verites fondamentales de la devotion a la sainte vierge Marie

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Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge Marie

                                 «PREPARATION AU REGNE DE JESUS-CHRIST»]

                                          De Saint Louis-Marie Grignion de Monfort

 

 

II. «EN QUOI CONSISTE LA DEVOTION A MARIE»

 

[A. VERITES FONDAMENTALES DE LA DEVOTION A LA SAINTE VIERGE]

 

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[«Jésus-Christ est la fin dernière de toutes nos dévotions»]

[Nous sommes à Jésus-Christ et à Marie en qualité d’esclaves]

[«Nous devons nous vider de ce qu’il y a de mauvais en nous»]

[«Nous avons besoin d’un médiateur auprès du Médiateur même»]

[«Il nous est très difficile de conserver les grâces et les trésors reçus de Dieu»]

 

 

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 [«Jésus-Christ est la fin dernière de toutes nos dévotions»]


61. Première vérité. – Jésus-Christ notre Sauveur, vrai Dieu

et vrai homme, doit être la fin dernière de toutes nos autres

dévotions: autrement elles seraient fausses et trompeuses.

Jésus-Christ est l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin

de toutes choses. Nous ne travaillons, comme dit l’Apôtre, que

pour rendre tout homme parfait en Jésus-Christ, parce que

c’est en lui seul qu’habite[nt] toute la plénitude de la

Divinité et toutes les autres plénitudes de grâces, de vertus

et de perfections; parce que c’est en lui seul que nous avons

été bénis de toute bénédiction spirituelle; parce qu’il est

notre unique maître qui doit nous enseigner, notre unique

Seigneur de qui nous devons dépendre, notre unique chef auquel

nous devons être unis, notre unique modèle auquel nous devons

nous conformer, notre unique pasteur qui doit nous nourrir,

notre unique voie qui doit nous conduire, notre unique vérité

que nous devons croire, notre unique vie qui doit nous

vivifier, et notre unique tout en toutes choses qui doit nous

suffire. Il n’a point été donné d’autre nom sous le ciel, que

le nom de Jésus, par lequel nous devions être sauvés. Dieu ne

nous a point mis d’autre fondement de notre salut, de notre

perfection et de notre gloire, que Jésus-Christ: tout édifice

qui n’est pas posé sur cette pierre ferme est fondé sur le

sable mouvant et tombera infailliblement tôt ou tard. Tout

fidèle qui n’est pas uni à lui comme une branche au cep de la

vigne, tombera, séchera et ne sera propre qu’à être jeté au

feu. Si nous sommes en Jésus-Christ et Jésus-Christ en nous,

nous n’avons point de damnation à craindre: ni les anges des

cieux, ni les hommes de la terre, ni les démons des enfers, ni

aucune autre créature ne nous peut nuire, parce qu’elle ne

nous peut séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus-

Christ. Par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, en Jésus-Christ,

nous pouvons toutes choses: rendre tout honneur et toute

gloire au Père, en l’unité du Saint-Esprit; nous rendre

parfaits et être à notre prochain une bonne odeur de vie

éternelle.

62. Si donc nous établissons la solide dévotion de la Très

Sainte Vierge, ce n’est que pour établir plus parfaitement

celle de Jésus-Christ, ce n’est que pour donner un moyen aisé

et assuré pour trouver Jésus-Christ. Si la dévotion à la

Sainte Vierge éloignait de Jésus-Christ, il faudrait la

rejeter comme une illusion du diable; mais tant s’en faut

qu’au contraire, comme j’ai déjà fait voir et ferai voir

encore ci-après: cette dévotion ne nous est nécessaire que

pour trouver Jésus-Christ parfaitement et l’aimer tendrement

et le servir fidèlement.

63. Je me tourne ici un moment vers vous, ô mon aimable

Jésus, pour me plaidre amoureusement à votre divine Majesté de

ce que la plupart des chrétiens, même des plus savants, ne

savent pas la liaison nécessaire, qui est entre vous et votre

sainte Mère. Vous êtes, Seigneur, toujours avec Marie, et

Marie est toujours avec vous et ne peut être sans vous:

autrement elle cesserait d’être de qu’elle est; elle est

tellement transformée en vous par la grâce qu’elle ne vit

plus, qu’elle n’est plus; c’est vous seul, mon Jésus, qui

vivez et régnez en elle, plus parfaitement qu’en tous les

anges et les bienheureux. Ah! si on connaissait la gloire et

l’amour que vous recevez en cette admirable créature, on

aurait de vous et d’elle bien d’autres sentiments qu’on n’a

pas. Elle [vous] est si intimement liée, qu’on séparerait

plutôt la lumière du soleil, la chaleur du feu; je dis plus,

on séparerait plutôt tous les anges et les saints de vous, que

la divine Marie: parce qu’elle vous aime plus ardemment et

vous glorifie plus parfaitement que toutes vos autres

créatures ensemble.

