lettres de Soeur Marie Lataste

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                        Les lettres de Sœur Marie Lataste 

 

LETTRE I, Nécessité d’un directeur.

Monsieur le Curé,

Vous m’avez demandé si la voix qui m’entretenait m’avait jamais parlé de mon directeur de manière à former là-dessus une instruction. Je vous ai déjà répondu que oui.

Le Sauveur Jésus, car il me semble que c’est bien lui qui me parle, m’a donné plusieurs avis sur ma manière d’agir vis-à-vis de mon directeur. Je l’ai rappelé dans mes cahiers quand j’en ai trouvé l’occasion. Mais, outre cela, il m’a parlé d’une manière toute particulière de mon directeur dès le commencement où j’ai eu le bonheur d’entendre sa voix. Il m’a parlé trois fois de suite sur ce sujet et dans l’ordre suivant : Premièrement, de la nécessité d’un directeur; secondement, de la manière d’agir avec un directeur; troisièmement, des qualités d’un directeur.

Je vais rapporter le premier entretien, savoir : de la nécessité d’un directeur.

" Ma fille, me dit un jour le Sauveur Jésus après la sainte messe, je vous ai souvent recommandé de parler à celui qui vous dirige de ce que vous éprouvez dans vos relations avec moi. Vous ne vous êtes jamais demandé à vous-même le motif de cette recommandation. Vous le comprendrez plus tard. Vous ne vous êtes jamais demandé non plus pourquoi vous avez non seulement un confesseur, mais aussi un directeur dans celui à qui vous faites connaître les secrets de votre âme. Je veux vous le faire comprendre et vous montrer comment il est nécessaire qu’il en soit ainsi.

" Depuis la révolte du premier homme, tous les hommes sont plongés dans les ténèbres; ils ont des yeux et ils sont néanmoins incapables de se conduire eux-mêmes dans la voie qui mène à Dieu. La vie, en effet, est entourée de dangers, de périls, de précipices; les ennemis de l’homme se dressent partout sur son passage, et voilà pourquoi il faut à l’homme une lumière autre que celle de son œil ou de son intelligence, pour qu’il puisse marcher sûrement, et c’est ainsi, à l’aide de directeurs ou de conseillers, que tous les hommes doivent poursuivre leur carrière vers l’éternité.

" Telle est la volonté de Dieu. L’homme a péché par orgueil et voulu marcher par sa propre lumière, il est puni par où il a péché, et jusqu’à la fin des siècles l’homme marchera dans la voie du salut d’après les lumières d’autrui.

" Vous savez ce qui se passait dès le commencement du monde. Les chefs de famille étaient les conseillers de toute la famille; et comme ils ne pouvaient trouver dans leurs enfants les conseillers dont ils avaient besoin pour eux-mêmes, c’était Dieu qui leur faisait entendre sa voix et leur prêtait ses lumières et ses conseils. Tels étaient les chefs de famille, les patriarches, les législateurs, les juges, les prophètes et les pontifes du peuple de Dieu. Les conseils de ces hommes inspirés de Dieu étaient la lumière du peuple.

" Quand le moment fut venu, je vins moi-même pour être le conseiller universel de l’humanité. Je vins lui rendre la lumière, la vérité et la vie. J’ai répandu cette lumière, cette vérité et cette vie dans mes apôtres, et, à travers les générations, elles passent par le sacerdoce de ceux que j’ai choisis pour mes ministres, éclairant les intelligences, les nourrissant de la seule nourriture véritable, les vivifiant et les portant chaque jour par une vie plus forte et plus généreuse au centre de la vie qui ne finira jamais.

" Ainsi donc, ma fille, l’homme doit se servir d’un conseiller ou d’un directeur, parce que Dieu a réglé ainsi le commerce de la vie surnaturelle.

" Voyez l’homme, ma fille dans le commerce de la vie naturelle; il consulte, il demande avis, conseil et lumière; fût-il le plus savant, le plus éclairé, le plus sage des hommes, il se défie de lui-même, il a recours à autrui. La vie surnaturelle, à plus forte raison, demande qu’on agisse ainsi, si l’on veut marcher droit dans cette vie, ne point se perdre ni faire fausse route.

" Vous comprenez, en effet, ma fille, que la vie surnaturelle est d’une importance bien autre que la vie naturelle qui est pour le temps, tandis que l’autre est pour l’éternité. Voilà pourquoi, si vous examinez le monde surnaturel, vous verrez tous les saints, les plus grands docteurs, le docteur des nations lui-même, frappé sur le chemin de Damas, demander à autrui conseil et lumière pour marcher vers Dieu.

" Seul, je puis me passer de conseil et de lumière, parce que je suis le conseil et la lumière de tous; mais tous les hommes sont soumis à marcher d’après la lumière d’autrui, non d’après leur lumière et leurs conseils.

" Les hommes les plus savants et les plus sages pour diriger les autres ressemblent à des aveugles qui se trouvent sur un chemin seuls et sans guide, quand ils veulent marcher d’après leur propre sagesse. Ils tâtonnent, ils vont à pas lents pendant quelques jours et puis ils tombent dans des abîmes. Car l’homme est aveugle pour ce qui le concerne lui-même, il prend aisément ce qui est vicieux et défectueux pour le bien ou la vertu, et l’erreur est pour lui une cause de chute et de mort. Il tombe, parce qu’il n’a personne pour le guider; il meurt, parce qu’il n’a point le secours d’un ami qui le retire d’un précipice.

" Vous devez voir clairement, ma fille, que si Dieu a voulu que tous les hommes eussent un directeur, et si un directeur est chose si nécessaire que même sans la volonté expresse de Dieu tous les hommes devraient en avoir un, combien il vous importe d’être dirigée dans le chemin du salut par un guide autre que vous-même.

" Oui, ma fille, vous avez besoin d’un directeur, afin qu’il vous apprenne ce que vous ignorez : la science du salut, la science de la vie surnaturelle. Bien que par bonté pour vous je veuille vous instruire moi-même, il est nécessaire que vous soumettiez mes instructions à votre directeur, afin que vous appreniez par lui et que vous sachiez d’une manière certaine que vous pouvez recevoir mes enseignements, et vous y conformer parce qu’ils ne renferment rien de contraire à la vérité sur l’objet de votre foi, de votre espérance, de votre charité et des actions de toute votre vie. Vous craignez d’être victime d’illusions; qui vous rassurera, si ce n’est votre directeur?

" Vous avez besoin d’un directeur, afin qu’il vous exerce dans la pratique de toutes les vertus, afin qu’il vous indique les moyens d’éviter les péchés et qu’il règle votre discrétion dans l’accomplissement de vos devoirs envers Dieu.

" Vous avez besoin d’un directeur pour accroître vos mérites de l’éternité et votre couronne du ciel, par votre obéissance et votre soumission à tout ce qu’il vous prescrira. L’obéissance à la voix de votre directeur vous donnera une plus grande ressemblance avec moi qui faisais toujours sur la terre la volonté de mon Père.

" Vous avez besoin d’un directeur, parce que la vie est pleine de misères, de tribulations et d’épreuves; il faut donc une parole pour consoler dans les tribulations, un secours pour fortifier dans les combats. Or, voilà ce que vous trouverez dans votre directeur.

" Enfin, ma fille, vous avez besoin d’un directeur, parce que vous êtes, comme tous les enfants d’Adam, victime du péché, entraînée au mal, sujette à offenser Dieu.

" Suivez donc les lumières, les conseils et les avis que vous recevrez de votre directeur. Ne vous affligez pas si je vous ai enlevé celui qui vous avait le premier montré la voie. Je vous le dis en vérité, vous bénirez ma providence un jour de vous avoir placée entre les mains de celui que je vous ai envoyé. "

Tel a été, Monsieur le Curé, le premier entretien. Je vous livrerai les deux autres dans le courant de la semaine; mes occupations ne me permettent pas de les écrire aujourd’hui.

Je vous offre, Monsieur le Curé, mes sentiments les plus respectueux et je vous prie de me croire,

Votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 1er mai 1842.

LETTRE 2, Manière d’agi vis-à-vis d’un directeur.

Monsieur le Curé,

Voici le second entretien du Sauveur Jésus. Il m’a appris dans cet entretien de quelle manière je devrais me conduire vis-à-vis de mon directeur.

" Ma fille, me dit-il, je veux vous apprendre comment vous devez vous conduire vis-à-vis de votre directeur. Il y a en vous deux manières d’agir, l’une intérieure, l’autre extérieure : la première consiste dans les sentiments intimes de votre âme, la seconde dans vos actes ou relations extérieures.

" Quelle doit être votre conduite intérieure par rapport à votre directeur? Par quoi doit-elle être réglée? Ma fille, c’est par des sentiments de foi et de religion.

" Votre directeur est revêtu de mon sacerdoce, c’est-à-dire de la dignité la plus grande qu’il soit possible de communiquer à un homme. Il est prêtre, il tient ma place, il agit comme j’agirais moi-même, il a tous mes pouvoirs. Vous devez par conséquent me regarder comme vivant en sa personne; vous devez m’honorer en l’honorant, me respecter en le respectant; écouter ma voix en écoutant sa voix, m’être soumise en lui donnant votre soumission; vous devez enfin avoir pour lui les sentiments de la plus grande et de la plus sincère reconnaissance : vous devez l’aimer comme le père spirituel de votre âme, comme votre guide, votre conseiller et votre sauveur, car il continue près de vous le rôle de sauveur que je lui ai communiqué, comme je le communique à tous mes prêtres.

" Ces sentiments seront aussi la règle de votre conduite extérieure.

" Si vous agissez avec foi et religion, vous vous ferez connaître à votre directeur avec simplicité, lui disant tout ce que vous savez, ne lui cachant rien, lui communiquant vos secrets et vos peines les plus intimes, vous lui parlerez comme à Dieu, que vous ne voudriez point tromper, parce qu’il connaît tout, même les plus secrètes pensées; vous lui parlerez comme à Dieu, c’est-à-dire comme à votre père, avec confiance et abandon, espérant tout de lui, et vous abandonnant à lui avec cette persuasion qu’il agira le mieux possible pour vous éclairer, pour vous secourir et vous aider dans les combats ou les épreuves de votre vie.

" Vous vous soumettrez à sa volonté comme à ma propre volonté. Vous ne discuterez point avec lui. Vous vous en rapporterez à sa sagesse. Vous serez entre ses mains comme un instrument plein d’intelligence pour accomplir ce qui lui aura été prescrit.

" Il vous est permis, néanmoins, en certains cas, d’exposer humblement avec déférence une observation, mais il fait le faire toujours avec l’intention de ne point vous obstiner, et d’agir ensuite selon la volonté de votre directeur quand il aura reçu votre observation.

" En agissant ainsi, ma fille, votre conduite sera irréprochable, votre conduite sera pleine de mérites, et vous obtiendrez la récompense que j’ai promise à ceux qui écoutent ma parole. Je viendrai en vous et je ferai en vous ma demeure. "

C’est ainsi que le Sauveur Jésus m’a dit d’agir vis-à-vis de mon directeur.

Je ne sais si en toute circonstance j’ai agi ainsi; mais mon désir le plus vrai est de me conformer toujours à cet enseignement.

Oui, Monsieur, je veux me soumettre en toutes choses à ce qu’il vous plaira de me conseiller ou de m’ordonner. Je veux n’avoir point d’autre volonté que la vôtre.

Pour ce qui concerne la franchise ou la simplicité avec laquelle je vous découvrirai tout ce qui se passe en moi, je vous assure que mon intention bien formelle est de ne vous rien cacher, et si je ne vous dis pas tout, c’est que je l’aurai oublié.

Permettez-moi, Monsieur le Curé et très vénéré Père en Notre-Seigneur Jésus-Christ, de vous offrir tous les sentiments de respect et de piété filiale que le Sauveur m’a recommandé d’avoir pour vous.

Votre très humble et très obéissante servante,

Marie.

Mimbaste, 5 mai 1842.

LETTRE 3, Les qualités du directeur.

Monsieur le Curé,

Le sujet du troisième entretien du Sauveur Jésus a été des qualités du directeur.

" Ma fille, me dit-il, un directeur doit montrer la voie, par conséquent il doit être prudent; il doit enseigner la vérité, par conséquent il doit être savant; il doit fortifier la vie surnaturelle, par conséquent il doit être plein de charité.

" La prudence est la première qualité d’un directeur. Sans la prudence, comment un directeur pourrait-il faire éviter les écueils semés à chaque pas dans le chemin de la vie? Comment saurait-il prendre les moyens les plus propres à arrêter le mal, à éviter le péché, à dissiper la tiédeur, à former à une piété franche, solide et pleine de fermeté? Sans la prudence, comment un directeur donnera-t-il conseil dans les diverses positions des âmes? Agira-t-il vis-à-vis d’un pécheur comme vis-à-vis d’une personne déjà avancée dans la perfection? À l’égard d’une âme faible comme à l’égard d’une âme pleine de vigueur? Sans la prudence, il fera faire fausse route aux âmes qu’il dirigera, il ne leur montrera point la voie droite qui mène à Dieu.

" La seconde qualité d’un directeur, c’est la science. La science doit être unie à la prudence. Elles sont réciproquement leur aide et leurs secours respectifs. Un directeur peut avoir en lui une certaine rectitude de jugement, une certaine sagesse naturelle qui lui permettra dans les cas ordinaires d’être utile aux âmes qu’il dirige; mais s’il n’est point savant, ne sera-t-il pas arrêté à chaque pas? Ne ressemblera-t-il pas à un aveugle qui en conduit un autre et qui tombent tous deux dans le précipice? Comment montrera-t-il la vérité, s’il ne la connaît pas lui-même? Comment jugera-t-il, s’il ne sait point la manière dont il doit juger?

" C’est au directeur des âmes que l’Esprit-Saint s’adresse par la bouche du prophète quand il dit : Instruisez-vous, vous qui jugez la terre.

" Rien n’est aussi nécessaire que la science à un directeur, car sans la science il perd les autres et se perd lui-même. Malheur aux âmes dirigées par un ignorant! Malheur aux ignorants directeurs des âmes!

" Ma fille, un directeur doit être plein de charité. Il doit vivre dans la charité de Dieu, pour donner aux autres la vie de la charité.

" La charité le rend juste, vertueux, zélé : juste, et par sa justice lui permet de travailler à la justice d’autrui; vertueux, et par sa vertu lui permet d’engager et d’exhorter les autres à la pratiquer aussi; zélé, et lui fait tout oublier pour ne penser qu’au salut des âmes. Il ne pense point à ses avantages, à son bonheur, à sa tranquillité. Son repos, c’est la fatigue après la brebis errante; son repos, c’est la fatigue à la ramener vers Dieu; son repos, c’est le salut de cette âme.

" Il se sacrifie, et ne désire que se sacrifier de plus en plus pour sauver des âmes.

" Telles sont les qualités d’un directeur; il ne peut être par lui-même prudent, savant et vertueux; ou bien sa prudence n’est que folie, sa science qu’ignorance et sa vertu qu’une vertu humaine et sans fondement.

" C’est Dieu qui donne la prudence; un directeur doit la demander chaque jour dans ses prières, afin que chaque jour il la voie croître et grandir pour le bien des âmes qu’il dirige.

" C’est Dieu qui donne la science, surtout la science du salut. Un directeur doit la lui demander dans ses prières, afin qu’il soit toujours à même d’éclairer les aveugles qu’il peut trouver sur son chemin.

" C’est Dieu qui donne la charité. Un directeur doit la lui demander chaque jour afin qu’il travaille sans relâche au salut des âmes, qu’il fasse passer cette vertu en elles, et qu’il mette ainsi union parfaite entre Dieu et les âmes.

" Toutes les qualités d’un directeur sont contenues dans ces trois qualités. Heureuses les âmes dont le directeur est prudent, éclairé et vertueux! Qu’elles écoutent sa voix, elles marcheront dans le chemin de la vérité. "

Voilà, Monsieur, les trois entretiens du Sauveur Jésus sur le directeur. Je ne sais si je n’ai rien omis. J’ai dit tout ce que je me rappelais et de la manière dont j’ai su m’exprimer.

Recevez, Monsieur le Curé, l’assurance de ma soumission filiale et de mon plus profond respect avec lequel je suis.

Votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 7 mai 1842.

LETTRE 4, Il faut progresser dans le bien. Motifs et moyens de ce progrès.

Monsieur le Curé,

Le Sauveur Jésus m’a ainsi parlé, ou bien si ce n’est point lui, c’est quelqu’un que je ne connais pas et que je ne puis faire connaître; je ne puis dire autre chose, si ce n’est qu’il a toujours la même voix, toujours les mêmes traits et qu’il m’entretient depuis l’époque que j’ai fixée.

Voici les paroles qu’il m’a adressées : " Ma fille, votre vie doit être une vie de progrès dans le bien et l’amour de Dieu. Il faut qu’elle ressemble à une lumière dont la clarté augmente de plus en plus. Voilà pourquoi je recommandais, quand j’étais sur la terre, de ne point regarder en arrière, mais d’aller toujours en avant.

" Je veux vous montrer la nécessité de ce progrès. Vous vous êtes donnée à moi, vous m’avez consacré votre coeur, votre esprit, votre âme, tout ce qui est en vous, tout ce qui vous appartient. Vous m’avez promis de m’aimer tous les jours de votre vie, et de faire tous vos efforts pour accroître et augmenter votre amour pour moi. Ce que vous m’avez promis hier vous lie aujourd’hui, vous liera demain et toujours. Une promesse comme celle que vous m’avez faite ne peut et ne doit être résiliée.

Je vous ai comblée de mes grâces les plus insignes; je m’entretiens avec vous dans la familiarité d’un père avec son enfant, je fais briller la lumière dans votre âme, je vous console dans vos peines et vos afflictions, je vous soutiens dans votre faiblesse, je me découvre à vos regards, je vous laisse voir une partie de ma gloire du ciel, je verse chaque jour sur votre tête mes plus paternelles bénédictions, et je ne vous demande qu’une seule chose, que vous avanciez dans la pratique du bien et l’amour de Dieu. Pourriez-vous refuser ce que je vous demande, quand je ne vous refuse rien, quand je préviens même vos désirs, quand je vous accorde ce que vous n’auriez même jamais pu espérer d’obtenir, parce que vous en êtes indigne?

" Je vous ai donné le premier l’exemple, ma fille, afin que vous fassiez comme moi, quand j’étais sur la terre; vous devez donc vivre de telle manière qu’on puisse vous rendre un jour ce témoignage : elle croissait en sagesse, en âge et en vertus devant Dieu et devant les hommes; elle a passé en faisant le bien.

" D’ailleurs, ma fille, une âme ne peut rester dans le même état, il faut qu’elle avance dans le bien ou qu’elle décline par le péché; car celui qui n’amasse point avec moi dissipe, et dissiper est une injure qu’on me fait, qui arrête mes grâces et qui attire le courroux et la vengeance de ma justice.

" Vous devez avancer enfin et progresser dans le bien et l’amour de Dieu, parce que je vous en ai fait un ordre. Je vous ai dit à vous-même ce que j’ai dit à mes apôtres : soyez parfaite comme mon Père céleste est parfait. Or, pour cela, il faut nécessairement que vous progressiez toujours, parce que vous ne trouverez jamais sur la terre un terme à votre perfection, et qu’il vous restera toujours un long chemin à parcourir. Ne vous arrêtez donc jamais, marchez toujours; ne craignez point la fatigue, vous trouverez le repos à votre peine et à vos labeurs.

" Or, pour cela, ma fille, vous devez chaque jour vous considérer comme si vous étiez au commencement et n’aviez rien fait encore; vous devez oublier ce que vous avez corrigé de défectueux pour ne penser qu’à ce que vous devez corriger encore, ce que vous devez faire encore, les marques d’amour que vous avez données à Dieu pour chercher de quelle manière vous pourrez l’aimer davantage.

" Pour progresser dans le bien et l’amour de Dieu, vous devez correspondre à toutes les grâces qu’il vous donne, vous devez de plus en plus vous détacher du monde et de vous-même et vous donner plus entièrement à Dieu.

" Pour progresser dans le bien et l’amour de Dieu, vous devez vous défier de vous-même, avoir toujours sous les yeux votre faiblesse et votre impuissance, pour ne compter que sur Dieu et le secours de son bras.

" Pour progresser dans le bien et l’amour de Dieu, il faut enfin le vouloir; si vous le voulez, vous progresserez parce que Dieu le veut aussi. Si Dieu le veut, il vous en donnera les moyens; si vous le voulez, vous ne rejetterez aucun de ces moyens et votre vie sera véritablement une vie de progrès. "

Telles sont les paroles que j’ai entendues, je vous les rapporte le plus fidèlement que je le puis, et je vous prie, Monsieur le Curé, d’agréer les sentiments de ma sincère vénération et de mon plus profond respect.

Je ne saurais trop, Monsieur le Curé, me recommander à vos prières, afin que Dieu veuille avoir pitié de moi et ne permette jamais que je me sépare de lui et de l’amour que je lui dois.

Je suis, avec le plus entier dévouement, Monsieur le Curé,

Votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 26 mai 1842.

LETTRE 5, Du bon exemple.

Monsieur le Curé,

Je ne veux rien vous cacher, mais au contraire vous faire connaître tout ce que je vois, tout ce que j’entends, tout ce que j’éprouve.

Je viens vous soumettre ce que m’a dit sur le bon exemple celui qui me parle de temps en temps durant mon oraison ou pendant la sainte messe. " Ma fille, m’a-t-il dit, je vous ai souvent répété cette parole : Je vous ai donné le premier l’exemple, afin que vous fassiez comme j’ai fait. Aujourd’hui, je veux vous entretenir du bon exemple que vous devez donner à autrui.

" Donner le bon exemple, ma fille, c’est comme l’indique le mot lui-même, servir d’exemple aux autres pour le bien. Je suis la première forme exemplaire du bien; je suis le bien par excellence; je me suis incarné pour montrer le bien aux hommes. Toutes mes actions ont été pendant ma vie une manifestation du bien. J’ai toujours agi selon le bien, je ne pouvais agir autrement sans cesser d’être Dieu. Voilà pourquoi j’ai dit avec autorité au monde entier : je vous ai donné le premier l’exemple afin que vous fassiez comme j’ai fait, et dans une autre circonstance, m’adressant aux pharisiens, je leur dis : qui, parmi vous, pourra m’accuser de péché? Les hommes sont tenus d’agir comme moi, c’est-à-dire de soumettre toujours leur volonté à la volonté de Dieu, de chercher toujours ce qui peut être agréable à Dieu, de vivre unis avec Dieu par l’accomplissement fidèle de sa loi et par la plus ardente charité.

" Ma fille, vous devez donner le bon exemple, et vous le donnerez en marchant sur mes traces, en suivant celui que je vous ai donné. Donner le bon exemple, c’est servir de modèle à autrui, non seulement en évitant le mal, mais encore en faisant le bien, et par l’accomplissement de ce bien porter les autres à faire bien aussi.

" Une bonne action est comme une lumière brillante qui montre le bien aux yeux de ceux qui agissent selon le bien et les maintient dans cette voie, et qui le montre aussi à ceux qui agissent mal pour leur faire comprendre leur malheur d’agir de cette sorte.

" Une bonne action est un soutien et un appui pour les bons comme pour ceux qui ne le sont point : pour les bons parce qu’elle les retient dans la voie droite; pour les mauvais, afin de les retirer du mal et de les aider à marcher vers le bien.

" Une bonne action a une force et un crédit plus puissant que les paroles les plus fortes et les plus accréditées; voilà pourquoi j’ai commencé par donner le bon exemple avant d’enseigner.

" Le bon exemple est la meilleure prédication. Or, tous peuvent et doivent prêcher, non point par la parole, mais par l’exemple. Je n’ai choisi que quelques âmes pour prêcher par la parole, mais j’ai fait un ordre à tous les hommes de prêcher par le bon exemple, et ceux qui prêchent par la parole doivent faire comme moi, prêcher d’abord par l’exemple.

