motifs de la devotion a la vierge Marie, pourquoi la prier, l’imiter ?

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Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge Marie

                                 «PREPARATION AU REGNE DE JESUS-CHRIST»]

                                          De Saint Louis-Marie Grignion de Monfort

 

 

II. «EN QUOI CONSISTE LA DEVOTION A MARIE»

 

 

[D. LA PARFAITE PRATIQUE DE DEVOTION A MARIE]

 

 

[2. «LES MOTIFS QUI NOUS DOIVENT RENDRE CETTE DEVOTION RECOMMANDABLE»]

 

    

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[Cette dévotion nous livre entièrement au service de Dieu]

[Cette dévotion nous fait imiter l’exemple donné par Jésus- Christ et par Dieu lui-même, et pratiquer l’humilité]

[Cette dévotion nous procure les bons offices de la Sainte Vierge]

[Cette dévotion est un excellent moyen de procurer la plus grande gloire de Dieu]

[Cette dévotion est un chemin pour arriver à l’union avec Notre-Seigneur]

[Cette dévotion est un chemin aisé]

[Cette dévotion est un chemin court]

[Cette dévotion est un chemin parfait]

[Cette dévotion est un chemin assuré]

[Cette dévotion donne une grande liberté intérieure]

[Cette dévotion procure de grands biens au prochain]

[Cette dévotion est un moyen admirable de persévérance]

 

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[Cette dévotion nous livre entièrement au service de Dieu]

 

135. Premier motif, qui nous montre l’excellence de cette

consécration de soi-même à Jésus-Christ par les mains de

Marie.

Si on ne peut concevoir sur la terre d’emploi plus relevé

que le service de Dieu; si le moindre serviteur de Dieu est

plus riche, plus puissant et plus noble que tout les rois et

les empereurs de la terre, s’ils ne sont pas serviteurs de

Dieu, quelles sont les richesses, la puissance et la dignité

du fidèle et parfait serviteur de Dieu, qui sera dévoué à son

service, entièrement, sans réserve et autant qu’il le peut

être! Tel est un fidèle et amoureux esclave de Jésus en Marie,

qui s’est donné tout entier au service de ce Roi des rois, par

les mains de sa sainte Mère, et qui n’a rien réservé pour soi-

même: tout l’or de la terre et les beautés des cieux ne

peuvent pas le payer.

136. Les autres congrégations, associations et confréries

érigées en l’honneur de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère,

qui font de si grands biens dans le christianisme, ne font pas

donner tout sans réserve; elles ne prescrivent à leurs

associés que de certaines pratiques et actions pour satisfaire

à leur obligations; elles les laissent libres pour toutes les

autres actions et les autres temps de leur vie. Mais cette

dévotion ici fait donner sans réserve à Jésus et à Marie

toutes ses pensées, paroles, actions et souffrances, et tous

les temps de sa vie; en sorte que, soit qu’il veille ou qu’il

dorme, soit qu’il boive ou qu’il mange, soit qu’il fasse les

actions les plus grandes, soit qu’il fasse les plus petites,

il est toujours vrai de dire que ce qu’il fait, quoiqu’il n’y

pense pas, est à Jésus et à Marie en vertu de son offrande, à

moins qu’il ne l’ait expressément rétractée. Quelle

consolation!

137. De plus, comme j’ai déjà dit, il n’y a aucune autre

pratique que celle-ci par laquelle on se défasse facilement

d’une certaine propriété, qui se glisse imperceptiblement dans

les meilleures actions; et notre bon Jésus donne cette grande

grâce en récompense de l’action héroïque et désintéressée

qu’on a faite, en lui faisant, par les mains de sa sainte

Mère, une cession de toute la valeur de ses bonnes oeuvres.

S’il donne un centuple, même en ce monde, à ceux qui, pour son

amour, quittent les biens extérieurs, temporels et

périssables, quel sera le centuple qu’il donnera à celui qui

lui sacrifiera même ses biens intérieurs et spirituels!

138. Jésus, notre grand ami, s’est donné à nous sans réserve,

corps et âme, vertus, grâces et mérites: Se toto totum me

comparavit, dit saint Bernard: Il m’a gagné tout entier en se

donnant tout à moi; n’est-il pas de la justice et de la

reconnaissance que nous lui donnions tout ce que nous pouvons

lui donner? Il a été libéral envers nous le premier; soyons-le

les seconds, et nous l’éprouverons pendant notre vie, à notre

mort et dans toute l’éternité, encore plus libéral: Cum

liberali liberalis erit.

 

[Cette dévotion nous fait imiter l’exemple donné par Jésus-

Christ et par Dieu lui-même, et pratiquer l’humilité]

 

139. Second motif, qui nous montre qu’il est juste en soi-même

et avantageux au chrétien de se consacrer tout entier à la

Très Sainte Vierge par cette pratique, afin d’être plus

parfaitement à Jésus-Christ.

Ce bon Maître n’a pas dédaigné de se renfermer dans le

sein de la Sainte Vierge comme un captif et un esclave

amoureux, et de lui être soumis et obéissant pendant trente

années. C’est ici, je le répète, que l’esprit humain se perd,

lorsqu’il fait une sérieuse réflexion à cette conduite de la

Sagesse incarnée, qui n’a pas voulu, quoiqu’elle le pût faire,

se donner directement aux hommes, mais par la Très Sainte

Vierge; qui n’a pas voulu venir au monde à l’âge d’un homme

parfait, indépendant d’autrui, mais comme un pauvre et petit

enfant, dépendant des soins et de l’entretien de sa sainte

Mère. Cette Sagesse infinie, qui avait un désir immense de

glorifier Dieu son Père et de sauver les hommes, n’a point

trouvé de moyen plus parfait et plus court pour le faire que

de se soumettre en toutes choses à la Très Sainte Vierge, non

seulement pendant les huit, dix ou quinze années premières de

sa vie, comme les autres enfants, mais pendant trente ans; et

elle a plus donné de gloire à Dieu son Père, pendant tout ce

temps de soumission et de dépendance de la Très Sainte Vierge,

qu’elle ne lui en eût donné en employant ces trente ans à

faire des prodiges, à prêcher par toute la terre, à convertir

tous les hommes; si autrement, elle l’aurait fait. Oh! oh!

qu’on glorifie hautement Dieu en se soumettant à Marie, à

l’exemple de Jésus!

Ayant devant nos yeux un exemple si visible et si connu

de tout le monde, sommes-nous assez insensés pour croire

trouver un moyen plus parfait et plus court pour glorifier

Dieu que celui de se soumettre à Marie, à l’exemple de son

Fils?

