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Premier mystere douloureux du Rosaire ( chapelet ) :
LAgonie de Jésus Christ au jardin des oliviers :
Agonie de Jésus Christ au jardin des oliviers
1- daprès les visions et paroles de Jésus données à Maria Valtorta dans « lEvangile tel quil ma été révélé » :
2 – puis daprès les visions de Anne Catherine Emmerich , cliquez ici pour y accéder
Tout le groupe se réunit.
« Maintenant, séparons-nous. Moi, je monte là-haut pour prier. Je veux avec Moi Pierre, Jean et Jacques. Vous, restez ici. Et si vous êtes accablés, appelez. Et ne craignez pas. 199> On ne touchera pas à un cheveu de votre tête.. Priez pour Moi. Déposez la haine et la peur. Ce ne sera qu’un instant… et ensuite la joie sera pleine. Souriez. Que j’ai dans le cur vos sourires. Et encore, merci de tout, amis. Adieu. Que le Seigneur ne vous abandonne pas… »
Jésus se sépare des apôtres et va en avant pendant que Pierre se fait donner par Simon la torche. Celui-ci auparavant a allumé avec elle des rameaux résineux qui brûlent en crépitant au bord de l’oliveraie et répandent une odeur de genièvre.
Je souffre de voir le Thaddée qui regarde Jésus d’un regard tellement intense et douloureux que ce dernier se retourne et cherche qui l’a regardé. Mais le Thaddée se cache derrière Barthélemy et se mord les lèvres pour se calmer.
Jésus fait de la main un geste qui est bénédiction et adieu, puis il continue son chemin. La lune, maintenant très haute, entoure de sa lumière sa haute figure et paraît la faire plus grande, en la spiritualisant, en rendant plus clair son vêtement rouge et plus pâle l’or de ses cheveux. Derrière Lui, hâtent le pas Pierre avec la torche et les deux fils de Zébédée,
Ils continuent jusqu’à ce qu’ils rejoignent le bord du premier escarpement du rustique amphithéâtre de l’oliveraie, auquel sert d’entrée la petite place irrégulière et de gradins les différents escarpements qui montent par échelons des oliviers sur le mont. Puis Jésus leur dit : « Arrêtez-vous, attendez-moi ici pendant que je prie. Mais ne dormez pas. Je pourrais avoir besoin de vous. Et, je vous le demande par charité : priez ! Votre Maître est très accablé. »
Et en effet il est déjà profondément accablé. Il paraît chargé d’un fardeau. Où est désormais le viril Jésus qui parlait aux foules, beau, fort, l’il dominateur, souriant paisiblement, avec sa voix retentissante et pleine de charme ? Il paraît déjà pris par l’angoisse. Il est comme quelqu’un qui a couru ou qui a pleuré. Sa voix est lasse et angoissée. Triste, triste, triste…
Pierre répond au nom de tous : « Sois tranquille, Maître. Nous veillerons et nous prierons. Tu n’as qu’à nous appeler et nous viendrons. »
Et Jésus les quitte alors que les trois se penchent pour ramasser des feuilles et des branches pour faire un feu qui serve à les tenir éveillés et aussi pour combattre la rosée qui commence à descendre abondamment.
Il marche, en leur tournant le dos, de l’occident vers l’orient, ayant donc en face la lumière de la lune. Je vois qu’une grande douleur dilate encore davantage son il; c’est peut-être un bistre de lassitude qui l’élargit, peut-être est-ce l’ombre de l’arcade sourcilière. 200> Je ne sais pas. Je sais qu’il a l’il plus ouvert et plus enfoncé. Il monte, la tête penchée, seulement de temps en temps il la lève en soupirant comme s’il se fatiguait et haletait, et alors il tourne son il si triste sur l’oliveraie paisible. Il fait quelques mètres en montée, puis il tourne autour d’un escarpement qui se trouve ainsi entre Lui et les trois qu’il a laissés plus bas.
L’escarpement, qui au début ne monte que de quelques décimètres, ne cesse de monter, et il a bientôt atteint deux mètres, de sorte qu’il met complètement Jésus à l’abri de tout regard indiscret ou ami. Jésus continue jusqu’à un gros rocher qui à un certain point barre le petit sentier, peut-être mis pour soutenir la côte qui descend avec plus de rapidité et nue jusqu’à un espace désolé qui précède les murs au-delà desquels est située Jérusalem, et qui vers le haut continue à monter avec d’autres escarpements et d’autres oliviers. Justement au-dessus du gros rocher se penche un olivier tout noueux et tordu. Il semble un bizarre point d’interrogation mis par la nature pour poser quelque question. Les branches touffues au sommet donnent une réponse à la question du tronc, en disant tantôt oui quand elles se penchent vers la terre, tantôt non en se déplaçant de droite à gauche, sous un vent léger qui passe par vagues successives à travers les feuillages et qui parfois exhale seulement l’odeur de la terre, parfois l’odeur légèrement amère de l’olivier, parfois un parfum mêlé de roses et de muguets dont on se demande d’où il peut bien venir. Au-delà du petit sentier, vers le bas, il y a d’autres oliviers et l’un, justement au-dessous du rocher, frappé par la foudre et ayant pourtant survécu, ou découpé je ne sais comment, a, du tronc primitif, fait deux troncs qui se dressent comme les deux branches d’un grand V moulé et les deux feuillages se présentent d’un côté et de l’autre du rocher comme si en même temps ils voulaient voir et cacher, ou lui faire une base d’un gris argenté tout paisible.
Jésus s’arrête à cet endroit. Il ne regarde pas la ville qui se fait voir tout en bas, toute blanche dans le clair de lune. Au contraire il lui tourne le dos et il prie, les bras ouverts en croix, le visage levé vers le ciel. Je ne vois pas son visage car il est dans l’ombre, la lune étant pour ainsi dire perpendiculaire au-dessus de sa tête, c’est vrai, mais ayant aussi le feuillage épais de l’olivier entre Lui et la lune dont les rayons filtrent à peine entre les feuilles en produisant des taches lumineuses en perpétuel mouvement. Une longue, ardente prière. De temps en temps il pousse un soupir et fait entendre quelque parole plus nette. 201> Ce n’est pas un psaume, ni le Pater. C’est une prière faite du jaillissement de son amour et de son besoin. Un vrai discours fait à son Père.
Je le comprends par les quelques paroles que je saisis : « Tu le sais… Je suis ton Fils… Tout, mais aide-moi… L’heure est venue… Je ne suis plus de la Terre. Cesse tout besoin d’aide à ton Verbe… Fais que l’Homme te satisfasse comme Rédempteur, comme la Parole t’a été obéissante… Ce que Tu veux… C’est pour eux que je te demande pitié… Les sauverai-je ? C’est cela que je te demande. Je les veux ainsi : sauvés du monde, de la chair, du démon… Puis-je te demander encore ? C’est une juste demande, mon Père. Pas pour Moi. Pour l’homme qui est ta création, et qui voulut rendre fange jusqu’à son âme. Je jette dans ma douleur et dans mon Sang cette boue pour qu’elle redevienne l’incorruptible essence de l’esprit qui t’est agréable… Il est partout. C’est lui le roi ce soir : au palais royal et dans les maisons, parmi les troupes et au Temple… La ville en est pleine, et demain ce sera un enfer… »
Jésus se tourne, appuie son dos au rocher et croise ses bras. Il regarde Jérusalem. Le visage de Jésus devient de plus en plus triste. Il murmure : « Elle paraît de neige… et elle n’est que péché. Même dans elle, combien j’en ai guéris ! Combien j’ai parlé !… Où sont ceux qui me paraissaient fidèles ? »…
Jésus penche la tête et regarde fixement le terrain couvert d’une herbe courte et que la rosée rend brillante. Mais bien qu’il ait la tête penchée je comprends qu’il pleure car des gouttes brillent en tombant de son visage sur le sol. Puis il lève la tête, desserre ses bras, les joint en les tenant au-dessus de sa tête et en les agitant ainsi unis.
Puis il se met en route. Il revient vers les trois apôtres assis autour de leur feu de branchages. Il les trouve à moitié endormis. Pierre appuie ses épaules à un tronc, et les bras croisés sur la poitrine il balance sa tête, dans le premier brouillard d’un sommeil profond. Jacques est assis, avec son frère, sur une grosse racine qui affleure et sur laquelle ils ont mis leurs manteaux pour moins sentir les aspérités, mais malgré cela, bien qu’ils soient moins à l’aise que Pierre, eux aussi somnolent. Jacques a abandonné sa tête sur l’épaule de Jean qui a penché la tête sur celle de son frère comme si le demi-sommeil les avait immobilisés dans cette pose.
« Vous dormez ? Vous n’avez pas su veiller une seule heure ? Et Moi j’ai tant besoin de votre réconfort et de vos prières ! »
202> Les trois sursautent confus. Ils se frottent les yeux, ils murmurent une excuse, accusant la digestion pénible d’être la première cause de leur sommeil : « C’est le vin… la nourriture… Mais maintenant cela passe. Cela n’a été qu’un moment. Nous ne désirions pas parler et cela nous a endormis. Mais maintenant nous allons prier à haute voix et cela ne nous arrivera plus. »
« Oui. Priez et veillez. Pour vous aussi, vous en avez besoin. »
*Oui, Maître. Nous allons t’obéir. »
Jésus s’en retourne. La lune Lui frappe le visage si fort que sa clarté d’argent fait pâlir de plus en plus son vêtement rouge comme si elle le couvrait d’une poussière blanche et lumineuse. Je vois dans cette clarté son visage découragé, affligé, vieilli. Le regard est toujours dilaté mais paraît embué de larmes. La bouche a un pli de lassitude.