" Vous devez donner le bon exemple dans toutes vos actions extérieures, en vous tenant partout dans la réserve et la modestie, veillant sur vos yeux pour ne les porter jamais sur rien d’indécent ou de déshonnête; en observant vos paroles pour ne jamais rien dire qui puisse offusquer le prochain ni offenser Dieu, mais pour dire toujours des choses conformes à la charité, à l’amour de Dieu et du prochain; en marchant sans cesse d’après les lumières de la foi dans vos entreprises, dans vos œuvres, dans vos déterminations; en éloignant tout ce qui manifeste adhésion au parti du démon, du monde, de la chair et du péché, et observant tout ce qui plaît à la vertu, à la sainte Église, à votre Sauveur, à votre Dieu.

" N’agissez jamais, ma fille, afin d’être vue, considérée ou approuvée par les hommes; n’agissez jamais par amour-propre ou satisfaction personnelle, mais agissez toujours dans l’intention de n’être point pour autrui une pierre d’achoppement, dans l’intention de ramener à Dieu autant que vous le pourrez, par vos actions bonnes et conformes à la volonté divine, ceux qui s’éloignent de lui. Vous acquerrez ainsi un double mérite, celui de vos actions et celui des actions bonnes que vous inspirerez à autrui. "

Je termine, Monsieur le Curé, en me recommandant à vos prières, et vous renouvelant l’assurance de mes sentiments les plus respectueux.

Votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 2 juin 1842.

LETTRE 6, Du scandale.

Monsieur le Curé,

Un jour, après la sainte communion, le Sauveur Jésus m’a ainsi parlé du scandale :

" Ma fille, me dit-il, une des choses que j’ai le plus recommandées pendant ma vie à mes disciples, c’est la fuite du scandale; je vous le répète, le monde sera maudit à cause de ses scandales. Malheur aussi à l’homme qui scandalise!

" Le scandale, c’est l’exemple du mal donné à autrui par une parole ou une action qui n’est point, en entier ou en partie, conforme au bien.

" Le scandale, c’est l’action mauvaise des autres, accomplie après et par suite de l’audition d’une parole ou de la vue d’une action qui n’est point, en entier ou en partie, conforme au bien.

" Le scandale enfin, c’est l’action mauvaise des autres, accomplie sous le faux prétexte d’une parole entendue ou d’un acte vu qu’on dit coupable, quand même cette parole ou cette action n’ont en rien que d’innocent.

" Celui qui accomplit une action et prononce une parole coupables ou revêtues d’apparence de culpabilité avec l’intention d’entraîner le prochain dans le mal, celui-là est coupable du premier scandale, quand même son action demeurerait sans effet. Il est coupable encore de cette sorte de scandale par la parole qu’il prononce ou l’acte qu’il accomplit, n’eût-il pas l’intention de scandaliser, si par cette parole ou cette action il entraîne au mal son prochain.

" Celui qui, entendant une parole déréglée ou voyant une action criminelle, se laisse entraîner à parler ou agir de la même manière, est coupable de la seconde espèce de scandale.

" Celui qui, entendant une parole bonne et convenable ou voyant une action qui n’a rien que de conforme au bien, l’interprète volontairement en mauvaise part pour agir lui-même d’une manière criminelle, est coupable de la troisième espèce de scandale.

" J’appelle le premier scandale, scandale infernal, parce qu’à l’exemple des démons, celui qui donne ce scandale travaille à la ruine des âmes. C’est de ce scandale que j’ai dit : Malheur à l’homme par qui le scandale arrive!

" J’appelle le second scandale, scandale des enfants, parce que les enfants sont plus susceptibles, à cause de leur faiblesse ou de leur ignorance, de se laisser entraîner au mal en le voyant, ou bien parce que ceux qui se laissent entraîner au mal par sa vue sont faibles comme des enfants. C’est pour faire éviter ce scandale que j’ai dit : Si quelqu’un devait être un sujet de scandale pour un de ces petits enfants qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on attachât à son cou une meule de moulin et qu’on le jetât au fond de la mer.

" J’appelle le troisième scandale, scandale d’aveuglement. C’est de ce scandale que j’ai dit à mes disciples des pharisiens qui s’étaient scandalisés de mes paroles : Laissez-les, ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles.

" Ces trois sortes de scandale sont des péchés plus ou moins graves, selon la réflexion plus ou moins grande de celui qui veut entraîner au mal; selon que son acte, cause ou occasion de péché, est plus ou moins coupable; ou moins considérable; selon que l’acte criminel, posé et fondé injustement sur un autre acte qui n’est nullement défendu, est plus ou moins opposé à la règle du bien.

" Voyez, ma fille, combien la première sorte de scandale est un grand péché. Je m’arrête sur ce scandale parce que le scandale des enfants n’est que la conséquence du scandale infernal, et que le scandale d’aveuglement n’est point un véritable scandale.

" Celui qu scandalise, en effet, offense Dieu par l’acte mauvais qu’il accomplit. Il se révolte contre Dieu, il brise le joug du Seigneur pour s’incliner sous celui de Satan. Ce n’est pas tout, en même temps qu’il est fils rebelle à Dieu, il est ministre plein d’activité du prince des ténèbres; il le remplace d’une manière visible sur la terre dans son œuvre de destruction et de ruine éternelle pour les âmes. Son acte, c’est une semence de mort jetée sur les âmes; c’est une pierre lancée sur le chemin du ciel pour précipiter dans les enfers ceux qu’elle rencontre; c’est un filet qui captive et retient pour le mal celui qui n’a pas la force de le briser ou de l’éviter. Son acte, c’est un homicide, non pour le temps, mais pour l’éternité. O ma fille, malheur, malheur, trois fois malheur au scandaleux!

" C’est moi qui exercerai ma vengeance sur lui. C’est moi qui lui demanderai compte de toutes ces âmes pour lesquelles j’avais répandu mon sang sur le Calvaire, pour lesquelles j’étais mort sur la croix, et qu’il a perdues, qu’il a de nouveau livrées à Satan et abîmées éternellement dans les gouffres de l’enfer.

" Ces âmes étaient ma propriété, elles étaient le prix de mon sang : il me les a ravies, malheur à lui! Mon sang se dressera sur sa tête et retombera sur son front plus terrible que sur le front des Juifs qui l’ont versé.

" J’apparaîtrai au scandaleux dans toute la fureur d’un père dont a tué l’enfant, d’un rédempteur à qui l’on a ravi celui qu’il avait sauvé, d’un Dieu auquel on donne ses malédictions et les malédictions d’autrui, tandis qu’on ne lui devait qu’amour, louange et remerciement. Que répondra-t-il à ma colère, que répondra-t-il à mon amour paternel irrité contre lui, parce qu’il a séparé de moi pour jamais des âmes que j’affectionnais comme Dieu et comme Sauveur? Pourra-t-il supporter la sévérité de mon regard? Pourra-t-il supporter les reproches de ma voix? Tout s’élèvera au dehors pour demander vengeance contre le scandaleux, et tout en moi lui apparaîtra exerçant cette vengeance. Il y aura désormais entre lui et moi une séparation éternelle. O ma fille, malheur, malheur, trois fois malheur au scandaleux!

" Ma fille, fuyez le scandale comme un des péchés qui m’affligent le plus. Qu’il n’y ait jamais rien dans vos paroles, dans vos regards, dans vos habits, dans votre tenue, dans vos actions qui puisse scandaliser votre prochain. Il faut souvent peu de chose pour scandaliser une âme et la perdre à jamais.

" Craignez d’avoir part aux malédictions que j’ai lancées contre le monde et ses scandales.

" Ne scandalisez point; réparez, au contraire, même les scandales des autres qui devraient les réparer eux-mêmes et qui ne le font pas. "

Ainsi ma parlé le Sauveur Jésus. Sa voix était forte et terrible comme le tonnerre, quand il menaçait les scandaleux, et pénétrait jusqu’au fond de mon âme.

J’étais saisie de crainte; il m’a rassurée en me disant de m’unir à lui, de demeurer attachée à lui, et qu’en agissant ainsi j’éviterais le scandale.

Je serais bien coupable et bien ingrate envers le Sauveur Jésus, si je pouvais jamais m’oublier à ce point de scandaliser personne. Non, jamais je ne le ferai volontairement; puisse-t-il arriver que je ne scandalise jamais, même contre ma volonté, et par suite de ma faiblesse et de mon inclination au mal; je me recommande, à cet effet, à vos ferventes prières.

Recevez, Monsieur le Curé et très respectable Père en Notre-Seigneur, l’offrande des sentiments de vénération profonde et d’entière soumission à tous vos désirs,

De votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 8 juin 1842.

LETTRE 7, De l’union de l’âme avec le corps. Comment l’âme est la vie du corps. Union des puissances de l’âme. Du rôle de chaque faculté dans la constitution du péché.

Monsieur le Curé,

Le Sauveur Jésus m’a donné un jour un enseignement que je viens vous soumettre. Voici comment il m’a parlé, et comment j’ai retenu ses paroles.

" Ma fille, me dit-il, je veux vous expliquer ce qu’on ne vous a jamais expliqué, savoir : l’union de l’âme avec le corps, la manière dont l’âme anime et vivifie le corps, et les rapports qui existent entre les puissances de l’âme.

" L’âme est un être spirituel, qui n’a ni corps, ni figure, ni couleur, de telle sorte qu’elle ne peut tomber sous les sens. Elle est indivisible, parce quelle est spirituelle; elle est le principe vital du corps : séparé de l’âme, le corps est sans vie. Or, comme Dieu est le vivificateur de toutes choses et que tout ce qui a vie l’a reçue de lui, l’âme vient de Dieu. Elle est donc éternelle dans son principe, puisqu’elle vient de Dieu; elle est éternelle aussi dans sa fin, car elle ne finira jamais.

" Dieu a fait l’âme à son image et l’a douée de qualités en rapport de ressemblance avec ses attributs divins. L’âme pense, juge, connaît, veut, parce que Dieu veut, connaît, juge et pense. Elle a reçu une imitation de l’immensité de Dieu par son agilité qui lui fait parcourir en un clin d’œil toute l’étendue de la terre, et lui permet de se transporter de la terre au ciel, et du ciel au plus profond des enfers.

" L’âme est un esprit doué de facultés, Dieu a donné à cet esprit un instrument pour l’exercice de ses facultés, c’est le corps dans lequel elle habite, qu’elle vivifie, qu’elle anime, qu’elle met en mouvement comme il lui plaît.

" Le corps a plusieurs membres qui ont chacun un usage particulier et qui sont tous animés par l’âme. L’âme est indivisible. Elle est aussi bien dans la plus petite partie du corps que dans la plus grande; elle y est toute entière. Cependant il n’y a pas plusieurs âmes dans un seul corps; il n’y a qu’une, bien que le corps ait plusieurs parties.

" Voilà pourquoi quand un homme perd un de ses membres, un bras, une jambe, un œil ou une partie de lui-même, à moins que cette partie ne soit une partie essentielle, comme le cœur ou la tête, l’âme demeure tout entière dans le corps, bien qu’elle n’agisse plus dans la partie qui a été enlevée. Elle agirait en l’homme sur ce membre enlevé, s’il n’était point enlevé; si elle n’agit plus, c’est qu’il n’est plus uni avec le corps, et par conséquent sous l’action de l’âme.

" L’âme habite dans tout le corps, mais elle a pour siège particulier la tête et le cœur. C’est de là qu’elle répand sa vitalité dans tout le corps, qu’elle se rend présente dans toutes ses parties, qu’elle les vivifie toutes, qu’elle les met toutes en mouvement, qu’elle commande à toutes. Voilà pourquoi si on enlève la tête ou le cœur à un homme l’âme qui n’a plus son siège principal se sépare du corps qui demeure sans vie.

" L’âme, pour user d’une comparaison, est comme un cercle, dont les rayons appartiennent au cercle et ne font qu’un avec le cercle; toutes les facultés appartiennent à l’âme et ne font qu’un avec elle.

" Les diverses facultés de l’âme sont : l’imagination, la mémoire, l’entendement, la volonté et la raison.

" L’imagination est la faculté de l’âme par laquelle elle se représente les choses ou les objets, ce qui vous montre combien l’ouïe et la vue ont un grand rapport avec elle. L’imagination jette à la mémoire, avec qui elle a une union intime, les objets qu’elle a vus ou les choses qu’elle a entendues. L’entendement est comme la chambre du conseil de ce qui se passe dans l’âme. Il voit les choses, les considère, les examine et les présente à la volonté, selon le jugement qu’il en fait. Il a pour conseiller et pour flambeau la raison.

" Il faut que la raison et l’entendement soient d’accord, sans cela on ne fait point le bien. La raison sans l’entendement ne peut rien, et l’entendement sans la raison ne marche point dans la voie droite. L’entendement reçoit les lumières de la raison et celles de Dieu. Lorsque les lumières de Dieu sont plus grandes, plus apparentes ou plus claires que celles de la raison, l’entendement doit toujours les préférer. Quand Dieu laisse l’entendement aux lumières de la raison, c’est d’après ces lumières qu’il doit se diriger.

" Quand l’entendement a jugé une chose, il la présente à la volonté comme à la reine et à la supérieure des autres facultés. Si ce qui lui est proposé lui plaît, la volonté l’agrée; s’il en est autrement, ou qu’elle s’en défie, elle le renvoie à l’entendement et demande un second conseil. L’entendement scrute de nouveau dans la mémoire et l’imagination et tâche de faire agréer ce qu’il présente.

" Le démon accourt toujours dans le conseil qui se forme parmi les facultés de l’âme, il cherche à répandre ses ténèbres et à faire réussir le plaidoyer selon ses vues.

" Mais la volonté a un censeur, un témoin de ses actes, une voix qui lui dit qu’ils sont bons ou mauvais, qu’elle peut agréer ou refuser ce qui lui est présenté; c’est la conscience.

" Si la volonté agit contre le sentiment de sa conscience, celle-ci élève la voix qui n’est autre que la voix de Dieu, et qui est chargée de reproches amers et incessants. Si la volonté agit selon le sentiment de la conscience, tout se conserve en bonne harmonie et en paix parmi les facultés de l’âme, parce qu’elles sont réglées selon le bien. Quand la conscience est satisfaite, toutes les facultés sont dans la jouissance de la paix et de la tranquillité; quand elle fait entendre des reproches, tout est dans le trouble, parce que la conscience fait germer le remords dans l’âme.

" Ainsi donc, quand l’entendement consulte la volonté, la volonté doit écouter la voix de la conscience et agir d’après cette voix.

" Telle est l’union des facultés.

" Je veux maintenant vous parler de l’esprit. L’esprit est la partie la plus subtile et la plus spirituelle de l’imagination. C’est le souffle qui met en mouvement toutes les autres facultés de l’âme. L’esprit est ce qui fatigue le plus la volonté, ce qui lui donne le plus de peine; car malgré ses soins et sa vigilance, souvent elle n’en est point maîtresse, il lui échappe, elle ne peut le retenir. Il se transporte où il veut, sans que les distances, les portes ou les murailles soient pour lui un obstacle; il va dans le ciel et dans les enfers; il pénètre même le coeur d’une personne; il est toujours en mouvement, il n’a jamais un moment de repos. Quand il est en dehors des facultés, elles sont calmes et tranquilles; s’il revient dedans, il les met toutes en mouvement, il les occupe toutes; il leur donne à toutes travail et activité.

" La volonté est plus ou moins maîtresse de l’esprit, selon qu’elle lui donne plus ou moins de liberté.

" Il y a diverses sortes d’esprits. Les uns sont turbulents, inconstants ou légers, les autres pesants et assoupis; ceux-ci vifs et pénétrants, ceux-là réfléchis et avisés. Tous ont en eux cette partie spirituelle et subtile de l’imagination, mais tous ne l’ont pas au même degré; de là leur diversité.

" Si l’esprit, comme je vous l’ai dit, met toutes les facultés en mouvement, c’est de lui que procèdent, comme d’un premier principe intérieur, tous les actes de ces facultés.

" L’esprit siège dans la tête et dans le coeur; c’est là qu’il accomplit toutes ses opérations, dans la tête par les idées, dans le coeur par les pensées.

" Quand une idée est formée dans l’esprit, celui-ci la présente à la mémoire qui la communique à l’entendement. Celui-ci consulte la raison, et puis il juge selon les lumières qu’il reçoit de Dieu, de la raison et de l’esprit. Quand il a jugé, il présente son jugement à la volonté; la volonté le présente à la conscience qu’elle consulte comme son censeur. La conscience, par les lumières qu’elle reçoit de l’entendement et le rapport intime qui est entre eux, fait connaître son sentiment à la volonté, et la volonté agit selon le sentiment de la conscience pour avoir la paix, ou bien elle en appelle à un second conseil. Celui qui a présenté l’idée à l’esprit et l’a formée en lui préside à ce conseil, savoir Dieu, le démon ou l’esprit lui-même, chacun tâchant de faire réussir sa cause.

" Toutes les idées qui viennent de Dieu sont bonnes; celles qui viennent du démon sont mauvaises ou tendent au mal; celles qui viennent de l’esprit sont indifférentes. Elles n’ont point toutes la même intensité dans le bien ni dans le mal, parce que l’esprit qui les élabore n’a pas en tout la même force, la même vigueur, le même souffle. L’esprit tire sa force de Dieu qui la lui donne, mais il l’augmente avec les connaissances qu’il acquiert par l’étude et l’application. Quand l’esprit cherche à augmenter sa force, toutes les facultés lui prêtent secours, et puis, à son tour, il leur fait part des connaissances qu’il a acquises pour les perfectionner elles-mêmes.

" L’esprit prend son origine dans l’imagination et siège par conséquent dans la tête où réside cette faculté de l’âme. Il siège aussi dans le coeur par les pensées.

" Les pensées, comme les idées, ont plusieurs principes. Elles viennent de Dieu, du démon, de la nature corrompue ou de l’esprit lui-même.

" Que les pensées viennent de l’un ou de l’autre de ces principes, elles sont présentées à la volonté qui les livre à l’entendement, afin qu’elles soient jugées comme les idées. Ce commerce intérieur s’appelle réflexion, considération, méditation.

" Puisqu’il y a plusieurs principes, il doit y avoir plusieurs sortes de pensées. Celles qui viennent de Dieu étant formées par le souffle de sa grâce, sont toutes bonnes. Celles qui viennent du démon, de la nature corrompue ou de la partie inférieure de l’âme, sont mauvaises ou tendent au mal; celles qui viennent de l’esprit sont indifférentes, elles deviennent bonnes si elles sont saisies par Dieu, sa grâce et son esprit; mauvaises, si le démon ou l’entraînement au mal prend empire sur elles.

" Or, pour toutes les pensées, comme pour les idées, il n’est pas nécessaire de tenir toujours conseil; la volonté seule, par les lumières et les connaissances qu’elle reçoit de l’entendement, les accueille ou les rejette, selon qu’elle croit devoir le faire. Ce serait un travail trop pénible et trop fatigant qu’un jugement séparé et distinct formé par le conseil de toutes les facultés de l’âme, pour chaque idée et chaque pensée.

" Ce conseil n’a lieu que pour les grandes pensées, les pensées graves et importantes. Dans les autres cas, la volonté agit comme un avocat qui donne ses avis pour des affaires de peu d’importance, selon les lumières qui sont en son esprit, et qui ne fait un plaidoyer selon les règles que devant les juges et le tribunal de justice.

" L’esprit est indépendant de toutes les autres facultés, et la volonté les domine toutes. La volonté pourtant règne plus dans le cœur que dans la tête, parce que c’est dans le coeur qu’elle réside.

" La volonté est reine et maîtresse des autres facultés; mais il lui faut un maître à elle aussi, c’est Dieu ou Satan.

" Dieu et Satan se la disputent, l’un et l’autre lui demandent la préférence. Tant que la volonté délibère, elle est en de rudes combats.

" Dieu et Satan plaident chacun leur cause devant la volonté, en montrant les avantages de leur parti respectif. Or, comme Dieu ne trompe jamais, il montre non seulement les avantages, mais aussi les peines et les difficultés qui se présenteront sous son drapeau. Le démon, au contraire, montre les roses et cache les épines; il parle de plaisirs et de jouissances; il ne dit mot des peines et des tribulations dont il abreuve ceux qui l’écoutent.

" Dieu parle à la volonté par les mouvements de sa grâce, par les consolations de la vertu, par les avis et conseils des hommes sages et surtout de ses ministres.

" Satan parle à la volonté par le plaisir et les vanités du monde, les mauvais exemples, les paroles et les discours des hommes perverses, et leurs railleries contre la religion.

" La raison et la conscience viennent au secours de la volonté et la conseillent. La raison est la lumière de la volonté; la conscience, la voix qui lui dit de marcher selon cette lumière. La conscience et la raison ont les rapports les plus intimes. Elles sont presque toujours du même avis. Voici les principes et les sentiments de la conscience : fais le bien, évite le mal. Ne fais point à autrui ce que tu ne voudrais point qu’il fit à ton égard; rends à chacun ce qui lui est dû.

" Si la volonté agit contre la conscience, celle-ci le lui reproche. La conscience est l’organe de Dieu, comme la nature corrompue est l’organe de Satan. Aussi, quand la volonté agit selon la conscience, c’est-à-dire selon Dieu dont elle est l’organe, elle a pour ennemis le démon, le monde, la nature corrompue ou la partie inférieure de l’âme, mais Dieu lui donne grâce et secours pour la faire triompher de ses ennemis. Dieu retire ses grâces à celui qui suit le parti du démon; il le poursuit par le remords, car il est écrit qu’il n’y a point de paix pour l’impie. Suivre le parti de la conscience, c’est marcher dans le chemin de la vertu, car la conscience est le germe merveilleux qui développe le bien en vous. Suivre la voie de la nature corrompue, c’est marcher dans le chemin du vice, car la nature corrompue est le germe déplorable qui développe le mal dans les âmes.

" Telles sont les luttes et les combats des facultés en face de Dieu et de Satan. Malheur à l’âme qui s’habitue à donner la victoire à Satan contre Dieu! le dernier combat sera un combat de mort pour elle et de victoire pour Dieu. Heureuse l’âme qui s’attache toujours à Dieu! elle aura vite affaiblie ses ennemis, et Dieu l’illuminera de sa lumière, la fortifiera par ses grâces et la verra toujours d’un œil de complaisance. Le démon cherchera, mais en vain, à la troubler : la paix se trouve dans le service de Dieu.

" Quand la volonté se révolte contre Dieu, la conscience devient le témoin de Dieu, et la mémoire, le livre où s’inscrit cette révolte, qui est plus ou moins coupable, selon que le consentement est plus ou moins parfait et la matière plus ou moins considérable. "

Vous penserez de ceci ce qu’il vous plaira. J’ai connu que le Sauveur aurait eu de bien plus grandes lumières à me donner là-dessus, et je confesse que, par moi-même, je suis non seulement incapable de les acquérir, mais même d’avoir su jamais ce que je viens d’écrire, s’il ne me l’avait appris lui-même.

Il me les a apprises lui-même avec bonté et je les ai retenues naturellement et sans difficulté comme pendant le jour mon œil reçoit et conserve la lumière du soleil, comme mon oreille reçoit et conserve, autant que cela est nécessaire, les paroles prononcées qu’elle entend. Ses instructions se sont gravées aussi facilement en moi que l’empreinte des doigts de ma main sur une cire molle.

Comment cela s’opère-t-il? Je ne le sais point, mais il en est ainsi, et je me soumets à la volonté de Dieu comme je me soumets à votre volonté, qui ne peut et ne doit pas être différente de la volonté de Dieu, puisque vous êtes revêtu du caractère sacerdotal, selon l’ordre de Melchisédech, comme Jésus-Christ mon Sauveur. Je suis fille de Dieu par le baptême, je suis aussi votre fille en Dieu et vous me représentez l’autorité de Dieu lui-même. Je dois par conséquent me soumettre à votre volonté, attendre, écouter et suivre toutes vos décisions. Or, pour cela, je dois me montrer à vous telle que je suis et ne vous rien cacher; je le fais ainsi.

Recevez, Monsieur le Curé, l’assurance de mes sentiments très respectueux avec lesquels je suis,

Votre très humble servante,

Marie

Mimbaste, 11 juillet 1842.

LETTRE 8, De la viduité. Devoirs et obligations d’une veuve. L’église catholique modèle des femmes veuves.

Monsieur le Curé,

Je viens soumettre avec confiance à votre jugement l’enseignement que j’ai reçu sur l’état de viduité.