140. Qu’on [se] rappelle ici, pour preuve de la dépendance que

nous devons avoir de la Très Sainte Vierge, ce que j’ai dit

ci-cessus, en rapportant les exemples que nous donnent le

Père, le Fils et le Saint-Esprit, dans la dépendance que nous

devons avoir de la Très Sainte Vierge. Le Père n’a donné et ne

donne son Fils que par elle, ne se fait des enfants que par

elle, et ne communique ses grâces que par elle; Dieu le Fils

n’a été formé pour tout le monde et engendré que par elle dans

l’union au Saint-Esprit, et ne communique ses mérites et ses

vertus que par elle; le Saint-Esprit n’a formé Jésus-Christ

que par elle, ne forme les membres de son Corps mystique que

par elle, et ne dispense ses dons et faveurs que par elle.

Après tant et de si pressants exemples de la très Sainte

Trinité, pouvons-nous, sans un extrème aveuglement, nous

passer de Marie, et ne pas nous consacrer à elle, et dépendre

d’elle pour aller à Dieu et pour nous sacrifier à Dieu?

141. Voici quelques passsages latins des Pères, que j’ai

choisi pour prouver ce que je viens de dire:

Duo filii Mariae sunt, homo Deus et homo purus; unius

corporaliter; et alterius spiritualiter mater est Maria (Saint

Bonaventure et Origène).

Haec est voluntas Dei, qui totum nos voluit habere per

Mariam; ac proinde, si quid spei, si quid gratiae, si quid

salutis ab ea noverimus redundare (saint Bernard).

Omnia dona, virtutes et gratiae ipsius Spiritus Sancti,

quibus vult, quando vult, quomodo vult et quantum vult per

ipsius manus administrantur (saint Bernardin).

Qui indignus eras cui daretur, datum est Mariae, ut per

eam acciperes quidquid haberes (saint Bernard).

142. Dieu, voyant que nous sommes indignes de recevoir ses

grâces immédiatement de sa main, dit saint Bernard, il les

donne à Marie, afin que nous ayons par elle tout ce qu’il veut

nous donner: et il trouve aussi sa gloire à recevoir par les

mains de Marie la reconnaissance, le respect et l’amour que

nous lui devons pour ses bienfaits. Il est donc très juste que

nous imitions cette conduite de Dieu, afin, dit le même saint

Bernard, que la grâce retourne à son auteur par le même canal

qu’elle est venue: Ut eodem alveo ad largitorem gratia redeat

quo fluxit.

C’est ce qu’on fait par notre dévotion: on offre et

consacre tout ce qu’on est et tout ce qu’on possède à la Très

Sainte Vierge, afin que Notre-Seigneur reçoive par son

entremise la gloire et la reconnaissance qu’on lui doit. On se

reconnait indigne et incapable d’approcher de sa Majesté

infinie par soi-même: c’est pourquoi on se sert de

l’intercession de la Très Sainte Vierge.

143. De plus, c’est ici une pratique d’une grande humilité,

que Dieu aime par-dessus les autres vertus. Une âme qui

s’élève abaisse Dieu, une âme qui s’humilie élève Dieu. Dieu

résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles: si vous

vous abaissez, vous croyant indigne de paraître devant lui et

de vous approcher de lui, il descend, il s’abaisse pour venir

à vous, pour se plaire en vous, et pour vous élever malgré

vous; mais tout le contraire, quand on s’approche hardiment de

Dieu, sans médiateur, Dieu s’enfuit, on ne peut l’atteindre.

Oh! qu’il aime l’humilité du coeur! C’est à cette humilité

qu’engage cette pratique de dévotion, puisqu’elle apprend à

n’approcher jamais par soi-même de Notre-Seigneur, quelque

doux et miséricordieux qu’il soit, mais à se servir toujours

de l’intercession de la Sainte Vierge, soit pour paraître

devant Dieu, soit pour lui parler, soit pour l’approcher, soit

pour lui offrir quelque chose, soit pour s’unir et consacrer à

lui.

 

[Cette dévotion nous procure les bons offices de la Sainte

Vierge]

 

144. Troisième motif. – La Très Sainte Vierge, qui est une

mère de douceur et de miséricorde, et qui ne se laisse jamais

vaincre en amour et en libéralité, voyant qu’on se donne tout

entier à elle pour l’honorer et la servir, en se dépouillant

de ce qu’on a de plus cher pour l’en orner, se donne aussi

tout entière et d’une manière ineffable à celui qui lui donne

tout. Elle le fait s’engloutir dans l’abîme de ses grâces;

elle l’orne de ses mérites; elle l’appuie de sa puissance;

elle l’éclaire de sa lumière; elle l’embrase de son amour;

elle lui communique ses vertus: son humilité, sa foi, sa

pureté, etc.; elle se rend sa caution, son supplément et son

tout envers Jésus. Enfin, comme cette personne consacrée est

toute à Marie, Marie est aussi toute à elle; en sorte qu’on

peut dire de ce parfait serviteur et enfant de Marie ce que

saint Jean l’Evangéliste dit de lui-même, qu’il a pris la Très

Sainte Vierge pour tous ses biens: Accepit eam discipulus in

sua.

145. C’est ce qui produit dans son âme, s’il est fidèle, une

grande défiance, mépris et haine de soi-même, et une grande

confiance et un grand abandon à la Sainte Vierge, sa bonne

maîtresse. Il ne met plus, comme auparavant, son appui en ses

dispositions, intentions, mérites, vertus et bonnes oeuvres,

parce qu’en ayant fait un entier sacrifice à Jésus-Christ par

cette bonne Mère, il n’a plus qu’un trésor où sont tous ses

biens, et qui n’est plus chez lui, et ce trésor est Marie.

C’est ce qui le fait approcher de Notre-Seigneur sans

crainte servile ni scrupuleuse, et le prier avec beaucoup de

confiance; c’est ce qui le fait entrer dans les sentiments du

dévot et savant abbé Rupert, qui, faisant allusion à la

victoire que Jacob remporta sur un ange, dit à la Très Sainte

Vierge ces belles paroles: O Marie, ma Princesse, et Mère

inmaculée d’un Dieu-Homme, Jésus-Christ, je désire lutter avec

cet Homme, savoir le Verbe divin, armé non pas de mes propres

mérites, mais des vôtres: O Domina, Dei Genitrix, Maria, et

incorrupta Mater Dei et hominis, non meis, sed tuis armatus

meritis, cum isto Viro, scilicet Verbo Dei, luctari cupio.

(Rup. prolog. in Cantic.).

Oh! qu’on est puissant et fort auprès de Jésus-Christ

quand on est armé des mérites et de l’intercession d’une

digne Mère de Dieu, qui, comme dit saint Augustin, a

amoureusement vaincu le Tout-Puisant!

146. Comme, par cette pratique, on donne à Notre-Seigneur, par

les mains de sa sainte Mère, toutes ses bonnes oeuvres, cette

bonne Maîtresse les purifie, les embellit et les fait accepter

de son Fils.

1 Elle les purifie de toute la souillure de l’amour-

propre et de l’attache imperceptible à la créature qui se

glisse insensiblement dans les meilleures actions. Dès lors

qu’elles sont entre ses mains très pures et fécondes, ces

mêmes mains, qui n’ont jamais été stériles ni oiseuses, et qui

purifient tout ce qu’elles touchent, ôtent du présent qu’on

lui fait tout ce qui peut y avoir de gâté ou imparfait.

