les Vertus

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Degrés des Vertus

Par Saint Bonaventure

 

PROLOGUE.

CHAPITRE PREMIER. Degrés de la charité.

CHAPITRE II. Degrés de l’obéissance.

CHAPITRE III. Degrés de l’humilité.

CHAPITRE IV. Degrés de la chasteté.

CHAPITRE V. Degrés de la patience.

CHAPITRE VI. Degrés de la miséricorde.

CHAPITRE VII. Degrés de la vérité.

CHAPITRE VIII. Degrés de la pauvreté.

CHAPITRE IX. Degrés de la prudence.

CHAPITRE X. Degrés de la force.

CHAPITRE XI. Degrés de la justice.

CHAPITRE XII. Degrés de la tempérance.

CHAPITRE XIII. Degrés de la paix.

CHAPITRE XIV. Degrés de la constance.

CHAPITRE XV. Degrés de la libéralité.

CHAPITRE XVI. Degrés de la compassion.

CHAPITRE XVII. Degrés de la congratulation.

CHAPITRE XVIII. Degrés de l’abstinence.

CHAPITRE XIX. Degrés de la concorde.

CHAPITRE XX. Degrés de la reconnaissance.

CHAPITRE XXI. Degrés de la religion.

CHAPITRE XXII. Degrés de la contrition.

CHAPITRE XXIII. Degrés de la confession.

CHAPITRE XXIV. Degrés de la satisfaction.

CHAPITRE XXV. Degrés de la contemplation.

CHAPITRE XXVI. Degrés de la discrétion.

CHAPITRE XXVII. Degrés de l’espérance.

CHAPITRE XXVIII. Degrés de la crainte.

CHAPITRE XXIX. Degrés de la douleur en tant qu’elle a rapport à la vertu.

CHAPITRE XXX. Degrés de la joie.

 

PROLOGUE.

« Approchez-vous du Seigneur et vous serez éclairés, et vos visages ne seront point couverts de confusion. » Ainsi parlait le roi David (1). C’est à l’homme qu’il appartient de s’approcher de Dieu ; c’est à Dieu qu’il appartient d’éclairer l’homme. Or, celui-là s’approche de Dieu en esprit, dui dirige vers lui ses affections, soupire après ses louanges, redoute ce qui l’offense, se réjouit de tout ce qu’il sait lui plaire, s’attriste de tout ce qui lui déplaît, aime les vertus et leur pratique, déteste les vices et leurs oeuvres, rougit de l’iniquité, de tout ce qu’elle produit et de tout ce qui lui donne occasion de se montrer. Dieu, qui est la vraie lumière, éclaire, de son côté , celui qui s’approche de lui afin de connaître les vertus et les degrés de ces vertus , qui sont la voie la plus assurée pour arriver au royaume des cieux. Si quelqu’un trouve à reprendre dans ces degrés que je vais exposer, et qu’il en connaisse de meilleurs, je ne le regarderai pas comme un adversaire, et je ne v eux nullement entrer en dispute avec lui à ce sujet. J’avertis aussi que dans la plupart des vertus leurs

1 P. 33

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degrés se coordonnent ou selon leur rareté ou selon leur perfection , et que cependant ils arrivent sous ces divers aspects à ce qu’il y a de plus élevé.

 

CHAPITRE PREMIER. Degrés de la charité.

I. Il nous faut commencer par exposer les degrés de la charité, car l’Epouse a dit dans les Cantiques : « Il a réglé en moi la charité (1). » Or, le degré le plus faible de la charité consiste à aimer celui qui nous aime, nous honore, nous vient en aide, et nous rend tous les services dont nous avons besoin. Faire le contraire , c’est agir tout-à-fait contre la nature; car, dit saint Chrysostome, aimer celui qui nous aime est dans la nature même.

C’est un degré plus élevé que d’aimer sincèrement son ennemi à cause de Dieu, qui l’a créé à son image, qui l’a nourri de son corps et racheté de son sang. En effet, dit le même saint Chysostôme, aimer celui qui ne nous aime pas, c’est l’oeuvre de la grâce. Celui qui ne s’applique pas à agir ainsi, refuse d’être enfant du Dieu qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants (2).

Mais le degré le plus élevé de la charité, c’est de forcer nos ennemis à nous aimer en leur faisant du bien. Voilà pourquoi sur ce passage : « Afin que vous

1 Cant., 2. — 2 Mat., 5.

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soyez les enfants de votre Père, etc. (1), la Glose dit : « Le comble de la perfection , c’est d’aimer ses ennemis et de prier pour eux avec ardeur comme l’a fait Jésus-Christ. » Et une autre Glose, sur ces paroles : Faites du bien à ceux qui vous haïssent, dit : « N’étendez pas seulement les oeuvres de votre charité jusqu’à vos amis, mais encore jusqu’à vos ennemis , afin qu’ils commencent aussi à devenir pour vous des amis. »

Dans le premier degré sont les païens et les publicains, qui aiment ceux qui les aiment; dans le second les chrétiens parfaits, qui bénissent ceux qui les maudissent; dans le troisième les religieux arrivés au faite de la perfection, ou plutôt Jésus-Christ lui-même, qui chercha à attirer Judas à son amour en lui donnant un baiser si plein de charité, en lui lavant les pieds, en le nourrissant de sa chair, et qui pria sur la croix pour ceux qui le faisaient mourir.

II. C’est un haut degré de la charité de chercher l’avantage de son ami en cherchant sa propre utilité. C’en est un plus élevé de chercher l’avantage de celui que l’on aime à son propre détriment. mais c’est le degré le plus élevé de chercher le bien de cet ami par le sacrifice même de sa vie. C’est pour cela qu’il est écrit : « Personne n’a une charité plus grande que celle qui consiste à donner sa vie pour ses amis (2). » Celui qui agit de la sorte a donc la charité la plus sublime que l’on puisse imaginer. C’est dans ce degré que fut Jésus-Christ lorsqu’il s’est fait pauvre

1 Mat., 5. — 2 Joan., 15

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de riche qu’il était , afin de nous enrichir par sa pauvreté, comme dit l’Apôtre (1); lorsque par ses opprobres il nous obtint la gloire céleste ; lorsque par ses souffrances il offrit un remède à nos maux ; lorsque par sa mort ignominieuse il nous acquit la vie éternelle.

III. C’est encore un haut degré de charité d’aimer celui qui nous ravit les biens temporels. C’en est un plus élevé d’aimer celui qui nous enlève l’honneur, ou bien celui qui nous ôte la vie ou nous prive de quel-qu’un de nos membres. Mais c’en est un très-élevé d’aimer celui qui s’efforce de nous ravir la vertu et les biens spirituels, ou autrement de nous ôter Dieu même, soit en nous poussant au péché d’une manière quelconque , soit en nous détournant des oeuvres de sainteté.

 

CHAPITRE II. Degrés de l’obéissance.