64. Après cela, mon aimable Maître, n’est-ce pas une chose

étonnante et pitoyable de voir l’ignorance et les ténèbres de

tous les hommes d’ici-bas à l’égard de votre sainte Mère? Je

ne parle pas tant des idolâtres et païens, qui, ne vous

connaissant pas, n’ont garde de la connaître; je ne parle même

pas des hérétiques et des schismatiques, qui n’ont garde

d’être dévôts à votre sainte Mère, s’étant séparés de vous et

votre sainte Eglise; mais je parle des chrétiens catholiques,

et même des docteurs parmi les catholiques, qui faisant

profession d’enseigner aux autres les vérités, ne vous

connaissent pas, ni votre sainte Mère, si ce n’est d’une

manière spéculative, sèche, stérile et indifférente. Ces

messieurs ne parlent que rarement de votre sainte Mère et de

la dévotion qu’on lui doit avoir parce qu’ils craignent,

disent-ils, qu’on en abuse, qu’on ne vous fasse injure en

honorant trop votre sainte Mère. S’ils voient ou entendent

quelque dévôt à la Sainte Vierge parler souvent de la dévotion

à cette bonne Mère, d’une manière tendre, forte et persuasive,

comme d’un moyen assuré sans illusion, d’un chemin court sans

danger, d’une voie immaculée sans imperfections, et d’un

secret merveilleux pour vous trouver et vous aimer

parfaitement, ils se récrient contre lui, et lui donnent mille

fausses raisons pour lui prouver qu’il ne faut pas tant parler

de la Sainte Vierge, qu’il y a beaucoup d’abus en cette

dévotion, et qu’il faut s’appliquer à les détruire, et à

parler de vous plutôt qu’à porter les peuples à la dévotion à

la Sainte Vierge qu’ils aiment déjà assez.

On les entend parfois parler de la dévotion à votre

sainte Mère, non pas pour l’établir et la persuader, mais pour

en détruire les abus qu’on en fait, tandis que ces messieurs

sont sans piété et sans dévotion tendre pour vous, parce

qu’ils n’en ont pas pour Marie, regardant le Rosaire, le

Scapulaire, le Chapelet, comme des dévotions de femmelettes,

propres aux ignorants, sans lesquels on peut se sauver; et

s’il tombe en leurs mains quelque dévôt à la Sainte Vierge,

qui récite son chapelet ou ait quelque autre pratique de

dévotion envers elle, ils lui changeront bientôt l’esprit et

le coeur: au lieu du chapelet, ils lui conseilleront de dire

les sept psaumes; au lieu de la dévotion à la Sainte Vierge,

ils lui conseilleront la dévotion à Jésus-Christ.

O mon aimable Jésus, ces gens ont-il votre esprit? Vous

font-ils plaisir d’en agir de même? Est-ce vous plaire que de

ne pas faire tous ses efforts pour plaire à votre Mère, de

peur de vous déplaire? La dévotion à votre sainte Mère

empêche-t-elle la vôtre? Est-ce qu’elle s’attribue l’honneur

qu’on lui rend? Est-ce qu’elle fait bande à part? Est-elle une

étrangère qui n’a aucune liaison avec vous? Est-ce se séparer

ou s’éloigner de votre amour que de se donner à elle et de

l’aimer?

65. Cependant, mon aimable Maître, la plupart des savants,

pour punition de leur orgueil, n’éloigneraient pas plus de la

dévotion à votre sainte Mère, et n’en donneraient pas plus

d’indifférence, que si tout ce que je viens de dire était

vrai. Gardez-moi, Seigneur, gardez-moi de leurs sentiments et

leurs pratiques et me donnez quelque part aux sentiments de

reconnaissance, d’estime, de respect et d’amour que vous avez

à l’égard de votre sainte Mère, afin que je vous aime et

glorifie d’autant plus que je vous imiterai et suivrai de plus

près.