Il revient à son rocher plus lentement et tout penché. Il s’y agenouille en appuyant ses bras au rocher qui n’est pas lisse, mais à mi-hauteur il a une sorte de sein, comme si on l’avait travaillé exprès. Sur ce sein de dimension réduite, il a poussé une petite plante qui me semble de ces fleurettes semblables à de petits lys que j’ai vues aussi en Italie. Les petites feuilles sont rondes mais dentelées sur les bords et charnues avec des fleurettes sur les tiges très grêles. On dirait des petits flocons de neige qui saupoudrent la grisaille du rocher et les feuilles d’un vert foncé. Jésus appuie ses mains près d’elles et les fleurettes Lui frôlent la joue car il pose sa tête sur ses mains jointes et il prie. Après un moment il sent la fraîcheur des petites corolles et il lève la tête. Il les regarde, les caresse, leur parle : « Vous êtes pures !… Vous me réconfortez ! Dans la petite grotte de Maman, il y avait aussi de ces fleurettes… et elle les aimait car elle disait : « Quand j’étais petite, mon père me disait : « Tu es un lys si petit et tout plein de la rosée céleste’ « … Maman ! Oh ! Maman ! » Il éclate en sanglots. La tête sur ses mains jointes, retombé un peu sur ses talons, je le vois et l’entends pleurer, alors que ses mains serrent ses doigts et se tourmentent l’une l’autre. Je l’entends qui dit : « A Bethléem aussi… et je te les ai apportées, Maman. Mais celles-ci, qui te les apportera désormais ?… »
Puis il recommence à prier et à méditer. Elle doit être bien triste sa méditation, angoissée plutôt que triste car, pour y échapper, il se lève, va en avant et en arrière en murmurant des paroles que je ne saisis pas, levant son visage, le rabaissant, faisant des gestes, passant sur ses yeux, sur ses joues, sur ses cheveux, ses mains avec des mouvements machinaux et agités, comme ceux de quelqu’un qui est dans une grande angoisse. Ce n’est rien de le dire. Le décrire est impossible. Le voir, c’est partager son angoisse.
203> Il fait des gestes vers Jérusalem. Puis il recommence à élever les bras vers le ciel comme pour demander de l’aide. Il enlève son manteau comme s’il avait chaud. Il le regarde… Mais que voit-il ? Ses yeux ne regardent pas autre chose que sa torture et tout sert à cette torture pour l’augmenter, même le manteau tissé par sa Mère. Il le baise et dit : « Pardon, Maman ! Pardon ! » Il semble le demander à l’étoffe filée et tissée par l’amour de sa Mère… Il le reprend. Il est pris par un tourment. Il veut prier pour le surmonter, mais avec la prière reviennent les souvenirs, les appréhensions, les doutes, les regrets… C’est toute une avalanche de noms… de villes… de personnes… de faits… Je ne puis le suivre car il est rapide et irrégulier. C’est sa vie évangélique qui défile devant Lui… et Lui ramène Judas le traître. Son angoisse est si grande, que pour la vaincre il crie le nom de Pierre et de Jean. Et il dit : « Maintenant ils vont venir. Ils sont bien fidèles, eux ! » Mais « eux » ne viennent pas. Il appelle de nouveau. Il paraît terrorisé comme s’il voyait je ne sais quoi. Il s’enfuit rapidement vers l’endroit où se trouve Pierre et les deux frères. Et il les trouve plus commodément et plus pesamment endormis autour de quelques braises qui vont mourir et produisent seulement des éclairs rouges dans la cendre grise.
« Pierre ! Je vous ai appelés trois fois ! Mais que faites-vous ? Vous dormez encore ? Mais vous ne sentez pas à quel point je souffre ? Priez. Que la chair n’ait pas le dessus, ne vous vainque pas. En aucun de vous. Si l’esprit est prompt, la chair est faible. Aidez-moi… »
Les trois, s’éveillent plus lentement, mais finalement ils y arrivent et s’excusent, les yeux ébahis. Ils se lèvent, en commençant par s’asseoir, puis ils se mettent vraiment debout.
« Mais vois un peu ! » murmure Pierre. « Ceci ne nous est jamais arrivé ! Ce doit être vraiment ce vin. Il était fort. Et aussi ce froid. On s’est couvert pour ne pas le sentir (en effet ils s’étaient couverts avec leurs manteaux, même la tête) et on n’a plus vu le feu, on n’a plus eu froid et voilà que le sommeil est venu. Tu dis que tu nous as appelés ? Et pourtant il ne me semblait pas que je dormais si profondément… Allons, Jean, cherchons des branches, remuons-nous. Cela va passer. Sois tranquille, Maître, que dorénavant !… Nous resterons debout… » et il jette une poignée de feuilles sèches sur la braise et souffle pour faire reprendre la flamme. 204> Il l’alimente avec les branches apportées par Jean, pendant que Jacques apporte un quartier de genièvre ou d’une plante du même genre qu’il a coupé dans un buisson peu éloigné et le met par dessus le reste.
La flamme monte haute et gaie éclairant le pauvre visage de Jésus, un visage vraiment d’une tristesse telle que l’on ne peut le regarder sans pleurer. Toute clarté de ce visage a disparu dans une lassitude mortelle. Il dit : « J’éprouve une angoisse qui me tue ! Oh ! oui ! Mon âme est triste à en mourir. Amis !… Amis ! Amis ! » Mais même s’il ne le disait pas, son aspect dirait qu’il est vraiment comme quelqu’un qui meurt, et dans l’abandon le plus angoissé et le plus désolé. Il semble que chacune de ses paroles soit un sanglot…
Mais les trois sont trop appesantis par le sommeil. Ils semblent presque ivres tant ils marchent en titubant les yeux mi-clos… Jésus les regarde… Il ne les mortifie pas par des reproches. Il secoue la tête, soupire et s’en va à la place qu’il occupait,
Il prie de nouveau debout, les bras en croix. Puis à genoux comme avant, le visage penché sur les petites fleurs. Il réfléchit. Il se tait… Puis il se met à gémir et à sangloter fortement, presque prosterné tant il s’est relâché sur ses talons. Il appelle le Père avec toujours plus d’angoisse…
« Oh ! » dit-il. « Il est trop amer ce calice ! Je ne puis pas ! Je ne puis pas. Il est au-dessus de ce que je puis. J’ai tout pu ! Mais pas cela… Éloigne-le, Père, de ton Fils ! Pitié pour Moi !… Qu’ai-je fait pour le mériter ? » Puis il se reprend et dit : « Cependant, mon Père, n’écoute pas ma voix si elle te demande ce qui est contraire à ta volonté. Ne te souviens pas que je suis ton Fils, mais seulement ton serviteur. Que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. »
Il reste ainsi un moment, puis il pousse un cri étouffé et lève un visage bouleversé. Un seul instant, puis il tombe sur le sol, le visage réellement contre terre et il reste ainsi. Une loque d’homme sur qui pèse tout le péché du monde, sur qui s’abat toute la Justice du Père, sur qui descendent les ténèbres, la cendre, le fiel, cette redoutable, redoutable, absolument redoutable chose qu’est l’abandon de Dieu, pendant que Satan nous torture… C’est l’asphyxie de l’âme, c’est être ensevelis vivants dans cette prison qu’est le monde quand on ne peut plus sentir qu’entre nous et Dieu il y a un lien, c’est être enchaînés, bâillonnés, lapidés par nos propres prières qui nous retombent dessus hérissées de pointes et pleines de feu, c’est se heurter contre un Ciel fermé où ne pénètrent pas la voix et les regards de notre angoisse, c’est être « orphelins de Dieu », c’est la folie, l’agonie, le doute de s’être jusqu’alors trompés, c’est la persuasion d’être chassés par Dieu, d’être damnés. C’est l’enfer !…
205> Oh ! je le sais ! et je ne puis, je ne puis voir la douleur de mon Christ, et savoir qu’elle est un million de fois plus atroce que celle qui m’a consumée l’an passé et qui, quand elle me revient à l’esprit, me bouleverse encore…
Jésus gémit, au milieu des râles et des soupirs d’une véritable agonie : « Rien !… Rien !… Va-t’en !… La volonté du Père ! Elle ! Elle seule !.., Ta volonté, Père. La tienne, non pas la mienne… Inutile. Je n’ai qu’un Seigneur : le Dieu très Saint. Une Loi : l’obéissance. Un amour : la rédemption… Non. Je n’ai plus de Mère. Je n’ai plus de vie. Je n’ai plus de divinité. Je n’ai plus de mission. C’est inutilement que tu me tentes, démon, avec la Mère, la vie, ma divinité, ma mission. J’ai pour mère l’Humanité et je l’aime jusqu’à mourir pour elle. La vie, je la rends à Celui qui me l’a donnée et me la demande, au Maître Suprême de tout vivant. La Divinité, je l’affirme en montrant qu’elle est capable de cette expiation. La mission, je l’accomplis par ma mort. Je n’ai plus rien, sauf de faire la volonté du Seigneur mon Dieu. Va-t’en, Satan ! Je l’ai dit la première et la seconde fois. Je le redis pour la troisième : « Père : s’il est possible, que ce calice s’éloigne de Moi. Mais pourtant que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui soit faite ». Va-t’en, Satan. J’appartiens à Dieu. »
Puis il ne parle plus que pour dire entre ses halètements : « Dieu ! Dieu ! Dieu ! » Il l’appelle à chaque battement de son cur et il semble qu’à chaque battement le sang déborde. L’étoffe tendue sur les épaules s’en imbibe et devient sombre malgré le grand clair de lune qui l’enveloppe tout entier.
Pourtant une clarté plus vive se forme au-dessus de sa tête, suspendue à environ un mètre de Lui, une clarté si vive que même le Prostré la voit filtrer à travers les ondulations des cheveux déjà alourdis par le sang et malgré le voile dont le sang couvre ses yeux. Il lève la tête… La lune resplendit sur le pauvre visage et encore plus resplendit la lumière angélique semblable au diamant blanc-azur de l’étoile Vénus. Et apparaît la terrible agonie dans le sang qui transsude des pores. Les cils, les cheveux, la moustache, la barbe sont aspergés et couverts de sang. Le sang coule des tempes, le sang sort des veines du cou, les mains dégouttent du sang. Il tend les mains vers la lumière angélique et quand les larges manches glissent vers les coudes, les avant-bras du Christ se voient en train de suer du sang. Dans le seul visage les larmes tracent deux lignes nettes à travers le masque rouge.
206> Il enlève de nouveau son manteau et s’essuie les mains, le visage, le cou, les avant-bras. Mais la sueur continue. Il presse plusieurs fois l’étoffe sur son visage en la tenant pressée avec ses mains, et chaque fois qu’elle change de place, apparaissent nettement sur l’étoffe rouge foncé les empreintes qui, humides comme elles le sont, semblent être noires. Sur le sol l’herbe est rouge de sang.
Jésus paraît près de défaillir. Il délace son vêtement au cou comme s’il se sentait étouffer. Il porte la main à son cur et puis à sa tête et l’agite devant son visage comme pour s’éventer, en gardant la bouche entrouverte. Il se traîne vers le rocher, mais plutôt vers le sommet du talus, et s’y appuie le dos. Il reste les bras pendants le long du corps, comme s’il était déjà mort, la tête pendant sur la poitrine. Il ne bouge plus.