I. C’est un haut degré d’obéissance que d’obéir à celui qui est notre Créateur, notre Rédempteur, notre Rémunérateur, qui veut notre bien commun dans la vie présente et dans la vie future. C’est justement que nous lui devons obéissance en tout ce qu’il nous commande et en tout ce qu’il nous défend, puisque chacun de ses préceptes a pour but de nous conduire

1 II Cor., 8.

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au bien suprême; chacune de ses défenses de nous éloigner du souverain mal.

Mais il me semble que c’est un degré plus élevé de cette vertu d’obéir à celui qui nous commande en la personne de Dieu, comme nous obéirions à Dieu lui-même ; car nous devons l’obéissance à Dieu à cause des motifs que nous avons exposés, mais nous ne la devons à l’homme qu’en vue de Dieu seul. Cette obéissance s’entend lorsque nous nous soumettons à un homme parfait et sage qui commande toutes choses avec maturité et discernement.

Aussi le degré le plus élevé, je crois, consiste à obéir à un homme sans raison, à un homme difficile et sans considération, qui commande une infinité de choses avec violence , sans discernement et sans réflexion, et qui cependant nous représente la personne de Dieu. C’est pourquoi saint Pierre a dit : « Serviteurs, soyez soumis à vos mitres avec toutes sortes de respects, non seulement à ceux qui sont bons et doux, mais encore à ceux qui sont rudes et fâcheux; car c’est là ce qui est agréable à Dieu (1). » C’est comme s’il eût voulu dire qu’il n’y avait pas un grand mérite à se soumettre à ceux qui sont doux et faciles. Cependant il faut soigneusement prendre garde que cette obéissance ne soit point contraire à notre conscience.

II. Il y a aussi un certain degré d’obéissance à se soumettre à ce qui nous est facile et agréable. Il y en a un plus élevé à embrasser ce qui est pénible , mais

1 Petr., 3.

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de peu de durée , et il y en a un très-élevé à accepter ce qui est pénible pour un long temps et même jusqu’à la mort. C’est dans ce degré qu’a vécu Jésus-Christ lorsqu’il a obéi à son Père en souffrant depuis le commencement de sa vie jusqu’à sa mort les choses les plus humiliantes.

III. Il y a également un certain degré d’obéissance à agir par la crainte du châtiment que la désobéissance entraîne, et c’est là l’obéissance de beaucoup. C’en est un plus haut que d’obéir par l’espérance de la grâce dans le temps présent, et par le désir de la gloire en l’autre : ce qui est aussi l’obéissance d’un grand nombre. Mais le degré le plus élevé c’est de laisser de côté ces motifs et d’obéir simplement à cause de Dieu, parce qu’il est notre Maître et que nous sommes ses serviteurs.

IV. C’est encore un haut degré d’obéissance que d’accomplir l’ordre d’un supérieur à cause de Dieu. C’en est un plus élevé d’accomplir le désir qu’il nous manifeste. C’en est un très-élevé que d’accomplir ce que l’on sait lui être agréable, selon cette parole de Jésus-Christ : « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé (1). » Ou bien selon cette autre : « S’il se peut, que ce calice passe loin de moi. Cependant qu’il soit fait non comme il me plaît, mais compte il vous plaît, à vous.(2) »

V. Il y a enfin quelque degré d’obéissance à accomplir un ordre tout en différant son accomplissement. Mais c’en est un plus élevé de l’accomplir

1 Joan., 6. — 2 Marc., 14.

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de suite bien qu’avec murmure et contre sa volonté: et c’en est un très-élevé que de s’y soumettre sans retard , de plein gré et avec joie.

 

CHAPITRE III. Degrés de l’humilité.

I. C’est un haut degré d’humilité de se soumettre volontairement à celui qui est au-dessus de nous; mais c’est justice. C’en est un plus haut de se soumettre à son égal , et c’est abondance. Enfin c’en est un très-haut de se soumettre à son inférieur, et c’est surabondance. C’est en ce dernier degré que fut Jésus-Christ lorsque , venant au Jourdain, il se soumit à Jean , en lui disant : « Laissez pour le moment, car il convient que nous accomplissions toute justice (1), » c’est-à-dire que nous pratiquions une humilité surabondante, comme dit la Glose.

II. C’est de même un haut degré d’humilité d’être humble en ses paroles. C’en est un plus haut de l’être en ses actions, et c’en est un très-haut de l’être en son coeur. C’est là que réside la vertu , et non dans les paroles ni dans les actes, puisqu’il y en a qui s’humilient d’une manière perverse dans leurs discours, leurs actions, leur maintien, leurs vêtements et leurs démarches. Pour Jésus-Christ, il a été humble en son coeur , car il a dit : « Apprenez de moi que je

1 Mat., 3.

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suis humble de coeur (1); humble en ses paroles, car il s’est écrié : Je suis un ver de terre et non un homme (2) ; et aussi : Ma doctrine n’est pas ma doctrine. mais la doctrine de celui qui m’a envoyé (3); et encore:  Les paroles que j’annonce ne sont pas de moi-même (4). Humble en ses actions, car il s’est abaissé devant ses Apôtres pour leur laver les pieds.

III. C’est aussi un haut degré d’humilité de s’humilier à cause de la grandeur et de la multitude de ses défauts, selon cette parole du Prophète : « Que votre humiliation soit au milieu de vous (5), c’est-à-dire, que le sujet de votre humiliation soit en votre coeur, que ce soit vos défauts. C’est un degré plus élevé de s’humilier à cause de l’abondance des vertus et des dons spirituels, de même qu’un arbre excellent s’incline sous l’abondance de ses fruits , et c’est pour cela qu’il est dit : « Plus vous êtes grand, plus vous devez vous humilier en toutes choses (6). » Enfin c’en est un très-élevé que de s’abaisser pour suivre les exemples d’humilité donnés par Jésus-Christ.

IV. C’est encore un degré élevé de cette vertu de s’humilier de tout le mal qu’on a commis; un plus élevé de s’humilier de tout. le bien qu’on a omis et de toutes les choses qu’on a profanées, et un très-élevé de s’humilier de tous les bienfaits reçus inutilement. Cet ordre se tire de la rareté, car un degré est d’autant plus élevé qu’il est plus rare. Rien de tout cela ne put avoir lieu en Jésus-Christ, car il ne

1 Mat.,11.— 2 Ps. 21.— 3 Joan., 7. — 4 Joan., 14.—     5. Mich., 6. — 7 Eccl., 3.

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connut jamais le mal , il ne négligea aucun bien , de même qu’il n’en profana aucun, et jamais il ne reçut un bienfait en vain.

V. Enfin c’est un haut degré d’humilité de s’estimer aussi vil qu’on l’est réellement aux yeux de Dieu. C’en est un plus haut de se considérer devant Dieu aussi vil qu’on l’eût été s’il ne nous eût soutenu de sa grâce. Et c’est un degré très-haut de se regarder comme aussi vil qu’on pourrait le devenir encore si le Seigneur ne nous gardait contre les tentations.

 

CHAPITRE IV. Degrés de la chasteté.