" Ma fille, me dit le Sauveur Jésus, la femme est soumise à son mari et lui doit obéissance tant qu’il vit. La mort seule peut rompre ses liens, mais elle les rompt entièrement; de telle sorte qu’elle peut contracter un nouveau mariage, car elle est libre. Si cette femme ne peut garder la continence, si elle ne se sent point assez de force, de vigueur et de courage pour demeurer chaste en sa viduité, qu’elle se lie par un nouveau mariage. Mais qu’elle se garde de chercher cette nouvelle union uniquement pour satisfaire ses passions; qu’elle se marie pour plaire à Dieu dans l’observation de ses lois et de ses commandements, et la pureté de son âme. Pour cela, il lui est permis de chercher à plaire à celui qu’elle choisit pour son époux; mais dans cette recherche, qu’elle n’oublie pas qu’il doit y avoir en elle plus de gravité que si elle n’avait point été mariée, et que jamais elle ne doit permettre rien de contraire à la volonté de Dieu. Elle doit agir comme je vous l’ai indiqué dans les relations entre deux fiancés. Tel est, ma fille, le droit d’une veuve; elle peut se marier une seconde, une troisième, une quatrième fois si elle devient libre une, deux ou trois fois par la mort de son mari.

" Néanmoins, ma fille, il est bien glorieux pour une veuve de ne point contracter un second mariage et de demeurer fidèle à son époux, même mort. D’ailleurs, si elle a une véritable affection pour celui qu’elle a perdu bien que les liens du corps soient rompus elle ne voudra pas rompre et briser les liens du coeur; elle n’usera de la liberté qui lui a été donnée que pour servir Dieu avec plus de fidélité et avancer de plus en plus dans la vertu.

" Quelles raisons une veuve pourrait-elle donner afin de se marier de nouveau? Sa jeunesse, sa faiblesse, la recherche d’un appui et d’un soutien? Mais la jeunesse est-elle donc une obligation pour un second mariage? La faiblesse? Est-ce donc le mariage qui donne la force, ou bien le Très-Haut, qui s’appelle de Dieu fort, le Tout-Puissant? La recherche d’un appui et d’un soutien? Est-ce donc sur quelqu’un qui a lui-même besoin de soutien qu’elle espère pouvoir se soutenir suffisamment? Faut-il jamais préférer l’appui d’un homme, trop faible pour se soutenir lui-même, à celui de Dieu, qui soutient le monde entier?

" Sans doute, comme je vous l’ai déjà dit, il est permis à une veuve de s’unir encore en mariage; mais en vérité je vous le dis, il est bien plus parfait qu’elle ne le fasse point et bien plus convenable qu’elle s’ensevelisse dans la retraite, au souvenir de son époux enseveli dans le tombeau.

" Il en est peu qui comprennent ces paroles; heureuses celles qui les comprennent et les mettent en pratique!

" Heureuses les veuves qui, dès le premier jour de leur veuvage, prennent des habits de deuil et de tristesse, qu’elles ne quittent que pour le suaire blanc de leur tombeau!

" Heureuses les veuves qui vivent de telle manière que tous ceux qui les voient disent non-seulement : Voilà une veuve! Mais encore : Voilà une veuve chrétienne!

" Heureuses les veuves qui sont ainsi en spectacle aux hommes et aux anges par leur retenue et leur modestie!

" Une veuve ne doit point chercher à plaire au monde par ses ajustements, ni par la somptuosité de ses habits. Elle ne doit point vivre, comme vit le monde, dans le bruit et le tumulte. Elle ne doit point chercher les assemblées du monde, fréquenter les places, ni les promenades publiques. Son unique occupation doit être de chercher à plaire à Dieu. elle doit fuir toutes les pompes extérieures, toutes les parures, tous les ornements du corps et ne s’occuper que de rendre son âme de plus en plus belle, de plus en plus ornée de vertus, de plus en plus enflammée par l’amour de Dieu. Il faut que toute sa beauté soit intérieure. Peu importe que les hommes ne voient et ne pénètrent point cette lumière dont resplendira son âme. Dieu la verra bien, cela doit lui suffire.

" Néanmoins il ne doit y avoir rien de désordonné dans une veuve. Qu’elle soit toujours vêtue d’une manière convenable à sa condition, mais avec simplicité et sans apprêt.

" Une veuve, plus que personne, doit comprendre que les plaisirs de la vie sont passagers et fugitifs, que tout disparaît promptement sur la terre, qu’il n’y a point de joie de longue durée et que par conséquent elle ne doit point y attacher son cœur. Les joies, les satisfactions, le contentement, la paix ne doivent pourtant pas être éloignés d’elle; elle les trouvera non point dans la chair, non point dans les sens, non point dans le monde, non point dans la vie animale et terrestre, mais en Dieu, joie, félicité, bonheur, paix et consolation des âmes. Qu’elle s’attache à Dieu, et Dieu lui donnera dans sa vie chaste et pure les chastes et pures délices dont il enivre les âmes qui ont les yeux levés au ciel.

Dieu ne manque jamais aux âmes qui le prennent pour la part de leur héritage, qui s’abandonnent à lui, qui lui demandent secours et appui, qui lui donnent le nom de père et le regardent comme tel. Il est spécialement le Dieu des veuves et des orphelins, c’est-à-dire qu’il veille davantage sur eux. Les veuves et les orphelins ont en effet peu de secours et d’appui sur la terre, mais ils ont l’appui et le secours de Dieu; Dieu les garde, les protège et les délivre de tout danger. Qui donc affligera celui que Dieu console ? Qui attaquera celui que Dieu défend ? Qui menacera celui que Dieu protège ?

Une veuve doit mettre toute sa confiance en Dieu et s’abandonner à lui, marcher en sa présence et tendre avec un grand désir vers la perfection.

" Pour cela elle doit veiller sur sa maison, sur ses intérêts temporels, non pour s’y attacher, mais pour en faire l’usage le plus convenable et le plus en rapport avec les sentiments pieux et charitables que Dieu met dans son coeur. Elle ne doit point rester oisive. Elle doit travailler selon sa condition. Elle doit nourrir son cœur de bonnes pensées, de saints désirs, de sentiments de charité envers Dieu et le prochain, faire de bonnes œuvres selon ses facultés et ses loisirs. Elle doit veiller soigneusement sur sa chasteté, fuir toutes occasions dangereuses, garder sa réputation intacte et à l’abri de toute détraction. Elle l’obtiendra si elle est vigilante, si elle s’observe, si elle est modeste, réservée, éloignée du monde. Toute détraction injuste, toute calomnie tombera d’elle-même, si jamais elle en était victime par la perversité des méchants.

" Une veuve ne doit point oublier que la chasteté pour elle comme pour tous est un don de Dieu ; par conséquent, elle doit la demander à Dieu souvent, tous les jours, ne point se croire plus forte qu’elle ne l’est, se rappeler que toute chair est faible et que Dieu seul accorde la victoire sur les passions, et entretient le cœur humain dans le bien, la vérité et la vertu.

" Dieu ne lui refusera pas ce qu’elle lui demandera avec un cœur pur et droit, il la fortifiera, il la rendra inébranlable comme une colonne d’airain.

" Une veuve, ma fille, trouve un modèle accompli de la manière dont elle doit se comporter et agir pendant sa vie. L’Église, que j’ai acquise par mon sang et que j’ai établie sur la terre, est mon épouse. Je suis son époux. Or, depuis mon ascension, mon épouse est demeurée veuve parce que je suis monté au ciel. Je suis et je serai néanmoins avec elle par le sacrement de mon amour et par mes grâces, mais je ne serai avec elle d’une manière visible que dans le ciel. Or, ma fille, que fait l’église ? Elle a constamment les yeux fixés sur moi. Son cœur m’est uni par des liens indissolubles. Elle vit dans la fidélité de l’amour qu’elle m’a juré, et elle persévérera jusqu’à la fin. Elle ne s’attache point aux biens périssables de ce monde. Je suis sa richesse, son tout. Elle ne soupire qu’après le moment de ma possession. Elle ne demande que la consommation pour l’éternité de notre union dans le royaume de mon Père. Elle passe en faisant le bien.

" Que les veuves agissent ainsi, qu’elles s’attachent à Dieu et coulent le reste de leur vie dans la pratique du bien.

" Ce que je viens de vous dire, ma fille, d’une femme qui a perdu son époux, je le dis aussi d’un homme qui perdu son épouse. Il peut se marier de nouveau ; il fera mieux de ne pas contracter un second mariage.

" Qu’il agisse comme je l’ai indiqué pour une femme veuve, car l’homme, comme la femme, a une âme à sauver, un Dieu à aimer et à adorer. Il a comme elle des devoirs à remplir. Heureux celui qui est fidèle et marche dans la crainte et l’amour de Dieu ! "

Telle est l’instruction que m’a donnée le Sauveur Jésus. Il me semble avoir dit à peu près toutes ses paroles.

Recevez, Monsieur le Curé, l’assurance de ma profonde vénération.

Votre très-humble servante,

Marie.

Mimbaste, 15 octobre 1842.

 

LETTRE 9, Signes auxquels on reconnaît l’esprit de Dieu dans les visions ou les révélations.

Monsieur le Curé,

Le Sauveur Jésus m’a dit un jour : " On craint que ce ne soit pas ma parole que vous entendez. Afin de détromper ou de rassurer ceux qui vous dirigent, je veux vous indiquer la différence qui existe entre une personne trompée par le démon ou égarée par son imagination et celles qui sont conduites par l’Esprit de Dieu. Faites connaître mon enseignement à ce sujet, et qu’on vous juge après sans crainte de se tromper.

" Ma fille, à quels signes reconnaît-on le principe des choses extraordinaires qui se passent dans une âme vertueuse? Je vais vous l’indiquer. Si le démon ou l’imagination sont le principe de ces merveilles en cette personne, elle demeurera encore vertueuse, au moins extérieurement. Mais examinez sa conduite et sa manière d’agir; vous y découvrirez promptement un orgueil secret, une certaine fierté, un attachement à tout ce qu’elle éprouve et très peu de docilité. Elle sera sans douceur, mansuétude, humilité et simplicité. Si elle obéit, elle obéira par orgueil. Si l’orgueil ne trouve pas de soutien dans son obéissance, elle n’obéira pas. Elle parlera beaucoup à tout le monde et avec plaisir de ce qu’elle éprouve; ou bien elle le cachera et n’en dira rien, pas même à son directeur; elle usera de détours et de ruses, elle manquera de droiture, de simplicité. Ces signes sont infaillibles; une personne orgueilleuse, insubordonnée, hypocrite et fausse n’est point une personne conduite par l’Esprit de Dieu, mais par les penchants de sa nature corrompue.

" Celles, au contraire, qui sont dirigées par l’Esprit de Dieu sont humbles, soumises et unies à Dieu, indifférentes à toutes choses, sans volonté propre et obéissant en tout, sans chercher ou demander raison des ordres qu’elles reçoivent.

" Elles ne parlent à personne de ce qu’elles éprouvent. Elles restent dans l’oubli et le silence de leur coeur; elles en parlent pourtant à leurs directeurs, et c’est là le premier mouvement que j’inspire à leur âme.

" Les unes en parlent facilement, mais toujours avec cette humilité qui est le signe distinctif de mon esprit et de mon cœur; les autres n’en parlent qu’avec peine, elles en parlent néanmoins et gagnent plus de mérite en surmontant leur peine à parler de ce qui se passe entre elles et moi.

" Naturellement le directeur de ces personnes cherchera à les éprouver. Il leur fera même subir des épreuves très pénibles et très difficiles. Elles supporteront tout sans se plaindre et avec une patience admirable, parce qu’elles auront toujours mon exemple sous leurs yeux. Rien ne les rebutera, elles se soumettront à tout. Elles feront aujourd’hui ce qu’on leur commandera et ne le feront plus demain si on le leur défend. Elles agiront moins par elles-mêmes que d’après la volonté de leur directeur. Elles auront foi à sa parole comme à ma propre parole et ne se fieront nullement sur elles.

" À ces signes on reconnaîtra l’esprit de Satan ou mon esprit en ces personnes, les mouvements de mes grâces les plus signalées.

" Quelquefois, c’est mon esprit qui travaille une âme comme un laboureur le champ de sa famille; mais le démon veut y semer l’ivraie de son esprit et étouffer le bien que j’ai fait à cette âme.

" Voici la manière d’agir du démon. Écoutez-moi attentivement.

" Le démon, ma fille, n’agit pas de la même manière vis-à-vis de toutes sortes de personnes. Il consulte le caractère, l’inclination, la force ou la faiblesse de chacun; il considère l’état des âmes, leur amour pour moi ou leur peu d’affection, et puis il commence habilement son œuvre.

" Il voit une personne pieuse comblée d’une de ces grâces si admirables et si admirées parmi les saints. Que fait le démon? Il essaye de la porter à la vanité, de lui faire comprendre qu’elle doit être quelque chose puisqu’elle a reçu de pareilles grâces. S’il est repoussé, il ne se décourage point, il revient à la charge et il l’importune si fort que, si cette âme n’y apporte prompt remède et ne court à moi dans ces circonstances, le souffle du démon sera en elle comme un levain qui la fera fermenter dans la révolte contre son Sauveur par l’orgueil le plus coupable et le plus criminel.

" Une autre personne reçoit les mêmes faveurs. Que fera le démon? Il lui inspirera de les tenir cachées, de n’en parler à personne. Ainsi il troublera sa paix et son repos et la détournera, par ces inquiétudes, de Dieu et de la vertu.

" Que fera le démon vis-à-vis d’une autre personne ainsi favorisée? Il la poussera à en parler facilement, elle en entretiendra ses amis. Ils divulgueront cette nouvelle, qui relèvera l’estime que l’on a d’elle. Elle s’en apercevra et recevra sans s’en douter le germe d’orgueil que le démon lui glissera aussitôt dans l’âme. Elle se croira élevée au dessus des autres. Pauvre âme! l’orgueil l’aura abaissée plus bas que terre et séparée de Dieu.

" D’autres fois le démon se transformera en ange de lumière; il simulera mon langage et ma manière de parler, afin de prendre empire sur une âme, et puis, il lui glissera l’erreur et le mensonge, sources de tout péché.

" Enfin, ma fille, quand une personne est vertueuse et qu’elle éprouve les bienfaits de ma grâce, sans pourtant participer à mes grâces que je n’accorde que par un effet tout particulier de ma bonté, le démon se sert de toutes les dispositions qui sont en elle pour la perdre. Si son imagination est vive et son tempérament pétulant, il la frappera par certaines visions, lui persuadant qu’elle a des révélations, et elle le croira si fort qu’il n’y aura point moyen de la dissuader. Il se servira de sa négligence, de son imprudence, de sa trop grande familiarité, en un mot de tout ce qui peut être défectueux en elle pour l’entraîner à sa perte et à sa ruine.

" Toutes ces personnes doivent dire à leur directeur ce qui se passe en elles, sans cela elles tombent infailliblement dans les pièges de leur plus grand ennemi.

" Le directeur connaîtra si elles sont dans la bonne voie d’après leur obéissance et leur soumission à ses avis et à ses conseils. Si elles n’écoutent point la voix de leur directeur, elles ne sont point conduites par mon esprit. Si elles cachent ce qui leur est dit, et si celui qui leur parle les oblige à ne rien dire à leur confesseur, elles ne sont point conduites par mon esprit, ce n’est pas ma voix qu’elles entendent; car je n’ai jamais défendu de parler de ce que je disais, d’en parler du moins à ceux qui dirigent les âmes que je me plais à enseigner.

" Écrivez ces mots, ma fille, ils seront utiles à beaucoup d’âmes illusionnées et trompées par l’esprit de mensonge, quand elles les auront lus. Écrivez-les et celui qui vous dirige verra bien clairement quel est le principe qui les a dictés. Il y verra un caractère de franchise et de vérité qui n’appartiennent point à Satan, mais seulement à la vérité incarnée, à Dieu lui-même.

" Qu’il vous juge et qu’il dise franchement à son tour ce qu’il pense de vous et de celui qui vous parle.

" Allez en paix, ma fille, votre directeur sais bien que c’est moi qui vous parle. Depuis longtemps il aurait mis fin aux épreuves qu’il vous impose. C’est au souffle de mon esprit qu’il les continue et que son directeur l’engage à les continuer. "

Je vous dis toutes ces choses, Monsieur le Curé, avec la plus grande et la plus entière confiance. Je les dis aussi par obéissance et soumission, je ne prétends vous rien apprendre, de moi-même je ne sais rien. Je ne fais que vous rapporter ce que j’ai entendu. Vous en jugerez comme il vous plaira, ou plutôt comme vous devez le faire pour la gloire de Dieu et pour le salut de l’âme de votre enfant en Jésus-Christ Notre-Seigneur.

Recevez, Monsieur, l’assurance de tout mon respect et de ma parfaite considération.

Votre très-humble servante,

Marie.

Mimbaste, 20 juin 1843.

 

LETTRE 10, Comment une âme doit agir dans les faveurs extraordinaires qu’elle reçoit de Dieu.

Monsieur le Curé,

L’état où je me trouvais depuis quelque temps me causait un peu de peine. Pendant mes prières, pendant la sainte messe ou dans mes communions, j’étais pour ainsi dire sans sentiment. J’étais complètement absorbée par une douceur ineffable qui remplissait toute mon âme et m’empêchait de lire et de prier pour m’obliger à suivre l’attrait de cette douceur. J’en ai parlé au Sauveur Jésus, et lui ai dit : Seigneur, je ne sais ce que je sens, ni comment je me trouve; vous qui le savez, daignez m’éclairer, m’instruire et me faire connaître de quelle manière je dois agir.

" Ma chère fille, me répondit le Sauveur Jésus, oui, je vous connais, je sais ce que vous éprouvez, je sais ce que vous êtes. Vous n’êtes encore qu’une apprentie, qu’une jeune novice, qui ne sait encore de quelle manière elle doit se conduire dans la voie nouvelle où je veux vous faire entrer. Cette douceur qui remplit votre âme, et, comme un doux sommeil, l’endort pour la laisser reposer en Dieu, tandis que votre corps est sans mouvement et votre cœur sans action sous le poids de cette béatitude qui vous pénètre en vous attachant à moi, est une grâce que je me plais à vous accorder, et qui, loin de vous attrister ou de vous faire de la peine, doit exciter votre plus vive reconnaissance envers votre Sauveur.

" Goûtez cette douceur quand vous l’éprouverez; suivez l’attrait qu’elle vous donnera et qui l’aura produite.

" Voici, ma fille, comment vous devez recevoir cette douceur et cet attrait; comment vous devez le suivre et agir quand vous l’éprouverez.

" Je vous ai déjà parlé de l’oraison. Elle est un entretien, une communication de l’âme avec Dieu par des paroles, des sentiments, des pensées et des affections; en un mot, c’est une élévation de l’âme vers Dieu. Cette élévation doit être opérante, c’est-à-dire qu’elle doit offrir à Dieu les devoirs de l’âme et lui demander sa grâce, car c’est là le but de l’oraison.

" Quand vous vous y trouvez sans sentiments, sans attraits, tâchez d’en exciter de bons en vous par quelque lecture ou quelque pensée pieuse. Si vous ne pouvez lire ni vous arrêter à quelque bonne pensée, mais que vous ressentiez immédiatement cette douceur et cet attrait qui fait goûter Dieu, bien que vous n’ayez ni sentiments ni pensées sensibles, demeurez en cet état, cet état est le degré de la perfection dans l’oraison, et cette oraison est encore plus ou moins parfaite, selon que ce degré de repos est aussi plus ou moins parfait. C’est là l’état des bienheureux dans le ciel, le repos dans la vue et l’amour de Dieu.

" Or, ma fille, vous devez grandir et croître en cette nouvelle voie dont vous n’avez pas encore franchi le premier degré. Armez-vous donc de vigilance et d’humilité; sans cela, vous descendrez au lieu de monter, et vous deviendrez semblable à ces âmes qui, après s’être élevées comme des aigles dans le ciel, tombent à terre pour être comparées aux plus vils animaux. Soyez vigilante et soyez humble : vigilante pour marcher en avant; humble pour demeurer amie de Dieu et rester dans la vérité, qui vous dira que vous n’êtes rien par vous-même; soyez circonspecte aussi, afin de ne point vous laisser séduire et de ne point vous laisser entraîner dans les choses vaines, inutiles ou mauvaises; car il n’y a que les choses saintes qui mènent à Dieu.

" Cette voie est non-seulement inconnue, mais elle est encore aussi périlleuse que toutes les autres.

" Elle est périlleuse : on peut donc faire dans cette voie des chutes déplorables; par conséquent, il faut y prendre garde, et ne s’y reposer qu’en Dieu et sur Dieu.

" Elle est inconnue : Dieu seul peut en donner la connaissance. Il est impossible à l’âme de la trouver par elle-même et d’y marcher, si elle n’est éclairée et conduite par l’Esprit-Saint. Or, L’Esprit-Saint n’en instruit et n’y mène que quelques âmes privilégiées.

" Puisque cette voie est ouverte devant vous, ma fille, suivez avec humilité et circonspection l’attrait qui vous y porte. Je vous soutiendrai et vous éclairerai; lorsque vous en aurez besoin, appelez-moi à votre aide, je me hâterai d’accourir.

" Que ce soit pendant la sainte messe ou après la communion, pendant la prière ou la méditation, suivez toujours l’attrait qui vous sera donné; mais suivez-le comme je vous ai appris à le faire, c’est-à-dire en vous occupant de Dieu ou de ce qui est à Dieu, et vous reposant en lui. Si vous faites ainsi, soyez tranquille, vous agirez selon le bien.

" Ma fille, dans votre conduite, cherchez plutôt à faire la volonté de Dieu que votre volonté. Cherchez plutôt le bon plaisir de Dieu que le vôtre. Qu’il vous conduise d’une manière ou d’une autre, que vous importe, pourvu que vous fassiez sa volonté!

" O Marie! Ma chère fille, vous êtes petite sur la terre; mais je vous donnerai une place élevée dans mon royaume.

" Communiquez tout ce qui se passe en vous à votre directeur, et suivez ensuite ses conseils. Quelque chose que vous éprouviez, dites-lui tout, et puis demeurez calme et tranquille. "

Voilà, Monsieur, ce que je désirais vous soumettre pour vous supplier de m’accorder le secours de vos prières. J’en ai ressenti et j’en ressentirai toujours les salutaires effets, parce que je crois qu’elles vous sont inspirées par la charité que vous avez pour moi.

Je ne puis vous en témoigner toute ma reconnaissance; mais vous savez que Dieu ne laissera pas sans rémunération ce que vous faites pour la plus humble de ses servantes.

Je vous prie de recevoir, Monsieur le Curé, l’hommage de la plus haute considération avec laquelle j’ai l’honneur d’être

Votre très humble et très soumise servante,

Marie.

Mimbaste, 25 juillet 1843.

 

LETTRE 11, Description du tabernacle admirable ou Marie Lataste reçoit les plus grandes faveurs de Dieu.

Monsieur le Curé,

C’est avec une entière soumission que je viens vous soumettre ce que j’éprouve depuis quelque temps dans ma nouvelle manière de vivre.

Il me semble que mon âme est dans une nouvelle vie, dans le centre de la lumière et des connaissances intérieures et spirituelles. Ce centre merveilleux m’apparaît comme un appartement qui n’est ni grand ni petit; il est fermé, mais non pas par aucun mur, parce qu’il est tout spirituel. Ce nouvel appartement où se retire mon âme, le Sauveur Jésus m’a appris à le nommer le tabernacle admirable. J’y aperçois une grande croix de douze à quinze pieds de hauteur, dont le Christ est de grandeur naturelle. Elle repose sur un beau piédestal, qui me paraît être de marbre ainsi que la croix, mais qui ne l’est pas, parce que tout y est spirituel. Il y a dans ce tabernacle admirable comme une atmosphère vivante de lumières, de connaissances et de sentiments divers qui portent vers Dieu. Il est impossible d’y entrer sans en être tout pénétré. Or, j’ai vu clairement que ces lumières, ces connaissances et ces sentiments viennent de la croix du tabernacle admirable comme d’une source intarissable.