 

 

66. Comme si jusqu’ici je n’avais encore rien dit en

l’honneur de votre sainte Mère, faites-moi la grâce de la

louer dignement: Fac me digne tuam Matrem collaudare, malgré

tous mes ennemis, qui sont les vôtres, et que je leur dise

hautement avec les saints: Non praesumat aliquis Deum se

habere propitium qui benedictam Matrem offensam habuerit: Que

celui-là ne présume pas recevoir la miséricorde de Dieu, qui

offense sa sainte Mère.

67. Pour obtenir de votre miséricorde une véritable dévotion

à votre sainte Mère, et pour l’inspirer à toute la terre,

faites que je vous aime ardemment, et recevez pour cela la

prière embrasée que je vous fais avec saint Augustin et vos

véritables amis (tom. 9, operum meditat.):

"Tu es Christus, pater meus sanctus, Deux meus pius, rex

meus magnus, pastor meus bonus, magister meus unus, adjutor

meus optimus, dilectus meus pulcherrimus, panis meus vivus,

sacerdos meus in aeternum, dux meus ad patriam, lux mea vera,

dulcedo mea sancta, via mea recta, sapientia mea praeclara,

simplicitas mea pura, concordia mea pacifica, custodia mea

tota, portio mea bona, salus mea sempiterna…

"Christe Jesu, amabilis Domine, cur amavi, quare

concupivi in omni vita mea quidquam praeter te Jesum Deum

meum? Ubi eram quando tecum mente non eram? Jam ex hoc nunc,

omnia desideria mea, incalescite et effluite in Dominum Jesum;

currite, satis hactenus tardastis; properate quo pergitis;

quaerite quem quaeritis. Jesu, qui non amat te anathema sit;

qui te non amat amaritudine repleatur… O dulcis Jesu, te

amet, in te delectetur, te admiretur omnis sensus bonus tuae

conveniens laudi. Deux cordis mei et pars mea, Christe Jesu,

deficiat cor meum spiritu suo, et vivas tu in me, et

concalescat in spiritu meo vivus carbo amoris tui, et

excrescat in ignem perfectum; ardeat jugiter in ara cordis

mei, ferveat in medullis meis, flagret in absconditis animae

meae; in die consummationis meae consummatus inveniar apud te.

Amen."

J’ai voulu mettre en latin cette admirable oraison de

saint Augustin, afin que les personnes qui entendent le latin

la disent tous les jours pour demander l’amour de Jésus que

nous cherchons par la divine Marie.

[Nous sommes à Jésus-Christ et à Marie en qualité d’esclaves]

68. Seconde vérité. – Il faut conclure de ce que Jésus-Christ

est à notre égard, que nous ne sommes point à nous, comme dit

l’Apôtre, mais tout entiers à lui, comme ses membres et ses

esclaves qu’il a achetés infiniment cher, par le prix de tout

son sang. Avant le baptême, nous étions au diable comme ses

esclaves, et le baptême nous a rendus les véritables esclaves

de Jésus-Christ, qui ne doivent vivre, travailler et mourir

que pour fructifier pour ce Dieu Homme, le glorifier en notre

corps et le faire régner en notre âme, parce que nous sommes

sa conquête, son peuple acquis et son héritage. C’est pour la

même raison que le Saint-Esprit nous compare: 1 à des arbres

plantés le long des eaux de la grâce, dans le champ de

l’Eglise, qui doivent donner leurs fruits en leur temps; 2

aux branches d’une vigne dont Jésus-Christ est le cep, qui

doivent rapporter de bons raisins; 3 à un troupeau dont

Jésus-Christ est le pasteur, qui se doit multiplier et donner

du lait; 4 à une bonne terre dont Dieu est le laboureur, et

dans laquelle la semence se multiplie et rapporte au

trentuple, soixantuple ou centuple. Jésus-Christ a donné sa

malédiction au figuier infructueux, et porté condamnation

contre le serviteur inutile qui n’avait pas fait valoir son

talent. Tout cela nous prouve que Jésus-Christ veut recevoir

quelques fruits de nos chétives personnes, savoir: nos bonnes

oeuvres, parce que ces bonnes oeuvres lui apartiennent

uniquement: Creati in operibus bonis in Christo Jesu: Créés

dans les bonnes oeuvres en Jésus-Christ. Lesquelles paroles du

Saint-Esprit montrent et que Jésus-Christ est l’unique

principe et doit être l’unique fin de toutes nos bonnes

oeuvres, et que nous le devons servir non seulement comme des

serviteurs à gages, mais comme des esclaves d’amour. Je

m’explique.

