoignaient leur vénération pour une grande croix et pour les reliques que leur bienfaitrice conservaient dans sa cellule. Si elles la trouvaient récitant le rosaire, ajoutent les mêmes témoins, elles le lui prenaient des mains et semblaient le baiser avec respect et confiance, comme un instrument de salut et de délivrance. Elles la prévenaient des artifices se Satan , des pièges qu’il dressait contre elle et des tentations ou des illusions qu’il lui préparait, afin qu’elle se disposât à les déjouer par les sacrements et par la prière.

  Dans le but de la toucher davantage, elles se montraient à elles sous des formes particulières. C’était ordinairement, accompagnées des signes ou des instruments de leurs péchés, devenus ceux de leur châtiment.

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Tantôt c’étaient des évêques la mitre en tête, la crosse à la main, revêtus de la chasuble, et en même temps environnés de flammes ; ils lui disaient : « Nous souffrons tout ceci pour avoir recherché ambitieusement les dignités, et n’avoir point correspondu aux obligations qu’elles nous ont fait contracter. »D’autres fois, c’étaient des prêtres avec leurs ornements en feu, l’étole transformée en chaîne, les mains couvertes d’ulcères : ils s’accusaient d’avoir traité avec irrévérence le divin corps du Seigneur, et d’avoir administré sans respect les sacrements. UN religieux se fit voir entouré d’objets précieux, d’écrins, de fauteuils, de tableaux,,tout enflammés, parce que, manquant à son vœu de pauvreté, il avait rassemblé ces futilités dans sa cellule. Elle vit aussi un notaire de Soria avec tous les insignes de sa profession, qui, accumulés autour de lui et enflammés le tourmentaient terriblement : « J’ai employé cet encrier, cette plume, ce papier, dit-il, à des actes illégitimes, contraires à la justice et à l’équité. J’avais aussi la passion du jeu : et ces cartes tout en feu que je suis obligé de tenir dans les mains font ma punition. Cette bourse brûlante contient mes gains illicites et me les fait expier. Au moment de mourir, j’aurais infailliblement couru à ma damnation, si une sincère contrition n’avait rempli mon cœur. Du moins suis-je condamné à un long et rigoureux purgatoire, si vous ne consentez charitablement à l’abréger par vos bonnes œuvres. »Ces apparitions causaient un grand chagrin à la servante de Dieu ;mais d’un autre côté, elle éprouvait une immense consolation lorsque les âmes délivrées venaient la remercier avant de monter au ciel.

  Nous ne pouvons passer sous silence le trait qui

95 :

concerne Christophe de Ribéra, évêque de Pampelune. CE prélat, ayant appris que la Mère Françoise était animée d’une grande dévotion pour l’Eglise souffrante, et qu’elle avait eu révélation

 que trois de ses prédécesseurs sur ce siège étaient encore dans le purgatoire, s’empressa de prier pour eux, mu par un sentiment de vive compassion ; et, comme c’était le moment où l’on distribuait dans toute l’Espagne les bulles dites de la Croisade, qui contiennent pour ce royaume des privilèges spirituels, il en envoya quatorze à la servante de Dieu, en lui faisant dire  d’en appliquer trois pour les évêques, et les onze autres suivant son inspiration. La nuit suivante, les trois prélats apparurent à Françoise et lui rendirent grâces ; ils la prièrent de remercier pour eux Christophe de Ribéra. D’autres âmes lui demandèrent de leur appliquer le fruit des autres bulles : ce qu’elle fut heureuse de leur accorder. Les apparitions se multiplièrent dans cette circonstance, et, par son empressement à intercéder et à mériter, la sainte rendit de nouveau gloire à Dieu.

(Vie de Françoise du Saint –Sacrement par le frère Joachim de Sainte-Marie,I. II..)

 

 

 27ème Merveille

TRAITS DIVERS

 

Est qui multu redimat modiro pretio :On

Peut racheter beaucoup avec peu de chose.

                                                                  (Eceli xx,12.)

 

Les âmes qui gémissent dans le feu du Purgatoire ne nous demandent pas toujours des mérites extraordinaires, des aumônes considérables, des jeunes rigoureux, de dures privations, ou d’autres pénitences austères ; souvent elles trouveraient leur soulagement dans les petites choses, de courtes prières, des pratiques faciles ; et on les leur refuse !De sorte qu ‘elles en sont tout affligées, et qu’elles pourraient bien dire avec le poète :

Quodque magis deleo : non nos mare separat ingens, Exiguà prohibemeur aqua :

Ma douleur augmente de ce que ce n’est point la mer qui nous sépare, mais un peu d’eau… »Ce qui veut dire qu’elles n’auraient plus besoin que d’un léger effort pour arriver jusqu’au Seigneur qui les attend pour les couronner, et qu’elles ressentent tristement l’indifférence qui refuse de le faire pour elles.

  J’ai lu quelque part qu’un saint évêque vit en songe un enfant, lequel, avec un hameçon d’or et un fil d’argent, tirait du fond d’un puits une femme qui s’y

97 :

noyait. A son réveil, jetant les yeux par la fenêtre, il aperçut ce même enfant agenouillé, priant sur une tombe du cimetière. Il l’appela et lui dit : »Que fais-tu là mon ami ?.- Monseigneur, je dis un Pater et un Miserere pour l’âme de ma mère, dont le corps repose en ce lieu. »Le prélat comprit aussitôt que Dieu avait voulu lui montrer l’efficacité de la prière la plus simple ; il crut que l’âme de cette mère venait d’être délivrée, que l’hameçon d’or était le Pater, et le Miserere le fil d’argent de cette ligne mystique.

  On rencontre deux traits du même genre, plus frappants même, dans les Chroniques des Frères Mineurs. Le P.Conrad D’Offida, religieux de l’ordre séraphique, grand serviteur de Dieu, était resté une nuit devant un autel privilégié, à faire oraison. Un frère du couvent, qui était mort peu auparavant, lui apparut et le conjura ; au nom des services qu’il lui avait rendus lui-même en lui donnant autrefois des règles et des conseils de perfection, de travailler maintenant à le délivrer des supplices auxquels il se voyait condamné. « Vous savez bien, ajouta-t-il, que le Seigneur a pour agréable vos prières , et vous ne serez pas cruel pour me les refuser. »Aussitôt, le charitable Père récita le Pater et le Requiem oeternam. La vision revint, et on entendit ces paroles : »O mon Père, si vous saviez quel grand soulagement m’a procuré cette simple invocation, votre miséricorde vous porterait à la renouveler ! »Le religieux le fit avec empressement. « Ah !s’écria de nouveau cette âme, continuez , mon Père, au nom des entrailles de Jésus-Christ, continuez : voici que mes peines de changent en consolation ! »Sans attendre de nouvelles instances, le bon religieux redit un grand

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nombre de fois cette prière. Par une miraculeuse permission du Ciel, il voyait peu à peu le visage du défunt exprimer un adoucissement, puis un commencement de jouissance, puis une joie extraordinaire ; ses vêtements se modifiaient de la même façon ; ils devinrent blancs et éclatants ; la lumière environna cette bonne âme ; et enfin, après mille actions de grâces, elle s’éleva radieuse vers l’éternel séjour.

  Le bienheureux Etienne, du même ordre, avait la même dévotion, et auprès de Dieu un crédit égal. Il aimait à passer plusieurs heures de la nuit auprès de Saint-Sacrement, auquel il faisait sa cour assidue. Une nuit, se retournant, il aperçut un des religieux assis dans une des stalles du choeur, le capuchon ramené sur la tête et jusque sur les yeux. Etonné d’une telle posture, qui n’était, qui n’était pas celle de la prière, à cette heure du repos général, il s’approcha et lui demanda pourquoi il se tenait ainsi à l’église et ce qu’il y faisait. Le moine répondit d’une voix lugubre : »Je suis un religieux défunt, condamné par la divine justice à endurer ici un rigoureux purgatoire, à cause des fautes nombreuses que j’ai commises par des distractions et des tiédeurs volontaires pendant le chant de l’office. Le Seigneur m’a permis de me manifester à vous, afin de vous conjurer de faire pour moi quelque chose :puissé-je sortir de cette captivité douloureuse et entrer dans la liberté des enfants de Dieu ! »Le bienheureux Etienne, sans attendre davantage, se remet à genoux et récite à cette intention le De Profundis avec l’oraison Fidelium. Le défunt en parut singulièrement soulagé, et pendant plusieurs nuits encore il vint exciter la charité du bon Etienne, le remerciant chaque fois avec grande effusion.

99 :

Si bien qu’une nuit, à la suite du Requiem Oeternam, il quitta la stalle comme un prisonnier qui abandonne son cachot, et s’élança vers le ciel.

  Le bienheureux raconta plusieurs fois ce trait pour exhorter les religieux à une parfaite modestie et au recueillement en chantant les louanges de Dieu et dans la prière ; car le Seigneur ne peut bénir ceux qui ne l’honorent que des lèvres, tandis que leur cœur est loin de lui.(Isaïe,xxix,13.)

(V. Barthlémy de Pise, liv.i ch.23 ;Chroni-

ques des Frères-Mineurs, liv.iv, ch.30.)

 

 

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28e MERVEILLE

TRAITS MERVEILLEUX SUR LA MORT T SUR LE PURGATOIRE


Ficbat omni anime timor ; multu quoque

Prodigia et sigua fiebunt : Tous les esprits

étaient frappés de crainte ;; il se faisait aussi

beaucoup de prodiges et de merveilles(Act.   ii,43)

 

 

Le P. Ferdinand de Castille rapporte deux étonnants prodiges opérées par le Seigneur, dans le couvent de Saint-Dominique, à Zamorra, ville du royaume de Léon en Espagne ; l’un pour nous rappeler que nous ignorons le moment de notre mort ; l’autre pou nous faire comprendre la rigueur des souffrances du purgatoire.

  Il arriva plusieurs fois que la cloche du chapitre sonna d’elle-même, sans être touchée, et l’expérience

100 :

fit connaître que c’était l’avertissement de la mort prochaine de quelqu’un des religieux. Ainsi, quand on entendait ce son retentir tout-à-coup, bien qu personne ne fût malade dans le couvent, chacun se disposait au redoutable passage par la réception des sacrements, par des prières et des pénitences. Le battement de cœur général ne cessait que lorsqu’un des religieux était frappé et quittait la terre. Cette cloche était pour eux cette voix dont, il est parlé dans Isaïe,38,1 : Mets ordre à la maison ,car tu vas mourir et ta vie est à son terme.

Le second trait vient plus directement à notre objet. Il y avait, dans ce même couvent de Saint-Dominique, un religieux de grande vertu uni d’étroite amitié avec un moine de Saint-François non moins saint. Leurs goûts de piété et leur commune aspiration à la perfection les portaient à discourir souvent des choses spirituelles. UN jour, s’entretenant de la mort à l’occasion de la cloche merveilleuse, ils s’engagèrent mutuellement à se visiter quand ils seraient morts, c’est-à-dire que le premier apparaîtrait  au survivant, s’il plaisait à Dieu, pour l’instruire de sa position et de son sort dans l’autre monde, afin que, s’il gémissait dans le purgatoire, il pût être soulagé par les prières de son ami. Ce fut le frère Mineur qui fut appelé le premier dans l’éternité. Fidèle à son engagement, il apparut au Dominicain, à l’heure où l’obéissance l’avait conduit à préparer le réfectoire pour le repas de la communauté. Après l’avoir salué affectueusement, il lui apprit que la divine miséricorde l’avait sauvé, mais qu’il lui restait beaucoup à souffrir pour l’expiation d’une infinité de choses légères dont il n’avait pas eu un assez vif repentir. Puis, afin de l’exciter

101 :

davantage à travailler par ses bonnes œuvres à sa délivrance, il lui laissa entrevoir les flammes cruelles dont il était dévoré. « Rien sur la terre, lui dit-il, ne peut vous donner une idée de ces tortures ? En voulez-vous une preuve sensible ? »Il étendit la main droite sur la table du réfectoire, et la marque s’y enfonça aussitôt profondément, comme si on y avait passé un fer rouge. Je laisse à  penser l’émotion du bon religieux, et avec quelle ardeur il s’occupa se son défunt ami. On conservera la table comme un monument du miracle, et elle se voit encore à Zamorra au moment où j’écris (1); pour la préserver, on l’a recouverte d’une feuille de cuivre.

  Ces deux merveilles contribuèrent puissamment à développer chez les religieux de Saint-Dominique le pansée fréquente et fructueuse de la mort, et la crainte des châtiments de l’autre vie. Un poète espagnol écrivit à ce sujet les vers suivants :

Horride fumantem monstrant vestigia dextram,

Inque suis venis flamma cremat.

Vindicis ardorem, quem nulla referre

Lingua patest, poterit sat manus ista toqui.

 

Ce qui signifie : »Ces terribles marques accusent une main consumée par le feu, et la flamme qui s’y cache est dévorante. Aucune langue n’en peut rendre l’ardeur vengeresse, mais la main elle-même a parlé mieux qu’aucune langue du monde ! »

(V.Ferdinand de Castille, Histoire de Saint Domi

nique, 2e part, I. i, ch 23.)

(1) Vers le milieu du siècle dernier.

29ème Merveilles

LES INDULGENCES


In praesculi tempore, uestra abundantia

Illorum inupiam suppleat : Qu’en ce moment

voite abondance supplée à tout ce qui leur manque(II Cor.8,14)

Pour faire comprendre le prix des indulgences en faveur des âmes du Purgatoire, nous mettrons ici le trait admirable du bienheureux Berthold, prédicateur de l’ordre de Saint-François. Il venait de faire un sermon très émouvant sur l’aumône, et il avait accordé à ses auditeurs dix jours d’indulgences, selon le pouvoir qu’il en avait reçu de Souverain-Pontife, lorsqu’une dame de condition, qui n’avait conservé de son ancien rang que la crainte d’avouer sa misère présente, vint la lui exposer secrètement. Le bon père lui fit la même réponse qu’autrefois saint Pierre au boiteux de Jérusalem : »Je n’au in argent ni or ; mais ce que j’ai , je vous le donne. Je vous renouvelle l’assurance que vous avez gagné dix jours d’indulgences en assistant ma prédication ce matin, car le Saint-Père m’a honoré de ce privilège pour le bien des âmes que je suis appelé à évangéliser. Allez donc chez tel banquier, lequel n’a guère en souci jusqu’à présent des trésors spirituels, et offrez-lui, en retour de l’aumône qu’il vous fera, de lui céder votre mérite, afin que les peines qui l’attendent

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dans le Purgatoire en soient diminuées j’ai tout lieu de croire qu’il vous

donnera quelques secours." La pauvre femme s’y rendit en toute simplicité et

avec beaucoup de foi Dieu permit que cet homme l’accueillit avec bonté il

lui demanda combien elle prétendait recevoir en échange de ses dix jours

d’indulgence -"Autant répondit-elle, qu’ils pèsent dans la balance !" Elle

se sentait animée par une force intérieure -"Eh bien, reprit le banquier,

voici des balances : écrivez sur un papier vos dix jours et le mettez dans

l’un des plateaux ; je pose sur l’autre un réal (petite monnaie espagnole valant environ 27 centimes de franc en 1866.) ." O prodige le premier

plateau ne s’élève pas mais au contraire entraine celui de l’argent étonné

l’homme ajoute un réal qui ne change rien à ce poids il en met cinq dix

trente enfin autant qu’il en fallait à la suppliante dans sa nécessité

actuelle alors seulement les deux plateaux s’équilibrent ce fut la valeur

des intérêts célestes mais les pauvres âmes la comprennent bien mieux encore

pour la plus légère indulgence elles donneraient tout l’or du monde c’est

pourquoi elles les appellent de tous leurs soupirs nous conjurant de les

leur procurer par charité nous à qui la bonté divine les prodigue la

bienheureuse Marie de Quito fut ravie en extase et elle vit au milieu d’une

grande place une table chargée de monceaux d’argent d’or de rubis de perles

de diamants en même temps elle entendit une voix qui disait :"Ces richesses

sont publiques ; chacun peut s’approcher et recueillir autant qu’il lui

convient." Dieu lui fit

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connaître que c’était une image des indulgences combien donc ne sommes-nous

pas coupables dans une abondance pareille de rester pauvres et dénués pour

nous-mêmes et de ne point songer à ceux qui dans le purgatoire pourraient

être enrichis par nous qui nous supplient avec larmes au milieu de leurs

tourments ce trésor exige                   t-il des efforts pénibles des

jeûnes des voyages des privations insupportables à la nature ? Quand même

cela serait il faudrait nous y résoudre comme le disait éloquemment

l’illustre P.Ségneri qui oppose à notre insensibilité le zèle d’un amateur

des arts s’exposant au milieu d’un incendie pour sauver une toile mais la

bonté infinie de Dieu n’en demande pas tant elle attend de nous des oeuvres

simples une communion la visite d’un sanctuaire voisin de notre habitation

une petite aumône un mot de cathéchisme dit à des enfants abandonnés etc et

nous négligeons l’acquisition aisée d’un tel trésor et nous n’avons point

d’ardeur pour l’appliquer à tous ces malheureux qui gémissent dans les

flammes un second exemple Sainte Madeleine de Pazzi avait dans son monastère

de Florence une religieuse d’éminente vertu elle l’assista avec la plus

grande charité pendant sa dernière maladie et lui ferma elle-même les yeux

quand le corps eut été porté à l’église pour les funérailles la sainte se

retira dans la salle du chapitre d’ou elle voyait la bière et priant pour sa

chère défunte elle fut à ce moment favorisée d’une vision elle aperçut l’âme

de la religieuse plus belle que le soleil s’élever au Ciel enivrée de

bonheur -" Adieu, ma soeur, s’écria Madeleine ; adieu âme bienheureuse, vous

105

vous en allez donc en paradis m’abandonnant dans cette vallée de larmes Oh

que grande est votre gloire qui pourrait exprimer l’éclat de ce triomphe  et

comme l’épreuve du purgatoire a pour vous été courte vos restes mortels ne

sont point encore dans leur dernière demeure et déjà vous entrez dans

l’éternelle patrie vous voyez maintenant la vérité de ce que je vous disais

que les misères de cette vie  et l’expiation passagère du purgatoire ne sont

rien comparées à ce que l’époux vous réservait auprès de lui !" il lui fut

révélé par Notre Seigneur que cette âme n’était restée que quinze heures

dans le purgatoire en vertu des indulgences dont on lui avait appliqué les

mérites pendant toute la cérémonie de l’enterrement Madeleine ne put

distraire sa pensée d’un si beau et si consolant spectacle.

(V.Chroniques des frères Mineurs, 2e part, liv,

II, ch. 30; Vie de sainte Madeleine de Pazzi,

1er part, h.39 )

 

105

XXXe  MERVEILLE

La protection des saints utile.Après la mort, a qui l’a invoquée ici-bas.

Adaliquem sanctorum couveriere ; vora si

est qui tibi respondent

Tournez-vous vers quelqu’un des saints ;

appelez pour qu’on

vous réponde. (Job. v.)

La dévotion envers les saints qu’elle a eu la fidelité d’invoquer souvent

pendant la vie est une source d’avantages

106

précieux pour l’âme soumise au feu du purgatoire nous avons sur ce point une

miraculeuse vision de la bienheureuse Jeanne de la Croix religieuse de

Saint- François et fidèle épouse de Jésus-Christ un prélat éminent après

avoir eu pour elle pendant quelque temps de l’affection et du respect

changea entièrement de sentiments et ne la vit plus qu’avec peine et

répugnance à la suite d’une admonition charitable que la servante de Dieu

avait été inspirée de lui faire cet ecclésiastique oubliant parfois les

devoirs de sa profession tombait dans certains défauts de langue dans une

démarche trop fière et dans l’oubli des âmes qui lui étaient confiées il

mourut bientôt a peine la vertueuse fille l’eut-elle appris que voulant

rendre le bien pour le mal elle s’employa à procurer à cette âme tous les

suffrages en son pouvoir une nuit qu’elle se livrait plus spécialement à la

prière dans cette intention le défunt lui apparut avec un visage tout abattu

et lamentable il avait à la bouche des chaines ses vêtements n’étaient que

de misérables haillons il était humilié au-delà de toute expression et comme

il ne pouvait parler les soupirs qu’il laissait échapper manifestaient ses

tourments on voyait sur son front et sur sa tête certaines taches indices

des péchés qu’il avait commis derrière lui suivaient quelques âmes qu’il

avait portées au péché par ses exemples de relâchement les démons

l’environnaient aussi et le tourmentaient de mille façons à la fois

douloureuses et humiliantes la bienheureuse Jeanne en fut toute consternée

et avec d’autant plus de raison qu’elle ignorait si c’était les peines de

l’enfer ou celles du purgatoire elle s’adressa à son ange gardien dont la

présence lui

107

était sensible mais il lui répondit :" Dieu vous le fera savoir en temps

utile." Elle persévéra donc à prier et à conjurer la clémence divine d’avoir

pitié de cette âme infortunée pour laquelle elle espérait encore elle aimait

à se rappeler les bonnes oeuvres qu’elle avait accomplies durant sa vie et

surtout la tendre dévotion qu’elle avait eue envers un saint dont

l’historien ne nous a pas conservé le nom. "Seigneur disait Jeanne vous

savez avec quel empressement et quelle confiance ce prélat servait le saint

patron qu’il s’était choisi quels devoirs il lui rendait avec quelle

tendresse il implorait ses suffrages il avait fait dessiner son image et la

tenait toujours près de lui afin de n’en point perdre le souvenir ayez égard

je vous en conjure à ces bonnes pratiques de sa foi et le délivrez des

supplices ou vous  me l’avez fait voir." Pendant plusieurs jours elle redit

cette prière tout -à-coup la porte de sa cellule s’ouvre l’image du saint se

présente et derrière elle l’âme du prélat mais non plus dans le même état de

désolation et de souffrance après avoir salué Jeanne elle lui dit : " Je

suis celui pour lequel vous avez tant prié grâce à votre intercession et à

celle de mon bienheureux patron dont vous voyez ici l’image le Dieu de toute

bonté a usé envers moi de miséricorde cette image a été mon bouclier contre

les assauts du démon le Seigneur allége mes tourments mon épreuve touche à

sa fin et j’espère que vous  travaillerez encore   à l’abréger ô ma soeur

vous que j’ai autrefois méconnue  –    qu’il en soit ainsi

s’écria Jeanne et que bénit soit Dieu pour la consolation que j’éprouve à

vous savoir préservé de l’enfer j’avais redouté ce sort affreux quand vous

m’êtes apparu pour la

108

première fois." Le défunt lui demanda de nouveau pardon pour les chagrins

qu’il lui avait causés el la remercia de ses saintes prières Jeanne continua

d’intercéder en sa faveur jusqu’au moment ou elle connut par révélation sa

délivrance c’est elle qui fit tout ce récit à ses religieuses afin

d’augmenter en elles tout à la fois la crainte des jugements de Dieu la

dévotion aux saints et le zèle pour les âmes du Purgatoire.

(V. Chroniques des Frères Mineurs par Cimarello,

4e P.liv. II, chap. 18 ; Triomphe des  âmes, par Ségala, 2e p., ch.VII, II. 4.)

108

31e Merveille   Reconnaissance des âmes pour leurs bienfaiteurs.


Bené  egistis, et reddidistis vicem beneretis ejus :

Vous avez bien agi en rendant le bien pour le bien. (Juges, IX, 16.)

Si le sentiment de la gratitude se rencontre quelque part c’est certainement

dans les  âmes délivrées du Purgatoire je vais en donner une preuve nouvelle

sur la foi de graves auteurs en Bretagne un homme  occupé de toutes les

affaires du siècle menait cependant une vie fort religieuse parmi ses autres

vertus on remarquait une grande charité envers les pauvres défunts pour

lesquels il offrait nombre de prières d’aumônes de pénitences et autres

oeuvres méritoires il ne passait jamais dans

110

ne saurions lui en témoigner assez pour tout le bien que sa piété généreuse

nous a fait à nous surtout qui attendons dans ce cimetière la résurrection

suprême ." Aussitôt un fracas extraordinaire eut lieu tout autour du vicaire

épouvanté il lui sembla que les ossements sortaient des tombeaux se

réunissaient et que le reste du passage d’Ezéchiel s’accomplissait :Factus

est sonitus et commotio et accesserunt ossa unumquodque ad juncturam suam en

même temps l’église paraissait illiminée les morts se rangèrent dans le

choeur et commencèrent à chanter solennellement quand il fut fini la même

voix qui avait donné l’ordre au commencement se fit de nouveau entendre et

prescrivit aux corps de retourner dans leur demeure funèbre ce qui s’exécuta

pendant que les lumières de l’autel s’éteignaient d’un seul coup le prêtre

qui était demeuré comme cloué à sa place osant à peine respirer put alors

rentrer librement dans le lieu saint et y déposer le ciboire puis il courut

raconter sa vision au curé aussi émerveillé que lui mais doutant de la

réalité au moment ou il disait :"Au moins faudrait-il savoir si réellement

le malade est mort ce qui est peu vraisemblable," on frappe à la porte et un

messager vient apporter la nouvelle du décès qui avait eu lieu à l’heure

même de la vision l’impression du vicaire fut si forte qu’il dit adieu au

monde renonça à toute espérance terrestre et alla s’enfermer dans le

monastère de Saint – Martin à Tours dont il fut plus tard élu prieur il est

superflu sans doute d’ajouter que tout le reste de sa vie fut employée à

prier pour les âmes du purgatoire et à demander à

111

Dieu  leur délivrance assuré qu’à leur tour elles ne l’abandonneraient point

au jour du jugement.

 (V. Alexis Segala, Trimph, animarum, 2e p., ch. XXII, n. 1 ; P.

Martin, de Roa, De statu  animarum, ch. XXI.)

 

111

32ème Merveille

celui qui souffre pieusement ici-bas va tout droit au repos éternel.


Esque in tempus sustinchit patiens, et posted redditio juennditatis :

L’homme patient attendra la fin de ses maux jusqu’au temps destiné de Dieu pour les faire cesser, et après cela la joie lui sera rendue. (Eccli. I , 29.)

L’empereur Maurice était bien inspiré lorsque interrogé miraculeusement par

le Sauveur s’il préférait expier ses fautes ici-bas ou dans le purgatoire il

répondit avec empressement : " Ici-bas, Seigneur ! j’aime mieux souffrir

ici-bas !" Un autre personnage n’eut pas la même sagesse c’était un

religieux de Saint- François un ange se manifesta à ses yeux et lui dit de

choisir entre une longue maladie et un purgatoire très-court il se détermina

pour celui-ci parce que déjà depuis longtemps il était malade en proie à une

extrême tristesse et à charge lui paraissait-il à ses frères il jugeait donc

meilleur d’abandonner la terre et la prison de son corps. " O mon Dieu

disait-il par pitié appelez-moi hors de ce monde secourez votre malheureux

112

serviteur je ne trouve de repos ni le jour ni la nuit tant sont cruelles les

douleurs qui me tourmentent elles augmentent sans cesse je n’ai plus la

force de les supporter si mes fautes me rendent indigne d’être délivré ayez

égard Seigneur aux mérites de mes frères qui se sacrifient autour de mon lit

d’agonie ayez pitié d’eux et de moi et s’il n’y a point d’autre voie vienne

plutôt la mort je l’accueillerai comme envoyée par votre clémence c’est

alors que l’ange descendit du ciel pour le fortifier et lui proposer

l’alternative :" Puisque vous vous fatiguez de souffrir dans cette vie  vos

prière ont été entendues Dieu vous permet de décider vous-même  votre départ

immédiat de ce monde ou le prolongement de vos douleurs terrestres si vous

adoptez ce dernier parti vous avez encore une année de maladie après

laquelle vous monterez au ciel directement mais si vous préférez mourir vous

aurez à subir trois jours de purgatoire pour achever de vous purifier de vos

fautes choisissez librement." Le pauvre religieux tout à sa souffrance

présente qui lui paraissait insupportable et ne songeant  point à ce qui

l’attendait dans le lieu de l’expiation répondit :" J’aime mieux mourir  au

risque d’être tourmenté dans le purgatoire non pas seulement trois jours

mais autant qu’il plaira à Dieu car ma vie présente est une mort  de chaque

minute et je ne pense pas que je puisse trouver rien de comparable. – Eh

bien  répondit l’ange il sera fait comme vous le souhaitez. Vous allez

mourir aujourd’hui. Munissez-vous donc des sacrements au plus tôt." Le

malade raconta sa vision et réclama les secours de la sainte Eglise puis il

expira et son âme fut portée au purgatoire.

113

Au bout d’un temps qu’on peut comparer à la durée d’un jour si toutefois

cette expression de temps et de jour convient à l’éternité le même ange vint

le visiter et lui demanda que lui semblait de l’épreuve à laquelle il était

soumis si elle lui paraissait moins pénible que ses souffrances de la terre

"Oh ! combien j’ai été aveugle ! répondit l’âme; mais combien aussi vous

avez été cruel, vous qui m’aviez parlé de trois jours et qui me laissez ici

des siècles !Qu’elles sont longues les années dont je vois se dérouler pour

moi l’interminable série ! et encore rien ne m’annonce une délivrance

prochaine !  –  Eh quoi ! repartit l’ange, est-ce donc ainsi qu’une âme

infortunée peut tomber dans l’erreur ! il n’y a pas vingt-quatre heures que

vous êtes au purgatoire, et vous vous lamentez de la sorte, et vous

m’accusez de vous avoir trompé !  Ce n’est point le temps, c’est la rigueur

de la peine qui vous fait raisonner ainsi. Un instant vous paraît un

siècle.Croyez donc bien qu’il n’y a pas encore un jour que vous souffrez ;

votre corps n’a pas reçu encore la sépulture. Toutefois, si vous vous

repentez de votre choix, Dieu consent à ce que vous retourniez sur la terre

pour y subir l’année de maladie qui vous était réservée. –  Oh ! oui,

s’écria l’âme avec joie, oui je préfère ce parti, je le demande en grâce !

l’expérience a changé mes pensée. Plutôt deux, trois, quatre années de

maladies affreuses, qu’une seule heure dans ce séjour d’inexprimables

angoisses !" L’ange alors reporta l’âme dans le corps qu’elle anima de

nouveau à la vue de la communauté saisie d’étonnement et de crainte dès que

le ressuscité put parler il révéla tout ce qui était advenu et en prit texte

pour exhorter ses frères à faire une plus rigou –

114

reuse pénitence de leurs moindres fautes afin d’éviter les tourments que la

divine justice leur a préparés dans l’autre monde pour lui il supporta avec

joie les souffrances diverses de son infirmité trop heureux de racheter

par-là les instants plus courts mais si affreux dont il avait connu

l’amertume au bout d’un an il mourut et on a tout lieu de croire qu’il monta

droit au séjour du bonheur promis ce trait qui paraît certain justifie

pleinement le mot de saint Augustin au sujet du purgatoire :" Un seul jour

dans ce lieu d’expiation peut-être comparé à mille ans de supplices

terrestres." Et il ajoute ailleurs (in ps.75) : "Le feu y est plus

insupportable que tout ce qu’on peut endurer ici-bàs : Gravior erit ille

ignis quàm quicquid potest pati homo in hâc vitâ."

(V. Luc de Wadding, Ann. Minor, anno 1183,  n° 9).

114

33ème Merveille

sainte usure de ceux qui appliquent leurs oeuvres au soulagement des défunts.


Benefac justo, et invenies retributianein magnam :

Faites du bien au juste, et vous aurez une grande récompense. (Eccli. XII, 2.)

Il ne faut pas oublier combien de mérites de prières et de grâces s’assure à

lui-même celui qui offre ses bonnes oeuvres pour racheter les âmes du

purgatoire

115

les mettre en liberté et les envoyer au ciel on peut dire qu’il travaille à

peupler le ciel mais qu’en même temps il s’y prépare des avocats intéressés

par la reconnaissance à lui obtenir à la fois ce qui lui est nécessaire

ici-bàs et ce qui assurera son salut dans l’autre vie je dirai même que les

anges gardiens de ces âmes se trouvent en quelque sorte obligés à le

favoriser à cause de ce qu’il a fait pour leurs pupilles les bienheureux le

regardent avec des yeux pleins d’affection parce qu’il a augmenté leur

nombre la divine Marie le cache sous son manteau pour avoir contribué à la

couronne de ces âmes qui ont coûté tout le sang de son Fils Jésus-Christ

lui-même quelles bénédictions quelles faveurs quelle rémunération ne

versera-t-il pas sur celui qui coopère généreusement à son oeuvre de

Rédempteur voici à ce sujet une petite histoire il y avait au récit de

Denys-le-Chartreux une vierge remplie de piété nommée Gertrude qui chaque

matin par une charité singulière faisait donation aux âmes du purgatoire de

tout ce qu’elle acquerrait de mérites devant Dieu pendant la journée sans en

rien retenir pour elle bonnes oeuvres aumônes prières mortifications etc.

Bien plus dans sa grande foi elle suppliait Notre Seigneur de vouloir

appliquer lui-même ce trésor suivant ses divines lumières Jésus-Christ lui

fit plusieurs fois connaitre miraculeusement les âmes qui en avaient le plus

besoin et alors elle redoublait pour elles de ferveur de pénitences et de

prières et ne s’arrêtait point qu’elle ne crût avoir procuré leur délivrance

quelques travaux qu’une semblable pratique coûtat à la nature souvent ces

âmes lui apparaissaient au moment de se réunir au Seigneur et la comblaient

de  bénédictions

116

Elle arriva chargée de mérites plus encore que d’années à la vieillesse

couchée sur son lit de mort elle fut assaillie de tentations du démon qui

cherchait à lui persuader qu’elle avait délivré tant d’âmes du purgatoire

justement pour aller occuper leur place et souffrir plus qu’elles il  lui

représenta les horribles supplices auxquels elle serait soumise par la

justice divine pour l’expiation de ses moindres fautes puisqu’elle n’avait

réservé pour elle-même rien de tous les mérites de sa vie les prodiguant à

des étrangers et à des inconnus elle commença donc à gémir -" Oh ! que je

suis malheureuse ! se disait-elle : dans peu d’instants je vais mourir ; je

vais rendre de toutes mes actions le compte le plus rigoureux et le plus

sévère comment pourrai-je être délivrée après que je n’ai rien gardé pour

moi de mes bonnes oeuvres depuis tant d’années ? j’ai donc en perspective un

effroyable purgatoire actuelle, sans adoucissement sans réserve de

compensation actuelle ! Mon Dieu le permettez-vous ?" Pendant qu’elle était

en proie à cette angoisse elle voit paraître devant elle Notre Seigneur son

époux céleste qui lui adresse la parole :"Quel est donc, ô Gertrude le sujet

de ta tristesse ? " Elle répond : " Seigneur je m’afflige parce que je me

vois sur le point de mourir sans aucun capital de bonnes oeuvres qui

puissent satisfaire pour tant d’offenses que j’ai commises car je me suis

dépouillée en faveur des âmes souffrantes vous le savez bien !" Alors le

Sauveur lui souriant doucement la consola "Ma fille Gertrude, lui dit-il

afin que tu saches combien m’a été agréable ta charité envers ces âmes et ta

dévotion je te remets en ce moment même sans exception toutes les peines qui

117

t’eussent été réservées de plus moi qui ai promis cent pour un à ceux

qu’anime mon amour je veux encore te récompenser en augmentant le degré de

gloire qui t’attend là-haut toutes les âmes que tu as soulagées viendront

par mon ordre à ta rencontre et t’introduiront dans le Jérusalem éternelle

au milieu de leurs cantiques de joie." L’allégresse de la sainte ne put se

contenir à cette belle et toute divine assurance elle eut à peine le temps

d’en faire part à ses soeurs qu’elle expira le sourire sur les lèvres les

yeux animés d’une clarté merveilleuse comme une prédestinée qui ne doute

point de son sort (V. Denys-le-Chartreux, cité par le P.Martin de Roa dans

son livre De statu. animarum, 20.)

117

34ème Merveille

Le sang de Notre-Seigneur dans l’Eucharistie


Il nous a purifié de son sang (Apocalypse I, 5)

nous avons eu déjà l’occasion de rappeler au lecteur que de

tout ce qu’on peut entreprendre en faveur des âmes du purgatoire il n’est

rien d’aussi précieux que l’immolation du divin Sauveur à l’autel outre que

c’est la doctrine expresse de l’Eglise manifestée dans nombre de conciles

des faits miraculeux authentiques ne laissent point de doute à cet égard

118

Il y a à Cologne parmi les étudiants des cours supérieurs de l’université

deux religieux dominicains d’un talent distingué dont l’un était le

bienheureux Suzon les mêmes études le même genre de vie et par-dessus tout

le même goût pour la sainteté leur avaient fait contracter une amitié intime

et ils se faisaient confidentiellement part des faveurs spirituelles qu’ils

recevaient du ciel c’est ainsi que le bienheureux dévoila à son ami un fait

qu’il tenait caché un jour qu’ils s’entretenaient ensemble des mystères de

la vie de Notre-Seigneur il lui fit voir le nom de Jésus qu’avec une pointe

de fer il s’était gravé au vif sur la poitrine afin de ne l’oublier jamais

dans les mouvements de son coeur le bon frère en fut si frappé si ému qu’il

demanda et reçut la permission d’appliquer ses lèvres sur cette plaie

glorieuse et il la mouilla de ses larmes quand ils eurent terminé leurs

études se voyant à la veille de se séparer pour retourner chacun dans leur

couvent ils convinrent  et se promirent mutuellement que le premier des deux

qui mourrait serait secouru par l’autre une année entière de deux messes par

semaine : le lundi une messe de Requiem selon l’usage et le vendredi celle

de la passion autant que le permettraient les rubriques ils s’y engagèrent

se donnèrent le baiser de paix et quittèrent Cologne pendant plusieurs

années ils continuèrent chacun de leur côté à servir Dieu avec la plus

édifiante ferveur le frère fut le premier appelé au jugement et Suzon en

reçut la nouvelle avec de grands sentiments de soumission à la divine

volonté quant à l’engagement qu’il avait pris le temps le lui avait fait

oublier il priait beaucoup pour son ami s’imposait en sa faveur des

pénitences nouvelles

119

et bien des oeuvres saintes mais ne songeait point à dire les messes

convenues un matin qu’il méditait à l’écart dans une chapelle il voit tout

d’un coup paraître devant lui son cher défunt qui le regardant tendrement

lui reproche d’avoir été infidèle à une parole donnée acceptée sur laquelle

il avait droit de compter le bienheureux surpris chercha à s’excuser sur son

oubli involontaire sur les oraisons et mortifications qu’il avait faites et

faisait encore pour un ami dont le salut lui était aussi précieux que le

sien même. " Oh ! non, non, mon frère, reprit l’âme souffrante ; non cela ne

me suffit pas ! c’est le sang de Jésus-Christ qu’il faut pour éteindre les

flammes dont je suis consumé ; c’est l’auguste sacrifice qui me rachètera de

ces tourments épouvantables je vous conjure de tenir votre parole. Ne me

refusez pas cette justice, ô mon frère." Suzon s’empressa de lui dire qu’il

s’acquitterait et qu’il dirait encore plus de messes qu’il n’en avait promis

afin de réparer sa faute involontaire autant qu’il était en lui dès le

lendemain plusieurs prêtres avertis par le bienheureux s’unirent à lui au

saint autel et continuèrent plusieurs jours cet acte de charité le défunt

revint au bout de ce temps mais non plus dans la tristesse et l’abattement

la joie brillait sur son front une vive et pure lumière l’environnait et il

paraissait parfaitement heureux "Je vous rends grâces, mon fidèle ami, lui

dit-il du soulagement que je vous dois.Me voici , grâce au sang du Seigneur,

délivré de l’épreuve             et je monte au ciel ou je pourrai

contempler celui que nous avons si souvent  adoré ensemble sous les voiles

eucharistiques et dont le sang vient encore de me purifier." Suzon se

prosterna à son tour pour remercier la Dieu de toute

120

miséricorde et il comprit mieux que jamais l’inestimable prix du sacrifice

auguste de nos autels. ( V. Ferdinand de Castille, Histor. S. Dominici. 2e

p., 1.2, c. 1.)

120

35ème Merveille      

  Il vaut mieux mourir avec la certitude d’aller en Purgatoire,

                                                            que de vivre en danger de péché.