Je ne puis pas pénétrer, quand je le veux, ni demeurer autant que je le veux dans le tabernacle admirable. Il m’est néanmoins quelquefois permis d’y entrer, d’y goûter et d’y recevoir les instructions qui s’y donnent, quoique sans paroles. C’est une des faveurs les plus signalées que puisse m’accorder le Sauveur Jésus. Il me l’accorde pour me donner plus de force et de vigueur afin d’opérer le bien, car je sens cette force et cette vigueur me pénétrer et m’envelopper intérieurement et extérieurement, sans que rien soit capable ensuite de m’en dessaisir.

Vous comprendrez difficilement ce que j’entends par des instructions sans paroles; je veux dire, Monsieur, que dans le tabernacle admirable, mon âme voit les choses si clairement que, soit sur Dieu, sur Jésus-Christ, sur Marie, sur soi-même, sur la religion, elle s’instruit comme si elle entendait parler. Souvent elle voit et ne comprend pas; mais elle goûte avec suavité les étonnants mystères qui sont devant elle.

D’autres fois, un pouvoir invisible m’empêche d’entrer dans le tabernacle admirable, ou bien me force d’en sortir dès que j’y suis entrée.

O Monsieur, que de bonté en ce Sauveur Jésus! Qui me donnera de me confondre en actions de grâces devant lui, de lui donner à jamais et mon esprit et mon cœur, et mon âme et tout ce que j’ai!

Je vous prie de vouloir agréer, Monsieur le Curé, l’hommage de mon plus profond respect et de ma soumission entière à votre jugement, auquel je soumets toutes choses.

Votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, ler août 1843.

 

LETTRE 12, Jésus en croix nous montre l’énormité du péché.

Monsieur le Curé,

Je viens vous soumettre, avec le même abandon et la même confiance, ce que vous m’avez demandé de mes méditations sur la passion du Sauveur Jésus.

Je ne sais trop comment je pourrai m’exprimer et dire des choses que j’ai entendues sans qu’on proférât une parole, et qui étaient bien plus l’effet d’un éclat de lumière que de voix clairement et distinctement articulées.

Pour ces méditations, je ne me suis point servie de livres; je ne les ai non plus jamais préparées. J’avais déjà plusieurs fois médité sur la passion de la manière que je vous ai dite ailleurs; la passion est le sujet le plus ordinaire de mes méditations. C’est une source inépuisable vers laquelle me porte un attrait irrésistible, et dans laquelle mon âme prend force, courage et vertu pour faire le bien et éviter le mal.

Or, un jour, je me mis à genoux pour faire ma méditation selon l’attrait qui me serait donné. Quand je ne prépare point ma méditation, ne c’est point que je veuille tenter Dieu ainsi; mais c’est que je suis obligée de suivre l’attrait qui me porte ailleurs, et qui m’oblige même à laisser la méditation que j’aurais préparée pour en suivre une autre. Quelquefois Dieu m’envoie des occupations qui m’empêchent la veille de me préparer à ma méditation du lendemain. C’est là pour moi l’indice que le Sauveur se charge de ma méditation ou bien que je devrai me tenir humblement à ses pieds, quelquefois sans aucun sentiment d’amour, jusqu’à ce qu’il lui plaise d’avoir pitié de moi.

Après m’être agenouillée aux pieds du Sauveur, je sentis aussitôt en mon âme un attrait qui la portait presque avec violence à considérer Jésus attaché à la croix.

Ah! Monsieur, je ne sais comment je devins alors. Pendant que mon corps me semblait d’un poids et d’une lourdeur accablants, mon âme semblait avoir une nouvelle vie. Elle se trouva dans le centre de la lumière et des connaissances du tabernacle admirable. Mon Dieu, que de lumières et que de connaissances! Je les vis toutes immédiatement dans leur ensemble, mais je ne pus les supporter ensuite dans leur détail; elles débordèrent mon âme, qui dut nécessairement se retirer et attendre jusqu’au lendemain; ce qui me fait supposer que le Sauveur avait d’abord voulu me montrer comme un plan général des méditations qu’il voulait que je fisse ensuite séparément et chaque jour. C’est du moins ce qui est arrivé.

Voici le plan général tel que je l’aperçus : 1° Jésus en croix nous fait comprendre la grandeur et l’énormité du péché; 2° Jésus en croix est pour nous le modèle de toutes les vertus; 3° Jésus en croix fait connaître la justice et la miséricorde de son Père.

Le premier jour, je pus méditer sur la première partie, qui est : Jésus en croix nous fait comprendre la grandeur et l’énormité du péché.

Dans une première vue, je considérai le péché en lui-même et dans sa nature intime; dans une seconde considération, je vis l’injure et l’outrage qu’il fait à Dieu; enfin je compris quel est la cause de tous nos maux, tant spirituels que temporels. Quelles connaissances profondes! quelles lumières éclatantes environnèrent mon âme en cet heureux moment! Ce n’était point une parole parlée que j’entendais, mais je comprenais mieux qu’en entendant l’homme le plus savant et le prédicateur le plus distingué. C’était une parole sans voix et une voix sans parole, et je n’ai point de parole pour exprimer cette voix, ni de voix pour rendre cette parole. J’ai vu, j’ai entendu, j’ai compris; j’essayerais en vain de le rappeler, je ne le pourrais pas. C’était plus fort, plus tendre, plus sensible, plus doux, plus pénible, plus douloureux, plus intelligible, plus saisissant pour moi que toute chose au monde. C’est aujourd’hui si profondément gravé dans mon cœur, que je ne puis même l’extérioriser par écrit ou par parole. O Jésus en croix, salut de mon âme! O croix de Jésus, salut du monde! O Jésus en croix, Dieu mort pour mes péchés! O croix de Jésus, délivrance de mes iniquités! O Jésus en croix, réparateur de l’injure faite à Dieu! O croix de Jésus, témoin éclatant et glorieux du pardon de Dieu le Père! O Jésus en croix, libérateur du genre humain! O croix de Jésus, bouclier contre Satan, le monde et les passions! O Jésus en croix, félicité dans nos souffrances et nos peines! O croix de Jésus, arc-en-ciel de la miséricorde de Dieu! O Jésus en croix, ce sont mes péchés qui vous ont fait mourir! O croix de Jésus, ce sont mes péchés qui vous ont rougie du sang de mon Sauveur! O Jésus en croix, que je sois à jamais près de vous, avec vous, en vous! O croix de Jésus, que je vous embrasse à jamais et meure en vous pressant sur mon coeur.

Je ne pouvais plus rester dans le tabernacle admirable dont la lumière éclatante me repoussait au loin. Avant de sortir, j’entendis, forte comme un tonnerre, une voix prononçant ces paroles, qu’elle m’adressait et que j’ai conservées : " Ma fille, dites chaque jour cette prière : Mon Dieu, souvenez-vous de ce moment où vous avez fait couler pour la première fois votre grâce dans mon coeur, en me lavant du péché originel pour me recevoir au nombre de vos enfants. O Dieu, qui êtes mon Père, accordez-moi, par votre infinie miséricorde, par les mérites et le sang de Jésus-Christ, les peines et les douleurs de la sainte Vierge, les grâce que vous désirez que je reçoive en ce jour pour votre plus grande gloire et mon salut. "

Voilà, Monsieur le Curé, ce que j’éprouvai en ce jour. Je continuerai à écrire le reste dans mes moments de loisir.

Je vous prie d’agréer l’hommage de ma vénération et de mon plus profond respect avec lequel je suis,

Monsieur le Curé,

Votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 7 août 1843.

 

LETTRE 13, Jésus en croix modèle de toutes les vertus.

Monsieur le Curé,

La considération de Jésus en croix comme modèle de toutes les vertus m’a retenue plusieurs jours dans le tabernacle admirable.

Chaque jour c’étaient des lumières et des connaissances diverses sur chacune de ces vertus données à mon âme et des désirs immenses de les posséder. Ce n’étaient point des instructions comme celles que je reçois ordinairement. Je vous l’ai déjà dit, dans le tabernacle admirable je n’entends ni la voix ni la parole du Sauveur; mais je vois, je comprends, j’ai l’intelligence de ce qui se présente à moi, et je voudrais toujours voir ces choses, toujours reposer mon intelligence sur elles et y prendre mon repos. Aussi, il est impossible que j’essaye de vous exprimer ce que j’ai éprouvé sur l’amour de Jésus-Christ pour son Père; amour qui lui fait prendre un corps et une âme semblable à notre âme, pour vivre d’une vie pareille à notre vie et qui le fait mourir sur la croix pour offrir à Dieu un sacrifice digne de lui; sur la soumission entière et parfaite du Sauveur Jésus à la volonté de son Père, par laquelle il lui sacrifie sa volonté pour accomplir la sienne; sur le désir infini de réparation de la gloire de son Père; sur l’abandon et la confiance sans bornes en Dieu son Père, entre les mains de qui il remet son âme pour mourir.

Il est impossible que j’essaye de vous exprimer ce que j’ai vu de l’amour de Jésus-Christ pour tous les hommes, pour ses bourreaux, pour moi, et de vous montrer le tableau de lumière qui s’est fait autour de cette parole que je voyais en caractères de feu dans le Cœur de Jésus : " J’ai soif. " C’était la soif de notre salut, du salut des pauvres pécheurs dont il était dévoré. Il aurait voulu pouvoir dire à tous comme il le dit au bon larron : " Aujourd’hui, vous serez avec moi dans le paradis. " c’était là le désir de son cœur, désir immense, qu’il manifestait dans cette parole d’un Dieu mourant pour la rédemption des hommes : " J’ai soif! "

Il est impossible que j’essaye de vous exprimer l’humilité de Jésus en croix, de ce Dieu souverainement grand et élevé, anéanti dans les supplices et la mort. Il est impossible que j’essaye de vous exprimer son obéissance qui le soumet à ses bourreaux, sa patience qui l’empêche de se plaindre, sa douceur qui en a fait dans ses supplices l’agneau de Dieu effaçant les péchés des hommes.

Chacune de ces vertus de Jésus en croix m’a retenue un jour en oraison devant mon Sauveur. Je ne puis dire autre chose. Si je veux écrire, ma plume s’arrête, parce que l’expression lui manque; si je veux parler, ma langue est comme sans mouvement. On ne peut rendre par une parole extérieure, sensible une parole insensible et intérieure. Je ne puis exprimer un enseignement que j’ai reçu dans l’éclat d’une lumière sortie de la croix, par des signes de convention sortis de la langue de l’homme et qu’on appelle la parole.

Recevez, Monsieur le Curé, l’assurance de ma profonde reconnaissance, de mon respect le plus grand et de ma vénération la plus entière.

Monsieur le Curé,

J’ai l’honneur d’être votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 9 août 1843.

 

LETTRE 14, Jésus en croix fait connaître la justice de son Père, et cette connaissance est l’effroi du pécheur impénitent. Jésus en croix montre aussi sa miséricorde.

Monsieur le Curé,

C’est avec la plus entière et la plus parfaite soumission que je désire me conformer à votre volonté. Vous m’ordonnez de faire un effort et de tenter la découverte d’une expression de ce que j’éprouve dans mes méditations sur la passion.

Je vais essayer, je ferai comme je pourrai; pardonnez-moi si je ne fais point de la manière que vous le désireriez, et que ma bonne volonté me fasse trouver grâce près de vous.

Après avoir médité sur Jésus en croix, modèle de toutes les vertus, j’ai vu se dérouler la suite du plan général que je vous ai tracé. Jésus en croix fait connaître la justice de son Père, et cette connaissance est l’effroi du pécheur impénitent.

Ce sujet m’a retenue dans le tabernacle admirable pendant trois jours à l’heure de ma méditation.

Vous savez, Monsieur, et vous voyez combien la justice de Dieu apparaît dans Jésus en croix. Je ne m’arrêterai point là-dessus. D’ailleurs, dans ma méditation, cette vue de la justice divine sur Jésus en croix a brillé pendant un instant seulement, et parce que c’est là, je pense, on mystère insondable, il ne m’a point été permis de m’y arrêter. Mon intelligence et mon coeur se sont portés pendant les trois jours sur l’effroi que doit causer au pécheur impénitent Jésus crucifié.

Jésus en croix est la victime sur laquelle Dieu a exercé la rigueur de sa justice et la sévérité de ses jugements. Or, Jésus était juste et il n’avait en lui que l’apparence du péché pour lequel il venait mourir afin de sauver le monde. Que doit donc attendre le pécheur impénitent qui ne veut point renoncer à son péché, et que la mort frappera à l’heure où il y pensera le moins?

Telle est la vue générale que j’aperçus le premier jour où il me fut donné d’entrer dans le tabernacle admirable pour y voir la justice de Dieu manifestée dans Jésus en croix.

Voici la vue en son détail ou l’enseignement que mon esprit puisait dans cette vue.

Jésus était juste, saint et impeccable. Le coeur de Jésus ne pouvait ressentir l’impression d’aucun vice, d’aucune mauvaise inclination, ni de la plus petite imperfection, tandis que les saints, même les plus grands saints, par un effet de la nature corrompue, ont éprouvé en eux ces impressions, bien qu’ils n’en aient pas été les victimes. La divinité qui remplissait son coeur y enfermait la sainteté parfaite de Dieu, et repoussait par conséquent tout ce qui n’était pas saint, et l’empêchait par des barrières infinies d’arriver jusqu’à lui.

L’esprit de Jésus était éclairé de la lumière même de la divinité qui le divinisait, c’est-à-dire lui donnait la plus entière conformité et la plus grande participation à la sainteté de Dieu, pour qu’il fût l’esprit de l’Homme-Dieu.

L’âme de Jésus était remplie par la divinité qui se communiquait à elle d’une manière si intime que l’âme du Sauveur était tout absorbée dans la divinité, devenait une même chose avec elle, et pourtant sans confusion et en conservant toutes ses puissances et toutes ses facultés distinctes de la divinité. L’âme de Jésus était, comme celle des autres hommes, douée des mêmes facultés, l’entendement, la mémoire, la volonté et la raison; mais ces facultés étaient divinisées dans le Sauveur Jésus.

Le corps de Jésus était pur et saint; car son âme étant pleine de grâces, possédant toutes les vertus dans un degré infiniment plus élevé qu’on ne peut le concevoir, participant aux perfections de la divinité, étant divinisée elle-même, ne pouvait conduire le corps que d’une manière divine. Car c’est l’âme qui est le guide du corps, qui le fait agir et opère par lui ce qu’elle veut. Or, l’âme de Jésus étant divinisée par son union à la divinité, divinisait le corps de Jésus par son union avec lui. Dans le corps de Jésus se trouvait la divinité du Verbe de Dieu et l’âme de Jésus divinisée par son union avec elle; et le corps, l’âme, la divinité étaient si parfaitement unis, qu’ils ne formaient qu’un seul être ou une seule personne, la personne du Fils de Dieu fait homme; personne juste, sainte et impeccable. En Jésus il a trois substances : la substance divine, la substance de l’âme et la substance du corps. Ces trois substances font deux natures, la nature divine et la nature humaine. Ces deux natures font une seule personne, la personne du Fils de Dieu fait homme, qui s’appelle Jésus-Christ.

L’homme doit avoir en lui nécessairement le corps et l’âme. S’il n’avait que le corps, il ne serait point homme, ce serait une machine sans vie, une statue sans mouvement. S’il n’avait que l’âme, il ne serait point homme, ce serait une intelligence spirituelle; il faut, pour que l’homme existe, qu’il y ait union entre le corps et l’âme, qui se conservent sans se confondre, car l’âme ne devient point matière ni le corps un esprit. Ils se conservent mutuellement, et leur union compose l’homme.

Jésus-Christ est vraiment homme. Il est homme uni à la divinité. L’union de la nature divine avec la nature humaine ne fait point que la nature humaine soit confondue avec la nature divine. La nature humaine est parfaitement et entièrement conservée en Jésus-Christ, sans cela il ne serait point homme. La nature divine ne se confond point avec la nature humaine par son union avec le corps et l’âme de Jésus-Christ; elle se conserve telle qu’elle a été de toute éternité; s’il en était autrement, Jésus-Christ ne serait point Dieu. Aussi, de même que le corps et l’âme unis entre eux, sans se confondre, forment l’homme, ainsi la réunion de la nature divine et de la nature humaine forment, sans se confondre aucunement, une seule personne, la seconde personne de la sainte Trinité faite homme pour nous.

Tel est Jésus-Christ, Dieu et homme en même temps; par conséquent infiniment juste, infiniment saint, infiniment impeccable. Tel est Jésus-Christ, en qui rien ne peut déplaire à Dieu son Père, dont il est la splendeur et la gloire. Tel est Jésus-Christ, la justice et la sainteté par excellence. En lui par conséquent rien ne méritait le courroux de Dieu son Père, et c’est lui que je vois en croix, c’est lui que je vois victime de la sévérité des jugements de Dieu. Il n’y a en lui que l’apparence de nos péchés, dont il a voulu se charger, et cependant quelles rigueurs, quelles punitions, quelles vengeances Dieu exerce sur lui! Tous les maux que le péché a attirés sur le monde pèsent sur lui, le torturent et l’accablent.

Si le Juste et le Saint des saints est ainsi traité, que sera-ce du pécheur coupable et impénitent, du pécheur qui s’abandonne à toutes ses passions, qui se fait un plaisir d’offenser Dieu, qui se roidit et se dresse contre le ciel, qui arme le bras de la justice divine par ses iniquités, qui l’oblige à le frapper par son obstination dans le mal et son impénitence? Malédiction éternelle de Dieu, flammes vengeresses et dévorantes de l’enfer, n’anéantirez-vous point ce pécheur? Non, mais pendant l’éternité vous l’étreindrez vivant sans le lâcher jamais.

Le lendemain, je vis combien Jésus en croix doit épouvanter le pécheur impénitent qui abuse du sang de son Sauveur, en refusant de se convertir.

Jésus-Christ, par sa mort et les mérites de sa mort, nous a obtenu les grâces qui nous sont nécessaires pour opérer notre salut. Les sacrements et les actes de religion sont la source où nous pouvons aller puiser ces grâces. Que fait le pécheur impénitent? Il néglige ces grâces qui lui sont offertes, il n’en profite pas. Elles sont là devant lui pour le retirer de la mort et lui donner la vie, et il refuse la vie pour rester dans la mort. O folie et aveuglement du pécheur! Que fait-il encore? Il ne se contente pas d’abuser ainsi de ces grâces en les négligeant, il en abuse en les profanant; il les fait servir à sa ruine, à sa condamnation. O désolation des désolations et malheur des malheurs! Le péché est un effet de la faiblesse humaine; mais la persévérance dans le péché n’est-elle point un effet d’une malice satanique? Que dira ce pécheur à l’heure où Dieu lui demandera compte de l’administration de son âme? Quelle contenance fera-t-il? Quel sera son courage? Ne fuira-t-il pas dans les feux de l’enfer, parce qu’il ne pourra supporter l’œil courroucé de Dieu?

Jésus-Christ, par sa mort et par la satisfaction qu’il a offerte à Dieu pour les péchés des hommes, n’a pas voulu pour cela délivrer l’homme de toute satisfaction. Il a donné à Dieu la satisfaction que l’homme ne pouvait lui donner. Mais pour que cette satisfaction que Jésus-Christ a donnée à Dieu devienne utile à l’homme, l’homme doit faire ce qui lui est imposé et donner à Dieu la satisfaction qu’il veut agréer de sa part, après la satisfaction de son Fils sur la croix.

Or, la première satisfaction que Dieu demande à l’homme, c’est le repentir et l’intention de ne plus pécher. Dieu connaît la faiblesse de l’homme, aussi est-il disposé à lui pardonner ses fautes, dès qu’il a le repentir dans son âme.

Que fait le pécheur impénitent en face de Jésus en croix, en face de la satisfaction que le Sauveur donne à Dieu pour le salut de tous les hommes? Il dit à Dieu, il dit à Jésus : Vous me demandez satisfaction pour mes péchés, vous me demandez repentir de mes péchés, vous me demandez résolution de ne plus pécher; demandez O Dieu! et vous, Christ, demandez aussi; mais votre demande sera repoussée, le repentir ne sera jamais dans mon coeur. O parole impie, parole blasphématoire, parole qui soulève l’indignation du Très-Haut, parole qui fait tomber ses malédictions et ses vengeances! O mon Dieu! je ne puis par moi-même faire autre chose que pécher et vous offenser, mais je ne veux point persévérer dans le péché, je ne veux point résister à votre grâce. Je veux recueillir de votre bouche paternelle le pardon que vous m’offrez. Sauveur Jésus, réparateur des péchés de mon âme, vous avez eu pitié de moi, je veux du moins ne pas rendre inutiles vos souffrances et vos douleurs. Si je vous ai offensé, dès ce jour je veux vous aimer. Je déteste mes péchés; je vous promets, avec votre grâce, de les fuir comme à l’approche d’un serpent. Je veux m’unir à vous, vivre de vous, en vous et pour vous.

Ah! mieux eût valu pour le pécheur impénitent que Jésus-Christ ne fût jamais venu sur la terre. Mieux eût valu pour lui que jamais la croix n’eût élevé le Fils de Dieu entre le ciel et la terre; les crimes de ce pécheur n’eussent point été si considérables ni si outrageants pour Dieu. O sort mille fois malheureux de ce pécheur! Effroi de son âme au tribunal de Dieu et terreur à nulle autre pareille! Mon Dieu, grâce pour moi, et que je vous aime à jamais!

Le troisième jour, je vis dans ma méditation combien Jésus en croix est la terreur des pécheurs impénitents, par la grandeur des tourments qu’ils s’attirent en rendant les mérites du Sauveur inutiles.

J’ai vu l’effroi de ce pécheur avant sa mort; je l’ai vu aussi dans l’enfer. Mon âme en est encore toute saisie d’effroi.

Quels moments que ceux qui précèdent la mort d’un pécheur impénitent, quelles douleurs dans son âme, quelles terreurs en son esprit, quels regrets en son cœur, quel désespoir insoutenable! Il voit toutes les jouissances, tous les plaisirs, toutes les séductions de sa vie; il n’en reste plus rien, tout a passé, voici la mort. Toute sa vie est comme un tableau devant ses yeux. Il la regarde et il tremble, il la regarde et il désespère, il la regarde et il voudrait ne point la voir. Pauvre pécheur, s’il avait plutôt regardé Dieu et sa miséricorde, Dieu et sa bonté paternelle, Jésus et sa croix, Jésus et ses blessures, Jésus et son Cœur ouvert, Jésus et son sang, les âmes pieuses qui prient pour lui, qui ne désespèrent point de la générosité de Dieu, les âmes pieuses qui font une sainte violence à la justice divine; s’il savait lancer une parole de repentir, une parole d’amour, une parole de supplication vers le ciel, il serait sauvé! Mais non, ses yeux sont fermés et ne voient point la miséricorde de Dieu, ni la satisfaction du Sauveur, ni les prières de ceux qui l’aiment. Ses yeux sont fermés, et cependant il voit la justice de Dieu et sa main chargée de vengeances; il voit la croix de Jésus, non comme un instrument de salut, mais comme une verge éternelle qui le torturera à jamais. Il entend des voix non de prières et de supplications en sa faveur, mais des voix accusatrices pour sa condamnation. Sa bouche ne demande point pardon, elle ne prononce que des blasphèmes et des malédictions. Quelle agitation, quel trouble, quels mouvements affreux en tout son être! Pauvre pécheur! On veut le consoler, mais les consolations ne pénètrent point dans son cœur. On veut ranimer en lui la foi, et la foi reparaît non pour le sauver, mais pour le consumer comme le feu d’un vaste incendie. La foi l’éclaire et le brûle. Le bandeau de l’aveuglement est tombé de ses yeux, il voit. Mais quoi? L’éternité qui s’ouvre devant lui chargée de supplices et de maux inventés et créés par un Dieu vengeur de son nom et de sa gloire. Il voit entre Dieu et lui une distance infinie qu’il ne pourra franchir jamais, et il s’affaisse sous le poids de ses iniquités.

Quels moments et quelles souffrances!

Je vis d’autres pécheurs impénitents n’éprouver à cette heure ni peine ni remords. Il semblait que Dieu les avait abandonnés à eux-mêmes, et leur trépas ressemblait à celui des animaux sans raison.