69. Il y a deux manières ici-bas d’appartenir à un autre et

de dépendre de son autorité, savoir: la simple servitude et

l’esclavage; ce qui fait que nous appelons un serviteur et un

esclave.

Par la servitude commune parmi les chrétiens, un homme

s’engage à en servir un autre pendant un certain temps,

moyennant un certain gage ou une telle récompense.

Par l’esclavage, un homme est entièrement dépendant d’un

autre pour toute sa vie, et doit servir son maître, sans en

prétendre aucun gage ni récompense comme une de ses bêtes sur

laquelle il a droit de vie et de mort.

70. Il y a trois sortes d’esclavages: un esclavage de

nature, un esclavage de contrainte et un esclavage de volonté.

Toutes les créatures sont esclaves de Dieu en la première

manière: Domini est terra et plenitudo ejus; les démons et les

damnés en la seconde; les justes et les saints le sont en la

troisième. L’esclavage de volonté est le plus parfait et le

plus glorieux à Dieu, qui regarde le coeur, et qui demande le

coeur, et qui s’appelle le Dieu du coeur, ou de la volonté

amoureuse, parce que, par cet esclavage, on fait choix, par-

dessus toutes choses, de Dieu et de son service, quand même la

nature n’y obligerait pas.

71. Il y a une totale différence entre un serviteur et un

esclave:

1 Un serviteur ne donne pas tout ce qu’il est et tout ce

qu’il possède et tout ce qu’il peut acquérir par autrui ou par

soi-même, à son maître; mais l’esclave se donne tout entier,

tout ce qu’il possède et tout ce qu’il peut acquérir, à son

maître, sans aucune exception.

2 Le serviteur exige des gages pour les services qu’il

rend à son maître, mais l’esclave n’en peut rien exiger,

quelque assiduité, quelque industrie, quelque force qu’il ait

à travailler.

3 Le serviteur peut quitter son maître quand il voudra,

ou du moins quand le temps de son service sera expiré; mais

l’esclave n’est pas en droit de quitter son maître quand il

voudra.

4 Le maítre du serviteur n’a sur lui aucun droit de vie

et de mort, en sorte que s’il le tuait, comme une de ses bêtes

de charge, il commettrait un homicide injuste; mais le maître

de l’esclave a, par les lois, droit de vie et de mort sur lui,

en sorte qu’il peut le vendre à qui il voudra, ou le tuer,

comme, sans comparaison, il ferait [de] son cheval.

5 Enfin, le serviteur n’est que pour un temps au service

d’un maître, et l’esclave pour toujours.

72. Il n’y a rien parmi les hommes qui nous fasse plus

appartenir à un autre que l’esclavage; il n’y a rien aussi

parmi les chrétiens qui nous fasse plus absolument appartenir

à Jésus-Christ et à sa sainte Mère que l’esclavage de volonté,

selon l’exemple de Jésus-Christ même, qui a pris la forme

d’esclave pour notre amour: Formam servi accipiens, et de la

Sainte Vierge, qui s’est dite la servante et l’esclave du

Seigneur. L’Apôtre s’appelle par honneur servus Christi. Les

chrétiens sont appelés plusieurs fois dans l’Ecriture sainte

servi Christi; lequel mot de servus, selon la remarque

véritable qu’a faite un grand homme, ne signifiait autrefois

qu’un esclave, parce qu’il n’y avait point encore de

serviteurs comme ceux d’aujourd’hui, les maîtres n’étant servi

que par des esclaves ou affranchis: ce que le Catéchisme du

saint Concile de Trente, pour ne laisser aucun doute que nous

soyons esclaves de Jésus-Christ, exprime par un terme qui

n’est point équivoque, en nous appelant mancipia Christi:

esclave de Jésus-Christ. Cela posé:

73. Je dis que nous devons être à Jésus-Christ et le servir,

non seulement comme des serviteurs mercenaires, mais comme des

esclaves amoureux, qui par un effet d’un grand amour, se

donnent et se livrent à le servir en qualité d’esclaves, pour

l’honneur seul de lui appartenir. Avant le baptême, nous

étions esclaves du diable; le baptême nous a rendus esclaves

de Jésus-Christ: ou il faut que les chrétiens soient esclaves

du diable, ou esclaves de Jésus-Christ.