C’est une chasteté élevée que la chasteté conjugale. C’en est une plus élevée que celle de la viduité. C’en est une très-élevée que celle de la virginité. On le voit par la différence de leurs fruits : à l’une on accorde trente, à l’autre soixante, et cent à la troisième. C’est dans ce dernier degré que fut Jésus-Christ, ainsi que la bienheureuse Vierge, sa Mère ; et saint Jean Damascène a dit : « Renoncer au mariage, c’est imiter les anges. »

II. C’est un haut degré de chasteté d’avoir en horreur tout mouvement, tout acte d’impudicité. C’en est un plus haut de détester les paroles impures, ou bien encore toute volonté contraire à la chasteté, toute concupiscence déréglée. C’est ainsi que Sara a

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dit : « Vous savez, Seigneur, que je n’ai jamais eu de désir pour aucun homme, et que j’ai conservé mon âme pure de toute concupiscence (1). » Enfin c’est un degré très-haut de réprouver même toute pensée déshonnête. Ainsi Job a dit : « J’ai fait un pacte avec mes yeux pour ne penser pas seulement à regarder une vierge (2).»

La chasteté court un grand danger en écoutant les discours qui l’outragent ; un plus grand en contemplant des objets qui la blessent, ainsi que nous le voyons par l’exemple de David et des trois vieillards de Babylone; et un beaucoup plus grand encore quand elle souffre des attouchements honteux.

Et par le contraire cette vertu trouve un puissant secours dans l’éloignement de tout lieu dangereux. Elle en trouve mi plus puissant dans la fuite de tout homme corrompu , et un beaucoup plus puissant lorsqu’elle se tient en garde contre toute familiarité suspecte, et contre tout ce qui y donne occasion, comme les lettres trop tendres, les civilités excessives, les attentions trop obséquieuses, les paroles douces et flatteuses, et les présents fréquents. L’amour pur et innocent, dit saint Jérôme, ignore les présents sans cesse renouvelés, les lettres de douceur, les vêtements coquets et les petits liners artistement préparés (3).

III. C’est encore un haut degré de chasteté que de garder la pureté du corps. C’en est un plus haut de garder la pureté de l’âne , puisque tout péché impur

1 Tob., 3. — 2 Job., 31. — 3 Epist. ad Nepol.

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souille le corps et l’âme , selon cette parole de l’Apôtre : « Quelqu’autre péché que l’homme commette, il est hors du corps, mais celui qui commet le péché impur, pèche contre son corps (1). » Mais le degré le plus élevé c’est de garder cette même pureté par le désir d’imiter la chasteté de Jésus-Christ.

 

CHAPITRE V. Degrés de la patience.

1. C’est un haut degré de patience de souffrir sans se plaindre la perte de ses biens, comme fit Job (2). C’en est un plus élevé de souffrir ainsi la perte de son honneur, comme fit David lorsqu’il reçut les outrages de Séméi (3) Mais c’en est un très-haut de supporter sans murmure la mutilation de ses membres ou la perte de la vie corporelle. C’est dans ce degré que fut. Jésus-Christ lorsqu’il sacrifia volontairement sa vie pour nous.

II. C’est encore un haut degré de patience de se soumettre avec calme à l’affliction que nos péchés nous ont méritée. « Quelle gloire aurez-vous, dit saint Pierre, si c’est pour vos fautes que vous endurez les coups et les soufflets (4)? C’en est un plus haut de la supporter sans être coupable, mais pour la justice; et c’est ce qui a fait dire au même Apôtre : « Si vous souffrez pour la justice, vous êtes bienheureux (5).

I Cor., 6. — 2 Job., 1.— 3 II Reg., 16.— 4 I Petr., 2.— 5 Ibid.

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Mais le degré le plus élevé c’est de désirer l’affliction. C’est dans ce degré que se trouvait Jésus-Christ quand il disait : « Mon coeur a attendu toutes sortes d’opprobres et de misères (1). »

III. C’est également un haut degré de patience de ne pas se venger d’une injure par des actes. C’en est un plus haut de ne pas sc venger par des paroles; et c’en est un très-haut de ne point se venger en désirs.

IV. C’est avoir une patience élevée de ne montrer aucune impatience en ses paroles ; c’est en avoir une plus élevée de ne point en révéler dans les traits de son visage; c’en est une très-élevée de n’avoir en son coeur aucun mouvement violent.

V. C’est encore un haut degré de patience de ne point se venger lorsqu’on peut le faire, bien qu’il nous en coûte quelque chose. C’en est un plus haut de ne point se venger lorsqu’on peut le faire sans supporter aucun tort; et c’en est un très-élevé lorsqu’on rend grâces pour l’affliction qu’on a reçue, â l’exemple de Tobie, qui s’écriait : « Je vous rends grâces, ô Seigneur! de ce que vous m’avez châtié et de ce que vous m’avez guéri (2). »

VI. C’est un degré élevé de patience de souffrir sans se plaindre les adversités, afin d’être purifié de ses péchés, selon cette parole : « L’or est éprouvé dans la fournaise (3). » C’en est un plus élevé de les souffrir en vue de la récompense glorieuse, selon cette parole du Sauveur : « Vous serez bienheureux lorsque les bananes auront pour vous de la haine, qu’ils vous

1 Ps. 68. — 2 Tob., 11. — 3 Prov., 27

persécuteront , et qu’ils diront faussement toute sorte de mal contre vous (1). » Mais c’est un degré très-élevé de souffrir ainsi par reconnaissance pour Jésus-Christ. Elle est heureuse , dit saint Jérôme, l’âme qui désire souffrir pour le nom de Jésus autant qu’il a souffert lui-même pour nous. »

VII. Enfin c’est un haut degré de patience, de ne jamais se plaindre d’une injure reçue; c’en est un plus haut de ne jamais chercher à s’en justifier ; et c’en est un très-haut de n’en jamais parler pour en tirer ainsi au moins quelque vengeance,

 

CHAPITRE VI. Degrés de la miséricorde.

I. C’est un haut degré de miséricorde d’avoir compassion du prochain , selon cette parole : « Soyez miséricordieux (2); » et cette autre de Job : « Je n’ai point refusé aux pauvres ce qu’ils me demandaient; » et encore : « J’ai été l’oeil de l’aveugle et le pied du boiteux (3). » C’en est un plus haut d’avoir pitié de soi-même, ainsi qu’il est dit : « Ayez pitié de votre âme en vous rendant agréable à Dieu (4). » Et c’en est un très-haut d’avoir pitié de Dieu , ainsi qu’il le demande lui-même par ces paroles de Job : « Ayez pitié de moi! ayez pitié de moi! vous au moins qui ides mes amis (5). »

1 Mat., 5.— 2 Luc., 6.— 3 Job., 31. 29. — 4 Eccl., 20. — 5 Job., 19.

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II. C’est aussi un haut degré de miséricorde d’avoir pitié de ses parents dans l’affliction. C’en est un plus haut d’avoir pitié de ceux qui nous sont étrangers et que nous voyons aussi dans la peine ; et c’en est un très-haut d’avoir pitié de ses ennemis réduits à un pareil état. C’est dans ce dernier degré que se trouvait Jésus-Christ lorsqu’il dit : « J’ai compassion de cette foule (1) ; » et quand il s’écria : « Mon Père ! pardonnez-leur (2). »

III. C’est encore un haut degré de miséricorde d’avoir pitié des vivants dans leurs souffrances corporelles. C’en est un plus haut d’avoir pitié des besoins de leur âme ; et c’en est un très-haut d’avoir pitié des morts qui sont dans le purgatoire.