La lumière angélique décroît tout doucement. Puis elle se trouve comme absorbée dans le clair de lune. Jésus rouvre les yeux. Il lève péniblement la tête. Il regarde. Il est seul, mais il est moins angoissé. Il allonge une main. Il tire à Lui le manteau qu’il a abandonné sur l’herbe et se met à s’essuyer le visage, les mains, le cou, la barbe, les cheveux. Il prend une large feuille, qui a poussé justement sur le bord du talus, toute couverte de rosée et avec elle il achève de se nettoyer en se lavant le visage et les mains et en s’essuyant de nouveau. Il le fait plusieurs fois avec d’autres feuilles, jusqu’à ce qu’il ait effacé les traces de sa terrible sueur. Seul son vêtement est taché, et spécialement sur les épaules et aux plis des coudes, au cou et à la ceinture, aux genoux. Il le regarde et secoue la tête. Il regarde aussi le manteau, mais il le voit trop taché. Il le plie et le pose sur le rocher, là où il forme un berceau, près des fleurettes.
Difficilement, à cause de sa faiblesse, il se tourne pour se mettre à genoux. Il prie en appuyant la tête sur le manteau sur lequel sont déjà ses mains. Puis il s’appuie au rocher, se lève, et encore légèrement titubant, il va trouver les disciples. Son visage est très pâle, mais il n’est plus troublé. C’est un visage d’une beauté divine bien qu’il soit exsangue et plus triste qu’à l’ordinaire.
Les trois dorment profondément, tout enveloppés dans leurs manteaux, tout à fait allongés près du feu éteint. On les entend respirer profondément en un commencement de ronflement sonore. Jésus les appelle, inutilement. Il doit se pencher et secouer Pierre généreusement.
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LAgonie de Jésus Christ au jardin des oliviers :
( dapres les visions de Anne Catherine Emmerich )
I. JESUS SUR LE MONT DES OLIVIERS
Lorsque Jésus, après l’institution du Saint-Sacrement de l’autel, quitta le Cénacle avec les onze Apôtres, son âme était déjà dans le trouble et sa tristesse allait toujours croissant. Il conduisit les onze, par un sentier détourné, dans la vallée de Josaphat, en se dirigeant vers la montagne des Oliviers. Lorsqu’ils furent devant la porte, je vis la lune, qui n’était pas encore tout à fait pleine, se lever sur la mon-tagne. Le Seigneur, errant avec eux dans la vallée, leur di-sait qu’il reviendrait en ce lieu pour juger le monde; mais non pauvre et languissant comme aujourd’hui; qu’alors d’au-tres trembleraient et crieraient : Montagnes, couvrez-nous ! Ses disciples ne le comprirent pas, et crurent, ce qui leur arriva souvent dans cette soirée, que la faiblesse et lépuisement le faisaient délirer. Ils marchaient le plus souvent, et de temps en temps ils s’arrêtaient, s’entretenant avec lui. Il leur dit encore : Vous vous scandaliserez tous à mon sujet cette nuit; car il est écrit : Je frapperai le berger, et les brebis seront dispersées. Mais quand je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée .
Les Apôtres conservaient encore quelque chose de l’en-thousiasme et du recueillement que leur avaient donnés la réception du Saint-Sacrement et les discours solennels et affectueux de Jésus. Ils se pressaient autour de lui, lui ex-primaient leur amour de différentes manières, protestaient qu’ils ne l’abandonneraient jamais. Mais Jésus continuant de parler dans le même sens, Pierre lui dit : Quand tous se scandaliseraient à votre égard, je ne me scandaliserai jamais , et le Seigneur lui prédit qu’il le renierait trois fois avant le chant du coq. Mais Pierre insista encore, et dit : Quand je devrais mourir avec vous, je ne vous renierai point. Ainsi parlèrent aussi les autres. Ils marchaient et s’arrêtaient tour à tour, et la tristesse de Jésus devenait de plus en plus grande. Pour eux, ils voulaient le consoler d’une manière toute humaine, en lui assurant que ce qu’il prévoyait n’arriverait pas. Ils se fatiguèrent dans cette vaine tentative, commencèrent à douter, et la tentation vint sur eux.
Ils traversèrent le torrent de Cédron, non sur le pont où plus tard fut conduit Jésus prisonnier, mais sur un autre, car ils avaient fait un détour. Gethsémani, où ils allaient, est situé près de la montagne des Oliviers, à peu près à une demi-lieue du Cénacle, il y a du Cénacle à la porte de la vallée de Josaphat un quart de lieue, et environ autant de la à Gethsémani. Ce lieu, où dans les derniers jours Jésus avait quelquefois enseigné ses disciples et passé la nuit avec eux, se composait de quelques maisons vides et ouvertes et d’un grand jardin entouré d’une haie, où il ne croissait que des plantes d’agrément et des arbres fruitiers. Les Apôtres et plusieurs autres personnes avaient une clef de ce jardin, qui était un lieu de récréation et de prière. Quelquefois des gens qui n’avaient pas de jardins à eux y donnaient des fêtes et des repas. Il s’y trouvait des cabanes de feuillage, où restèrent huit des Apôtres auxquels se joignirent plus tard d’autres disciples. Le jardin des Oliviers est séparé par un chemin de celui de Gethsémani, et s’étend plus haut vers la montagne. Il est ouvert, entouré seulement d’un mur de terre, et plus petit que le jardin de Gethsémani. On y voit des cavernes, des terrasses et beaucoup d’oliviers. Il est plus soigné dans une de ses parties où l’on trouve des sièges, des bancs de gazon bien entretenus et des grottes fraîches, et spacieuses. Il est facile d’y trouver un endroit propre à la prière et à la méditation. C’est dans la partie la plus sauvage que Jésus alla prier. Il était environ neuf heures quand Jésus vint à Gethsémani avec ses disciples. Il faisait encore obscur sur la terre, mais la lune répandait déjà sa lumière dans le ciel. Jésus était très triste et annonçait l’approche du danger. Les dis-ciples, en étaient troublés, et il dit à huit de ceux qui l’ac-compagnaient de rester dans le jardin de Gethsémani, dans un endroit où il y a une espèce de cabinet de verdure. Restez ici, leur dit-il, pendant que je vais prier à l’en-droit que j’ai choisi. Il prit avec lui Pierre. Jacques et Jean, monta plus haut, et, franchissant un chemin, poussa plus avant dans le jardin des Oliviers jusqu’au pied de la montagne. Il était indiciblement triste, car il sentait l’an-goisse et l’épreuve qui approchaient. Jean lui demanda com-ment lui, qui les avait toujours consolés, pouvait être si abattu. Mon âme est triste jusqu’à la mort , répondit-il. Et, regardant autour de lui, il vit de tous côtés l’angoisse et la tentation s’approcher comme des nuages chargés de figu-res effrayantes. C’est alors qu’il dit aux trois Apôtres : Restez là et veillez avec moi; priez afin que vous ne tombiez pas en tentation. Il avança encore quelques pas; mais les terribles visions l’assaillirent de telle sorte que, dans son angoisse, Il descendit un peu à gauche, et se cacha sous un rocher, dans une grotte d’environ six pieds de pro-fondeur, au-dessus de laquelle les Apôtres se tenaient dans une espèce d’enfoncement. Le terrain s’abaissait doucement dans cette grotte, et les plantes suspendues au rocher qui surplombait formaient un rideau devant l’entrée, en sorte qu’on ne pouvait y être vu.
Lorsque Jésus s’éloigna des disciples, je vis autour de lui un large cercle d’images effrayantes qui se resserrait de plus en plus. Sa tristesse et son angoisse croissaient; il se retira tout tremblant dans la grotte afin d’y prier, semblable à un homme qui cherche un abri contre un orage soudain; mais les visions menaçantes ly poursuivirent et devinrent de plus en plus distinctes. Hélas! cette étroite caverne sem-blait renfermer l’horrible spectacle de tous les péchés com-mis depuis la première chute jusqu’à la fin du monde, et celui de leur châtiment. C’était ici, sur le mont des Oliviers, qu’étaient venus Adam et Eve, chassés du paradis sur la terre inhospitalière; ils avaient gémi et pleuré dans cette même grotte. J’eus le sentiment que Jésus, s’abandonnant aux douleurs de sa Passion qui allait commencer et se li-vrant à la justice divine en satisfaction pour les péchés du monde, faisait rentrer en quelque façon sa divinité dans le sein de la sainte Trinité; sous l’impulsion de sa charité infinie, il se renfermait, pour ainsi dire, dans sa pure, aimante, innocente humanité, et, armé seulement de l’amour qui enflammait son coeur d’homme, il la dévouait, pour les péchés du monde, à toutes les angoisses et à toutes les souffrances. Voulant satisfaire pour la racine et le déve-loppement de tous les péchés et de tous les mauvais pen-chants, le miséricordieux Jésus prit dans son coeur, par amour pour nous autres pécheurs, la racine de toute expia-tion purificatrice et de toute peine sanctifiante, et il laissa cette souffrance infinie, afin de satisfaire pour des péchés infinis, s’étendre comme un arbre de douleur aux mille branches et pénétrer tous les membres do son corps sacré, toutes les facultés de sa sainte âme.
Ainsi laissé tout entier à sa seule humanité, implorant Dieu avec une tristesse et une angoisse inexprimables, il tomba sur son visage, et tous les péchés du monde lui apparurent sous des formes infinies avec toute leur laideur inté-rieure : il les prit tous sur lui, et s’offrit, dans sa prière, à la justice de son Père céleste pour payer cette effroyable dette. Mais Satan, qui, sous une forme effrayante, s’agitait au milieu de toutes ces horreurs avec un rire infernal, mon-trait une fureur toujours croissante contre Jésus, et, faisant passer devant son âme des tableaux de plus en plus affreux, criait sans cesse à l’humanité de Jésus : Comment ! prends-tu aussi celui-ci sur toi, en souffriras-tu la peine? veux-tu satisfaire pour tout cela?