Ils ont mieux aimé mourir que de violer la loi de Dieu

(I Mach. I,63)

Le trait que nous allons rapporter convaincra le lecteur chrétien qu’on doit

envisager la mort comme un avantage même en étant assuré de souffrir

beaucoup dans les flammes expiatoires en comparaison d’une vie exposée à

l’offense de Dieu il y verra de plus le confirmation manifeste de la

doctrine catholique sur le purgatoire et sur la prière pour les morts car le

miracle a eu pour témoin non pas telle personne mais toute une ville saint

Stanislas évèque de Cracovie (vers l’an 1070) avait acheté d’un paysan nommé

Pierre un bien de campagne pour son église il paya intégralement le prix

convenu sans toutefois exiger de reçu en forme depuis trois ans déjà le

vendeur était passé de vie à trépas lorsque ses héritiers voyant que le roi

Boleslas prince injuste et cruel était irrité contre le saint

121

à cause des remontrances qu’il lui faisait sur sa conduite scandaleuse

songèrent à mettre à profit cette circonstance ils intentèrent à l’évèque un

procès l’accusant de s’être emparé sans aucun titre d’un héritage qui leur

appartenait à eux-mêmes le roi admit très volontiers la cause et comme le

saint avait effectivement négligé les formalités ordinaires ne pouvant

prévoir tant de mauvaise foi il fut condamné à payer de nouveau ce qui lui

appartenait légitimement ou à faire aussitôt restitution pure et simple de

la propriété Stanislas mu par une inspiration déclara que puisqu’il ne

pouvait obtenir justice des vivants il l’obtiendrait des morts dont le

témoignage trancherait la question c’est pourquoi il demanda un délai de

trois jours à l’effet d’invoquer la déposition du vendeur Pierre que l’on

savait défunt depuis plusieurs années les juges se moquèrent d’une pareille

réclamation qui leur parut une folie et cependant y firent droit au milieu

de plaisanteries et de paroles offensantes rentré dans sa maison Stanislas

assemble ses prêtres les invite à prier avec lui et à jeuner durant trois

jours sans goûter le sommeil afin d’obtenir de Dieu qu’il prenne en main la

cause de la justice le troisième jour donc après avoir célébré

solennellement le saint sacrifice à cette intention gardant ses ornements

pontificaux il se mit en marche vers le cimetière suivi de tout son clergé

et d’une foule de peuple que ce spectacle avait attiré arrivé auprès de la

tombe il ordonna d’ôter la pierre sépulcrale et de creuser jusqu’au cadavre

qui n’était plus que des ossements arides et sans forme quand ils eurent été

mis à jour l’évèque s’agenouille lève les yeux au ciel et conjure le

122

Seigneur de faire un miracle devant cette ville attentive pour la

glorification de son Nom et pour le triomphe de l’équité puis touchant de

son bâton pastoral ces restes inanimés il leur dit comme autrefois le

prophète Ezéchiel : "Ossa arida, audite verbum Domini : Ossements desséchés,

écoutez la parole du Seigneur Dieu !" il leur commande au nom du Père du

fils et du Saint-Esprit de s’animer de nouveau et de rendre témoignage à la

vérité O merveille aussitôt ces restes sans nom s’agitent la poussière se

change en chair le mort se dresse sur ses pieds et sortant du sépulcre

s’avance vers le pontife qui le conduit d’abord à l’église pour remercier

Dieu au milieu du peuple puis au tribunal dans ce moment-là même le roi s’y

trouvait entouré des grands et de tous les magistrats on lui annonce que

Stanislas arrive processionnellement avec son clergé et avec Pierre

ressuscité le prince n’en veut rien croire mais il faut bien se rendre à

l’évidence lorsque le prélat entre dans la salle s’arrête en face du trône

et parle ainsi :" Je vous amène, Sire, l’homme qui m’a vendu cette terre :

il a quitté la région des morts pour rendre hommage à la vérité

interrogez-le il parlera lui-même il vous dira si j’ai réellement acheté son

héritage et si je lui en ai remis la valeur l’homme est connu son tombeau

est encore ouvert Dieu l’envoie confondre l’imposture sa déposition vaudra

plus je le pense que la dénégation des autres témoins et que toutes les

signatures imaginables." Pierre alors élevant la voix attesta qu’il avait

reçu le prix entier de la terre vendue au saint prélat pour son église et

que ses trois neveux Pierre Jacques et Stanislas n’avaient

123

aucun droit à le troubler dans sa possession ensuite se tournant vers

ceux-ci qui étaient présents dans l’auditoire il les menaça de la justice de

Dieu qu’on ne peut tromper et d’une mort malheureuse avant peu s’ils ne

cessaient de réclamer ce qu’ils savaient bien ne point leur appartenir la

stupéfaction de l’assistance ne se peut rendre tous restaient cloués par la

terreur à la place ou ils se trouvaient les héritiers demeurèrent confondus

pendant que le roi rendait une nouvelle sentence en faveur de saint

Stanislas le ressuscité était toujours là l’évèque lui demanda s’il désirait

vivre encore quelques années il espérait en obtenir la grâce de celui qui

l’avait ressuscité pour peu de moments mais il répondit qu’il préférait

rentrer  au sépulcre et mourir de nouveau plutôt que de rester dans une vie

si misérable et si périlleuse il assura néanmoins que son âme était encore

en purgatoire et qu’il lui restait quelque temps à y souffrir pour se

purifier des dernières souillures de ses fautes que nonobstant les supplices

cruels auxquels il allait être rendu il les préférait de beaucoup à

l’incertitude ou l’on est ici-bas de plaire à Dieu et de faire son salut il

termina en disant que la plus grande grâce que le saint lui pouvait accorder

c’était de prier le Seigneur d’abréger le temps de son épreuve et de le

recevoir plus tôt parmi les élus puisqu’il avait l’assurance d’y être admis

un jour Stanislas le lui promit puis l’accompagna au cimetière avec tout le

clergé et la foule du peuple on récita sur lui les prières ordinaires de la

recommandation de l’âme pendant qu’il se couchait dans la tombe il renouvela

à tous les assistants la demande de prier pour lui ses ossements se

séparèrent de nouveau la

124

chaire tomba en poussière et on n’eut plus devant les yeux que les restes

informes de la matinée c’est une croyance dans le pays que saint Stanislas

obtint très promptement la délivrance de cette âme* de tout ceci nous devons

conclure avec un saint auteur combien nous sommes insensés de tant aimer la

vie lorsque nous connaissons les dangers qui nous y menacent du côté du

salut nous ne savons pas si nous persévèrons jusqu’à la fin si nous mourrons

dans les conditions nécessaires de contrition et de ferveur  et cependant

nous nous attachons à cette existence fragile et dangereuse comme s’il n’y

en avait pas d’autre pour nous quel aveuglement étrange quelle insensibilité

injustifiable !

(V. Laurent Surius, Vies des Saints ; et de plus les Acta

Sanctorum des Bollandistes, 7 mai, vie de saint Stanislas.)

*Ce saint mourut plus tard tué à l’autel par Boleslas II le hardi et son

cadavre traîné hors de l’église fut mis en pièces par les satellites du roi.

(Note du Trad.)

 

125

36ème Merveille

Les justes eux-mêmes ne sont pas irrépréhensibles devant Dieu


Aucun homme n’est juste devant vous (Ps. CXI.II,2)

Le livre de l’Ecclésiastique compare le juste au soleil : Quasi sol refulgens mais de même qu’on découvre des taches dans cet astre lumineux les saints ont aussi leurs imperfections dont ils doivent être purifiés dans les flammes du purgatoire avant de recevoir

la couronne de l’immortalité et de jouir pleinement de Dieu il n’y a point

d’homme si parfait qui ne touche la terre des pieds tout en ayant les yeux

élevés au ciel dans le couvent des Frères-Mineurs de Paris mourut un

religieux que sa piété éminente avait fait surnommer l’Angélique et c’était

véritablement un ange de perfection spirituelle dans une chair mortelle et

fragile il y avait parmi ses confrères un lecteur de théologie savant dans

les choses de l’âme lequel bien qu’il n’ignorât pas l’obligation commune de

célébrer trois messes en faveur de chaque moine qui mourrait dans la maison

omit de s’acquitter de ce devoir dans cette circonstance il lui semblait

inutile d’intercéder pour une âme dont la vie avait été si vertueuse et qui

devait être dès maintenant pensait-il au plus haut degré de

126

la gloire mais au bout de quelques jours comme il se promenait un matin dans

les allées du jardin tout entier à ses méditations théologiques il voit

subitement le défunt se présenter devant ses yeux et il l’entend lui dire

d’un ton lamentable : "Cher maître je vous en conjure ayez compassion de moi

!" Surpris de cette apparition et de cette demande : "Eh quoi ! âme sainte

répondit-il quel besoin as-tu de mon secours ?  – Je suis retenu dans les

feux du purgatoire, reprit le défunt dans l’attente des trois messes que

vous deviez célébrer pour moi. Si vous vous acquittiez de cette obligation,

je serais tout aussitôt  introduit dans la Jérusalem céleste. – Ah !

répondit le religieux je l’aurais fait avec bonheur si j’avais pu penser que

vous en dussiez éprouver du soulagement mais en songeant à la vie si sainte

que vous aviez menée parmi nous je m’imaginais que la couronne vous avait

été donnée tout de suite au sortir de ce monde  n’étiez-vous pas le premier

et le plus édifiant au choeur au chapitre à l’oraison ? y avait-il un seul

point de la règle auquel vous ne fussiez scrupuleusement fidèle ? chacun

vous admirait il atteindrait la perfection de sa vocation religieuse ne

faisiez-vous pas en outre de vos obligations des prières et des pénitences

sans nombre qui rendraient votre vie un acte de vertu continuel ? non je

n’aurais pu croire qu’il y eût encore à s’inquiéter pour vous     hélas !

hélas ! dit le défunt personne ne croit personne ne comprend avec quelle

sévérité Dieu juge et punit sa créature son infinie sainteté découvre dans

nos meilleures actions des côtés par ou elles pêchent et lui dé-

127

128

37ème Merveille

ON NE SORT DU PURGATOIRE QU’APRES UNE EXPIATION

ENTIERE ET COMPLETE


Il ne faudrait pas croire que les grandes fautes seulement nous conduiront dans le lieu de l’expiation, et que nous en sortirons aisément si nous n’avons pas fait tout ce qui est nécessaire pour éviter le mal. Les moindres imperfections des justes eux-mêmes seront purifiées par le feu, suivant la parole du prophète Malachie : «  Le Seigneur purifiera les enfants de Lévi, et il les passera au creuset comme l’or. »

Nous lisons de saint Séverin, archevêque de Cologne, qu’il se fit voir, après sa mort, à l’un des chanoines de sa cathédrale pour réclamer le secours de ses prières, parce qu’il avait été condamné au purgatoire. « Et comment cela se peut-il ? S’écria le prêtre consterné. Vous si pieux, vous si zélé pasteur, qui avez accompli tant de bien dans ce diocèse ! Vous que nous invoquons tous comme notre protecteur au ciel ! – Ah ! répondit le prélat, DIEU m’a fait la grâce de le servir de tout mon cœur, et de travailler longtemps dans son héritage ; mais je l’ai offensé Souvent par la manière pressée dont je récitais mon bréviaire.

129

Les affaires de la cour occupaient mon esprit et mon temps, et, quand je devais m’acquitter de ce devoir de la prière, c’était sans assez de recueillement, quelquefois à une autre heure qu’à l’heure marquée par les règles de l’Eglise. Maintenant, j’expie ces infidélités, et le Ciel me permet de venir réclamer vos prières. Me les refuserez-vous ? » C’est saint Pierre Damien qui rapporte ce fait, dans sa lettre 14è à l’abbé Désidérius, chap. 7.

 

 Durand, premier abbé d’un monastère, puis évêque de Toulouse, nous offre un autre exemple du même genre. Il avait une singulière piété, beaucoup de zèle pour son avancement spirituel, l’esprit de mortification, la régularité ; cependant, il avait aussi le défaut de veiller trop peu sur sa langue. Lorsqu’il était simple religieux, il se livrait volontiers à une excessive gaieté dans la conversation, disant des plaisanteries, des bons mots, des histoires amusantes qui prêtaient à rire. Son supérieur, l’abbé Hugues, l’avertit plusieurs fois de modérer cet entrain qui le portait à la dissipation ; il lui représentait que ces jovialités conviennent peu dans la bouche d’un moine qui est en même temps prêtre, dont les lèvres doivent être vouées aux choses utiles et saintes, selon le précepte des Livres sacrés (Malachie II, 7). Il l’avertit même, un jour, que s’il ne se corrigeait pas, il aurait infailliblement des peines à souffrir en purgatoire pour ces fautes quotidiennes. Durand attacha peu d’importance à ces avis, et continua, même étant évêque, à aimer le mot pour rire et les facéties d’une conversation enjouée. Quelques personnes en étaient mal édifiées.

130

Lorsque le prélat fut mort, la prédiction du supérieur se réalisa. Il apparut à un moine de ses amis, le P. Séguin, et le chargea de prier l’abbé, dont il avait si mal écouté les conseils, d’intercéder pour lui. Celui-ci, qui était plein de charité, assembla les religieux, leur dit ce qu’il venait d’apprendre, et leur demanda de s’imposer pendant toute une semaine, en faveur de cette âme souffrante, un rigoureux silence. Ils y consentirent. Cependant, l’un d’eux n’observa pas si bien sa promesse qu’il ne laissât échapper quelques paroles. Le défunt apparut de nouveau et se plaignit de cette infraction, qui le privait du fruit de la bonne œuvre. On recommença dont une autre semaine, avec beaucoup de prières. A peine s’achevait-elle, que Durand se vit voir à l’abbé, revêtu de son costume pontifical, la joie peinte sur le visage ; il lui exprima sa reconnaissance envers tout le couvent, et ajouta que DIEU le recevait à l’instant même parmi ses élus.

 Ce trait est une leçons pour les personnes consacrées à DIEU ; on peut l’appeler le commentaire vivant de ce passage du livre de la Considération de saint Bernard : « Parmi les séculiers, les plaisanteries ne sont que des plaisanteries : parmi les ecclésiastiques, ce sont comme des blasphèmes. Votre bouche a été consacrée à l’Evangile : il ne faut donc point l’ouvrir à de telles inutilités. »

manque référence citation (Vincent de Beanvais, …

131

38ème Merveille

LA DEVOTION DU SAINT ROSAIRE


Fructifiez comme le rosier planté au bord des eaux

Eccli 39, 17

 Ce que Pline assure de la rose, qu’elle reçoit de la nature non seulement l’office de nous embaumer de ses parfums, mais aussi d’être utile à notre santé, peut s’appliquer justement à la dévotion du Rosaire : car cette dévotion, outre le bonheur qu’elle procure à ceux qui l’embrassent, leur est très profitable pour les guérir à la fois du mal du péché et de la peine qui lui est réservée. En voici un exemple très convaincant.

 Dans le royaume d’Arragon, une jeune fille de haute naissance, appelée Alexandra, assistant aux prédications du grand saint Dominique, se décida à entrer dans la confrérie instituée pour cet objet. Mais, livrée à la vanité mondaine, elle oubliait souvent de réciter son chapelet, préférant passer des heures entières au miroir et aux conversations inutiles. Comme elle était fort belle et gracieuse, plusieurs jeunes gens commencèrent à l’entourer de leurs hommages et à lui demander sa main, et chacun faisait de son mieux pour attirer ses regards et son cœur. Il y en avait deux surtout, d’une condition élevée, qui se montraient plus ardents à sa poursuite, et qui finirent par se défier en duel.  La

132

jeune fille était présente pour décider entre les combattants, armés chacun d’une longue lance comme pour un tournoi. Au signal donné, ils se précipitèrent l’un sur l’autre avec tant de fureur, qu’ils tombèrent tous deux à la renverse, mutuellement frappés, et ne tardèrent pas à expirer. Ce fut un sujet de vive douleur pour les deux familles ; unissant leur colère contre celle qui avait été l’occasion de ce malheur, elles se jetèrent sur elle, et la battirent jusqu’à compromettre sa vie. Baignant dans son sang, l’infortunée demandait grâce et suppliait qu’on la laissât au moins se confesser ; mais ces furieux, s’animant de plus en plus, l’achevèrent en lui coupant la tête d’un coup de sabre ; après quoi, afin d’échapper à la justice, ils jetèrent le cadavre au fonds d’un puits et se sauvèrent.

 Cependant, la divine MARIE, mère des miséricordes, voulut récompenser les quelques actes de piété de cette malheureuse enfant envers elle ; elle révéla tous les détails du crime à saint Dominique, qui se trouvait alors dans une autre ville. Le saint fut consterné ; il serait parti aussitôt pour se rendre en ce lieu-là, s’il n’avait été retenu par les affaires de son ordre. Au bout de quelques jours seulement, il put venir au bord du puits, y plongea le regard, et, après avoir fait une prière, se mit à appeler : « Alexandra, Alexandra ! » O prodige inouï ! En présence de plusieurs personnes que la venue du Père avait attirées, la morte s’anime, la tête se rapproche du tronc, et la voici qui sort pleine de vie, quoique couverte de sang ; elle se jette aux pieds de Dominique, et fait avec beaucoup de larmes une confession générale, en bénissant DIEU qui lui avait permis de se faire inscrire parmi les servantes de la

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Reine du ciel.

Elle vécut encoure deux jours, afin de pouvoir réciter un certain nombre de rosaires qui lui avaient été imposés pour pénitence. On vint la voir de tous côtés, et elle ne cessait de prêcher la dévotion à MARIE.

Interrogée par le saint patriarche sur ce qui lui était arrivé après sa mort, elle raconta trois choses bien mémorables. La première, que, par les mérites de la confrérie du Rosaire, elle avait eu la grâce de la contrition au moment d’expirer, sans quoi elle eût été damnée. Secondement, quand on lui tranchait la tête, elle s’était vue assaillie d’une troupe de démons hideux qui voulaient l’emporter en enfer, lorsque MARIE était accourue à son aide et l’avait délivrée.

En troisième lieu, elle avait été condamnée par la divine justice, à deux cents années de purgatoire pour avoir causé la mort des deux jeunes gens ; en outre, à cause de ses parures vaines et immodestes, qui avaient été à beaucoup une occasion prochaine de péché, elle avait à endurer encore cinq cents autres années de souffrances. « Mais j’espère, ajouta-t-elle, que les confrères auxquels je m’étais associée pour honorer MARIE prieront pour moi avec tant de ferveur, que ce temps de terrible épreuve sera miséricordieusement abrégé. »

Elle mourut de nouveau, après avoir donné les marques de la plus édifiante piété. On lui fit des obsèques solennelles. Saint Dominique prit tellement à cœur l’heureuse fin du miracle que DIEU avait opéré par lui, il fit lui-même et fit faire à d’autres tant de pénitences, de prières, d’aumônes et de jeûnes, qu’il obtint la délivrance entière d’Alexandra. Au bout de quinze jours, elle lui apparut toute éclatante de lumière, semblable à

134

une étoile.

Elle pria le saint de remercier pour elle ses confrères, qui lui avaient été autant de bienfaiteurs, et qui avaient par leurs suffrages hâté son salut. Elle ajouta aussi qu’elle venait, comme ambassadrice des âmes du purgatoire, le conjurer de prêcher et d’étendre la dévotion du Rosaire, qui leur procurait chaque jour un admirable soulagement. « Que les confrères, dit-elle, appliquent à ces pauvres âmes les indulgences et les faveurs spirituelles dont il possèdent un trésor si abondant : ils n’y perdront rien, car les élus à leur tour intercèderont pour eux quand ils auront reçu la couronne. Les anges se réjouissent de cette dévotion, et la Reine du ciel s’est déclarée la tendre mère de tous ceux qui l’embrassent. »

Dominique, ravi de cette révélation  nouvelle, en fit part à ses disciples, et travailla avec un redoublement de zèle à faire réciter autour de lui le chapelet.

 

39ème Merveille

TOURMENT APAISE


ps LXV, 12

Dieu, pour récompenser les trois enfants jeté dans la fournaise de Babylone, en changea les flammes en douce rosée et un vent rafraîchissant ; quasi ventum rosis flantem ; en sorte que, loin de souffrir et d’être consumés, ils éprouvaient une délicieuse jouissance. Par un miracle tout opposé, que nous allons dire, il fit d’une fontaine une véritable fournaise, pour la punition d’un de ses serviteurs, à qui il restait à expier une faute particulière.

 Dans les vies des hommes illustres de l’ordre des Cisterciens, on lit qu’un abbé d’un grand savoir et de beaucoup de vertu avait connu une amitié trop humaine et trop partiale pour son neveu, élevé par lui dans le couvent, et formé de bonne heure à l’observance des règles. Après avoir longtemps administré la maison, étant réduit à l’extrémité, les religieux, qui lui étaient fort attachés et qui avaient la plus entière confiance dans ses lumières, le prièrent de désigner lui-même son successeur. Bien qu’il fût un modèle de désintéressement et de prudence, il se laissa aller à son

 

40ème Merveille

CHAPITRE 40    VIDE SUR LE SITE

 

140

41ème Merveille

Oeuvres d’insigne charité envers les âmes du purgatoire la charité est

patiente elle est bienveillante elle endure tout ( I Cor. XIII.) la

véritable charité est pleine de zèle d’industrie même pour trouver les

moyens de subvenir aux nécessités du prochain et spécialement à celles des

âmes du purgatoire nous rencontrons un modèle de cette disposition dans la

grande servante de Dieu Marie Villani de l’ordre de Saint-Dominique elle

s’appliquait nuit et jour à inventer de nouvelles oeuvres méritoires en

faveur de ces pauvres âmes une veille d’Epiphanie elle s’était adonnée à de

plus longues oraisons et en satisfaction des peines que ces âmes devaient

endurer pour leurs fautes elle offrait à Dieu les cruels tourments de la

Passion de Notre Seigneur méditant sur chaque détail chaque douleur chaque

instrument la nuit suivante le Ciel se plut à lui manifester combien lui

était agréable cette belle pratique pendant sa prière elle tomba en extase

il lui sembla voir une longue procession de personnes vêtues de blanc avec

des manteaux éclatants chacune portant un insigne de la passion celle-ci les

cordes cette autre les fouets une troisième la colonne une autre les épines

141

la croix les clous la lance etc en tête marchait une vierge balançant dans

sa main une palme arrivés à un magnifique autel l’une après l’autre y venait

offrir et déposer l’instrument en place duquel elle recevait d’une grande

dame une riche couronne d’or le sens de cette vision lui fut révélé ces

personnes brillantes et couronnées étaient les âmes du purgatoire dont les

insignes de la passion marquaient la délivrance par les mérites du sang de

Jésus-Christ mérites appliqués précisément en vertu de la prière de Villani

c’était elle qui était figurée par la vierge ayant une palme à la main et

conduisant à l’autel cette troupe bénie un autre jour celui de la

Commémoration des fidèles défunts on lui avait demandé de continuer un livre

qu’elle avait commencé sur des matières spirituelles mais elle s’en excusa

sur l’intention qu’elle  avait de consacrer tout ce jour à la prière à la

pénitence et aux exercices de piété pour le soulagement des âmes du

purgatoire Notre Seigneur lui apparut et lui intima l’ordre d’écrire parce

que telle était sa volonté souveraine et afin qu’elle le fît plus volontiers

il lui promit que chaque ligne qu’elle tracerait procurerait la délivrance

d’une âme ce jour-là seulement aussitôt la sainte religieuse se mit avec

joie au travail et s’efforça d’écrire beaucoup le démon ne manqua pas de s’y

opposer de toutes ses forces même d’une manière sensible la distrayant de

son ouvrage lui suscitant des embarras des dérangements des difficultés

matérielles en dépit de lui Villani s’appliqua si bien qu’à la fin du jour

elle avait terminé son traité les quatres jours suivants elle ressentit une

telle fatigue qu’elle ne pouvait pas même

142

remuer les doigts de la main on pouvait croire que par-là aussi elle

méritait pour ses chères âmes et de fait sa grande charité envers elles ne

se bornait point à des prières des jeûnes et des pénitences elle désira

prendre pour elle-même une partie de leurs souffrances spécialement celle du

feu voici un exemple de ce qu’elle fit comme elle priait un jour dans cette

intention elle fut ravie en esprit et conduite en purgatoire ou parmi tous

les infortunés qu’elle vit il y en avait un plus cruellement éprouvé que les

autres par des flammes horribles qui l’enveloppaient de la tête aux pieds

touchée de compassion elle s’approche de cette âme et lui demande pour quel

sujet elle est ainsi traitée et si jamais elle n’éprouve de soulagement " je

suis ici, répondit-elle depuis un long temps effroyablement punie pour mes

vanités passées et pour mon luxe scandaleux je n’ai pas obtenu jusqu’à cette

heure, le moindre soulagement parce que le Seigneur a permis que je fusse

oubliée de mes parents de mes enfants de toute ma famille et de mes amis ils

ne font pour moi aucune prière quand j’étais sur la terre livrée aux

toilettes inutiles aux pompes mondaines aux fêtes et aux plaisirs je n’avais

de Dieu et de mes devoirs qu’un rare et infructueux souvenir les seules

préoccupations sérieuses de ma vie étaient d’accroître le renom et les

richesses périssables des miens j’en suis bien punie vous le voyez

puisqu’ils ne m’accordent pas même une pensée !" ce récit fit sur notre

religieuse une douloureuse impression elle pria cette âme de lui faire

sentir  quelque chose de ce qu’elle endurait a l’instant même il lui sembla

qu’on la touchait au front avec un doigt de feu et la douleur qu’elle en

éprouva fut si forte si aigue

143

qu’elle la fit revenir de son extase or la marque lui resta au front si

profondément marquée qu’on la voyait encore deux mois après et qu’elle lui

causait une souffrance insupportable Villani offrit cette douleur avec

d’autres prières pour l’âme qui lui avait parlé cette âme lui apparut au

bout de deux mois et lui dit que délivrée par son intercession elle montait

au ciel dès ce moment la brûlure du front s’effaça pour toujours (V. Vita

Mariae Villani, par le P. Domin. Marchi, I. II,5)

 

143

42ème Merveille            supplication  merveilleuse.


 Ouvrez la main au pauvre afin que votre

sacrifice d’expiation soit parfait ( Eccli. VII, 56)

parmi les nombreux

prodiges accomplis par le Seigneur à l’occasion des prières solennelles pour

les morts l’un des plus célèbres est celui qui eut lieu à Mantoue dans le

monastère de Saint-Vincent en présence de toute la communauté une religieuse

nommée Paule de l’ordre de Saint-Dominique après une vie sanctifiée par les

plus excellentes vertus et une mort précieuse aux yeux des hommes montra que

devant le Seigneur qui sonde les coeurs et les reins il n’y a point de

perfections humaine qui n’ait ses taches le corps avait été apporté

144

à l’église et placé selon l’usage au milieu du choeur toutes les soeurs

faisant autour du modeste catafalque une couronne chantaient pieusement les

prières ordinaires du Requiem on avait exhorté spécialement la bienheureuse

Etiennette Quinzana favorisée de dons singuliers à intercéder avec toute la

ferveur dont elle était capable pour le sa     lut de la défunte et à

d’autant meilleur droit que ces deux saintes filles avaient été liées

d’amitié spirituelle toute au profit de leurs âmes Etiennette donc mue d’un

sentiment personnel d’affection s’approcha de la bière les mains jointes et

se mit à réciter avec grande ardeur les psaumes de circonstance tout-à-coup

la morte laisse tomber un petit crucifix qu’elle tenait étend la main gauche

vers la droite de son amie et la serre de telle façon qu’aucun effort ne la

lui peut arracher la communauté entière qui était présente demeura

stupéfaite pendant plus d’une heure ces deux mains restèrent étroitement

enlacées au bout de ce temps intervint le supérieur qui commanda à la

défunte au nom de la sainte obéissance de laisser la soeur Quinzana

instantanément il fut obéi comme si la vertu d’une telle personne n’eût subi

aucun changement au-delà du tombeau que signifiait ce serrement de main ?

Etiennette le comprit parfaitement soit que Paule eût adressé

miraculeusement la parole soit qu’elle eût agi sur son esprit l’histoire n’a

point éclairci ce détail toujours est-il que celle-ci interpréta la chose

par ce discours "Secourez-moi ,ma soeur ,secourez-moi  dans les supplices

auxquels je suis vouée ! Oh si vous saviez la rage de nos ennemis invisibles

pour nous tenter à l’heure de la mort ! si vous saviez combien sévère est ce

juge qui

145

exige notre amour parfait quel examen quelle discussion des moindres fautes

et puis quelle expiation avant la récompense comme il faut être pur pour

ceindre l’éternelle couronne priez donc pour moi maintenant placez-vous

entre le Seigneur et sa servante priez priez faites pénitence à ma place !"

Etiennette entendit ce touchant langage et se mit à accomplir toutes sortes

d’oeuvres méritoires pour son amie jusqu’au moment ou elle sut par

révélation que la porte du ciel ouverte à Paule et que Dieu l’avait enfin

reçue dans son sein comment donc ô Seigneur ne tremblerions-nous pas pour

nous-mêmes et quel est le sacrifice que nous ne consentirions point à faire

pour vous apaiser nous dont la vie ne se compose guère que d’offenses ! (V.

Franc. Seghizzus, Vita B. Stephanae, p. 110; J – B Manni, Sacr. Trig., disc.

VI, n.27.)

145

43ème Merveille

Bienfaits des âmes du purgatoire envers ceux qui les assistent


soyez miséricordieux car vous amassez ainsi un trésor pour le jour du besoin (Tob.

IV, 10.)

Plusieurs auteurs ont rapporté le merveilleux secours que reçut des

âmes du purgatoire Christophe Sandoval

146

archevèque de Séville n’étant encore qu’un enfant il avait l’habitude de

distribuer aux pauvres en leur faveur une partie de l’argent qu’on lui

remettait pour ses menus plaisirs devenu grand sa piété envers les morts

augmenta avec les années il donnait pour eux tout ce dont il pouvait

disposer jusqu’à se priver de mille choses qui lui eussent été utiles ou

nécessaires lorsqu’il suivait les cours de l’université de Louvain ou il

exerçait les mêmes oeuvres il arriva un jour que les lettres qu’il attendait

d’Espagne ayant tardé il se trouva réduit à une véritable extrémité n’ayant

pas même de quoi prendre son repas sa peine augmenta beaucoup en se voyant

obligé de refuser un pauvre qui lui demandait l’aumône au nom des âmes du

purgatoire ce qu’il n’avait encore jamais fait il en conçut un si vif

chagrin qu’il entra aussitôt dans une église "Au moins se disait-il si  je

ne puis donner d’argent au nom de ces pauvres âmes je prierai pour elles

étant pauvre moi-même et dénué de tout il n’avait pas fini sa prière qu’il

vit venir à lui un beau jeune homme en habits de voyageur qui lui adressa un

salut à la fois respectueux et empressé Christophe resta tout interdit

effrayé même comme s’il se trouvait en présence d’une apparition de l’autre

monde mais il se rassura bientôt lorsque celui-ci lui parlant avec beaucoup

de politesse lui donna des nouvelles du marquis de Dania son père de ses

autres parents de ses amis absolument comme s’il arrivait à l’heure même  de

la péninsule il finit par le prier de venir avec lui à l’hôtel ou il

l’invitait à diner Sandoval ne refuse point cette offre parce qu’il n’avait

pas mangé de la journée ils se mettent donc à table et continuent

147

de s’entretenir pendant le repas après lequel l’étranger lui remit une

certaine somme lui disant d’en faire tel usage qu’il lui plairait parce que

quand il le voudrait il se la ferait rendre par le marquis son père en

Espagne puis il prétexte quelques affaires et se retire or quels que fussent

depuis les soins et les démarches de pieux Christophe il ne put découvrir

son inconnu ni à Louvain ni en Espagne personne ne l’avait vu jamais

l’argent ne fut réclamé auprès de sa famille et il se trouva que c’était

exactement la somme dont il avait besoin pour attendre ses lettres en retard

il se persuada donc que le Ciel avait fait un miracle en lui envoyant une de

ces âmes que ses prières et ses aumônes soulageaint habituellement et il le

crut à d’autant meilleur droit que ce fut aussi l’avis du pape Clément VIII

auquel il raconta l’histoire en allant à Rome pour ses bulles d’évèques ce

pontife frappé de ces circonstances lui fit un devoir de les publier afin

que les fidèles fussent encouragés par là à intercéder pour les défunts et à

faire grand cas de cet acte de charité le saint archevèque on le conçoit fut

toute sa vie rempli de zèle à promouvoir dans sa patrie une si généreuse

dévotion et il réussit à l’inspirer à une foule de coeurs autour de lui (V.

Martin de Roa, de statu animar., c XXI.)

 

148

44ème Merveille

la sainte communion pour les morts


 déposez votre pain sur le tombeau du  juste (Tob. IV, 18.)

l’objet du présent ouvrage n’est point d’aborder les

questions théologiques ni d’expliquer comment la sainte communion faite par

les vivants est utile aux morts qui ont encore à expier leurs fautes les

docteurs ont savamment établi cette doctrine et on les peut consulter il

nous suffit de rappeler que cet acte pieux le plus sublime de la religion

procure à Dieu une gloire telle qu’elle répare l’injure du péché dans une

mesure que lui seul définit mais qui est considérable l’humilité la

contrition la ferveur l’amour dont l’âme se pénètre alors sont d’ailleurs de

leur nature des oeuvres satisfactoires d’un haut prix principalement lorsque

le divin Sauveur soleil de justice et foyer de charité réside au milieu

d’elle et puis de grandes indulgences sont attachées souvent à la communion

dans une circonstance déterminée c’est d’après ces diverses considérations

que plusieurs interprètes appliquent à la communion pour les défunts le mot

de Tobie que j’ai écrit ci-dessus come épigraphe :" Mettez votre pain sur le

tombeau du juste." Voyons plutôt des exemples

149

Le vénérable Louis de Blois célèbre maître de la vie spirituelle et homme

d’une remarquable sagesse rapporte dans un de ses livres qu’un dévot

serviteur de Dieu qu’il connaissait et aimait fut visité par une âme du

purgatoire qui lui fit voir tout ce qu’elle endurait de tourments elle était

punie pour avoir reçu la divine Eucharistie avec une préparation

insuffisante et beaucoup de tiédeur et en expiation l’éternelle justice lui

avait ménagé le supplice d’un feu dévorant qui la consumait " je vous

conjure donc dit-elle vous qui avez été mon ami et qui devez l’être encore

au nom de notre fidèle union de communier une fois en mon nom et de le faire

avec toute l’ardeur et la charité dont vous êtes capable j’espère que cela

suffira pour ma délivrance et qu’ainsi seront  compensées mes coupables

froideurs." Celui-ci s’empressa de le faire l’âme lui apparut de nouveau

brillante d’un  incomparable éclat heureuse et pleine de reconnaissance "

Enfin lui dit-elle grâce à vous mon adorable Maitre !" N’est-ce pas le cas

de rappeler le conseil de saint Bonaventure : " Que la charité vous porte à

communier car, il n’y a rien de plus efficace pour le repos éternel des

défunts ( De proepar. Missae.)" plus merveilleux encore est ce qui arriva à

la bienheureuse Jeanne de la Croix religieuse de l’ordre de Saint-François à

laquelle les anges apportèrent une,hostie consacrée afin qu’elle communiât

pour la délivrance d’une âme autrefois pleine de dévotion envers l’auguste

Sacrement pendant une de ses oraisons la sainte fut ravie en esprit et

demeura quelque temps dans cet état privée de sentiment une religieuse étant

150

entrée dans sa cellule la tira de cette extase par le bruit qu’elle fit en

dérangeant un meuble " Retirez-vous lui dit vivement Jeanne et faites bien

attention de ne pas toucher à l’objet précieux qui est là sur ce linge car

c’est le divin sacrement apporté ici par les anges et coment cela peut-il

être ? " demanda la soeur étonnée Jeanne lui fit alors part de ce qui était

arrivé lui en demandant le secret un pêcheur endurci qui avait toujours vécu

dans la disgrâce du Seigneur et qui venait d’être condamné au feu de l’enfer

était mort avec le saint viatique dans la bouche on avait cru en le lui

donnant à une conversion trompeuse les anges ajouta-t-elle n’avaient pu

souffrir une telle profanation ni que la divine hostie restât dans cette

bouche impure et ils l’avaient apportée à la servante de Dieu " De plus

continua Jeanne ils m’ont ordonné de communier demain matin en faveur d’une

âme du purgatoire qui eut une grande dévotion pour l’Eucharistie ce sont les

mêmes anges qui m’ont retirée de mon extase à votre arrivée afin que je vous

prévinsse de ne point toucher un objet si sacré." Elle communia en effet de

cette manière dans les sentiments de la plus ardente piété et elle fut

assurée que l’âme pour laquelle elle avait intercédé était montée au ciel

(V. Louis de Blois, Monile spirituale, ch. VI ; Alex. Segala, Triumph.

animar., 2e part., ch.6, ex.6; Vie de la bienh. jeanne de la croix, ch.

VII.)

 

 

151

45ème Merveille

la divine eucharistie vous avez préparé pour moi un banquet contre ceux qui

m’oppriment (ps. XXII, 5.)


puisque nous avons parlé de la sainte communion

nous sommes amené naturellement à dire aussi quelque chose de celle qui se

fait chaque mois dans les églises de la Compagnie de Jésus pour le

soulagement des âmes du purgatoire les docteurs ont vu le symbole du divin

Sacrement dans l’arbre de vie planté au milieu du paradis suivant saint Jean

(Apoc.XXII) et qui donnait chaque année douze fruits un par mois ses

feuilles même étaient utiles au salut des nations : Lignum vitae afferens

fructus duodecim, per menses singulos reddens fructum suum ; et folia ligni

ad sanitatem gentium."   c ‘est en particulier l’interprétation de saint

Thomas d’Aquin (Opusc. de Sacr. alt.VI) " De même dit-il que la corruption

et la mort nous sont venues d’une nourriture défendue c’est-à-dire de

l’arbre de la science du bien et du mal ainsi la justification et la vie

doivent commencer en nous par une nourriture sainte celle de l’arbre de la

vie qui est le corps du Seigneur." Si donc l’Eucharistie est bien

représentée  par ces douze fruits annuels de l’arbre on voit com –

 

 

 

46ème Merveille VIDE SUR LE SITE

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SECONDE  PARTIE

Introduction 172

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52ème Merveille

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Récité le rosaire, comme il en avait l’habitude malgré ses tristes débordements, il commença à s’acquitter de ce tribut de dévotion envers la Mère du Celui qu’il était sur le point de grièvement offenser, et il le fit en faveur des âmes de ces malheureux suppliciés, pour lesquels sans doute personne ne pensait à intercéder. La récompense ne se fit pas attendre.

  Une voix forte lui cria : »Arrêtez, cavalier, n’allez plus avant ! »Il regarde autour de lui, ne voit que les cadavres et donne de l’éperon à son cheval. La même voix recommence : »Arrêtez, vous dis-je ; n’allez pas plus loin ! »La peur lui était inconnue ; il descend et se met à chercher, parmi ces hideux restes ; à moitié mangés par les corbeaux, s’il n’y avait pas quelque condamné vivant encore. En effet, d’une des potences descend cette supplication : »Cavalier, je vous prie par pitié de couper cette corde qui m’étrangle. »Touché de compassion autant que surpris, il donne un coup d’épée à ce lien , et le corps tombe à terre, d’où il se relève ; et voilà un homme plein de vie, qui se répand en remerciements, et proteste qu’il ne quittera plus son bienfaiteur, son sauveur, qu’il le servira comme un esclave. Le jeune aventurier refusa tout net cette offre de reconnaissance, et déclara qu’il voulait aller seul.-« Mais reprit l’autre, ignorez-vous qu’un danger extrême vous attend au bout de votre course, qu’il y va pour vous de la vie même ? Je veux vous délivrer. Laissez-moi vous marquer ma reconnaissance. »Se voyant ainsi découvert, notre cavalier ne fit pas d’objection. Il remonta à cheval et prit son nouveau compagnon en croupe. Ils ne tardèrent pas à apercevoir la maison ; l’échelle était préparée. Le jeune homme voulait s’y

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risquer tout de suite. »Non pas, dit son compagnon ; je soupçonne quelque machine, et , si vous m’en croyez, vous me laisserez monter le premier, afin que je m’assure de tout. Donnez-moi seulement votre chapeau et votre manteau. »Quand il les eut, il s’élança à l’échelle et pénétra par la fenêtre entr’ouverte. Au même instant on entendit un cliquetis d’armes, des menaces, des cris de colère, et au bout de quelques secondes, un corps frappé d’un coup d’épée tombait au pied du mur. Il se releva et dit au jeune homme stupéfait : »Vite ! vite ! à cheval, et sauvons-nous ! »Lorsqu’ils furent à quelques distance : « Avez-vous maintenant, dit le compagnon, vu et compris la belle réception qu’on voulait vous faire ?Le mari vous attendait out bonnement pour vous tuer à coups de dague. Et , dites-moi, s’il avait réussi, où serait-elle allée votre âme ? Rendez donc grâces à la Mère des miséricordes, qui vous a délivré à cause de votre fidélité à dire le saint rosaire chaque jour. Vous devez aussi bénir les âmes du purgatoire : car vous avez obtenu la délivrance de quelques-unes, alors que vous étiez en état de grâce, et elles vous le rendent aujourd’hui. Eh bien ! changez de vie et apprenez à craindre Dieu. »

  Comme il finissait cette exhortation, ils étaient revenus au lieu es potences. L’inconnu descend du cheval, se rattache au gibet, et déclare qu’il a été envoyé miraculeusement de l’autre vie pour ce qu’il vient de faire, et qu’il retourne où Dieu l’appelle. Un minute après, ce n’était plus qu’un cadavre.