147. 2 Elle les embellit, en les ornant de ses mérites et

vertus. Comme si un paysan, voulant gagner l’amitié et la

bienveillance du roi, allait à la reine et lui présentait une

pomme, qui est tout son revenu, afin que la reine la présentât

au roi. La reine, ayant accepté le pauvre petit présent du

paysan, mettrait cette pomme au milieu d’un grand et beau plat

d’or, et la présenterait ainsi au roi de la part du paysan;

pour lors, la pomme, quoique indigne en elle-même d’être

présentée à un roi, deviendrait un présent digne de sa

Majesté, eu égard au plat d’or où elle est et à la personne

qui la présente.

148. 3 Elle présente ces bonnes oeuvres à Jésus-Christ; car

elle ne garde rien de ce qu’on lui présente, pour soi, en

dernière fin; elle renvoie tout à Jésus-Christ fidèlement. Si

on lui donne, on donne nécessairement à Jésus; si on la loue

et on la glorifie, aussitôt elle loue et glorifie Jésus.

Maintenant, comme autrefois lorsque sainte Elisabeth la loua,

elle chante, quand on la loue et la bénit: Magnificat anima

mea Dominum.

149. 4 Elle fait accepter de Jésus ces bonnes oeuvres,

quelque petit et pauvre que soit le présent pour ce Saint des

saints et ce Roi des rois. Quand on présente quelque chose à

Jésus, par soi-même et appuyé sur sa propre industrie et

disposition, Jésus examine le présent, et souvent il le

rejette à cause de la souillure qu’il contracte par l’amour-

propre; comme autrefois il rejeta les sacrifices des Juifs

tout pleins de leur propre volonté. Mais quand on lui présente

quelque chose par les mains pures et virginales de sa bien-

aimée, on le prend par son faible, s’il m’est permis d’user de

ce terme: il ne considère pas tant la chose qu’on lui donne

que sa bonne Mère qui la présente; il ne regarde pas tant d’où

vient ce présent que celle par qui il vient. Ainsi Marie, qui

n’est jamais rebutée, et toujours bien reçue de son Fils, fait

recevoir agréablement de sa Majesté tout ce qu’elle lui

présente, petit ou grand; il suffit que Marie le présente pour

que Jésus le reçoive et l’agrée. C’est le grand conseil que

donnait saint Bernard à ceux et celles qu’il conduisait à la

perfection. Quand vous voudrez offrir quelque chose à Dieu,

ayez soin de l’offrir par les mains très agréables et très

dignes de Marie, à moins que vous ne vouliez être rejeté:

Modicum quod offere desideras, manibus Mariae offerendum

tradere cura, si non vis sustinere repulsam (Saint Bernard,

Lib. de Aquaed.).

150. N’est-ce pas ce que la nature même inspire aux petits à

l’égard des grands, comme nous avons vu? Pourquoi la grâce ne

nous portera-t-elle pas à faire la même chose à l’égard de

Dieu, qui est infiniment élevé au-dessus de nous, et devant

lequel nous sommes moins que des atomes; ayant d’ailleurs une

avocate si puissante qu’elle n’est jamais refusée; si

industrieuse qu’elle sait tous les secrets de gagner le coeur

de Dieu; si bonne et charitable qu’elle ne rebute personne

quelque petit et méchant qu’il soit.

Je rapporterai ci-après la figure véritable des vérités

que je dis, dans l’histoire de Jacob et Rébecca.

 

[Cette dévotion est un excellent moyen de procurer la plus

grande gloire de Dieu]

 

 

151. Quatrième motif. – Cette dévotion fidèlement pratiquée

est un excellent moyen pour faire en sorte que la valeur de

toutes nos bonnes oeuvres soit employée à la plus grande

gloire de Dieu. Presque personne n’agit pour cette noble fin,

quoiqu’on y soit obligé, soit parce qu’on ne connait pas où

est la plus grande gloire de Dieu, soit parce qu’on ne la veut

pas. Mais la Très Sainte Vierge, à qui on cède la valeur et le

mérite de ses bonnes oeuvres, connaissant très parfaitement où

est la plus grande gloire de Dieu, et ne faisant rien que pour

la plus grande gloire de Dieu, un parfait serviteur de cette

bonne Maitresse, qui s’est tout consacré à elle, comme nous

avons dit, peut dire hardiment que la valeur de toutes ses

actions, pensées et paroles, est employé à la plus grande

gloire de Dieu, à moins qu’il ne révoque expressément son

offrande. Peut-on trouver rien de plus consolant pour une âme

qui aime Dieu d’un amour pur et sans intérêt, et qui prise

plus la gloire de Dieu et ses intérêts que les siens?

 

[Cette dévotion est un chemin pour arriver à l’union avec

Notre-Seigneur]

 

152. Cinquième motif. – Cette dévotion est un chemin aisé,

court, parfait et assuré pour arriver à l’union avec Notre-

Seigneur, où consiste la perfection du chrétien.


[Cette dévotion est un chemin aisé]


1 C’est un chemin aisé; c’est un chemin que Jésus-Christ

a frayé en venant à nous, et où il n’y a aucun obstacle pour

arriver à lui. On peut, à la vérité, arriver à l’union divine

par d’autres chemins; mais ce sera par beaucoup plus de croix,

de morts étranges et avec beaucoup plus de difficultés, que

nous ne vaincrons que difficilement. Il faudra passer par des

nuits obscures, par des combats et des agonies étranges, par

sur des montagnes escarpées, par sur des épines très piquantes

et des déserts affreux. Mais par le chemin de Marie, on passe

plus doucement et plus tranquillement.

On y trouve, à la vérité, de grands combats à donner et

de grandes difficultés à vaincre; mais cette bonne Mère et

Maîtresse se rend si proche et si présente à ses fidèles

serviteurs, pour les éclairer dans leurs ténèbres, pour les

éclaircir dans leurs doutes, pour les affermir dans leurs

craintes, pour les soutenir dans leurs combats et leurs

difficultés, qu’en vérité ce chemin virginal pour trouver

Jésus-Christ est un chemin de roses et de miel, à vu les

autres chemins. Il y a eu quelques saints, mais en petit

nombre, comme un saint Ephrem, saint Jean Damascènne, saint

Bernard, saint Bernardin, saint Bonaventure, saint François de

Sales, etc., qui ont passé par ce chemin doux pour aller à

Jésus-Christ, parce que le Saint-Esprit, Epoux fidèle de

Marie, le leur a montré par une grâce singulière; mais les

autres saints, qui sont en plus grand nombre, quoiqu’ils aient

tous eu de la dévotion à la Très Sainte Vierge, n’ont pas

pourtant, ou très peu, entré en cette voie. C’est pourquoi ils

ont passé par des épreuves plus rudes et plus dangereuses.