Cependant il partit, de ce côté du ciel où le soleil se montre entre dix et onze heures du matin, un rayon semblable à une voie lumineuse : c’était une ligue d’anges qui descendaient jusqu’à Jésus, et je vis qu’ils le ranimaient et le for-tifiaient. Le reste de la grotte était plein d’affreuses visions de nos crimes et de mauvais esprits qui insultaient et assaillaient Jésus; il prit tout sur lui; mais son coeur, le seul qui aimât parfaitement Dieu et les hommes au milieu de ce désert plein d’horreur, se sentit cruellement torturé et déchiré sous le poids de tant d’abominations. Hélas ! je vis alors tant de choses qu’une année ne suffirait pas pour les raconter. Lorsque cette masse de forfaits eut passé sur son âme comme un océan et que Jésus, s’étant offert comme ,victime expiatoire, eut appelé sur lui-même toutes les pei-nes et les châtiments dus à tous ces crimes, Satan lui suscita. comme autrefois dans le désert, des tentations innom-brables; il osa même présenter contre celui qui était la pureté même une suite d’accusations : Comment, disait-il, tu veux prendre tout cela sur toi, et tu n’es pas pur toi même! Regarde ceci! et cela ! et cela encore. Alors il déroula devant lui, avec une impudence infernale, une foule de griefs imaginaires. il lui reprochait les fautes de ses disciples, les scandales qu’ils avaient donnés, le trouble qu’il avait apporté dans le monde en renonçant aux anciens usa-ges. Satan se fit le pharisien le plus habile et le plus sé-vère – il lui reprocha d’avoir été l’occasion du massacre des Innocents, ainsi que des souffrances de ses parents en Egypte, de n’avoir pas sauvé Jean-Baptiste de la mort, d’avoir désuni des familles, d’avoir protégé des hommes dé-criés, de n’avoir pas guéri plusieurs malades, d’avoir fait tort aux habitants de Gergesa en permettant aux possédés, de renverser leurs cuves (1) et aux démons de précipiter leurs porcs dans la mer; il lui imputa les fautes de Marie, Madeleine parce qu’il ne l’avait pas empêchée de retomber dans la péché; il l’accusa d’avoir abandonné sa famille, d’a-voir dilapidé le bien d’autrui; en un mot, Satan présenta devant l’âme de Jésus, pour l’ébranler, tout ce que le tenta-teur eût reproché au moment de la mort à un homme ordinaire qui eût fait toutes ces actions sans des motifs supérieurs; car il lui était caché que Jésus fût le Fils de Dieu, et il le tentait seulement comme le plus juste des hom-mes. Notre divin Sauveur laissa tellement prédominer en lui sa sainte humanité, qu’il voulut souffrir jusqu’à la tentation dont les hommes qui meurent saintement sont assaillis sur le mérite de leurs bonnes oeuvres. Il permit, pour vider tout le calice de l’agonie, que le mauvais esprit auquel sa divinité était cachée, lui présentât toutes ses oeuvres de charité comme autant d’actes coupables que la grâce de Dieu ne lui avait pas encore remis. Il lui reprocha de vouloir effacer les fautes d’autrui tandis que lui-même, dépourvu de tout mérite, avait encore à satisfaire à la jus-tice divine pour beaucoup de prétendues bonnes oeuvres. La divinité de Jésus souffrit que l’ennemi tentât son huma-nité comme il pourrait tenter un homme qui voudrait attri-buer à ses bonnes oeuvres une valeur propre, outre la seule qu’elles puissent avoir par leur union aux mérites de la mort du Sauveur.
(1) Dans ses visions sur les années de la Prédication de Jésus, elle vit, le 11 décembre 1822 le Seigneur permettre aux démons sortis des possédés de Gergesa d’entrer dans un troupeau de pores. Elle vit aussi cette circonstance particulière que les possédés ren-versèrent auparavant une grande cuve pleine d’une boisson fer-mentée.
Ainsi le tentateur lui présenta les oeuvres de son amour comme des actes dépourvus de mérite et qui le constituaient débiteur envers Dieu : il fit comme si Jésus en eût, en quel-que manière, prélevé le prix à l’avance sur celui de sa Passion qui n’était pas consommée et dont Satan ne con-naissait pas encore le prix infini, et par conséquent comme s’il n’eût pas satisfait pour les grâces données à l’occasion de ces oeuvres. Il lui mit sous les yeux, pour toutes ses bonnes oeuvres, des contrats où elles ét4lent Inscrites comme -des dettes, et il disait en les montrant du doigt : Tu es encore redevable pour et pour cette autre, etc. Enfin, il déroula devant lu’ un contrat portant que Jésus avait reçu de Lazare et dépensé le prix de vente de la pro-priété de Marie-Madeleine à Magdalum et lui dit : Comment as-tu osé dissiper le bien d’autrui et faire ce tort à cette famille? J’ai vu la représentation de tous les péchés pour l’expiation desquels le Seigneur s’offrit et j’ai senti avec lui tout le poids des nombreuses accusations que la tentateur éleva contre lui, car parmi les péchés du monde dont le Sauveur se chargea, je vis aussi les miens qui sont si nombreux, et du cercle de tentation qui l’entourait, Il sortit vers moi comme un fleuve où toutes mes fautes me furent montrées. Pendant ce temps, j’avais toujours les yeux fixés sur mon fiancé céleste, je gémissais et priais avec lui, je me tournais avec lui vers les anges consolateurs. Hélas ! le Seigneur se tordait comme un ver sous le poids de sa douleur et de ses angoisses.
Pendant les accusations de Satan contre Jésus, j’avais peine à retenir ma colère; mais lorsqu’il parla de la vente du bien de Madeleine, il me fut impossible de me contenir, et je criai : a Comment peux-tu lui reprocher comme un péché la vente de ce bien? n’ai-je pas vu le Seigneur employer cette somme donnée par Lazare à des uvres de miséricorde, et délivrer à Thirza vingt-sept pauvres prisonniers pour dettes (1)?
(1) Dans ses contemplations sur la vie publique de Jésus qu’elle suivit jour par jour, elle vit le 28 janvier 1823 (jour correspon-dant à peu près au onze Schebath de la deuxième année), le Seigneur délivrer à Thirza vingt-sept prisonniers pour dettes, déte-nus dans une ]son qui avait une garnison romaine : ce fait est raconté en détail dans le journal où sont consignées ses mé-ditations.
Au commencement, Jésus était agenouillé et priait avec assez de calme; mais plus tard son âme fut épouvantée à l’aspect des crimes innombrables des hommes et de leur ingratitude envers Dieu : il fut en proie à une angoisse et à une douleur si violentes qu’il s’écria, tremblant et fris-sonnant : Mon Père, si c’est possible, que ce calice s’éloigne de moi ! mon Père tout vous est possible; éloigner ce calice! Puis il se recueillit et dit : Cependant que votre volonté se fasse et non la mienne. Sa volonté et celle de son Père étaient une; mais, livré par son amour aux faiblesses de l’humanité, il tremblait à l’aspect de la mort.
Je vis la caverne autour de lui remplie de formes effrayantes; je vis tous les péchés, toute la méchanceté, tous les vices, tous les tourments, toutes les ingratitudes qui l’accablaient : les épouvantements de la mort, la terreur qu’il ressentait comme homme à l’aspect de ses souffrances expiatoires le pressaient et l’assaillaient sous la forme de spectres hideux. Il tombait çà et là, se tordait les mains, la sueur le couvrait, il tremblait et frémissait. Il se releva; ses genoux chancelaient et le portaient à peine, il était tout à fait défait et presque méconnaissable, ses lèvres étaient pâles, ses cheveux se dressaient sur sa tête. Il était environ 10 h 1/2 lorsqu’il se leva; puis, tout chancelant, tombant à chaque pas, baigné d’une sueur froide, il se traîna jusqu’auprès des trois Apôtres. n monta à gauche de la caverne jusqu’à une plate-forme où ceux-ci sétaient endormis, couchés les uns à côté des autres, accablés qu’ils étaient de fatigue, de tristesse et d’inquiétude, Jésus vint à eux, semblable à un homme dans l’angoisse, que la terreur pousse vers ses amis, et semblable encore à un bon pasteur qui, profondément bouleversé lui-même, vient visiter son troupeau qu’il sait menacé d’un péril prochain : car Il n’ignorait pas qu’eux aussi étaient dans l’angoisse et la tentation. Les terribles visions l’entouraient, même pendant ce court chemin. Lorsqu’il les trouva dormants, il joignît les mains, tomba près d’eux plein de tristesse et d’inquiétude, et dit : Simon, dors-tu? Ils s’éveillèrent, le relevèrent, et il leur dit dans son délaissement : Ne pouviez-vous veiller une heure avec moi? Lorsqu’ils le virent défait pâle, chancelant, trempé de sueur, tremblant et frisson-nant lorsqu’ils entendirent sa voix altérée et presque éteinte, ils ne surent plus ce qu’ils devaient penser, et s’il ne leur était pas apparu entouré d’une lumière bien connue, ils n’auraient jamais retrouvé Jésus en lui. Jean lui dit : Maître, qu’avez-vous? dois-je appeler les autres disciples! ci devons-nous fuir? Jésus répondit : Si je vivais, en-seignais et guérissais encore trente-trois ans, cela ne suffirait pas pour faire ce qui me reste à accomplir d’ici à demain. N’appelle pas les huit; je les ai laissés, parce ci qu’ils ne pourraient me voir dans cette détresse sans se scandaliser : ils tomberaient en tentation, oublieraient beaucoup et douteraient de moi. Pour vous, qui avez vu le Fils de l’homme transfiguré, vous pouvez le voir aussi dans son obscurcissement et son délaissement; mais veillez et priez pour ne pas tomber en tentation l’esprit est prompt, mais la chair est faible.
Il parlait ainsi par rapport à eux et à lui-même. Il voulait par là les engager à la persévérance et leur faire connaître le combat de sa nature humaine contre la mort et la cause de sa faiblesse. Il leur parla encore, toujours accablé de tristesse, et resta près d’un quart d’heure avec eux. Il retourna dans la grotte, son angoisse croissant toujours : pour eux, Ils étendaient les mains vers lui, pleuraient, tombaient dans les bras les uns des autres, se demandaient : Qu’est-ce donc? que lui arrive-t-il? il est dans un délaissement complet ! Ils se mirent à prier, la tête couverte, pleins de trouble et de tristesse. Tout ce qui vient d’être dit remplit à peu près une heure et demie depuis que Jésus était entré dans le jardin des Oliviers. Il dit à la vérité dans lEcriture : N’avez-vous pu veiller une heure avec moi? mais cela ne doit point se prendre à la lettre, et d’après notre manière de compter. Les trois Apôtres qui étaient avec Jésus avaient d’abord prié, puis ils s’étaient endormis, car ils étaient tombés en tentation par leur man-que de confiance. Les huit autres. qui étaient postés à lentrée, ne dormaient pas : la tristesse oui respirait dans les derniers discours de Jésus les avait laissés très inquiets; ils erraient sur la mont des Oliviers pour y chercher quel-que lieu de refuge en cas de danger.