  Quant au jeune homme, il est à peine besoin de dire dans quels sentiments il rentra chez lui. Son cœur tout bouleversé n’eut point de repos qu’il n’eût fait à Dieu

180 :

le sacrifice de sa vie ; il se dévoua pour le reste de ses jours à la pénitence et aux œuvres de piété, et il devint un modèle de sainteté, aussi empressé à se mortifier et à gagner les âmes au bien, qu’il avait autrefois recherché les plaisirs et compté pour rie le salut des autres.

(V.J. de alloza, Coelum sict. Mariae I III . ch 3. ex. 60.)

 

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53ème Merveille 

       DEFUNTS REPONDANT AUX PRIERES QU’ON FAIT POUR EUX


Per illum, defunctus adhuc loquitur: Grâ-

ce à sa foi, tout mort qu’il est , il parle encore (Hebr. Xi,4.)

Si c’est une détestable pratique, flétrie par l’Ecriture Sainte, de se servir de la magie pour interroger les morts, comme nous le lisons de Simon-le-Magicien et de la pythonis dont il est question au premier livre des Rois, il est au contraire très louable de réciter pour eux des prières, auxquelles on les entendus plus d’une fois répondre. L’histoire est riche en traits de ce genre. C’est ainsi qu’on raconte du saint évêque Bristano, qui avait pour les âmes du purgatoire une extrême dévotion, priant exactement pour elles chaque jour au saint sacrifice, disant des messes de Requiem toutes les fois que les règles liturgiques le permettaient, se levant la nuit pour aller faire oraison sur leurs tombes dans les

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cimetières, où il récitait en leur faveur les psaumes de la pénitence, accompagnés de nombreuses supplications, que dans une de ces circonstances, comme il achevait le Requiescant in pace, il distingua clairement une foule de voix qui répondaient au sein de la terre :Amen ! amen ! amen !

  Le bienheureux François de Fabriano, de l’ordre des Frères-Mineurs, fut témoin d’un semblable miracle. Il avait coutume d’appliquer en suffrage aux défunts ses œuvres de dévotion et de pénitence ,unies aux mérites de Jésus sur la croix. Sa compassion pour eux était si grande, qu’il ne pouvait pas même arrêter sa pensée sur les tourments expiatoires de l’autre vie ; il frémissait et tremblait, comme si cette image allait le faire mourir. Aussi, avait-il une ferveur peu commune en priant pour eux, particulièrement au saint autel. Un jour, il terminait une messe de Requiem par la post-communion Fidelium Deus omnium conditor, etc., suivis de la formule qui remplace l’Ite Missa est : Requiescant in pace ; on entendit dans toute l’église, alors presque déserte, un  concert de voix qui répondaient en chœur : Amen ! Ce que le saint religieux interpréta comme un cri de joie des âmes délivrées par l’auguste Victime qu’il venait d’immoler.

  Saint Grégoire de Tours rapporte quelque chose de plus admirable encore. Au diocèse de Bordeaux, dans un bourg dont il donne le nom, deux vénérables prêtres vinrent à mourir presque au même moment, après une vie extrêmement édifiante. Ils furent ensevelis dans la même église, quoique à des endroits différents, et aux deux extrémités de la nef. Or, pendant que le clergé partagé en deux chœurs, chantaient l’office(l’his-

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torien ne dit pas si c’était celui des morts), on entendit très clairement la voix des deux défunts unie  à celles des chantres, l’un d’un côté, l’autre de l’autre ; et cela avec tant d’harmonie, une si parfaite suavité d’organe, que les assistants y prenaient un grand plaisir. On fut persuadé que Dieu permettait le miracle pour faire connaître que ses serviteurs lui adressaient leurs dernières supplications avant de monter au ciel, et en même temps pour affermir la foi de nos ancêtres, qui à cette époque étaient convertis depuis peu. Qu’on juge combien il y avait de charme pieux à écouter ces âmes bienheureuses redire le psaume : « Laetatus sum : Je me suis réjouis à la pensée que nous irions à la maison du Seigneur. »

(V .j Bagutta, De admir. Orbis christiani. t.

II , chap4 ;saint Grégoire, De glor. Confessor., chap.47.)

 

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54ème Merveille        LA DIVINE MARIE ET LE SCAPULAIRE


In me gratia omnis vioe…, in me spes vitoe :  En moi est toute le grâce de la voie, toute l’espérance de la vie.(Eccl. xxiv,25.)

Parmi les dévotions à la très-sainte Vierge qui nous doivent inspirer la confiance d’échapper aux supplices du purgatoire et de monter au ciel plus promptement, il faut mettre au premier rang celle du Scapulaire. La

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 Mère de Dieu elle-même a daigné promettre au bienheureux Simon que quiconque porterait ce saint habit dans les dispositions convenables de mortification, de prière et de chasteté, feraient une courte expiation dans l’autre vie. Cette promesse est rappelée dans le bréviaire romain, à la sixième leçon de la fête : Bentissimo Virgo relatos in societatem scapularis, etc. La bulle pontificale dite Sabbatine fait également mention de ce fait, et de ce que les associés obtiennent d’échapper aux flammes du purgatoire, ou d’en être retirés le premier samedi après leur mort, ce jour de la semaine étant spécialement consacré à Marie. L’auguste Mère peut donc employer ici le langage du Seigneur à son peuple, dans le Lévitique : »In âc dic expiatio erit vestri alque munulatio ab omnibus peccatis, sabbatum enim requietionis est : Ce jour-là vous aurez accompli votre expiation et vous serez purifiés de tous vos péchés, car c’est le samedi du repos. »Les annales des carmélites contiennent plusieurs faits miraculeux dans ce sens.

  A Otrante, ville du royaume de Naples , une dame de la haute société éprouvait le plus sensible bonheur à suivre les prédications d’un père de l’ordre des carmes, grand promoteur de la dévotion envers Marie. Il assurait à ses auditeurs que tout chrétien portant le scapulaire dans les sentiments requis, en observant les faciles conditions de l’association, rencontrerait le divine Mère sur la route de son dernier soupir, et qu’elle viendrait le délivrer le samedi suivant, pour l’emmener avec elle au séjour de la gloire. Cette dame donc, émue de si précieux avantages, se fit inscrire et fit l’engagement d’observer les règles et les conditions exigées. Sa

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pété en augmenta considérablement ; sa joie la plus vive était de prier Marie de jour et de nuit, de mettre en elle sa confiance, de lui rendre toutes sortes d’hommages. Elle la suppliait, entre autres grâces de lui obtenir de mourir, un samedi, afin d’être immédiatement tirée du milieu des tourments mérités par ses péchés.

  Elle fut exaucée. Quelques années après, cette pieuse dame tomba gravement malade, et, malgré l’assurance contraire des médecins, elle comprit et déclara que s’était sa fin, ce dont elle se réjouissait, dans l’espérance de voir Dieu. Le mal fit de tels progrès, que les hommes de l’art annoncèrent alors qu’elle ne passerait pas le mercredi suivant ; mais elle leur dit : »Vous vous trompez encore ; je vivrai trois jours de plus et ne mourrai que samedi. »L’événement justifia sa parole et elle employa ses souffrances, comme un trésor inestimable, à se purifier des restes de ses fautes. Puis, elle rendit l’âme à son Créateur.

  La perte d’une si bonne mère fut extrêmement douloureuse pour une fille très pieuse qu’elle laissait sur la terre, et qui se retira aussitôt dans un oratoire, où elle priait pour la défunte. Elle y reçut la visite d’un grand serviteur de Dieu, accouru pour la consoler. C’était un homme fameux par les grâces dont le Ciel le comblait et par les révélations merveilleuses. »Cessez ô pieuse enfant, lui dit-il, cessez de pleurer, et que votre tristesse se change en joie. En perdant une mère ici-bas, vous avez acquis une protectrice au ciel : car je vous assure qu’aujourd’hui même, aujourd’hui samedi, grâce à la divine Marie, celle que vous aimez tant est sortie du purgatoire et a été admise parmi les

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élus. Réjouissez-vous donc, et bénissez l’auguste Vierge, notre bonne mère à tous ! »

                                 (V. Philocalus Caputus, Histor. Miracul. Imag

. De Vuirg. Carmeli ;, ch XI. Carmelus thaumaturgu s, an. 1643)

 

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55ème Merveille  

      ACCUSATIONS DU DEMON CONTRE LES MORTS


Satanas expedit vos, ut cribraret sicut

triticum :Satan a demandé à vous cribler

comme on crible le froment(Luc , xxii,34.)

 Le démon poursuit au tribunal de Dieu, avec une cruelle instance, les âmes qui viennent de quitter leurs corps et qui entrent dans la vie éternelle. Il veut les entraîner au moins dans le purgatoire, quand il ne peut obtenir pour elles l’enfer et la damnation. On se fera une idée de ce combat d’après le récit de saint Anselme, au sujet d’un de ses moines, appelé Osbern, qu’il avait appelé à la parfaite observance des règles, après une vie peu édifiante. Le converti vécut plusieurs années dans les meilleures dispositions, à la grande joie du saint abbé, qui l’aimait beaucoup. Au bout de ce temps et quoiqu’il fut encore jeune, il fut visité par la maladie qui le devait mettre au tombeau. Anselme, plein de chagrin, le veilla comme un père ; puis, le voyant près d’expirer, il lui demanda en grâce de lui faire savoir, après sa mort, quelque chose de l’état où il se trouverait. Le moribond le promit, et expira.

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  Or, pendant que la communauté chantait les prières ordinaires autour du corps, l’abbé s’était retiré dans un coin pour n’être pas distrait, et pouvoir implorer avec plus de recueillement la miséricorde divine sur le défunt. Là, versant beaucoup de larmes, multipliant ses soupirs et ses supplications, il implorait le salut de cette âme avec toute l’ardeur dont il était capable. Le sommeil le surprit dans cette œuvre de charité ; alors il eut une vision : il voyait entrer dans la chambre du défunt plusieurs personnages vénérables, vêtus de blanc, qui s’asseyaient pour prononcer la sentence ; mais il n’entendait rien, et se demandait avec anxiété quelle elle serait, lorsque le religieux lui apparût lui-même, le visage troublé inquiet, bouleversé, comme quelqu’un qui sort d’un combat ou qui échappe à peine d’un danger.-« Qu’y a t’il, mon fils ? lui dit l’abbé ; qu’est ce qui a été prononcé ? » Il répondit : »L’antique serpent s’est levé trois fois contre moi ; trois fois il a voulu m’abattre ; mais les oursiers du Seigneur m’ont délivré… »Le saint s’éveilla et ne vit plus rien.

  Anselme comprit que cette vision avait un sens. Il l’interpréta. Osbern avait été trois fois poursuivi par le démon devant le juge suprême : la première, pour les péchés commis depuis son baptême, avant son entrée en religion ; la seconde, pour ceux dont il s’était rendu coupable depuis sa retraite dans le monastère ; la troisième, depuis ses voeux jusqu’à la mort. Mais trois fois l’ennemi avait dû faire retraite : car les premières fautes avaient été effacées par la foi et la générosité d’un adieu volontaire au monde ; elles du noviciat, par la ferveur avec laquelle il avait prononcé ses engagements définitifs ; celles de la dernières époque, par les

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sacrements pieusement reçus et la pénitence courageusement embrassée. L’accusateur maudit avait donc été confondu sur tous les points, et, en fin de compte, il avait dût retirer son opposition. Quant à ces oursiers du Seigneur, qui avaient délivré le défunt, Anselme entendait par là les bons anges, qui ont mission de museler la bête infernale, et de l’empêcher de déchirer le troupeau de Jésus-Christ.

  Afin de se montrer vrai père spirituel, le bon saint abbé dit la messe pendant toute l’année suivant en faveur d’Osbern ; il désirait abréger les peines du Purgatoire auxquelles il ne doutait guère qu’il eut été condamné, pour la tiédeur et les infidélités de quelques-unes de ses années de religion ; s’il était empêché de célébrer lui-même, il se faisait remplacer dans cet office de charité. De plus, il recommanda la même intention à divers monastères. Et ainsi, non-seulement les défunts en obtinrent du secours, mais les vivants apprirent de ce bel exemple à prier pour les âmes souffrantes, que nous sommes trop disposés, hélas ! à oublier.

(V. Acta Sanctorum, 21 avril in, 70.).

 

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56ème Merveille

UN PURGATOIRE PLUS LONG A QUI N4A PAS PRIE

POUR LES MORTS


Qui non diligit manet in morte : Celui qui

n’aime moint demeure dans la mort(1     Jean ,iii,14)

 

Dans la belle Vie de saint Malachie, archevêque d’Armagh, saint Bernard loue hautement la dévotion du prélat envers les âmes du purgatoire, mais il blâme au même degré la sœur de Malachie, animée de tout autres sentiments. Etant encore diacre, l’archevêque aimait à assister aux funérailles des pauvres, afin de prier pour eux ; il les accompagnait au cimetière ; souvent même il les ensevelissait de ses propres mains, cet office lui paraissant propre à développer l’humilité autant que la pratique de la charité. Mais, comme le saint homme Tobie, il devait être éprouvé et tenté par la femme, ou plutôt par l’antique ennemi du genre humain. Sa sœur, toute aux idées du monde, tenait à déshonneur qu’un membre de sa noble famille se consacrât à des œuvres si basses, et lui disait avec colère : »Beau métier tu fais là, fou et grossier personnage ! est-ce l’occupation d’un homme de ton rang ?Laisse les morts ensevelir les morts, selon le mot du Seigneur… »Et, abusant de ce texte évangélique, elle le tourmentait de ses reproches et de ses plaintes.

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Malachie lui répondait avec douceur, mais non sans fermeté : »Pauvre fille, que dis-tu ? Tu sais les mots du texte sacré, mais tu n’en pénètres guère le sens. »Et il continuait de s’acquitter de l’humble fonction, où Dieu le récompensait par de grandes consolations intérieures.

  Cependant me Ciel ne laissa pas impunie l’imprudente témérité de cette femme. Elle mourut assez jeune et parut devant le Juge terrible, qui lit jusqu’au fond du cœur et demande compte de ses moindres mouvements. Malachie avait eu à se plaindre d’elle ; mais ,quand elle fut morte, il ne pensa plus qu’aux besoins de son âme, et pria pour elle avec tout le zèle dont il était capable . Une nuit, pendant son sommeil, longtemps après, il lui sembla la voir dans la cour de l’église, triste, vêtue de noir, sollicitant sa compassion, parce qu’il y avait trente jours qu’elle n’éprouvait plus de soulagement. Le saint homme s’éveille en sursaut, tout plein de ce rêve, et il se rappelle en effet que depuis un mois il n’a pas dit la sainte Messe pour sa sœur. On peut croire que Dieu avait encore permis cet oubli en punition de son insensibilité ancienne envers les défunts.

  Le pieux frère se remet donc à ses suffrages, et dès le lendemain il monte à l’aute l et offre dans ce but le saint sacrifice. Peu après, la morte se fit voir à lui dans une autre vision : elle se tenait sur le seuil de l ‘église, comme s’il ne lui était pas encore permis d’entrer, et elle gémissait. Il persévéra donc dans ses prières, n’omettant pas un seul jour l’auguste sacrifice. Alors il la vit entrer, mais elle ne pouvait avancer jusqu’à l’autel, malgré tous ses efforts. Bref, le saint ne cessa point de

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célébrer qu’il ne l’eût revue admise auprès de l’autel magnifiquement parée, brillante, heureuse, parmi une foule d’âmes éclatantes comme elle, qui paraissaient quitter aussi le lieu de l’épreuve, après leur expiation terminée. Ce qui démontre une fois de pluscomme l’observe saint Bernard lui-même, la puissance de la sainte Messe pour nous purifier de toutes nos fautes et nous rendre agréables à Dieu : « Hoc plané sacaramentam, dit-il, potens est peccata consummare, debellare obvias potestas, inferre coelis revertentes de terrâ »

  Mais nous ne devons point ici omettre le récit de la grâce que valut à saint Malachie sa grande charité envers les âmes du purgatoire. Il avait un jour convoqué les personnes dont il dirigeait la conscience à une conférence spirituelle, où, discourant du dernier passage, il demandait à chacun où et quand il lui serait plus agréable de mourir. Les uns indiquaient une fête, les autres une autre ; ceux-là un endroit, ceux-ci tel autre, etc. Quand ce fut au tour du saint de manifester sa pensée, il dit que quant au lieu, il ne finirait nulle part plus volontiers sa vie , hors de l’Irlande, qu’au monastère de Clairvaux(dirigé par saint Bernard), afin de jouir tout de suite des saints sacrifices de ces fervents religieux ; et que quant au temps, il préférerait le jour de la fête des morts, afin d’avoir toutes les prières qui se font ce jour-là dans le monde catholique pour les défunts. Ce souhait de sa piété fut accompli de point en point. Comme il se rendait auprès du souverain-pontife Eugène III ? il fut surpris que le Seigneur l’exauçait, car il s’écria avec le prophète : « Voici mon repos pour toujours ; je l’ai choisi

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et j’y demeurerai :Haee requies mea in saaeculam saeculi hie habitabo, quniam elegi eam. »(Ps. 131.)En effet le lendemain de  la Toussaint, il rendit son ¨me au Créateur, et courut recevoir la récompense de ses vertus(Nous avons connu une pieuse religieuse, Zénaïde-Pauline p…, qui attaquée d’une maladie affreuse depuis plusieurs années , suppliait Notre-Seigneur de lui accorder de mourir le jour de la commémoration des fidèles défunts, pour lesquels elle avait toujours eu une grande dévotion. Il lui fut accordé comme elle désirait. Le 2 novembre au matin, après deux ans de souffrances supportées avec le courage le plus chrétien, elle se mit à chanter un cantique d’action de grâce, et expira doucement quelques instants avant l’haure où commence la célébration des messe dans touts les églises)

 

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57ème Merveille       

 RIGUEUR DE LA JUSTICE DIVINE.


(Ajoutée par le traducteur de l’italien en  français).

Justicia et judicium praeparatia sedis luce :

Le jugement et la justice sont l’appui de  votre trône(Ps.lxxxviii,15)

 

Telle est la sainteté de notre Sauveur, qu’il ne saurait souffrir souillure dans ceux de ses enfants q’il appelle l’éternelle couronne. Nous avons à lui rendre compte de tout sans exception, pensées, actions, omissions volontaires, paroles, aspirations, etc.

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Qui donc ne tremblerait à la pensée de ce jugement que nul ne pourra éviter ?Qui ne s’appliquerait à préparer une sentence favorable, en se ménageant des intercesseurs et des protecteurs ? Voici un fait, tout récent, qui donnera à penser aux plus insensibles.

  En Amérique, grâce aux progrès consolants du catholicisme, presque tous les ordres religieux ont fondé des maisons florissantes, où l’ontravaille généreusement, par la prière, l’aumône et les labeurs de l’apostolat, à étendre le règne de Jésus-Christ. Les bénédictins, entre autres, ont une abbaye du nom de Saint-Vincent, au village de Latrobe. C’est en 1846 que le P.Boniface Wimmer fonda ce monastère, lequel dix ans après était élevé à la dignité d’abbaye et agrégé au Mont-Cassin d’Italie. Le bruit courut, au commencement de 1860, qu’une âme était apparue à l’un des religieux, afin de réclamer ses prières. Aussitôt les mauvais journaux de se répandre, selon leur coutume, en plaisanteries et en grossières impiétés. Le vénérable Wimmer, affligé de ces scandales, crut devoir faire et publier le 26 février 1860, de déclaration suivante :

« Voici la vérité. Dans notre abbaye de Saint-Vincent, près de Latrobe, le 18 septembre 1859, un novice a vu apparaître un moine bénédictin en costume complet de chœur. Cette apparition s’est renouvelée chaque jour, depuis le 18 septembre jusqu’au 19 novembre, soit de onze heure à midi, soit de minuit à deux heures du matin. Le 19 novembre seulement, le novice a interrogé l’esprit, en présence d’un autre membre de la communauté, sur ce qu’il demandait. L’esprit a répondu qu’il souffrait depuis soixante-dix-sept ans, pour n’avoir pas dit sept messes d’obligation ; qu’il était déjà

193

apparu, à diverses époques, à sept autres bénédictins, qu’il n’avait pas été entendu ; qu’il serait contraint d’apparaître encore onze années si lui, novice, ne venait pas à son secours. L’esprit demandait que ces sept messe fussent dites pour lui ; de plus , le novice devait pendant sept jours demeurer en retraite et garder un profond silence ; en outre, et pendant trente-trois jours, il devait réciter trois fois par jour le psaume 50(Miserere mei, Deus), les pieds nus et les bras élevés au ciel.

  « Toutes ces conditions ont été remplies, à dater du 21 novembre jusqu’au 25 décembre, où, après la célébration de la dernière messe, l’esprit a disparu. Pendant cette période, l’esprit s’était montré encore plusieurs fois, exhortant le novice, dans les termes les plus touchants, à prier pour les âmes du purgatoire, disant qu’elles souffrent affreusement, et qu’elles sont profondément reconnaissantes envers ceux qui concourent à leur rédemption. L’esprit a ajouté, chose bien triste à dire, que, des cinq prêtres qui sont déjà morts à notre abbaye, aucun n’était encore au ciel, que tous souffraient dans le purgatoire. Je ne tire pas de conclusions mais tout ceci est exact. »

  Telle est la déclaration de l’abbé, signée de sa main. Les conclusions frappent le plus distrait des lecteurs. Préparons-nous avec tremblement à cette discussion sévère de notre vie, et, si nous voulons être secourus un jour, secourons nous-mêmes ceux qui souffrent et qui s’adressent à notre charité.

(V. le journal Le Monde, 4 avril 1860 n.47.)

 

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58ème Merveille    Protection miraculeuse


 quand même je serais attaqué par les forces ennemis

mon coeur ne tremblera point (Ps. XXVI, 3)

Déjà nous avons rapporté le

secours miraculeux accordé par les âmes du purgatoire à un soldat dévot pour

elles mais de même que la Sainte-Ecriture nous montre plusieurs fois les

légions célestes volant à la défense des Israélites contre les armées de

Sennachérib et du roi de Syrie de même dans les annales de l’Eglise nous

lisons plus d’une intervention de ce genre de la part des pauvres âmes

souffrantes en faveur des princes qui songeaient à leur soulagement Eusèbe

duc de Sardaigne est un de ces témoins ce prince était tellement dévoué aux

âmes du purgatoire que indépendamment des aumônes considérables qu’il

faisait à leur intention il avait consacré à cette oeuvre les revenus d’une

ville entière ou la piété était en honneur on l’appelait pour ce motif la

Ville de Dieu et tout l’argent qui en provenait pour le trésor de l’Etat

servait aux oeuvres saintes à l’entretien d’un certain nombre de prêtres  et

de chapelains chargés de célébrer journellement en faveur de ces âmes le

démon ne put souffrir une si belle institution et il excita Ostorge roi de

Sicile qui avait de grandes richesses et

195

des troupes nombreuses à déclarer la guerre à Eusèbe sous de frivoles

prétextes Ostorge se mit donc en route assiégea cette ville et s’en empara

dès que le duc apprit cette nouvelle il en éprouva une aussi vive douleur

que s’il eût perdu la moitié de ses états aussitôt il assemble ses officiers

tient conseil avec eux et se résout à tout entreprendre pour chasser

l’ennemi de cette place l’armée se forme bien inférieure à celle des

Siciliens et l’on marche ce n’était pas sans crainte à cause de cette grande

infériorité mais voici que les sentinelles avancées signalent au loin des

légions de cavalerie et d’infanterie vêtues de blanc chevaux blancs armes et

bannières blanches  le duc reste interdit d’une part il tremblait que ce ne

fussent des renforts siciliens de l’a  utre il lui semblait comprendre que

Dieu lui envoyait du secours il se décide à expédier des hérauts d’armes au

nombre de quatre pour faire une reconnaissance et découvrir à qui l’on a

affaire dès qu’ils furent à égale distance des deux armées quatre hérauts

des nouveau-venus se détachèrent et marchant vers eux les saluèrent en

disant "N’ayez aucune crainte nous sommes la milice du souverain Roi et nous

accourons au secours de votre prince qu’il vienne s’entendre avec notre chef

" le duc s’avança et joignit ses soldats à ceux que le Ciel lui adressait

ainsi miraculeusement dès qu’Ostorge aperçut les légions qu’il avait à

combattre ces vêtements blancs ces légions martiales qui lui étaient

inconnues il fut saisi de terreur des éclaireurs envoyés à la découverte lui

rapportèrent que ces nouvelles légions ne pouvaient apparaître que par

miracle personne dans le pays ne comprenant d’ou ni comment

196

elles étaient venues en même temps il fut sommé de restituer la Ville de

Dieu à son légitime souverain il s’empressa d’accéder à toutes les

propositions répara le dommage qu’il avait causé et se retira en toute hâte

Eusèbe rendit à Dieu ses actions de grâces et remercia les généreux inconnus

leur chef lui répondit : " Sachez prince que presque tous ces soldats que

vous voyez sont des âmes tirées du purgatoire par vos suffrages le Seigneur

leur a confié le soin de vous protéger dans cette extrémité continuez donc

cette charitable dévotion et n’oubliez jamais qu’autant d’âmes vous délivrez

autant vous acquérez d’amis et de défenseurs au ciel ." Puis tout disparut

le duc se jeta à genoux et bénit le Dieu de toute miséricorde qui

n’abandonne jamais les siens (V. Henri Grandgermain, Magn. Specul.exem.,

dist. 9, ex. 184.)

 

 

 

196

59ème Merveille        Apparitions et révélations


nous savons que nous avons été

transférés de la mort à la vie. (I Joan, III, 14.)

Quoique déjà nous ayons

cité des apparitions et des révélations terribles sur les mystères de

l’autre vie pour la confusion de ces impies à qui il plaît de répéter

197

que personne n’est revenu nous dire ce qui s’y passe je n’hésite pas à en

rapporter deux autres appuyées sur l’indiscutable autorité du grand saint

Thomas d’Aquin témoin occulaire cet illustre docteur la gloire de l’Eglise

et de l’esprit humain était pénétré d’un grand zèle pour les pauvres âmes et

il pensait à elles dans ses sacrifices ses prières et ses mortifications

lorsqu’il était lecteur de théologie de l’Université de Paris il vit

apparaître devant lui l’âme de sa soeur morte abbesse de Sainte-Marie de

Capoue qui le conjura d’avoir pitié d’elle car elle souffrait cruellement

dans les flammes de l’autre vie et avait grand besoin d’être secourue le

saint s’empressa de prier de jeûner de se macérer et de réclamer les

charitables suffrages de plusieurs de ses amis il obtint la délivrance de sa

soeur et il en eut l’assurance à Rome ou on l’avait envoyé elle se fit voir

à lui de nouveau mais cette fois dans tout l’éclat du triomphe et de la joie

elle lui dit qu’il était exaucé que désormais elle allait pour l’éternité se

reposer dans le sein de Dieu Thomas saisit cette occasion de lui demander ce

qu’étaient devenus deux de ses frères morts  depuis quelque temps l’âme

répondit que celui qui se nommait Arnaud jouissait dans le ciel d’un haut

degré de gloire pour avoir courageusement défendu le souverain pontife

contre l’empereur Frédéric d’Allemagne et avoir souffert persécution sur ce

sujet mais que Landolphe était encore dans les peines du purgatoire ou il

attendait qu’on s’intérressât à lui elle ajouta :" Pour vous mon frère

hâtez-vous de mettre la dernière main aux saintes choses que vous avez

entreprises car vous viendrez bientôt  vous réunir à nous dans

198

le paradis ou une place magnifique vous attend en récompense de tout ce que

vous faites pour l’Eglise." Une autre fois comme le saint faisait oraison

dans l’église de Saint-Dominique à Naples il aperçut tout-à-coup frère

Romain qu’il avait laissé à Paris dans sa chaire de théologie pensant qu’il

vivait encore et qu’il venait le voir il se leva pour aller à sa rencontre

et le saluer en s’informant de son voyage et de sa santé le bon religieux

l’arrêtant lui dit que sa vie terrestre était  achevée qu’il avait reçu déjà

la couronne et qu’il était envoyé de Dieu pour encourager Thomas dans ses

travaux celui-ci interdit au premier moment reprit courage et l’interrogea

sur ce qu’il mettait au-dessus de tout : " Suis-je en état de grâce ? "

demanda-t-il le défunt sourit l’assura qu’il y était et que ses oeuvres

étaient agréables à la divine Majesté il l’interrogea ensuite sur son propre

état à lui et Romain lui répondit qu’il jouissait actuellement de la gloire

après quinze jours de purgatoire pour différentes infidélités qu’il n’avait

point expiées auparavant enfin il voulut apprendre de cette âme certains

détails théologiques si par exemple dans le ciel on voit Dieu par le moyen

de la gloire élevant l’intelligence ou bien par toute autre action divine il

lui fut répondu seulement par le verset neuvième du psaume XLVIIe : " Sicut

audivimus sic vidimus in civitate Domini virtutum : nous avons vu dans la

cité du Dieu puissant selon ce que nous avons appris." En prononçant ces

mots la vision s’évanouit laissant l’angélique docteur dans une grande

impatience de monter auprès de son Sauveur adorable on voit par ce double

trait qu’en assurant que Dieu se sert quelquefois des âmes pour en faire ses

messagers

199

comme il fait des anges saint Thomas parlait après une expérience

personnelle qui ne pouvait le laisser dans le moindre doute ( V. Vie de

saint Thomas d’Aquin, par Pierre Mafféi ; Dario Dominicano, 7 mars.)

 

 

 

60ème Merveille        mérite de la sainte obéissance.


Vous serez comme un enfant du Trés-Haut obéissant

et il aura pitié de vous ( Eccl.5 ou 15 ,11.)

Parmi les grands avantages de la

vertu d’obéissance si fortement recommandée par la sainte Ecriture et par

les saints Pères l’un des principaux est de délivrer des peines du

purgatoire ou du moins de les adoucir cela se comprend aisément celui qui

obéit en suivant les ordres du Seigneur qui lui sont intimés par son

supérieur entre en conformité parfaite avec la divine volonté c’est pourquoi

il ne saurait être puni pour des actions accomplies selon les lois de

l’infaillible sagesse Saint Jean Climaque dit de la sincère obéissance

qu’elle est le bouclier de nos oeuvres au grand tribunal voici un exemple la

bienheureuse Emilie dominicaine prieure du monastère de Sainte-Marguerite à

Verceil aimait à développer devant ses religieuses le mérite de l’obéissance

200

au point de vue spécial du purgatoire un des articles de la règle

interdisait de boire entre les repas à moins d’une permission expresse de la

supérieure et celle-ci avait pour pratique ordinaire de la refuser afin de

fournir à ses soeurs une occasion de pénitence facile seulement elle

s’efforçait de leur adoucir ce refus en les invitant à offrir leur soif à

Jésus en croix tourmenté de la même façon et à un degré bien plus

insupportable elle leur conseillait de réserver cette eau pour l’autre vie

ou les ardeurs du purgatoire la leur feraient désirer et d’en confier le

dépôt  à l’ange gardien jusqu’à ce moment-là une des soeurs Cécile Avogadra

étant un jour pressée d’un besoin de ce genre vint demander à la servante de

Dieu l’autorisation de boire mais inspirée d’en-haut elle ne la lui accorda

pas et l’exhorta à s’imposer pour Jésus en croix cette légère car elle se

sentait très-altérée toutefois elle se rendit à l’obéissance et fit son

offrande de bon coeur au divin Epoux elle mourut peu de temps après il y

avait trois jours qu’elle était ensevelie lorsqu’elle apparut toute

resplendissante à la mère Emilie elle lui raconta avec mille actions de

grâces que devant souffrir en purgatoire  pour un attachement déréglée à ses

parents elle avait été délivrée très promptement en récompense de ces

quelques gouttes de rafraîchissement qu’elle avait sacrifiées à l’obéissance

le troisième jour son ange gardien était descendu dans le lieu des tourments

portant cette eau offerte au Seigneur et la versant sur les flammes les

avait éteintes pour la conduire avec lui dans l’éternel séjour

201

nous devons rapporter aussi ce que fit notre bienheureuse à l’égard d’une

autre soeur appelée Marie- Isabelle qui éprouvait du dégoût pour le choeur

auquel elle préférait la conversation et d’autres amusements elle était

toujours  la première à sortir après le dernier verset des psaumes or la

prieure affaire la pressait ainsi de s’éloigner à la hâte avant toutes les

autres même avant les anciennes la bonne religieuse sans chercher à feindre

avoua qu’elle s’ennuyait un peu à l’office et qu’elle trouvait trop lente la

marche de la communauté " C’est très bien reprit la prieure mais dites-moi

s’il vous en coûte d’être commodément assise au milieu de nous à chanter les

louanges divines comment donc ferez-vous dans le purgatoire lorsque vous

serez détenue au milieu des tourments ? je juge nécessaire de vous éviter

pour l’avenir cette terrible quitter votre place que la dernière." la soeur

se soumit avec grande simplicité Dieu bénit cette obéissance pieuse en lui

ôtant le dégoût  et l’ennui dont elle se plaignait elle éprouva au contraire

une consolation extrême à prier longuement et à rester au choeur après

toutes les autres ce n’est pas tout elle obtint encore à cause de cela

d’être délivrée du purgatoire avant le temps d’expiation imposée à ses

défauts et que les heures qu’elle avait ainsi passées en oraison

d’obéissance fussent  comptées pour heures de purgatoire en quoi sans doute

elle fut aidée par les prières de la bienheureuse Emilie très efficaces pour

les âmes souffrantes nous savons par son historien qu’elle avait obtenu de

la sorte par sa fervente intercession que son propre père vît changer en

202

trois heures seulement les trois jours de purgatoire prononcés contre lui

(V. Diario Domenicano, 3 mai.)

 

 

 

202

61ème Merveille        Dévouement charitable.


Nous devons pour nos

frères donner notre vie.( I Joan, III, 16.)

Le nom du P. Jean-Eusèbe

Nieremberg (Ce père de l’ordre des Jésuites était espagnol et vécut de 1590 à 1668.)

 est fort connu pour les ouvrages qu’il a publiés en faveur de la

religion et de la piété on ne sait pas aussi bien peut-être à quel point il

portait la dévotion aux âmes du purgatoire il s’imposait pour elles des

mortifications fréquentes accompagnées d’oraisons et de prières il y avait à

la cour de Madrid parmi ses pénitents une dame de qualité que sa direction

sage et expérimentée avait conduite à une haute perfection au milieu du

monde cette dame d’une faible complexion tomba dangeureusement malade d’une

fièvre maligne à laquelle les médecins ne surent point trouver de remède

avertie du péril elle en témoigna   un profond chagrin non seulement à cause

des oeuvres utiles qu’elle avait entreprises et qu’il fallait abandonner

mais aussi par la

203

crainte du purgatoire ou elle prévoyait que la divine justice la retiendrait

le P. Eusèbe qui l’assistait usa de toutes les industries de sa charité de

tous les raisonnements les plus convaincants pour lui donner du courage de

la soumission à la volonté de Dieu et l’armer par les sacrements contre les

derniers combats mais elle toute livrée à son trouble et à ses terreurs

différait de jour en jour jusqu’à ce qu’elle tomba dans une sorte de

léthargie privée de connaissance entre la vie et la mort Alarmé à la pensée

qu’une personne qui avait donné de si saints exemples pût expirer sans les

secours de l’Eglise reçus en pleine liberté d’esprit le confesseur se retira

dans une chapelle voisine près de la chambre de la moribonde il y offrit le

saint sacrifice avec une grande ferveur conjurant le Seigneur d’accorder à

la malade au moins le temps de se reconnaitre et dêtre munie des sacrements

avant de paraitre devant lui  il s’offrit à la justice divine pour souffrir

lui-même dans cette vie les tourments qui lui étaient réservés au purgatoire

afin que délivrée de cette appréhension elle se résignât plus facilement à

mourir Dieu fut favorable à une si pieuse et si charitable prière la messe

était à peine achevée que la dame revint à elle et avec un tel changement de

dispositions qu’elle demanda d’elle-même les sacrements  et les reçut avec

la plus édifiante ferveur quand ensuite elle entendit le P. Eusèbe l’assurer

qu’elle ne devait plus craindre le purgatoire elle se soumit entièrement à

la mort et expira dans la plus parfaite tranquilité on vit bien que la

prière du bon religieux avait été doublement exaucée car à partir de cet

instant et pendant seize ans qu’il vécut encore son existence ne fut plus

qu’un

204

martyre et un rigoureux purgatoire aucun remède naturel ne pouvait soulager

ses douleurs et il n’avait d’autre adoucissement que le souvenir de la cause

généreuse pour laquelle il les endurait ses prières n’étaient pas moins

profitables aux âmes déjà condamnées à ce feu terrible comme on le vit en

plusieurs occasions il ne manquait point de réciter chaque jour le chapelet

à leur intention et de gagner pour elles le plus d’indulgences qu’il se

pouvait dévotion à laquelle il invita depuis les fidèles dans un ouvrage

spécial le chapelet qu’il possédait avait reçu quantité de bénédictions de

ce genre il eut le chagrin de le perdre et se vit dans la nécessité d’en

emprunter chaque jour un semblable à l’un de ses amis ce qui se pouvait

faire alors un jour cependant occupé plus que de coutume à différentes

affaires qui avaient pour objet la gloire de Dieu il s’aperçut fort tard

qu’il avait oublié son tribut quotidien de prières et qu’il ne pouvait plus

à cette heure avancée avoir recours à son ami ce lui fut une peine

très-sensible il se mit à genoux pour supplier les pauvres âmes de lui

pardonner leur offrant sa bonne volonté son désir de gagner sur ce rosaire

les indulgences qui les soulageaient mais il ne l’avait point et ne pouvait

se le procurer pour ce jour-là il priait encore lorsqu’il entend un bruit

singulier au plafond de sa chambre il y jette les yeux et aussitôt il en

voit tomber son propre chapelet avec toutes les médailles qui y étaient

attachées il ne douta pas que ce ne fussent les âmes pour lesquelles il

méritait qui le lui eussent renvoyé je laisse à juger avec quelle ferveur

nouvelle après cette merveille il récita les cinq dizaines accoutumées et

combien il se fortifia dans une pratique qu’il voyait si utile et si

favorisée du ciel.

205

on a conservé de lui un autre trait non moins précieux il se tenait une nuit

priant au milieu du choeur de l’église du collége impérial de Madrid quand

il vit apparaître à ses yeux l’âme d’un père lecteur de théologie mort

quelques jours auparavant le défunt réclamait une part de ses suffrages

parce qu’il était condamné à de rudes tourments dans le lieu d’épreuve il

avoua même que le sujet de ces tourments était d’avoir souvent rapporté aux

supérieurs avec exagération et sans assez de charité les défauts du prochain

à cause de cela sa langue était livrée à un feu cuisant cependant la divine

miséricorde et l’intercession de Marie lui avaient accordé de venir

solliciter des prières  et de servir en même temps d’exemple aux autres il

espérait donc qu’un si charitable religieux autrefois son ami dévoué

d’ailleurs aux âmes des défunts aurait compassion de lui le P. Eusèbe fut

extrêmement touché de ce discours et ayant promis ce qu’on lui demandait se

hâta de faire part de tout au supérieur le jour suivant dès l’aube il

célébra la sainte Messe pour cette âme et continua de prier et de faire

pénitence à son intention bientôt elle lui apprit que grâce à lui l’instant

du triomphe était arrivé pour elle

(V. Alph. de Andrada. Vita P. Jos. Nierembergii, S. J. c. IX.)