Mais quel réveil! La justice de Dieu ne les frappera-t-elle pas d’une manière d’autant plus sensible qu’ils s’y attendent moins. Je suivis ces pécheurs dans le lieu de leur supplice.

Comment exprimer leur état, leurs peines, leurs tourments, leurs afflictions dans ce lieu d’éternelle douleur! Ils aperçoivent les perfections et les amabilités de Dieu, ou plutôt ils les comprennent sans les voir; ils comprennent que Dieu seul pouvait être leur bonheur et qu’ils en sont séparés pour jamais, et cette pensée fait leur premier et plus cruel tourment.

Ils voient la grandeur et l’énormité de leurs péchés, les grâces et les moyens de salut que Dieu leur avait ménagés dans sa bonté et dont ils n’ont point profité; et le remords le plus cuisant, parce qu’il est inutile et sans remède, fait leur second et insupportable tourment.

Ils voient que les maux qui les accablent n’auront jamais de fin, qu’ils dureront toujours et avec la même intensité. O vie désespérante qui leur fait pousser des cris et des hurlements affreux, des blasphèmes et des malédictions contre le ciel! O mon Dieu, quelle haine dans leur âme contre vous! quelle haine contre eux-mêmes! Quelle haine contre ceux qui les ont entraînés au mal! Est-ce qu’ils ne sont point au plus intime de ces âmes comme des orages d’imprécations, de malédictions, de blasphèmes, d’injures, de menaces qui sillonnent les enfers pour en raviver les flammes à jamais? Quelle vue et quel spectacle! Mon âme en fut effrayée et put à peine considérer la violence du feu de ces abîmes, et la fureur des démons à tourmenter les damnés dans tous leur sens.

Justice de mon Dieu, préservez-moi de ces rigueurs! Mon âme, de quoi me plaindrais-je? Les maux que Dieu m’envoie ne sont-ils pas un effet de sa miséricorde? Non, je ne veux point murmurer, Seigneur, de mes peines d’ici-bas, pour néanmoins en point mériter de plus terribles dans l’éternité. Faites de moi ce qu’il vous plaira. Que ma vie soit un martyre de chaque jour et de chaque instant, pourvu que je sauve mon âme! Quelles que soient mes souffrances, votre religion sainte me les rendra douces et faciles à supporter; le souvenir de l’enfer, dussent-elles durer un millier d’années sur la terre, me les fera supporter comme un fardeau léger. Que je souffre, ô Jésus crucifié, et que je vous aime toujours! Que mon corps et mon âme soient affligés par toutes les épreuves les plus fortes et les plus pénibles; mais qu’à ce prix mon coeur vous demeure attaché, qu’il ne soit jamais séparé de vous, qu’il n’ait pour vous qu’amour et reconnaissance, même au milieu de mes plus grandes tribulations!

Voilà, Monsieur, ce que j’ai vu, ce que j’ai éprouvé, ce que j’ai compris autant que mon esprit pouvait le comprendre, ce que j’ai senti en moi autant que mon âme était capable de sentiment. Je le sens, je n’ai pu vous montrer par cette lettre la lumière que j’ai vue, c’est Dieu seul qui la montre; je n’ai pu vous marquer en leur perfection les enseignements que j’ai reçus. Dieu seul pourrait le faire; je n’ai pu vous tracer les sentiments de mon cœur pendant ces heures de communications intimes avec Jésus, c’est là le secret du Roi que je ne puis dévoiler. Mais j’ai essayé de vous montrer ma bonne volonté et le désir que j’ai d’obéir à tout ce qu’il vous plaira de me commander.

Je veux terminer en vous disant, autant que je saurai m’exprimer, comment Jésus en croix fait reconnaître la miséricorde de Dieu.

La miséricorde de Dieu me fut manifestée de trois manières dans le tabernacle admirable par la vue de Jésus en croix.

La miséricorde de Dieu se manifeste dans les biens qu’elle nous donne, dans les maux qu’elle nous envoie, et dans la félicité qu’elle nous accorde dans le ciel. Or, Jésus en croix manifeste ce triple aspect de la miséricorde de Dieu.

La miséricorde de Dieu est une mer immense et infinie, dans laquelle se trouvent tous les biens, tous les dons et toutes les grâces qui nous sont réservés. Or, le péché mit au commencement un mur de séparation entre Dieu et l’homme, et Dieu ne pouvait plus faire miséricorde à l’homme ni verser sur lui l’abondance de ses bienfaits. L’homme était séparé de Dieu par une distance infinie, le péché. Mais Jésus vint sur la terre, monta sur l’arbre de la croix, rendit réparation pour le péché de l’homme, et la miséricorde continua son œuvre, en donnant à l’homme des grâces encore plus abondantes.

La miséricorde de Dieu se manifeste dans les maux qu’il nous envoie. Châtier, c’est aimer; châtier, c’est faire expier, châtier, c’est rappeler le souvenir de Dieu; châtier, c’est punir ici-bas pour ne point punir dans l’autre vie. Les maux que Dieu nous envoie sont des traits que la justice de Dieu lance sur l’âme; mais ces traits ne sont point mortels, ils sont au contraire cause de vie, parce qu’ils sont trempés dans les eaux de la miséricorde et qu’ils attirent les grâces de Dieu. Or, c’est de Jésus en croix que nous recevons cette effusion de la miséricorde de Dieu; c’est lui qui demande pardon à Dieu pour nos péchés, et nous fait envoyer les maux de la vie pour nous préserver de ceux de l’éternité. Ces maux sont une participation à ses douleurs et, unis à elles, ils nous sanctifient et expient nos péchés.

Enfin, la miséricorde de Dieu se manifeste en nous donnant le bonheur du ciel. C’est encore Jésus en croix qui manifeste sous ce rapport la miséricorde de Dieu; car c’est par sa croix qu’il a fermé les portes de l’enfer et ouvert celles du ciel. C’est par sa croix qu’il nous a délivrés de l’esclavage de Satan et rendus fils de Dieu.

O croix de Jésus, mystère dans le temps! O croix de Jésus, mystère dans l’éternité! Jésus en croix, vous ravissez nos cœurs sur la terre! Jésus en croix, vous captivez nos esprits sur la terre! Jésus en croix, vous attirez tous nos regards! Jésus en croix, vie de notre vie! Jésus en croix, mort de notre mort! Jésus en croix, bonheur et félicité de l’âme sur la terre! Jésus en croix espoir du bonheur et de la félicité du ciel!

Croix de Jésus, lumière du ciel! croix de Jésus, repos des âmes dans le ciel! croix de Jésus, lien éternel entre les âmes et Dieu dans le ciel! croix de Jésus, à vous gloire à jamais!

O Jésus en croix, que mon âme se consume à vous aimer! O croix de Jésus, que je vous porte, non un instant sur mes épaules comme le Cyrénéen, mais toute ma vie, tous les jours, et qu’avec vous je me présente à Dieu pour lui demander miséricorde pour l’éternité.

Je vous prie, Monsieur, en finissant, d’excuser ma si longue lettre et la manière dont je l’ai écrite. Vous n’y goûterez point ce que j’ai goûté dans le tabernacle admirable; vous n’y verrez point les lumières que j’y ai vues; vous n’y prendrez point les connaissances qui m’ont été données. Je donne ce que je puis donner par obéissance et de grand coeur.

Recevez, Monsieur le Curé, l’assurance de mes sentiments de vénération, de respect et d’obéissance avec lesquels je suis, Monsieur le Curé,

Votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 14 août 1843.

 

LETTRE 15, Souffrances du corps et de l’âme de Jésus dans la passion.

Monsieur le Curé,

Je viens vous soumettre encore ce que j’ai éprouvé un autre jour dans le tabernacle admirable à la vue de Jésus en croix.

Je vis dans le Sauveur deux sortes de souffrances : les souffrances du corps et les souffrances de l’âme, et cette vue me montra combien je devais prendre avec patience et soumission toutes les douleurs que je pourrais éprouver moi-même dans mon corps et dans mon âme.

Le corps de Jésus me paru affligé de tous les maux, de toutes les douleurs les plus aiguës qu’il soit possible d’imaginer. Il souffrait non-seulement toutes les souffrances des hommes à cause de leurs péchés, mais encore infiniment plus que tous les fils d’Adam ensemble. Son corps était comme un océan de souffrances. Sa chair était déchirée par la flagellation; ses nerfs, contractés et disloqués par le crucifiement; mais rien ne me paraissait comparable à la soif qui le brûlait. Mon cœur était brisé, en le voyant en cet état, mes yeux ne pouvaient se détacher de lui, et je souffrais mille morts en le voyant souffrir. J’aurais voulu le détacher de la croix pour mourir à sa place, pour souffrir ce qu’il souffrait; car, je ne pouvais me faire illusion, Jésus est innocent et je ne suis qu’une misérable pécheresse; c’est pour moi qu’il est en croix; c’est moi qui l’ai attaché en croix. O péché de mon âme! quelle est ton œuvre?

En ce moment, la lumière qui entourait le crucifix du tabernacle admirable devint plus éclatante que jamais. Le corps de Jésus m’apparut comme un océan immense, sans bornes et sans limites, d’où s’échappaient dans tous les temps passés, présents et à venir, sur toutes les épreuves des hommes, sur tous les maux, sur toutes les douleurs, sur toutes les peines, sur toutes les tribulations qu’ils endurent une fécondité nouvelle, une vertu divine qui changeait ces tribulations en une joie éternelle, ces maux en un bien éternel, ces épreuves en un repos éternel. Son corps m’apparut en même temps comme un océan immense où affluaient toutes les peines de l’humanité entière pour l’accabler lui seul, et des souffrances encore plus grandes qui eussent suffi et au delà pour affaisser toute l’humanité et l’empêcher de se relever jamais; mais il était Dieu et sa force divine contenait tous ces maux dans le corps et l’âme qu’il avait pris. La voix de Jésus se fit entendre, ou plutôt je compris sans qu’il parlât, ce que je puis à peu près rendre par ces paroles qui sont l’expression de ce que je compris : " Je suis le roi de la douleur, le maître des souffrances, le distributeur des tribulations. J’ai conquis ma couronne sur la croix, ma domination par ma mort et mon autorité par ma résurrection. Ceux qui veulent être couronnés avec moi doivent porter ma couronne d’épines; ceux qui veulent régner avec moi doivent mourir de la mort que je leur destine chaque jour de la vie; ceux qui veulent participer à mon autorité ne la recevront que par la voie douloureuse des tribulations. C’est moi qui envoie à chacun ses épreuves, qui en règle la durée comme l’intensité, et qui donne à tous l’exemple de la conquête de la gloire du paradis. Je n’avais point besoin de souffrir pour moi. C’est par amour pour les hommes que j’ai souffert. Tous les hommes ont péché; ils doivent souffrir pour expier leurs péchés, souffrir en union avec mes souffrances, souffrir par reconnaissance de ce que j’ai moi-même souffert pour eux. "

Ah! Monsieur, peut-on se plaindre quand on souffre, si l’on regarde un seul moment Jésus en croix? Ne trouve-t-on point là consolation, force, courage, et même désir de sa souffrance, puisqu’elle fait ressembler à Jésus et mérite le ciel?

Je vis aussi et je compris, autant que je pouvais la voir et la comprendre, la douleur de l’âme de Jésus. La plus grande douleur d’une âme, c’est l’abandon de tous ceux qu’elle aime. S’il en est ainsi, comment représenter la douleur de l’âme du Sauveur? Ah! je crois que si cette douleur était une chose sensible, ni la distance qu’il y a entre le ciel et la terre, ni la profondeur, ni l’immensité du monde, ne serait capable de la contenir.

Jésus était abandonné de tous, même de son Père. Si Dieu avait jeté en l’âme du Sauveur un regard miséricordieux, elle eût été consolée. Mais non, en ce moment, la divinité de Jésus seule trouvait en son Père l’amour éternel qu’il a eu et qu’il aura toujours pour elle; mais l’âme de Jésus ne trouvait qu’une rigueur extrême et inflexible en Dieu, qui réclamait tous les droits de sa justice. L’abandon de l’Homme-Dieu! Jésus seul peut comprendre et comprit tout ce qu’il y avait de pénible en cet état de son humanité abandonnée par Dieu son Père.

Jésus était abandonné de toutes les créatures. Les unes le torturaient, exerçaient sur lui toutes leurs cruautés, toutes leurs railleries et tous leurs affronts; les autres demeuraient dans la plus complète indifférence.

Il voyait pourtant quelques personnes debout près de lui, qui prenaient part à ses douleurs; mais leurs peines l’affligeaient bien plus qu’elles ne le consolaient. Leur impuissance à diminuer ses peines, comme leur présence qui les augmentait, n’étaient-elles donc pas encore plus pénibles que si elles l’eussent abandonné? Il voyait là Marie, sa Mère qui, en union avec lui, offrait à Dieu son sacrifice, et dont l’âme était véritablement traversée par un glaive de douleur. Il voyait là l’apôtre bien-aimé, le disciple seul demeuré fidèle, et cette vue pouvait-elle ne point le faire souffrir plus que tous les autres tourments?

Quelles douleurs en Jésus! Quel calme cependant en sa douleur! Il garde le plus profond silence : silence de miséricorde pour ses bourreaux, silence de soumission pour son Père. S’il le rompt, c’est par charité pour sa mère et son disciple bien-aimé; s’il le rompt, c’est par pitié pour le larron pénitent; s’il le rompt, c’est pour accomplir les prophéties; s’il le rompt, c’est pour remettre son âme entre les mains de son Père; s’il le rompt enfin, c’est pour témoigner que la vie lui appartient et que nul ne pourrait la lui ravir. O clameur dernière du Sauveur au moment de son trépas, jetée au monde comme un mystère qu’il ne comprendra jamais, combien vous avez saisi mon âme! Ne m’avez-vous point dit et montré comment Dieu use de plus de miséricorde envers nous, ses enfants adoptifs, qu’envers Celui qui est son fils par nature? Ne m’avez-vous point fait comprendre qu’au milieu de mes souffrances j’avais toujours les grâces de Dieu comme un appui, un soutien, une consolation, et la parole d’un ami, pour me donner courage et faire lever mes yeux au ciel, la parole du Sauveur? Ne m’avez-vous point fait sentir la nécessité de souffrir pour fuir le péché, de souffrir et de me soumettre à la volonté de Dieu, de souffrir et de ne désirer qu’une seule chose, la pureté du cœur?

Ah! Monsieur, je sens combien je ferais injure au Sauveur Jésus de me plaindre de mes souffrances. Il m’a montré la nécessité, l’avantage et la manière de souffrir. Je saurai mieux le faire que le dire, pourvu que Dieu m’assiste de sa grâce dans les tribulations.

Je suis, avec le plus profond respect, Monsieur le Curé,

Votre très humble servante,

Marie

Mimbaste, 19 août 1843.

 

LETTRE 16, Des trois communications dans le sein de Dieu.

Monsieur le Curé,

C’est avec une soumission entière que je viens soumettre à vos lumières ce que je vais écrire.

Ce ne sont point des paroles qui m’aient été adressées, ni des pensées qui m’aient été inspirées; ce sont des clartés brillantes, des vues, des connaissances que j’ai reçues dans l’oraison. Vous vous rappelez la différence que j’ai mise entre le tabernacle admirable, le sein et le coeur de Dieu. C’est dans le sein de Dieu que j’ai reçu ces communications. Je puis les réduire à trois points. Je ne sais si je pourrai bien me faire comprendre; je m’expliquerai le plus clairement que je pourrai.

Dans la première communication, il s’est agi de Dieu infiniment grand et infiniment incompréhensible dans son être et dans ses perfections.

Dans la seconde, il s’est agi des relations entre Dieu et l’âme élevée jusqu’à lui par l’union le plus intime.

Dans la troisième, il s’est agi de l’état d’une âme dépouillée de la grâce sanctifiante, de son retour à Dieu et de ses combats après sa conversion.

Enfin, comme conclusion, j’ai vu autant qu’elle peut être vue, la disproportion infinie qui existe entre Dieu et l’homme.

Voici la première.

La simple vue et la connaissance de Dieu offrent quelque chose de si grand, de si parfait, de si relevé, de si sublime, de si infini, de si fort au dessus de ce que l’esprit de l’homme est capable de comprendre, de concevoir ou d’imaginer, que toutes les facultés de son âme sont débordées, et que son cœur est ému par divers sentiments qu’il chercherait inutilement à contenir.

C’est en vain que l’esprit demande des expressions pour rendre les choses même telles qu’il les conçoit et les comprend. Quelque élevée que soit la conception ou l’intelligence qu’il a de Dieu, il est obligé de reconnaître qu’il ne peut rien dire de plus digne sur Dieu que d’avouer et de proclamer Dieu au dessus de tout ce que l’esprit de l’homme peut comprendre ou concevoir. Dieu est un tout qui ne peut être compris. Il remplit tout par son immensité. Tout vient de lui et retourne à lui. Dieu possède toutes les perfections qui de lui retombent sur les créatures, dans la mesure qu’il leur destine. Tout proclame les perfections de Dieu, tout publie sa gloire, tout annonce son existence. Dieu est le principe de tout bien. La source de la grâce est en Dieu; c’est de son sein qu’elle se répand sur les cœurs des hommes. Dieu est un fonds inépuisable de lumières, dans lequel se trouvent toute science et toute connaissance dans un degré infini.

En un mot, Dieu est un être infiniment grand, infiniment incompréhensible dans son être et ses perfections. Seul, il peut se comprendre lui-même.

Voici la deuxième.

Quand il plaît à Dieu d’élever une âme, il se communique à elle, il la fait participer à sa sainteté, à sa sagesse, à sa force; il l’éclaire de ses lumières, il la remplit de la vertu de son Esprit, il se découvre à elle, il la transporte et la fait monter jusque dans le cercle de l’adorable Trinité, et là, il répand sur cette âme l’abondance de ses biens et de ses grâces, pour lui faire goûter une félicité au dessus de toute félicité.

L’âme, se voyant comblée des bienfaits immenses du Très-Haut, les reçoit avec les sentiments de la plus profonde reconnaissance; mais, sachant sa faiblesse et sa misère, et craignant de faire mauvais usage des dons de Dieu, elle les jette dans le sein de la divinité vers qui elle les fait remonter, proclamant ainsi qu’elle regarde Dieu comme son principe et sa fin, proclamant surtout qu’elle se croit incapable de tout et qu’elle s’abandonne entièrement à Dieu. Ainsi dégagée et détachée de tout, l’âme se perd dans le sein de Dieu et repose en lui : mais elle n’oublie pas, à cette heure des bénédictions et des faveurs divines, ce qu’elle est, et, jusque dans sa plus haute élévation, elle conserve le sentiment de sa bassesse et de son néant.

Voici sur la troisième.

Quand l’âme est dans le péché, elle se trouve plongée dans un abîme profond. Elle est là, environnée de ténèbres et victime des démons, ses ennemis, qui la tiennent captive par les chaînes de ses passions. Cette âme, si belle et si noble par elle-même, est par son péché dans un état de noirceur et de laideur qui la rend hideuse aux yeux de Dieu, des anges et des saints. Elle est séparée de Dieu et éloignée de lui par une distance infinie. Cependant Dieu, toujours miséricordieux, ne veut point abandonner cette âme, malgré ses péchés. Il lance sur elle des traits de lumière et lui envoie des grâces pour qu’elle connaisse son état et gémisse sur ses iniquités. Il lui fait comprendre son malheur par la perte qu’elle a faite de son amitié. Il lui montre combien il a été bon envers elle, combien il use encore de miséricorde et de patience et combien il désire renouveler son alliance. Il ne néglige rien, il met tout en usage jusqu’à ce qu’il ait triomphé de cette âme.

L’âme ne peut point par elle-même sortir de son abîme, briser ses chaînes, arriver à Dieu; mais elle lève ses yeux vers lui et lui jette ses supplications. Dieu descend près de cette âme, lui donne le repentir qui brise ses liens et lui permet de sortir de l’abîme. Puis il la revêt de la robe blanche de l’innocence et de la pureté, par le pardon des échés qu’elle accuse au ministre du Sauveur Jésus.

L’âme est pourtant encore tout près de l’abîme qu’elle vient de quitter. Là, le démon et les passions lui livrent de rudes assauts pour l’enchaîner de nouveau s’il est possible. Elle rencontre mille obstacles, mille embarras qui l’empêchent d’avancer dans la route du bien; il lui faut à chaque pas un nouveau combat, une victoire nouvelle. Dieu ne lui manque pas, heureusement; Dieu la soutient, nourrit son courage, et peu à peu elle fuit loin de l’abîme en marchant plus commodément vers le ciel.

Conclusion. J’ai vu enfin la disproportion qu’il y a entre Dieu et l’homme. En Dieu tout est infini; en l’homme tout est borné. Dieu se suffit à lui-même, il n’a besoin de personne, il est sa propre gloire, sa propre félicité; il est, il a été, il sera au siècle des siècles. Le monde n’existait pas, l’homme n’avait point été créé, les anges ne peuplaient point les cieux, Dieu néanmoins n’avait rien à désirer pour son éternel bonheur, car il était infiniment bon, infiniment grand, infiniment parfait.

Mais l’homme ne s’est pas fait lui-même; il est l’ouvrage de Dieu, il a eu un commencement, il aura une fin; il tient tout de Dieu, et, quelque élevé que soit un homme en grâce, en mérite, en perfection, il n’est rien en comparaison de Dieu. On ne peut comprendre la différence qu’il y a entre eux. Quelque profonde que soit la science de l’homme, elle est bornée et très bornée; la science de Dieu ne connaît point de limites, elle est infinie. Qui peut donc s’abaisser assez devant vous, mon Dieu, qui êtes si saint, si parfait, si puissant, si incompréhensible!

Recevez, Monsieur le Curé, l’hommage de ma vénération la plus grande et de mon respect le plus profond.

Je suis votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 30 août 1843.

 

LETTRE 17, Entrée et progrès dans la perfection.

Monsieur le Curé,

Vous m’avez demandé si le Sauveur Jésus m’avait parlé dans quelque circonstance d’une âme qui entre et s’avance dans la perfection.

Voici les lumières qu’il a plu au Sauveur de me donner à ce sujet :

" Quand une âme est en état de grâce et désire entrer et s’avancer dans la perfection, elle s’humilie profondément devant Dieu. Elle reconnaît que par elle-même elle n’est que péché, qu’il lui est impossible de faire le bien et qu’elle a un besoin permanent et continuel du secours de Dieu. C’est par ces sentiments humbles qu’elle attire Dieu près d’elle. Dieu, en effet, ne résiste point aux humbles. Il inspire confiance à cette âme, il lui donne courage et fermeté, il l’attire vers lui, il souffle en elle peu à peu le feu d’une charité qui croît de plus en plus. Cette charité fait que cette âme ne désire que Dieu, ne cherche que Dieu, ne veut que Dieu, qu’elle se détache de tout ce qui n’est pas Dieu, qu’elle oublie tout en Dieu pour ne s’occuper que de Dieu. Ses yeux deviennent comme fermés à la lumière du jour; elle a des yeux et elle ne voit point, parce qu’elle ne veut regarder qu’avec les yeux de son âme. La lumière qu’elle cherche n’est point celle du soleil, mais celle de la grâce, qui est la lumière de Dieu éclairant les âmes.

Ainsi cette âme s’élève au dessus des choses de la terre, au dessus d’elle-même, et Dieu répand d’autant plus de grâces en elle qu’il la voit vide de l’amour des créatures et d’elle-même. Ainsi cette âme étouffe les sentiments de la nature, maîtrise ses passions et les amortit, renonce à la lumière de la chair pour ne suivre que celle de l’esprit de Dieu.

Dieu la voyant en ces dispositions admirables se communique à elle et lui fait part des perfections qui sont en lui. Plus elle avance dans le chemin de la perfection, plus la lumière céleste croît en elle, plus elle comprend qu’il n’y a qu’un seul mal, le péché, parce qu’il éloigne de Dieu; qu’il n’y a qu’un seul bien, Dieu et son amour. Qu’elle est admirable l’action de Dieu sur cette âme! Qu’il est admirable le commerce de Dieu avec cette âme!