IV. C’est également un degré de miséricorde d’avoir pitié de ceux qui , en bonne santé, sont dans le besoin. C’en est un plus élevé d’avoir pitié de ceux qui sont malades sans cependant se trouver dans la gêne; et c’en est un très-élevé d’avoir pitié de ceux qui sont malades et en même temps dans l’indigence.

V. Un autre degré élevé de miséricorde consiste à donner libéralement ses biens temporels, comme fit Abraham , qui ne refusa l’hospitalité à personne. Un plus élevé consiste à pardonner les injures, comme il arriva à David à l’égard de Saül et de Séméi. Et un très-élevé consiste à prier avec ardeur pour ceux qui nous outragent, ainsi que nous en ont donné l’exemple Jésus-Christ et saint Etienne.

VI. Enfin celui-là est dans un haut degré de

1 Marc., 8. — 2. Luc., 23.

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miséricorde que sa nature porte à prendre pitié des autres; dans un plus haut celui qui agit ainsi par le commandement ou l’avis d’un autre; et dans un très-haut celui qui le fait par la pensée et l’inspiration de Dieu.

 

CHAPITRE VII. Degrés de la vérité.

I. C’est un haut degré de la vérité d’aimer à penser à la vérité et à la méditer. C’en est un plus haut de l’annoncer volontiers et d’aimer à le faire connaître ; et c’en est un très-élevé de vivre avec joie selon la vérité et de porter les autres à faire de même.

II. C’est aussi un haut degré de connaître la vérité; c:en est un plus haut de l’aimer; c’en est un très-haut de se juger soi-même et les autres selon la vérité. Jésus-Christ a été dans tous ces degrés.

III. C’est encore un haut degré de la vérité de la faire connaître librement, sans flatterie et sans voile, quand cela est nécessaire. C’en est un plus haut de la défendre avec liberté quand il convient de le faire. Et ceux qui en prennent ainsi la défense sont souvent remplis d’angoisses , car la vérité est une chose amère. Mais saint Bernard a dit : « Il vaut mieux subir un supplice pour la vérité, que de recevoir un bienfait pour prix d’une adulation. »

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C’est un degré très-élevé de la vérité de la défendre sans crainte en présence de ses ennemis.

IV. Enfin c’est un haut degré de la vérité de mettre pour elle en danger ses biens temporels. C’en est un plus grand d’y exposer son honneur; et c’en est un très-grand d’y exposer son corps. Et cependant c’est avec raison qu’on agit ainsi , car la vérité, c’est Jésus-Christ.

 

CHAPITRE VIII. Degrés de la pauvreté.

I. C’est un haut degré de la pauvreté, qui est une des huit béatitudes, d’abandonner les biens de la terre. C’en est plus élevé de renoncer aux amis selon le monde et aux amis selon l’esprit. C’en est un très-élevé de se renoncer soi-même, c’est-à-dire son jugement propre , son amour-propre , sa volonté propre. Jésus-Christ a passé par tous ces degrés, car il s’est renoncé lui-même; il a abandonné les siens et tout ce qu’il possédait.

II. C’est encore un haut degré de la pauvreté de ne pas travailler pour des choses passagères et de ne pas s’en inquiéter. C’en est un plus élevé de ne point les désirer ; et c’en est un très-élevé de les repousser lorsqu’elles nous sont offertes. C’est dans le second degré qu’était l’Apôtre lorsqu’il disait : « Je n’ai

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désiré ni l’or, ni l’argent, ni le vêlement d’aucun de vous (1). » Et dans le dernier que se trouvait le prophète Daniel lorsqu’il méprisa les présents de Balthazar (2), parce que l’Ecriture reprend celui qui donne et celui qui reçoit des présents.

III. C’est encore un degré élevé de la pauvreté de ne vouloir point avoir de demeure assurée , à l’exemple de Jésus-Christ, qui ne trouva point de place dans une hôtellerie (3). C’en est un plus élevé de ne point vouloir s’assurer de la nourriture ni du vêtement au temps de la santé. Mais c’en est un très-élevé de vouloir demeurer dans la même incertitude au temps de l’infirmité. C’est dans ce dernier degré que fut Jésus-Christ; car il n’eut pas où reposer sa tête, il manqua d’un verre d’eau et d’un vêtement et il fut étendu nu sur la croix.

IV. Celui-là est encore dans un haut degré de cette vertu , qui la choisit afin d’échapper aux sollicitudes de la vie. Dans un plus haut degré celui qui en fait, son partage pour s’enrichir de vertus et de dons spirituels. Et dans un très- haut celui qui agit de n’élue, afin qu’au jour où il paraîtra devant Jésus-Christ pour être jugé , Dieu soit glorifié en lui.

V. Enfin celui-là est dans un degré élevé de pauvreté qui n’a rien de propre en particulier , comme beaucoup de religieux ; dans un plus haut degré celui qui n’a rien de propre en commun pour une année entière ou pour un temps plus long, comme un petit nombre de religieux ; et dans un très-haut degré celui

1 Act., 20. — 2 Dan., 5. — 3 Luc., 2.

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qui n’a rien de propre en communauté ni pour une semaine pour un jour , comme les frères mineurs.

 

CHAPITRE IX. Degrés de la prudence.

I. C’est un haut degré de prudence de connaître Dieu par ses créatures, selon cette parole de l’Apôtre: « Ce qui est invisible en Dieu est devenu visible par les choses qui ont été créées (1). » C’en est un plus haut de le connaître par les Ecritures ; et un très-haut de le connaître par la foi.

II. C’est , eu second lieu , un haut degré de prudence de régler sa conduite extérieure selon la volonté de Dieu ; un plus haut de commander à ses affections intérieures; et un très-haut de diriger la puissance de son âme selon le bon plaisir de Dieu.

III. C’est, en troisième lieu, un haut degré de cette vertu de conformer sa vie intérieurement et extérieurement aux exemples des saints; un plus haut de la conformer aux exemples de Jésus-Christ; et du très-haut de la conformer à tout ce qu’il y eut de perfection dans la vie du Sauveur.

IV. C’est aussi un haut degré de prudence de considérer l’amertume de l’âme lorsqu’elle se sépare du corps : un plus haut de considérer l’amertume de

1 Rom., 1

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l’âme lorsqu’elle se sépare de l’amitié de Dieu pour un peu de temps seulement ; et un très-haut de considérer l’amertume qu’elle ressent lorsqu’elle est retranchée de sa jouissance pour l’éternité.