 

 

 

206

62ème Merveille        Suffrages conformes aux bonnes oeuvres accomplies pendant la vie


chacun

recevra ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu’il aura faites

pendant qu’il était revêtu de son corps ( II. Cor. v, 10.)

La justice divine

proportionne les châtiments aux fautes celui qui a été ici-bas dur pour les

pauvres ne trouve plus après sa mort de compassion ni de miséricorde celui

qui fut idolâtre de son corps ne lui refusant aucune voluptés après

lesquelles il s’élance se voit condamné à des tourments atroces sans

adoucissement la même corrélation a lieu de la part de la bonté céleste à

l’égard des vertus contraires celui qui aima et pratiqua l’aumône est

soulagé dans le purgatoire par les suffrages de l’aumône celui qui aima et

pratiqua la mortification est soulagé par les suffrages de la pénitence et

ainsi du reste nous nous préparons donc à nous-même notre avenir l’empereur

d’Allemagne Othon IV avait été le généreux bienfaiteur des maisons

religieuses et en même temps d’une grande austérité personnelle aussi après

sa mort il reçut un grand soulagement dans ses peines et fut promptement

délivré en vertu des prières et des

207

mortifications des moines il était mort dans une parfaite réputation de

religion et chacun le croyait au ciel lorsqu’un matin il se fit voir à l’une

de ses tantes pour réclamer le secours de ses prières celle-ci était abbesse

d’un  couvent fort régulier et elle exerçait sur les soeurs non-seulement

l’autorité de sa charge mais celle aussi de son éminente vertu et des dons

miraculeux de la grâce qui brillaient en elle elle était donc ce matin-là à

une fenêtre du parloir elle entendit frapper légèrement à la porte qui

s’ouvrit aussitôt d’elle-même et voici l’empereur qui s’avance dans

l’attitude d’un suppliant " Je suis lui dit-il d’un ton douloureux passé à

l’autre vie et je languis dans les peines du purgatoire Ah si vous avez pour

moi quelque compassion montrez-la je vous en supplie que les monastères

avertis par vous me viennent en aide qu’on récite en ma faveur le psautier

un grand nombre de fois avec la discipline pendant le De profundis et de

plus l’Oraison Dominicale et la Salutation Angélique cette expiation

volontaire me purifiera j’en ai l’assurance car j’ai fait du bien aux ordres

religieux et Dieu veut me délivrer par eux." Le prince pouvait bien parler

ainsi ayant l’année même de sa mort dans une grande disette qui régnait par

tout le pays secouru de toutes ses ressources les maisons consacrées à la

retraite et à la prière avertis par l’abbesse les différents monastères

accomplirent en hâte ce que le défunt attendait d’eux les prières et les

austérités comme il les avait demandées en reconnaissance de sa protection

passée peu de jours s’écoulèrent et l’âme apparut de nouveau de la même

manière et au même lieu mais quelle différence une telle lumière émanait

d’elle une gloire si admirable

208

l’environnait que les yeux en étaient éblouis elle exprima sa gratitude dans

les termes les plus touchants avec mille bénédictions au Ciel qui daignait

la recevoir parmi les élus éternellement couronnés (V. Thom. de Catimpré,

Apum, liv, II, c. 35, n°19 ; Théoph. Reynaud, Heier Spirit, q. II. lect. 3,

6e point, qu. 6e.)

 

 

 

208

63ème Merveille         Idée du feu du purgatoire et des leçons qu’il nous donne


 il a mis le feu à mes os,et il m’a instruit (Threni  I, 13.)

la vie de la

bienheureuse Catherine de Racconigi est pleine de visions admirables de la

gloire du paradis des supplices de l’enfer et des peines du purgatoire Dieu

daigna lui donner de ces dernières non-seulement des visions mais une preuve

sensible parce qu’il voulait exciter dans son coeur un zèle ardent pour la

délivrance des âmes qui y gémissent le Sauveur lui apparut un jour et tira

du sang de la poitrine de la sainte lui faisant entendre qu’une partie

tombait sur la tête des pêcheurs et l’autre sur les âmes du purgatoire

Catherine comprit donc que par ses prières ses exhortations ses pénitences

elle devait convertir beaucoup d’hommes éloignés de leur Créateur et en même

temps

209

délivrer beaucoup d’âmes du lieu de l’expiation bientôt ce zèle redoubla

encore à l’occasion du fait que je vais rapporter comme elle était une fois

étendue dans son lit avec une grosse fièvre elle se mit à méditer sur les

tourments de l’autre vie bientôt elle se sentit ravie en extase et conduite

en présence des flammes même du purgatoire là le Seigneur afin qu’elle

conçut une dévotion plus grande voulut qu’elle regardait ce terrible feu

elle entendit une voix qui lui disait : " Tu vas ressentir tout cela pour un

moment." A l’instant même une étincelle se détacha et vint toucher sa joue

gauche à la vue de quelques-unes de ses compagnes qui se tenaient autour de

son lit pour l’assister dans sa  maladie or la douleur qu’elle en éprouva

fut telle que son visage tout entier enfla et resta plusieurs jours dans cet

état elle disait que en comparaison de ce que cette simple étincelle lui

causait de tourments les souffrances de cette vie n’étaient absolument rien

dès cette heure elle redoubla de dévouement pour les pauvres âmes il lui

semblait qu’elle ne faisait jamais assez en leur faveur bien qu’elle

s’imposât  les plus dures  austérités et travaillât de toutes ses forces à

les soulager plusieurs de ces âmes lui apparurent pour la remercier de leur

délivrance et l’encourager dans sa dévotion la première qu’elle vit ainsi

d’abord dans un cachot obscur puis brillante de célestes clartés fut celle

d’un prieur de la chartreuse ce religieux était tombé dans le schisme du

conciliabule de Pise et quoiqu’il eût été relevé des censures à l’article de

la mort il avait laissé à la communauté quelques doutes sur sa conversion

210

sincère et sur son salut éternel Catherine manifesta ce qui lui en avait été

révélé et réclama les prières des moines jusqu’au moment ou elle acquit la

certitude de la délivrance plus étonnante fut son histoire avec une soeur du

tiers-ordre laquelle étant passée inopinément de vie à trépas elle désirait

vivement de savoir en quel état elle se trouvait pendant la cérémonie de

l’enterrement elle supplia le Seigneur de lui faire connaître ce mystère et

elle fut exaucée le cadavre qui était exposé à découvert avait selon l’usage

les mains croisées sur la poitrine la droite se leva saisit celle de

Catherine qui était près de la bière et la serra fortement comme si l’eût

conjurée de se souvenir de leur amitié et de lui accorder le bénéfice de ses

suffrages elle l’entendit ainsi pria beaucoup et finit par voir cette âme

qui lui apparut directement pour la remercier la bénir et l’assurer qu’elle

était admise dans le sein de Dieu Catherine recevait elle-même par le moyen

de ces âmes reconnaissantes des grâces précieuses particulièrement de

révélations de choses éloignées ainsi par exemple lorsque l’armée française

descendit en Lombardie en 1525 sous la conduite de François 1er et mit le

siège devant Pavie la reine Claude première femme de ce prince se fit voir à

notre bienheureuse et lui annonça la prise du roi et la défaite de ses

troupes et cela afin qu’elle priât et fît prier pour tant de soldats jetés à

l’improviste entre les mains de leur juge (V. Dario Dominicano, 4 sept. ,

Vie de la bienh.)

 

 

 

211

64ème Merveille        Marie au jour de son Assomption.


En montant au ciel elle emmêne la captivité

captive ( Eph. IV, 8.)

La gloire que l’Apôtre saluait dans le Rédempteur du

monde lorsque montant au ciel au jour de son ascension il y conduisait avec

lui triomphalement les âmes des patriaches arrachées aux limbes Acendens in

altum captivam duxit captivitatem cette gloire Gerson l’attribue à bon droit

à la mère de Jésus dans son assomption elle se présente au ciel dit-il

suivie d’une nombreuse multitude d’âmes du purgatoire et chaque année à

pareil jour elle en délivre une troupe nouvelle Saint Pierre Damien confirme

cette pensée par une vision miraculeuse voici comment il s’exprime a la fête

de l’Assomption de la divine Vierge le peuple romain a coutume pendant la

nuit qui précède de visiter pieusement les églises de la ville un cierge à

la main parmi la foule se trouvait une année une dame de vie très-édifiante

qui vint ainsi s’agenouiller dans la basilique de l’Ara-Coeli au Capitole

elle y aperçut à une certaine distance d’elle une femme qu’elle avait

beaucoup connue et qui était morte depuis un peu moins d’une année sa

surprise on le pense bien fut extrême elle aurait eu le plus grand désir de

lui parler

212

mais il était fort difficile de fendre la foule pour arriver jusqu’à elle

c’est pourquoi elle se plaça dans un coin l’attendant à la sortie et dès

qu’elle put s’approcher lui prenant la main : " N’êtes-vous pas lui dit-elle

ma marraine Marozie qui m’a tenu sur les fonts du baptême ? – Oui répondit

l’apparition c’est moi-même  – Comment donc vous rencontré-je aujourd’hui

parmi les vivants lorsque je sais que vous êtes morte l’année dernière ?

Qu’êtes-vous devenue de l’autre côté du tombeau ?" La défunte lui répondit :

" Jusqu’à ce jour je suis restée plongée dans un feu épouvantable pour les

fautes de ma jeunesse alors que je me plaisais aux ajustements et aux

pauvres immodestes tenant avec mes compagnes des discours inconvenants et

m’abandonnant à de coupables affections je m’étais à la vérité confessée de

toutes ces iniquités mais en recevant la rémission de la coulpe je ne reçus

pas en même temps celles des peines temporelles que j’avais méritées et le

purgatoire m’attendait avec de cruelles tortures mais maintenant dans cette

grande solennité la Reine du ciel émue de compassion envers les âmes

souffrantes a adressé pour nous ses prières au redoutable Juge et a obtenu

pour moi et pour beaucoup d’autres la grâce d’être reçues en paradis le jour

de son assomption et tel est le nombre des âmes que sa toute puissance

intercession a sauvées dans cette circonstance que celui du peuple de Rome

n’est pas plus élevé a cause de cela nous toutes ( vous ne voyez que moi

mais il y en a bien d’autres !) nous nous transportons dans les sanctuaires

dédiés à Marie afin de lui rendre grâces et de la bénir autant que nous

pouvons pour son immense miséricorde."

213

A ce récit la bonne dame restait comme stupéfaite ne sachant si elle devait

ajouter foi à ce qu’elle entendait ce que voyant Marozie elle ajouta : "

Afin que vous ne doutiez point de la vérité de mon histoire sachez que

vous-même dans un an et à pareille fête de l’Assomption vous mourrez si vous

passez cette époque tenez tout ceci pour une illusion." Puis elle disparut

cette dame resta seule dans l’église ne pouvant plus douter de la grâce que

Dieu lui faisait par cet avertissement dès cette heure elle renonça à toutes

les vanités mondaines s’habilla modestement revêtit le cilice vécut dans la

retraite et l’austérité d’une pénitence exemplaire fréquentant assidûment le

tribunal de la réconciliation et la sainte table elle espérait abréger de la

sorte le temps du purgatoire que méritaient ses péchés l’avant-veille de la

fête elle tomba malade et fut rapidement conduite à toute extrémité le jour

même de l’assomption elle expira et alla éprouver les effets de la

maternelle bonté de Marie (V. Petri Damiani Opusc. 34, 2e part., ch. 3.)

 

 

 

 

214

65ème Merveille        Recompense du bien accompli.


 Avant la mort faites du bien à votre ami donnez

pour reçevoir et établissez la justice dans votre âme ( Eccli. XIV, 13).

Nous

avons vu plus haut un prince récompensé après sa mort pour le bien qu’il

avait fait à des communautés religieuses le Souverain -Pontife Benoit VIII

était rempli d’affection et de bienveillance pour le monastère de Cluny et

pour l’abbé saint Odilon ce qu’il aimait en lui c’était sa fervente piété et

aussi la dévotion dont il donnait des preuves quotidiennes en faveur des

âmes du purgatoire il ne se contentait pas pour elles de ses propres oeuvres

il recommandait encore aux suffrages de tous ceux sur qui il pouvait avoir

quelque autorité on croit même  d’après certains auteurs que ce fut lui qui

le premier introduisit l’usage de prier spécialement pour les fidèles

défunts le lendemain de la Toussaint le pape donc dans son attachement

accordait à Odilon les grâces les plus précieuses et lorsque le pieux abbé

venait à Rome visiter les tombeaux des saints martyrs Benoit voulait se

charger lui-même de tous les frais de route et d’entretien tant que durait

le voyage Benoit reçut après sa mort la récompense de cette

215

sainte affection quelques jours après qu’on l’eut enseveli il apparut à Jean

évèque de Porto et lui apprit qu’il était condamné à une terrible expiation

pour n’avoir pas correspondu parfaitement à la grandeur de sa dignité

suprême il espérait néanmoins éprouver du soulagement par les suffrages du

saint abbé Odilon si on lui faisait connaître la nécessité ou il se trouvait

"Je vous supplie donc dit-il de lui donner avis de ce que vous venez

d’entendre si vous me conservez encore quelque attachement avertissez pour

plus de rapidité mon successeur Jean afin qu’il expédie tout de suite un

messager à Cluny et que cette vertueuse communauté intercède pour moi." A

peine saint Odilon eut-il été informé de la vision que non content de ses

propres prières il recommanda à tout son monastère de faire de grandes

mortifications et des oraisons plus nombreuses en faveur de leur bienfaiteur

défunt le pape Benoit il fit dire la même chose aux différentes maisons de

l’ordre et tous se mirent à prier avec une touchante et unanime ferveur et à

offrir l’auguste sacrifice plusieurs fois chaque matin il y avait quelques

jours que ces saints exercices se poursuivaient lorsque Edelbert procureur

et aumônier du couvent eut une vision comme si elle s’adressait

particulièrement à lui à cause des aumônes dont il avait été le distributeur

il lui sembla donc qu’il voyait entrer d’abord dans le monastère puis au

chapitre un personnage de belle et vénérable apparence couvert d’un brillant

manteau couronné de pierres précieuses et de diamants accompagné  d’un grand

cortège  d’hommes vêtus de blanc il se dirigea tout droit vers le siège de

l’abbé inclina la tête jusqu’aux genoux de saint

216

Odilon comme s’il rendait grâces à lui et à sa communauté de quelque

signalée faveur Edelbert étant fort étonné à ce spectacle et désirant savoir

quel était ce personnage qu’il ne reconnaissait point il entendit une voix

qui disait distinctement : " Celui-ci est le Souverain-Pontife Benoît

délivré par vos suffrages et par ceux de votre saint abbé avant de monter au

ciel il a voulu venir ici témoigner sa gratitude à ses bienfaiteurs et les

assurer qu’à son tour il ne les oubliera point auprès de Dieu." C’est ainsi

que la plus haute majesté du monde celle à qui ont été confiées les clefs du

royaume céleste et qui distribue les indulgences à tous les fidèles a besoin

elle-même en présence du juge redoutable de l’intercession des saints ( V.

Vincent de Beauvais, Specul. Hist. liv. 24, ch. 105.)

 

 

 

216

66ème Merveille        Combien effrayants sont les tourments du Purgatoire.


Pesez bien la rigueur de ce feu. ( Esdr.IV, 5.)

Un célèbre philosophe de l’antiquité disait que les peines de cette

vie ne sauraient abattre le sage car si elles sont légères il n’y a pas lieu

d’en parler si elles sont graves elles ont une bien courte durée Nemo potest

multium dolere et ? Cette pensée est de Sénèque

217

hélas on n’en peut pas dire autant du purgatoire ou les tourments unissent

la durée à l’intensité là les heures paraissent des jours les jours des mois

les mois des années les années des siècles " Oui dit Thomas à Kempis une

seule heure de cette expiation semblera plus insupportable qu’ici-bas cent

années de la pénitence la plus sévère Ibi erit una hora gravior in poenà

quàm hic centum anni in gravissimâ poenitentiâ" Nous trouvons dans les

Annales des pères capucins sous la rubrique 1618 une histoire terrible sur

ce sujet le père Hyppolyte de Scalvo grand serviteur de Dieu était animé

d’un zèle brûlant pour le salut du prochain et conséquemment pour la

délivrance des pauvres âmes il priait et se mortifiait pour elles et souvent

aussi il prêchait en leur faveur afin d’exciter parmi les fidèles une

dévotion pareille il voulait que les prémices de ses actions de chaque jour

fussent pour elles il se levait donc de meilleurs heure et récitait à leur

intention l’office des morts sans préjudice de ce qu’il faisait d’actions

saintes jusqu’au soir en pensant à leur soulagement encore n’avait-il qu’une

idée très-imparfaite des tourments de l’autre vie il ne se les figurait pas

aussi épouvantables qu’ils sont ce qui lui arriva bientôt lui donna à cet

égard une effrayante lumière il avait été envoyé en Flandre avec le titre de

commissaire général pour y établir quelques maisons de capucins destinées à

protéger par les saintes oeuvres de l’apostolat la foi de ce pays au moment

ou l’hérésie l’envahissait de toutes parts quand il eut accompli sa mission

on le maintint dans l’un de ces monastères en qualité de père gardien et de

maître des novices il  mettait

218

un soin scrupuleux à s’acquitter de sa charge et à faire avancer ces jeunes

gens dans toutes les vertus de leur état parmi eux s’en trouvait un qui

marchait à grands pas dans la voie de la perfection religieuse lorsqu’il fut

surpris d’une maladie subite qui le conduisit rapidement au tombeau par

malheur le père de Scalvo était absent dans ce moment-là et il ne put lui

donner sa bénédiction avec la dernière absolution ce qui causa au bon

gardien une vive douleur et l’engagea à prier d’autant mieux pour cette

chère âme qui n’avait pas achevé la première année du noviciat il était

revenu le soir même la nuit suivante il s’arrêta suivant sa coutume à prier

dans le choeur après l’office des matines comme il était plongée dans une

fervente oraison tout à coup il voit paraître devant lui le défunt sous la

forme d’un fantôme environné de feux et de flammes horribles qui

participaient à la fois des ténèbres et de l’éclat ordinaire au feu la voix

du spectre ne laissait point d’ailleurs de place au doute s’adressant à son

ancien supérieur avec mille gémissements il s’accusa d’une faute qu’il avait

commise et qui n’avait rien de grave  " Donnez-moi ô mon Père dit-il vous

qui êtes plein de charité donnez-moi votre bénédiction afin de me délivrer

de ce  manquement pour lequel je satisfais à la justice divine dans le

purgatoire vous-même imposez-moi la pénitence convenable ce sera celle que

je ferai la bonté du Seigneur m’y autorisant par une faveur spéciale Jésus

m’a permis de m’adresser à vous." Le religieux resta comme pétrifié telle

était son émotion sa terreur en présence de cette apparition que désirant y

échapper plus vite il répondit précipitamment

219

"Autant que je le puis mon fils je vous absous et vous bénis et quant à la

pénitence puisque vous m’assurez que j’ai aussi le droit de la marquer vous

resterez en purgatoire jusqu’à l’heure de prime (c’est-à-dire jusque vers

huit heures du matin). " En se limitant à ces quelques heures le saint homme

s’imaginait faire acte de grande indulgence ce ne fut point la pensée du

mort car à cette réponse il témoigna une sorte de désespoir comme si la

foudre l’eût frappé il courait dans l’église en criant " O coeur sans

compassion ô père qui n’avez point de pitié pour un fils si affligé quoi

punir de la sorte une faute que pendant ma vie vous eussiez jugée digne à

peine d’une légère discipline vous ignorez donc l’atrocité des supplices du

purgatoire ô coeur sans compassion O poeniitentia sine misericordiâ " La

vision avait cessé le père gardien sentait ses cheveux se hérisser sur sa

tête le regret l’étonnement la crainte se disputaient son coeur il cherchait

un moyen de revenir sur cette sentence et ne savait à quoi se résoudre

lorsque Dieu lui inspira une bonne pensée  celle de courir à la cloche du

couvent et d’appeler au choeur les religieux quand ils furent assemblés à

cette heure inaccoutumée il raconta ce qui lui était arrivé et demanda que

l’on commençât aussitôt le chant de l’office de prime ce qui fut fait mais

pendant les vingt années qu’il vécut encore ce souvenir ne s’effaça point de

sa mémoire il l’avait toujours présent et il répétait dans ses sermons le

mot de saint Anselme " Après la mort la moindre peine qui nous attend au

purgatoire est beaucoup plus grande que tout ce qu’on peut concevoir

ici-bas". (v. f. Marcellin de Mâcon, Annal. Capuc., t.III, an.1618, n.13.)

 

 

 

220

67ème Merveille        La crainte du purgatoire fait taire la volupté.


Ceux qui ont vécu dans les

délices s’en éloigneront dans la crainte des tourments. (Apoc. XVIII,10.)

L’un des freins les plus puissants aux entrainements de la nature vers les

délices de la vie est sans contredit la pensée des tourments qui en seront

un jour l’expiation tout esprit qui a de la droiture dans ses appréciations

devrait se dire avec un saint moine lorsqu’il est tenté de pécher " Brevis

voluptas dolor perennis : Un plaisir bien court et puis une douleur

éternelle ! Comment hésiter sur le choix ? Ce qui me coûte maintenant ne

sera qu’un combat d’un moment tandis que la peine durerait si longtemps !"

Telle fut l’instruction donnée par un défunt après son expérience

personnelle au vénérable Stanislas Choscoca l’une des lumières de l’ordre de

Saint-Dominique en Pologne un soir que cet admirable religieux récitait le

saint rosaire en se promenant au jardin il entendit auprès de lui des

soupirs et des plaintes comme d’une personne à qui serait arrivé un grand

accident il se tourne de tous les côtés interroge du regard et ne découvrant

rien dit à haute voix : "Qui est-ce qui se lamente ici et puis-je lui être

de quelque secours ?" Point de

221

réponse mais de nouvelles plaintes de nouveaux soupirs Stanislas suspecta

que ce pouvait être quelque ruse de l’esprit malin pour le distraire de sa

prière s’armant donc du signe de la croix :" Je t’ordonne au nom de

Jésus-Christ ajouta-t-il de me dire qui tu es et ce que tu demandes " Alors

il entendit ces mots :" Je suis une âme du purgatoire condamnée par la

justice de Dieu à faire ici pénitence et j’y souffre d’une manière terrible

que ne puis-je te faire comprendre ce qui attend le péché après le dernier

soupir de l’homme si les chrétiens en savaient une partie seulement ils

auraient horreur de ces plaisirs mondains qui les environnent de séductions

et qui les trompent misérablement répète partout car Dieu m’ordonne de te le

dire ce que je te révèle en ce moment les moindres transgressions se paient

bien cher au-delà de la vie et ces satisfactions mensongères sont

terriblement expiées." L"historien que nous suivons ne dit pas si ce fut la

même âme qui apparut une autre fois au même Père Stanislas il dit seulement

que la voyant tout environnée de flammes au milieu desquelles elle semblait

consumée il eut le désir de savoir si ce feu était plus pénétrant que celui

de la terre l’âme répondit que le feu terrestre comparé à celui du

purgatoire était comme un vent rafraîchissant et doux : Ignes alii levis

auroe locum tenent si cum ardore meo comparentur. Et comme le bon religieux

avait de la peine à le croire il ajouta :" Je voudrais en faire l’épreuve si

cela est possible à condition pourtant que ce fût autant d’ôté à mon

expiation future Ah répondit l’âme un homme encore vivant n’est point en

état d’en ressentir même une partie cependant pour vous convaincre éten –

222

dez vers moi la main et je ne doute pas qu’à partir de cet essai vous ne

fassiez tout pour en éviter les rigueurs."Stanislas sans s’effrayer étendit

la main sur laquelle le défunt laissa tomber une seule goutte très petite de

sa sueur ou plutôt  d’un liquide qui en avait l’apparence la douleur fut si

affreuse que le patient jeta un cri perçant et tomba par terre sans

connaissance comme s’il allait mourir a ce cri les frères accoururent et lui

prodiguèrent tous leurs soins quand il fut revenu à lui à force de remèdes

ils s’informèrent de la cause de ce mal subit qui expliquée par Stanislas

avec l’éloquence que lui communiquait l’effrayant événement les remplit tous

de terreur et fut la plus puissante leçon de détachement du monde et de ses

plaisirs il leur recommanda de ne point la garder pour eux seuls mais de la

faire savoir à tous ceux qu’ils auraient à instruire afin de les préserver

du malheur d’aller expérimenter par eux-mêmes des châtiments si redoutables

il vécut encore un an toujours en proie à la douleur de sa plaie sur le

point d’expier il raconta de nouveau l’événement rappelant au couvent

assemblé pour l’assister la crainte des jugements de Dieu et la nécessité de

faire ici-bàs pénitence si l’on veut être sauvé ce ne fut pas seulement dans

ce monastère mais dans tous les autres que l’effet s’en fit ressentir chacun

s’anima dans ses résolutions en prit de nouvelles combattit plus

courageusement ses défauts implora avec plus d’ardeur et d’humilité le

secours divin et se jugea plus sévèrement devant Dieu avant de s’approcher

des sacrements nous nous abandonnons trop facilement aux petites fautes

persuadés que le juge éternel en tiendra à peine compte déolorable erreur

223

dont nous gémirons alors mais qu’il ne sera plus temps de réparer la majesté

divine est si sainte qu’elle ne souffre pas la moindre tache dans ceux

qu’elle veut couronner près d’elle car ils fuiraient d’eux-mêmes et

n’oseraient jamais pénétrer dans cette gloire immaculée pour laquelle ils

ont été crées un poète a composé quelques beaux vers latins sur ce trait :

Vix in subjectam sudoris guttula dextram Decidit, immensus guttula visa

rogus oenarum, proh ! quantus erit dolor aequore mersis, Si tantam poenam

stilla vel una dedit ! Ce qui se traduit ainsi : " A peine une petite goutte

est-elle tombée sur cette main qu’elle paraît un foyer consumant Ah quelle

sera donc l’ardeur qui brûlera les victimes jetées dans l’océan de feu si

une seule goutte produit de telles douleurs !" ( V. J. Hautin, Patroc.

animar.  I. I, ch.6; Bzovius, année 1590.)

 

 

 

 

224

68ème Merveille        Plaintes douloureuses des âmes du purgatoire.

 

On a entendu le cri du deuil

de la souffrance et des larmes. (Jérém. , XXXI, 15.).

L’ingénieuse cruauté

de Denys-le-Tyran avait fait creuser à grands frais une prison souterraine

ou l’on ne pouvait proférer un mot une plainte émettre un soupir sans être

entendu par une ouverture pratiquée avec art dans un certain endroit de la

voûte ah si les cachots du purgatoire étaient ainsi faits par rapport à ceux

qui vivent encore sur la terre quels gémissements quelles doléances quels

cris de douleur arriveraient à leurs oreilles c’est un père accusant ses

enfants un frère son frère une femme son époux un mari sa femme pour en être

oubliés dans leur malheur combien d’infortunés testateurs plongés dans la

mer de feu du purgatoire poussent de lamentables soupirs contre de cruels

héritiers qui mis en possession de ces biens acquis par tant de travaux les

oublient absolument et ne feraient pas en leur faveur la plus légère prière

la moindre mortification ne dépenseraient pas un centime pour des aumônes ou

pour l’offrande du divin sacrifice combien de pères au fond de ces

redoutables cachots accusent d’ingrats enfants au moment de la mort ils

promettaient tout ils devaient tout faire leur

225

reconnaissance se signalerait de mille manières pour une âme à qui ils

devaient tant et le cadavre à peine déposé en terre ils ont enseveli avec

lui tout souvenir pas une prière pas un suffrage pas une aumône pour ceux

qui leur ont donné la vie et laissé le fruit de leurs sueurs de leur

économie comment donc les plaintes ne s’élèveraient-elles pas ardentes du

lieu d’expiation l’illustre chancelier de l’Université de Paris Jean Gerson

personnage aussi saint que savant rapporte le discours qu’une mère oubliée

ainsi de son enfant lui fit entendre par permission de Dieu  " Mon fils lui

dit-elle mon cher fils ah pensez un peu à votre pauvre mère écoutez mes

gémissements et prêtez attention à mes prières considérez les peines et les

tourments que le Seigneur a décrétés contre moi ce lieu de supplices ou je

suis consumée par un feu cuisant au nom de cet amour que vous me portiez si

j’ai dû vous croire hâtez-vous de me secourir dans ces intolérables

souffrances dont aucune langue ne peut rendre l’étendue ni aucun esprit

comprendre l’intensité donnez-moi la main pour m’en retirer venez venez non

point corporellement vous ne le pouvez pas mais par les actes de votre âme

par les prières et les supplications à la divine Majesté par des aumônes aux

pauvres par des mortifications personnelles une seule larme d’un coeur

contrit versée au souvenir de votre bonne mère suffirait peut-être pour

éteindre les ardeurs qui me consument ou du moins les mitigerait beaucoup eh

comment un fils se résoudrait-il à refuser ou à différer ce soulagement à

celle qui l’à conçu dans son sein enfanté dans la douleur allaité nourri et

élevé avec tant de dévoûement lorsque je vivais sur la terre

226

je vous ai toujours trouvé affectionné envers moi obéissant plein de

gratitude prompt à entreprendre et touché des sollicitudes dont vous étiez

de ma part le constant objet comment se fait-il qu’après mon trépas je vous

retrouve oublieux sans affection sans reconnaissance vous qui au lit de mort

me faisiez de si belles promesses ayant des larmes plein les yeux jurant que

vous feriez tout pour mon âme si vous m’avez tant aimée vivante pourquoi cet

amour a t-il maintenant cessé ai-je donc cessé moi d’être votre mère et vous

parce que vous vivez encore êtes-vous déchargé des obligations d’un fils

chrétien ah si une seule étincelle reste en vous de l’amour que vous me

portiez entendez mes gémissements compatissez à mes peines secourez-moi dans

mes cruels tourments car si un fils ne pense point à soulager sa mère à qui

pourra-t-elle recourir voilà ce que je vous fais entendre du fond de ma

triste prison aux plaintes d’une mère ajoutons celles d’un fils envers sa

mère Thomas de Catimpré raconte de son aieule qu’ayant perdu un enfant sur

lequel  elle avait fondé une partie de son avenir elle restait inconsolable

jour et nuit elle versait toutes les larmes de ses yeux jusqu’à être menacée

d’en perdre la vue et on pouvait bien lui appliquer ce mot de Jérémie

"Plorans plorabat in nocte et lacrymoe ejus in maxillis ejus." Et cependant

tout ce beau chagrin ne l’amenait point à la seule chose bonne en semblable

circonstance c’est-à-dire à être utile à cette âme par des prières des

aumônes des austérités l’oblation de la sainte Messe aussi la pauvre âme

gémissait-elle amèrement dans le purgatoire et

227

maudissait cette attache stérile fondée sur des sentiments purement naturels

et humains qui ne lui servait d’aucune consolation dans son épreuve elle

suppliait le Seigneur d’éclairer cette mère aveugle et de la changer Dieu

daigna l’exaucer en envoyant à cette femme une miraculeuse vision un jour au

plus fort de sa douleur elle fut ravie en esprit il lui sembla voir au

milieu d’une route une procession de jeunes gens s’avançant allègrement vers

une magnifique cité comme elle cherchait avidement si par hasard  elle n’y

découvrirait point son propre fils elle l’aperçut en effet mais après tous

les autres marchant d’un pas appesanti sous le poids de ses vêtements

trempés d’eau et avec une  fatigue visible emue à cet aspect elle lui crie "

Pourquoi donc cher objet de mes douleurs rester de la sorte loin de cette

troupe brillante ? je te voudrais à la tête de tes compagnons." L’enfant lui

répondit en soupirant : " Voyez ô ma mère combien je suis retardé dans ma

route par ces larmes stériles que vous versez sur moi et qui me désolent

sans fruit aucun cessez de vous livrer à une aveugle et stérile douleur

affermissez votre coeur et s’il est vrai que vous m’aimez si vous voulez

mettre un terme à mes souffrances dans cette route du ciel appliquez-moi le

mérite de quelques prières d’aumônes plus abondantes et de messes dites à

mon intention voilà comment vous me prouverez votre attachement maternel

c’est par-là que vous me délivrerez du lieu de supplices ou je gémis et que

vous m’introdurez dans la vie éternelle bien autrement désirable et heureuse

que cette vie terrestre que vous m’aviez donnée." La vision s’effaça mais

elle avait produit son effet et dès ce moment la mère affli –

228

-gée comprit mieux son devoir et s’y appliqua avec une ferveur toute

chrétienne ( V. J. Gerson, Querela defunctorum ; T. Catimpré, Apum II, c.

53, n. 17.)

 

 

 

228

69ème Merveille        La plus grande souffrance du purgatoire est la privation de la

vue de Dieu.


 Mon âme a soif du Dieu vivant : quand pourrai-je venir et me

présenter devant le visage de mon Dieu ? ( ps. IV, 1 – 2.)

Les peines

temporelles de l’autre vie étant différentes suivant la culpabilité de

chacun de célèbres docteurs estiment que certaines âmes n’ont pas d’autre

purgatoire que le châtiment du Dam c’est-à-dire la privation de la vision

béatifique de Dieu ils apportent pour preuve une révélation de la divine

Vierge à sainte Brigitte cette grande servante du Seigneur apprit ainsi

qu’il y a un purgatoire spirituel appelé le purgatoire de désir dans lequel

ceux qui n’ont point soupiré ici-bas après leur Créateur ont pour expiation

particulière d’être privés un certain temps de sa vue après leur mort ce qui

leur paraît cruellement pénible ils se sentent invinciblement portés vers ce

suprême objet de toute perfection et de toute félicité une attraction aussi

forte que

229

l’existence elle-même les soulève vers lui ils sentent que leur unique repos

est là là seulement là pleinement qu’ils n’ont point d’autre but  d’autre

consommation de leur être et un obstacle plus fort encore les repousse et

les retient au loin frémissants et enchaînés ainsi le feu serait violemment

maintenu dans un petit espace ou il tenterait vainement avec sa puissance

redoutable de dilatation de s’étendre selon sa nature plusieurs âmes ont

fait savoir dans des apparitions merveilleuses ce que c’est que ce supplice

voici l’un de ces protiges arrivé dans le duché de Luxembourg examiné et

déclaré authentique par le vicaire-général de l’Electeur -archevèque de

Trèves le jour de la Toussaint une fille pieuse et modeste vit tout-à-coup

paraître devant elle l’âme d’une dame morte peu de temps auparavant qui lui

avoua que son plus grand purgatoire était d’être privée de la vision

béatifique de Dieu elle était vêtue  de blanc un voile également blanc sur

la tête le rosaire à la main en signe de la dévotion qu’elle avait toujours

professée envers la Reine du ciel elle se fit voir de la sorte plusieurs

autres fois particulièrement à l’église ou elle se mettait à genoux auprès

d’elle suivait ses prières et l’accompagnait jusqu’à la sainte table

témoignant une profonde adoration et un respect sans bornes elle assistait

au divin  sacrifice et au moment de l’élevation son visage s’enflammait et

brillait d’une telle ardeur que le témoin favorisé du ciel en était dans

l’admiration et déclarait n’avoir jamais rien vu de si beau on peut croire

qu’elle choisissait le saint temple parce que ne pouvant voir face à face le

Dieu après la possession duquel elle soupirait elle voulait jouir du moins

230

de sa présence voilée sous les espèces sacramentelles et de plus elle

sollicitait mieux de cette manière les suffrages de la jeune chrétienne

qu’elle désirait intéresser à son sort celle-ci en effet ne cessait de prier

de mériter pour elle et allait souvent à l’autel de la sainte Vierge faire

célébrer à son intention une messe de Requiem un jour qu’elle était avec

plusieurs de ses compagnes dans une église de Notre-Dame changeant les

ornements qui couvraient la statue toutes s’inclinèrent pour baiser les

pieds de la divine Mère quelques-unes engagèrent la jeune fille à donner

elle-même un baiser de plus en faveur de cette âme qui lui apparaissait elle

le fit et comme elle se retournait elle vit venir au-devant d’elle l’âme qui

lui fit un salut empressé pour la remercier elle lui dit qu’elle avait fait

voeu étant en vie de trois messes à un autel de la Mère de Dieu qu’elle

n’avait pu l’accomplir et qu’elle la suppliait de faire acquitter en son nom

cette dette sacrée qui ajoutait à son tourment la jeune fille s’empressa de

la satisfaire au moment ou la troisième messe s’achevait comme elle se

retirait elle vit accourir à elle la pauvre âme cette fois toute joyeuse

toute resplendissante qui lui tendait les bras avec effusion et semblait

vouloir lui donner le baiser de la reconnaissance parce que son expiation

venait d’être abrégée et diminuée a cette vue la jeune fille s’agenouilla et

les bras en croix se mit à réciter cinq Pater et Ave Maria aux cinq plaies

du Sauveur en faveur de la défunte et celle-ci s’approcha de nouveau et lui

soutenait les bras pour l’aider à achever cette dévotion au reste l’âme qui

apparaissait ainsi et qui trouvait

231

tant de charité dans cette bonne et pieuse chrétienne ici témoignait sa

gratitude de différentes manières surtout en lui donnant de précieux

conseils elle lui recommanda par exemple de ne jamais former de voeu à moins

qu’elle n’eût la certitude de le pouvoir accomplir dans toute sa teneur

parce que les promesses faites à Dieu sont rigoureusement exigées elle lui

disait de se garder particulièrement aussi de faire jamais le moindre

mensonge si léger qu’il parût  le juge éternel qui est la vérité même ne le

pouvant souffrir elle l’exhortait à une filiale dévotion envers Marie et

spécialement à faire mémoire de ses douleurs au Calvaire alors qu’elle se

tenait au pied de la croix contemplant dans l’amertume du coeur les plaies

de son adorable Fils " Ayez soin disait-elle toutes les fois que vous

rencontrez son image de répéter ces trois invocations de ses litanies :

Mater admirabilis Consolatrix afflictorum Regina sanctorum omnuim plus vous

aimerez et servirez fidèlement cette auguste protectrice des chrétiens plus

vous la trouverez favorable et bien-veillante au moment terrible du jugement

qui fixe notre sort éternel." Elle lui conseillait encore d’appliquer ses

oraisons ses pénitences ses oeuvres pieuses au soulagement des âmes du

purgatoire qui reçoivent de tels secours un immense adoucissement à leurs

maux Or pendant qu’un matin l’âme s’adressait ainsi à la jeune fille on

entendit sonner à un autel voisin la cloche de l’élevation aussitôt la

défunte y courut et s’agenouilla dans la plus humble adoration chaque fois

qu’elle prononçait les noms de Jésus et de Marie elle s’inclinait avec

respect pratique fort ordinaire autrefois aux bons fidèles et aujourd’hui

trop négligée

232

Une véritable intimité s’était établie à la suite de ces apparitions presque

journalières qui n’excitaient plus la moindre terreur la jeune fille sachant

à quel point son amie de l’autre monde était heureuse quand elle pouvait

s’approcher du divin sacrement pour l’adorer l’invita familièrement à venir

avec elle à l’église des Pères jésuites le 3 décembre fête de saint François

Xavier parce qu’elle y devait faire la sainte communion l’âme n’y manqua

point et se tenant à côté de son amie l’accompagna partout elle ne la quitta

qu’après son action de grâces qui fut assez longue et comme elle savait

qu’elle avait adressé pour elle de ferventes supplications au Dieu de

l’Eucharistie elle la remercia lui annonçant qu’enfin arrivait le temps ou

ses désirs allaient être accomplis et ou elle posséderait son Dieu qu’elle

viendrait le 8 du même mois fête de l’Immaculée Conception prendre congé

d’elle avant de monter au ciel la chose se fit ainsi ce jour- là elle

apparut tellement brillante au milieu d’un  surprenant éclat que son amie ne

la pouvait regarder elle assista à la sainte Messe auprès d’elle lui

recommanda de nouveau la dévotion à la sainte Vierge et lui promit qu’elle

serait son avocate dans le paradis ou elle attendrait leur réunion enfin le

10 pendant la Messe de l’Octave elle vint encore plus resplendissante salua

respectueusement l’autel ensuite la jeune fille et fut emportée dans les

airs ou un messager céleste qu’on doit croire avoir été son ange gardien

vint au-devant d’elle l’embrassa avec l’effusion que met une mère à

embrasser un fils retrouvé après une longue séparation et l’emporta dans ses

bras aux pieds de l’auguste Trinité

233

Cette histoire vraiment touchante autant qu’elle est véridique justifie bien

la parole de saint Chrysostôme dans sa quarante-septième homélie :"

Supportez tous les tourments dit-il vous n’en imaginerez point qui égale la

privation de la béatifique de Dieu : Plures ponat quis gehennas tale nil

dicet quale est beatâ gloriâ privari."   Un poète a dit : O quantum manes

aspectum Numinis ardent ! O quanta est tanto carcere poena bono ! Inferni

tormenta minus quam gaudia coeli  Excruciant igni saevius urit amor : "Oh

avec quelle impatience les âmes soupirent après la vue de Dieu Oh que dure

est au juste la peine de cette étroite prison les tourments de l’enfer sont

moins douloureux que l’éloignement des joies du paradis l’amour y consume

plus que le feu " ( V. Eusèbe Nieremberg, De Pulchritudine Dei, livre II, c.