153. D’où vient donc, me dira quelque fidèle serviteur de

Marie, que les serviteurs fidèles de cette bonne Mère ont tant

d’occasions de souffrir, et plus que les autres qui ne lui

sont pas si dévots? On les contredit, on les persécute, on les

calomnie, on ne les peut souffrir; ou bien ils marchent dans

les ténèbres intérieures et des déserts où il n’y a pas la

moindre goutte de rosée du ciel. Si cette dévotion à la Sainte

Vierge rend le chemin pour trouver Jésus-Christ plus aisé,

d’où vient qu’ils sont les plus crucifiés?

154. Je lui réponds qu’il est bien vrai que les plus fidèles

serviteurs de la Sainte Vierge, étant ses plus grands favoris,

reçoivent d’elle les plus grandes grâces et faveurs du ciel,

qui sont les croix; mais je soutiens que ce sont aussi ces

serviteurs de Marie qui portent ces croix avec plus de

facilité, de mérite et de gloire; et que ce qui arrêteriat

mille fois un autre ou le ferait tomber, ne les arrête pas une

fois et les fait avancer, parce que cette bonne Mère, toute

pleine de grâce et de l’onction du Saint-Esprit, confit toutes

ces croix qu’elle leur taille dans le sucre de sa douceur

maternelle et dans l’onction du pur amour: en sorte qu’ils les

avalent joyeusement comme des noix confites, quoiqu’elles

soient d’elles-mêmes très amères. Et je crois qu’une personne

qui veut être dévote et vivre pieusement en Jésus-Christ, et

par conséquent souffir persécution et porter tous les jours sa

croix, ne portera jamais de grandes croix, ou ne les portera

pas joyeusement ni jusqu’à la fin sans une tendre dévotion à

la Sainte Vierge, qui est la confiture des croix: tout de même

qu’une personne ne pourra pas manger sans une grande violence,

qui ne sera pas durable, des noix vertes sans être confites

dans le sucre.

 

[Cette dévotion est un chemin court]


155. 2 Cette dévotion à la Très Sainte Vierge est un chemin

court pour trouver Jésus-Christ, soit parce qu’on ne s’y égare

point, soit parce que, comme je viens de dire, on y marche

avec plus de joie et de facilité, et, par conséquent, avec

plus de promptitude. On avance plus, en peu de temps de

soumission et de dépendance de Marie, que dans des années

entières de propre volonté et d’appui sur soi-mêne; car un

homme obésissant et soumis à la divine Marie chantera des

victoires signalées sur tous ses ennemis. Ils voudront

l’empêcher de marcher, ou le faire reculer, ou le faire

tomber, il est vrai; mais, avec l’appui, l’aide et la conduite

de Marie, sans tomber, sans reculer et même sans se retarder,

il avancera à pas de géant vers Jésus-Christ, par le même

chemin par lequel il est écrit que Jésus-Christ est venu vers

nous à pas de géant et en peu de temps.

156. Pourquoi pensez-vous que Jésus-Christ a si peu vécu sur

la terre, et qu’en le peu d’années qu’il y a vécu, il a passé

presque toute sa vie dans la soumission et l’obéissance à sa

Mère? Ah! c’est qu’ayant été consommé en peu il a vécu

longtemps et plus longtremps qu’Adam, dont il était venu

réparer les pertes, quoiqu’il ait vécu plus de neuf cents ans;

et Jésus-Christ a vécu longtemps, parce qu’il y a vécu soumis

et bien uni avec sa sainte Mère pour obéir à Dieu son Père;

car: 1 celui qui honore sa mère ressemble à un homme qui

thésaurise, dit le Saint-Esprit, c’est-à-dire que celui qui

honore Marie sa Mère jusqu’à se soumettre à elle, et lui obéir

en toutes choses, deviendra bientôt bien riche, parce qu’il

amasse tous les jours des trésors par le secret de cette

pierre philosophale: Qui honorat matrem, quasi qui

thesaurizat; 2 parce que, selon une interprétation

spirituelle de cette parole du Saint-Esprit: Senectus mea in

misericordia uberi: Ma vieillesse se trouve dans la

miséricorde du sein, c’est dans le sein de Marie, qui a

entouré et engendré un homme parfait et qui a eu la capacité

de contenir Celui que tout l’univers ne comprend ni ne

contient pas, c’est dans le sein de Marie, dis-je, que les

jeunes gens deviennent des vieillards en lumière, en sainteté,

en expérience et en sagesse, et qu’on parvient en peu d’années

jusqu’à la plénitude de l’âge de Jésus-Christ.

 

[Cette dévotion est un chemin parfait]


157. 3 Cette pratique de dévotion à la Très Sainte Vierge est

un chemin parfait pour aller et s’unir à Jésus-Christ, puisque

la divine Marie est la plus parfaite et la plus sainte des

pures créatures, et que Jésus-Christ, qui est parfaitement

venu à nous n’a point pris d’autre route de son grand et

admirable voyage. Le Très-Haut, l’Incompréhensible,

l’Inaccessible, Celui qui Est, a voulu venir à nous, petits

vers de terre, qui ne sommes rien. Comment cela s’est-il fait?

Le Très-Haut a descendu parfaitement et divinement par

l’humble Marie jusqu’à nous, sans rien perdre de sa divinité

et sainteté; et c’est par Marie que les très petits doivent

monter parfaitement et divinement au Très-Haut sans rien

appréhender.

L’Incompréhensible s’est laissé comprendre et contenir

parfaitement par la petite Marie, sans rien perdre de son

immensité; c’est aussi par la petite Marie que nous devons

nous laisser contenir et conduire parfaitement sans aucune

réserve.

L’Inaccessible s’est approché, s’est uni étroitement,

parfaitement et même personnellement à notre humanité par

Marie, sans rien perdre de sa Majesté; c’est aussi par Marie

que nous devons approcher de Dieu et nous unir à sa Majesté

parfaitement et étroitement, sans craindre d’être rebutés.

Enfin, Celui qui Est a voulu venir à ce qui n’est pas, et

faire que ce qui n’est pas devienne Dieu ou Celui qui Est; il

l’a fait parfaitement en se donnant et se soumettant

entièrement à la jeune Vierge Marie, sans cesser d’être dans

le temps Celui qui Est de toute Eternité: de même, c’est par

Marie que, quoique nous ne soyons rien, nous pouvons devenir

semblables à Dieu par la grâce et la gloire, en nous donnant à

elle si parfaitement et entièrement, que nous ne soyons rien

en nous-mêmes et tout en elle, sans craindre de nous tromper.