V. C’est encore un haut degré de prudence de réfléchir au bonheur de l’âme lorsqu’elle est unie à Dieu pendant un long temps ; un très-haut de réfléchir à sa félicité lorsqu’elle y est unie pour l’éternité.

VI. Enfin c’est un haut degré de prudence de remarquer comment Dieu se communique par les biens spirituels ; et un très – haut de remarquer comment il se donne tout entier et en tout ce qu’il est, soit dans la nature divine, soit dans la nature humaine.

 

CHAPITRE X. Degrés de la force.

I. C’est un haut degré de force de vaincre le monde et ses délices en les méprisant, selon ce que dit l’Apôtre : « J’ai regardé toutes choses comme de la boue (1). » C’en est un plus haut de vaincre la chair et de réprimer sa concupiscence à l’exemple du même Apôtre, qui disait : « Je châtie mon corps (2). » Et c’en est un très-haut de se vaincre soi-même en obéissant avec simplicité et de bon coeur jusqu’à la mort, ainsi

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que l’a fait Jésus-Christ, qui a pratiqué également les deux premiers degrés.

II. C’est encore un degré élevé de force de résister courageusement aux péchés du corps, comme la luxure , la gourmandise, etc. C’en est un plus élevé de résister aux péchés de l’esprit, comme l’amour-propre, l’antipathie pour les autres, l’hypocrisie, l’acception des personnes, l’ingratitude. Et c’en est un très élevé de résister à toutes les occasions de pécher, tant du corps que de l’esprit, comme sont les petits présents, les familiarités, les paroles tendres, etc.

III. C’est également un haut degré de force ne point consentir aux péchés d’action; c’en est un plus grand de ne point consentir aux péchés de parole, et c’en est un très grand de ne point consentir aux péchés de pensée. Jésus-Christ a exercé ces trois degrés.

IV. C’est enfin un haut degré de force de travailler courageusement à mener en ce inonde une vie sainte, qui consiste en mie conscience pure, en de bonnes oeuvres et des moeurs sans tache. C’en est un plus haut de travailler pour entrer un jour en la société des anges, et c’en est un très-haut de travailler pour être uni à Dieu dans la vie éternelle.

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CHAPITRE XI. Degrés de la justice.

I. C’est un haut degré de justice de rendre au prochain ce qui lui est dû, c’est-à-dire de se réjouir avec lui dans la prospérité et de lui compatir dans le malheur, selon cette parole de l’Apôtre : « Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie, et pleurez avec ceux qui pleurent (1). » C’en est un plus élevé de se rendre à soi-même ce que l’on se doit, soit en déplorant les fautes qu’on a commises, selon cette parole du Prophète : « Pleurez comme celle qui est dans les angoisses de l’enfantement (2), » soit en prenant ses précautions contre les fautes dont on pourrait se rendre coupable, selon cette autre parole : « Ce n’est pas seulement du mal, mais de toute apparence de mal qu’il faut s’abstenir (3). » Et c’en est un très-haut de rendre à Dieu ce que nous lui devons, ou autrement de le craindre parce qu’il est un maître juste , et de l’aimer parce qu’il est un père excellent. C’est pourquoi il a dit lui-même : « Si je suis votre Seigneur, où est la crainte que vous avez de moi? Si je suis votre Père, où est l’amour que vous me portez (4) ? »

II. C’est aussi un degré élevé de justice de rendre à chacun le bien pour le bien. C’en est un plus élevé

1 Rom., 12. — 2 Mich., 4. — 3 I Thessal., 5. — 4 Malach., 1.

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de rendre le bien pour le mal , et c en est un très-élevé de donner ce que l’on a de meilleur pour ce que l’on revoit de plus indigne. C’est ce qu’a fait Jésus-Christ quand il donna son très-saint corps à Judas le traître infatue.

III. C’est également un haut degré de justice de ne faire que des actions justes et qui puissent plaire à Dieu. C’en est un plus haut, de n’émettre que des paroles justes et irrépréhensibles , et c’en est un très-haut de n’avoir que des désirs justes. Jésus-Christ se trouvait dans tous ces degrés quand il disait : « Je fais en tout temps ce qui plaît à mon Père (1). »

IV. C’est encore un haut degré de justice d’apprendre à juger ses actions, à bien en connaître le motif et la fin. C’en est un plus haut de juger ses paroles pour savoir si elles sont nuisibles ou utiles , et c’en est un très-haut de juger sa conscience pour savoir si elle est droite ou erronée, ainsi que ses affections pour découvrir si elles sont bien réglées ou désordonnées.

V. Enfin c’est un haut degré de cette vertu d’observer envers tous sans distinction sur la terre la justice naturelle, c’est-à-dire d’éviter de faire aux autres ce que nous souffririons avec peine qu’on nous fit, et de leur faire ce que nous voulons qu’on nous fasse. C’en est un plus haut de rendre à tous nos morts ce que nous leur devons, soit par des aumônes et des prières en leur mémoire, soit surtout par l’exécution fidèle de leurs testaments et de tout ce

1 Joan . 8, 13.

334

qu’ils ont confié à notre fidélité. Et c’en est un très-haut de se montrer juste envers les morts qui nous sont étrangers en répondant à la confiance qu’ils ont mise en nous, par l’accomplissement des choses dons ils nous ont chargés.

 

CHAPITRE XII. Degrés de la tempérance.

I. C’est un degré élevé de tempérance de se modérer dans les choses extérieures, c’est-à-dire dans la nourriture, le vêtement, le sommeil, le marcher, les paroles, les actions et tout l’ensemble du maintien extérieur, en sorte que tout se fasse selon Dieu , avec ordre et modestie. C’en est un plus élevé de se modérer en ses mouvements et affections intérieurs , afin de ne point s’occuper outre mesure des objets passagers. Et c’en est un très-élevé de régler ses pensées pour qu’elles ne se répandent pas trop hors de Dieu.

II. C’est aussi un haut degré de tempérance de s’abstenir des choses illicites, tant intérieures qu’extérieures. C’en est un plus haut de s’abstenir pour un temps des choses licites intérieures et extérieures , et c’en est un très-haut de s’abstenir jusqu’à la mort de ces mêmes choses, selon cette parole : « La vertu consiste à s’abstenir des jouissances permises. » Au reste celui-là seul ne se laisse point entraîner aux

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choses illicites qui s’applique avec soin à se modérer en celles qui lui sont permises, dit la Glose sur Job (1). Ainsi , celui qui ne veut point tomber dans la médisance ni le mensonge ou autres fautes semblables, s’abstient même de ce qu’il pourrait avancer innocemment; car, dit Salomon, les longs discours ne seront pas exempts de péché (2).

III. Il y a encore un certain degré élevé de tempérance à parler avec modération des défauts des hommes en leur présence. C’en est un plus haut de parler avec modération des défauts des morts et des vivants en leur absence et comme si l’on était en leur présence. C’en est un très-haut d’excuser sincèrement les défauts des morts et des vivants en leur absence, parce qu’ils ne sauraient le faire par eux-mêmes.