Ce soir-là, il y avait peu de bruit dans Jérusalem, les Juifs étaient dans leurs maisons, occupés des préparatifs de la fête; les campements des étrangers venus pour la Pâque n’étaient pas dans le voisinage de la montagne des Oliviers. En errant de côté et d’autre, je vis çà et là des amis et des disciples de Jésus qui marchaient et s’entretenaient ensemble . ils paraissaient inquiets et dans l’attente de quelque événement. La mère du Seigneur, Madeleine, Mar-the, Marie, fille de Cléophas, Marie Salomé et Salomé étaient allées du Cénacle dans la maison de Marie, mère de Marc; puis Marie, effrayée des bruits qui couraient, avait voulu venir devant la ville avec ses amies pour savoir des nou-velles de Jésus. Lazare, Nicodème, Joseph d’Arimathie et quelques parents d’Hébron vinrent la trouver et essayèrent de la tranquilliser; car ayant eu connaissance par eux-mêmes ou par les disciples des tristes prédictions faites par Jésus dans le Cénacle, ils avaient été prendre des Informa-tions chez des pharisiens de leur connaissance et n’avaient point appris qu’on dût faire des tentatives prochaines contre le Sauveur : ils disaient que le danger ne pouvait être en-core très grand, qu’on n’attaquerait pas le Seigneur si près de la fête; mais ils ne savaient rien encore de la trahison de Judas. Marie leur parla du trouble de celui-ci dans les derniers jours, de la manière dont il avait quitté le Cénacle; Il était sûrement allé trahir; elle l’avait souvent averti qu’il était un fils de perdition. Les saintes femmes retour-nèrent ensuite dans la maison de Marie, mère de Marc.
Lorsque Jésus fut revenu dans la grotte et toutes ses douleurs avec lui, il se prosterna sur le visage, les bras étendus, et pria son Père céleste; mais il y eut dans son âme une nouvelle lutte qui dura trois quarts d’heure. Des anges vinrent lui montrer dans des séries de visions tout ce qu’il devait embrasser de douleurs afin d’expier le péché; ils lui montrèrent quelle était avant la chute la beauté de lhomme, image de Dieu, et combien cette chute l’avait altéré et défiguré. Il vit l’origine de tous les péchés dans le pre-mier péché, la signification et l’essence de la concupiscence, ses terribles effets sur les forces de lâme humaine; et aussi l’essence et la signification de toutes les peines correspondant à la concupiscence. Ils lui montrèrent dans la satis-faction qu’il devait donner à la justice divine, une souffrance du corps et de l’âme comprenant toutes les peines dues à la concupiscence de l’humanité tout entière; et comment la dette du genre humain devait être payée par la seule nature humaine exempte de péché, celle du fils de Dieu, lequel, afin de prendre sur lui la dette et le châtiment de l’humanité tout entière, devait aussi combattre et surmonter la répugnance humaine pour la souffrance et la mort. Les anges lui montraient tout cela sous des formes diverses, et j’avais la perception de ce qu’ils disaient quoique sans entendre leurs voix. Aucune langue ne peut exprimer quelle épouvante et quelle douleur vinrent fondre sur l’âme de- Jésus à la vue de ces terribles expiations; l’horreur de -cette vision fut telle qu’une sueur de sang sortit de son corps.
Pendant que l’humanité du Christ était écrasée sous cette effroyable masse de souffrances, j’aperçus un mouvement de compassion dans les anges; il y eut une petite
il me sembla qu’ils désiraient ardemment le consoler et qu’ils priaient à cet effet devant le trône de Dieu. Il y eut comme un combat d’un instant entre la miséricorde et la justice de Dieu, et l’amour qui se sacrifiait. Une image de Dieu me fut montrée, non comme d’autres fois sur un trône, mais dans une forme lumineuse; je vis la nature divine du Fils dans la personne de son Père, et comme retirée dans son sein; la personne du Saint-Esprit procé-dait du Père et du Fils; elle était comme entre eux, et tout cela n’était pourtant qu’un seul Dieu; mais ces choses sont inexprimables. J’eus moins une vision avec des figures humaines qu’une perception intérieure où il me fut montré par des images que la volonté divine du Christ se retirait davantage dans le Père pour laisser peser sur son humanité toutes ces souffrances que la volonté humaine de Jésus priait le Père de détourner de lui. Je vis cela dans le moment de la compassion des anges, lorsqu’ils désirèrent consoler Jésus, et en effet il reçut en cet instant quelque soulagement. Alors tout disparut, et les anges abandonnèrent le Seigneur dont l’âme allait avoir à souffrir de nouvelles attaques.
Lorsque le Rédempteur, sur le mont des Oliviers, s’aban-donna, comme homme véritable et réel, à la tentation de la répugnance humaine pour la douleur et la mort, lorsqu’il voulut éprouver et surmonter cette répugnance à souffrir qui fait Partie de toute souffrance, il fut permis au tentateur de lui faire ce qu’il fait à tout homme qui veut se sacrifier pour une cause sainte. Dans la première agonie, Satan montra à Notre-Seigneur l’énormité de la dette du péché qu’il voulait acquitter, et poussa l’audace jusqu’à chercher des fautes dans les oeuvres du Rédempteur lui-même. Dans la seconde agonie, Jésus vit dans toute son étendue et son amertume la souffrance expiatoire néces-saire pour satisfaire à la justice divine; ceci lui fut pré-senté par les anges, car il n’appartient pas à Satan de mon-trer que l’expiation est possible; le père du mensonge et du désespoir ne montre point les oeuvres de la miséricorde divine. Jésus ayant résisté victorieusement à tous ces com-bats par son abandon complet à la volonté de son Père céleste, un nouveau cercle d’effrayantes visions lui fut offert : le doute et l’inquiétude qui précèdent le sacrifice dans l’homme qui se dévoue s’éveillèrent dans 1’àme du Seigneur; il se fit cette terrible question : Quel sera le profit de ce sacrifice? et le tableau du plus terrible avenir accabla son coeur aimant.
Lorsque Dieu eut créé le premier Adam, il lui envoya le sommeil, ouvrit son côté, prit une de ses côtes dont il fit Eve, sa femme, la mère de tous les vivants, puis il la mena devant Adam, et celui-ci dit : C’est la chair de ma chair et l’os de mes os : l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils seront deux en une seule chair. Ce fut là le mariage dont il est écrit : Ce sacrement est grand, je dis en Jésus- Christ et en l’Eglise. Le Christ, le nouvel Adam voulait aussi laisser venir sur lui le sommeil, celui de la mort sur la croix; il voulait aussi laisser ouvrir son côté, afin que la nouvelle Eve, sa fiancée virginale, l’Eglise, mère de tous les vivants, en fût faite; il voulait lui donner le sang de la rédemption, l’eau de la purification et son esprit, les trois qui rendent témoignage sur la terre; il voulait lui donner les saints sacrements, afin qu’elle fût une fiancée pure, sainte, sans tache : il voulait être sa tête, nous devions être ses membres soumis à la tête, l’os de ses es, la chair de sa chair. En prenant la nature humaine, afin de souffrir la mort pour nous, il avait quitté aussi son père et sa mère et s’était attaché à sa fiancée, l’Eglise : il est devenu une seule chair avec elle, en la nourrissant du sacrement de l’autel où il s’unit à nous. Il voulait être sur la terre avec l’Eglise, jusqu’à ce que nous fussions tous réunis en elle par lui, et il a dit : Les portes de l’enfer ne prévau-dront point contre elle. Voulant exercer cet incommensu-rable amour pour les pécheurs, le Seigneur était devenu homme et un frère de ces mêmes pécheurs afin de prendre sur lui la punition due à tous leurs crimes. Il avait vu avec une grande tristesse l’immensité de cette dette et celle de la douleur qui devait y satisfaire, et s’était pourtant abandonné avec joie comme victime expiatoire à la volonté de son -Père céleste; mais à présent il voyait les douleurs. les combats et les blessures à venir de sa fiancée céleste qu’il voulait racheter à un si haut prix, au prix de son sang; il voyait l’ingratitude des hommes.
Devant l’âme de Jésus parurent toutes les souffrances futures de ses Apôtres, de ses disciples et de ses amis; il vit l’Eglise primitive si peu nombreuse, puis à mesure qu’elle s’accroissait, les hérésies et les schismes y faisant irruption et répétant la première chute de l’homme par l’orgueil et la désobéissance. Il vit la tiédeur, la corruption et la malice d’un nombre infini de chrétiens, le mensonge et la fourberie de tous les docteurs orgueilleux, le lèges de tous les prêtres vicieux, les suites funestes de tous ces actes, l’abomination de la désolation dans le royaume de Dieu, dans le sanctuaire de cette ingrate huma-nité qu’il voulait racheter de son sang au prix de souffrances indicibles.