158. Qu’on me fasse un chemin nouveau pour aller à Jésus-

Christ, et que ce chemin soit pavé de tous les mérites des

bienheureux, orné de toutes leurs vertus héroïques, éclairé et

embelli de toutes les lumières et beautés des anges, et que

tous les anges et les saints y soient pour y conduire,

défendre et soutenir ceux et celles qui y voudront marcher; en

vérité, en vérité, je dis hardiment, et je dis la vérité, que

je prendrais préférablement à ce chemin, qui serait si

parfait, la voie immaculée de Marie: Posui immaculatam viam,

voie ou chemin sans aucune tache ni souillure, sans péché

originel ni actuel, sans ombres ni ténèbres; et si mon aimable

Jésus, dans la gloire, vient une seconde fois sur la terre

(comme il est certain) pour y régner, il ne choisira point

d’autre voie de son voyage que la divine Marie, par laquelle

il est si sûrement et parfaitement venu la première. La

différence qu’il y aura entre sa première et dernière venue,

c’est que la première a été secrète et cachée, la seconde sera

glorieuse et éclatante; mais toutes deux parfaites, parce que

toutes deux seront par Marie. Hélas! voici un mystère qu’on ne

comprend pas: Hic taceat omnis lingua.

 

[Cette dévotion est un chemin assuré]


159. 4 Cette dévotion à la Très Sainte Vierge est un chemin

assuré pour aller à Jésus-Christ et acquérir la perfection en

nous unissant à lui:

1 Parce que cette pratique que j’enseigne n’est pas

nouvelle; elle est si ancienne qu’on ne peut, comme dit Mr.

Boudon, mort depuis peu en odeur de sainteté, dans un livre

qu’il a fait de cette dévotion, en marquer précisément les

commencements; il est cependant certain que, depuis plus de

sept cents ans, on en trouve des marques dans l’Eglise.

Saint Odilon, abbé de Cluny, qui vivait environ l’an

1040, a été un des premiers qui l’a pratiquée publiquement en

France, comme il est marqué dans sa vie.

Le cardinal Pierre Damien rapporte que, l’an 1076, le

bienheureux Marin, son frère, se fit esclave de la Très Sainte

Vierge, en présence de son directeur, d’une manière bien

édifiante: car il se mit la corde au col, et prit la

discipline, et mit sur l ‘autel une somme d’argent pour

marquer son dévouement et consécration à la Sainte Vierge, ce

qu’il continua si fidèlement toute sa vie qu’il mérita à sa

mort d’être visité et consolé par sa bonne Maîtresse, et de

recevoir de sa bouche les promesses du paradis pour récompense

de ses services.

Cesarius Bollandus fait mention d’un illustre chevalier,

Vautier de Birbak, proche parent des ducs de Louvain, qui,

environ l’an 1300, fit cette consécration de soi-même à la

Sainte Vierge.

Cette dévotion a été pratiquée par plusieurs particuliers

jusqu’au XVII siècle, où elle est devenue publique.

160. Le P. Simon de Rojas, de l’Ordre de la Trinité, dit de la

rédemption des captifs, prédicateur du roi Philippe III, mit

en vogue cette dévotion par toute l’Espagne et l’Allemagne; et

obtint, à l’instance de Philippe III, de Grégoire XV, de

grandes indulgences à ceux qui la pratiqueraient.

Le R.P. de Los Rios, de l’Ordre de Saint-Augustin,

s’appliqua avec son intime ami, le Père de Rojas, à étendre

cette dévotion par ses paroles et ses écrits dans l’Espagne et

l’Allemagne; il composa un gros volume intitulé: Hierarchia

Mariana, dans lequel il traite, avec autant de piété que

d’érudition, de l’antiquité, de l’excellence et de la solidité

de cette dévotion.

Les R. Pères Théatins, au siècle dernier, établirent

cette dévotion dans l’Italie, la Sicile et la Savoie.

161. Le R. Père Stanislas Phalacius, de la Compagnie de Jésus,

avança merveilleusement cette dévotion en Pologne.

Le Père de Los Rios, dans son livre cité ci-dessus,

rapporte les noms des princes, princesses, évêques et

cardinaux de différents royaumes qui ont embrassé cette

dévotion.

Le R. Père Cornelius a Lapide, aussi recommendable pour

sa piété que pour sa science profonde, ayant reçu commission

de plusieurs évêques et théologiens d’examiner cette dévotion,

après l’avoir examinée mûrement, lui donna des louanges dignes

de sa piété, et plusieurs autres grands personnages suivirent

son exemple.

Les R.Pères Jésuites, toujours zélés au service de la

Très Sainte Vierge, présentèrent au nom des congréganistes de

Cologne, un petit traité de cette dévotion au duc Ferdinand de

Bavière, pour lors archevêque de Cologne, qui lui donna son

approbation et la permission de le faire imprimer, exhortant

tous les curés et religieux de son diocèse d’avancer autant

qu’ils pourraient cette solide dévotion.

162. Le cardinal de Bérulle, dont la mémoire est en

bénédiction par toute la France, fut un des plus zélés à

étendre en France cette dévotion, malgré toutes les calomnies

et persécutions que lui firent les critiques et les libertins.

Ils l’accusèrent de nouveauté et de superstition; ils

écrivirent et publièrent contre lui un écrit diffamatoire, et

ils se servirent, ou plutôt le démon par leur ministère, de

mille ruses pour l’empêcher d’étendre cette dévotion en

France. Mais ce grand et saint homme ne répondit à leur

calomnie que par sa patience, et à leurs objections contenues

dans leur libelle par un petit écrit où il les réfute

puissamment, en leur montrant que cette dévotion est fondée

sur l’exemple de Jésus-Christ, sur les obligations que nous

lui avons, et sur les voeux que nous avons faits au saint

baptême; et c’est particulièrement par cette dernière raison

qu’il ferme la bouche à ses adversaires, leur faisant voir que

cette cnsécration à la Très Sainte Vierge, et à Jésus-Christ

par ses mains, n’est autre qu’une parfaite rénovation des

voeux ou promesses du baptême. Il dit plusieurs belles choses

sur cette pratique, qu’on peut lire en ses ouvrages.

163. On peut lire dans le livre de Mr. Boudon les différents

papes qui ont approuvé cette dévotion, les théologiens qui

l’ont examinée, et les persécutions qu’elle a eues et

vaincues, et les milliers de personnes qui l’ont embrassée,

sans que jamais aucun pape l’ait condamnée; et on ne le

pourrait pas faire sans renverser les fondements du

christianisme.

Il reste donc constant que cette dévotion n’est point

nouvelle, et que si elle n’est pas commune, c’est qu’elle est

trop précieuse pour être goûtée et pratiquée de tout le monde.

164. 2 Cette dévotion est un moyen assuré pour aller à Jésus-

Christ, parce que le propre de la Sainte Vierge est de nous

conduire sûrement à Jésus-Christ, comme le propre de Jésus-

Christ est de nous conduire sûrement au Père éternel. Et que

les spirituels ne croient pas faussement que Marie leur soit

un empêchement pour arriver à l’union divine. Car, serait-il

possible que celle qui a trouvé grâce devant Dieu pour tout le

monde en général et pour chacun en particulier, fût un

empêchement à une âme pour trouver la grande grâce de l’union

avec lui? Serait-il possible que celle qui a été toute pleine

et surabondante de grâces, si unie et transformée en Dieu,

qu’il a fallu qu’il se soit incarné en elle, empêchât qu’une

âme ne fût parfaitement unie à Dieu?