IV. Enfin saint Jean Chrysostome compte parmi les degrés de cette vertu la modération dans le boire et le manger. « Rien, dit-il, ne dissipe la tristesse comme une réfection modérée, » et c’est là un haut degré. Rien ne conserve si bien la santé, » et c’est un degré plus élevé. « Rien ne donne à l’esprit une plus grande facilite , » et c’est là un degré très-élevé.

1 Greg. mor., lib. 5, c. 8. — 2 Prov 10.

336

 

CHAPITRE XIII. Degrés de la paix.

I. C’est un haut degré de paix d’avoir soumis la chair à l’esprit ou à la raison , en la rendant éloignée de toute action mauvaise. C’en est un plus haut de l’avoir soumise à l’esprit en la rendant prompte à toute bonne oeuvre. Et c’en est un très-haut d’avoir soumis son esprit à Dieu par une observance entière, et selon toutes les forces tant extérieures qu’intérieures de l’âme, de tout ce qu’il commande. Ce dernier degré subsiste dans le ciel.

II. C’est aussi un haut degré de paix de pardonner à ses inférieurs s’ils ont manqué en quelque chose , et de les consoler avec bénignité s’ils sont tombés en quelque affliction. C’en est un plus haut d’agir avec ses égaux de telle sorte qu’on leur fasse le bien que nous voudrions justement nous être fait, et qu’on leur épargne le mal que nous trouverions injuste à notre égard. Et c’en est un très-haut de conformer en tout sa volonté à celle de ses supérieurs.

III. C’est encore un haut degré de paix de ne porter le trouble en personne par ses actions. C’en est un plus élevé de ne le point porter par ses paroles, son air ou des rapports indiscrets. Et c’en est un très-haut de ne donner à aucun la plus légère occasion de trouble, soit par signe, soit par un mouvement

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quelconque. Jésus-Christ a demeuré dans tous ces degrés selon cette parole : « Je ne suis pas venu pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé (1) . »

IV. Celui-là enfin arrive à un degré élevé de paix , qui ne publie point le mal qu’il sait du prochain; à un plus haut degré celui qui ne diminue, ni ne dénigre, ni n’interprète en mauvaise part , mais exalte le bien opéré par ses frères; et à un très-haut degré celui qui compatit à leurs défauts et se réjouit sincèrement de leurs progrès. C’est dans ce degré que fut Jésus-Christ.

 

CHAPITRE XIV. Degrés de la constance.

C’est un haut degré de constance d’être tellement uni à Dieu qu’on ne puisse , même par la perte des biens temporels, être amené à faire le mal qui lui déplaît, ni détourné du bien que nous savons lui être agréable, ainsi que nous le lisons de Tobie et de Mathatias. C’en est un plus élevé de ne pouvoir être conduit là par la mutilation de ses membres, comme il arriva aux sept frères dont l’histoire est racontée au livre des Machabées. Et c’en est un très-haut de ne pouvoir y être forcé par la perte de la vie, comme saint Paul lorsqu’il disait : « Non-seulement je suis

1 Joan., 6.

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prêt à être enchaîné, mais encore à mourir pour le nom du Seigneur Jésus-Christ (1). »

II. Celui-là arrive à un haut degré de constance qui ne s’éloigne pas de Dieu dans la prospérité, comme David ; à un plus haut celui qui ne s’en éloigne pas dans l’adversité à laquelle il est en butte de la part de ses ennemis, comme saint Etienne; et à un très-haut celui qui lui demeure attaché dans l’adversité dont il est l’objet de la part de ses amis, comme Job lorsqu’il disait aux siens : « Je n’abandonnerai point la justice que j’ai commencé à observer (2). »

III. Celui-là est aussi dans un haut degré de constance qui ne consent point aux tentations des péchés de la chair, mais les supporte avec patience. Dans un plus haut celui qui ne consent point aux tentations des péchés de l’esprit, mais les supporte de même. C’est ce qui a fait dire à saint Jacques : « Heureux celui qui souffre patiemment les tentations (3). » Et celui-là est dans un très-haut degré qui retranche de soi-même l’occasion des tentations, tant de la chair que de l’esprit. C’est dans ce degré que fut Jésus-Christ.

IV. Enfin celui-là parvient à un degré élevé de constance qui n’est détourné de sa vie sainte, de ses bonnes oeuvres, de ses vertueuses résolutions ni par les moqueries, ni par les blâmes, comme nous lisons de David lorsque Michol le tourna en dérision , le méprisa , lui fit des reproches de ce qu’il avait dansé

1 Act., 21, — 2 Job, 27. — 3 Jac., 1.

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nu devant l’arche comme un baladin (1). Celui-là parvient à un plus haut degré qui ne se laisse ébranler ni par les adulations, ni par les louanges des hommes frivoles ou méchants; et à un degré très-élevé celui qui n’est touché ni des flatteries ni des louanges des hommes de bien.

 

CHAPITRE XV. Degrés de la libéralité.

I. C’est un haut degré de libéralité de donner avec joie ses biens temporels, comme Abraham , qui ne refusa l’hospitalité à personne. C’en est un plus haut de donner de grand coeur les biens spirituels, comme l’Apôtre le fit , ainsi qu’il le témoigne en ces paroles : « Je suis redevable aux sages et aux insensés; » et dans ces autres : « Si nous avons semé parmi vous les biens spirituels, etc. (2) » Et c’en est un très-élevé de livrer son corps de plein gré et avec bonheur, comme le fit Jésus-Christ, qui dit par le Prophète : « J’ai livré mon corps à ceux qui me frappaient (3); » et par lui-même : « Mangez-en tous , car ceci est mon corps (4). »

II. Celui-là arrive à un haut degré de libéralité qui donne tout ce qu’on lui demande , selon cette parole d’Hérode à sa fille : « Tout ce que vous me demanderez, je vous l’accorderai (5) ; à un plus haut

1 II Reg., 6.— 2 Rom., 1 ;— I Cor., 9. — 3 Is., 50.— 4 Mat., 26. — 5. Marc., 6.

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degré celui qui donne plus qu’on ne lui demande, comme fit Naaman à Giézi, serviteur d’Elisée, qui lui demandait un talent et à qui il dit : « Il vaut mieux que vous en receviez deux (1). » Et à un très-haut degré celui qui blâme ceux qui ne demandent pas afin de les engager à demander, comme Jésus-Christ lorsqu’il dit : « Jusqu’à cette heure vous n’avez rien demandé (2). »

III. Celui-là est aussi dans un haut degré de libéralité qui donne quelque chose afin d’en recevoir autant ou d’en être récompensé , comme font presque tous les hommes, selon cette parole d’Isaïe : « Tous aiment les présents (3). » Dans un plus haut est celui qui donne sans espoir de retour, comme l’Apôtre, qui donna les biens spirituels en disant : « Ce n’est pas votre bien, c’est vous que je cherche (4). » Et dans un très-haut celui qui rend grâces à ceux qui veulent bien recevoir ses dons , ainsi que saint Jean Chrysostome le dit de Jésus-Christ en ces termes : « Vous ne demandez rien pour tous les biens que vous nous avez accordés, ô Jésus! si ce n’est que nous nous sauvions. Vous nous en donnez la grâce, et vous êtes reconnaissant envers ceux qui veulent bien la recevoir. »

IV. Enfin celui-là est dans un haut degré de libéralité qui donne à ses parents dans leurs besoins; dans un plus haut celui qui donne aux étrangers également dans le besoin ; et dans un très-haut celui

1 IV Reg., 5. — 2 Joan., 16. — 3 Is., 1. —  4 II Cor., 12.

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qui donne à ses ennemis en cas semblable. C’est ainsi que Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants (1).