Je vis passer devant l’âme du pauvre Jésus, dans une série de visions innombrables, les scandales de tous les siècles jusqu’à notre temps et même jusqu’à la fin du monde. C’étaient tour à tour toutes les formes de l’erreur, de la fourberie, du fanatisme furieux, de l’opiniâtreté et de la malice; tous les apostats, les hérésiarques, les réformateurs à l’apparence sainte, les corrupteurs et les corrompus l’ou-trageaient et le tourmentaient, comme n’ayant pas été bien crucifié à leurs yeux, n’ayant pas souffert de la manière que leur présomption orgueilleuse l’entendait et l’imagi-nait, et tous déchiraient à l’envi la robe sans couture de son Eglise: chacun voulait l’avoir pour Rédempteur autre-ment qu’il ne s’était donné dans l’excès de son amour. Beaucoup le maltraitaient, l’insultaient, le reniaient; beau-coup haussaient les épaules et secouaient la tête sur lui, évitaient les bras qu’il leur tendait, et s’en allaient vers labîme où ils étaient engloutis. Il en vit une infinité d’autres qui n’osaient pas le renier hautement, mais qui s’éloignaient avec dégoût des plaies de son Eglise, comme le lévite s’éloigna du pauvre assassiné par les voleurs. Ils s’éloi-gnaient de son épouse blessée comme des enfants lâches et sans foi abandonnant leur mère au moment de la nuit, quand viennent les voleurs et les meurtriers auxquels leur négligence ou leur malice a ouvert la porte. Il les vit s’approprier le butin qu’ils transportaient au désert, les vases d’or et les colliers brisés. Il vit tous ces hommes tantôt séparés de la vraie vigne et couchés parmi les raisins sauvages, tantôt comme des troupeaux égarés, livrés en proie aux loups, conduits par des mercenaires dans de mauvais pâturages, et refusant d’entrer dans le bercail du bon pas-teur qui donne sa vie pour ses brebis. Ils erraient sans patrie dans le désert au milieu des sables agités par les vents, et Ils ne voulaient pas voir sa ville placée sur la montagne qui ne peut rester cachée, la maison de sa fiancée, son Eglise bâtie sur le roc près de laquelle Il a promis d’être jusqu’à la fin des siècles et contre laquelle les portes de l’enfer ne doivent pas prévaloir. Ils refusaient d’entrer par la porte étroite pour n’avoir pas à se courber. Il les vit suivre ceux qui s’étaient dirigés ailleurs que vers la porte. Ils bâtissaient sur le sable des huttes qu’ils refai-saient et défaisaient sans cesse, mais où il n’y avait ni autel, ni sacrifice; ils avaient des girouettes sur leurs toits, et leurs doctrines changeaient avec le vent; aussi étaient-ils en contradiction les uns avec les autres. Ils ne pouvaient pas s’entendre et n’avaient jamais de position fixe : souvent ils détruisaient leurs cabanes et en lançaient les débris contre la pierre angulaire de l’Eglise qui restait Inébranlable. Plusieurs d’entre eux, comme les ténèbres régnaient dans leurs demeures, ne venaient pas vers la lumière placée sur le chandelier dans la maison de l’épouse, mais erraient les yeux fermés autour des jardins de l’Eglise, et ne vivant plus que des parfums qui s’en exhalaient; ils tendaient les bras vers des idoles nébuleuses, et suivaient les astres errants qui les conduisaient à des puits sans eau : au bord du précipice, ils ne voulaient pas écouter la voix de l’épouse qui les appelait, et, dévorés par la faim, ils riaient avec une pitié arrogante des serviteurs et des messagers qui les invitaient au festin nuptial. Ils ne voulaient pas entrer dans le jardin, car ils craignaient les épines de la haie : ivres d’eux-mêmes, ils n’avaient ni froment pour leur faim, ni vin pour leur soif; et aveuglés par leur propre lumière, Ils nommaient invisible l’Eglise du Verbe fait chair. Jésus les vit tous; il pleura sur eux; il voulut souf-frir pour tous ceux qui ne le voient pas, qui ne veulent pas porter leur croix avec lui dans sa ville bâtie sur la montagne qui ne peut rester cachée, dans son Eglise fondée sur le roc, à laquelle il s’est donné dans le saint sacre-ment, et contre laquelle les portes de l’enfer ne prévaudront pas.
Je voyais ces tableaux innombrables de l’ingratitude des hommes et de l’abus fait de la mort expiatoire de mon fiancé céleste, passer alternativement sous des formes diver-ses ou douloureusement semblables devant lâme contristée, du Seigneur, et j’y voyais figurer Satan, qui arrachait vio-lemment à Jésus et étranglait une multitude d’hommes ra-chetés par son sang, et même ayant reçu l’onction de son sacrement. Le Sauveur vit avec une douleur amère toute l’ingratitude, toute la corruption des premiers chrétiens, de ceux qui vinrent ensuite, de ceux du temps présent et de ceux de l’avenir. Toutes ces apparitions, pendant les-quelles la voix du tentateur répétait sans cesse : Veux-tu donc souffrir pour de pareils ingrats? fondaient sur Jésus avec tant d’impétuosité et de fureur, qu’une angoisse indicible opprimait son humanité. Le Christ, le Fils de lhomme, luttait et joignait les mains, il tombait, comme accablé, sur ses genoux, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, et sa volonté humaine livrait un si terrible combat contre la répugnance à tant souffrir pour une race si ingrate, que la sueur en larges gouttes de sang coulait de son corps jusqu’à terre. Dans sa détresse, il regardait autour de lui comme cherchant du secours, et semblait prendre le ciel, la terre et les astres du firmament à témoin de ses souffran-ces. Il me semblait l’entendre crier : Est-il possible de supporter une telle ingratitude? Je vous prends à témoin de ce que j’endure !
Ce fut alors comme si la lune et les étoiles se rappro-chaient; je sentis, en cet instant, qu’il faisait plus clair. J’observai alors la lune, ce que je n’avais pas fait jus-qu’alors, et je la vis tout autre qu’à l’ordinaire. Elle nétait pas encore tout à fait pleine et me parut pourtant plus grande que chez nous. Au milieu je vis une tache obscure, semblable à un disque placé devant elle, et au centre de laquelle était une ouverture par laquelle la lumière rayon-nait vers le côté où la lune n’était pas encore pleine. Ce corps opaque était comme une montagne, et autour de la lune je vis encore un cercle lumineux semblable à un arc-en-ciel.
Jésus, dans sa détresse, éleva la voix, et fit entendre quelques cris douloureux. Les trois Apôtres se réveillèrent; ils prêtèrent l’oreille, levant les mains avec effroi, et voulaient aller le rejoindre; mais Pierre retint Jacques et Jean, et leur dit : Restez, je vais aller vers lui. Je le vis courir et entrer dans la grotte:
Maître, dit-il, qu’avez-vous? Et il se tenait là, tremblant à la vue de Jésus tout sanglant et frappé de terreur. Jésus ne lui répondit pas et ne parut pas faire attention à lui. Pierre revint vers les deux autres; Il leur dit que le Seigneur ne lui avait pas répondu, et qu’il ne faisait que gémir et soupirer. Leur tristesse augmenta, ils voilèrent leur tète, s’assirent et priè-rent en pleurant.
Je retournai vers mon céleste fiancé dans sa douloureuse agonie. Les images hideuses de l’ingratitude des hommes futurs dont il prenait sur lui la dette envers la justice divine, roulaient vers lui toujours plus terribles et plus Impétueuses, et il continuait à lutter contre la répugnance de la nature humaine à souffrir. Plusieurs fois, je l’en-tendis s’écrier : Mon Père, est-il possible de souffrir pour tous ces ingrats? O mon Père, si ce calice ne peut pas s’éloigner de moi, que votre volonté soit faite !
Au milieu de toutes ces apparitions, je voyais Satan se mouvoir sous diverses formes hideuses, qui se rapportaient aux diverses espèces de péchés. Tantôt Il apparaissait comme un grand homme noir, tantôt sous la figure d’un tigre, tantôt sous celles d’un renard, d’un loup, d’un dragon, d’un ser-pent. Ce n’était pas la forme même de ces animaux, mais seulement le trait saillant de leur nature, mêlé avec d’autres formes hideuses. Il n’y avait là rien de semblable à une créature complète, c’était seulement des symboles d’abomi-nation, de discorde, de contradiction, de péché, enfin des formes du démon. Ces figures diaboliques poussaient, en-traînaient, déchiraient aux yeux de Jésus des multitudes d’hommes, pour la rédemption desquels il entrait dans le douloureux chemin de la croix. Au commencement, je vis plus rarement le serpent, mais ensuite je le vis apparaître avec une couronne sur la tête; sa taille était gigantesque, sa force semblait démesurée, et il menait à l’assaut contre Jésus d’innombrables légions de tous les temps et de toutes les races. Armées de toute espèce d’instruments de destruc-tion, elles combattaient quelquefois les unes contre les autres, puis revenaient sur le Sauveur avec rage. C’était un horrible spectacle; car ils l’accablaient d’outrages, de malédictions, le déchiraient, le frappaient, le perçaient. Leurs armes, leurs glaives, leurs épieux, allaient et venaient incessamment comme les fléaux des batteurs en grange dans une aire immense, et tous faisaient rage contre le grain de froment céleste, tombé sur la terre pour y mourir, afin de nourrir éternellement tous les hommes du pain de vie.
Au milieu de ces cohortes furieuses, dont quelques-unes me semblaient composées d’aveugles, Jésus était ébranlé comme s’il eût réellement ressenti leurs coups. Je le vis chanceler de côté et d’autre; tantôt il se redressait, tantôt il s’abattait; et le serpent, parmi ces multitudes qu’il ramenait sans cesse contre Jésus, frappait çà et là de sa queue, et déchirait ou engloutissait tous ceux qui étaient renversés par elle.