L’âme qui le comprend bien ne hait, ne déteste, ne fuit rien tant que le péché; elle n’aime, elle ne désire, elle ne cherche rien tant que Dieu et l’accomplissement de sa volonté. Elle s’abandonne tout à Dieu avec ses peines, ses afflictions, ses joies et sa félicité; elle garde ses yeux attachés sur Dieu et marche au souffle de la grâce vers la perfection, comme une nacelle vers le rivage au souffle du vent qui l’entraîne.

Elle peut s’abandonner à Dieu, nautonier habile qui connaît tous les périls, tous les dangers, tous les tourbillons de la mer du monde; il les évitera et la conduira sûrement au port du salut. Quelquefois il paraîtra sommeiller; des tempêtes surgiront, des abîmes sembleront entr’ouverts et prêts à engloutir cette âme; mais ce n’est pas elle qui conduit la barque, ce n’est pas elle qui la dirige, c’est le Dieu qui commande aux vents déchaînés et qui les arrête par sa parole. Cette âme est en sûreté et son salut repose sur la confiance qu’elle a dans le Sauveur.

Recevez, Monsieur le Curé, l’hommage de mon plus profond respect, et l’assurance de ma plus entière déférence à tous vos ordres.

Votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 10 septembre 1843.

 

LETTRE 18, Bonheur de Marie Lataste. Sa soumission entière à la volonté de Dieu.

Monsieur le Curé,

Je ne sais si ce que je vous ai dit dans mes lettres pourra vous laisser une idée du bonheur que Dieu m’a fait goûter dans le tabernacle admirable. Les lumières qui éclairent mon âme, les grâces et la félicité qui l’enivrent en ces moments de la méditation ont quelque chose de si divin, de si heureux, que volontiers, si c’était possible, je passerais là ma vie et l’éternité, car j’y possède l’objet de tous mes désirs, le Sauveur Jésus.

Je ne saurais jamais vous répéter assez, publier assez haut, combien le Seigneur est aimable dans ses communications avec l’âme; combien il fait goûter à celui qui l’aime une félicité suprême jusque dans les plus grandes tribulations!

Je le sens bien, plus l’attachement qu’on a pour Dieu est désintéressé, plus la paix que Dieu donne est inaltérable. Plus l’âme est libre et dégagée de tout ce qui n’est pas Dieu, même des consolations de Dieu, plus elle est heureuse et contente. Plus le cœur est vide de tout ce qui n’est pas Dieu, plus il est rempli de la grâce et de la douceur de Dieu, et rien ne saurait le rendre content s’il ne possède point Dieu. Pour être content, le coeur doit être indifférent à tout, oublier tout en Dieu. Heureuse l’âme établie dans cette indifférence, indifférence dictée par l’amour de Dieu et le mépris de soi, et nullement semblable à l’indifférence qui vient de l’amour de soi et du mépris de Dieu. Cette dernière indifférence est une noire ingratitude indigne d’un cœur chrétien. C’est l’oubli de tout ce que Dieu a fait pour soi.

Mais tout oublier en Dieu, c’est reconnaître que tout vient de Dieu, c’est tout rapporter à Dieu, c’est tout renfermer en Dieu pour que rien ne se perde et ne se dissipe; c’est là la reconnaissance souveraine et parfaite, le plus bel hommage qu’on puisse rendre aux dons de Dieu.

Je désire augmenter en moi cette indifférence, cette soumission, cet abandon à la volonté de Dieu. C’est dans ces sentiments que je trouve la paix, la force et la confiance qui me rendent presque insensible aux peines que je dois éprouver et à mes tribulations. Mes tribulations n’ont point disparu; mais je goûte, même avec elles, des consolations qui m’enivrent de félicité.

Oui, Monsieur, je suis heureuse, je ne désire plus rien; mon bonheur, c’est Dieu; il me suffit, rien ne pourra me rendre malheureuse; le malheur lui-même augmenterait ma félicité, qui est Dieu et le repos en Dieu.

Vous le voyez, c’est avec un entier abandon que j’épanche mon cœur dans votre cœur; Dieu qui voit tout sait bien que je ne vous cache rien, et que je vous parle dans la simplicité d’un enfant qui s’entretient avec son père dont il connaît toute la bonté.

Priez pour moi, Monsieur le Curé, et croyez aux sentiments de vénération profonde, de respect, de soumission et de reconnaissance avec lesquels,

J’ai l’honneur d’être, Monsieur le Curé,

Votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 5 septembre 1843.

 

LETTRE 19, Diverses communications de Dieu à l’âme dans l’oraison.

Monsieur le Curé,

Vous m’obligez à vous dire ce que j’éprouve dans mes méditations ces jours-ci. Je l’avoue, c’est là chose assez difficile. J’essayerai pourtant de vous obéir, et tâcherai de faire de mon mieux.

Lorsque je veux faire oraison, je ne me propose pas de sujet pris à l’avance, je ne me sers point de livre; rien de tout cela ne pourrait convenir à l’attrait que j’éprouve chaque fois, et par conséquent loin de m’être utile, ce choix ou cette préparation me serait à charge ou pénible.

Je me mets donc en oraison avec la seule disposition de recevoir l’attrait qui me sera donné. Quelquefois, immédiatement après, je me sens portée à chercher Dieu; je le cherche avec docilité et humilité. D’autres fois cet attrait tarde à venir; alors je me repose dans le sein de Dieu, m’humiliant et m’anéantissant en la présence de son immense sainteté, moi, pauvre créature pécheresse et entraînée au mal. Dieu se laisse chercher plus ou moins longtemps, et je lui demeure toujours soumise, quand même il ne devrait pas se laisser trouver. Mais non, tôt ou tard, il vient dire à mon âme : " Cherche moi. " Je le cherche et je le trouve. Dieu, en effet, ne résiste pas à la soumission pleine et entière à sa divine volonté.

Dieu se communique à l’âme et se découvre à elle de plusieurs manières.

Dieu se communique à l’âme par sa seule présence, et l’âme ressentant la présence sensible de Dieu repose en lui et suit l’attrait qui lui est donné conformément à cette communication.

Dieu se communique à l’âme par les dons de sa grâce. Alors il semble que l’âme reçoive des flots de grâces qui remplissent son coeur et pénètrent avec le sang dans tout le corps. L’âme en est tout enivrée. En ce moment, quelles que soient ses peines, elles disparaissent; l’âme ne les sent pas parce qu’elle goûte un bonheur ineffable dans la communication qui lui est faite.

Dieu se communique à l’âme en lui donnant des connaissances diverses, par des lumières et des illuminations divines, des vues en quelque sorte béatifiques, ou bien par des pensées qu’il lui inspire et des paroles qu’il lui fait entendre.

Dieu se communique à l’âme en la faisant pénétrer dans le sein de son immensité, et plus elle pénètre avant, et plus cette communication est grande et relevée.

Dieu se communique encore à l’âme d’une manière plus parfaite en la faisant pénétrer jusque dans son cœur. Je ne sais, Monsieur, si vous comprenez ce que je veux dire. Je mets une grande différence entre le sein et le cœur de Dieu. les communications que Dieu fait à une âme dans son cœur sont les plus intimes, les plus élevées, les plus parfaites. C’est là, en effet, que l’âme trouve le point de réunion de toutes les perfections de Dieu, là qu’elle en reçoit en elle-même les plus douces impressions, là qu’elle en s’est toute compénétrée. Elle voit là et contemple les perfections divines dans tout leur éclat, saisie d’étonnement, d’admiration et d’amour. Le cœur de Dieu, c’est la source d’où jaillissent toutes les grâces. Le cœur de Dieu, c’est la plénitude de tous les biens, et l’âme qui pénètre dans ce cœur les possède à ce point qu’ils lui paraissent communs avec Dieu. c’est là qu’il lui découvre la réalité de sa substance dont il lui donne communication pour ne faire qu’un avec elle. Enfin, c’est là qu’a lieu le commerce le plus merveilleux, le plus admirable, le plus sublime qu’on puisse supposer entre l’âme et Dieu, entre le créateur et la créature, le fini et l’infini. Là, Dieu parle un langage que les hommes ne comprennent point; là l’âme parle à Dieu un langage dont elle n’a plus l’intelligence quand elle a cessé de parler, et qu’elle ne retrouvera qu’au ciel pour le posséder à jamais. Ce langage est caché, intime, mystérieux; il est en forme de chant, et cependant il n’est point un chant. On n’emploie pour ce langage ni le son de la voix ni celui des paroles. L’âme, en ce moment, comprend ce langage, mais ce n’est point par une intelligence véritable et raisonnée, mais par le sentiment et l’impression si douce et si suave qui est en elle.

Dans ce langage, l’âme et Dieu expriment réciproquement leurs sentiments l’un pour l’autre. Dieu touche toujours le cœur de l’âme, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus intime en son intelligence et sa volonté, et quelque insensible que soit ce cœur, il lui faut verser des larmes. Il n’en est pas de même du coeur de l’âme, car il ne parvient pas toujours à toucher le cœur de Dieu.

Dieu parle en Dieu, c’est-à-dire en maître; Dieu parle en père, c’est-à-dire comme l’ami le plus tendre et le plus aimant; et l’âme, comment peut-elle parler, si ce n’est comme parle un sujet ou un esclave, comme parle un petit enfant? Quand Dieu parle, il se fait écouter; quand il a cessé de parler, c’est l’âme qui lui répond; mais cette réponse ne dépend point d’elle, elle dépend de Dieu qui l’inspire par un attrait auquel l’âme ne doit point résister, mais qu’elle doit suivre avec soin et avec une grande humilité pour ne point s’exposer à tout perdre. O bonheur ineffable des communications de l’âme avec Dieu dans le coeur de Dieu, c’est-à-dire dans son Verbe éternel! Langage sans paroles, entretiens muets et mystérieux par l’onction éternelle de la Divinité, c’est-à-dire par le Saint-Esprit! O Monsieur! Je crois bien que c’est là le ciel. O Dieu, trinité et unité! O Dieu de mon âme, Dieu plein de miséricorde, Dieu plein de tendresse, Dieu plein d’amour, Dieu admirable, Dieu trois fois saint, que je vous aime à jamais!

Voilà, Monsieur, des communications auxquelles il me semble avoir pris part; que je n’ai point cherché à hâter, cela eût été inutile; que je n’ai point désirées, je ne désire que ce que Dieu veut, mais auxquelles je n’ai pas voulu résister par crainte de l’offenser. Je m’y suis attachée avec fidélité, avec une humble indifférence et une entière soumission à la volonté de Dieu.

Il me semble que le Sauveur Jésus m’a dit, il y a quelque temps : " Ma fille, plus une âme avance dans la soumission et la fidélité à Dieu et l’humilité, plus elle avance dans la hiérarchie des communications avec Dieu. Soyez-moi fidèle, soyez soumise à mon Père, soyez humble. " C’est pour cela que je tâche de faire en tout sa volonté et que je me défie complètement de moi-même.

Le Sauveur Jésus m’a dit encore qu’il y a deux sortes de communications de Dieu à l’âme : la première sensible et la seconde insensible. Quand Dieu fait connaître à l’âme les dons et les grâces qu’il lui fait, il y a communication sensible; quand il les lui cache, il y a communication insensible. Dieu agit de l’une ou l’autre manière, toujours pour le plus grand bien des âmes et selon la voie dans laquelle il veut les conduire. Il ne les conduit pas toutes par le même chemin; il fait suivre aux unes la route du Calvaire et place les autres sur le Thabor, pour un temps, pour placer ensuite celles-ci sur le Calvaire et celles-là sur le Thabor. Il est infiniment sage, et sa sagesse fait tout pour le plus grand bien. Je vous rapporte ces paroles qui peuvent se joindre à ce que vous m’avez demandé, et je vous prie, Monsieur le Curé, d’agréer l’hommage de ma considération la plus distinguée.

Votre très humble servante,

Marie

Mimbaste, 7 septembre 1843.

 

LETTRE 20, Du coeur de Dieu.

Monsieur le Curé,

Un jour, pendant mon oraison, mon âme fut ravie, non-seulement dans le sein de Dieu, mais jusque dans son cœur. Voici de quelle manière il me semble avoir compris ce que j’éprouvai.

Dans la substance de Dieu il y a une partie intime et particulière que j’appelle le cœur de Dieu.

Le Père, principe des deux autres personnes, et principe sans principe autre que lui-même, a en lui-même et de lui-même cette partie intime et particulière qui est son coeur.

Le Père, en communiquant au Fils et au Saint-Esprit sa substance, ses perfections, sa divinité, leur communique aussi cette partie intime et particulière qui est son cœur.

Ainsi le Fils et le Saint-Esprit ont en eux, comme le Père, une partie intime et particulière, que j’appelle dans les trois personnes le coeur de Dieu.

Le Père n’a reçu son cœur d’aucune personne divine, puisqu’il est la première personne, c’est-à-dire le principe des deux autres.

Le Fils a reçu son cœur de Dieu le Père dans sa génération éternelle, et le Saint-Esprit, du Père et du Fils dans sa procession éternelle de l’une et de l’autre personne.

Or, par l’union intime de ces trois personnes, elles n’ont qu’un même cœur comme une même substance et une même divinité.

Il n’est pas nécessaire que je vous dise, Monsieur, que je n’entends rien de matériel et de sensible par le cœur de Dieu. Dieu est esprit et tout esprit est en lui.

J’entends donc par le cœur de Dieu, la partie la plus intime de lui-même, si je puis ainsi parler; il faut bien que je m’exprime de quelque manière; j’entends par le cœur de Dieu le principe qui produit, le point sans bornes, sans limites, sans mesure, où se trouvent réunies les perfections de Dieu. Là, se trouvent la source de la grâce, la source de tout bien, la source de toute félicité, qui de Dieu se répandent sur les créatures, selon qu’il lui plaît de les leur communiquer. C’est là que se sont formés, de toute éternité, que se conservent, cachés, secrets, impénétrables, tous les jugements de Dieu.

Voilà, Monsieur, ce qu’il m’a semblé comprendre sur le cœur de Dieu. J’avais donc raison de vous dire que le cœur de Dieu, c’est son Verbe éternel. Car le Verbe éternel, c’est la vie intime de Dieu; le Verbe éternel, c’est la félicité intime de Dieu; le Verbe éternel, c’est le bien, c’est la gloire, c’est la splendeur, c’est la vertu, c’est l’image de Dieu; le Verbe éternel, c’est la parole, c’est l’intelligence, c’est le jugement de Dieu. O Verbe éternel, coeur de Dieu le Père! Père éternel, principe du Verbe et de votre cœur; Esprit divin, union par votre coeur du cœur du Verbe et du cœur de Dieu le Père! Comment se fait-il que ces trois cœurs soient distincts et ne forment qu’un cœur? Comment se fait-il que Dieu le Père soit le principe du cœur de son Verbe et que le Verbe soit le cœur de Dieu le Père? Comment se fait-il que le cœur du Saint-Esprit, procédant éternellement du cœur du Père éternel et de son Verbe, les réunisse d’une manière si étroite qu’ils ne fassent tous trois qu’un seul coeur, le cœur de Dieu?

O mon âme! ne cherche point à pénétrer le mystère premier de l’éternité. Adore-le dans la crainte et le tremblement. Adore-le dans l’amour et la soumission entière de toutes tes puissances.

Degrés incompréhensibles de l’éternité, degrés incompréhensibles du ciel, degrés incompréhensibles de la Divinité, je vous vois, mais je ne vous comprend pas. Demeures diverses de la maison du Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que vous êtes admirables.

Vous voyez maintenant, autant que je puis vous le faire voir, Monsieur, la différence qu’il y a entre les divers états d’une âme qui se trouve sous la protection de Dieu, d’une âme qui repose dans le sein de Dieu et d’une âme qui vit dans le coeur de Dieu.

Un pécheur peut être, il est réellement sous la protection de Dieu, puisqu’il lui donne les grâces pour quitter son péché et revenir à la vie.

Une âme en état de grâce peut être et est réellement dans le sein de Dieu, puisque la grâce la rend amie de Dieu, agréable à Dieu, fille de Dieu.

Mais pour qu’une âme vive dans le cœur de Dieu, il faut une bien plus grande perfection; il faut que cette âme mérite cette vie en réglant toutes ses pensées, tous ses désirs, toutes ses paroles, toutes ses actions selon Dieu et l’amour qu’elle doit à Dieu.

Je n’éprouve pas toujours des communications pareilles dans mes méditations. Elles sont bien rares même. Ah! Monsieur, c’est que j’en suis bien indigne. Ce que j’ai éprouvé n’est que l’effet de la bonté et de la miséricorde infinies du Sauveur Jésus à mon égard.

Quelles que soient les communications que je reçoive, elles n’en sont pas moins agréables à mon coeur, ni moins utiles à mon âme. Mon âme ne se préoccupe que d’une chose, de suivre avec une entière soumission, et en reconnaissant qu’elle ne mérite rien de la part de Dieu, l’attrait qui lui est présenté. En le suivant, elle trouve Dieu, en trouvant Dieu, elle trouve la grâce et le bonheur.

Je ne suis attachée à rien; je ne désire que l’accomplissement parfait de la volonté de Dieu. Tout le reste m’est indifférent, même ce qui m’intéresse le plus.

Recevez avec bonté cet épanchement de mon âme, et qu’il soit pour vous, Monsieur le Curé et très vénéré père en Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’assurance de ma vénération et de mes sentiments les plus soumis et les plus respectueux. Je suis, Monsieur le Curé,

Votre très-humble et très indigne servante,

Marie,

Mimbaste, 20 septembre 1843.

 

LETTRE 20, Du coeur de Dieu.

Monsieur le Curé,

Par obéissance et soumission entière à votre volonté, je vais vous exprimer ce que je pense, non par moi-même, mais après les instructions du Sauveur Jésus, sur la sainte vertu de chasteté. Pour répondre clairement à votre demande, je considérerai d’abord la chasteté en elle-même, en second lieu dans ses avantages et ses effets, et enfin dans sa pratique.

I. La chasteté est une vertu divine : elle vient de Dieu, elle donne à l’homme ressemblance avec Dieu, qui est l’être souverainement pur, sans aucun mélange ni participation à autre chose qu’à la divinité; elle le mène à Dieu et le lui fait posséder à jamais.

La chasteté est une vertu sublime, sa source est infiniment élevée, puisqu’elle vient de Dieu; son efficace empêche l’homme de tomber au niveau des animaux sans raison, elle l’élève jusqu’à l’auteur même de la raison, Dieu, roi du monde et des cieux.

La chasteté est une vertu puissante : elle rend l’homme maître de lui-même, lui donne la force de résister à ses mauvais penchants et à ses inclinations perverses, de mépriser et fouler aux pieds toute jouissance criminelle, tout plaisir défendu, de vaincre généreusement l’attrait pour tout ce qui est impur et d’éloigner son âme du libertinage et de la corruption. La chasteté est la vertu opposée au vice d’impureté.

La chasteté est une vertu nécessaire; car il est écrit que rien de souillé n’entrera dans le royaume des cieux, et sans la chasteté, il est impossible de ne point souiller son corps et son âme.

La chasteté est une vertu qui convient à toute sorte de personnes : elle convient à tout âge, à l’homme comme à la femme, au vieillard comme à l’enfant, au riche comme au pauvre, à l’ignorant comme au savant, aux vierges comme aux personnes engagées dans le mariage, au roi le plus illustre et le plus puissant comme au dernier de ses sujets.

La chasteté est une vertu que tous doivent posséder; dans n’importe quel état et quelle condition, tous doivent être chastes.

II. Telle est la vertu de chasteté considérée dans sa nature; voici comment on peut l’envisager dans ses avantages.

La chasteté est une vertu merveilleuse, admirable, inappréciable. Elle mérite notre amour le plus grand, notre estime la plus parfaite, notre empressement et tous nos efforts pour l’acquérir si nous ne sommes pas assez heureux pour la posséder, ou bien pour l’augmenter chaque jour davantage en évitant tout ce qui pourrait la blesser ou la ternir.

Combien cette vertu de chasteté est avantageuse à l’homme pour ses intérêts spirituels! La chasteté délivre l’homme d’une passion honteuse qui l’agite et le tyrannise sans cesse, qui le dévore et le consume par cette soif des plaisirs et des jouissances impures et criminelles, qu’il ne peut éteindre ni satisfaire, même en lui accordant tout ce qu’elle lui demande.

Quelle différence entre deux hommes, dont l’un est chaste et l’autre ne l’est point! Que trouve-t-on dans celui-ci? Troubles, agitations, souffrances et malheur. En celui-là? Le calme, la paix, la tranquillité, le bonheur. l’un a toujours l’esprit occupé d’images et de figures déshonnêtes qui appesantissent son âme et l’empêchent de s’élever vers Dieu, la courbent et l’inclinent tristement vers la terre, la dégradent et la plongent dans la corruption et la misère, lui ôtent l’amour de Dieu et le goût de la piété en le rendant semblable aux animaux sans raison. La conduite de cet homme devient souvent la cause de son désespoir à l’heure de sa mort et il tombe dans les abîmes de l’éternelle malédiction.

Celui qui est chaste, au contraire, tient son esprit libre de toute pensée déshonnête; il dissipe et repousse bien loin tout ce qui pourrait troubler ou embarrasser son âme, même une pensée tant soit peu immodeste, dès qu’il l’aperçoit venir. Il s’élève autant vers Dieu qu’il se détache des créatures. Il conserve son cœur pur, et Dieu le regarde avec complaisance, lui donne ses bénédictions, répand en lui ses grâces avec abondance, lui donne ses plus affectueuses consolations, ou bien, s’il l’éprouve pour augmenter sa couronne dans le ciel, il ne torture point son cœur par l’aiguillon cuisant du remords. Aussi, quand vient l’heure de sa mort, quel bonheur et quelle paix sur son visage! Son âme s’envolera avec confiance vers Dieu pour aller recevoir la couronne de gloire et d’immortalité qu’elle aura méritée par ses combats, ses luttes et ses triomphes de chaque jour.

Les avantages spirituels de la chasteté sont donc le bonheur et la paix de l’âme pendant la vie, la tranquillité à l’heure de la mort, la gloire et la félicité du ciel après la vie.

Les avantages temporels ne sont pas moins importants. La chasteté entoure de respect et d’honneur celui qui la possède; car il est estimé des anges et des hommes, des gens de bien et même des libertins. Celui, au contraire, qui n’a point la chasteté, est méprisé de tous et regardé comme un vil fumier, qu’on ne foule point aux pieds, mais dont on a horreur et que l’on fuit pour n’en point être souillé.

La chasteté fait le bonheur de la famille. Elle resserre et sanctifie les liens sacrés du mariage par une mutuelle fidélité entre les deux époux, et leur fait remplir les obligations que cet état leur impose.

La chasteté fait la gloire et l’honneur de la jeunesse des deux sexes et la consolation des parents dans leurs enfants.

La chasteté étend ses bienfaits jusque sur les biens temporels.

La chasteté attire sur une famille la paix, la concorde, l’économie et la prospérité, parce que ceux qui aiment la chasteté aiment toujours le travail. Car si l’on peut aimer le travail sans être chaste, il faut nécessairement aimer le travail quand on pratique la chasteté; et ce travail, en ces conditions, est toujours fécondé par Dieu, dont la bénédiction est attirée sur tous ceux qui sont chastes.

Au contraire, ceux qui ne pratiquent point la chasteté tombent bien souvent d’une position élevée et brillante, ou du moins aisée et commode, dans un état voisin de la misère, et quelquefois dans une ruine complète. Le vice opposé à la chasteté amène avec lui l’oubli des devoirs de son état, rend le travail insupportable, l’économie et l’ordre impossibles, et tout disparaît rapidement.

Dieu ne répand point ses bénédictions sur les familles où la chasteté ne règne point; loin de là, il les frappe avec la verge de sa justice d’une manière éclatante. Il frappe les royaumes et les cités, les rois et les sujets, les pères et les enfants. Que d’exemples dans les temps passés Dieu n’a-t-il point données aux nations, aux rois et aux individus? N’est-ce point lui qui par le feu du ciel a détruit Sodome et Gomorrhe, et qui a frappé David et Salomon et mille autres, à cause du vice opposé à la vertu de chasteté?