 

CHAPITRE XVI. Degrés de la compassion.

I. C’est un haut degré de compassion de pleurer du fond de son coeur sur un ami dans l’affliction. C’en est un plus haut de pleurer sur un ennemi en pareil cas ; et c’en est un très-haut de pleurer sur Dieu à cause des outrages qui lui sont faits.

II. De même, c’est un haut degré de compassion de compatir à ceux qui sont dans la peine et en bonne santé. C’en est un plus haut de compatir aux malades en leur infirmité. Et c’en est un très-haut de compatir aux peines de ceux qui se purifient dans le purgatoire.

III. Celui-là parvient également à un haut degré de compassion, qui s’afflige en son coeur sur ceux qui sont dans les peines, à l’exemple de l’Apôtre, qui s’écrie : « Qui est faible sans que je m’affaiblisse avec lui? Qui est scandalisé par quelque coup de la tribulation, sans que je brûle moi-même de douleur (2)? Celui-là s’élève à un plus haut degré, qui plaint de bouche le malheur de ceux qui sont affligés. Ainsi David a déploré la mort de Saül et de Jonathas, en disant : « Comment les forts sont-ils tombés dans le combat (3) ? » Enfin celui-là s’élève à un très-haut degré.

1 Mat., 5. — 2 II Cor., 11 — 3 II Reg., 1.

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qui verse des larmes sur l’affliction des autres, comme en versa David sur Absalom, son ennemi; comme en versa Job : « Autrefois, dit-il, je pleurais sur celui qui était affligé, et mon cime avait compassion des malheureux (1). » Jésus-Christ fut dans ces degrés lorsqu’il gémit sur Jérusalem, en disant : « Si tu avais connu, etc. (2); » et une glose sur l’Evangile de saint Marc dit : « L’homme est dans la souffrance, et il rit; mais Dieu lui compatit et pleure. »

IV. C’est aussi un haut degré de cette vertu de compatir à ceux qui sont dans les peines corporelles; c’en est un plus haut de compatir à ceux qui sont dans les peines spirituelles, et c’en est un très-haut de compatir à ceux qui ont des défauts en leur âme.

V. C’est encore un haut degré de compatir à ceux qui sont dans une affliction passagère. C’en est un plus haut de compatir à ceux qui sont dans une affliction de longue durée, et c’en un très-élevé de compatir à ceux qui sont toute leur vie dans l’affliction. Jésus-Christ a eu tous ces degrés.

 

CHAPITRE XVII. Degrés de la congratulation.

I. C’est un degré élevé de congratulation de féliciter tous les hommes de ce qu’ils ont été créés à l’image et ressemblance de Dieu; de même, de les féliciter

1 Job., 30. — 2 Luc., 19

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de tous les biens qu’ils ont reçus de lui. C’est un plus haut degré de féliciter les anges de ce qu’ils sont le sceau de Dieu, de ce qu’ils n’ont éprouvé aucune misère , et de ce qu’ils ont toujours joui de la vue de la divinité. C’en est un très haut de féliciter Dieu de son éternelle et immense béatitude, qu’il possède de soi-même et par nature.

II. C’est de même un haut degré de congratulation de féliciter Dieu de ce que sa volonté est accomplie par les hommes au ciel et sur la terre. C’en est un plus haut de le féliciter de ce que cette même volonté est accomplie dans le ciel par les anges, et c’en est un très-haut de féliciter les trois personnes divines de ce que la volonté de chacune d’elles est accomplie par les deux autres.

III. C’est aussi un haut degré de congratulation de féliciter tous les hommes de tous les dons fortuits qui leur arrivent. C’en est un plus haut de les féliciter des dons naturels du corps et de l’âme; et c’en est un très-haut de les féliciter de tous les dons spirituels et des vertus dont ils sont ornés.

IV. C’est encore un degré élevé de congratulation de féliciter tous ses proches de tous les biens qu’ils reçoivent et de leurs succès. C’en est un plus élevé de féliciter de la sorte ceux qui nous sont étrangers , et un très-élevé d’avoir les mêmes sentiments pour nos ennemis.

V. C’est enfin un haut degré de nous féliciter de tout ce que la nature nous montre comme digne de nos félicitations. C’en est un plus haut de le faire

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pour tout ce que la sainte Ecriture nous offre de semblable, et c’en est un très-élevé de le faire toutes les fois que l’inspiration divine nous y pousse. Jésus-Christ a possédé tous ces degrés.

 

CHAPITRE XVIII. Degrés de l’abstinence.

I. C’est un haut degré d’abstinence d’éviter les jouissances superflues du corps dans la nourriture, le vêtement et autres commodités. C’en est un plus élevé d’éviter les jouissances de l’esprit qui se présentent tout-à-coup et s’en vont de même , comme il arrive dans la luxure, les assemblées profanes, et lorsqu’on entend avec joie ou qu’on dit soi-même des paroles de mensonge, de médisance , et autres choses semblables. Et c’en est un très-grand de fuir les jouissances de l’esprit qui s’offrent souvent et persévèrent longtemps : « telles sont celles qui se trouvent dans les parures superflues, dans les amitiés mondaines et dans les plaisirs temporels.

II. C’est de même un haut degré d’abstinence d’éviter volontiers tous les amusements illicites que l’Homme ne peut avoir ou du moins que fort difficilement. C’en est un plus élevé de s’éloigner de plein gré des amusements que nous avons ou que nous pouvons avoir facilement; et c’en est un très-haut d’éviter les jouissances licites que nous possédons ou

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que nous pouvons posséder , et dont nous pouvons user sans démérite. C’est pourquoi il est dit que la vertu consiste à s’abstenir des biens qui nous sont permis.

III. C’est aussi un haut degré d’abstinence de s’éloigner volontiers de ce qui peut réjouir dans les choses viles et nuisibles. C’en est un plus grand de s’éloigner pour un temps de ce qui plaît, de ce qui est rare et précieux, de ce qui ne s’obtient qu’avec une grande diligence et ne s’acquiert qu’à grands frais. Et c’en est un très-élevé de s’éloigner pour toujours de la jouissance de pareilles choses.