74. Ce que je dis absolument de Jésus-Christ, je le dis

relativement de la Sainte Vierge, que Jésus-Christ, ayant

choisie pour compagne indissoluble de sa vie, de sa mort, de

sa gloire et de sa puissance au ciel et sur la terre, lui a

donné par grâce, relativement à sa Majesté, tous les mêmes

droits et privilèges qu’il possède par nature: Quidquid Deo

convenit per naturam, Mariae convenit per gratiam: Tout ce qui

convient à Dieu par nature, convient à Marie par grâce, disent

les saints; en sorte que, selon eux, n’ayant tous deux que la

même volonté et la même puissance, ils ont tous deux les mêmes

sujets, serviteurs et esclaves.

75. On peut donc, suivant le sentiment des saints et de

plusieurs grands hommes, se dire et se faire l’esclave

amoureux de la Très Sainte Vierge, afin d’être par là plus

parfaitement esclave de Jésus-Christ. La Sainte Vierge est le

moyen dont Notre-Seigneur s’est servi pour venir à nous; c’est

aussi le moyen dont nous devons nous servir pour aller à lui,

car elle n’est pas comme les autres créatures, auxquelles si

nous nous attachions, elles pourraient plutôt nous éloigner de

Dieu que de nous en approcher; mais la plus forte inclination

de Marie est de nous unir à Jésus-Christ, son Fils, et la plus

forte inclination du Fils est qu’on vienne à lui par sa sainte

Mère; et c’est lui faire honneur et plaisir, comme ce serait

faire honneur et plaisir à un roi si, pour devenir plus

parfaitement son sujet et son esclave, on se faisait esclave

de la reine. C’est pourquoi les saints Pères et saint

Bonaventure après eux, disent que la Sainte Vierge est le

chemin pour aller à Notre-Seigneur: Via veniendi ad Christum

est appropinquare ad illam (In psalt. min.).

76. De plus, si, comme j’ai dit, la Sainte Vierge est la

Reine et souveraine du ciel et de la terre: Ecce imperio Dei

omnia subjiciuntur et Virgo; ecce imperio Virginis omnia

subjiciuntur et Deus, disent saint Anselme, saint Bernard,

saint Bernardin, saint Bonaventure, n’a-t-elle pas autant de

sujets et d’esclaves qu’il y a de créatures? N’est-il pas

raisonnable que parmi tant d’esclaves de contrainte, il y en

ait d’amour qui, par une bonne volonté, choisissent, en

qualité d’esclaves, Marie pour leur souveraine? Quoi! les

hommes et les démons auront leurs esclaves volontaires, et

Marie n’en aurait point? Quoi! un roi tiendra à honneur que la

reine, sa compagne, ait des esclaves sur qui elle ait droit de

vie et de mort, parce que l’honneur et la puissance de l’un

est l’honneur et la puisance et l’autre; et on [pourrait]

croire [que] Notre-Seigneur qui, comme le meilleur de tous les

fils, a fait part de toute sa puissance à sa sainte Mère,

trouve mauvais qu’elle ait des esclaves? A-t-il moins de

respect et d’amour pour sa Mère qu’Assuérus pour Esther et que

Salomon pour Bethsabée? Qui oserait le dire et même le penser?

77. Mais où est-ce que ma plume me conduit? Pourquoi est-ce

que je m’arrête ici à prouver une chose si visible. Si on ne

veut pas qu’on se dise esclave de la Sainte Vierge,

qu’importe! Qu’on se fasse et qu’on se dise esclave de Jésus-

Christ! C’est l’être de la Sainte Vierge, puisque Jésus-Christ

est le fruit et la gloire de Marie. C’est ce qu’on fait

parfaitement par la dévotion dont nous parlerons dans la

suite.