11.)

 

 

 

 

234

70ème Merveille        Les peines du purgatoire sont conformes aux fautes commises


 le fils de l’homme rendra à chacun selon ses oeuvres ( Matth., XVI , 27.)

Les paiens

avaient inventé dans les fables de leur mythologie grossière des supplices

particuliers dans le Tartare pour certains crimes et pour certains criminels

tel que Tantale il y avait là-dessous les traces d’une vérité dont ils ne se

rendaient pas compte et dont les chrétiens ne doutent point à savoir que

l’expiation de l’autre vie est conforme aux péchés commis dans celle-ci

c’est le lieu de rapporter ce qui fut révélé à saint Corprée évèque en

Irlande ce prélat s’étant arrêté dans l’église après l’office de vêpres à

faire oraison  vit subitement se dresser devant lui un spectre pâle

ténébreux horrible couvert de vêtements étrangers il portait au cou un

collier de flammes sur les épaules un manteau sale incomplet qui ne couvrait

que l’un des deux bras cette apparition n’épouvanta pas le saint qui savait

que Dieu veille sur ses serviteurs regardant en face le fantôme il lui

demanda qui il était " Je suis répondit-t-il une âme passée à l’autre vie –

Et d’ou vient ta difformité affreuse ? – Ce sont mes fautes dit le défunt

qui m’ont

235

attiré cette punition quoique vous me voyiez dans un si misérable état

sachez que je suis Malachie autrefois roi d’Irlande je pouvais faire

beaucoup de bien dans cette haute position et je n’ai pas su le faire."

Corprée étonné lui demanda encore " Je croyais que vous aviez fait une

entière pénitence de toutes les fautes de votre vie ? – Hélas répondit le

spectre je n’ai pas voulu obéir à mon confesseur j’ai prétendu le plier à

mes caprices et je n’ai pas eu honte de lui offrir dans cette intention un

anneau d’or et maintenant je porte à cause de cela un cercle de feu à mon

cou il me brûle cruellement et me tient captif comme un prisonnier le

confesseur infidèle ne saurait m’être d’aucun secours car il porte un

collier semblable plus douloureux même et plus brûlant." Le saint évèque

admirait cette divine justice qui punit l’homme par ou est venue son offense

il désira savoir de plus ce que voulait dire le manteau déchiré sale et en

guenilles l’âme répondit que c’était encore une punition particulière " Ce

misérable vêtement qui ne me couvre qu’à moitié est l’effet d’une charité

mal faite un mendiant presque nu étant venu me demander l’aumône je le

renvoyai à la reine qui étant peu compatissante ne lui donna que cette

espèce de sac dont vous me voyez couvert pour ma confusion." Le saint lui

demanda alors pourquoi il lui apparaissait et ce qu’il attendait de lui    "

J’étais tourmenté par les démons dit-il ils me faisaient endurer mille

supplices lorsque le chant des psaumes dont ils ont horreur les a mis en

fuite ils m’ont abandonné un instant dans ce lieu et Dieu permet que je me

manifeste à vous pour réclamer vos saints suffrages." Et aussitôt il ajouta

236

avec de grands cris : " Hélas ! Hélas ! voici que mes bourreaux reviennent

mais avant de vous quitter mon père pour vous récompenser des prières que

vous ferez en ma faveur je veux vous indiquer ou j’ai caché cent onces d’or

et mille d’argent pendant le siège de la ville de Dublin que je voulais

reprendre sur les Normands vous disposez de cette somme suivant votre

volonté non non répondit le saint pasteur je ne veux point devenir riche sur

la terre c’est dans le ciel que j’ai placé mon trésor cela ne m’empêchera

pas de faire pour vous tout ce que je pourrai." A cette promesse le fantôme

s’évanouit en disant d’une voix forte : " Vae, voe qui bene non operatur,

dùm tempus benè operandi conceditur ! Malheur, malheur à celui qui ne fait

pas le bien lorsque le temps lui en est donné !" L’évèque rassemblant alors

ses douze chamoines leur rapporta toute cette vision et demanda leur avis

sur ce qu’il convenait de faire en faveur de ces deux âmes on décida que le

prélat intercèderait pour le prince et les chamoines en faveur du confesseur

et ils marquèrent certains jeûnes et certaines prières auxquels ils

s’obligaient volontairement afin d’apaiser la colère de Dieu depuis six mois

ils y étaient fidèles lorsque le roi se fit voir de nouveau à l’évèque non

encore triomphant mais à moitié déchargé du poids de sa punition il

souffrait des supplices beaucoup moins rigoureux quoique l’esprit humain les

pût à peine comprendre pendant la vie terrestre on continua donc de prier et

de pratiquer des austérités jusqu’à une troisième apparition cette fois

décisive et consolante puisque Malachie était resplendissant comme un astre

et remplie d’une joie céleste il dit à son bienfaiteur qu’il montait à

l’heure

237

même au paradis et qu’il n’oublierait jamais ce que Corprée avait fait pour

lui il ajouta que le confesseur le rejoindrait le jour suivant grâce au

souvenir charitable des prêtres de la cathédrale comme le saint demandait

pourquoi cette seconde délivrance n’avait pas lieu le même jour il répondit

que l’intercession du seul évêque avait été plus agréable au Seigneur que

celle de son chapitre réuni tant il est vrai que Dieu a des tendresses

particulières suivant la promesse de l’Ecriture envers ceux qui le servent

avec plus de générosité ( Acta Sanctorum des Bollandistes, 6 mars.)

 

 

 

237

71ème Merveille        Reconnaissance des âmes du purgatoire.

 

Nous vous récompenserons de ce que

vous avez fait pour nous. (Matth.X ,27)

Le glorieux saint Philippe de Néri

était rempli d’une tendre dévotion pour les pauvres âmes et l’une de ses

pratiques les plus chères était de prier et de mériter pour elles surtout

lorsqu’il avait été leur directeur spirituel il se croyait plus obligé

envers celles-là qu’envers toutes les autres ayant travaillé par son

ministère à leur purification aussi bon nombre de ces défunts animés de

confiance dans son intercession et dans les

238

sacrifices qu’il offrait lui apparurent-ils en maintes circonstances soit

pour le remercier soit pour le solliciter jamais il ne manqua d’avoir un

souvenir particulier et immédiat pour eux et son historien assure que ce fut

avec un merveilleux succès il le faisait aussi d’autant plus volontiers

qu’il reçevait lui-même par ce moyen des grâces plus singulières après sa

mort un père franciscain d’une grande piété priait dans la chapelle où l’on

avait déposé ses restes précieux lorsque le saint se fit voir à lui dans

tout l’éclat du triomphe environné d’une gloire céleste et au milieu d’une

troupe de bienheureux répondit que toutes ces âmes étaient celles des

membres de son ordre ou de ceux qui lui avaient fait du bien et qu’il avait

délivrées lui-même par ses prières elles venaient au-devant de lui pour

l’introduire dans la Jérusalem éternelle ce dévoûment aux âmes du purgatoire

passa du fondateur à l’ordre entier des oratoriens le P. Magnanti entre les

autres qui a laissé une mémoire bénie ne cessait d’intercéder pour elles et

comme saint Philippe il eut plus d’une fois connaissance du résultat de ses

prières il y avait dans la ville d’Aquila une fille noble appelée Elisabeth

plus riche des biens de l’âme que de ceux du monde et qui se lamentait de ne

pouvoir entrer dans un couvent faute de dot suffisante il lui eût été

agréable de se consacrer exclusivement au divin époux des vierges le

serviteur de Dieu la consolait en lui disant que Jésus lui préparait tout

prochainement des noces admirables auprès de lui et qu’elle

239

eut à s’y disposer sans retard en effet elle fit une courte maladie et

mourut comme une sainte a peine avait-elle rendu le dernier soupir que le P.

Magnanti eut l’assurance surnaturelle que cette âme tarderait peu à être

couronné au ciel au lieu donc d’unir sa douleur à celle de la famille il

consolait les parents en les félicitant d’avoir bientôt une céleste avocate

la prédiction fut promptement justifiée car la morte apparut à l’un de ses

frères dans toute la gloire des prédestinés et lui dit : "Avertissez mon

père de ne point faire de dépense pour délivrer mon âme par ses aumônes ;

grâce à l’intercession du P. Magnanti pour moi si rempli de charité l’heure

de mon salut a sonné." Le zélé religieux répandait encore des sommes

importantes qui lui étaient envoyées par de pieux chrétiens soit dans le

sein des pauvres soit dans les églises pour qu’on célébrât des messes en

faveur des défunts quoiqu’il aimât et pratiquât personnellement la pauvreté

il avait dans sa chambre une bourse qu’il appelait crumena animarum le

trésor des âmes imitant en cela le divin Sauveur dont le vénérable Bède dit

qu’il conservait une bourse des dons des fidèles afin de les distribuer aux

indigents (In Luc. , c.54). Il ajoutait à ce trésor celui de ses jeûne de

ses disciplines de ses grandes pénitences de ses veilles habituelles de son

renoncement absolu aux sens et au monde il poussa même si loin ce beau zèle

qu’il supplia le Seigneur d’exercer contre lui-même une partie du châtiment

de ces âmes afin de les décharger d’autant il fut entendu dans ce voeu

héroïque à partir de ce moment on le vit en proie à une douleur terrible qui

ne lui permettait presque pas de changer de place ce qui ne l’empêcha

240

pas néanmoins d’entreprendre plusieurs longs voyages dans l’intérêt du

prochain de sorte qu’on pouvait sûrement lui appliquer le mot de l’historien

romain au sujet d’un guerrier boitant d’un coup reçu dans une victoire : "

Singulis gressibus signabat vestigia glorioe : Chacun de ses pas gravait les

traces de son triomphe." Les âmes n’étaient point ingrates parmi les grâces

particulières et abondantes que Magnanti reçut du Ciel il en attribuait le

plus grand nombre à leur intercession entre autres celles de savoir les

choses éloignées de découvrir les fautes cachées de déjouer les pièges du

démon et autres semblables mais comme le monde assez peu soucieux de biens

spirituels estime davantage ceux qui regardent la vie présente je

rapporterai un péril d’où fut tiré obstensiblement le serviteur de Dieu par

cette médiation il revenait d’un pèlerinage à la sainte maison de Lorette et

il était arrivé près de Norcia à une célèbre église de la sainte Vierge il

voulut malgré l’avis de ses compagnons s’y arrêter pour célébrer le saint

sacrifice à son intention ordinaire après son action de grâces on se remet

en route ils avaient à traverser un lieu dangereux où plusieurs assassinats

s’étaient commis et précisément ils y tombèrent entre les mains des voleurs

qui les chargèrent de liens et les attachèrent à des arbres s’apprêtant à

les dépouiller de tout et à leur infliger de cruels traitements a ce moment

parurent sur la montagne deux enfants inconnus qui se mirent à pousser des

cris en faveur des captifs comme s’ils voulaient rassembler tout le pays

pour les délivrer les bandits étaient au nombre de douze ils coururent

au-devant des enfants déchargeant sur eux leurs armes

241

afin de les tuer ou de les forcer à fuir mais eux sans se laisser intimider

avançaient toujours en criant plus fort de sorte que les brigands se

décidèrent à abandonner la partie comme entraînés par un pouvoir supérieur

les enfants s’approchèrent délièrent les religieux et les mirent en état de

continuer leur route puis ils disparurent eux-mêmes sans qu’on pût savoir

qui ils étaient ni d’où ils venaient le saint oratorien crut fermement qu’il

devait cette délivrance aux âmes du purgatoire et que Dieu leur avait permis

de prendre cette forme enfantine conformément à la parole évangélique : Vous

n’entrerez point dans le royaume du ciel à moins de devenir comme de petits

enfants. Ou bien encore : " Le Seigneur avait montré de nouveau que pour

terrasser Goliath il lui suffit d’un enfant : Dedit victoriam in manu

pueri." (J. Marcien, Congr. Oratoru, Tit. I, 1. 2, ch.29.)

 

 

 

241

72ème Merveille         L’oeil de la justice divine.


 Les cieux même ont des taches à ses yeux. (Job, XV, 15.)

La

réputation de sainteté d’une personne défunte ne doit jamais empêcher de

prier pour lui lorsque le soleil brille d’un éclat parfait on aperçoit dans

l’air une quantité d’atomes de grains de poussières volants

242

qui échappent ordinairement à la vue ainsi les imperfections et les fautes

que ne découvre point notre jugement obscurci sont visibles à l’oeil

pénétrant du Seigneur combien d’âmes nous estimons triomphantes au ciel qui

souffrent encore dans le Purgatoire qui croirait que quelques-uns même de

ces admirables religieux qui ont vécu dans la stricte observance des

Constitutions de Saint-Benoît à l’origine de cet ordre ont dû endurer après

la mort de longs et sévères châtiments ? Le pape saint Grégoire-le-Grand en

rapporte plusieurs exemples dans ses beaux et intéressants Dialogues il

parle entre autres dans les termes de l’étonnement du sort de Paschase

cardinal-diacre de la sainte Eglise romaine il avait vécu dans une haute

estime de vertu c’était un homme d’une rare édification actif aux oeuvres

saintes plein de charité pour les pauvres de mépris pour lui-même  de zèle

pour la diffusion de la foi il avait composé pour sa défense plusieurs

ouvrages que saint Grégoire qualifie de rectissimi et lucutenti exacts et

précieux à lire cependant lorsqu’il s’était agi en 498 de l’élection du

Souverain Pontife élection qui causa des troubles dans la ville de Rome

Paschase fut d’un avis contraire à celui des autres électeurs il donna sa

voix à Laurent quoique les votes se fussent réunis sur Symmaque qui fut

reconnu pour légitime vicaire de Jésus-Christ et brilla sur le Siège

pontifical comme l’un des plus saints papes Paschase n’en persista pas moins

dans une sorte d’opposition d’ailleurs respectueuse et modérée quand il

mourut peu après dans les sentiments de la plus tendre piété

243

chacun l’estima un saint et ne douta point que ses vertus ne fussent

couronnées au ciel des miracles confirmèrent cette opinion universelle le

jour de ses funérailles un possédé du démon qui s’était approché du

catafalque et qui avait touché la dalmatique déposée sur le corps fut

aussitôt délivré de l’esprit malin qui s’échappa en présence de tous les

assistants et abandonna sa victime mais combien les jugements de Dieu

différent de ceux des hommes il y avait peu de temps que tout cela s’était

passé lorsque saint Germain évêque de Capone étant tombé dans une grave

maladie reçut de ses médecins le conseil d’aller à certaines eaux prendre

des bains convenables à son infirmité il y était quand il vit paraître

devant ses yeux le diacre Paschase sous la forme d’un serviteur réduit à la

plus dure condition qui lui dit que le Seigneur l’avait condamné à expier

ainsi ce qu’il y avait eu de trop humain dans sa conduite à l’égard du pape

saint Symmaque il supplia en même temps l’évèque d’avoir compassion de sa

misère et de prier pour une âme qui lui en conserverait éternellement de la

reconnaissance Germain s’empressa d’obtempérer à cette demande et d’offrir

le saint sacrifice pour le défunt avec des aumônes et des prières au bout de

quelques jours il eut l’assurance de la délivrance du défunt qui n’avait

péché au reste par aucune malice mais par suite de l’infirmité et de

l’imperfection humaine (V. Saint Grégoire, liv. IV. Dialogor c. 40;

Baronius. Annales, 498.)

 

 

 

244

73ème Merveille

Supplications des âmes pour obtenir qu’on les secours.

Vous avez crié vers

moi et je vous ai tiré de la main de vos oppresseurs (Juges, X, 12.) Il n’y

a point plus douce à l’oreille de la clémence divine que celle qui l’implore

humblement aussi a t-elle promis d’exaucer de telles prières et de leur tout

accorder : Clamabit ad me et ego exaudiam eum : Il criera vers moi et je

l’exaucerai." Dieu a permis que l’on entendit plusieurs fois sur la terre

d’une manière sensible les cris et les supplications des âmes du purgatoire

lui demandant secours dans leur détresse j’en ai cité précédemment un ou

deux exemples j’en rapporterai ici quelques autres empruntés à l’histoire de

la Compagnie de Jésus le P. Jacques Rem religieux d’une grande vertu et d’un

zèle tout apostolique se faisait remarquer encore par sa particulière

dévotion pour les pauvres âmes il demeurait au collège d’Ingolstadt et

continuellement il s’y appliquait en leur faveur à la prière au jeûne aux

macérations du corps bien des fois il reçut la visite de défunts qui le

conjuraient d’intercéder pour eux les apparitions s’approchaient de son lit

la nuit et murmurant à son oreille ou l’appelant à haute voix l’engageaient

à se mettre en oraison ce qu’il faisait

245

avec l’empressement le plus dévoué et sans un regret pour son sommeil

interrompu de plus nombre d’habitants de la ville marchands bourgeois

domestiques ont déposé avec serment avoir entendu de temps à autre dans le

cimetière voisin des cris sortant du fond des tombes Père Jacques ayez

compassion de nous nos souffrances sont horribles obtenez-en la fin

procurez-nous ce soulagement au nom de la charité !" On peut conclure de là

en quel crédit étaient auprès de Dieu ses prières il avait principalement

recours à l’auguste Marie qui montra de son côté par plus d’une merveille

combien ce bon serviteur lui agréait au nombre des apparitions relatées par

ses historiens on cite celle du P. François d’Asti qui vint visiter son

bienfaiteur et interrogé par lui en quel état il se trouvait lui répondit :

" In gaudio inenarrabili ; Dans une joie ineffable." ce qui combla le bon

Père d’une telle consolation qu’il ne parlait jamais de ce fait longtemps

après sans se sentir tout transporté la dévotion et les mérites du P. Joseph

Anchieta surnommé l’Apôtre du Brésil ne furent pas moins édifiants nous ne

nous astreindrons pas à redire ce qu’il faisait pour ces âmes si dignes de

toute notre piété c’est toujours le même amour de l’oraison et de la

pénitence comme il était au collège de Bahia il fut appelé en toute hâte

pour administrer le sacrement de pénitence à un malade qui habitait un

village assez éloigné de la ville il s’empresse d’y courir mais au retour la

nuit le surprit en route et arrivé près d’un lac il entendit un concert de

gémissements qui semblaient sortir de la terre son compagnon épouvanté ne

respirait plus mais lui habitué à ces manisfestations

246

surnaturelles dit simplement : " Mettons-nous à genoux et récitons cinq

Pater  et cinq Ave aux cinq plaies du Sauveur pour le soulagement des âmes

qui font en ce lieu leur purgatoire et qui nous implorent par permission

divine." Cette prière achevée on n’entendit plus rien comme si le

soulagement avait été immédiat du reste jamais pareil fait ne s’était

produit auparavant ni ne se produisit depuis en cet endroit si tel était

l’effet des simples prières du P. Anchieta le divin sacrifice offert par lui

en avait de bien plus considérables le jour de la fête de saint Jean apôtre

et évangéliste durant l’octave de Noel il avait pris un ornement noir et dit

une messe de Requiem les fidèles étaient fort étonnés d’une telle nouveauté

la couleur noire n’étant pas permise pour les solennités de ce temps le P.

Nobréga supérieur de la maison bien qu’il fût persuadé qu’un religieux de

tant de science et de sainteté avait quelque grave motif d’agir ainsi ne

laissa pas de le reprendre tous ses confrères afin d’ôter à sa conduite le

caractère d’irrégularité qu’elle paraissait avoir " Comment se peut-il faire

lui dit-il qu’en un jour comme celui-ci vous ayez refusé à saint Jean de

l’honorer au saint autel avec toute l’Eglise ? Aviez-vous oublié d’ailleurs

les prescriptions des rubriques et des règlements ecclésiastiques ?" Le bon

Père humble et obéissant répondit que Dieu lui avait fait connaitre qu’un

prêtre de la Compagnie qui avait été son condisciple à l’université de

Coimbre et qui se trouvait pour lors en Italie au collège de la sainte

Maison de Lorette était passé de vie à trépas cette nuit-là même qu’il

s’était senti inspiré de prier tout de suite pour lui à l’autel et qu’il

croyait que Dieu l’avait voulu. "  Et –

247

bien ! continua le supérieur qui avait la plus haute idée de la sainteté du

Père savez-vous si ce sacrifice lui a été utile !  –  Oui reprit modestement

Anchieta le Seigneur m’a fait voir immédiatement après la commémoration des

morts lorsque je disais ces paroles : Deo Patri omnipotenti in unitate

Spiritus Sancti omnis honor et gloria ; Cette chère âme délivrée de toute

peine monter au ciel où l’attendait la couronne." (Jacques Hautin, Palroc.

animar., ch.11, art.2.)

 

 

 

 

247

74ème Merveille         Récompense de ce que l’on fait pour les âmes du

purgatoire

On vous remettra selon la mesure que vous aurez employée pour les

autres (Luc.,VI,38.)

Il y a dans le Lévitique (XXIV,20) une loi qui impose

au criminel un châtiment identique au mal qu’il a commis : "Sic fict ei :

oculum pro oculo dentem pro dente restituet : Voici comment on le traitera

il rendra oeil pour oeil et dent pour dent." Cette règle s’observe à la

lettre on peut le dire dans ce qui concerne les suffrages pour les défunts

ceux qui n’ont pas eu souvenir de leurs souffrances et qui n’ont pas

travaillé à les adoucir par leurs prières éprouveront un oubli semblable

après leur mort

248

Nous lisons à ce sujet un trait intéressant dans les Chroniques de

Carmélites-déchaussées au bourg de Los-Angélos dans la nouvelle-Espagne un

vertueux religieux du monastère de Notre-Dame-du Remède passa à l’autre vie

si pieux qu’il eût été il avait besoin cependant de prières et comme on ne

les offrit pas à Dieu pour lui il dut souffrir durant plusieurs années les

peines du Purgatoire au bout de ce temps Dieu lui permit de recourir à l’un

de ses amis il apparut donc à un frère lai du même ordre nommé Pierre de

Sainte- Marie grand serviteur de Dieu lui-même après lui avoir représenter

l’horreur des tourments qu’il endurait il le supplia d’aller en son nom

prier le Père prieur de faire célébrer pour lui plusieurs messes des morts

son bonheur étant à ce prix le frère s’acquitta aussitôt du message mais le

prieur frère Dominique de la Mère de Dieu ne lui accorda pas facilement

créance suspectant une imagination frappée ou une illusion d’esprit faible

il ne fit point dire les messes quoique même  dans le doute il semble que la

charité eût exigé de lui cette concession quelques jours après l’âme

reparait elle dépeint avec tristesse encore et d’éloquence ses tortures au

bon frère Pierre le pressant d’aller de nouveau implorer la pitié du

supérieur celui-ci fut frappé de ces circonstances et cette fois crut à

l’apparition plusieurs religieux par son ordre montèrent au saint autel et

offrirent pour leur confrère l’adorable victime dont le sang efface toutes

les iniquités des hommes bientôt on sut l’effet de cette charité une nuit

que le même frère se tenait à genoux pendant l’office de matines et que le

supérieur était dans sa stalle on vit briller tout

249

d’un coup un globe de lumière et au milieu l’âme resplendissante du défunt

qui s’élevait doucement vers le ciel mais avant de disparaître elle se

tourna pleine d’allégresse d’abord vers le frère puis du côté du prieur et

leur fit à l’un et à l’autre un signe de profonde gratitude comme si elle

leur attribuait sa glorieuse délivrance toutefois le P. Dominique pour

n’avoir pas voulu se rendre à la première demande éprouva un châtiment que

nous devons aussi rapporter il fut envoyé dans un autre couvent où il mourut

au bout de plusieurs années sa vie avait été celle d’un édifiant religieux

mais qui ne le sait par sa propre et journalière expérience ? nous ne sommes

de nous-mêmes que faiblesse et corruption et nous amassons un trésor

continuel de petites infidélités suivant le mot de saint Grégoire : "De

mundano pulvere etiam religiosa corda sordescunt : La poussière de ce monde

s’attache aux coeurs les plus purs." Il fut donc condamné lui aussi au lieu

d’expiation et après y avoir souffert quelque temps il lui fut permis de

venir réclamer ici-bas des suffrages il se fit voir à un religieux  convers

le Frère Joseph de Saint- Antoine au moment où il coupait du bois dans la

forêt  il demanda à ce bon moine qui était d’une grande simplicité d’avertir

tout de suite le Père prieur que l’âme du P. Dominique endurait depuis

longtemps l’horrible supplice du feu et qu’elle avait besoin que l’on offrit

pour elle un certain nombre de messes qu’elle marqua : "Ce sont ajouta

t-elle des intentions que je devais acquitter moi-même et auxquelles la mort

m’a empêché de satisfaire parce que j’y avais apporté quelque négligence."

Frère HJoseph accepta la commission

250

et s’en vint trouver le prieur lui racontant naivement toute l’histoire

celui-ci ne savait que croire la chose lui paraissant si extraordinaire et

d’autre par la bonhomie du frère ne laissant guère lieu de craindre un écart

d’imagination il négligea l’avertissement Dieu permettant que la faute du

mort fût châtiée en quelque sorte par elle-même l’apparition se renouvela et

le frère Antoine revint à son supérieur l’âme conjurait qu’on eût compassion

de son lamentable état et qu’on lui accordât les messes demandées elle en

appelait au coeur de tous ses frères et à leur religion le prieur se rendit

alors et chargea plusieurs Pères d’acquitter les intentions de frère

Dominique a partir de cet instant le frère Joseph ne vit plus rien ce qui

fit penser que l’expiation avait cessé et que le défunt avait été admis dans

le sein du Seigneur sans doute il ne faut pas croire à toute parole

l’Ecriture-Sainte nous avertissant que cette disposition est un signe de

legèrté : Qui cito credit levis est corde. ( Eccl. , I, 97) mais aussi une

réserve trop grande tient de l’orgueil de l’ignorance ou de l’étroitesse

d’esprit toutes choses qui mènent à l’infidélité suivant Isaie : Qui

incredulus est infideliter agit. ( V. P. François de Sainte- Marie, Chron.

FF, Carm. discale., T.II livre 7, ch.44.)

 

 

 

251

75ème Merveille        Dévotion extraordinaire pour les âmes touché de compassion


il répandit des larmes au souvenir du défunt (II. Macch. IV, 37.)

Nous ne pouvons omettre

dans ces récits la singulière piété d’un vénérable serviteur de Dieu animé

d’un zèle également infatigable pour les vivants et pour les morts et qui

peut servir d’exemple et de stimulant aux pasteurs eux-mêmes et ce trait

mérite d’autant mieux d’être conservé qu’il s’y trouve un certain nombre

d’apparitions sur l’authenticité desquelles il n’y a guère lieu d’élever un

doute ce chrétien admirable s’appelait Gratien Ponzoni membre de la

Congrégation instituée par Saint Charles Borromée et ensuite archiprêtre

d’Arona toute sa vie il s’intéressa au soulagement des âmes du purgatoire il

serait trop long de redire en détail ses ferventes prières accompagnées de

larmes ses nombreuses et dures pénitences ses jeûnes les cilices qu’il

imposait à sa chair ses veilles ses disciplines qui allaient jusqu’au sang

toutes choses que nous trouvons immanquablement dans quiconque veut apaiser

la colère divine voici seulement ce que la dévotion de Ponzoni avait de

particulier le respect et la piété qu’il professait pour les âmes le

252

portaient à imiter Tobie dont il est dit qu’il s’empressait de donner la

sépulture à ceux qui venaient de mourir ou d’être tués : Mortuis atque

occisis sepulturam solocotus exhibebat Il ensevelissait donc de ses propres

mains les pauvres les abandonnés tous ceux que le mépris ou l’indifférence

du monde poursuit jusque dans le tombeau un mal contagieux qui se déclara à

Arona fit périr bon nombre de soldats napolitains en garnison dans cette

ville le fossoyeur dont le devoir était d’ensevelir ces malheureux ne se

sentait pas le courage d’y mettre la main il s’éloignait avec terreur

redoutant la contagion le bon archiprêtre le réprimanda de cette faiblesse

l’encouragea le fit venir dans sa maison pour lui donner à la fois les

conseils et l’exemple et la nuit il le conduisait avec lui auprès des

cadavres leur rendre les derniers devoirs de la piété animé comme il l’était

de cette ferveur qui suivant saint Paul détruit la crainte : Charitas quoe

foras mittit timorem il méritait aussi que ses oraisons fussent agréables à

Dieu comme celles de Tobie son modèle et qu’elles fussent portées au pied du

trône divin par l’ange du Seigneur : Quando orabas et sepeliebas mortuos ego

obtuli orationem tuam Domino. ( Tob., XII.) Le saint prêtre avait en outre

et avant tout assisté à l’heure de la mort avec zèle et une charité tout

apostoliques un grand nombre de ces infortunés puis il avait veillé à ce

qu’ils fussent convenablement inhumés dans le cimetière situé près de son

église de Sainte- Marie un jour après l’office de vêpres comme il passait

auprès de ce cimetière accompagné de don Alphonse Sanchez alors gouverneur

d’Arona seigneur plein de religion il s’arrêta tout-à-coup les yeux fixés du

côté

253

des tombes et comme absorbé par un spectacle étrange le gouverneur regardait

de la même façon et dans un sentiment égal de stupeur l’archiprêtre se

tournant vers lui lui demanda : " Voyez-vous monsieur le même spectacle qui

m’est offert en ce moment une procession de morts s’avançant vers l’église

bien qu’elle soit fermée ? – Oui répondit le gouverneur comme vous je vois

tout cela et je n’en puis croire mes yeux." Assuré qu’il n’était point le

jouet d’une illusion le bon prêtre comprit que ces âmes lui faisaient

connaître le besoin qu’elles avaient d’intercession et de prières et

aussitôt il fit sonner les cloches pour convoquer le peuple à l’église il

annonça pour le lendemain un office solennel en faveur des morts demandant à

tous les fidèles d’intervenir par leurs bonnes oeuvres dans une telle

occasion : " Car dit-il j’ai lieu de croire que ces âmes sont celles des

soldats que nous avons perdus." Au reste il ne se contentait pas d’être

lui-même plein de cette dévotion il la prêchait fréquemment et s’éfforçait

de la faire partager à tous ceux qui l’entendaient particulièrement parmi

les ecclésiastiques qui professaient pour sa vertu une grande vénération

c’est aussi dans la même pensée qu’il fit construire une petite chapelle des

morts dont la partie du cimetière qui touchait à son église et il y disposa

tout ce qui pouvait porter au souvenir des défunts et faire réciter pour eux

aux moins une courte prière de la part de chaque passant il tournait de ce

côté la plupart de ses actions ne jugeant pas rien fût  plus agréable au

Sauveur il permettait quelques jeux dans sa maison aux heures des

récréations après le travail mais outre qu’il interdisait tous ceux qui ont

un caractère dangereux ou

254

qui passionnent pour les futilités il avait réglé que tout le gain serait

employé à faire dire des messes pour les pauvres âmes et à cet effet une

boite était déposée sur la table Personne ne refusait de souscrire à une si

pieuse condition et ainsi remarque l’auteur qui rapporte cette circonstance

et celui qui gagnait et celui qui perdait concouraient également charitable

et sainte pourquoi cet exemple n’est-il pas suivi parmi les fidèles ? et

d’où vient que tant de chrétiens demeurent insensibles aux maux de leurs

amis défunts ? ( V.P. Maroc-Antoine S.J.Rossa, Vita venerabilis Graziani

Punzoni, c. VIII.)

 

 

 

254

76ème Merveille        Petites aumônes faites de bon coeur.


Si tu as peu de chose donne peu mais volontiers :

tu amasses ainsi une récompense qui sera grande (Tobie, IV, 9.)

L’ange Raphael envoyé au jeune Tobie lui recommanda

spécialement la  vertu de l’aumône et le soin des morts deux choses qui se

donnent la main et se correspondent on lit à ce sujet une histoire

intéressante dans les annales des Pères Augustins-déchaussés lors de la

fondation du couvent de Sainte-Marie à

255

Aversa le P. Hilarion de Saint-Antoine religieux de grande vertu qui

présidait aux travaux s’était retiré dans un hospice peu éloigné de l’église

de Saint-François où il célébrait chaque matin la sainte Messe un jour un

bon laic du nom de Jean-Baptiste employé lui-même à la construction à titre

d’économe voulut le servir à l’autel il y communia pour les âmes du

Purgatoire à l’intention desquelles le religieux célébrait ce matin-là

Hilarion l’invita ensuite à son modeste repas et Jean-Baptiste se rendit à

l’hospice à l’heure indiquée comme il entrait il trouva dans la cour

intérieur un jeune homme gracieux d’agréable aspect richement vêtu qui lui

dit qu’il souhaitait d’entretenir le P. Hilarion d’un sujet important

celui-ci averti s’excusait sur ce que le moment était mal choisi mais sur

les instances de l’étranger il descendit vers lui s’informa du motif de

cette visite et reçut pour réponse que le jeune homme le suppliait pour

l’amour de Dieu de lui faire part en ce moment des aliments de sa table

cette demande étonna le religieux celui qui la faisait paraissant plutôt en

état de faire du bien aux autres que de se réclamer d’un pauvre moine pour

manger cependant il se rendit à sa prière lui dit d’attendre un instant et

courut au panier où il mettait son pain le premier pain qu’il en tira était

le meilleur le plus blanc quoiqu’il ne l’eût point choisi il eut la pensée

d’en prendre un autre de qualité inférieure mais il lui sembla entendre au

fond du coeur une voix qui lui disait : "Pourquoi cette délicatesse ? Qui

sait si ce n’est point un ange du paradis que Dieu t’envoie ? car enfin il

est entré la porte de la cour étant fermée." Il prend donc ce pain y ajoute

la meilleure partie de ce qu’il

256

avait sur la table et lui envoie le tout en le priant de l’excuser du peu

qu’il ne pouvait lui offrir davantage étant pris à l’improviste en attendant

le Père et Jean-Baptiste se mirent de leur côté à diner mais sans manger

beaucoup ils étaient sous le poids d’une sorte de frayeur ne comprenant pas

comment cet étranger d’un air si distingué avait pu s’introduire dans une

enceinte parfaitement close leur conversation reprenait ce sujet sous toutes

les formes le religieux revenait à son idée :"Il est si beau disait-il que

ce pourrait bien être un ange envoyé du ciel. – Et pourquoi ajouta l’économe

ne serait-ce pas aussi bien une des âmes du purgatoire en faveur desquelles

nous avons ce matin prié ensemble ? Quand on jugea que le jeune homme devait

avoir fini Jean-Baptiste descendit pour le saluer et s’informer de lui

l’étranger se leva à son approche et l’abordant lui dit :" Eh bien mon frère

rendons grâces à Dieu récitons un Pater et un Ave en faveur des âmes

souffrante." Et aussitôt se mettant à genoux il joignit les mains leva les

yeux au ciel et proféra dévotement l’Oraison Dominicale et la Salutation

Angélique puis il s’achemina vers la porte prenant alors la main de

l’économe il ajoute :"Allez dire au P. Hilarion de cesser désormais de prier

pour l’âme de son père elle n’en a plus besoin car elle monte au ciel à

cette heure même." Et il s’évanouit comme un brouillard dissipé par le

soleil le brave homme restait cloué à sa place par la terreur il se mit à

crier :"Père ! Père Hilarion !" Mais la voix s’arrêtait dans son gosier

comme il est dit de la famille de Tobie (XII, 16) : Cum hoec audissent

turbati

257

sunt et trementes ceciderunt super terram in faciem suam. Le père s’était

mis à une fenêtre d’où il essayait vainement de voir quelque chose

s’entendant appeler il descendit rapidement l’escalier et trouva le pauvre

homme étendu sans connaissance il eut bien de la peine à le faire revenir et

ce ne fut pas sans une vive émotion qu’il entendit le récit de l’apparition

ils bénirent d’un commun accord le Dieu de miséricorde qui avait daigné

faire en leur présence ce touchant miracle où une âme s’était fait voir avec

quelque chose de la beauté dont le Seigneur revêtira ses élus dans les

parvis éternels on conserva précieusement les assiettes qui avaient servi

dans cette occasion les mêmes chroniques assurent que la fondatrice du

couvent un léger aliment sur l’une de ces assiettes et qu’il fut

instantanément guéri ( V. P. Epiphanius Chronic, EF August. Discalo. cap.

28.)

 

 

 

 

257

77ème Merveille        Le besoin que nous avons d’être purifiés


qui peut dire : Mon coeur est pur je suis exempt de péché ? (prov. , XX, 9.)

Saint Augustin nous avertit aussi bien que l’Ecriture qu’il n’est pas sur la terre un homme qui ne doive trem –

258

bler si le juge éternel veut scruter sa vie avec rigueur et sans laisser

dominer la miséricorde même les justes même les saints :Voe etiam laudabili

vitoe hominum si remotâ misericordiâ discutias ! Point d’âme si pure qui

n’ait ses taches le fait que nous allons rapporter semblerait incroyable si

nous ne l’écrivions sur le témoignage formel du cardinal Jacques de Vitry il

raconte donc que dans un village de la province de Liège vivait en 1208 une

veuve de moeurs édifiantes de vertu profonde et très-aimée de la vénérable

Marie d’Oignies célèbre elle-même dans l’Eglise pour sa sainteté elle avait

élevé ses deux filles dans une grande innocence et pureté de vie jusque-là

qu’après avoir fait le voeu de virginité ces deux ferventes épouses de

Jésus-Christ s’étaient consacrées à la retraite où elles servaient de

modèles à toute la jeunesse de la paroisse la mère tomba dans une grave

maladie qui la réduisit promptement à l’extrémité dès que la vénérable Marie

en fut instruite elle accourut au chevet de la malade pour lui porter

quelques paroles d’encouragement et de consolation O prodige en entrant dans

la chambre elle voit la Mère de Dieu la reine du ciel assise auprès de sa

servante la soignant d’un air maternel un éventail à la main avec lequel

elle rafraîchissait son visage brûlant de fièvre heureuse âme qui dans sa

lutte suprême avait mérité d’être réconfortée par celle que la voix du monde

chrétien proclame la Consaltrice des affligés Consolatrix afflictorum la

sainte visiteuse aperçut en même temps une troupe de démons qui

s’efforçaient d’entrer armés de toutes leurs tentations et de tous leurs

pièges ordinaires contre les moribonds mais aussitôt parut l’apôtre saint

Pierre l’étendard de la croix à

259

la main qui les mit en fuite à son approche ils avaient été comme frappés de

la foudre les grâces miraculeuses ne se bornèrent point encore à cela

lorsque la vertueuse dame fut morte et qu’on fit ses funérailles la

bienheureuse Marie d’Oignies vit Marie accompagnée d’une troupe de vierges

divisées en deux choeurs qui assistaient à la cérémonie rangées autour du

corps et chantant harmonieusement des psaumes pour le repos de cette âme il

lui sembla même que Notre-Seigneur avait pris la place du prêtre officiant

et présidait à l’assemblée chrétienne réunie au pied de l’autel c’est ainsi

dit le narrateur que l’Eglise triomphante s’unissait à l’Eglise militante

pour honorer une fidèle servante de Dieu fidèle au culte de Marie Eh bien

lecteur chrétien vous croirez sans doute qu’une âme si merveilleusement

favorisée à ce point qu’il n’en est pas une autre dans l’histoire

ecclésiastique qui l’ait été davantage fut transportée immédiatement au ciel

par les anges Hélas les jugements du Seigneur sont terribles et il ne peut

souffrir en nous malgré toute sa miséricorde que dis-je ? à cause même de

cette miséricorde la moindre tache parce qu’elle nous tourmenterait

éternellement la vénérable Marie d’Oignies après avoir pris part aux

funérailles et assisté à la déposition du corps se retira pour faire oraison

selon sa coutume dans cette prière elle fut ravie en extase elle vit l’âme

de la pieuse veuve portée dans le purgatoire et condamnée à de dures

souffrances afin d’être dégagée parfaitement de plusieurs imperfections

humaines cette vue épouvanta la sainte elle se hâta  d’avertir les deux

filles de la défunte de s’unir à elle pour satisfaire à la divine

260

justice par des prières des aumônes des jeûnes et autres mortifications

elles continuèrent ensemble ces exercices pieux et charitables jusqu’à ce

que la défunte apparut à Marie d’Oignies environnée de gloire et dans tout

l’éclat du triomphe céleste elle tenait à la main un livre celui des

évangiles sans doute pour montrer qu’elle avait été une fidèle disciple de

la sagesse éternelle venue sur la terre instruire les hommes et qu’elle

avait consciencieusement observé ses préceptes concluons de cette histoire

combien nous devons redouter la justice sévère d’un Dieu qui est la sainteté

même et avec quel soin il convient d’éviter ces fautes légères que nous nous

permettons si aisément puisqu’enfin il n’en est pas une que nous ne devuions

expier un jour dans les larmes et la douleur concluons encore avec quelle

tendresse l’auguste Mère des chrétiens veille sur ceux qui ont été fidèles à

l’invoquer et qui se sont rangés sous sa maternelle bannière (V. L.