III Il ne suffit point d’admirer la beauté et l’excellence de la chasteté et d’en reconnaître les avantages, il faut encore la pratiquer. Mais, hélas! Il n’est que trop vrai pourtant que la plupart l’admirent, l’aiment et la respectent chez les autres; bien peu la possèdent et la pratiquent telle qu’on devrait la pratiquer et la posséder.

Cette vertu est d’une délicatesse extrême; peu de chose la ternit, ce n’est qu’avec une précaution continuelle qu’on peut la conserver. Une pensée, une parole, un regard, une action sur soi ou sur autrui suffisent pour lui porter atteinte. Je ne veux point dire pour cela que toute pensée contre la modestie soit un péché, tout le monde est soumis à ces sortes de pensées, même les plus grands saints. Or, bien loin que ces pensées aient été des péchés en eux, elles étaient la source d’une quantité immense de mérites par la manière dont ils se conduisent à l’égard de ces pensées.

Que fait une personne chaste quand il lui vient des pensées contraires à la chasteté? Loin de les entretenir dans son esprit et de se complaire en elles, elle les rejette aussitôt qu’elle s’en aperçoit; elle porte son esprit et son coeur vers Dieu et lui demande sa sainte grâce pour ne point l’offenser. Elle ne se permettra jamais une parole inconvenante, une parole à double sens qui pourrait perdre une âme un peu faible, et même une parole un peu libre qui ferait une fâcheuse impression sur le prochain. Non seulement elle s’interdit des paroles de cette sorte, mais elle ne peut même supporter qu’on les prononce en sa présence. Une personne chaste, se trouvant dans une réunion qui attaque ou blesse la chasteté, non seulement arrêtera tout sourire sur ses lèvres, pour ne point engager à continuer, mais elle témoignera par son air sérieux et modeste, ou bien par quelque parole dite avec une noble fermeté et une sainte indignation, que cela lui déplaît. Une personne chaste ne s’arrêtera jamais au moindre désir contre la modestie ou l’honnêteté, parce qu’elle sait qu’en agissant ainsi elle pêcherait et offenserait Dieu. Elle les étouffe dès leur principe, les dissipe et les fait disparaître aussitôt qu’ils se présentent. Une personne chaste ne se permet jamais le moindre regard opposé à la modestie, parce qu’un regard jeté avec de mauvaises intentions ou des pensées criminelles est un péché. C’est un trait cruel, capable de donner la mort à une âme. Voilà pourquoi une personne chaste veille sur ses regards, voilà pourquoi elle tient les yeux modestement baissés et ne les arrête jamais sur des objets qui pourraient faire sur elle une funeste impression. Une personne chaste ne se permettra et ne permettra jamais à autrui par rapport à elle-même rien de contraire à la vertu de modestie, aucune légèreté, aucune familiarité défendues; elle respectera son corps et le fera respecter par autrui. Elle ne se contentera pas d’être chaste intérieurement, elle saura manifester extérieurement son amour pour cette vertu. Car il n’en est point de celle-ci comme des autres. Il est bon de tenir souvent les autres vertus cachées dans son cœur; mais la vertu de chasteté ne saurait jamais être assez manifestée au grand jour. De même il servirait peu d’être chaste extérieurement si, sous ce voile extérieur, on cachait un cœur gâté et corrompu. Cette chasteté ne serait qu’une chasteté mensongère et criminelle.

Une personne véritablement chaste l’est à la fois intérieurement et extérieurement. La chasteté est dans son coeur comme un précieux parfum qui répand une odeur douce et suave qui ravit tous ceux qui l’approchent. La chasteté est dans son coeur comme un cristal limpide dans lequel le soleil fait pénétrer ses rayons pour lui donner un éclat splendide et brillant.

Qu’il est doux et agréable de voir pratiquer la chasteté!

O chasteté, vertu de l’homme et de la femme, vertu de tous les âges et de toutes les conditions! c’est toi qui fait fermer l’oeil et l’oreille de l’enfant à tout ce qui pourrait ternir son innocence. Tu es le plus bel ornement de la jeune fille et tu lui donnes cette retenue si agréable dans ses paroles, dans ses regards, dans ses habits, dans ses pensées, dans toute sa conduite, en tout temps, en tout lieu, en toute rencontre. Tu lui fais éviter avec le plus grand soin tout ce qui pourrait ternir la pureté et l’innocence de son âme, tu lui fais regarder comme une insulte dont elle ose se plaindre amèrement et témoigner son indignation envers qui que ce soit, toute familiarité qu’on voudrait se permettre envers elle. Tu es la gloire du jeune homme qui, loin de rougir de ta pratique, te prend pour règle de sa conduite. Tu le fais respecter et tu lui dis de respecter autrui, parce qu’en déshonorant les autres il se déshonorerait lui-même. Tu es la vertu principale des personnes mariées, tu leur donnes des jours heureux et sereins, tu les empêches de suivre uniquement l’impulsion des passions comme des païens et les fais vivre comme les vrais enfants de Dieu. Tu es l’auréole glorieuse du vieillard qui t’a prise pour compagne durant toute ta vie, et qui, malgré le poids accablant de ses années et malgré ses cheveux blanchis par la fatigue et le travail, semble encore se défier de lui-même comme d’un feu couvant sous la cendre, et conserve partout et toujours, dans toute sa conduite, cette retenue parfaite qui le rend doublement respectable, et par son âge et par sa vertu.

Voilà, Monsieur le Curé, autant que j’ai pu les réunir et les classer, les divers enseignements que j’ai reçus, que j’ai gardés et que je vous transmets selon vos désirs.

J’oubliais de dire que, puisque cette vertu doit être pratiquée dans tous les états et dans toutes les conditions, elle n’est incompatible avec aucune condition ni aucun état. Tous peuvent être chastes, parce qu’ils doivent l’être. Ce qui est impossible n’a jamais été et ne sera jamais l’objet d’un commandement de Dieu.

Recevez, Monsieur, je vous prie, l’assurance de ma considération la plus distinguée avec laquelle,

J’ai l’honneur d’être, Monsieur le Curé,

Votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 1er octobre 1843

 

LETTRE 21, Moyens de garder la chasteté.

Monsieur le Curé,

Il me reste encore à vous parler des moyens que m’a indiqués Notre-Seigneur Jésus-Christ pour observer et garder précieusement la chasteté.

Voici comment il m’a parlé : " Ma fille, il y a deux sortes de chasteté, la chasteté du corps et celle de l’esprit. Celui qui n’est pas chaste dans son corps ne peut l’être dans son esprit, et rarement celui qui n’est pas chaste dans son esprit demeure chaste dans son corps. Le corps est l’instrument par lequel la concupiscence pose les actes contraires à la pureté, l’esprit est celui qui conçoit les actes et les fait produire d’une manière extérieure par le corps.

" Or, il y a différence entre le corps qui est matière et l’esprit qui n’a en lui rien de matériel. Il faut donc leur donner deux secours ou deux moyens différents à l’aide desquels le corps et l’esprit puissent, chacun pour soi, garder la chasteté.

" Ces deux moyens sont la mortification pour le corps, la prière pour l’esprit ou pour l’âme.

" Si vous prenez soin de votre corps, si vous le nourrissez avec abondance et délicatesse, si vous lui accordez tout ce qu’il vous demande, si vous lui laissez prendre ses aises, soyez persuadée que vous deviendrez aisément la proie du démon de l’impureté. Le corps ainsi traité est mou, efféminé, sans force ni vigueur; il est incapable de soutenir une lutte, de se faire la moindre violence; il devient l’esclave de l’incontinence, à laquelle il sacrifie aussi souvent qu’elle le demande.

" Mais si vous le réduisez en servitude, si vous le traitez comme un esclave, si vous le liez par les liens de la mortification, des veilles et des jeûnes, il deviendra fort contre le démon de l’impureté. Celui-ci en aura même horreur, il ne voudra pas d’un butin qu’il croira trop méprisable mais, en vérité, c’est qu’il n’aura pas accès près de lui. Il trouvera tous les accès, par lesquels il pourrait s’introduire en vous, soigneusement gardée, formée et défendus.

" Veuillez donc et mortifiez votre corps; vous serez forte et puissante contre l’impureté. Mais il ne suffit pas de le mortifier dans le sommeil et la nourriture; il faut le mortifier dans la vue, l’ouie, l’odorat, le toucher, en un mot, dans tout ce qui est du corps, faisant du corps et de tous ses membres l’objet spécial et particulier de votre mortification de chaque jour et de chaque instant.

" Enfin, ma fille, observez vos pas et vos mouvements, ne vous exposez jamais à la tentation d’impureté en fréquentant des lieux ou des personnes qui pourraient devenir pour vous une occasion de chute. Si vous faites cela, ma fille, vous serez chaste dans votre corps.

" Mais cela ne suffit pas. Vous êtes composée de corps et d’âme, et ce corps et cette âme ne font qu’un. Le corps et l’âme doivent être chastes l’un et l’autre, et ne peuvent l’être séparément s’ils ne le sont tous deux à la fois. Il faut donc que vous joigniez à la mortification, qui est la sauvegarde du corps, la prière, qui est la sauvegarde de l’âme.

" Vous vous rappelez ce que je vous ai dit de la prière. La prière, c’est une élévation vers Dieu, c’est un cri vers Dieu, c’est une demande de secours à Dieu, c’est un repos en Dieu, c’est un refuge cherché près de Dieu. La prière, c’est une défiance de soi, c’est un acte d’amour de Dieu. Par conséquent, tout ce qui est prière est pour l’âme assurance de la chasteté, défense de la chasteté.

" Ma fille, la chasteté est un don de Dieu. L’homme n’est point chaste par lui-même. S’il a la chasteté, c’est parce que Dieu la lui a donnée. Il faut donc demander à Dieu la chasteté si on ne l’a point, c’est-à-dire prier. Il faut la recommander à Dieu, la remettre entre ses mains pour la conserver, c’est-à-dire prier, parce que l’homme ne peut pas plus la conserver qu’il ne peut l’acquérir par lui-même.

" La prière est la seule défense, le seul soutien de la chasteté; et s’il y a plusieurs sortes de prière, on peut recourir à chacune d’elles pour la conservation comme pour l’augmentation de la chasteté.

" La meilleure des prières, celle qui a le plus d’efficacité, ma fille, c’est la prière dictée par l’amour, c’est un cri d’amour jeté vers moi. Ah! ma fille, jamais une âme tentée contre l’impureté ne m’a dit : Sauveur Jésus, je vous aime de tout mon cœur, sans que je lui aie donné la victoire. Jamais une âme tentée contre la pureté ne s’est réfugiée dans les plaies de mon corps, sans que je lui aie donné le triomphe contre la tentation. Jamais une âme n’a pénétré dans l’ouverture de mon cœur, sans que mon cœur ait été pour elle une défense inexpugnable. Jamais une âme n’a regardé en face ma passion à l’heure de sa tentation, sans qu’elle l’ait vue disparaître comme un éclair; ou bien, si la tentation à persisté, sans qu’elle ait repoussé tous les traits jusqu’au dernier, jusqu’au plus aigu.

" Jamais une âme amie de la chasteté n’a porté son œil sur la Divinité, considéré sa justice ou sa miséricorde, la toute-puissance de son amour, sa sainteté ou sa perfection infinie, sans avoir senti croître en elle son amour pour cette admirable vertu.

" Jamais une âme n’a reconnu sa misère, sa bassesse, son néant, sa faiblesse, son impuissance et dit à Dieu, au moment de la tentation : Mon Dieu, sauvez-moi, sans qu’elle ait été délivrée par Dieu.

" Enfin, ma fille, jamais une âme ne s’est approchée dignement du sacrement de mon amour sans qu’elle y ait trouvé cette table merveilleuse que j’ai préparée pour mes amis, comme un rempart inexpugnable contre ceux qui les persécutent.

" Communier à mon corps et à mon sang, c’est me prier et m’adresser même la prière la plus agréable, c’est me dire : Sauveur Jésus, vous êtes le pain de vie, délivrez-moi de la mort. Seigneur, vous êtes le Dieu trois fois saint, délivrez-moi du péché. Seigneur Jésus, vous vous plaisez parmi les lis de la pureté, préservez-moi de toute souillure, Seigneur Jésus, je ne suis que péché, faiblesse et impuissance, fortifiez-moi, soutenez-moi, sanctifiez-moi.

" Je ne demeure point sourd à cette prière et je permets à l’âme de puiser en mon Cœur comme à une source intarissable le vin qui fait germer les vierges.

" Tels sont, ma fille, les moyens assurés par lesquels vous garderez la chasteté.

" Soyez mortifiée et soyez vigilante; priez, c’est-à-dire reconnaissez votre faiblesse, et pleine de confiance abandonnez-vous à Dieu; vous demeurerez chaste, vous demeurerez pure, et vainement l’esprit de ténèbres tendra des pièges sous vos pas, jamais il ne vous prendra dans ses filets.

Voilà M. le Curé, ce que je devais ajouter à ce que je vous ai dit précédemment dans mes cahiers ou dans mes lettres sur la chasteté.

Je me recommande à vos ferventes prières, afin que j’aie un nouveau moyen pour demeurer chaste et éloignée de tout ce qui pourrait offenser Dieu.

Agréez, je vous prie, Monsieur le Curé, l’assurance de mes sentiments respectueux, et croyez à toute ma gratitude pour la charité immense que vous me témoignez.

Votre très humble servante,

Marie,

Mimbaste, 8 octobre 1843.

 

LETTRE 23, Des pensées contraires à la chasteté.

Monsieur le Curé,

Je vous ai parlé sur la vertu de chasteté, il y a quelques jours; je vous ai rapporté ce que je pensais sur cette vertu, d’après les enseignements du Sauveur. Je viens vous soumettre aujourd’hui un entretien que j’ai eu avec le Sauveur sur les pensées contraires à la chasteté et les actes qui lui sont opposés. Il m’a instruite plusieurs fois là-dessus pour me faire bien comprendre et distinguer ce qui est mal de ce qui ne l’est point. Voici ce que je puis ajouter à ce que j’ai dit dans mes cahiers :

Seigneur Jésus, dis-je un jour au Sauveur, faites-moi connaître de quelle manière je dois me conduire pour ne jamais blesser la vertu de chasteté ni par pensées ni par actions. " Ma fille, me répondit-il, je vais faire ce que vous désirez. Je pose en principe que les actes opposés à la virginité ne sont point mauvais par eux-mêmes, que la connaissance de tout ce qui est contraire à la virginité et à la chasteté n’est point mauvaise par elle-même, et que les pensées de tout ce qui ternit la virginité ou la chasteté ne sont point mauvaises non plus par elles-mêmes.

" L’acte contraire à la virginité n’est un péché que lorsqu’il y a abus dans l’accomplissement de cet acte, et dans les circonstances et cas où il n’est point permis de l’accomplir. Mais cet acte, dans l’état de mariage, quand on observe les lois fixées par Dieu, devient un acte de religion.

" La connaissance des choses opposées à la virginité ou à la chasteté n’est mauvaise que par l’usage mauvais que l’on en fait; mais elle est souvent utile pour travailler au salut des âmes et augmenter ma gloire. Comment pourrait-on diriger et donner conseil sur l’accomplissement ou l’abstention de ces actes, si l’on n’en avait pas la connaissance? Ce serait chose impossible, cette connaissance est donc bonne, considérée en elle-même.

" Les pensées contraires à la chasteté ne sont mauvaises que lorsqu’on y arrête son esprit avec complaisance et qu’on ne cherche point à éloigner ces pensées. Il est quelquefois nécessaire de penser à ces choses, par exemple quand on doit instruire une personne et lui montrer le mal là où il est. Pour cela, il faut connaître ce qui fait le sujet de l’instruction que l’on donne. Or, dans ces cas, vous le comprenez, ni la connaissance ni les pensées ne sont mauvaises.

" Les pensées contraires à la pureté viennent de quatre sources différentes.

" Elles viennent du démon, qui les lance dans les cœurs comme des traits empoisonnés par le désir de l’impureté. Ces pensées sont très pénibles à supporter et très difficiles à vaincre. Néanmoins, si l’on demande le secours de Dieu, si on se confie en lui, on triomphe toujours, parce que jamais nul n’est tenté au dessus de ses forces.

" Elles viennent de la partie inférieure de l’âme qu’on appelle la nature corrompue. C’est là qu’est le foyer de la concupiscence, la racine de toutes les passions, surtout de la passion de l’impureté. Cette partie de l’âme est féconde en mauvaises pensées, en mauvais désirs. Elle influe sur le corps, à qui elle donne des mouvements selon l’inclination de l’impureté. Le corps qui par lui-même n’est que matière, étant mis en mouvement par l’influence de la volonté inférieure de l’âme s’accorde, parfaitement avec elle pour livrer à la volonté supérieure une guerre cruelle et opiniâtre. Or, ma fille, tout ce qui se passe dans la partie inférieure de l’âme et dans le corps, soit en pensées, soit en mouvements, soit en jouissances impures, n’est point péché si la volonté supérieure ne donne point son consentement; mais pour peu qu’elle consente et qu’elle se plaise dans ces pensées, ces mouvements et ces jouissances, il y a péché.

" Donc, ma fille, quelque chose qu’on éprouve, fussent les mouvements les plus déréglés et les pensées les plus obscènes, tant que la volonté supérieure de l’âme ne donne point son consentement, il n’y a point péché, parce que le consentement seul est ce qui constitue le péché dans sa réalité. Tout le reste n’est que matière de péché, mouvement à accomplir le péché, mais ce n’est point le péché. C’est le consentement qui fait le péché quand il tombe sur une matière de péché. Ces pensées impures, ces mouvements déréglés ne doivent donc point vous alarmer, vous inquiéter, vous faire perdre courage. Car c’est là la guerre que l’homme doit livrer pendant toute sa vie, et dont il ne peut être délivré que par une grâce toute spéciale de Dieu. C’est cette guerre et cette lutte qui font dire à tant de saints : Hélas! Quand serai-je délivré de ce corps de mort? Cette lutte, loin d’être un péché, est un sujet de mérites considérables. Par conséquent, loin de se troubler ou de s’affliger, il faut n’y point faire attention, mais demander humblement à Dieu son secours et se tenir toujours sur ses gardes. C’est là le plus terrible ennemi de la volonté supérieure, parce qu’il ne la quitte jamais, et qu’à peine éloigné, il revient souvent avec des forces nouvelles et au moment où l’on y pense le moins.

Ces pensées viennent encore de l’imagination. L’imagination, frappée et impressionnée par ces choses impures, les présente sans cesse à la volonté. Or, pour ne point pécher, pour ne point consentir, il n’est pas nécessaire d’avoir horreur et d’être peiné de ce que l’imagination présente à la volonté; il suffit d’y être indifférent et de ne point y prendre plaisir. L’horreur ou la peine qu’on éprouverait, bien loin quelquefois d’amortir l’imagination, ne feraient que l’impressionner davantage. Le mieux est de se tenir indifférent, de ne point y faire attention, de fermer doucement la porte de son cœur et de se tenir en paix. Si c’est le démon qui agite ces pensées dans l’imagination, il en sera mortifié.

" Souvent, ne pouvant faire perdre la grâce à une âme en obtenant qu’elle prenne plaisir à des pensées impures, il profite de l’état de peine ou d’horreur que ces pensées inspirent à cette âme pour lui faire perdre sa paix; il la trouble, il l’agite et profite ensuite de ce malaise pour la jeter dans le découragement. C’est ainsi surtout qu’il attaque les âmes pieuses. Elles doivent y aviser, reconnaître là l’artifice du démon, et au lieu de cette horreur et de cette peine sensible, préférer le mépris et l’indifférence qui suffisent.

" Ces pensées, enfin, viennent quelquefois de Dieu.

" Lorsqu’il plaît à Dieu d’éclairer une âme et de lui montrer la vérité, c’est-à-dire l’ordre et le bien, il lui donne des lumières et des pensées sur ces choses, qui, loin d’apporter le trouble et le péché en elle, lui donnent le calme et la paix.

" Ainsi, ma fille, je suis venu vous éclairer vous-même et vous apprendre là où se trouve le mal et là où il n’est pas.

" Votre esprit et votre cœur étaient dans l’inquiétude, parce qu’ils n’avaient point la vérité. Aujourd’hui que je vous l’ai révélée, soyez calme et tranquille, conservez la paix. Soyez toujours maîtresse de la volonté supérieure qui est en votre âme et méprisez tout le reste. "

Vous penserez de ceci ce que vous jugerez à propos, je me conformerai à votre jugement.

Recevez, Monsieur le Curé, l’assurance de mon plus profond respect et de mes sentiments les plus reconnaissants.

Votre très humble servante,

Marie

Mimbaste, 8 octobre 1843.

 

LETTRE 24, Dieu protège les humbles et punit les impies.

Monsieur le Curé,

Permettez-moi de vous rapporter ce que j’ai vu, entendu un jour après avoir eu le bonheur de faire la sainte communion.

Je levai vers le ciel les yeux de mon âme comme pour m’offrir à Dieu en union avec Jésus-Christ que je venais de recevoir. Or, il me sembla voir en l’air une personne, mais je ne voyais que la moitié de son corps.

Elle dit, d’une voix forte et d’un ton assuré : " Le Seigneur a abaissé ses yeux sur la prière des âmes humbles, et il n’a point méprisé leurs demandes. Sion sera rétablie, et on écrira le rétablissement de Sion dans les annales de l’histoire, pour en faire passer le souvenir jusqu’au dernier âge, afin que les générations à venir louent le Seigneur de ce qu’il a regardé du haut de son sanctuaire et contemplé la terre du haut des cieux, pour entendre les gémissements des captifs et pour briser les liens des enfants de ceux qui ont été mis à mort.

" Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. "

Cette personne s’arrêta; elle jeta les yeux sur moi comme pour me dire d’achever, et je prononçai ces paroles : A présent et toujours, au commencement et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

J’en vis une autre qui fermait ses oreilles avec ses mains, et qui s’écriait :

" J’entends le bruit des trompettes et des cymbales. Mais qu’est-ce que cette bruyante musique qui résonne à mes oreilles? "

La première voix répondit : " C’est le bruit des puissances des ténèbres. Les hommes se sont réunis pour s’élever contre le Seigneur, et ils ont dit : Qui nous punira? Mais Celui qui n’a jamais eu de commencement et qui n’aura jamais de fin les a vus et entendus; il lancera contre eux des traits brûlants et dévorants, et ils seront dispersés. "

Je vis une troisième personne dont la figure inspirait la dévotion, et sur laquelle étaient reflétés l’amour de Dieu, la joie et la reconnaissance. Elle éleva ses yeux et ses mains au ciel en disant : " Je louerai le Seigneur sur les instruments d’harmonie, parce qu’il n’a pas permis que ceux qui espèrent en lui fussent livrés aux loups ravissants, ni aux ennemis des âmes pour être broyés entre leurs dents. "

Je vis une quatrième personne qui s’écria d’un ton à la fois plein d’étonnement, de simplicité et de naïveté :

" J’ai vu un champ de blé dans sa maturité; il brûlait, et à peine les moissonneurs ont-ils pu en ramasser quelques gerbes pour les porter dans les greniers du grand roi; ils ont dit que les pertes sont considérables. "

Je vous abandonne ces lignes; je n’en ai point demandé l’explication au Sauveur Jésus; mais il me semble qu’elle est assez facile à deviner. Je me contente de vous dire ce que j’ai vu et entendu, aussi fidèlement que cela m’est possible, et je vous prie, Monsieur le Curé, d’agréer l’hommage de mes sentiments très respectueux avec lesquels,

J’ai l’honneur d’être,

Votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 4 novembre 1843.

 

LETTRE 25, Dieu protègera et soutiendra son Église jusqu’à la fin des temps.

Monsieur le Curé,

J’ai entendu un jour la voix du Sauveur Jésus prononcer ces paroles :

" Je me souviendrai de mon alliance avec l’Église dans tous les siècles des siècles.

" L’Église est mon épouse; la croix est notre lit nuptial. C’est sur la croix que j’ai engendré mes enfants par l’effusion de mon sang; c’est sur la croix que le sein de l’Église est devenu fécond par la grâce du Saint-Esprit.