Il est bien vrai que la vue des autres créatures, quoique

saintes, pourrait peut-être, en de certains temps, retarder

l’union divine; mais non pas Marie comme j’ai dit et dirai

toujours sans me lasser. Une raison pourquoi si peu d’âmes

arrivent à la plenitude de l’âge de Jésus-Christ, c’est que

Marie, qui est, autant que jamais, la Mère de Jésus-Christ et

l’Epouse féconde du Saint-Esprit, n’est pas assez formée dans

leurs coeurs. Qui veut avoir le fruit bien mûr et bien formé

doit avoir l’arbre qui le produit; qui veut avoir le fruit de

vie, Jésus-Christ, doit avoir l’arbre de vie, qui est Marie.

Qui veut avoir en soi l’opération du Saint-Esprit, doit avoir

son Epouse fidèle et indissoluble, la divine Marie, qui le

rend fertile et fécond, comme nous avons dit ailleurs.

165. Soyez donc persuadé que plus vous regarderez Marie en vos

oraisons, contemplations, actions et souffrances, sinon d’une

vue distincte et aperçue, du moins d’une vue générale et

imperceptible, et plus parfaitement vous trouverez Jésus-

Christ qui est toujours avec Marie, grand, puissant, opérant

et incompréhensible, et plus que dans le ciel et en aucune

créature de l’univers. Ainsi, bien loin que la divine Marie,

toute perdue en Dieu, devienne un obstacle aux parfaits pour

arriver à l’union avec Dieu, il n’y a point eu jusqu’ici et il

n’y aura jamais de créature qui nous aidera plus efficacement

à ce grand ouvrage, soit par les grâces qu’elle nous

communiquera à cet effet, personne n’étant rempli de la pensée

de Dieu que par elle, dit un saint: Nemo cogitatione Dei

repletur nisi per te; soit par les illusions et tromperies du

malin esprit dont elle vous garantira.

166. Là où est Marie, là l’esprit malin n’est point; et une

des plus infaillibles marques qu’on est conduit par le bon

esprit, c’est quand on est bien dévot à Marie, qu’on pense

souvent à elle, et qu’on en parle souvent. C’est la pensée

d’un saint qui ajoute que, comme la respiration est une marque

certaine que le corps n’est pas mort, la fréquente pensée et

invocation amoureuse de Marie est une marque certaine que

l’âme n’est pas morte par le péché.

167. Comme c’est Marie seule, dit l’Eglise et le Saint-Esprit

qui la conduit, qui a seule fait périr toutes les hérésies:

Sola cunctas haereses interemisti in universo mundo; quoique

les critiques en grondent, jamais un fidèle dévot de Marie ne

tombera dans l’hérésie ou illusion du moins formelle; il

pourra bien errer matériellement, prendre le mensonge pour la

vérité, et le malin esprit pur le bon, quoique plus

difficilement qu’un autre; mais il connaîtra tôt ou tard sa

faute et son erreur matérielle; et quand il la connaîtra, il

ne s’opiniâtrera en aucune manière à croire et à soutenir ce

qu’il avait cru véritable.

168. Quiconque donc, sans crainte d’illusion, qui est

ordinaire aux personnes d’oraison, veut avancer dans la voie

de la perfection et trouver sûrement et parfaitement Jésus-

Christ, qu’il embrasse avec grand coeur, corde magno et animo

volenti, cette dévotion à la Très Sainte Vierge, qu’il n’avait

peut-être pas encore connue. Qu’il entre dans le chemin

excellent qui lui était inconnu et que je lui montre:

Excellentiorem viam vobis demonstro.

C’est un chemin frayé par Jésus-Christ, la Sagesse

incarnée, notre unique chef, le membre en y passant ne peut se

tromper. C’est un chemin aisé, à cause de la plénitude de la

grâce et de l’onction du Saint-Esprit qui le remplit; on ne se

lasse point ni on ne recule point en y marchant. C’est un

chemin court, qui, en peu de temps, nous mène à Jésus-Christ.

C’est un chemin parfait, où il n’y a aucune boue, aucune

poussière, ni la moindre ordure du péché. C’est enfin un

chemin assuré, qui nous conduit à Jésus-Christ et à la vie

éternelle d’une manière droite et assurée, sans détourner à

droite, ni à gauche.

Entrons donc dans ce chemin, et marchons-y jour et nuit,

jusqu’à la plénitude de l’âge de Jésus-Christ.

 

[Cette dévotion donne une grande liberté intérieure]

 

169. Sixième motif. – Cette pratique de dévotion donne une

grande liberté intérieure, qui est la liberté des enfants de

Dieu, aux personnes qui la pratiquent fidèlement. Car, comme

par cette dévotion on se rend esclave de Jésus-Christ, en se

consacrant tout à lui en cette qualité, ce bon Maître, pour

récompense de la captivité amoureuse où on se met: 1 ôte tout

scrupule et crainte servile de l’âme qui n’est capable que de

l’étrécir et captiver et embrouiller; 2 il élargit le coeur

par une sainte confiance en Dieu, le faisant regarder comme

son père; 3 il lui inspire un amour tendre et filial.

170. Sans m’arrêter à prouver cette vérité par des raisons, je

me contente de rapporter un trait d’histoire que j’ai lu dans

la Vie de la Mère Agnès de Jésus, religieuse Jacobine, du

couvent de Langeac, en Auvergne, et qui mourut en odeur de

sainteté au même lieu, l’an 1634. N’ayant encore que sept ans

et souffrant de grandes peines d’esprit, elle entendit une

voix qui lui dit que, si elle voulait être délivrée de toutes

ses peines et protégée contre tous ses ennemis, elle se fît au

plus tôt l’esclave de Jésus et de sa sainte Mère. Elle ne fut

pas plus tôt de retour à la maison qu’elle se donna tout

entière à Jésus et à sa sainte Mère en cette qualité,

quoiqu’elle ne sût pas auparavant ce que c’était que cette

dévotion; et, ayant trouvé une chaine de fer, elle se la mit

sur ses reins et la porta jusqu’à la mort. Et après cette

action, toutes ses peines et scrupules cessèrent, et elle se

trouva dans une grande paix et dilatation de coeur, ce qui

l’engagea à enseigner cette dévotion à plusieurs autres qui y

ont fait de grands progrès, entre autres à Mr. Olier,

instituteur du Séminaire de Saint-Sulpice, et à plusieurs

prêtres et ecclésiastiques du même séminaire… Un jour, la

Sainte Vierge lui apparut et lui mit au col une chaîne d’or

pour lui témoigner la joie qu’elle avait qu’elle se fût faite

l’esclave de son Fils et la sienne: et sainte Cécile, qui

accompagnait la Sainte Vierge, lui dit: Heureux ceux qui sont

les fidèles esclaves de la Reine du ciel, car il jouiront de

la véritable liberté: Tibi servire libertas.