Surius,23 juin, Maria Ognaciencis, I. 2, ch. 3).

 

 

 

261

78ème Merveille        Iniquité convertie en oeuvre méritoire.

 

Faites-vous des amis avec l’argent de l’iniquité afin que au moment où vous manquerez ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels (Luc. XVI, 9.)

Cette leçon du Sauveur de convertir  par une sainte alchimie la boue des biens mal acquis en un or de mérites et

de satisfactions fut pleinement observée par Zachée lorsque ce converti

rendit à ceux qu’il avait dépouillés quatre fois autant et donna aux pauvres

la moitié du reste une infinité d’autres à sa suite usuriers marchands

déloyalement enrichis héritiers d’une fortune douteuse se sont volontairment

appauvris de ces richesses empoisonnées pour acquérir les trésor de la grâce

nous avons à montrer comment un fait de ce genre procure la délivrance d’une

âme dans une ville de Hongrie dont on ne dit pas le nom un soldat de moeurs

brutales bien mal à propos décoré du nom de Clément avait commis un homicide

simplement pour satisfaire la vengeance d’un concitoyen qui le récompensa

d’une grosse somme d’argent le remords vint pourtant il accompagne

immanquablement les grands crimes voilà donc ce ferrailleur tour-

262

menté du désir d’obtenir miséricorde pour son forfait il va trouver un

confesseur se jette à ses pieds avoue ses iniquités avec une grande

abondance de larmes et en obtient l’absolution en outre il fait voeu

d’employer les deux cents florins qu’il a reçus à faire sculpter ce qu’on

appelle une Pitié c’est-à-dire une Vierge tenant entre ses bras le corps de

son divin Fils détaché de la croix et de plus à faire célébrer trois messes

de pénitence avec offrande de douze cierges au Saint-Sacrement Or il tarda

de s’acquitter de ses promesses et la mort le surprit le purgatoire reçut

cette âme qui avait tant à expier mais par une miséricorde singulière du

Seigneur il lui fut permis d’apparaître à une sainte fille nommée Reine qui

vivait dans la virginité et dans la pratique d’une parfaite vertu elle se

présenta donc à elle et lui dit :" Epouse de Jésus-Christ je vous supplie

pour l’amour de Dieu d’aller trouver ma femme qui vous remettra deux cents

florins c’est le prix du sang et voici ce que vous en ferez en mon nom vous

accomplirez un voeu que j’ai formé durant ma vie pour une statue de la Mère

des douleurs trois messes à faire dire et douze cierges à allumer devant le

Saint des saints et ce qui restera de la somme sera distribué aux pauvres a

ce prix je pourrai être délivré des cruels tourments auxquels je suis

condamnée présentement." la pieuse fille n’osa point s’acquitter de ce

message pour un motif et pour un autre le défunt lui apparut une seconde et

une troisième fois multipliant ses instances et la conjurant de ne lui point

refuser cette grâce suprême si elle avait quelque amour pour Dieu cette

vierge ne voulut pas se charger d’une

263

pareille commission elle répondit que cela lui était impossible qu’on la

laissât en repos et qu’elle détestait ces affaires d’argent où elle n’avait

aucun titre à produire – " Eh bien reprit l’âme je ne vous laisserai pas

tranquille jusqu’à ce que vous m’ayez exaucée fuyez où vous voudrez je

saurai bien vous trouver car c’est à vous seule que j’ai la permission de

m’adresser."Ces manifestations ne purent demeurer si secrètes qu’elles ne

vinssent à la connaissance de l’un des premiers de la ville cet homme touché

de pitié pour la pauvre âme en peine se décida à faire faire à son compte la

statue promise à l’intention de Clément et pour le décharger de son voeu il

fait donc venir un sculpteur lui expose son désir et son plan et lui enjoint

de mettre immédiatement la main à l’oeuvre et de hâter l’exécution celui-ci

n’ayant point dans sa boutique de bois convenable pour une statue de ce

genre sortit à la recherche de ce qui pourrait lui convenir et entra dans un

bois où il examinait l’un après l’autre tous les abres abattus pendant cet

examen il voit venir au-devant de lui un homme appuyé sur un bâton les

cheveux blancs le visage pâle qui ressemblait beaucoup par les traits et par

la démarche au défunt Clément -"Où allez-vous ainsi et que cherchez-vous ?

dit-il au sculpteur – Je cherche répond celui-ci un bois d’excellente

qualité pour en faire une image de la Vierge de douleurs jusqu’à présent je

n’ai guère réussi ceux-ci sont trop verts ceux-là trop peu consistants ou

bien la qualité ne convient point pour le ciseau – Eh bien reprit l’étranger

ne vous agitez pas davantage c’est moi qui vous conduirai où il faut à

quelques pas d’ici

264

au milieu de ce bouquet d’arbres à main droite il y a par terre un arbre

coupé depuis quatre ans bien sec bien dur absolument ce que vous désirez."

L’artiste y va trouve ce qu’on lui avait annonçé et revient chez lui tout

content il se met aussitôt au travail le presse vivement et en très-peu de

temps il était achevé celui qui l’avait commandé vint le voir le trouva

parfait et lui dit de passer chez lui pour en reçevoir le prix quand il lui

plairait cependant l’âme de Clément se montre de nouveau à Reine et lui dit

qu’il est nécessaire que la dépense soit faite à ses propres frais sur les

deux cents florins qu’il a reçus pour le meurtre parce que l’argent

d’iniquité doit servir à la réparation et non point un autre que si sa

famille a déjà dépensé la somme il la faut retrouver en vendant les meubles

sans quoi il continuerait d’être tourmenté dans les flammes du purgatoire

n’ayant point expié suffisamment son crime abominable cette fois sa volonté

fut suivie alors on apporta la statue chez Reine on la plaça sur un petit

autel et au pied on mit les deux cents florins l’âme apparut encore mais

tout autre rayonnante glorieuse elle se répandit en remerciments commanda de

prendre les florins d’en donner une partie au statuaire et d’employer le

reste à l’accomplissement des oeuvres qu’elle avait vouées et au soulagment

des malheureux cette disposition indiquée elle s’éloigna mais les prêtres

qui firent la dédicace de l’image racontèrent qu’ils avaient entendu

distinctement pendant la cérémonie une voix pleine d’allégresse qui chantait

: " O mon Dieu et mon Seigneur vous êtes ma consolation et mon refuge vous

êtes ma force et mon espérance et mainte-

265

nant j’entre dans l’éternelle félicité que vous avez réservée à ceux qui

vous aiment." ( V Ch. Casalicchio, div. timoris, e. LIX)

 

 

 

 

265

79ème Merveille        L’amour du prochain doit s’étendre au – delà de cette vie


 Celui qui aime aime toujours. (Prov.

XVII, 17.)

Ce n’est point aimer véritablement que d’oublier l’ami qui a

disparu aux yeux du corps c’est ce que ne cessait de répéter aux enfants de

saint Ignace le P. Diégo Lainez second général des jésuites il voulait que

les intérêts des âmes leur fussent aussi à coeur par delà le tombeau

qu’auparavant il ne se contentait pas du conseil il donnait aussi l’exemple

une bonne partie de ses prières de ses sacrifices de ses études de ses

travaux pour la sainte Eglise et pour la dilatation de la foi catholique

étaient appliqués aux suffrages de celles qui souffraient en purgatoire les

Pères de la Compagnie furent fidèles à cet enseignement de charité et en

tout temps ils ont montré un zèle particulier pour cette dévotion comme on

peut le voir dans le livre intitulé Heroes et victimoe charitatis

Societatis  jesu duquel je transcrirai une seule page a Munster en

Westphalie vers le milieu du XVIIe siècle éclata un mal contagieux qui

faisait chaque jour

266

d’innombrables victimes la crainte empêchait de trouver facilement des

personnes qui se voulussent dévouer aux malheureux atteints du fléau alors

le Père Jean Fabricius jésuite se présenta dans cette noble arène de la

charité et mettant de côté toute préoccupation personnelle employa ses

journées à visiter les malades à leur faire prendre les médecines

nécessaires en même temps qu’il les exhortait à accepter chrétiennement de

la main de Dieu l’épreuve qu’il leur envoyait il les confessait les

administrait lui-même  les ensevelissait de ses mains montait ensuite pour

eux au saint autel du reste toute sa vie et dans toutes les occasions il eut

une grande affection pour les âmes souffrantes ainsi parmi ses exercices de

piété les plus chers pour lui-même et qu’il recommandait davantage était

celui de dire la messe de Requiem toutes les fois que les règles

ecclésiastiques le lui permettaient ses conseils eurent assez d’effet pour

engager les Pères de Munster à consacrer chaque mois un jour pendant lequel

ils tendaient leur église de noir et priaient solennellement pour les morts

ainsi que Dieu l’a souvent permis cette multitude d’oeuvres méritoires fut

récompensée en même  temps qu’encouragée par plusieurs apparitions de ces

âmes les unes le suppliaient de hâter leur délivrance qui tardait celles-ci

le remerciaent de ce qu’il avait déjà fait et lui annonçaient que l’heure du

triomphe était venue pour elles le plus grand prodige de charité fut celui

qu’il accomplit à sa mort avec une générosité  qu’on ne saurait  assez

admirer il fit le sacrifice de tous les mérites prières messes indulgences

mortifications que la Compagnie a coutume d’appliquer à ceux de ses

267

membres qu’elle perd il demanda à Dieu de l’en dépouiller lui-même pour en

revêtir les âmes souffrantes qu’il daignerait favoriser de ce trésor

testament en vérité sublime André Simoni de la même Compagnie avait une

charité égale quoiq’il ne fût pas prêtre ce désir qu’il avait de leur

appliquer les mérites du divin sacrifice lui en fit trouver le moyen ce fut

d’entretenir à ses frais plusieurs ecclésiastiques pour dire la sainte Messe

en son nom comme il était très-pauvre il n’avait d’autre ressource que de

mendier dans cette intention à la porte du couvent où il servait et le Ciel

permettait que beaucoup de riches lui donnassent pour cela autant qu’il

était nécessaire à son dessein afin d’y déterminer mieux encore les prélats

cardinaux étrangers grands seigneurs qui fréquentaient le noviciat de

Saint-André à Rome où il était concierge il cultivait un petit jardin rempli

de roses de jacinthes de giroflées d’anémones et autres fleurs dont il

faisait des bouquets qu’il leur offrait en leur suggérant le souvenir de ses

chères âmes on se laissait facilement gagner par ce zèle et cette piété et

on déliait volontiers sa bourse aussi quand il fut à sa dernière heure les

âmes qu’il avait soulagées le vinrent consoler visiblement et l’assistèrent

jusqu’au passage terrible à la grande édification des assistants a ce jardin

si fructueux pour les âmes ne pouvait-on pas bien appliquer le mot du

prophète Isaie : " Germen plantationis ejus ad glorificandum : C’est pour

procurer leur gloire qu’il a ainsi cultivé la terre ?." On fit à son sujet

quatre vers italiens dont voici le sens : " Beau jardin qui de tes fleurs

soulages les peines

268

d’autrui puisque tu procures un tel bien chacune de ces fleurs vaut un

trésor." ( V. l’ouvrage cité du Père Phil. Alegambe, année 1656.)

 

 

 

 

268

80ème Merveille        Révélations sur l’autre vie

 

le Seigneur révèle les mystères du royaume de la

mort ( Job, XII, 22.)

L’ordre vénérable des Théatins s’est toujours

distingué par son zèle pour les âmes du purgatoire et il lui a fait établir

à ce dessein plusieurs oeuvres charitables c’est un théatin le Père Jérôme

Méaza qui a composé et publié en latin avec autant de science sacrée que de

piété l’ouvrage intitulé Stimulus quotidianus incitans ad defunctorum

suffragia ( Exhortations quotidiennes à prier pour les morts) c’est dans cet

ordre encore qu’a vécu le grand saint André Avellino un autre dévot de ces

pauvres âmes et le plus connu lorsque suivant sa sainte et habituelle

pratique il intercédait humblement avec une angélique ferveur pour les

défunts il lui arrivait parfois d’éprouver comme une émotion de résistance

intérieure un sentiment d’invincible répulsion d’autres fois c’était au

contraire une grande consolation un attrait particulier il comprit bientôt

que la première de ces dispositions montrait que l’âme

269

pour laquelle il s’intéressait était indigne de pardon et condamnée au feu

éternel tandis que l’autre marquait l’épreuve du purgatoire de même dans

l’oblation du saint sacrifice où le plus souvent il avait pour intention la

délivrance des défunts s’il sentait dès son départ de la sacristie comme une

main qui le retenait il était inutile de prier pour cette âme mais quand il

était ravi en esprit et excité à une piété plus grande c’était pour lui

l’assurance qu’il n’intercédait point en vain et puis Dieu se plaisait à

accorder à son serviteur la connaissance de l’état des âmes en voici une

preuve un père de cet ordre étant à l’agonie (le P. Solaro) on entendit dans

sa cellule du bruit et de l’agitation comme si plusieurs personnes

disputaient et combattaient l’une contre l’autre ceux qui assistaient le

moribond redoublèrent pour lui leurs prières estimant qu’il avait à

supporter une plus terrible lutte quelques-uns sortirent pour monter tout de

suite à l’autel à cette intention pressante aussitôt  après la mort le bruit

cessa mais non pas les craintes des bons religieux qui redoutaient l’issue

finale du combat Saint André était dans une profonde oraison il en sortit au

bout de quelque temps et s’empressa de les rassurer et de les consoler l’âme

de Solaro lui était apparue elle lui avait dit qu’en effet elle avait eu à

soutenir une bataille mortelle avec les esprits infernaux qui la voulaient

perdre à ce moment suprême mais que ces horribles démons ne trouvant point

en elle les péchés qu’ils y cherchaient avaient été obligés de s’enfuir

honteusement laissant le malade achever dans la paix le passage de cette vie

à l’autre l’âme avait dû ensuite rester en purgatoire quelques heures pour

l’expiation de

270

plusieurs fautes légères mais bientôt la grâce du Seigneur et les prières de

ses confrères l’avaient délivrée de sorte qu’elle était montée glorieuse au

ciel cette assurance de la part du bienheureux que l’on savait ami

privilégié de Dieu fut pour toute la communauté une immense consolation mais

saint André a été l’apôtre de cette dévotion après sa mort comme il l’avait

été durant sa vie lorsque cet admirable serviteur de Dieu eut rendu l’âme à

son créateur une religieuse de grande vertu Madeleine Barona du couvent de

Sainte-Marie-de-la-Sapience à Naples était allée faire oraison pendant la

nuit au choeur de l’église pendant qu’elle se tenait à genoux en présence du

Saint-Sacrement récitant les vêpres des morts en faveur du bon Père au cas

où son âme aurait encore besoin de quelques suffrages elle vit venir à elle

d’un air très-extraordinaire une abeille laquelle tournait autour de sa tête

en voltigeant et en faisant entendre le plus doux murmure comme si elle eût

répondu aux psaumes puis elle se posa sur le bréviaire d’où elle ne s’envola

qu’à la fin de l’office Madeleine se sentit en même temps remplie d’une joie

intérieure si vive si étrangère à sa volonté si inexplicable qu’après avoir

étudié toutes ces circonstances  et consulté de sages directeurs elle ne

douta plus que Dieu ne lui eût ainsi fait comprendre que son serviteur était

reçu dans le paradis (V. Pentateuchus mortuorum, liv. IV, chap. 29, n.c.)

 

 

 

 

271

81ème Merveille        prix des souffrances d’ici-bàs


Les souffrances de cette vie ne sont pas

comparables à la gloire future ( rom. VIII, 18.)

On ne lit pas sans une

émotion profonde dans les histoires sacrées les cruelles souffrances que se

sont imposées certains pénitents pour donner satisfaction à la justice

divine même pour des fautes qui ne leur auraient assuré d’autres peines que

celles du purgatoire nous n’irons pas à cette occasion rappeler les

Chrysostôme les Jérôme les Antoine les Jean-Climaque les Hilarion etc mais

un trait plus récent tiré des Annales des PP. capucins.Parmi eux est célèbre

le nom du frère Antoine Corso pour les austérités que lui inspira son

avidité sainte d’expiation il ne se contentait point de la règle si dure et

si assujettissante de son ordre où la nature est rudement menée mais il y en

ajouta tant et de tel caractère qu’on ne croirait pas que le corps humain

les pût  supporter et il ne le peut assurément que par un secours surnaturel

pendant de longues années il adopta pour vêtement un cilice de poils de

cheval grossièrement fabriqué avec quantité de pointes tournées vers

l’intérieur qui le piquaient inévitablement de

272

nuit et de jour durant les plus grands froids de l’hiver il ne portait qu’un

mauvais manteau mal rapiécé qui le préservait à peine du vent le plus léger

il ne dormait que trois heures par nuit sur des planches passant le reste du

temps à genoux dans la méditation des vérités éternelles son abstinence

paraîtra incroyable presque tout le temps de sa profession religieuse il

n’eut d’autre nourriture qu’un peu de pain et d’eau et cinq onces de figues

sèches au lieu de devenir plus délicat avec l’âge il en arriva à ne manger

que trois fois la semaine un peu de pain avec quelques gouttes d’eau pure

chaque nuit encore il se flagellait durement en mémoire de la passion de

Notre-Seigneur lorsque venait la Semaine-Sainte il passait bien cinq heures

entières à se donner la discipline avec l’intention de s’imposer le nombre

de coups que reçut Jésus-Christ et que plusieurs saints ont cru être de

6.666. Pénitence en vérité si rigoureuse que le démon essaya plusieurs fois

de l’arrêter sans y réussir de lui comme de saint Pierre d’Alcantara on

pouvait dire selon la leçon du bréviaire de Rome :"Par de perpétuels veilles

jeûnes flagellations dépouillement et de toute espèce d’austérités il

réduisit son corps en servitude il avait passé avec lui cet arrangement

qu’ici-bas il ne lui donnerait aucun repos." Or après une telle vie vous

croyez certainement lecteur que l’âme d’Antoine fut portée aussitôt dans le

sein d’Abraham ? Cependant elle eut elle aussi son moment de Purgatoire ce

n’est pas que ce saint religieux eût à expier d’anciens égarements car il

avait apporté dans le cloître son innocence il y avait pratiqué la plus

étonnante perfection ami particulier de la

273

pauvreté de la privation et du dénûment absolu d’une humilité si profonde

qu’il ne pouvait souffrir l’idée d’être considéré pour quelque chose et

qu’il lui semblait qu’il aurait dû être mis sous les pieds de chacun

obéissant et docile jusqu’à l’excès si l’excès  est ici possible d’une

charité d’un zèle d’une ferveur sans égale avec cela des ravissements

d’esprit pendant lesquels il s’élevait au-dessus de la terre et des sens à

tel point qu’on l’eût cru en possession de la majesté suprême qui se réserve

comme éternelle récompense aux élus comment alors un tel religieux après une

vie semblable avec de telles vertus de telles pénitences une telle mort a

t-il pu aller en purgatoire ? comment cela est-il possible ? En voici la

raison rapportée dans l’histoire des Pères Antoine apparut après son heureux

trépas à l’infirmier du couvent nommé Jean qui lui demanda s’il ne se

réjouissait pas d’être enfin parvenu au but de tous ses désirs la possession

de Dieu loin des misères de la vie " Grâce à la divine bonté répondit l’âme

mon salut est assuré la Passion du Seigneur m’a obtenu cette faveur bien que

pour une faute de ma vie j’ai été en grand péril de la perdre je suis

condamné à me purifier entièrement dans les peines du purgatoire – Comment

dans le purgatoire reprit l’infirmier vous mon frère vous qui avez fait une

si exemplaire pénitence durant toute votre vie cela n’est pas possible car

que deviendrons-nous nous autres si imparfaits ? – Ma faute dit l’âme a été

un manquement à la sainte pauvreté si fortement recommandée à ses enfants

par notre séraphique père quand on a fondé le couvent de Saint-Joseph je me

suis hasardé à recher-

274

cher une certaine provision avec un soin différent de celui qu’exige notre

règle je ne croyais point faire mal mais j’aurais dû m’instruire davantage

de mes obligations et de la manière de les remplir ma négligence était donc

coupable et le juge suprême l’a jugée telle car il ne souffre pas la plus

légère tache dans ses élus." L’infirmier voulut savoir encore si l’expiation

qui lui était imposée était de la souffrance qu’on appelle peine du Sens

elle était assez douce mais que celle du Dam ou privation de la vue de Dieu

lui paraissait insupportable car aussitôt après la mort l’âme tend

invinciblement vers son créateur et tout ce qui l’en tient éloignée la

plonge dans une ineffable supplice le religieux ajoutait que sa peine serait

courte et que bientôt il allait être mis en possession du divin objet de

tous ses désirs nouvelle leçon du soin avec lequel on doit expier toutes ses

fautes et du cas qu’il faut faire des moindres manquements ( V. Annales

Pair. Capuc ; J-B Manni, Sacr Trig., disc. 6, n. 20.)

 

 

 

275

82ème Merveille        L’intercession des justes apaise la colère divine


Le Seigneur exaucera les prières des justes (prov. XV, 29.)

Lorsque la divine justice excitée par les

infidélités continuelles des juifs les voulait punir avec éclat Moise se

mettait en face de Dieu armé de la prière et il était alors tellement

puissant que Dieu lui-même semblait lui demander la permission d’agir : "

Dimitte me ut irascatur furor meus contra eos : Laissez-moi exercer contre

eux ma colère ( Exode, X)." Et de fait le Seigneur se rendit à ces

supplications aussi humbles qu’ardentes : "Placatusque est Dominus ne

faceret malum." Le même miracle des miséricordes s’est accompli bien des

fois dans la loi nouvelle soit à l’égard des vivants soit au bénéfice des

âmes du purgatoire je donnerai sur ce dernier chef une histoire racontée par

Thomas de Catimpré Simon Germain qui avait été d’abord grand seigneur et

savant connu dans le ciel puis moine et abbé dans l’ordre des Cisterciens

fut un religieux de vie exemplaire mais il avait ce défaut que voulant

élever à la hauteur de la sienne la ferveur des âmes il se montra souvent

plus rigide et plus sévère que ne le comportait un sage et discret

gouvernement de son monastère

276

C’était le zèle d’Elie qui l’animait plutôt que la mansuétude de

Notre-Seigneur il était en relation de spiritualité avec la pieuse vierge

Lutgarde qui lui rendit plus d’un utile service soit dans cette vie soit

après sa mort ainsi qu’on va le voir Germain mourut assez jeune et fut

condamné par la divine justice à expier son zèle trop dur dans les flammes

du purgatoire en apprenant cette mort Lutgarde en éprouva une vive peine

d’autant plus vive même qu’elle craignait que cette grande rigueur qu’il

avait fait paraître ne fut pour lui une source de souffrances avant d’entrer

dans le paradis c’est pourquoi elle se condamna à des jeûnes à des prières à

des mortifications nombreuses pour obtenir du céleste époux qu’il se montrât

indulgent envers son serviteur et le reçut promptement dans les éternels

tabernacles Jésus se fit voir à elle et lui dit :"Ayez courage ma fille

j’aurai égard à votre intercession." Mais comme elle ne se lassait point de

prier dans la même intention une voix intérieure lui dit encore : "Soyez

tranquille avant peu Simon sera délivré de ses peines." Alors la pieuse

fille ajouta :"Sauveur très-clément je vous prie que toutes les consolations

que par un excès de bonté vous destinez à votre servante soeint reportées

sur cette âme souffrante car je ne cesserai de gémir et de me lamenter

jusqu’à ce que je sache positivement qu’elle est introduite dans la gloire."

Le coeur de l’aimable Jésus ne put souffrir si on peut ainsi parler ces

plaintes de sa servante et peu après le voilà qui apparaît de nouveau à

Lutgarde conduisant avec lui l’ame de l’abbé entièrement délivrée et lui dit

: "Soyez en paix ma bien-aimée voici l’âme pour

277

laquelle vous priez tant." A ces mots la Vierge se jette à genoux aux pieds

de son Sauveur le front contre terre l’adorant et le bénissant d’un si grand

bienfait quand à l’âme toute ravie d’allégresse elle exprimait à Lutgarde sa

gratitude l’appelant sa libératrice et lui disant que sans elle elle  aurait

eu encore pour onze ans de supplices à endurer mais que tout été fini et

qu’elle courait à la récompense peu de temps après cette apparition la

fervente chrétienne en eut une autre plus merveilleuse encore le Vénérable

pontife de sainte mémoire Innocent III venait de mourir après avoir célébrer

le concile de Latran son âme se fit voir à Lutgarde tout environnée de

flammes et comme Lutgarde lui demandait qui elle était elle se fit connaître

" Quoi reprit celle-ci un si grand et si édifiant pontife notre père et

notre modèle d’où vient ce cruel châtiment ? – j’expie répondit Innocent

trois fautes pour lesquelles j’aurais perdu entièrement mon salut si au

dernier moment la Mère des miséricordes ne m’avait obtenu de son divin Fils

une contrition parfaite qui a couvert mes offenses mais sans me garantir de

l’expiation temporelle que j’endure présentement elle sera bien longue

encore si vous ne me secourez de vos prières : Sic oeternam quidem mortem

evasi sed poenis atrocissimis isquè ad diem Judicii cruciabor Marie m’a

encore obtenu cette autre faveur de venir vous trouver pour vous intéresser

à mon sort ayez donc compassion de moi je vous en conjure." La servante de

Notre-Seigneur éprouva de cette révélation à laquelle elle était loin de

s’attendre une vive douleur elle assemble aussitôt ses religieuses leur

expose l’événement et réclame le bénéfice de leurs bonnes

278

oeuvres pour le père commun qu’elles avaient vénéré sur la chaire de Saint

Pierre chacune s’y employa avec un zèle merveilleux et l’on croit qu’elles

obtinrent ce qu’elles sollicitaient de la miséricorde infinie le cardinal

Bellarmin parle de cette apparition comme d’une chose certaine et lui qui

était à la fois un saint éminent et un savant théologien écrit à ce sujet :

" Cet exemple me remplit véritablement de terreur toutes les fois que j’y

songe en voyant un pontife si digne d’éloges qui passa pour un saint aux

yeux des hommes sur le point de manquer son salut et condamné aux horibles

tourments du purgatoire jusqu’à la fin du monde quel sera le prélat qui ne

tremblera de tous ses membres ? Qui ne sondera les derniers replis de sa

conscience pour en chasser les moindres fautes ? " L’histoire se tait sur

ces trois offenses d’Innocent III pour lesquelles il eut tant à expier ( V.

Laur. Surius, 16 juin, Vie de sainte Luigare, liv. III, ch. IV, 7 et 9

.Bellarmin, De Gem. cou. II, c. 9.)

 

 

 

 

278

83ème Merveille        Un rayon de la lumière céleste dans le purgatoire


la lumière dans les ténèbres  ( Joan. I, 5.)

La divine Providence

a daigné plusieurs fois faire connaître comment dans le purgatoire elle

récompense

279

à la fois les bonnes actions et punit les mauvaises Sainte Madeleine de

Pazzi vit un jour apparaître devant elle toute brillante d’une céleste

lumière une religieuse qui venait de mourir ses mains seules étaient privées

de l’éclat miraculeux parce qu’elles avaient à expier certaines

imperfections contraires au voeu de pauvreté dans la vie monastique une

autre vierge lui apparut de même revêtue à l’extérieur d’une robe brûlante

et à l’intérieur d’un manteau formé de lys la première comme châtiment du

grand soin qu’elle prenait de sa parure étant sur la terre la seconde en

récompense de sa constance pureté qui n’avait souffert aucune tache un

prédicateur défunt de l’ordre des dominicains apparut à Cologne à l’un des

religieux sous des vêtements magnifiques et ayant sur la tête une couronne

d’or interrogé sur la signification de ces ornements il répondit qu’ils

représentaient les âmes sauvées à l’occasion de ses prédication et que la

couronne d’or en particulier était le prix de sa fidelité à observer toutes

les prescriptions de la règle qu’il avait embrassée et de la pureté

d’intention qu’il s’était appliqué à avoir toujours il fit connaitre ensuite

qu’il souffrait cependant encore pour l’expiation de certaines paroles

légères dites sans autre but que de satisfaire une gaité trop expansive sa

langue endurait seule les tourments nous devons une mention particulière à

un autre fait rapporté par le Père François de Gonzague évêque de Mantoue

dans son livre de l’Origine de la religion séraphique  Dans les îles

Canaries au couvent de la Conception placé sous l’invocation de

Notre-Dame-de la-Palme le vénérable serviteur de Dieu frère Jean de

280

Via franciscain le modèle de cette maison tomba dangeureusement malade pour

le soigner on lui donna un frère nommé Ascensio qui n’était encore que

novice mais fort avançé dans la perfection religieuse et qui mit tout son

dévouement et tout son coeur à s’acquitter de sa fonction le malade malgré

tant de soins expira dans les sentiments les plus édifiants : Pretiosa in

conspectu Domini mors sanctorum ejus  Le bon infirmier après lui avoir fermé

les yeux et avoir assisté à ses funérailles se retira à l’écart afin de

prier pour lui et continua cette sainte oeuvre pendant quelques jours un

soir dans la plus grande ferveur de sa prière voilà qu’il aperçoit

tout-à-coup devant lui un frère de l’ordre tout baigné dans de lumineux

rayons dont la cellule resplendit à l’instant même  cette lumière n’avait en

même temps rien que de doux et de suave à la vue puis tout s’effaça le

prodige se renouvela une seconde fois sans que le bon frère osât interroger

l’apparition il était trop hors de lui la troisième fois cependant un peu

enhardi il lui demanda : "Qui donc êtes-vous ? Pourquoi venez-vous si

souvent en ce lieu ? Au nom de Dieu je vous conjure de me répondre afin que

je sache la signification de tout cela." Le fantôme répondit : "Je suis

l’âme du frère Jean de Via qui vous ai tant d’obligation pour les prières

que vous ne cessez de faire monter au ciel en ma faveur je viens vous

apprendre que grâce à la miséricorde divine je suis dans le lieu du salut

parmi les prédestinés à la gloire et ces rayons vous en sont une preuve

cependant je n’ai pas été jugé digne encore de voir la face du Seigneur pour

un manquement qu’il me faut expier durant ma vie terrestre j’ai oublié par

ma faute la récitation de certains offices

281

pour les défunts auxquels j’étais obligé par la règle je vous conjure donc

très-instamment au nom de l’affection que vous me portez et bien plus encore

au nom de votre amour pour Jésus-Christ de faire en sorte que ces offices

soient acquittés pour moi afin que dégagé de tout reste de dette je sois

admis à ma dernière félicité." Le frère Ascensio courut aussitôt raconter au

père gardien sa triple vision il fut crut sur parole on assembla les

religieux et on leur imposa de dire immédiatement les offices en question a

peine étaient-ils terminés que l’âme vint de nouveau se faire voir au pieux

novice mais plus brillante encore ainsi la lumière du soleil l’emporte sur

celle des étoiles elle lui adressa l’expression animée de ses remerciements

lui promit d’être au ciel son avocate et sa gardienne puis lui montrant deux

Pères couronnés de gloire qui l’accompagnaient elle lui dit que celui de

droite était leur séraphique fondateur saint François et l’autre leur saint

frère Bernardin de Sienne venus tous deux pour l’accompagner dans le séjour

des délices où ils voulaient l’introduire eux-mêmes en souvenir de sa

fidelité religieuse (Fr. Gonzague, De orig. seraph. relig, 4e, p.n°7.)

 

 

 

 

282

84ème Merveille        utilité des sacrements pour nous purifier devant Dieu


 Ils ont ignoré les mystères divins et ils n’ont point espéré la récompense de la justice

( Sap. 11, 22.)

Ce n’est pas ici le lieu d’exposer comment les sacrements sont les

sources perpétuelles d’une eau salutaire et les inépuisables réservoirs de

la grâce de la justice des vertus et des actes méritoires non plus que de

faire ressortir l’ingratitude et l’insensibilité de ceux qui souhaitent les

vrais biens et qui n’ont aucun zèle pour acquérir ces trésors inestimables

ou la folie de ces malades désespérés qui ne cherchent point leur guérison

dans ces infaillibles remèdes notre sujet nous amène seulement à montrer

comment cette indifférence cette ingratitude cette folie et cette

insensibilité sont punies après la mort nous en voyons d’abord un exemple

dans une religieuse qui peu soucieuse de sa perfection omettait facilement

de s’approcher du banquet eucharistique  in quo mens impletur gratiâ et

futuroe nobis pignus datur nous en avons un second dans un ecclésiastique

lequel cloué sur son lit par la dernière maladie ne s’empressa point de

reçevoir le sacrement de l’Extrême-Onction ce bouclier du salut clypeus

salutis

283

comme il est appelé que Notre-Seigneur nous a réservé pour la lutte suprême

suivant la doctrine du saint concile de Trente sess. XIVe :

"Extremoe-Unctionis sacremento finem vitae tanquam firmissimo quodam

proesidio munivit." L’an 1599 au monastère de Sainte-Marie-des-Anges à

Florence mourut une religieuse très-estimée de ses soeurs qui se fit bientôt

voir à sainte Madeleine de Pazzi pour réclamer son intercession dans le

rigoureux purgatoire auquel elle était condamnée la sainte était en prières

devant l’autel du Saint-Sacrement lorsqu’elle aperçut la défunte agenouillée

au milieu de l’église dans l’acte d’une adoration profonde mais avec un

aspect assez étrange elle avait autour d’elle un manteau de flammes qui

semblait la consumer à l’exception de la poitrine que garantissait une sorte

de voile passé autour du cou Madeleine s’étonnait de voir une de ses soeurs

dans ce tourments elle voulut savoir ce que cela signifiait et reçut pour

réponse que cette âme souffrait ainsi pour avoir eu trop peu de dévotion

envers l’auguste sacrement ne communiant que rarement et avec négligence

malgré les prescriptions contraires de l’ordre que pour cela la divine

justice l’avait condamnée à venir chaque jour dans l’église du monastère

rendre ses devoirs à la sainte Eucharistie brûlant de l’ardeur qui lui avait

alors manqué et s’unissant autant qu’elle le pouvait à la chair adorable du

Sauveur enfin qu’elle avait une grande reconnaissance envers Dieu qui lui

avait donné en récompense de sa fidèle virginité le voile qui la

garantissait en partie du châtiment ce récit toucha la sainte et la

détermina à subvenir au besoin de cette pauvre âme par autant de suffrages

qu’il

284

lui serait possible jusqu’au moment où il fut révélé qu’elle avait été

admise au nombre des élus Madeleine se servit plusieurs fois de cette

histoire qui lui était personnelle pour exhorter ses filles spirituelles au

zèle pour la sainte communion le châtiment imposé à l’écclésiastique fut

plus rigoureux il avait trop tardé à recevoir l’Etrême-Onction en quoi il se

montra d’autant plus coupable que son confesseur et les assistants lui

avaient fait part du danger et le pressaient de mettre en ordre tout ce qui

regardait son salut afin d’avoir la force nécessaire en face des embûches de

l’ennemi épouvanté à cette idée de mourir sitôt il voulut différer craignant

que ce sacrement ne hâtât sa fin préjugé inconcevable dans un prêtre il n’y

avait d’ailleurs pas le moindre mépris dans ce refus mais une simple

superstition à la vérité déplorable puisqu’elle le privait des grâces

nécessaires à son état et que nous savons encore que ce dernier sacrement

rend quelquefois la santé elle-même quand elle est nécessaire au salut selon

la doctrine du concile de Trente tant et si longtemps tarda-t-il qu’il

mourut sans ce précieux secours de l’Eglise Or pendant qu’on se disposait à

faire ses funérailles Dieu permit qu’en présence de tous les invités réunis

autour du corps ses yeux s’ouvrirent et il parla ainsi :"Pour me punir de

mes retards de la grâce de purification dont je me suis volontairement privé

le Seigneur m’a condamné à cent années de Purgatoire à moins que les prières

et les bonnes oeuvres des fidèles ne me viennent en aide si j’avais reçu le

sacrement des mourants comme c’était mon devoir et j’aurais eu le

285

temps de faire pénitence." Cela dit les yeux se refermèrent le mort était

rentré dans son repos suprême (V. Vincent Puccini. Vita S. Maiae Magdal. de

Pazzi, 1re p. c.29; Mich.Alix, Hortus Pastorum, tract. VI, lect. 2.)

 

 

 

285

85ème Merveille         Prières exaucées


je te consolerai vierge fille de Sion ( Thren.II,13.)

Dieu s’est

plu à éxaucer par des grâces signalées au profit des âmes du purgatoire les

prières de la sainte veuve Brigitte ainsi que nous le lisons dans plusieurs

endroits de ses Révélations ouvrage recommandé par l’Eglise cependant il

parait bien qu’il a accordé plus de faveurs encore à sa fille Catherine qui

sut conserver même dans le mariage le beau lys de la virginité Catherine

était un jour à prier à Rome dans la basilique de Saint-Pierre devant

l’autel de Saint-Jean l’évangéliste elle vit venir à elle une femme

étrangère couverte d’une tunique blanche avec une ceinture d’une autre

couleur un voile blanc sur la tête et par-dessus tout cela un manteau noir

cette femme s’approcha de la sainte la salua et l’exhorta à intercéder pour

une âme sa compatriote Catherine demanda le nom de cette personne défunte à

quoi il lui fut répondu que c’était une suédoise qui lui parlait et qu’elle

lui appor-

286

tait la nouvelle de la mort de Gida femme du prince Charles frère de

Catherine laquelle avait besoin qu’on s’intéressât à sa délivrance Catherine

pria l’étrangère de l’accompagner chez sa mère sainte Brigitte pour lui

annoncer elle-même ce funeste événement mais elle s’en excusa sur ce qu’il

ne lui était pas permis de faire cette visite qu’elle n’avait de message que

pour Catherine et que ce message accompli il lui fallait partir tout de

suite qu’au reste il n’y avait point à douter de la vérité du fait qui

serait confirmé avant peu par un autre envoyé venu tout exprès de Suède qui

apporterait en outre la couronne d’or que la défunte avait léguée par

testament à sa belle-soeur afin d’en obtenir quelque souvenir et quelques

prières devant Dieu en même temps cette femme s’éloigna et disparut

tout-à-fait Catherine courut après elle interrogea tous ceux qu’elle

rencontra mais vainement on n’avait vu personne bien que quelques-uns

eussent entendu dans la chapelle le murmure d’une conversation elle se

rendit en toute hâte auprès de sa mère à qui elle fit part de la nouvelle et

des circonstances extraordinaires dans lesquelles elle lui était parvenue

Brigitte souriant avec douceur répondit que la nouvelle était certaine  que

le Sauveur avait daigné la lui faire connaître  à elle-même pendant son

oraison que cette mort avait été chrétienne et consolante et que l’étrangère

de la basilique n’était autre que la chère défunte qui avait obtenu la grâce

de venir auprès des siens solliciter des prières elle ajouta qu’en

reconnaissance de la couronne d’or souvenir adressé de si loin elles

devaient l’une et l’autre faire tout ce qu’elles pourraient

287

On ne tarda guère à voir arriver à Rome le courrier annoncé c’était Ingévald

officier du prince Charles chargé de remettre personnellement le legs de la

princesse la couronne était belle et fort riche la défunte avait coutume de

la porter dans les solennités de la cour le secours n’était point inopportun

les deux saintes se trouvant pour lors dénuées de ressources elles

continuèrent ce qu’elles avaient commencé dès le premier jour jeûnes aumônes

actes d’humilité ( on sait que Brigitte mendiait humblement à la porte des

églises pour distribuer ensuite cet argent aux malheureux) austérités de

toutes sortes veilles et prières il n’y a point à douter que ces vertueuses

amies de Dieu n’aient obtenu promptement cette délivrance car leur vie

abonde en miracles de ce genre assurent leurs historiens dont les

témoignages ont été scrupuleusement contrôlés ( V. Surius ; de plus, Acta

Sanctorum, 24 mars, vie de Ste Catherine, ch. 4.)