[«Nous devons nous vider de ce qu’il y a de mauvais en nous»]

78. Troisième vérité. – Nos meilleures actions sont

ordinairement souillées et corrompues par le mauvais fond qui

est en nous. Quand on met de l’eau nette et claire dans un

vaisseau qui sent mauvais, ou du vin dans une pipe dont le

dedans est gâté par un autre vin qu’il y a eu dedans, l’eau

claire et le bon vin en est gâté et prend aisément la mauvaise

odeur. De même, quand Dieu met dans le vaiseau de notre âme,

gâté par le péché originel et actuel, ses grâces et rosées

celestes ou le vin délicieux de son amour, ses dons sont

ordinairement gâtés et souillés par le mauvais levain et le

mauvais fond que le péché a laissé en nous; nos actions, même

des vertus les plus sublimes, s’en sentent. Il est donc d’une

très grande importance, pour acquérir la perfection, qui ne

s’acquiert que par l’union à Jésus-Christ, de nous vider de ce

qu’il y a de mauvais en nous: autrement, Notre-Seigneur, qui

est infiniment pur et qui hait infiniment la moindre souillure

dans l’âme, nous rejettera de devant ses yeux et ne s’unira

point à nous.

79. Pour nous vider de nous-mêmes, il faut, premièrement,

bien connaître, par la lumière du Saint-Esprit, notre mauvais

fond, notre incapacité à tout bien utile au salut, notre

faiblesse en toutes choses, notre inconstance en tout temps,

notre indignité de toute grâce, et notre iniquité en tout

lieu. Le péché de notre premier père nous a tous presque

entièrement gâtés, aigris, élevés et corrompus, comme le

levain aigrit, élève et corrompt la pâte où il est mis. Les

péchés actuels que nous avons commis, soit mortels, soit

véniels, quelque pardonnés qu’ils soient, ont augmenté notre

concupiscence, notre faiblesse, notre inconstance et notre

corruption, et ont laissé de mauvais restes dans notre âme.

Nos corps sont si corrompus, qu’ils sont appelés par le

Saint-Esprit corps du péché, conçus dans le péché, nourris

dans le péché et capable de tout, corps sujets à mille et

mille maladies, qui se corrompent de jour en j our, et qui

n’engendrent que de la gale, de la vermine et de la

corruption.

Notre âme, unie à notre corps, est devenue si charnelle,

qu’elle est appelée chair: Toute chair avait corrompu sa voie.

Nous n’avons pour partage que l’orgueil et l’aveuglement dans

l’esprit, l’endurcissement dans le coeur, la faiblesse et

l’inconstance dans l’âme, la concupiscence, les passions

révoltées et les maladies dans le corps. Nous sommes

naturellement plus orgueilleux que des paons, plus attachés à

la terre que des crapauds, plus vilains que des boucs, plus

envieux que des serpents, plus gourmands que des cochons, plus

colères que des tigres et plus paresseux que des tortues, plus

faibles que des roseaux, et plus inconstants que des

girouettes. Nous n’avons dans notre fond que le néant et le

péché, et nous ne méritons que l’ire de Dieu et l’enfer

éternel.

80. Après cela, faut-il s’étonner si Notre-Seigneur a dit que

celui qui voulait le suivre devait renoncer à soi-même et haïr

son âme; que celui qui aimerait sa vie la perdrait et que

celui qui la haïrait la sauverait? Cette Sagesse infinie, qui

ne donne pas des commandemaents sans raison, ne nous ordonne

de nous haïr nous-mêmes que parce que nous sommes grandement

dignes de haine: rien de si digne d’amour que Dieu, rien de si

digne de haine que nous-mêmes.

81. Secondement, pour nous vider de nous-mêmes, il faut tous

les jours mourir à nous-mêmes: c’est-à-dire qu’il faut

renoncer aux opérations des puissances de notre âme et des

sens du corps, qu’il faut voir comme si on ne voyait point,

entendre comme si on n’entendait point, se servir des choses

de ce monde comme si on ne s’en servait point, ce que saint

Paul appelle mourir tous les jours: Quotidie morior! Si le

grain de froment tombant en terre ne meurt, il demeure terre

et ne produit point de fruit qui soit bon: Nisi granum

frumenti cadens in terram mortuum fuerit, ipsum solum manet.

Si nous ne mourons à nous-mêmes, et si nos dévotions les plus

saintes ne nous portent à cette mort nécessaire et féconde,

nous ne porterons point de fruit qui vaille, et nos dévotions

nous deviendront inutiles, toutes nos justices seront

souillées par notre amour-propre et notre propre volonté, ce

qui fera que Dieu aura en abomination les plus grands

sacrifices et les meilleures actions que nous puissions faire;

et qu’à notre mort nous nous trouverons les mains vides de

vertus et de mérites, et que nous n’aurons pas une étincelle

du pur amour, qui n’est communiqué qu’aux âmes dont la vie est

cachée avec Jésus-Christ en Dieu.