 

[Cette dévotion procure de grands biens au prochain]


171. Septième motif. – Ce qui peut encore nous engager à

embrasser cette pratique, ce sont les grands biens qu’en

recevra notre prochain, car par cette pratique on exerce

envers lui la charité d’une manière éminente, puisqu’on lui

donne, par les mains de Marie, tout ce qu’on a de plus cher,

qui est la valeur satisfactoire et impétratoire de toutes ses

bonnes oeuvres, sans excepter la moindre bonne pensée et la

moindre petite souffrance; on consent que tout ce qu’on a

acquis, et ce qu’on acquerra, jusqu’à la mort, de

satisfactions soit, selon la volonté de la Sainte Vierge,

employé ou à la conversion des pécheurs ou à la délivrance des

âmes du purgatoire.

N’est-ce pas là aimer son prochain parfaitement? N’est-ce

pas là être le véritable disciple de Jésus-Christ, qu’on

reconnait par la charité? N’est-ce pas là le moyen de

convertir les pécheurs, sans crainte de la vanité, et de

délivrer les âmes du purgatoire, sans presque faire rien autre

que ce que chacun est obligé de faire dans son état?

172. Pour connaître l’excellence de ce motif, il faudrait

connaître quel bien c’est que de convertir un pécheur ou

délivrer une âme du purgatoire: bien infini, qui est plus

grand que de créer le ciel et la terre, puisqu’on donne à une

âme la possession de Dieu. Quand, par cette pratique, on ne

délivrerait qu’une âme du purgatoire en toute sa vie, ou qu’on

ne convertirait qu’un pécheur, n’en serait-ce pas assez pour

engager tout homme vraiment charitable à l’embrasser?

Mais il faut remarquer que nos bonnes oeuvres, passant

par les mains de Marie, reçoivent une augmentation de pureté,

et par conséquent de mérite et de valeur satisfactoire et

impétratoire: c’est pourquoi elles deviennent beaucoup plus

capables de soulager les âmes du purgatoire et de convertir

les pécheurs que si elles ne passaient pas par les mains

virginales et libérales de Marie. Le peu qu’on donne par la

Sainte vierge, sans propre volonté, en vérité devient bien

puissant pour fléchir la colère de Dieu et pour attirer sa

miséricorde; et il se trouvera peut-être à la mort qu’une

personne bien fidèle à cette pratique aura, par ce moyen,

délivré plusieurs âmes du purgatoire et converti plusieurs

pécheurs, quoiqu’elle n’ait fait que des actions de son état

assez ordinaires. Quelle joie à son jugement! Quelle gloire

dans l’éternité!

 

 

[Cette dévotion est un moyen admirable de persévérance]


173. Huitième motif. – Enfin, ce qui nous engage plus

puissamment, en quelque manière, à cette dévotion à la Très

Sainte Vierge, c’est que c’est un moyen admirable pour

persévérer dans la vertu et être fidèle. Car d’où vient est-ce

que la plupart des conversions des pécheurs ne sont pas

durables? D’où vient est-ce qu’on retombe si aisément dans le

péché? D’où vient est-ce que la plupart des justes, au lieu

d’avancer de vertu en vertu et acquérir de nouvelles grâces,

perdent souvent le peu de vertus et de grâces qu’ils ont? Ce

malheur vient, comme j’ai montré ci-devant, de ce que l’homme,

étant si corrompu, si faible et si inconstant, se fie à lui-

même, s’appuie sur ses propres forces et se croit capable de

garder le trésor de ses grâces, de ses vertus et mérites.

Par cette dévotion, on confie à la Sainte Vierge, qui est

fidèle, tout ce qu’on possède; on la prend pour la dépositaire

universelle de tous ses biens de nature et de grâce. C’est à

sa fidélité que l’on se fie; c’est sur sa puissance que l’on

s’appuie, c’est sur sa miséricorde et sa charité que l’on se

fonde, afin qu’elle conserve et augmente nos vertus et

mérites, malgré le diable, le monde et la chair, qui font

leurs efforts pour nous les enlever. On lui dit, comme un bon

enfant à sa mère, et un fidèle serviteur à sa maîtresse:

Depositum custodi: Ma bonne Mère et Maîtresse, je reconnais

que j’ai jusqu’ici plus reçu de grâces de Dieu par votre

intercession que je ne mérite, et que ma funeste expérience

m’apprend que je porte ce trésor en un vaisseau très fragile

et que je suis trop faible et trop misérable pour les

conserver en moi-même: adolescentulus sum ego et contemptus;

de grâce, recevez en dépôt tout ce que je possède, et me le

conservez par votre fidélité et votre puissance. Si vous me

gardez, je ne perdrai rien; si vous me soutenez, je ne

tomberai point; si vous me protégez, je suis à couvert de mes

ennemis.

174. C’est ce que dit saint Bernard en termes formels, pour

nous inspirer cette pratique: Lorsqu’elle vous soutient, vous

ne tombez point; lorsqu’elle vous protège, vous ne craignez

point; lorsqu’elle vous conduit, vous ne vous fatiguez point;

lorsqu’elle vous est favorable, vous arrivez au port du salut:

Ipsa tenente, non corruis; ipsa protegente, non metuis; ipsa

duce, non fatigaris; ipsa propitia, pervenis (Serm. super

Missus). Saint Bonaventure semble encore dire la même chose en

des termes plus formels: La Sainte Vierge, dit-il, n’est pas

seulement retenue dans la plénitude des saints; mais elle

retient encore et garde les saints dans leur plénitude, afin

qu’elle ne diminue point; elle empêche que leurs vertus ne se

perdent, que leurs mérites ne périssent, que leurs grâces ne

se perdent,que les démons ne leur nuisent; enfin, elle empêche

que Notre-Seigneur ne les châtie quand ils pêchent: Virgo non

solum in plenitudine sanctorum detinetur, sed etiam in

plenitudine sanctos detinet, ne plenitudo minuatur; detinet

merita ne pereant; detinet gratias ne effluant; detinet

daemones ne noceant; detinet Filium ne peccatores percutiat.