Il me fut dit que ces troupes innombrables d’ennemis du Sauveur étaient ceux qui maltraitaient de différentes manières Jésus-Christ, leur Rédempteur, réellement présent dans le saint Sacrement sous les espèces du pain et du vin, avec sa divinité et son humanité, son corps et son âme, sa chair et son sang. Je reconnus parmi eux toutes les espèces de profanateurs de la divine Eucharistie, ce gage vivant de sa présence personnelle toujours subsistante dans l’Eglise catholique. Je vis avec horreur tous ces outrages, depuis la négligence, l’irrévérence, l’omission, jusqu’au mé-pris, à l’abus et au sacrilège la plus affreux; depuis la déviation vers les idoles du monde, les ténèbres et la fausse science, jusqu’à l’erreur, l’incrédulité, le fanatisme, la haine et la persécution. Je vis parmi ces ennemis du Sauveur toute espèce de personnes, notamment des aveugles, des paralytiques, des sourds, des muets, et même des enfants. Des aveugles qui ne voulaient pas voir la vérité, des para-lytiques qui ne voulaient pas marcher avec elle, des sourds qui refusaient d’écouter ses avertissements et ses menaces, des muets qui ne voulaient jamais combattre pour elle avec le glaive de la parole, des enfants égarés à la suite de parents et de maîtres mondains et oublieux de Dieu, nourris de convoitises terrestres, enivrés d’une vaine sagesse et dégoûtés des choses célestes, ou ayant dépéri loin d’elles et devenus à jamais incapables de les goûter. Parmi ces derniers, dont l’aspect m’affligea particulièrement parce que Jésus aimait les enfants, je vis beaucoup d’enfants de choeur mal élevés, irrévérencieux, qui n’honorent pas le Christ dans les saintes cérémonies auxquelles ils prennent part. Leurs fautes retombaient en partie sur la négligence de leurs maîtres et sur celle des administrateurs des églises. Je vis avec épouvante que beaucoup de prêtres, quelques-uns même se regardant comme pleins de foi et de piété, maltraitaient aussi Jésus dans le saint Sacrement. Parmi le grand nombre de ceux que j’eus la douleur de voir, je nen mentionnerai qu’une catégorie. J’en vis beaucoup qui croyaient et enseignaient la présence du Dieu vivant dans le très saint Sacrement, mais ne la prenaient pas assez à coeur; car ils oubliaient et négligeaient le palais, le trône, la tente, le siège, les ornements royaux du Roi du ciel et de la terre; à savoir : l’église, l’autel, le tabernacle, le calice, l’ostensoir, les vases, les ornements, en un mot. tout ce qui sert à l’usage et à la parure de sa maison. Tout était abandonné, tout dépérissait dans la poussière et dans la saleté, et le culte divin était, sinon profané intérieurement, au mains déshonoré à l’extérieur. Tout cela n’était pas le finit d’une pauvreté véritable, mais de l’in-différence, de la paresse, de la préoccupation de vains Intérêts terrestres, souvent aussi de l’égoïsme et de la mort intérieure; car je vis des négligences semblables dans des églises riches, ou du moins aisées. J’en vis beaucoup d’au-tres où un luxe mondain, sans goût et sans convenance, avait remplacé les ornements magnifiques d’une époque plus pieuse, pour recouvrir comme d’un fard éclatant et cacher sous des apparences menteuses la négligence, la malpropreté et les dégâts. Ce que les riches faisaient par une vaine ostentation, les pauvres l’imitaient bientôt sottement par manque de simplicité. Je ne pus mempêcher de penser à cette occasion à l’église de notre pauvre couvent, où l’on avait recouvert le vieil et bel autel de pierre artis-tement sculpté d’une grande construction en bois avec un barbouillage imitant le marbre, ce qui me faisait toujours beaucoup de peine. Je vis toutes ces offenses à Jésus dans le saint Sacrement multipliées par un grand nombre de préposés aux églises, lesquels ne sentaient pas qu’il eût été juste de partager au moins ce qu’ils possédaient avec le Rédempteur présent sur l’autel qui s’est livré tout entier a la mort pour eux, et qui pour eux s’est laissé tout entier dans le Sacrement. Je vis que souvent les plus pauvres étaient mieux entourés dans leurs cabanes que le Maître du ciel et de la terre dans son église. Ah ! combien l’inhos-pitalité des hommes contristait Jésus, qui s’était donné à eux pour nourriture ! Certes, il n’y a pas besoin d’être riche pour recevoir celui qui récompense au centuple le verre d’eau donné à celui qui a soif; mais lui, qui a si soif de nous, n’a-t-il pas lieu de se plaindre quand le verre est impur et l’eau corrompue? Par suite de semblables négli-gences, je vis les faibles scandalisés, la Sacrement profané, l’église abandonnée, les prêtres méprisés; l’impureté et la négligence s’étendaient jusque sur les âmes des fidèles; ils laissaient dans la saleté le tabernacle de leur coeur lorsque Jésus devait y descendre, tout comme ils y lais-saient le tabernacle placé, sur l’autel. Je vis de ces insensés administrateurs des églises qui pour complaire aux princes . aux grands du monde, pour satisfaire des caprices et faire réussir des projets ambitieux, travaillaient et s’em-pressaient avec une activité sans pareille, tandis que le Roi du ciel et de la terre était couché comme le pauvre Lazare devant la porte, et désirait en vain les miettes de la charité que personne ne lui donnait. Il n’avait que ses plaies qui sont l’oeuvre de nos mains et qui étaient léchées par les chiens, je veux dire par ces pécheurs qui retombent tou-jours. semblables au chien qui revient à son vomissement.
Quand je parlerais un an entier, je ne pourrais dire tous les affronts faits à Jésus dans le saint Sacrement que je connus de cette manière. J’en vis les auteurs assaillir le Seigneur par troupes, et le frapper de diverses armes, selon la diversité de leurs offenses. Je vis des clercs irrévéren-cieux, des prêtres légers ou sacrilèges dans la célébration du saint Sacrifice et la distribution de la sainte Eucharistie des troupes de communiants tièdes et indignes. Je vis, en nombre infini, des gens pour qui la source de toute bénédiction, le mystère du Dieu vivant, était devenue une impré-cation, une formule de malédiction, des guerriers furieux profanant les vases sacrés, des serviteurs du démon em-ployant la sainte Eucharistie aux mystères d’un effroyable culte infernal. A côté de ces insultes brutales et violentes, je vis une foule d’impiétés moins grossières qui parais-saient tout aussi abominables. Je vis beaucoup de personnes séduites par de mauvais exemples ou des enseignements perfides perdre la foi à la présence réelle de Jésus dans le saint Sacrement et ne plus y adorer humblement le Sauveur. Je vis dans ces troupes un grand nombre de doc-teurs que leurs péchés avaient rendu hérésiarques; ils se disputaient entre eux au commencement puis ils sunis-saient pour attaquer Jésus avec fureur dans le saint Sacrement de son église. Je vis une troupe nombreuse de ces apostats, chefs de secte, insulter le sacerdoce catholique, combattre la présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie, nier qu’il ait donné ce sacrement à son Eglise et qu’elle l’ait fidèlement conservé, et arracher de son coeur, par leurs séductions, une multitude d’hommes pour lesquels il a répandu son sang. Ah ! c’était un affreux spectacle, car je voyais l’Eglise comme le corps de Jésus dont il avait réuni ensemble, par sa douloureuse Passion, les membres isoles et dispersés, et toutes ces masses d’hommes, qui se sépa-raient de l’Eglise, déchiraient et arrachaient comme des morceaux entiers de sa chair vivante. Hélas! il jetait sur eux des regards touchants, et gémissait de les voir se perdre. Lui, qui s’était donné à nous pour nourriture dans le saint Sacrement, afin de rassembler en un seul corps celui de l’Eglise, son épouse, les hommes séparés et divisés à linfini, il se voyait déchiré dans ce corps même, car la table de la communion, de l’union dans le saint Sacre-ment, ce chef-duvre de son amour, dans lequel il avait voulu rester à jamais parmi les hommes, était devenue, par la malice des faux docteurs, la borne de séparation, en sorte que là où il est par-dessus tout juste et salutaire que beaucoup ne fusent plus qu’un, à cette sainte table où le Dieu vivant lui-même est l’aliment qu’on reçoit, ses enfants devaient se séparer des incroyants et des héréti-ques pour ne pas se rendre complices du péché d’autrui. Je vis, de cette manière, des peuples entiers arrachés de son sein, et privés de la participation au trésor des grâces laissées à l’Eglise. C’était un spectacle affreux de les voir se séparer d’abord en petit nombre, puis, devenus des peu-ples entiers, se diviser sur les choses les plus saintes, et se poser en ennemis les uns vis-à-vis des autres. A la fin, je vis tous ceux qui s’étaient séparés de l’Eglise plongés dans l’incrédulité, la superstition, l’hérésie, la fausse Phi-losophie mondaine : pleins d’une fureur sauvage, ils se réunissaient en grandes troupes pour assaillir l’Eglise, excités par le serpent homicide qui s’agitait au milieu d’eux. Hélas! c’était comme si Jésus s’était senti déchirer lui-même en mille lambeaux. Le seigneur, livré à ces angoisses, vit et sentit tout l’arbre empoisonné de la division avec toutes ses branches et ses fruits qui se subdivisaient sans cesse jusqu’à la fin des temps où le froment sera recueilli dans les greniers et la paille jetée au feu.
J’étais tellement saisie d’horreur et d’effroi qu’une apparition de mon fiancé céleste me plaça miséricordieusement la main sur le coeur, avec ces paroles : Personne n’a encore vu cela, et ton coeur se briserait de douleur si je ne le soutenais.
Je vis le sang rouler en larges gouttes sur le pâle visage du Sauveur; ses cheveux étaient collés ensemble et dressés sur sa tête, sa barbe sanglante et en désordre comme si on eût voulu l’arracher. Après la vision dont je viens de parler, il s’enfuit en quelque sorte hors de la caverne, et revint vers ses disciples. Mais sa démarche était comme celle d’un homme couvert de blessures et courbé sous un lourd far-deau, qui trébucherait à chaque pas. Lorsqu’il vint vers les trois Apôtres, ils ne s’étaient pas couchés pour dormir comme la première fois; Ils avaient la tête voilée et affaissée sur leurs genoux, dans une position où je vois souvent les gens de ce pays-là lorsqu’ils sont dans le deuil ou qu’ils veulent prier. Ils s’étaient assoupis, vaincus par la tristesse et la fatigue. Jésus, tremblant et gémissant, sapprocha d’eux, et ils se réveillèrent. Mais, lorsqu’à la clarté de la lune ils le virent debout devant eux, avec son visage pâle et sanglant et sa chevelure en désordre, leurs yeux fatigué ne le reconnurent pas d’abord tout de suite, car il était indiciblement défiguré. Comme il joignait les mains, ils se levèrent, le prirent sous les bras, le soutinrent avec amour, et il leur dit avec tristesse qu’on le ferait mourir le len-demain, qu’on s’emparerait de lui dans une heure, qu’on le mènerait devant un tribunal, qu’il serait maltraité, ou-tragé, flagellé, et enfin livré à la mort la plus cruelle. Il les pria de consoler sa mère, et aussi de consoler Made-leine. Il leur parla ainsi pendant quelques minutes; pour eux, ils ne lui répondirent pas, car ils ne savaient que dire, tant son aspect et ces discours les avaient troublés; ils croyaient même qu’il était en délire. Mais lorsqu’il vou-lut retourner à la grotte, il n’eut pas la force de marcher. Je vis Jean et Jacques le conduire, et revenir lorsqu’il fut entré dans la grotte. Il était à peu près onze heures et un quart.
Pendant cette agonie de Jésus, je vis la sainte Vierge acca-blée aussi de tristesse et d’angoisses dans la maison de Marie, mère de Marc. Elle se tenait avec Madeleine et Marie dans le jardin de la maison; elle était là, courbée en deux sur une pierre et affaissée sur ses genoux. Plusieurs fois elle perdit connaissance, car elle vit intérieurement plu-sieurs choses de l’agonie de Jésus. Elle avait déjà envoyé des messagers pour avoir de ses nouvelles; mais, ne pouvant pas attendre leur retour, elle s’en fut, toute inquiète, avec Madeleine et Salomé, jusqu’à la vallée de Josaphat. Elle marchait voilée, et étendait souvent les bras vers le mont des Oliviers; car elle voyait en esprit Jésus baigné d’une sueur de sang, et il semblait qu’elle voulût de ses mains étendues essuyer le visage de son fils. Je vis ces élans de son âme aller jusqu’à Jésus, qui pensa à elle et regarda de son côté comme pour y chercher du secours. Je vis cette communication entre eux sous forme de rayons qui allaient de l’un à l’autre. Le Seigneur pensa aussi à Madeleine, et fut touché de sa douleur; c’est pourquoi il recommanda aux disciples de la consoler; car il savait que son amour était le plus grand après celui de sa mère, et il avait vu qu’elle souffrirait encore beaucoup pour lui, et quelle ne l’offenserait plus jamais.