" Elle est belle, mon épouse, et je suis toujours auprès d’elle pour la soutenir et la consoler; elle souffrirait trop de mon absence si je m’éloignais d’elle.

" Comme son Époux, elle est en butte à la persécution. Satan s’élève de dessous les pieds de l’Église; il arme contre elle ses propres enfants pour lui déchirer le sein, et les enfants dénaturés de mon épouse écoutent la voix de satan.

" Elle élève sa voix et tourne vers moi ses yeux mouillés de larmes. Non, je ne permettrai pas que ses ennemis aient le dessus.

" Ce ne sera qu’une poussière imperceptible lancée sur son visage; elle le lavera avec l’eau de ses larmes, et sa beauté, devenue plus éclatante, ravira même ses ennemis. "

Telles sont les paroles prononcées par le Sauveur Jésus.

Daignez recevoir, je vous prie, Monsieur le Curé, l’hommage de ma très profonde vénération et de mon entière soumission.

J’ai l’honneur d’être,

Monsieur le Curé,

Votre très humble et très obéissante servante,

Marie.

Mimbaste, 10 novembre 1843.

 

LETTRE 26, Actions de Dieu par la France.

Monsieur le Curé,

C’est toujours avec cette confiance que m’inspire votre charité, et ma qualité de votre enfant dans le Sauveur Jésus, que je vous communique, selon votre désir, tout ce que j’éprouve.

Voici ce que me dit, dimanche dernier, après la sainte communion, le Sauveur Jésus : " Ma fille, je suis le maître de ma parole. Je dis tout ce que je veux, quand je veux, à qui je veux, et nul n’a le droit de m’interpeller ainsi : Pourquoi, Seigneur, parlez-vous de cette sorte? Pourquoi de semblables entretiens? Je sais faire tourner tout à ma gloire et à l’économie de ma providence sur une âme en particulier comme sur le monde entier. Aujourd’hui, je veux vous parler de votre patrie. Je vous ai entretenue plusieurs fois de la France, mais je ne vous ai point dit encore ce qu’elle est ni comment elle agit,

Écoutez :

" Le premier roi, le premier souverain de la France, c’est moi. Je suis le maître de tous les peuples, de toutes les nations, de tous les royaumes, de tous les empires, de toutes les dominations; je suis particulièrement le maître de la France. Je lui donne prospérité, grandeur et puissance au dessus de toutes les autres nations quand elle est fidèle à écouter ma voix. J’élève ses princes au dessus de tous les autres princes du monde quand ils sont fidèles à écouter ma voix. Je bénis ses populations plus que toutes les autres populations de la terre quand elles ont fidèles à écouter ma voix. J’ai choisi la France pour la donner à mon Église comme sa fille de prédilection. A peine avait-elle plié sa tête sous mon joug qui est suave et léger, à peine avait-elle senti le sang de mon cœur tomber sur son coeur pour la régénérer, pour la dépouiller de sa barbarie et lui communiquer ma douceur et ma charité, qu’elle devint l’espoir de mes pontifes, et bientôt après, leur défense et leur soutien. Ils lui donnèrent le nom bien mérité de Fille aînée de l’Église. Or, vous le savez, tout ce qu’on fait à mon Église, je le regarde comme fait à moi-même. Si on l’honore, je suis honoré en elle; si on la défend, je suis défendu en elle; si on la trahit, je suis trahi en elle; si on répand son sang, c’est mon sang, qui coule dans ses veines. Eh bien, ma fille, je le dis à l’honneur, à la gloire de votre patrie, pendant des siècles la France a défendu, protégé mon Église; elle a été mon instrument plein de vie, le rempart indestructible et visible que je lui donnais pour la protéger contre ses ennemis. Du haut du ciel, je la protégeais, elle, ses rois et leurs sujets. Que de grands hommes elle a produits, c’est-à-dire que de saints dans toutes les conditions, sur le trône comme dans les plus humbles chaumières! Que de grands hommes elle a produits, c’est-à-dire que d’intelligences amies de l’ordre et de la vérité! Que de grands hommes elle a produits, c’est-à-dire que d’esprits uniquement fondés pour leurs actions sur la justice et sur la vérité! Que de grands hommes elle a produits, c’est-à-dire que d’âmes embrasées du feu brûlant de la charité! C’est moi qui lui ai donné ces hommes qui feront sa gloire à jamais.

Ma générosité n’est point épuisée pour la France; j’ai les mains pleines de grâces et de bienfaits que je voudrais répandre sur elle. Pourquoi a-t-il fallu, faut-il encore et faudra-t-il donc que je les arme de la verge de ma justice?

Quel esprit de folle liberté a remplacé dans son cœur l’esprit de la seule liberté véritable descendue du ciel, qui est la soumission à la volonté de Dieu! Quel esprit d’égoïsme sec et plein de froideur a remplacé dans son coeur l’esprit ardent de la charité descendue du ciel, qui est l’amour de Dieu et du prochain! Quel esprit de manœuvres injustes et de politique mensongère a remplacé dans son cœur la noblesse de sa conduite et la droiture de sa parole, conduite et parole autrefois dirigées par la vérité descendue du ciel, qui est Dieu lui-même!

Je vois encore, je verrai toujours dans le royaume de France des hommes soumis à ma volonté, des hommes enflammés de charité, des hommes amis de la vérité, mais, à cette heure, ma fille, le nombre en est petit. Aussi elle brise le trône de ses rois, exile, rappelle, exile encore ses monarques, souffle sur eux le vent des tempêtes révolutionnaires, et les fait disparaître comme les passagers d’un navire englouti dans les abîmes de l’Océan. A peine leur reste-t-il dans ce naufrage une planche de salut qui les mène quelquefois au rivage. Je lui ai suscité des rois; elle en a choisi d’autres à son gré. N’a-t-elle point vu, ne voit-elle pas que je me sers de sa volonté pour la punir, pour lui faire lever les yeux vers moi? Ne trouve-t-elle aujourd’hui le joug de son roi pénible et onéreux? Ne se sent-elle pas humiliée devant les nations? Ne voit-elle pas la division parmi les esprits de ses populations? Elle n’est point en paix. Tout est dans le silence à la surface; mais tout gronde, tout mugit, tout fermente en dessous, dans le peuple, dans ceux qui se trouvent immédiatement au dessus du peuple comme parmi les grands. L’injustice marche tête levée et semble être revêtue d’autorité; elle n’a pas d’obstacle, elle agit comme elle veut agir. L’impiété fait ses préparatifs pour dresser son front orgueilleux et superbe dans un temps qu’elle ne croit pas éloigné et qu’elle veut hâter de tout son pouvoir. Mais, en vérité, je vous le dis, l’impiété sera renversée, ses projets dissipés, ses desseins réduits à néant à l’heure où elle les croira accomplis et exécutés pour toujours.

" France! France! Combien tu es ingénieuse pour irriter et pour clamer la justice de Dieu. Si tes crimes font tomber sur toi les châtiments du ciel, ta vertu de charité criera vers le ciel : Miséricorde et pitié, Seigneur! Il te sera donné, ô France, de voir les jugements de ma justice irritée, dans un temps qui te sera manifesté et que tu connaîtras sans crainte d’erreur; mais tu connaîtras aussi les jugements de ma compassion et de ma miséricorde, et du diras : Louange et remerciements, amour et reconnaissance à Dieu à jamais dans les siècles et dans l’éternité!

" Oui, ma fille, au souffle qui sortira de ma bouche, les hommes, leurs pensées, leurs projets, leurs travaux disparaîtront comme la fumée au vent.

" Ce qui a été pris sera rejeté, ce qui a été rejeté sera pris de nouveau. Ce qui a été aimé et estimé sera détesté et méprisé, ce qui a été méprisé et détesté sera de nouveau estimé et aimé.

" Quelquefois, un vieil arbre est coupé dans une forêt, il ne reste plus que le tronc; mais un rejeton pousse au printemps, et les années le développent et le font grandir; il devient lui-même un arbre magnifique, l’honneur de la forêt.

" Priez pour la France, ma fille, priez beaucoup, ne cessez point de prier. "

Vous penserez de ceci, Monsieur, comme des autres communications qui m’ont été faites, ce que vous jugerez à propos. Pour moi, je suis contente, tranquille et paisible. Il me semble que la grâce de Dieu préparer mon âme et la fortifie de telle sorte que je suis prête à recevoir toute sorte d’épreuves. Si Dieu est pour moi et je suis pour Dieu rien ne me surprendra, rien ne m’effraiera. Avec la grâce et l’appui du Sauveur Jésus, je suis disposée à tout souffrir généreusement pour son amour. Sa croix et sa pauvreté me tiennent plus au cœur que toutes les grandeurs de la terre. Je saurai me passer de tout pour posséder Dieu, tout mépriser pour estimer Dieu, ne rien aimer pour aimer Dieu et ce qu’il m’ordonne d’aimer.

Je vous prie de recevoir l’assurance de ma plus profonde vénération et de ma vive reconnaissance avec laquelle j’ose me dire avec respect,

Monsieur le Curé,

Votre très humble et obéissante servante,

Marie.

Mimbaste, 20 novembre 1843.

 

LETTRE 27, Règles à suivre pour toute vocation.

Monsieur le Curé,

Le Sauveur Jésus m’a un jour parlé de la vocation et de la règle de conduite que doit suivre un directeur, quand il se trouve en face d’une vocation. Sa parole était claire et simple. Je vous transmets ce qu’il m’a dit, vous en penserez ce qu’il vous plaira.

" Ma fille, me dit le Sauveur, je veux vous parler de la vocation. Dieu a destiné tout homme qui vient en ce monde à un genre de vie particulier. Cette destination se nomme vocation. La vie de l’homme ressemble à une immense mécanique, dont la roue principale est la vocation. Dans cette mécanique, si la grande roue va bien, le reste marche avec ordre; si elle s’arrête, le reste ne saurait avoir de mouvement. Il en est comme cela de la vocation. Si vous vous trouvez dans votre vocation, votre salut sera facile; si vous manquez votre vocation, votre salut ne sera pas impossible, mais il sera bien difficile.

" Dans l’ancienne loi, il n’y avait en général qu’une vocation, c’était le mariage. La gloire d’une femme, en ces temps, était d’avoir un époux et plusieurs enfants; la gloire d’un homme d’avoir une épouse féconde et d’être le père d’une nombreuse prospérité.

" La loi nouvelle que j’ai donnée au monde est incomparablement plus parfaite que la loi ancienne. Aussi, dans cette loi, la gloire d’une femme n’est pas d’avoir un époux et des enfants, mais de n’avoir ni époux ni enfants. La gloire d’un homme n’est pas d’avoir une épouse féconde et une nombreuse famille, mais de n’avoir ni épouse ni famille. O virginité, jusque là inconnue et même méprisée, combien tu as grandi et quelle gloire est pareille à ta gloire! Oui, les entrailles qui n’ont point engendré et qui n’ont point conçu sont celles qui me plaisent le plus et que je comble de mes bénédictions.

" Dans la loi nouvelle, il y a plusieurs vocations. La vocation à l’état de mariage, la vocation à l’état de virginité, la vocation à l’état religieux, la vocation à mon sacerdoce.

" Quand une personne est arrivée à l’âge de faire choix d’un état de vie, elle doit chercher à connaître quel est celui auquel Dieu l’appelle, demander à Dieu les lumières nécessaires pour connaître cet état et soumettre ses inclinations à son directeur.

" Pour se prononcer, un directeur doit avoir une sagesse, une prudence et une justice très grandes qui l’empêchent de se tromper et lui permettent de juger sainement.

" Il faut agir pour ce discernement d’une manière différente presque pour chaque personne, selon son âge, son tempérament, ses inclinations, son éducation; selon le temps, les lieux et les circonstances.

" Avant qu’une personne soit arrivée à l’âge d’embrasser un état de vie, un directeur doit avoir soin de l’engager à demander à Dieu qu’il lui fasse connaître sa volonté. Il ne doit point prononcer le mot de vocation, qu’elle ne comprendrait peut-être pas et qui pourrait la troubler. Il doit lui apprendre à dire souvent et du fond du cœur ces paroles : Mon Dieu, faite-moi connaître et accomplir votre sainte volonté. Dieu écoutera favorablement et exaucera cette prière.

" Un directeur ne doit point chercher à inspirer de vocation, ce serait usurper le droit de Dieu. Un directeur ne peut être que le juge de la vocation à laquelle Dieu appelle une âme. Or, pour juger, il doit examiner les sentiments et les inclinations de la personne qu’il dirige, et puis se prononcer d’après les lumières de la foi et non d’après des vues purement humaines.

" Tout cela posé, vous comprenez, ma fille, qu’un directeur peut se trouver en face d’une personne qui, arrivée à l’âge de choisir un état, n’y a point encore pensé ou qui hésite entre deux états différents, ou bien en face d’une personne appelée au mariage, à la virginité, à la vie religieuse ou à la participation de mon sacerdoce.

" Que doit faire un directeur vis-à-vis d’une personne en âge d’embrasser un état de vie et qui n’a encore pensé à en embrasser aucun? Il doit lui montrer, si du moins elle est capable de comprendre ces choses, combien il est important de connaître sa vocation et, sans lui parler d’aucune, l’engager à prier Dieu de l’éclairer à ce sujet. Il doit étudier ses goûts, ses inclinations, afin de l’aider, s’il est besoin, à distinguer l’appel de Dieu; mais il ne doit lui signaler aucun genre de vie particulier, avant d’avoir connu autant que possible quel est celui auquel elle est destinée.

" Que doit faire un directeur qui voit la personne qu’il dirige placée comme entre deux partis, indécise et ne sachant lequel suivre et embrasser? Dans ce cas deux choses sont indispensables à un directeur, une prudence extrême, une fermeté inébranlable. Il faut qu’un directeur soit toujours prudent, sage et circonspect, mais en ce cas plus que jamais. Vous le comprenez, ma fille, Dieu ne donne point deux vocations, il n’en donne qu’une. Si le directeur fait embrasser à cette personne le genre de vie auquel Dieu ne l’appelle pas, que de dangers pour elle! Le directeur examinera donc avec un soin minutieux ces deux chemins différents qui se présentent devant celle qu’il dirige; il examinera ensuite les inclinations, les sentiments et les pensées de celle qu’il doit éclairer. Il pèsera sérieusement et avec foi les motifs qui portent plus pour un genre de vie que pour l’autre; et quand il verra qu l’un des deux ne présente point une grande espérance de salut, tandis que l’autre offre une grande probabilité ou du moins plus d’assurance, il obligera la personne qu’il dirige à embrasser ce dernier état et lui défendra d’embrasser le premier. Il se servira pour cela de toute son autorité. Car si elle peut se perdre dans un état où il y a grand espoir quelle se sauvera, que sera-ce dans l’état qui n’offre point ou presque point d’espérance? Il doit être par conséquent aussi plein de fermeté. Cette personne, comme toute autre, du reste, doit se soumettre à la décision de son directeur. Dieu bénira sa soumission, la préservera de tout danger et lui fera atteindre le port du salut. Je vous ai déjà parlé de la vocation à l’état du mariage, je ne vous en dirai plus rien.

" Que doit faire un directeur à qui une personne manifeste son inclination pour la virginité? Il doit d’abord ne pas entrer dans ses sentiments, lui représenter que le mariage est un sacrement institué par Dieu, un état où plusieurs se sont sanctifiés, où elle peut se sanctifier elle-même, où elle trouvera des grâces spéciales et particulières, en rapport avec les besoins de son âme; il lui fera remarquer surtout qu’il n’y a rien dans le mariage d’opposé à la chasteté. Après cela, si elle demeure ferme, si elle persévère dans ses sentiments, il ne doit point s’opposer à ses désirs, mais lui faire connaître les devoirs d’une vierge, et comprendre combien sa vie doit être plus sainte, plus détachée du monde et de ses plaisirs, plus attachée à Dieu et aux bons mouvements de sa grâce. A mesure qu’il la verra se fortifier dans sa résolution, il lui montrera les beautés, la grandeur, la sublimité de la virginité. Il lui fera estimer cet état comme le plus précieux trésor de son âme, comme le moyen le plus sûr de croître en vertu et d’attirer sur elle mes bénédictions les plus abondantes.

" Que doit faire un directeur à qui une personne manifeste son inclination pour la vie religieuse? Le directeur, dès le principe, ne doit point entrer dans son sentiment. Sans trop chercher pourtant à l’éloigner de la vie religieuse, il doit lui représenter qu’elle peut bien se sauver dans le monde, qu’un nombre infini de bienheureux s’y sont sauvés, et qu’une multitude considérable de chrétiens s’y sanctifient encore. Il doit lui représenter que s’il n’y a pas autant de danger dans l’état religieux que dans le monde, il y a aussi des obligations plus considérables. Il doit lui faire comprendre qu’il faut un détachement complet de toutes choses, une soumission et une obéissance aveugles quand on veut entrer en religion, et lui montrer autant les épines que les roses de la vie qu’elle veut embrasser, afin que plus tard elle ne se trouve point étonnée et découragée même par les peines ou les difficultés qui pourront se présenter. Il ne doit point lui présenter souvent ces difficultés, mais assez pour qu’elle les connaisse. Puis il lui demandera quelles réflexions elle a faites à ce sujet; il l’engagera à parler simplement, sincèrement et sans timidité, lui faisant voir clairement combien elle est intéressée à ne se point tromper dans ses démarches. Il écoutera, il pèsera, il jugera toutes ses paroles et toutes ses réponses.

" Le directeur verra si c’est une véritable vocation, une vocation ordinaire ou extraordinaire.

" S’il ne voit point de vocation, il détournera cette personne de la vie religieuse dans laquelle elle se perdrait probablement parce qu’elle n’est point appelée à cette vie.

" S’il ne voit qu’une vocation ordinaire, il ne donnera point à cette personne de grandes épreuves, il s’assurera seulement de la sincérité de ses sentiments et des motifs qui la portent à embrasser cet état et il l’engagera à suivre cette vocation.

" S’il voit une vocation plus qu’ordinaire, il commencera par donner de petites épreuves, examinant la manière dont les supporte celle qu’il dirige. Il observera son caractère, ses goûts, ses sentiments, ses inclinations, et cherchera à modifier, légèrement d’abord, tout ce qu’il y a de défectueux en elle. Il ménagera néanmoins sa faiblesse et lui donnera, comme une mère à son enfant, une nourriture de plus en plus substantielle. Il la formera peu à peu à l’obéissance et proportionnera tout à sa vigueur et à son énergie, à mesure qu’elle croîtra et se fortifiera. S’il voit en elle un grand courage, une fermeté prête à tout supporter, c’est une marque que Dieu destine cette personne à de grandes épreuves, et le directeur doit commencer en elle l’œuvre de Dieu, pour qu’elle s’achève et se perfectionne plus tard dans la vie religieuse. On n’est point parfait en un seul jour, on n’est point athlète et soldat tout d’un coup, il faut nécessairement être formée; et la vie religieuse bien plus que la vie commune et ordinaire doit être une lutte et un combat auquel il faut s’exercer pour remporter la victoire.

" Quand le directeur croit dans sa sagesse et d’après les lumières de la foi avoir suffisamment éprouvé cette personne, il lui permettra d’embrasser la vie religieuse.

" Un directeur ne doit jamais pousser de lui-même qui que ce soit à la vie religieuse. Combien seraient blâmables ceux qui, par un zèle indiscret, voudraient engager des personnes à s’enfermer dans un cloître, sous prétexte qu’elles y trouveront moins de dangers. Il n’y a point là plus qu’ailleurs espoir de salut s’il n’y a pas vocation; au contraire, une personne, sans vocation pour la vie religieuse, pourra se perdre en ce genre de vie, tandis qu’elle serait sauvée dans le monde. Ce directeur aura à me rendre compte de ces âmes que son ignorance ou ses conseils auront perdues. Quand même une personne aurait vocation pour vivre dans la virginité, pour s’élever à une grande sainteté, pour marcher dans des voies extraordinaires, ce n’est pas une raison suffisante pour la retirer du monde et la faire entrer en religion. Je destine ces âmes à être l’édification du monde et le soutien des faibles, voilà pourquoi je ne les appelle point à la vie religieuse; c’est là leur vocation

" Mais s’il faut user de prudence, de sagesse et de discrétion, s’il faut être éclair en face d’une vocation, c’est bien devant une vocation au sacerdoce. Vous rappelez-vous ce que je vous ai dit du sacerdoce, de cette fonction si sublime et si redoutable? Quel malheur que l’usurpation du sacerdoce, quel malheur que le renoncement au sacerdoce! Quel compte sévère devra me rendre celui qui éloigne du sacerdoce celui que j’appelais à être mon prêtre et mon ministre, et celui qui pousse au sacerdoce celui que je n’y appelais point! Combien ma justice sera sévère pour ceux qui admettent au sacerdoce ceux qui ne semblent point le mériter, et repoussent ceux qui n’en sont point indignes par leur conduite et leurs actions! O sacerdoce catholique, vocation des vocations! O vous qui êtes chargés de la direction de mes prêtres futurs, étudiez, examinez, scrutez, jugez tous leurs sentiments, toutes leurs actions et prononcez-vous ensuite comme je le ferais moi-même! Quel malheur pour vous, et quel remords dans l’avenir si, par votre négligence, vous appeliez quelqu’un qui n’est point élu, qui ne serait point le pasteur de mon troupeau, mais un loup ravissant qui travaillerait à sa ruine! Quel malheur pour lui! Est-ce que le joug de mon sacerdoce ne l’oppresserait pas sous son poids accablant? Quel malheur pour les âmes à qui il ne saurait montrer la voie et enseigner la vérité et dont il ne pourrait entretenir la vie! Quel malheur pour mon Église, et surtout quelle désolation! O vous qui êtes chargées de mes prêtres futurs, encore une fois, étudiez, examinez, scrutez et jugez tous leurs sentiments, toutes leurs inclinations; suivez-les pas à pas, observez tout en eux, prononcez-vous ensuite comme je le ferais moi-même!

" Le sacerdoce, ma fille, nul ne le mérite, il faut y être appelé comme Aaron, comme les apôtres, comme moi-même, par mon Père céleste qui règne dans les cieux. Quand on a entendu sa voix, il faut se défaire complètement de tout sentiment personnel, pour ne suivre que l’impulsion et le mouvement de la volonté de Dieu, afin de travailler avec succès au salut des âmes et continuer sur la terre mon œuvre de Rédempteur et de Sauveur.

" La vie religieuse demande qu’on l’embrasse avec des sentiments purs et saints, et pour correspondre à l’appel de Dieu; non par caprice, vaine gloire, contrariété, intérêt ou ferveur passagère et de peu de durée, pour n’être point un mauvais religieux.

" La virginité demande qu’on l’embrasse par des sentiments purs et saints et pour suivre sa vocation, en éloignant de ses pensées la passion ou l’intérêt, causes assurées de discorde et souvent de mauvaise vie.

" Ma fille, vous devez comprendre et tous doivent comprendre aussi combien la vocation est une grande chose, combien il faut lui donner d’attention, puisque c’est d’elle que dépend la gloire que l’on rendra à Dieu dans le temps et dans l’éternité, ou la révolte qu’on lancera vers lui pendant la vie de la terre pour l’éternelle malédiction dans les abîmes de l’enfer. Néanmoins, au temps où vous vivez, est-il rien qu’on traite plus légèrement? O hommes irréfléchis, hommes insensés, hommes oublieux de tous leurs intérêts!

" Je vous ai fait connaître votre vocation, ma fille. Vous serez mon épouse toute votre vie, vous le serez aussi dans l’éternité. Vous demeurerez vierge et j’abriterai votre virginité dans mon Cœur sacré. Bientôt il vous sera donné de l’abriter d’une manière sensible dans la congrégation qui lui est consacrée si spécialement et dans laquelle je vous ferai entrer. "

Voilà, Monsieur le Curé, ce que m’a dit le Sauveur Jésus. Je termine cette longue lettre en me recommandant à vos prières, j’en sens un besoin plus pressant que jamais. Ayez pitié de moi, priez pour votre enfant et croyez à mon éternelle reconnaissance.

Je suis, Monsieur le Curé et très vénéré Père en Notre Seigneur Jésus-Christ, avec les sentiments du plus profond respect et de ma gratitude,

Votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 25 novembre 1943.

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