175. La Très Sainte Vierge est la Vierge fidèle qui, par sa

fidélité à Dieu, répare les pertes qu’a faites Eve l’infidèle

par son infidélité, et qui obtient la fidélité à Dieu et la

persévérance à ceux et celles qui s’attachent à elle. C’est

pourquoi un saint la compare à une ancre ferme, qui les

retient et les empêche de faire naufrage dans la mer agitée de

ce monde où tant de personnes périssent faute de s’attacher à

cette ancre ferme: Nous attachons, dit-il, les âmes à votre

espérance comme à une ancre ferme: Animas ad spem tuam sicut

ad firmam anchoram alligamus. C’est à elle que les saints qui

se sont sauvés se sont le plus attachés et ont attaché les

autres, afin de persévérer dans la vertu. Heureux donc et

mille fois heureux les chrétiens qui, maintenant, s’attachent

fidèlement et entièrement à elle comme à une ancre ferme. Les

effets de l’orage de ce monde ne les feront point submerger,

ni perdre leurs trésors célestes. Heureux ceux et celles qui

entrent dans elle comme dans l’arche de Noé! Les eaux du

déluge de péchés, qui noient tant de monde, ne leur nuiront

point, car: Qui operantur in me non peccabunt: Ceux qui sont

en moi pour travailler à leur salut ne pécheront point, dit-

elle avec la Sagesse. Heureux les enfants infidèles de la

malheureuse Eve qui s’attachent à la Mère et Vierge fidèle,

qui demeure toujours fidèle et ne se dément jamais: Fidelis

permanet, se ipsam negare non potest, et qui aime toujours

ceux qui l’aiment: Ego diligentes me diligo, non seulement

d’un amour affectif, mais d’un amour effectif et efficace, en

les empêchant, par une grande abondance de grâces, de reculer

dans la vertu ou de tomber dans le chemin en perdant la grâce

de son Fils.

176. Cette bonne Mère reçoit toujours, par pure charité, tout

ce qu’on lui donne en dépôt; et, quand elle l’a une fois reçu

en qualité de dépositaire, elle est obligée par justice, en

vertu du contrat de dépôt, de nous le garder; tout comme une

personne à qui j’aurais confié mille écus en dépôt serait

obligée de me les garder, en sorte que si, par sa négligence,

mes mille écus venaient à être perdus, elle en serait

responsable en bonne justice. Mais non, jamais la fidèle Marie

ne laissera perdre par sa négligence ce qu’on lui aura confié:

le ciel et la terre passeraient plutôt qu’elle fût négligente

et infidèle envers ceux qui se fient en elle.

177. Pauvres enfants de Marie, votre faiblesse est extrème,

votre inconstance est grande, votre fond est bien gâté. Je

l’avoue, vous êtes tirés de la même masse corrompue des

enfants d’Adam et d’Eve; mais ne vous découragez pas pour

cela; mais consolez-vous; mais réjouissez-vous: voici le

secret que je vous apprends, secret inconnu de presque tous

les chrétiens même les plus dévots.

Ne laissez pas votre or et votre argent dans vos coffres,

qui ont déjà été enfoncés par l’esprit malin qui vous a volé,

et qui sont trop petits, trop faibles et trop vieux pour

contenir un trésor si grand et si précieux. Ne mettez pas

l’eau pure et claire de la fontaine dans vos vaisseaux tout

gâtés et infectés par le péché; si le péché n’y est plus, son

odeur y est encore; l’eau en sera gâtée. Ne mettez pas vos

vins exquis dans vos anciens tonneaux qui ont été remplis de

mauvais vins: ils en seraient gâtés et en danger d’être

répandus.

178. Quoique vous m’entendiez, âmes prédestinées, je parle

plus ouvertement. Ne confiez pas l’or de votre charité,

l’argent de votre pureté, les eaux des grâces célestes, ni les

vins de vos mérites et vertus à un sac percé, à un coffre

vieux et brisé, à un vaisseau gâté et corrompu comme vous

êtes; autrement vous serez pillés par les voleurs, c’est-à-

dire les démons qui cherchent et épient, nuit et jour, le

temps propre pour le faire; autrement, vous gâterez, par votre

mauvaise odeur d’amour de vous-même, de confiance en vous-même

et de propre volonté, tout ce que Dieu vous donne de plus pur.

Mettez, versez dans le sein et le coeur de Marie tous vos

trésors, toutes vos grâces et vertus: c’est un vaisseau

d’esprit, c’est un vaisseau d’honneur, c’est un vaisseau

insigne de dévotion: Vas spirituale, vas honorabile, vas

insigne devotionis. Depuis que Dieu même en personne s’est

enfermé avec toutes ses perfections dans ce vaisseau, il est

devenu tout spirituel et la demeure spirituelle des âmes les

plus spirituelles; il est devenu honorable, et le tròne

d’honneur des plus grands princes de l’éternité; il est devenu

insigne en dévotion, et le séjour des plus illustres en

douceur, en grâces et en vertus; il est enfin devenu riche

comme une maison d’or, fort comme une tour de David et pur

comme une tour d’ivoire.

179. Oh! qu’un homme qui a tout donné à Marie, qui se confie

et perd en tout et pour tout en Marie, est heureux! Il est

tout à Marie, et Marie est tout à lui. Il peut dire hardiment

avec David: Haec facta est mihi: Marie est faite pour moi; ou,

avec le Disciple bien-aimé: Accepi eam in mea. Je l’ai prise

pour tout mon bien, ou, avec Jésus-Christ: Omnia mea tua sunt,

et omnia tua mea sunt: Tout ce que j’ai est à vous, et tout ce

que vous avez est à moi.

180. Si quelque critique, qui lira ceci, s’imagine que je

parle ici par exagération et par une dévotion outrée, hélas il

ne m’entend pas, soit parce qu’il est un homme charnel, qui ne

goûte point les choses de l’esprit, soit parce qu’il est du

monde, qui ne peut recevoir le Saint-Esprit, soit parce qu’il

est orgueilleux et critique, qui condamne et méprise tout ce

qu’il n’entend pas. Mais les âmes qui ne sont pas nées du

sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de

l’homme, mais de Dieu et de Marie, me comprennent et me

goûtent; et c’est pour elles aussi que j’écris ceci.

181. Cependant je dis pour les uns et les autres, en reprenant

ma matière interrompue, que la divine Marie, étant la plus

honnête et la plus libérale de toutes les pures créatures,

elle ne se laisse jamais vaincre en amour et en libéralité; et

pour un oeuf, dit un saint, qu’on lui donne, elle donne un

boeuf; c’est-à-dire, pour peu qu’on lui donne, elle donne

beaucoup de ce qu’elle a reçu de Dieu; et, par conséquent, si

une âme se donne à elle sans réserve, elle se donne à cette

âme sans réserve, si on met toute sa confiance en elle sans

présomption, travaillant de son côté à acquérir les vertus et

à dompter ses passions.

182. Que les fidèles serviteurs de la Sainte Vierge disent

donc hardiment avec saint Jean Damascène: "Ayant confiance en

vous, ô Mère de Dieu, je serai sauvé; ayant votre protection,

je ne craindrai rien; avec votre secours, je combattrai et

mettrai en fuite mes ennemis: car votre dévotion est une arme

de salut que Dieu donne à ceux qu’il veut sauver: Spem tuam

habens, o Deipara, servabor; defensionem tuam possidens, non

timebo; persequar inimicos meos et in fugam vertam, habens

protectionem tuam et auxilium tuum; nam tibi devotum esse est

arma quaedam salutis quae Deus his dat quos vult salvos fieri"

(Joan. Damas., ser. de Annuntiat).

 

 

 

 

 

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