82. Troisièmement, il faut choisir parmi toutes les dévotions

à la Très Sainte Vierge celle qui nous porte le plus à cette

mort à nous-mêmes, comme étant la meilleure et la plus

sanctifiante; car il ne faut pas croire que tout ce qui reluit

soit or, que tout ce qui est doux soit miel, et que tout ce

qui est aisé à faire et pratiqué du plus grand nombre soit le

plus sanctifiant. Comme il y a des secrets de nature pour

faire en peu de temps, à peu de frais et avec facilité

certaines opérations naturelles, de même il y a des secrets

dans l’ordre de la grâce pour faire en peu de temps, avec

douceur et facilité, des opérations surnaturelles: se vider de

soi-même, se remplir de Dieu, et devenir parfait.

La pratique que je veux vous découvrir est un de ces

secrets de grâce, inconnu du grand nombre des chrétiens, connu

de peu de dévôts, et pratiqué et goûté d’un bien plus petit

nombre. Pour commencer à découvrir cette pratique, voici une

quatrième vérité qui est une suite de la troisième.

[«Nous avons besoin d’un médiateur auprès du Médiateur même»]

83. Quatrième vérité. – Il est plus parfait, parce qu’il est

plus humble, de n’approcher pas de Dieu par nous-mêmes, sans

prendre un médiateur. Notre fond, comme je viens de montrer,

étant si corrompu, si nous nous appuyons sur nos propres

travaux, industries, préparations, pour arriver à Dieu et lui

plaire, il est certain que toutes nos justices seront

souillées, ou de peu de poids devant Dieu, pour l’engager à

s’unir à nous et à nous exaucer. Car ce n’est pas sans raison

que Dieu nous a donné des médiateurs auprès de sa Majesté: il

a vu notre indignité et incapacité, il a eu pitié de nous, et,

pour nous donner accès à ses miséricordes, il nous a pourvu

des intercesseurs puissants auprès de sa grandeur; en sorte

que négliger ces médiateurs, et s’approcher directement de sa

sainteté, c’est manquer de respect envers un Dieu si haut et

si saint; c’est moins faire de cas de ce Roi des rois qu’on ne

ferait d’un roi ou d’un prince de la terre, duquel on ne

voudrait pas approcher sans quelque ami qui parlât pour soi.

84. Notre-Seigneur est notre avocat et notre médiateur de

rédemption auprès de Dieu le Père; c’est par lui que nous

devons prier avec toute l’Eglise triomphante et militante;

c’est par lui que nous avons accès auprès de sa Majesté, et

nous ne devons jamais paraître devant lui qu’appuyés et

revêtus de ses mérites, comme le petit Jacob des peaux de

chevreaux devant son père Isaac, pour recevoir sa bénédiction.

 

 

85. Mais n’avons-nous point besoin d’un médiateur auprès du

Médiateur même? Notre pureté est-elle assez grande pour nous

unir directement à lui, et par nous-mêmes! N’est-il pas Dieu,

en toutes choses égal à son Père, et par conséquent le Saint

des saints, aussi digne de respect que son Père? Si, par sa

charité infinie, il s’est fait notre caution et notre

médiateur auprès de Dieu son Père, pour l’apaiser et lui payer

ce que nous lui devions, faut-il pour cela que nous ayons

moins de respect et de crainte pour sa majesté et sa sainteté?

Disons donc hardiment, avec saint Bernard, que nous avons

besoin d’un médiateur auprès du Médiateur même, et que la

divine Marie est celle qui est la plus capable de remplir cet

office charitable; c’est par elle que Jésus-Christ nous est

venu, et c’est par elle que nous devons aller à lui. Si nous

craignons d’aller directement à Jésus-Christ, ou à cause de

sa grandeur infinie, ou à cause de notre bassesse, ou à cause

de nos péchés, implorons hardiment l’aide et l’intercession de

Marie notre Mère: elle est bonne, elle est tendre; il n’y a en

elle rien d’austère ni rebutant, rien de trop sublime et de

trop brillant; en la voyant, nous voyons notre pure nature.