 

 

 

288

86ème Merveille        Dieu instruit les vivants sur les mystères de l’autre vie


le Seigneur dévoile ce qui est profond et caché et son oeil voit dans les ténèbres (Daniel II,22.)

Le Seigneur voulant faire connaître aux hommes pour les

engager à la vertu une partie de ce qui les attend au-delà du tombeau a fait

plusieurs révélations dont une des plus instructives est celle qui se lit

dans le procès authentique de la canonisation de saint Bernardin de Sienne

au diocèse de Nocéra dans le royaume de Naples était mort un enfant de onze

ans nommé Biagio au moment où l’on accomplissait la cérémonie des

funérailles voici que le défunt en présence de tout le peuple agite ses bras

et ses mains se remue tout entier et pousse un gémissement fort et

douloureux puis il retombe dans son insensibilité cadavéreuse grande fut la

stupeur de chacun on se jette à genoux à faire des prières d’autres pensant

qu’il n’est qu’évanoui lui font respirer des sels le frictionnent

l’appellent le secouent et en effet il s’agite de nouveau et soupire encore

on différa donc l’enterrement et on fit venir les m"decins pour s’assurer

s’il n’y avait pas moyen de rendre à la vie cet enfant qui paraissait

respirer

289

Tout fut inutile le cinquième jour cependant sa famille eut recours à

l’intercession du bienheureux Bernardin qui leur obtint la grâce désirée

Biagio semblant sortir d’un profond sommeil ouvrit les yeux reconnut ceux

qui l’entouraient et se mit à leur raconter les secrets de l’autre vie il

demeura dans cet étrange état quatorze jours entiers immobile comme un mort

n’ayant de libre que la langue avec laquelle il instruisait merveilleusement

les assistants il raconta donc qu’il avait véritablement rendu le dernier

soupir qu’au moment de sa mort saint Berbardin auquel il avait une grande

dévotion l’avait appelé à lui et se faisant son guide lui avait recommandé

de ne rien craindre d’observer attentivement tout ce qu’il verrait et de le

graver dans sa mémoire afin d’en pouvoir le récit plus tard alors rapide

comme l’éclair il l’avait transporté en enfer où il avait vu une troupe

innombrable de damnés parmi lesquels il y en avait de sa connaissance le

saint lui en nommait d’autres ajoutant que ceux-ci expiaient éternellement

leur orgueil ceux-là leur leur avarice d’autres leur gourmandise leur dureté

leurs impures habitudes leurs hideux blasphèmes leur déloyauté etc pendant

qu’il contemplait avec horreur cet épouvantable spectacle il avait vu une

nouvelle armée de démons trainer violemment un homme de son pays usurier

connu et qui était précisément mort à cet instant et le précipiter dans un

brasier ardent où malgré les flammes régnait une obscurité effrayante le

fils de cet homme qui assistait à ce récit prit aussitôt  la résolution de

distribuer aux pauvres toutes les richesses paternelles et de

290

se retirer dans un couvent à faire pénitence le reste de ses jours pour se

préparer au jugement l’horreur que ce spectacle causait à l’âme de l’enfant

était telle que saint Bernardin voulut l’y arracher tout de suite et le

conduisit au paradis où il pouvait contempler les récompenses magnifiques

assurées à la fidélité persévérante des justes il vit donc la glorieuse

armée des martyrs les palmes du triomphe à la main le choeur des vierges

couronnées de lys la troupe innombrables des anges divisés en ordres sous le

regard du Seigneur au-dessus de tout cela se tenait la Reine du ciel un

diadème d’étoiles sur le front ayant pour manteau l’astre du jour environnée

de tant de splendeurs que rien ne lui pouvait être comparé si ce n’est la

gloire encore bien plus grande de son divin Fils qui paraissait former lui

seul tout un paradis aucune expression humaine n’était capable de rendre la

splendeur de l’aguste Trinité Bernardin lui fit remarquer la gloire

particulière du séraphique saint François dont on voyait étinceler les

miraculeux stigmates il avait autour de lui une couronne de ses religieux

dont un grand nombre avaient été délivrés du purgatoire par l’intercession

du béni patriache François avait le privilège au jour de sa fête de

descendre dans ce lieu de tourments et d’en retirer quelques âmes de celles

qui avaient embrassé sa règle ou qui avaient été les protectrices de l’ordre

mais ce qui doit nous intéresser davantage Biagio fut aussi conduit par

Bernardin au lieu de l’expiation et il y put étudier les différents

supplices infligés aux différentes fautes il vit plusieurs de ses parents et

de ses amis tourmentés selon les dettes spirituelles qu’ils

291

avaient à s’acquitter Notre historien applique ici à la suite de saint

Augustin (De civit. Dei, liv.21, ch. 13.) les vers si connus de Virgile :

Ergo exercentur poenis veterumque malorum Supplicia expendunt ; alliae

tolluntur inanes Suspensae ad ventos ; aliis sub gurgite vasto Infectum

eluitur scelus, aut exuritur igni. (En.VI,746.) Ces âmes l’aperçevant le

conjurèrent s’il retournait à la vie de réclamer pour elles le souvenir de

leurs proches de leurs amis de tous ceux qui les avaient aimées qu’on

apaisât la colère divine par les oeuvres saintes que recommande l’Eglise

alors elles verraient finir leurs affreux tourments et béniraient leurs

bienfaiteurs le jeune enfant après avoir vu tout cela le cinquième jour au

moment où l’on avait recouru à saint Bernardin avait été remis en vie et en

état de rapporter chaque chose de point en point il le faisait avec une

telle justice d’expression une exactitude si remarquable de doctrine une

telle sûreté de récit qu’on aurait cru entendre non point un enfant sans

science sans langue et sans expérience mais tout au moins un théologien

consommé on n’eut aucun effort à faire pour lui accorder pleine confiance il

disait à l’un :"Ton père qui est mort à telle époque souffre dans le

purgatoire et se lamente douloureusement à cause que tu n’as point éxécuté

son testament qui t’obligeait à faire telle aumône à demander tant de messes

à faire chanter tel office des défunts." A l’autre : " Ton père enterré

depuis deux mois est cruellement traité dans le lieu de l’expiation il se

plaint de ton infidelité lors-

292

qu’en héritant de la part de bien qui lui revenait tu lui as promis et tant

de prières dont la moitié n’a pas encore été acquittée." Enfin pour ne pas

étendre outre mesure ce récit il apprenait à chacun distinctement ce qu’il

devait faire pour  répondre à ce que des parents ou des amis espéraient de

lui dans l’autre monde tous s’empressèrent de lui obéir et le pays entier

prit de ce miracle un nouveau motif de fidelité aux saintes lois de

l’Evangile et aux inspirations de la charité (V. Acta Sanctorum des

Bollandistes, Append. ad 20 mai, p. 823, n. 36.)

 

 

 

292

87ème Merveille        Combien la prière est utile aux âmes du purgatoire


la prière de celui qui s’humilie pénètre les cieux. (Eccli. XXXV, 21.)

Le grand docteur saint Jérôme après avoir décrit le

sépulture donnée par saint Antoine à saint Paul premier ermite dans une

petite fosse recouverte simplement avec du sable réprouve le vain luxe de

ceux qui ambitionnent pour leurs parents ou pour eux-mêmes la pompe des

funérailles mondaines prodiguant le brocart les tentures précieuses les

cierges le marbre choisi les mausolées magnifiques à des cendres misérables

et veulent encore que du haut de la tribune ou

293

de la chaire retentisse l’éloge du défunt en termes éloquents. " Pourquoi

dit-il tant de riches draperies ? pourquoi cette ambition vivant encore au

milieu du deuil et des larmes ? Est-ce que les cadavres des riches ne

peuvent se décomposer que dans la soie et l’or ? Cur motuos vestros auratis

obvolvitis vestibus ? An cadavera divitum nisi in serico putrescere nesciunt

?" Voilà pourtant de quoi on se préoccupe beaucoup plus que de secourir

l’âme par la prière et les oeuvres saintes on témoigne de la sorte ses

sentiments de regret et d’affection et l’on ne songe  point qu’ainsi

exprimés ils ne servent de rien aux morts et nuisent trop souvent aux

vivants comme une simple aumône une courte prière vaudrait mieux que tout

cela comme elle serait plus charitable et plus utile un grand seigneur de

Venise envoya une somme importante en écus d’or au père Paul Montorfano

prieur des Théatins afin qu’il fit célébrer dans son église un service

funèbre en faveur des ancêtres de la famille le religieux attentif aux

règles de simplicité qui sont la loi de la vie monastique fit la chose avec

plus de dévotion que de magnificence mais toutefois fort concevablement il

parait que cela ne fut pas suffisant pour le chrétien mondain car il envoya

au Père un messager se plaindre de la parcimonie apportée dans une fonction

pour laquelle la famille faisait une telle dépense le prieur vit bien qu’il

avait affaire à son coeur plus séduit par les vanités de la terre que touché

des lumières de la foi cet aveuglement lui fit de la peine et il cherchait

en lui-même comment il pourrait le guider et amener ce seigneur à des

sentiments plus

294

dignes de la piété il avait lu quelque part une leçon de ce genre donnée

autrefois dans une circonstance semblable à un fidèle animé des mêmes

pensées et il espéra que Dieu lui accorderait de la renouveler puisque son

bras est toujours aussi puissant et son oreille aussi attentive à nos

demandes : " Non est abbreviata manus Domini neque aggravata est auris ejus

est non exaudiat*." Plein de son idée il prend le messager par la main et le

conduit dans une chambre voisine où il tire d’un secrétaire la somme intacte

qu’il  avait reçue le papier qui l’enveloppait n’avait pas même été touché

puis il se met à écrire sur une autre feuille le psaume De profundis et

commande à un frère qui l’accompagnait d’aller lui chercher une balance

quand elle est apportée il place la somme dans l’un des plateaux le psaume

dans l’autre : ô merveille c’est le plateau de l’or qui cède deux fois on

tente l’épreuve deux fois elle donne le même résultat l’envoyé saisi de

crainte fait avec précipitation le signe de la croix puis il se met en route

pour aller retrouver son maître impatient de lui conter un phénomène si

surprenant celui-ci n’en fut pas moins frappé il bénit la divine Providence

de lui avoir fait comprendre par cette voie miraculeuse combien la plus

simple oraison du coeur l’emporte sur tous les trésors du monde dès ce

moment il professa une vénération plus grande pour le P. Montorfano lui fit

demander pardon de ses plaintes inconsidérées et lui promit qu’à l’avenir il

raisonnerait plus en chrétien et saurait estimer à leur valeur les pompes de

la vanité

* Cette histoire a été racontée ici même, Merveille IIIe.

295

En témoignage de l’événement on fit peindre un tableau où l’on voyait le

religieux la balance à la main et tout le reste de l’histoire il ne faudrait

pas conclure de-là au reste que de courtes prières soient suffisantes pour

tirer les âmes de leurs tourments expiatoires elles sont bien suprieures à

l’or cela est vrai mais l’or n’est rien devant le Seigneur la sainte épouse

de Jésus-Christ Ursule Bénincasa du même ordre des Théatins l’avait compris

elle qui pour leur délivrance s’était offerte aux souffrances les plus

cruelles sa soeur Christine étant à l’agonie Ursule s’apitoyait sur sa

position au point de vue surtout des épreuves qui vraisemblablement allaient

purifier sa vertu dans le purgatoire comme elle avait appris que plusieurs

personnes charitables ont souffert elles-mêmes pour ceux qui devaient être

tourmentés dans l’autre vie sainte Catherine de Sienne entre autres elle se

résout à imiter cet exemple elle conjura donc Notre-Seigneur de lui imposer

ici-bàs les peines qui atendaient sa soeur expirante celle-ci expirait en

effet a l’instant Ursule fut ravie en esprit et quand elle revint à elle

elle s’écria : "Je vous rends grâces ô mon Dieu pour cette grande

miséricorde que vous avez faite à ma soeur Christine de la délivrance en

considération de ma prière." Et elle invita toutes ses compagnes à chanter

avec elle  le Te Deum il n’était jusqu’où peut aller le dévouement aux

pauvres âmes et comment on a le sentiment de ce que réclame la divine

justice pour leurs offenses la prière est excellente mais elle doit être

accompagnée aussi de bonnes oeuvres et surtout de pénitences courageusement

embrassées

296

On a fait l’histoire du P. Montorfano ces jolis vers latins que nous tenons

à conserver : " Aurum pars trutinae schedulam pars caetera pensat Tollitur

illa gravis dùm levis ista cadit Nimirum schedulae pietas dat candida pondus

Quod fallax auro detrahit ambitio : L’un des plateaux reçoit l’or l’autre le

léger papier : le premier tout pesant qu’il est s’élève le papier sans poids

l’emporte c’est que la douce piété donne au billet la pesanteur qu’il ôte à

l’orgueil humain." (D. Jos. Silos, Histor. ord. Theatin., livre XV, année

1580 ; P. Bagata, Vita B. Ursulae Benincasa, 2e part. c. 6.).

 

 

 

 

296

88ème Merveille        Efficacité de la prière des justes en faveur des âmes


vous avez sur la parole du Seigneur

Dieu retiré les morts des lieux bas. (Eccli. XLVIII, 5.)

Le texte que nous

venons de transcrire est extrait du passage du livre sacré où est loué le

prophète Elie dont la prière était au dire de saint Augustin come la clef du

ciel clavis coelorum lorsqu’il ressuscita le fils de la veuve de Sarepta "

Exaudivit Dominus vocem Elioe et reversa est anima pueri intrà eum et

revixit." ( 3 Reg. XVII, 22.)

297

Ces mêmes paroles sont appliquées à bon droit à ces chrétiens pleins de

charité qui par leurs pieux suffrages rappellent les âmes des peines du

purgatoire aux joies du paradis dans ce nombre il faut inscrire au premier

rang l’illustre sainte Thérèse dont les prières avaient en leur faveur une

merveilleuse efficacité elle raconte elle-même les efforts du démon pour la

détourner ou la distraire d’un si charitable exercice " Un jour dit-elle le

soir même de la commémoration des Fidèles Défunts je me retirai dans mon

oratoire pour y réciter l’office des morts à ce moment parut un monstre

horrible qui s’arrêta sur le livre de telle façon que je ne pouvais plus

lire ni poursuivre mes prières je me défendis par des signes de croix et

l’esprit maudit se retira par trois fois mais à peine me mettais-je en

devoir de recommençer la récitation des psaumes qu’il revenait m’apporter le

même trouble et le même dérangement il m’était impossible de l’éloigner si

ce n’est en aspergeant le livre d’eau bénite et en jetant même quelques

gouttes sur lui Oh à ce moment-là il prit la fuite avec précipitation et me

laissa achever mes prières je les avais à peine finies que je vis sortir un

certain nombre d’âmes du purgatoire il ne leur avait manqué jusque-là que ce

léger suffrage et c’est pour cela que le démon jaloux voulait l’emporter."

Elle eut encore un grand nombre d’apparitions et elle assure que tant d’âmes

dont le sort lui avait été révélé elle n’en vit que trois monter directement

au ciel sans passer par l’expiation nous allons donner deux seulement de ces

récits une religieuse de son couvent venait de son couvent de mourir Thérèse

empressée de prier pour elle assistait à l’office

298

des morts lorsque au commençement de la première leçon des matines Parce

mihi Domine elle vit l’âme sortir de l’église et voler directement vers le

paradis la seconde fois ce fut un religieux de la Compagnie de Jésus elle

entendait la sainte Messe à son intention offrant à Dieu avec le prêtre

l’Hostie de propitiation et tout le sang du Sauveur tout à coup elle voit

apparaître le Sauveur lui-même la bonté et la miséricorde sur le visage qui

vient prendre cette âme toute rayonnante et l’emmène avec lui dans la patrie

céleste voyant donc ses prières ainsi exaucées Thérèse s’enflammait d’une

ardeur nouvelle pour intercéder en faveur des pauvres âmes et non-seulement

elle le faisait elle-même mais elle mettait tous ses soins à répandre cette

sainte dévotion dans les monastères de son ordre et elle y réussit le 2

novembre après avoir chanté l’office de Requiem les religieux et les

religieuses de leur  côté sans doute se rassemblaient pour entendre une

exhortation sur les âmes du purgatoire et sur les moyens de les soulager

chacun donnait par écrit la promesse de faire pour elles l’année suivante

telle et telle oeuvre les uns des mortifications les autres de longues

prières ceux-ci des aumônes spirituelles aux pauvres et aux abandonnés

suivant que leur zèle ou leur inspiration particulière les dirigeait en

somme il s’épanouissait là une moisson admirable digne de la foi qui la

faisait naître  Bernardin de Mendoza avait donné par acte authentique une

maison et un beau jardin à Valladolid pour y fonder un monastère en

l’honneur de la Mère de Dieu il y appela sainte Thérèse et la pria

instamment d’en prendre possession et de mettre im-

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médiatement la main à l’oeuvre comme s’il avait eu le pressentissement qu’il

lui restait peu à vivre Or cette aumône devait être bien profitables à son

âme la sainte retenue ailleurs par d’autres fondations de monastères qui

furent la continuelle occupation de sa vie ne put venir qu’au bout de

plusieurs mois le donateur surpris par une fièvre maligne qui lui ôta

l’usage de la parole et ne lui permit même,pas de se confesser quoi-qu’il

donnât les signes de la plus édifiante contrition était mort dans

l’intervalle en apprenant cette triste nouvelle à Alcala où elle se trouvait

Thérèse fut saisie de douleur à la pensée surtout de la privation des

sacrements que la  rapidité du mal n’avait point permis d’administrer à ce

bon seigneur elle se répandit aussitôt  en oraisons ferventes Notre Seigneur

lui fit connaître que cette mort avait eu lieu dans des conditions

convenables et que la charité du défunt lui avait été la source de bien des

grâces principalement par l’intercession de Marie à qui était dédié le

nouveau couvent et que l’âme de Mendoza sortirait du purgatoire le jour où

l’on y célébrerait la première messe de communauté cette révélation ne

laissa plus de repos à la sainte elle n’attendait que le temps de se rendre

à Valladolid d’ouvrir la chapelle et de délivrer le bienfaiteur de ses

soeurs elle fut obligée cependant d’aller encore auparavant au monastère

d’Avila et d’y rester plusieurs jours comme elle s’y tenait un matin en

oraison Jésus daigna la presser lui-même de termùiner l’affaire de

Valladolid dans l’intérêt de l’âme qui attendait ce moment pour être

couronnée elle expédia donc tout de suite avant elle le P. Julien d’Avila

afin d’obtenir promptement de l’autorité ecclésiastique la permission

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de commencer la fondation, elle-même arriva peu à peu et appela des maçons pour construire sans tarder les murs de la clôture. Mais voyant que tout cela exigerait du temps, elle demanda l’autorisation de former une chapelle provisoire, à l’usage de quelques religieuses qui l’avaient accompagnée. Elle l’obtint et le même P. Julien monta au saint autel. Au moment de communier Thérèse, il la vit dans une grande extase, comme il lui arrivait souvent dans ce moment solennel, et il sut ensuite que, à l’instant où elle quittait sa place pour s’approcher de l’autel, l’âme du défunt lui était apparue couronnée de gloire, inondée de joie divine, brillante comme l’astre du jour, l’avait saluée avec respect et remerciée, dans l’effusion de sa reconnaissance d’avoir hâté son bonheur ; puis, à ses yeux, elle avait pris son vol vers le séjour éternel. La joie de la sainte fut extrême : car elle n’osait espérer encore que cette messe, dans une église provisoire, avant que la maison fût réellement érigée et organisée, put être comptée pour celle qu’attendait la divine justice. Elle ne cessa de bénir le Seigneur pour cette grâce, que sa charité lui rendait aussi précieuse que si elle eût été faite à elle-même

(V. Vie de Sainte Thérèse par elle-même ; s.31 et 38  ; P. Fr. Ribeira Vita Ejusdem, liv. II, chap. 10 et 12)1

On nous permettra de protester ici de nouveau contre l’erreur injustifiable d’un traducteur contemporain, des œuvres de Sainte Thérèse, le P. Bouix, qui n’a pas craint de défigurer en français le nom de cette grande sainte, en l’écrivant, contre toutes les règles de la grammaire et de la tradition, Térèse. (Le Traducteur)

 

 

 

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89ème Merveille        PROTECTION SPECIALE DE MARIE


Posui verba mea in ore tuo in umbrâ manus meae protexi te : J’ai mis sur vos lèvres mes paroles, je vous ai couvert de l’ombre de ma main. (Isaie, LI, 16)

La grâce obtenue au siècle dernier, au moment où le P. Rossignoli écrivait cet ouvrage, par un serviteur de la Sainte Vierge, n’est pas moins signalée que celle qui fut autrefois accordée à Saint Grégoire-Thaumaturge. Il faut se rappeler que ce grand évêque, voulant éviter la persécution de l’empereur Décius, s’était réfugié au sommet d’une montagne, où furent conduits les satellites par un traître. Le saint était en oraison lorsque ses ennemis entrèrent ; mais ils ne l’aperçurent point : car Dieu l’avait rendu invisible ; en sorte qu’ils furent obligés de s’en retourner sans le prisonnier sur lequel ils avaient compté. C’est saint Grégoire de Nysse qui rapporte le fait. Le traître, ajoute t-il, frappé de ce miracle, se convertit, tirant ainsi d’une cécité matérielle la vraie lumière spirituelle. C’est d’une faveur analogue que fut récompensé le fidèle dont nous voulons parler. Il joignait à son amour envers la divine Marie un zèle extraordinaire pour les âmes du Purgatoire, pour le suffrage desquelles il ne manquait jamais de réciter chaque soir les litanies de la Sainte Vierge.

Il avait plusieurs ennemis déclarés, empressés à lui

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90ème Merveille   VIDE SUR LE SITE

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91ème Merveille

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times. Que faire donc et à qui avoir recours? Désolée, elle entre dans une église pour supplier le DIEU des indigents de la protéger dans sa détresse, puisqu’elle n’a plus d’appui sur la terre. Elle était plongée dans sa prière et dans ses larmes, lorsque par une inspiration sans doute de son bon ange, il lui vient à la pensée d’intéresser à sa situation les âmes du purgatoire, don’t elle a entendu célébrer à la fois les douleurs et ensuite la reconnaissance quand elles sont délivrées. Raffermie et presque consolée, elle entre à la sacristie, offre sa petite pièce et demande qu’on lui fasse la charité d’une messe des morts. Un bon prêtre qui était là s’empresse de la satisfaire et monte au saint autel en son nom, pendant qu’elle se répand en prières, prosternée sur le pavé.

     Elle sort avec un baume sur le coeur,  comme si elle se sentait exaucée. Mais voici que, pendant qu’elle s’en retourne le long des rues de Naples, si bruyantes, si populeuses, elle se voit abordée par un bon vieillard qui lui demande ce qui peut causer la tristesse qu’il lit sur son visage. Elle dit tout, en termes pathétiques. Le bon vieillard se montre fort touché de tant de misère, lui adresse quelques paroles d’encouragement,et, en se retirant, lui remet un billet avec ordre de le porter de sa part à une personne qu’il lui désigne; après quoi il s’éloigne, La digne femme s’y rend sans tarder, trouve le cavalier et lui fait sa commission. Celui-ci,ouvrant le papier semble sur le point de se trouver mal: il a reconnu l’écriture de son père, mort depuis quelque temps déjà… – “ Et d’où vous vient cette lettre? s’écrit-il hors de lui. Qui a pu vous donner ces lignes si précieuses à mon coeur? – Monsieur, répond la bonne

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femme, ébahie à son tour, c’est un charitable vieillard qui m’a abordée dans la rue, et qui m’a dit, après avoir entendu mes malheurs, de vous venir voir de sa part et de vous faire cette commission. Je ne sais point ce qu’il y a écrit dans le billet, il ne me l’a pas expliqué. D’ailleurs il avait tels et tels traits, à peu près comme ceux que je vois dans ce cadre que vous avez là au-dessus de la porte.”

De plus en plus interdit, le cavalier reprend le billet et relit tout haut. “Mon fils, votre père vient de quitter le Purgatoire, grâce à une messe que cette pauvre femme, qui vous portera cette écriture, a fait célébrer ce matin. Elle est dans une grande nécessité, et je vous la recommande moi-même.” Il lit et relit ces caractères tracés par une main si chère et désormais sauvée; les larmes succèdent à son émotion. Revenant alors à la messagère qui attendait craintive le résultat à tout ceci, à quoi elle comprenait peu de chose: “Pauvre mère, lui dit-il, vous avez, avec une faible somme, assuré la félicité de celui qui m’a donné la vie; je veux vous assurer à mon tour la votre. Je me charge de vous et de votre famille; il ne vous manquera rien, j’en fais le serment.” Je laisse à deviner les sentiments de ces heureuses gens, et aussi l’instruction qui découlent pour nous de cette histoire, semblable, pour le fond, à celle que nous avons déjà rapporté et qui est de date plus récente. Il n’y a point de petite charité envers les membres de l’Eglise souffrante, et tout ce qu’on fait pour eux attire des miracles de miséricorde, comme l’enseigne le pieux cardinal Hugues: Qui potest commodet, et semen ejus in benedictione erit.

                                                        { V.Carfora, Fortuna hominis, livre 1, ch 9.}

 

 

 

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92ème Merveille            LES AMES DU PURGATOIRE DEMANDENT UN SOUVENIR.


Orate pro nobis ad Dominum, quia peccavimus Domino, et non est aversus furor ejus a nobis : Priez pour nous le Seigneur, parceque nous avons péché contre lui et que sa colère dure encore sur nous. {Baruch,1,13.}

Un interprète sacré assure que les âmes du purgatoire sont punies de la même façon que fut traité dans ses malheurs le saint homme Job : les plaies qui l’avaient frappé atteignaient tellement tout son corps, qu’il ne pouvait faire usage de ses membres ni se secourir lui-même, n’ayant plus de libre que ses lèvres pour crier : “Ayez pitié de moi, vous du moins qui fûtes mes amis : Derelicta sunt tantummodo labia circa dentes meos : miseremini mei.” Telles sont donc ces pauvres âmes, ces âmes bénies, incapables de travailler par elles-mêmes au moindre adoucissement de leurs maux. Ce qui leur est permis, c’est de crier vers les vivants et de leur demander du secours. Quelquefois même, nous en avons vu plus d’un exemple, Dieu leur a permis d’apparaître à ceux qui les pouvaient aider1.

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C’est une vieille tradition du pays de Worms que, pendant plusieurs nuits, on avait aperçu des légions d’hommes armés qui se répandaient dans la campagne les uns à pied, les autres à cheval, comme si une grande bataille allait se livrer. C’était ordinairement après l’heure de minuit que commençaient ces apparitions,

et au point du jour elles s’évanoussaient, comme si les guerriers se fussent retirés dans une cavité de la montagne, pour en sorir de nouveau à la nuit suivante. Non loin de là était le monastère de Limbourg {ou de Limberg}, dont le repos nocturne était troublé par ces bruits étranges. C’est pourquoi un saint moine détermina quelques-uns de ses confrères à sortir une nuit avec lui pour aller au-devant de ces êtres inconnus, et savoir d’eux qui ils étaient et ce qu’ils voulaient. Après s’être fortifiés par la prière et avoir imploré la protection de DIEU sur leur entreprise, ils quittent le couvent un soir et se rendent à l’entrée de la caverne; et là, au moment où ces gens armés se précipitaient pour sortir, le religieux le plus courageux, faisant un signe de croix, les adjure, au nom de la très sainte TRINITÉ, de dire qui ils sont, et pourquoi ils viennent ainsi distraire les serviteurs de Jésus- Christ ; quel est leur dessein, leur but, leur intention. A quoi l’un des personnages répondit : “Nous ne sommes pas des soldats vivants qui se font la guerre, mais les âmes d’une quantité de morts, tués en ce lieu en combattant sous les enseignes de nos deux

 {1} Nous rappelons pour la seconde fois qu’on trouvera un grand nombre de faits de ce genre rassemblés dans l’ouvrage traduit de l’allemand par deux auteurs différents, et dinge de toute l’attnetion des lecteurs catholiques et sérieux, la Mystique divine de Gorrës, monument précieux de recherches, de science. de philosophie, auquel il ne manque qu’un peu plus d’ordre et une marche moins saccadée. Inutile de dire que Gorrès justifie les traits merveilleux don’t ces cinq gros volumes sont remplis.                 {Le Traducteur}

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souverains. Nos corps ont été enterrés ici, et nos âmes y font leur purgatoire. Ce bruit d’armes et de chevaux, qui fut alors l’occasion de nos fautes et que Dieu permet que vous entendiez pour notre soulagement, est maintenant l’instrument et la forme de la peine à laquelle nous sommes condamnés. Vos yeux ne distinguent point les flammes qui nous entourent et nous consument ; mais elles sont bien cruelles. »

 Le religieux, effrayé à cette révélation, reprit pourtant courage et demanda : « Nous serait-il possible de vous secourir dans cette extrémité qui nous émeut de compassion, et comment le pourrions-nous ? ? Ah ! certainement ! répondit l’âme ; certainement, vous le pouvez, et c’est pour cela qu’il nous est donné de nous manifester à vous et de  vous implorer. Vos jeûnes, vos oraisons, vos mortifications de toutes sortes, à vous qui avez renoncé au monde et qui vivez dans la sainteté, et surtout le divin sacrifice de l’autel, peuvent aisément procurer notre délivrance. Nous vous supplions d’y travailler. Nous ne pouvons rien pour nous-mêmes, infortunés que nous sommes, si ce n’est de souffrir, et toujours souffrir, jusqu’à la fin de l’épreuve. » Et à l’instant, comme une seule voix lamentable, toute cette multitude s’écria : « Priez pour nous, ô pères, priez pour nous ! » Et puis tout disparut, ainsi qu’un globe de feu se dissoudrait dans l’air ; mais en même temps le sommet de la montagne parut s’allumer ; on y voyait comme un incendie immense dont les reflets étaient effrayants. Les moines, sous l’impression terrible de ce spectacle rentrèrent chez eux, commencèrent leurs prières et les suffrages qu’ils avaient promis, et, à partir de ce moment, tous les bruits nocturnes cessèrent.

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 Nous ajouterons à ce trait un autre événement aussi étonnant et aussi instructif, qui eut encore un religieux pour objet. Ce bon moine, toutes les fois qu’il passait auprès de quelque cimetière, ne manquait jamais de faire pour les défunts qui y reposaient une petite prière, comme le Requiem aeternam, ou autre semblable. Un jour cependant, ayant l’esprit occupé d’une pensée différente, il venait de laisser un cimetière à sa droite sans s’acquitter de sa charitable pratique, lorsqu’il y fut miraculeusement rappelé par plusieurs cadavres qui lui parurent sortir de leurs tombes et qui criaient derrière lui, empruntant un mot du psaume 128 : « Et ceux qui passaient n’ont point dit : Que la bénédiction de Dieu soit sur vous : Et non dixerunt qui praeteribant : Benedictio Domini super vos. » A cette vue, à ces paroles ; il s’arrête confus de son oubli, et aussitôt ajoute la fin du verset : « Benedicimus vobis in nomine Domini : Nous vous bénissions au nom du Seigneur. » Comme si elles eussent été soulagées par ces simples mots ; tirés des livres sacrés, les âmes cessent de se rendre sensibles. Quant au religieux, confirmé sans sa sainte dévotion, jamais plus il ne lui arriva d’y manquer.

(Trithemius, Chronic. ann. 1058 ; Dauroult Catechismus history., part. III, c. 8, t; 20 ; Philippe Oultreman, Jésuite, Pedagogus Christianus, t. I, 2è part. ch 19, §2.)

 

 

 

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93ème Merveille        COMBIEN DIEU AIME QU’ON PRIE POUR SES PARENTS DEFUNTS

 

Mutuam vicem rederre parentibus acceptum est coram Deo : Rendre à ses parents ce qu’on a reçu d’eux est chose agréable au Seigneur. (I Timoth. v,4)

 Pour exciter notre compassion envers les âmes du purgatoire et nous porter à les soulager selon nos forces, ce devrait être assez de savoir qu’elles ont une même nature avec nous, ont vécu sous la même loi, sont comme nous les images de Dieu, et qu’à ce titre, si nous aimons Dieu, nous devons les aimer aussi ; qu’elles ont été comme régénérées dans les eaux du baptême et dans le sang de Jésus-Christ, ce qui nous les a unies par une parenté toute spirituelle mais réelle. Or, cela étant, combien le motif ne devient-il pas plus pressant si à tous ces titres s’ajoute celui des relations si élevées et si saintes de la famille, d’un fils envers son père, d’un père envers ses enfants, d’un mari à l’égard de sa femme ou de celle-ci à l’égard du premier, d’un frère envers une sœur ou un frère, réciproquement ! Il est évident qu’ici règne une obligation particulière et plus stricte d’employer tous les moyens possibles de procurer leur délivrance. Nous allons reproduire deux traits fort édifiants de ce genre de charité, ou plutôt d’obligation de conscience. Dans son Trigesimo sacro, le

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P. J.-B. Manni en a beaucoup d’autres. Voici donc deux reines, dont l’une délivre sa mère, l’autre sa fille.

 Sainte Elisabeth, fille d’André, roi de Hongrie, et de sa femme Gertrude, avait naturellement, pieuse comme elle était, une dévotion vive pour les défunts. De ses propres mains, elle préparait les suaires pour les ensevelir, payait les frais des funérailles des pauvres, et souvent accompagnait elle-même le corps jusqu’au cimetière, pendant que son cœur suppliait le juge redoutable de faire grâce à ses pauvres créatures. On peut bien penser que son zèle ne diminuait guère s’il s’agissait de ses proches, et qu’il prenait au contraire une activité nouvelle. Lorsque mourut sa mère Gertrude, elle ne cessa d’offrir pour elle des mortifications, des prières, des aumônes considérables et sous les formes les plus variées. Une nuit, après ses exercices, la sainte s’était couchée, et elle allait s’endormir, lorsqu’elle vit paraître devant elle la défunte, vêtue de deuil, le visage triste, désolé, suppliant, qui se mit à genoux et lui dit : « Ma fille, vous avez à vos pieds votre mère accablée de douleur, qui vient vous conjurer de multiplier vos suffrages, afin d’être délivrée des tourments épouvantables qu’elle souffre pour ses manquements dans l’exercice de l’autorité qui lui avait été confiée. Ah ! au nom des angoisses au milieu desquelles je vous ai mise au monde, des fatigues et des veilles que m’a coûtées votre éducation, je vous supplie de tout faire pour me retirer des supplices où je suis plongée. » Emue autant qu’épouvantée, Elisabeth se relève immédiatement pour prier, pleurer, s’humilier, se frapper en présence du Notre Seigneur. Le sommeil la surprit dans cet acte de charité, qu’elle ne voulait plus inter-

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rompre. Or, sa mère revient alors, mais toute différente, vêtue de blanc, joyeuse, rayonnante d’allégresse, lui rendant grâces avec effusion de ce que ses ardentes prières lui avaient ouvert enfin les portes du ciel.

Sainte Élisabeth de Portugal ne fit pas moins pour la reine Constance sa fille. Cette jeune princesse était reine de Castille, et une mort inopinée l’enleva à l’affection de sa famille et de ses sujets. Élisabeth venait d’apprendre ce malheur, et elle se rendait avec son mari dans la ville de Santarem, lorsqu’un ermite se mit à courir derrière le cortège royal, en criant qu’il voulait dire un seul mot à la reine. Les gardes le repoussaient; mais la sainte, s’étant aperçue de son insistance, donna ordre qu’on le lui amenât. Dès qu’il fut en sa présence, il lui raconta que plus d’une fois, pendant qu’il priait dans son ermitage, la reine Constance lui était apparue et l’avait instamment conjuré de faire savoir à sa mère qu’elle gémissait au fond du purgatoire, qu’il fallait dire pour elle la sainte Messe chaque jour pendant un an. Sa commission faite, l’ermite se retira et ne parut plus. Les courtisans, qui avaient entendu la communication, s’en moquaient tout haut et traitaient l’ermite de visionnaire, d’intrigant ou de fou. Quant à Élisabeth, elle se tourna vers le roi et lui demanda ce qu’il en pensait. « Je crois, dit-il, qu’il est plus sage de faire ce qui vous est marqué par cette voie extraordinaire; après tout, faire dire des messes pour notre chère défunte n’a rien que de très paternel et de chrétien. » On chargea donc de ce soin un saint prêtre, Ferdinand Mendez.

Au bout de l’année, Constance se fit voir en songe à la sainte; elle était vêtue de blanc, éclatante de lumière,

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et dit à sa mère : « Maintenant, ô ma mère, je suis délivrée, par la divine clémence, des tourments du purgatoire, et je m’envole vers la béatitude éternelle. » Cette vue et cette assurance remplirent Élisabeth de consolation. Ne se rappelant point, à ce moment, les trois cent soixante-cinq messes qu’elle avait fait dire, elle se rendit à l’église pour remercier le Seigneur, et elle y trouva Mendez, qui lui apprit qu’il avait fini de la veille les intentions, et lui demanda si elle en avait d’autres à lui marquer. Elle se souvint alors de tout, comprit ce qui s’était passé, et répondit qu’il fallait rendre au Seigneur de solennelles actions de grâces; ce qu’on fit par des messes chantées, et en versant dans le sein des pauvres des aumônes nombreuses.

(V. Laur. Surius, Vies des saints, 19 novembre;

Jacques Fuligati, Vita S. Elisabethoe, p. 35).

 

 

 

 

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94ème Merveille

LA PEINE DU PURGATOIRE PROLONGÉE JUSQU’À

L’ACQUITTEMENT DES DETTES


 Tradidit eum tortoribus, quoadusque redderet debitum : Il le livra aux exécuteurs jusqu’à ce qu’il acquittât sa dette. (Matth XVIII, 54.)

Ces âmes surtout sont ordinairement retenues par la justice divine dans le lieu de l’expiation, qui, après avoir été miséricordieusement retirées de leur vie mau-

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vaise, n’ont point satisfait aux obligations de la restitution, étant surprises par une mort inopinée. Soit que, les créanciers étant en souffrance, il ne convienne point que les débiteurs entrent dans la joie suprême; soit que Dieu n’accepte pas volontiers les suffrages en faveur de ceux qui n’ont causé aux autres que du dommage, les histoires renferment plusieurs relations, qui paraissent authentiques, d’apparitions de débiteurs demandant qu’on acquitte pour eux leurs obligations omises.

Le R.P. Augustin d’Espinosa, de la Compagnie de Jésus, s’était distingué toujours par son zèle dévoué pour les âmes du purgatoire; il s’imposait en leur faveur mille prières, aumônes, jeûnes et mortifications, comme tous ceux qu’animent des sentiments semblables; nous ne pouvons que nous répéter. Dieu permit souvent que des défunts lui apparussent, ou bien pour le remercier, ou bien pour se recommander à lui. Un jour entre autres, il vit paraître un homme qu’il avait connu fort riche, et qui lui demanda s’il le reconnaissait. « Sans doute, répondit le bon père; je me souviens parfaitement de vous avoir administré le sacrement de pénitence peu de jours avant que vous fussiez appelé devant le Seigneur. – C’est bien cela en effet, reprit le défunt. Je viens, par permission du Sauveur, vous conjurer d’apaiser pour moi sa justice; je ne puis plus rien moi-même pour cela, et j’ai espéré que vous ne rejetteriez pas mon humble demande. Pour vous mieux renseigner sur ce qu’il faudrait faire, daignez m’accompagner quelques instants. » Le religieux répondit qu’il ne pouvait sortir sans la permission de son supérieur, mais qu’il allait l’obtenir. Il sort aussitôt, raconte au Père recteur ce qui lui arrive, et lui demande de l’au-

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toriser à suivre cette étrange affaire. Il reçoit une réponse favorable; mais en même temps quelques autres religieux, avertis par le supérieur, se mettent en prières à la chapelle. L’apparition, qui avait toute la forme d’un homme, prend Augustin par la main et le conduit, sans prononcer une parole, sur un pont peu éloigné de la ville. Là, elle s’efface un moment et revient portant une grande bourse pleine d’argent, dont elle donne au Père une partie à porter jusqu’à sa cellule, où ils retournent ensemble.