Vers ce moment, à onze heures un quart à peu près, les huit Apôtres revinrent dans la cabane de feuillage de Gethsémani; ils s’y entretinrent et finirent par s’endormir. Ils étaient très ébranlés, très découragés, et violemment assaillis par la tentation. Chacun avait cherché un lieu où il pût se réfugier, et ils se demandaient avec inquiétude : Que ferons-nous lorsqu’on l’aura fait mourir? Nous avons tout quitté pour le suivre; nous sommes pauvres et le rebut de ce monde, nous nous sommes entièrement abandonnés à lui, et le voilà maintenant si languissant, si abattu, qu’on ne peut trouver en lui aucune consolation. Les autres disciples avaient d’abord erré de côté et d’autre; puis, ayant appris quelque chose des effrayantes prophéties de Jésus, ils s’étaient retirés pour la plupart à Bethphagé.
Je vis Jésus priant encore dans la grotte et luttant contre la répugnance de la nature humaine à souffrir. Il était épuisé de fatigue et abattu, et il disait : Mon père, si c’est votre volonté, éloignez de moi ce calice. Cependant, que votre volonté se fasse et non pas la mienne. Mais alors l’abîme s’ouvrit devant lui, et les premiers degrés des Limbes lui apparurent comme à l’extrémité d’une vole lumineuse. Il vit Adam et Eve, les patriarches. les prophètes, les justes, les parents de sa mère et Jean-Baptiste attendant son arrivée dans le monde inférieur avec un désir si violent, que cette vue fortifia et ranima son coeur plein d’amour. Sa mort devait ouvrir le ciel à ces captifs; elle devait les tirer de la prison où ils languissaient dans l’attente. Lorsque Jésus eut regardé avec une profonde émotion ces saints de l’ancien monde, les anges lui présentèrent toutes les cohortes des bienheureux à venir qui, joignant leurs combats aux mérites de sa passion, devaient s’unir par lui au Père céleste. C’était une vision inexprimablement belle et consolante. Tous rangés, suivant leur date, leur classe et leur dignité, passèrent devant la Seigneur, parés de leurs souffrances et de leurs oeuvres. Il vit le salut et la sanctification sortant à flots intarissables de la source de rédemption ouverte par sa mort. Les Apôtres, les disciples, les vierges et les saintes femmes, tous les martyrs, les confesseurs et les ermites. les papes et les évêques, des troupes nombreuses de religieux, en un mot l’armée entière des bienheureux s’offrit à sa vue. Tous portaient sur la tête des couronnes triompha-les, et les fleurs de leurs couronnes différaient de forme, de couleur, de parfum et de vertu suivant la différence des souffrances, des combats et des victoires qui leur avaient valu la gloire éternelle. Toute leur vie et tous leurs actes, tous leurs mérites et toute leur force, ainsi que toute la gloire de leur triomphe, venaient uniquement de leur union aux mérites de Jésus-Christ.
L’action et l’influence réciproque que tous ces saints exer-çaient les uns sur les autres, la manière dont ils puisaient à une source unique, au saint Sacrement et à la passion du Seigneur, offraient un spectacle singulièrement touchant et merveilleux. Rien ne paraissait fortuit en eux; leurs oeuvres, leur martyre, leurs victoires, leur apparence et leur vête-ment, tout cela, quoi que bien divers, se fondait dans une harmonie et une unité infinies; et cette unité dans la diver-sité était produite par les rayons d’un soleil unique, par la passion du Seigneur, du Verbe fait chair, en qui la vie était la lumière des hommes qui lait dans les ténèbres et que les ténèbres n’ont pas comprise.
C’était la communauté des Saints futurs qui passait devant lâme du Sauveur, lequel se trouvait placé entre le désir des patriarches et le cortège triomphal des bienheureux à venir; ces deux troupes sunissant et se complétant en quelque sorte l’une l’autre, entouraient le coeur aimant du Rédempteur comme d’une couronne de victoire. Cette vue inexprimablement touchante donna à l’âme de Jésus un peu de consolation et de force. Ah! il aimait tellement ses frères et ses créatures, qu’il aurait accepté avec joie toutes les souffrances auxquelles il se dévouait pour la rédemption d’une seule âme. Comme ces visions se rapportaient à l’ave-nir, elles planaient à une certaine hauteur.
Mais ces images consolantes s’évanouirent, et les anges lui montrèrent sa Passion tout près de terre, parce qu’elle était proche. Ces anges étaient en grand nombre. Je vis toutes les scènes sen présenter très distinctement devant lui, depuis le baiser de Judas jusquaux dernières paroles sur la croix : je vis là tout ce que je vois dans mes méditations de la Passion, la trahison de Judas, la fuite des disciples, les insultes devant Anne et Caïphe, le reniement de Pierre, le tri-bunal de Pilate, les dérisions d’Hérode, la flagellation et le couronnement d’épines, la condamnation à mort, le portement de la croix, la rencontre de la Sainte Vierge, son évanouissement, les insultes que les bourreaux lui prodiguaient, le suaire de Véronique, le crucifiement, les outrages des Pharisiens, les douleurs de Marie, de Madeleine et de Jean, le coup de lance dans le côté: en un mot, tout lui fut pré-senté avec les plus petites circonstances. Je vis comment le Seigneur, dans son angoisse, voyait tous les gestes, entendait toutes les paroles, percevait tout ce qui se passait dans les âmes. Il accepta tout volontairement, il se soumit à tout par amour pour les hommes. Ce qui le contrista le plus dou-loureusement fut de se voir attaché a la croix dans un état de nudité complète, pour expier l’impudicité des hommes : il pria instamment pour que cela lui fût épargné et qu’il lui fût au moins accordé d’avoir une ceinture autour des reins : je vis qu’il serait assisté en cela, non par ses bour-reaux, mais par un homme compatissant. Il vit et ressentit aussi la douleur actuelle de sa mère que lunion à ses souffrances avait fait tomber sans connaissance dans les bras de ses deux amies.
A la fin des visions de la Passion, Jésus tomba sur le visage, comme un mourant : les Anges disparurent, la sueur de sang coula plus abondante, et je la vis traverser son vêtement. La plus profonde obscurité régnait dans la caverne. Je vis alors un ange descendre vers Jésus : il était plus grand, plus distinct et plus semblable à un homme que ceux que j’avais vus auparavant. Il était revêtu comme un prêtre d’une longue robe flottante, ornée de franges, et por-tait dans ses mains devant lui, un petit vase de la forme du calice de la sainte Cène. A l’ouverture de ce calice, se montrait un petit corps ovale, de la grosseur d’une fève, et qui répandait une lumière rougeâtre. Lange, sans se poser à terre, étendit la main droite vers Jésus, qui se releva; Il lui mit dans la bouche cet aliment mystérieux, et le fit boire du petit calice lumineux. Ensuite il disparut.
Jésus, ayant accepté librement le calice de ses souffrances il reçu une nouvelle force, resta encore quelques minutes dans la grotte, plongé dans une méditation tranquille et ren-dant grâces à son Père céleste. Il était encore affligé mais réconforté surnaturellement, au point de pouvoir aller vers les disciples sans chanceler et sans plier sous le poids de sa douleur. Il était toujours pâle et défait mais son pas était ferme et décidé. Il avait essuyé son visage avec un suaire, et remis en ordre ses cheveux qui pendaient sur ses épaules, humides de sang et de sueur et colles ensemble.
Quand il sortit de la grotte, je vis la lune comme aupara-vant, avec la tache singulière qui en occupait le centre et le cercle qui l’entourait, mais sa clarté et celle des étoiles
étaient autres que précédemment, lors des grandes angoisses du Seigneur. La lumière maintenant était plus naturelle. Lorsque Jésus vint vers ses disciples, ils étaient couchés, comme la première fois, contre le mur de la terrasse ; ils avaient la tète voilée et dormaient. Le Seigneur leur dit que ce nétait pas le temps de dormir, qu’ils devaient se ré-veiller et prier. Voici l’heure où le Fils de l’homme sera livré dans les mains des pécheurs. dit-il; levez-vous et marchons : le traître est proche : mieux vaudrait pour lui quil ne fût jamais né . Les Apôtres se relevèrent tout effrayés, et autour d’eux avec inquiétude. Lorsqu’ils se furent un peu remis, Pierre lui dit avec chaleur : Maitre, je vais appeler les autres, afin que nous vous défendions . Mais Jésus à quelque distance dans la vallée, de lautre côté du torrent de Cédron, une troupe dhommes armés, qui s’approchaient avec des flambeaux, et il leur dit quun dentre eux l’avait trahi. Les Apôtres regardaient la chose comme impossible. Il leur parla encore avec calme, leur recommanda de nouveau de consoler sa mère, et dit : Allons au-devant d’eux, je nie livrerai sans résistance entre les mains de mes ennemis. Il sortit alors du jardin des Oliviers avec les trois Apôtres, et vint au-devant des archers sur le chemin qui était entre ce jardin et celui de Gethsémani.
Lorsque la sainte Vierge reprit connaissance entre les bras de Madeleine et de Salomé, quelques disciples, qui avaient vu les soldats s’approcher, vinrent à elle et la ramenèrent dans la maison de Marie, mère de Marc. Les archers prirent un chemin plus court que celui qu’avait suivi Jésus en ve-nant du Cénacle.
La grotte dans laquelle Jésus avait prié aujourd’hui n’était pas celle où il avait coutume de prier sur le mont des Oliviers. Il allait ordinairement dans une caverne plus éloignée où, un jour, après avoir maudit le figuier stérile, il avait prié dans uns grande affliction, les bras étendus et appuyé contre un rocher.
Les traces de son corps et de ses mains restèrent imprimées sur la pierre et furent honorées plus tard ; mais on ne savait plus à quelle occasion ce prodige avait eu lieu. Jai vu plusieurs fois de semblables empreintes laissées sur la pierre, soit par les prophètes de l’Ancien Testament, soit par Jésus, Marie, ou quelques-uns des apôtres : j’ai vu aussi celles du corps de sainte Catherine d’Alexandrie sur le mont Sinaï. Ces empreintes ne paraissaient pas profondes, mais semblables à celles qu’on laisserait en appuyant la main sur une pâte épaisse (1).
(1) Elle décrivit ensuite avec beaucoup de détails la forme et la couleur de la pierre sur laquelle Jésus s’était appuyé dans cette autre grotte ; elle mentionna des crevasses et des endroits où il y avait comme des stalactites, etc.