Elle n’est pas le soleil, qui, par la vivacité de ses rayons,

pourrait nous éblouir à cause de notre faiblesse; mais elle

est belle et douce comme la lune, qui reçoit la lumière du

soleil et la tempère pour la rendre conforme à notre petite

portée. Elle est si charitable qu’elle ne rebute personne de

ceux qui demandent son intercession, quelque pécheurs qu’ils

soient; car, comme disent les saints, il n’a jamais été ouï

dire, depuis que le monde est monde, qu’aucun ait eu recours à

la Sainte Vierge avec confiance et persévérance, et en ait été

rebuté. Elle est si puissante que jamais elle n’a été refusée

dans ses demandes; elle n’a qu’à se montrer devant son Fils

pour le prier: aussitôt il accorde, aussitôt il reçoit; il est

toujours amoureusement vaincu par les mamelles et les

entrailles et les prières de sa très chère Mère.

86. Tout ceci est tiré de saint Bernard et de saint

Bonaventure; en sorte que, selon eux, nous avons trois degrés

à monter pour aller à Dieu: le premier, qui est le plus proche

de nous et le plus conforme à notre capacité, est Marie; le

second est Jésus-Christ; et le troisième est Dieu le Père.

Pour aller à Jésus, il faut aller à Marie, c’est notre

médiatrice d’intercession; pour aller au Père éternel, il faut

aller à Jésus, c’est notre médiateur de rédemption. Or, par la

dévotion que je dirai ci-après, c’est l’ordre qu’on garde

parfaitement.

[«Il nous est très difficile de conserver les grâces et les trésors reçus de Dieu»]

87. Cinquième vérité. – Il est très difficile, vu notre

faiblesse et fragilité, que nous conservions en nous les

grâces et les trésors que nous avons reçus de Dieu:

1 Parce que nous avons ce trésor, qui vaut mieux que le

ciel et la terre, dans des vases fragiles: Habemus thesaurum

istum in vasis fictilibus, dans un corps corruptible, dans une

âme faible et inconstante, qu’un rien trouble et abat.

88. 2 Parce que les démons, qui sont de fins larrons,

veulent nous surprendre à l’impourvu pour nous voler et

dévaliser; ils épient jour et nuit le moment favorable pour

cela; ils tournoient incessamment pour nous dévorer, et nous

enlever en un moment, par un péché, tout ce que nous avons pu

gagner de grâces et de mérites en plusieurs années. Leur

malice, leur expérience, leurs ruses et leur nombre doivent

nous faire infiniment craindre ce malheur, vu que des

personnes plus pleines de grâces, plus riches en vertus, plus

fondées en expérience et plus élevées en sainteté, ont été

surprises, volées et pillées malheureusement. Ah! combien a-t-

on vu de cèdres du Liban et d’étoiles du firmament tomber

misérablement et perdre toute leur hauteur et leur clarté en

peu de temps! D’où vient cet étrange changement? Ce n’a pas

été faute de grâce, qui ne manque à personne, mais faute

d’humilité: ils se sont crus capables de garder leurs trésors;

ils se sont fiés et appuyés sur eux-mêmes; ils ont cru leur

maison assez sûre, et leurs coffres assez forts pour garder le

précieux trésor de la grâce, et c’est à cause de cet appui

imperceptible qu’ils avaient en eux-mêmes (quoiqu’il leur

semblât qu’ils s’appuyaient uniquement sur la grâce de Dieu),

que le Seigneur très juste a permis qu’ils ont été volés, en

les délaissant à eux-mêmes. Hélas! s’ils avaient connu la

dévotion admirable que je montrerai dans la suite, ils

auraient confié leur trésor à une Vierge puissante et fidèle,

qui le leur aurait gardé comme son bien propre, et même s’en

serait fait un devoir de justice.

89. 3 Il est difficile de persévérer dans la justice à cause

de la corruption étrange du monde. Le monde est maintenant si

corrompu qu’il est comme nécessaire que les coeurs religieux

en soient souillés, sinon par sa boue, du moins par sa

poussière; en sorte que c’est une espèce de miracle quand une

personne demeure ferme au milieu de ce torrent impétueux sans

être entraînée, au milieu de cette mer orageuse sans être

submergée ou pillée par les pirates et les corsaires, au

milieu de cet air empesté, sans en être endommagée; c’est la

Vierge uniquement fidèle dans laquelle le serpent n’a jamais

eu de part, qui fait ce miracle à l’égard de ceux et celles

[qui l’aiment] de la belle manière.

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