Dès qu’ils y furent entrés, le mort met le restant entre les mains du religieux, avec un billet écrit, en lui disant : « Ce billet vous indiquera à qui et dans quelle proportion vous rendrez les sommes que je dois, à titre de contrat ou de restitution. Il marque aussi les œuvres pieuses que je désire être accomplies en faveur de mon âme. Quant à ce qui restera de la somme, vous en disposerez, mon père, comme il vous plaira : car vous êtes plus que personne en état de lui donner une destination sainte et utile. » En achevant ce discours, l’homme disparut, et le père s’empressa d’aller retrouver son supérieur et de l’informer de tout. Sur son avis, on fit venir les créanciers, on leur rappela ce qui leur était dû, circonstance dont ils se montrèrent fort étonnés, la chose étant secrète; on les satisfit parfaitement, et de ce qui restait on fit plusieurs bonnes œuvres.

Huit jours s’étaient à peine écoulés, que le défunt se présente de nouveau au P. Augustin, pendant qu’il priait dans un profond recueillement : il le remercie avec effusion de son empressement et de sa charitable exactitude. Il le bénit surtout des messes qu’il avait fait dire en sa faveur, qui avaient servi plus que tout le

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reste à lui ouvrir les portes du ciel, où il montait incontinent, et où il conserverait pour son bienfaiteur une impérissable gratitude. On peut croire que le bon père dut à cette intercession les grâces dont il fut comblé, et qui firent de lui un des modèles de la Compagnie.

Ce serait le lieu de terminer cette histoire, avec celui qui l’a écrite le premier, par une exhortation aux débiteurs de ne point attendre au dernier moment à s’acquitter des restitutions et des paiements qu’il sont en état de faire. En s’en remettant pour cela à leur testament, outre qu’ils jouissent volontairement d’un bien qui ne leur appartient pas, il se font semblables à ces hideux serpents, à ces vipères qui ne sont bonnes à rien qu’après leur mort. C’est au milieu des flammes de la vengeance qu’ils verront combien cette conduite était blâmable et indigne des serviteurs de Jésus-Christ. Un écrivain que nous avons cité ici plusieurs fois a dit sur cette matière une bonne parole : « Ce que vous donnez vivant et en pleine santé est de l’or; ce que vous donnez en mourant est de l’argent; mais ce que vous laissez à distribuer après votre mort n’est plus que du plomb. » Ainsi parle Vincent de Beauvais.

(V Jos. Nadasi, Ann. dier. memorab., 4 fév.; Jacq. Hautin, Patroc. de funct., liv. III, chap. 2, art. 3.)

 

 

 

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95ème Merveille        LES AMES DÉLIVRÉES VENANT AU DEVANT

DE LEURS BIENFAITEURS.


 Venientes in occursum ejus, adoraverunt : Et venant au-devant de lui, ils se prosternèrent. (IV Reg. II, 15).

Lorsque l’Empereur Charles-Quint s’empara de la ville de Tunis, il remit en liberté vingt mille esclaves chrétiens, réduits avant sa venue à la plus affreuse condition. Pénétrés de reconnaissance pour leur bienfaiteur, ils l’entouraient en le bénissant et en chantant ses louanges. On peut en dire autant de tous ceux qui ont rendu à la vie, au bonheur, à la liberté, les malades, les captifs, les indigents; ils ont recueilli des bénédictions et des chants d’actions de grâces sans fin. Ainsi se comportent certainement les âmes du purgatoire à l’égard de ceux qui ont été leurs bienfaiteurs, elles dont la captivité fut bien autrement sévère et dure que toute captivité, toute indigence, toute maladie terrestre. Elles viennent surtout à leur rencontre, au moment du trépas, pour les accompagner et les introduire elles-mêmes dans le lieu de l’éternel repos. Sainte Marguerite de Cortone, qui avait été d’abord une grande pécheresse, l’expérimenta, comme je vais le rapporter.

Parmi les vertus qu’on lui vit pratiquer avec le plus d’ardeur après sa conversion, on marque sa charité

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96ème Merveille   VIDE SUR LE SITE

 

97 2èmer Merveille  VIDE SUR LE SITE

 

98ème Merveille  VIDE SUR LE SITE

99 ème Merveille  VIDE SUR LE SITE

100 ème Merveille  VIDE SUR LE SITE

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101ème Merveille

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Le même religieux tomba dans un autre oubli, dont l’histoire ne paraîtra pas moins remarquable. Lorsqu’il reçut la nouvelle de la mort de son père, il en ressentit une vive affliction à cause du grand amour qu’il lui portait et de la reconnaissance qu’il lui avait vouée pour le bienfait de son éducation. Désireux de savoir en quel état se trouvait, par-delà le tombeau, cette chère âme pour laquelle il eût tout fait, il supplia le Ciel de le lui faire connaître. Un soir principalement qu’après l’office des vêpres il s’était retiré dans l’oratoire de sa cellule et que là, seul, il priait avec une ferveur tout extraordinaire la divine Bonté de ne lui pas refuser cette consolation, il entendit clairement une voix qui lui disait : « Pourquoi donc te laisser tenter de cette vaine curiosité ? combien il vaudrait mieux employer le mérite de tes oraisons, non plus à savoir en quel état se trouve ton père, mais à le délivrer s’il est dans les flammes du Purgatoire ! Ces oraisons lui seraient utiles alors, et à toi aussi. » Cette réflexion lui fut un avertissement précieux; il changea de pensée, et appliqua toute son ardeur à demander la délivrance de cette âme et son admission dans le séjour du repos. Certes, il ne tarda pas à s’assurer que ce parti était de beaucoup le meilleur : car, la nuit suivante, il vit en songe l’âme de son père, que deux démons plongeaient au milieu d’une fournaise brûlante, et qui, se tournant vers lui, criait de toutes ses forces : « Miserere mei ! pitié, pitié ! ô mon cher fils, ayez compassion de mon état, et que vos bonnes prières me viennent promptement en aide ! Accomplissez pour moi des pénitences, des œuvres pieuses; hâtez-vous, ne perdez pas de vue, un seul instant, cette intention de piété filiale. » Le religieux redoubla

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de ferveur, jusqu’à ce qu’il sût avec certitude, et par une voie miraculeuse, qu’il avait procuré cette délivrance.

Ces apparitions, et d’autres du même genre, augmentèrent la dévotion de Denys pour les âmes du purgatoire, et il chercha toujours à l’inspirer à ses moines par ses exhortations quotidiennes. A la mort du célèbre Jean de Louvain, bien que la sainte vie qu’il avait menée fît espérer qu’il n’avait pas grand besoin de suffrage (il avait été un prélat de mœurs exemplaires, défenseur incorruptible de la justice, propagateur zélé de l’Évangile, préférant toujours le bien des autres à son avantage personnel), les Chartreux ne manquèrent pas de prier beaucoup pour son âme. Il avait été leur bienfaiteur, comme celui de plusieurs autres monastères, auxquels il distribuait une partie des aumônes dont il disposait. L’abbaye de Ruremonde avait reçu beaucoup de ces sommes. Il avait voulu y être enterré, au milieu du chœur, afin de jouir encore, en quelque façon, de la compagnie des Chartreux après sa mort. Un personnage de tant de vertu et de charité ne put cependant éviter l’épreuve du purgatoire, peut-être à cause des nombreux bénéfices qu’il avait possédés, source d’obligations auxquelles on peut ne pas songer, et au sujet desquelles on se repaît d’illusions. Ce qui est certain, c’est que deux fois il fut montré manifestement à ses amis qu’il avait besoin d’intercession. La première, pendant l’office même de ses funérailles, où une nuée épaisse et en même temps enflammée environna tout-à-coup le catafalque. Denys, à cette vue, resta tout interdit, en sachant s’il devait interpréter ce feu comme celui de l’enfer ou comme celui du purgatoire. Le dé-

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mon ne manqua pas de lui suggérer que c’était le feu de la damnation, afin de le faire désister de ses prières en faveur du défunt. Néanmoins il les continua toute l’année, sans interrompre aucune des bonnes œuvres qu’il avait entreprises dans ce but. Comme il y avait fondation annuelle, au jour anniversaire on chanta encore l’office pour Jean de Louvain. Au même moment que la première fois, c’est-à-dire au Benedictus, la nuée et le globe de feu apparurent encore de la même manière, mais beaucoup moins épais et moins effrayants : d’où le saint religieux inféra à bon droit que Dieu faisait connaître par ce signe l’adoucissement apporté aux souffrances du défunt, quoiqu’il fût retenu encore loin du ciel. Les suffrages furent donc continués avec plus de confiance, et en effet, au second anniversaire, une belle et éclatante lumière brilla sur le catafalque et remplit toute l’église de ses rayons. Le prélat était donc admis dans la troupe trois fois bénie des élus.

Songeons, nous qui lisons ceci, qu’il faut préparer nous-mêmes notre jugement, et ne point laisser aux autres la charge de l’adoucir : car ce serait un calcul à la fois imprudent et trompeur.

 (V. Acta Sanctorum des Bollandistes, 2 mars, Vie de Denys-le-Chartreux.)

 

 

 

Conclusion

 Sancta ergò et salubris est cogitatio pro defunctis exorare : Donc, c’est une sainte, une salutaire pensée de prier pour les morts ! (Mach. XII, 46.)

Puisse ce recueil d’exemples exciter en plusieurs, et renouveler en d’autres, la piété envers ceux qui nous ont précédés au tribunal de Dieu ! La variété de ces faits, l’autorité que leur donnent les graves auteurs auxquels nous les avons empruntés, offrent une ample matière à nos réflexions, et il ne sera pas qu’ils ne nous portent à un grand sentiment de compassion pour les âmes qui gémissent dans l’expiation. Que si le plus haut degré de la perfection chrétienne réside dans la charité envers Dieu et envers le prochain, et que sur ces deux amours, comme sur les deux pôles du monde, tourne le ciel de la vertu accomplie, en quelle estime ne devra pas être auprès de tout chrétien le zèle pour la délivrance de ces pauvres âmes !

D’abord, les suffrages par lesquels nous y travaillons montrent un grand amour pour Dieu lui-même, dont c’est imiter le plus admirable attribut, celui de la miséricorde. Notre-Seigneur n’a-t-il pas dit (Luc, VI, 36) : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux : Estote misericordes sicut et Pater vester misericors est ? (hic.) » Texte au sujet duquel saint Grégoire a écrit cette réflexion : « Faites en sorte d’être comme

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un Dieu envers celui qui souffre, en imitant la miséricorde de Dieu. » Or, envers qui cette miséricorde s’exercerait-elle mieux qu’envers des âmes destituées de tout secours, âmes d’ailleurs extrêmement chères au Seigneur, ses filles, ses épouses, les héritières de son royaume, à la possession duquel elles aspirent légitimement ? Le grand docteur saint Thomas d’Aquin n’a-t-il pas établi avec solidité que les actes de miséricorde spirituelle l’emportent de beaucoup sur la miséricorde purement corporelle ? Si donc la nourriture donnée à qui a faim, le vêtement à qui est nu, la visite faite à un prisonnier, sont choses agréables au Maître souverain, combien plus considèrera-t-il l’acte qui a pour objet d’adoucir les peines si cruelles d’âmes réduites à l’impuissance pour elles-mêmes, d’apaiser la soif qu’elles ont de voir Dieu, de les tirer de leur ténébreuse prison pour les introduire dans la céleste béatitude !

C’est, en second lieu, un grand amour envers le prochain. Si saint Pierre Nolasque mérita comme Jérémie le beau titre d’ami de ses frères, (fratrum amator), parce qu’il consacra sa personne, son temps et ses biens à briser les chaînes des esclaves chrétiens sur les côtes de Barbarie, ce titre magnifique n’appartiendra-t-il pas, à bien meilleur droit encore, au fidèle dont les aumônes, les prières, les mortifications, ouvrent à ses frères gémissants la porte du cachot horrible pour les envoyer aux joies de la parfaite et éternelle liberté ? Certes, c’est une digne et sainte préoccupation que celle de soulager les misères variées dont nous sommes partout environnés ici-bas, dans les pauvres, les malades, les affligés; mais, évidemment, il est plus parfait encore de se constituer le bienfaiteur de ceux qui sont autrement

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torturés, et sans rien pouvoir pour eux-mêmes. Tel est l’ordre de la vraie charité. La charité est essentiellement ordonnée et réglée, selon le Sage : Ordinavit in me charitatem. Eh bien ! les docteurs nous l’apprennent, cet ordre exige que l’on envisage dans la charité : 1o où est la plus grande obligation; 2 o où est la plus pressante nécessité; 3 o le plus grand mérite des personnes qui en sont l’objet; et autres circonstances du même genre.

Or, quelle plus grande obligation que de subvenir à une nécessité extrême, telle que la nécessité de ces âmes cruellement tourmentées dans les flammes dévorantes ? Quel plus grand mérite que celui de ces âmes élues, confirmées en grâce malgré leurs imperfections passées, et prêtes à monter au ciel pour entrer en possession de la gloire céleste ? Quel acte de miséricorde plus généreux que d’employer tout notre pouvoir à leur procurer un bien au-dessus de tous les biens ?

Enfin, si c’est notre intérêt propre que nous envisageons, il ne saurait y avoir d’acte qui nous soit plus profitable et qui nous attire plus de grâces. Dieu récompense ordinairement cette charité dès la vie présente par de grands avantages, par des faveurs temporelles et spirituelles, un constante augmentation de la foi, une espérance plus présente et plus vive, une charité plus ardente, plus féconde, la consolation intérieure dans les peines, une protection spéciale dans les périls : on n’a plus de prétexte pour en douter, après la lecture des pages qui précèdent, et où nous avons recueilli quelques-uns seulement des traits consignés dans les écrivains ecclésiastiques. Souvenons-nous, par exemple, de la protection miraculeuse accordée à Judas Machabée.

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Fin de la Seconde Partie.

 

 

 

APPENDICE

Recueil de pratiques et de prières en faveur des âmes du Purgatoire

  I – Intentions 356

 

356                                                    APPENDICE.

Recueil de Pratiques et de Prières en faveur des âmes du Purgatoire

I /   Intentions

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en pense malheureusement si peu : le prêtre qui nous a baptisés, ceux qui nous ont instruits au catéchisme, qui nous ont fait faire notre première-communion, l’évêque qui nous a confirmés, les confesseurs qui nous ont absous, dirigés, consolés; les auteurs des livres qui ont fait du bien à notre âme; les prédicateurs des retraites ou des sermons qui nous ont rappelés à la vertu ou fortifiés dans nos bonnes résolutions.

 4o. Nous prierons pour nos bienfaiteurs, ceux de qui nous tenons quelque avantage, temporel ou spirituel; qui nous ont donné de bons exemples ou de bons conseils; qui ont prié pour nous, qui nous ont rendu quelque service, légué leurs biens; qui nous ont protégés, défendus, mis en état de nous instruire; nos maîtres, dont la patience a dû être si grande; un misérable salaire n’est pas la récompense due à un tel dévouement. Nous penserons aussi à ceux qui, sans nous faire du bien eux-mêmes, nous en ont souhaité ou fait faire par d’autres.

 5o. Nous prierons pour nos amis, ceux avec qui nous avons passé notre jeunesse, qui nous ont accompagnés sur les bancs de l’école, dans nos jeux, et plus tard dans les difficultés de la vie. N’ont-ils pas droit de compter sur un souvenir ?

 6o. Nous prierons pour tous ceux à qui nous avons été un sujet de scandale ou de mauvais exemple, par des actions, des paroles légères, des conseils, des livres prêtés, une tenue peu convenable à l’église, ou de toute autre manière, peut-être même sans le savoir. Leur accorder nos suffrages est devoir de justice.

 7o. Nous prierons pour tous nos inférieurs en général, ouvriers, serviteurs, élèves, etc.

 

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 8o. Pour ceux qui sont détenus dans le purgatoire pour les mêmes fautes qui remplissent notre propre vie et qui nous font craindre le jugement de Dieu : mollesse, orgueil, avarice, colère, tiédeur habituelle, immortification, et ce qui s’ensuit, etc. Pratique excellente pour nous assurer en-haut des protecteurs.

 9o. Pour ceux en faveur de qui personne ne prie, qui sont abandonnés et oubliés de tous. Aimable charité, digne d’un cœur vraiment instruit à l’école de Jésus-Christ.

 10o. Priez enfin pour ceux qui ont droit à votre souvenir et à vos bonnes œuvres, mais que vous ignorez. Acquérez pour eux des mérites, gagnez des indulgences, que vous déposerez entre les mains de la sainte Vierge, afin qu’elle-même les applique. Quelle garantie que celle d’avoir Marie pour trésorière !

 Ces intentions embrassent à peu près tout. On pourrait les parcourir successivement, une par jour, pendant dix jours : ce qui les ferait repasser sous les yeux trois fois par mois. Nous recommandons vivement cette pratique si aisée.

 Mais quelle sont les œuvres les plus profitables aux pauvres âmes ? Nous en indiquerons quelques-unes.

 

 

 

 

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II/     PRATIQUES

 1. – Il y a la sainte aumône, sous ses différentes formes : pauvres, malades, ignorants auxquels on donne le pain de l’instruction, affligés que l’on console, cœurs battus que l’on relève. La bénédiction du pauvre est

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une pluie rafraîchissante à ceux que consume le feu de l’expiation. « C’est l’aumône, dit l’Écriture-Sainte, qui couvre la multitude des péchés. »

 2. – Le saint sacrifice de la Messe, l’auguste Victime, qui est la rançon du monde, offerte à son Père pour l’acquittement des dettes humaines.

 3. – La prière, la prière fervente, ce cri du cœur qui est auprès de Dieu une toute-puissante supplication. Non pas quelques paroles prononcées sans attention et sans confiance, mais une véritable oraison, toute réfléchie, toute ardente, toute sainte. La prière, assure Notre-Seigneur, obtient tout. Ah! Si les âmes du purgatoire pouvaient prier pour elles-mêmes d’une manière efficace, avec quelle victorieuse ferveur elles le feraient ! Or, elles attendent que nous les remplacions…

 4. – La mortification corporelle : jeûnes, privations, positions gênantes, travail prolongé, partie de plaisir sacrifiée, satisfaction légitime repoussée; à plus forte raison, discipline, psaumes de la pénitence les bras en croix, etc. On peut appliquer aux mêmes intentions les peines que Dieu nous envoie, en les acceptant avec résignation et bonheur. C’est s’unir aux souffrances de Jésus, et mieux expier les satisfactions illicites qui ont attiré le châtiment sur ces âmes. Oh ! qu’on les soulagerait facilement par ces petites choses que le sentiment de la piété indique tout seul : une couche moins douce, un aliment moins recherché, de l’eau à son repas, etc.

 5. – Ne jamais passer devant un cimetière sans réciter une prière pour les morts. De même à la rencontre d’un convoi. De même encore pour toutes les morts que l’on apprend, de quelque façonn que ce soit, dans les

 

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conversations, dans les feuilles publiques, etc. Ces habitudes sont faciles à prendre, et, une fois prises, elles ne coûtent rien.

 6. – Des pèlerinages aux sanctuaires les plus révérés, principalement de la Sainte Vierge, avec la fatigue corporelle.

 7. – S’associer plusieurs personnes ensemble, dans le but de soulager les âmes du purgatoire, et s’exciter mutuellement à la ferveur. Avoir un jour marqué chaque semaine pour s’examiner là-dessus.

 8. – Avoir dans sa chambre un objet quelconque, croix, chapelet, image, buis bénit, auquel on attache le souvenir de cette dévotion et qui la rappelle chaque fois qu’on le regarde.

 9. – Ajouter à la récitation du chapelet une sixième dizaine spécialement pour ces âmes. Plusieurs communautés le font.

 10. – Visiter pour elles le Saint-Sacrement, le soir surtout dans le moment où l’indifférence des hommes laisse Notre-Seigneur presque seul dans ses tabernacles. Que n’obtiendrait-on pas si on allait, à cet instant, implorer sa clémence pour les âmes que sa justice châtie !

 11. – Il y a une autre pratique, très-sainte, très-autorisée, qu’on peut appeler héroïque. Nous la mentionnons avec les autres, mais en l’expliquant un peu plus au long parce qu’elle est moins connue. Cette pratique consiste à faire le vœu d’abandonner entièrement à ces âmes toutes les œuvres satisfactoires qu’on fera durant sa vie. Vœu d’ailleurs n’obligeant point sous peine de péché, et malgré cela donnant droit à des privilèges singuliers, concédés par le pape Benoît XIII le 23

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avril 1728, confirmés par Pie VI, et par Pie IX le 30 septembre 1852; – ce vœu assure aux prêtres qui l’ont fait l’autel privilégié personnel; – aux fidèles une indulgence plénière chaque fois qu’ils communient; – une indulgence plénière, avec délivrance d’une âme du purgatoire, tous les lundis de l’année, en entendant simplement la sainte Messe à cette intention, et puis en visitant une église ou un oratoire public, et y priant quelques instants, la valeur de cinq Pater et Ave, aux intentions du pape. – Il n’y a point, du reste, de formule particulière pour ce vœu; mais on pourrait employer la suivante, qui en exprime très-bien l’esprit et la pensée :

 « Afin de concourir à votre plus grande gloire, ô Seigneur mon Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit; afin aussi de mieux imiter mon doux Rédempteur Jésus; pour manifester enfin ma dévotion envers Marie, mère et consolatrice de tous les fidèles souffrants…, je promets et fait le vœu de coopérer à la délivrance des âmes du purgatoire qui doivent encore à la divine justice les peines de leurs péchés; – sans toutefois m’obliger moi-même sous peine d’aucun péché. – C’est dans cette intention que je remets entre les mains de la Reine des saints toutes mes œuvres satisfactoires, ainsi que celles qui me seraient appliquées par les autres durant ma vie, comme à ma mort et après mon passage à l’éternité. Daignez, Seigneur, accepter cette offrande, inspirée par la charité que vous êtes venu enseigner au monde. Que si toutes mes œuvres satisfactoires réunies ne suffisent point pour acquitter les dettes des âmes que la Mère des miséricordes veut délivrer, ainsi que celles qui me restent à moi-même pour mes propres

 

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fautes, lesquelles fautes je hais et déteste sincèrement, je m’offre, mon Dieu, avec votre bon plaisir, à y suppléer un jour dans les épreuves du purgatoire, m’abandonnant en cela entièrement entre les bras de votre tendresse. Ainsi me soient en aide la foi qui sauve et l’espérance qui console  ! (Ce vœu a été fait par sainte Gertrude, sainte Thérèse, sainte Lidwine, sainte Catherine de Sienne, le pieux cardinal Ximénez, etc. Notre-Seigneur apparut à sainte Gertrude, et lui dit que par là elle lui avait été si agréable, qu’il lui remettait absolument tous ses péchés. – V., ci-dessus, XXVIe et XXXIIIe Merveilles.»

 12. – Gagner en faveur des âmes le plus d’indulgences que l’on peut, et, à cet égard, on peut beaucoup. Nous recueillons ici un certain nombre de prières auxquelles sont attachés de grands privilèges; en rappelant la doctrine de l’Église, que, quand on gagne par exemple cent jours d’indulgence pour les défunts, cela ne veut pas dire cent jours de moins en purgatoire, mais « cent jours de la pénitence que l’on imposait autrefois aux pécheurs, » selon l’antique discipline de l’Église.

 

 

 

 

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III/        PRIÈRES

 « Quand, par nos suffrages, écrit sainte Brigitte, nous délivrons une âme du purgatoire, nous faisons une chose aussi agréable et aussi chère à Jésus-Christ que si nous l’avions racheté lui-même. Et quand le temps en sera venu, pour  notre récompense, il nous rendra entièrement ce bien. » La même sainte entendit

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PRIERES

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un jour une voix du purgatoire qui disait :  "Qu’il soit béni et dignement récompensé, celui qui nous soulage dans nos souffrances !" Et une autre fois : "Dieu tout-puissant, daignez employer votre pouvoir à rendre cent pour un à ceux qui nous aident de leurs suffrages, et qui contribuent à nous réunir à vous  !"?

 Le De profundis est un psaume de David que l’Eglise met sur les lèvres de ses enfants pour les défunts. Bien qu’aucune indulgence ne soit, que nous sachions, attachée à sa récitation, le choix qui en a été fait le rend la prière la plus précieuse que nous ayons à recommander : c’est alors, en quelque sorte, l’Eglise tout entière qui prie avec le simple fidèle. Les sentiments qu’il renferme sont d’ailleurs d’une confiance, d’une contrition, d’une humilité toutes célestes.

"C’est du fond de l’abîme que je crie vers  vous, ô Dieu : Seigneur, entendez mes supplications.

 

Que vos oreilles deviennent attentives à la voix de ma prière.

 Ah ! Seigneur, si vous pesez les iniquités, qui pourra, mon Dieu, soutenir vos regards ?

 

Mais plutôt la miséricorde règne auprès de vous, et au nom de votre loi, Seigneur, j’ai espéré en vous.

Mon âme s’est appuyée sur la divine parole ; mon

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âme a espéré dans le Seigneur.

 Que depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher Israël espère ainsi dans le Seigneur :

 Car auprès du Seigneur est la bonté, et près de lui se trouve l’abondante miséricorde.

 C’est lui-même qui rachètera le peuple élu de toutes ses iniquités.

 Mon Dieu, accordez à ces âmes le repos éternel, et que la lumière immortelle luise à leurs yeux !

 Qu’elles reposent donc en paix. Ainsi soit-il.

 

 

PRIONS

 Mon Dieu, qui êtes à la fois le Créateur et le Rédempteur de tous les fidèles, daignez accorder la rémission de tous leurs péchés aux âmes de vos serviteurs et de vos servantes, afin que, par nos humbles supplications, elles obtiennent le pardon entier après lequel elles soupirent : vous, Sei-

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gneur, qui vivez et régnez éternellement. Ainsi soit-il.

__________________

 

INDULGENCE DE 7 ANS ET 7 QUARANTAINES DE JOURS (1) :

Acte de foi. Mon Dieu, nous croyons fermement tout ce que la sainte Eglise Catholique-Apostolique-Romaine nous ordonne de croire, parce que c’est vous, ô Vérité infaillible, qui le lui avez révélé, et que vous ne pouvez ni vous tromper ni tromper.

Acte d’espérance. Mon Dieu, nous espérons avec la plus ferme confiance que vous nous donnerez, par les mérites de Jésus-Christ, votre grâce en ce monde, et, si nous observons vos commandements, votre gloire dans l’autre, parce que vous nous l’avez promis et que vous êtes souverainement fidèle dans vos promesses.

Acte de charité. Mon Dieu, nous vous aimons, ou du moins nous avons le plus grand désir de vous aimer, de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces  ; et nous aimons notre prochain comme nous-mêmes, pour l’amour de vous.

__________________

 

INDULGENCE DE 100 JOURS :

 "Que la très-sainte, très-juste et très aimable volonté de Dieu s’accomplisse ; qu’elle soit louée et exaltée en toutes choses et pendant toute l’éternité. Ainsi soit-il".

 

(1) Toutes les indulgences que nous avons indiquées sont applicables aux âmes du purgatoire.

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INDULGENCE DE 100 JOURS :

"Mon Jésus, miséricorde !"

__________________

INDULGENCE DE 100 JOURS :

"Jésus, Joseph, Marie,

Je vous donne mon cœur, je vous offre ma vie.

Jésus, Joseph, Marie,

Daignez me secourir en l’extrême agonie.

Jésus, Joseph, Marie,

Qu’avec vous dans la paix je termine ma vie !"

__________________

INDULGENCE PLENIERE, APRES LA CONFESSION ET LA SAINTE COMMUNION, EN PRESENCE D’UN CRUCIFIX :

 "O bon et très doux Jésus, je me prosterne à genoux en votre sainte présence, pour vous prier et vous conjurer avec toute l’ardeur dont je suis capable, de daigner imprimer dans mon cœur de vifs sentiments de Foi, d’Espérance et de Charité, un vrai repentir de mes fautes et une volonté ferme de m’en corriger ; pendant que je considère et que je contemple en esprit vos cinq plaies, avec une grande compassion et une grande douleur, ayant devant les yeux ce que David prophétisait de vous, ô bon Jésus : Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os".

__________________

INDULGENCE DE 100 JOURS :

 "Père éternel, je vous offre le très précieux sang de Jésus-Christ en expiation de mes péchés et pour les besoins de la sainte Eglise".

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INDULGENCE DE 100 JOURS,

à gagner une fois par jour (trois fois le jeudi) :

"Loué et remercié soit à chaque instant les très saint et très divin Sacrement de l’autel!".

__________________

INDULGENCE DE 7 ANS ET 7 QUARANTAINE DE JOURS

 Pour accompagner, une lumière à la main, le Saint-Sacrement porté aux malades.

__________________

3 ANS ET 3 QUARANTAINES :

Pour ceux qui, ne pouvant l’accompagner eux-mêmes, font porter un cierge.

__________________

5 ANS ET 5 QUARANTAINES :

Pour l’accompagner sans lumière.

__________________

INDULGENCE DE 100 JOURS :

 "O Jésus très miséricordieux, rempli d’amour pour les pécheurs, je vous en supplie par l’agonie de votre Cœur très saint et par les douleurs de votre Mère Immaculée, baignez dans votre sang les pécheurs de toute la terre qui se trouvent maintenant à l’agonie et qui doivent mourir en ce jour. Amen.

 Cœur de Jésus qui avez été en agonie,

 Ayez pitié de ceux qui meurent".

 

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INDULGENCE DE 300 JOURS,

Pour l’hymne Pange lingua, avec le verset et l’oraison.

100 jours, pour réciter seulement le Tantum ergo, avec le verset et l’oraison,

__________________

INDULGENCE DE 300 JOURS :

Pour les Litanies de la Sainte Vierge.

__________________

INDULGENCE DE 100 JOURS :

"Ange de Dieu, à qui la divine Providence m’a confié, soyez aujourd’hui ma lumière, mon gardien, mon directeur et mon guide. Ainsi soit-il".

__________________

INDULGENCE DE 7 ANS ET 7 QUARANTAINES,

Chaque fois que l’on donnera de la nourriture à trois pauvres pour honorer Jésus, Marie et Joseph. Si on communie le même jour, indulgence plénière.

__________________

INDULGENCE DE 300 JOURS,

Chaque fois que l’on récitera pour les fidèles agonisants trois Pater en mémoire de la passion et de l’agonie de Notre Seigneur, accompagnés de trois Ave en mémoire des douleurs de la très sainte Vierge.

__________________

INDULGENCE DE 300 JOURS :

Cinq Pater et cinq Ave pour les morts, en réflé-

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chissant à la Passion de Notre-Seigneur, avec ces versets :

 "Nous vous supplions de venir au secours de vos serviteurs, que vous avez rachetés par votre précieux sang ;

 Donnez leur, Seigneur, votre repos éternel, et que votre lumière luise à jamais sur eux. Qu’ils reposent en paix. Amen".

__________________

INDULGENCE DE 500 JOURS,

 A tous les fidèles, même non associés, qui assisteront à un office du saint et immaculé Cœur de Marie, dans une église où est canoniquement érigée l’Archiconfrérie de Notre-Dame des-Victoires.

 Il y a d’autres et nombreuses indulgences propres aux associés de certaines œuvres ou de certaines confréries, telles que celles de la Propagation de la Foi, de la Sainte-Enfance, du Rosaire, du Scapulaire, des Enfants de Marie, des Jeunes Economes, de Saint-Vincent-de-Paul, de la Bonne mort, etc., etc. On les connaît en s’y faisant inscrire.

__________________

INDULGENCE DE 300 JOURS,

A qui récite le chapelet pour la conversion du Japon.

 

 

 

 

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Prières pour Obtenir une Bonne Mort

Composée par Mgr Devie, Evêque de Belley

 

 Dieu tout-puissant, arbitre souverain de la vie et de la mort, prosterné votre adorable présence, je viens vous demander la dernière et la plus important de toutes les grâces, c’est-à-dire la grâce de mourir saintement. Faites, Seigneur, que je meure de la mort des justes, quoique ma vie ait été trop conforme à celle des pécheurs. Accordez-moi donc, d’abord, une douleur sincère de mes péchés. J’en ai fait l’aveu au ministre de votre miséricorde ; j’en ai obtenu l’absolution, et je les veux expier par une véritable et sincère pénitence. Plein de confiance en vos promesses, je puis croire que vous me les avez pardonnées ; pour m’en assurer davantage, je les déteste de nouveau de tout mon cœur, et je voudrais effacer du nombre de mes jours ceux que je n’ai pas employés à vous servir.

 Mais ce n’est pas assez pour me tranquilliser : la persévérance est une grâce que nous ne pouvons pas mériter, et que vous n’accordez qu’à nos instantes prières. C’est pour cela que je viens la demander, surtout pour le moment suprême où l’ennemi du salut redouble d’efforts afin de nous effrayer et de nous détourner de la confiance que nous devons avoir en vous. Ajoutez donc, Seigneur, à toutes les grâces que j’ai reçues

 

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celle de me rendre fidèle à la résolution que je prends d’employer le reste de ma vie à l’accomplissement de tous mes devoirs. Oui, ô mon Dieu, je veux désormais, à l’exemple des saints, devenir humble, modeste, charitable, vigilant sur moi-même, attentif à mes prières et à la pratique de la vertu qui me manque.

 Mais, Seigneur, puis-je bien compter sur mes résolutions ? La triste expérience que j’ai de ma faiblesse ne doit-elle pas m’inspirer des craintes ? Oui : malgré mes bonnes dispositions présentes, malgré toues les précautions que je prendrai pour l’avenir, je crains de m’égarer encore, de m’éloigner de vous par le péché. Ne m’abandonnez pas alors, ô Dieu de bonté ! frappez à la porte de mon cœur ; éclairez-moi, poursuivez-moi, punissez-moi s’il le faut ; ne m’épargnez pas, et mettez-moi dans l’heureuse nécessité de revenir à vous. Ce que je demande surtout instamment, c’est que vous ne m’appeliez pas à vous par une mort subite et imprévue, dans ces coupables dispositions ; c’est que vous me laissiez le temps de faire pénitence ; c’est que vous me fournissiez tous les moyens nécessaires pour faire une mort chrétienne.

 Hélas ! Seigneur, que serais-je devenu si j’étais mort subitement à telle ou telle époque de ma vie… ? Si vous ne m’aviez pas guéri de telle ou telle maladie…, préservé de tel danger… ? Soyez mille fois béni de la miséricorde dont vous avez usé envers moi ! J’ai été un infidèle, mais je ne veux pas être un ingrat, et je veux vous témoigner ma reconnaissance en mettant à profit le délai que vous m’accordez, en réparant les mauvais exemples que j’ai donnés, le temps que j’ai perdu. C’est vous, ô mon Dieu, qui m’inspirez ces résolutions salutaires : accordez-moi aussi la grâce de les accomplir.

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 O Jésus, qui êtes mort sur la croix pour nous apprendre à bien mourir et nous mériter les grâces dont nous avons besoin dans le moment de notre passage du temps à l’éternité, je viens aujourd’hui profiter de vos exemples et réclamer votre puissant secours. Inspirez-moi cette résignation à la volonté de Dieu qui fut si méritoire pour nous au moment de votre douloureuse agonie ; donnez-moi ce courage, cette patience héroïque, ce silence divin dont toutes les personnes qui vous entouraient furent étonnées. Vous avez promis à un pécheur mourant à côté de vous de l’introduire dans votre paradis : c’est un pécheur vivant qui réclame instamment, et avec confiance, la même faveur, sans laquelle votre rédemption aura été inutile pour lui, puisque ce n’est que par une sainte mort que notre salut est assuré.

 Sainte Marie, Mère de Dieu, ce n’est pas en vain, non ce n’est pas en vain, que je vous ai demandé, tous les jours et même plusieurs fois par jour, de "prier pour moi pauvre pécheur". Quelque faible qu’ai été ma piété dans une infinité d’occasions en prononçant ces paroles, il m’est impossible de ne pas reconnaître que vous m’avez obtenu beaucoup de grâces pendant le cours de ma vie : c’est pourquoi je répète avec une nouvelle confiance : "Priez pour moi, pauvre pécheur, maintenant et à l’heure de ma mort".

 Mon bon Ange Gardien, c’est principalement au moment de ma mort qu’il faudra redoubler les charitables soins que vous avez pris de moi pendant ma vie, parce que c’est alors seulement que je pourrai en recueillir le fruit d’une manière assurée. Je les réclame aujourd’hui d’avance, et vous conjure d’oublier toutes mes infidélités, toutes mes résistances à vos saintes inspiration,

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pour ne vous rappeler que la mission que vous avez reçue de m’introduire dans le ciel.

 Bienheureux saint Joseph, qui avez eu le bonheur de mourir entre les bras de Jésus et de Marie, et qui avez mérité par-là d’être le protecteur et le patron des agonisants, je vous invoque d’avance pour le moment où, n’étant plus que la moitié de moi-même, je serai peut être dans l’impossibilité de le faire. Daignez donc m’assister à la mort.

 Et vous aussi, mes vénérables Patrons, Saints ou Saintes dont je porte le nom ou pour lesquels j’ai une dévotion particulière, demandez pour votre  protégé les grâces dont j’ai besoins pour faire un saint usage du reste de ma vie que Dieu me laisse afin que rien ne mette obstacle à l’accomplissement du désir que j’ai de mourir saintement.

 Très-doux Jésus, ne me soyez point juge, mais Sauveur !

(Redire trois fois cette dernière invocation).

 

 

 

 

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EXERCICE POUR SE DISPOSER A BIEN MOURIR

 

(par Bossuet)

Vous ferez un acte de foi en la présence de Dieu, et demeurer en respect devant lui, comme si vous n’aviez plus que ce moment à vivre ; et en cet état vous l’adorerez profondément, lui disant :

 Mon Dieu, je vous adore de toute ma volonté ; et pour le faire plus dignement, je m’unis à toutes les saintes âmes du ciel et de la terre qui le font maintenant ; et je

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crois fermement que vous êtes mon Dieu et mon juste juge, auquel je dois un jour, et peut-être dans ce moment, rendre un compte exact de toutes mes pensées, paroles et actions.

ACTE DE FOI

 Je proteste aussi, mon Dieu, que je crois tout ce que l’Eglise croit, et je veux mourir dans la vraie et vive foi de tout ce qu’elle m’enseigne, étant prêt, par votre grâce, de donner ma vie et de répandre mon sang, jusqu’à la dernière goutte, pour confirmer cette divine foi.

ACTE DE DESIR DE VOIR DIEU

 Je désire ardemment, ô mon Dieu, de jouir de vous et de vous voir, puisque c’est vous qui êtes mon bonheur et ma vraie félicité. Mais je sais, ô mon Dieu,  que je ne le mérite par aucune de mes œuvres, mais uniquement par les mérites de mon Jésus. C’est aussi pour tout ce qu’il a fait et souffert pour moi que j’ose espérer, quoique misérable pécheur, que je jouirai de vous éternellement.

ACTE DE CONTRITION

 Toute ma confiance, ô mon Dieu, est dans les mérites du sang précieux que Jésus-Christ a répandu pour effacer mes crimes, et c’est en son saint nom que je vous demande pardon, prosterné aux pieds de ce divin sauveur de mon âme, dans un vrai ressentiment d’humiliation à la vue de mes résistances à vos grâces et des infidélités que j’ai commises contre vous. Je vous en demande pardon, dans la confiance que vous ne pouvez refuser un cœur contrit et humilié.

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ACTE D’AMOUR

 

 Ah, mon Dieu, faites-moi miséricorde et la grâce que mon cœur brûle de votre saint amour pour le temps et pour l’éternité. Je ne le puis que par votre grâce : ô mon Dieu, ne me la refusez pas, je vous la demande de tout mon cœur, et vous proteste que je veux et consens d’être séparé, par mort, de tout ce qui m’est le plus cher, quand il vous plaira et de la manière que vous le voudrez, puisque vous m’êtes plus cher que tout et que moi-même.

ACTE DE SOUMISSION

 Prosterné à vos pieds, cloués pour moi sur la croix, ô Jésus ! Je proteste que, de toute ma volonté, j’accepte la mort par soumission à votre sainte volonté et par hommage à la vôtre, adorant le jugement que vous ferez de moi. Je vous supplie, par les mérites de votre mort, de me le rendre favorable, pour je puisse m’unir à vous éternellement : car, par votre grâce, je vous aime et désire vous aimer de tout mon cœur, plus que moi-même et que toutes les choses de ce monde, que je vous sacrifie de toute ma volonté.

 Ainsi soit-il.

FIN.

 

 

 

 

 

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