IV. Enfin c’est un haut degré d’abstinence de ne point chercher à cause de Dieu une consolation passagère dans les choses visibles. C’en est un plus haut de fuir à cause de Dieu la consolation passagère qui se trouve dans les anges et les choses invisibles, comme Madeleine, qui ne cherche pas les anges, mais celui qui est son Créateur et le Créateur des anges. Et c’en est un très-élevé de se priver pour un temps, en vue du salut du prochain, de la consolation qu’on peut trouver dans le Sauveur lui-même, à l’exemple de l’Apôtre, qui disait : « Je désirais être anathème pour mes frères; et : Je désire être dégagé de mon corps et être avec Jésus-Christ; mais il est plus utile pour votre bien que je demeure sur la terre (1). » Le Sauveur a été dans tous ces degrés.

1 Rom., 9; — Philip., 1.

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CHAPITRE XIX. Degrés de la concorde.

I. C’est un haut degré de concorde, d’être uni dans une sainte société avec les hommes qui mènent une vie sainte. C’en est un plus haut d’être uni avec les saints anges dans une louange continuelle de Dieu; et c’en est un très-haut d’être uni avec Dieu par une volonté parfaite.

II. C’est de même un haut degré de concorde de s’accorder avec ses inférieurs en compatissant à leurs défauts. C’en est un plus haut de s’accorder avec ses égaux et ses semblables en se réjouissant de leurs succès; et c’en est un très-haut de s’accorder avec ses supérieurs en obéissant en tout à leurs volontés.

III. C’est aussi un haut degré de cette vertu de s’accorder avec les parfaits en observant les commandements de Dieu. C’en est un plus haut de s’accorder avec ceux qui sont plus parfaits par l’accomplissement des conseils que Dieu nous donne en son Ecriture; et c’en est un très-haut d’être d’accord avec ceux qui sont très-parfaits en se conformant aux perfections de Dieu.

IV. Enfin c’est un haut degré de concorde de s’accorder avec tous les hommes autant qu’on le peut afin d’empêcher toute dissension. C’en est un plus haut de s’y accorder dans l’intérêt de son propre repos

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et pour n’avoir en soi aucune cause d’affliction. Et c’en est un très-haut de conserver cet accord de peur que notre coeur, au milieu de ses tourments, ne s’éloigne de Dieu ou que Dieu ne s’éloigne de lui pour un temps de longue ou de courte durée. Jésus-Christ a été dans tous ces degrés.

 

CHAPITRE XX. Degrés de la reconnaissance.

I. C’est un haut degré de reconnaissance d’estimer comme il convient les dons naturels du corps. C’en est un plus élevé d’estimer de même les dons naturels de l’âme, comme la mémoire, l’intelligence et la volonté. Et c’en est un très-haut d’avoir une estime semblable pour les dons gratuits, comme les dons du Saint-Esprit et les vertus.

II. C’est de même un haut degré de reconnaissance de faire cas des dons temporels que Dieu nous fait. C’en est un plus haut de faire cas des dons spirituels que nous en recevons ; et c’en est un très-haut de faire cas des dons éternels qu’il nous promet.

III. C’est aussi un haut degré de reconnaissance de rendre grâces pour le don de la sainte Ecriture. C’en est un plus haut de rendre grâces de celui des sept sacrements ; et c’en est un très-haut de rendre grâces des exemples très-saints de Jésus-Christ et de ses perfections divines.

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IV. C’est encore un haut degré de rendre grâces des préceptes contenus en la sainte Ecriture. C’en est un plus haut de rendre grâces des consolations qu’elle nous offre; et c’en est un très-haut de rendre grâces des enseignements de Jésus-Christ dans l’Evangile.

V. C’est enfin un haut degré de reconnaissance de rendre grâces à Dieu de toutes les créatures que nous trouvons sur la terre. C’en est un plus élevé de rendre grâces de tous les anges et de tous les saints que nous avons pour amis dans le ciel ; et c’en est un très-grand de rendre grâces de tous les biens que nous avons en Dieu même. Jésus-Christ a été dans tous ces degrés, comme le prouvent ces paroles : « Je fais en tout temps ce qui est agréable à mon Père (1). »

 

CHAPITRE XXI. Degrés de la religion.

I. C’est un haut degré de religion de connaître tous les vices qui lui sont contraires et d’en concevoir de la haine : tels sont l’oisiveté, la dissipation , les mauvaises sociétés , la curiosité , la trop grande liberté. C’en est un plus haut de connaître et de désirer tout ce qui nous porte à la religion, comme la gravité, la solitude, le silence, les bonnes sociétés, les bons exemples. Et c’en est un très-haut de s’exercer avec empressement à toutes les choses qui

1 Joan., 8.

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y ont rapport , comme sont les vertus et les oeuvres des vertus.

II. C’est de même un haut degré de cette vertu d’observer avec soin les préceptes de la religion. C’en est un plus haut d’en observer tous les désirs, non-seulement les plus considérables , mais encore les plus faibles; car celui qui néglige les plus petites choses tombera peu à peu. Et c’en est un très-haut d’imiter ceux qui sont parfaits dans la religion , et de marcher sur leurs traces.

III. C’est aussi un haut degré de la religion d’abandonner ses biens temporels. C’en est un plus haut d’abandonner ses amis selon la chair et selon l’esprit. C’en est un très-haut d’abandonner son jugement propre et sa volonté propre.

IV. C’est encore un haut degré de bien observer la religion et de l’aimer, pour éviter la peine qui est due à ceux qui font le contraire. C’en est un plus haut d’agir ainsi à cause de l’espérance qui accompagne dans le temps présent, et de la gloire qui attend après la mort ceux qui ont cet amour et cette fidélité. Et c’en est un très-haut de faire tout cela uniquement en vue de Dieu.

V. C’est enfin un haut degré de religion de s’efforcer de bien connaître ses défauts, qui sont toujours en grand nombre. C’en est un plus haut de tendre sans cesse à croître dans la vertu et les dons spirituels afin de mieux se conformer aux perfections divines; et c’en est un très-haut de s’attrister toujours de ne pouvoir vaincre tous ses défauts , et de ne

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pouvoir exercer toutes les vertus. Jésus-Christ a été dans beaucoup de ces divers degrés que nous venons d’énumérer.

 

CHAPITRE XXII. Degrés de la contrition.

I. C’est un haut degré de contrition de pleurer du fond de son cœur tous les péchés mortels dont on s’est rendu coupable. C’en est un plus haut de pleurer ainsi tous les péchés véniels considérables, et c’en est un très-haut de pleurer tous les péchés véniels les plus faibles.

II. C’est, en second lieu, un haut degré de contrition de s’attrister beaucoup de tous les péchés d’action qu’on a commis. C’en est un plus haut de s’attrister des péchés de parole, et c’en est un très-haut de s’attrister des péchés de pensée et de désir.

III. C’est, en troisième lieu, un haut degré de contrition de gémir sur tout le mal commis; un plus haut de gémir sur tout le bien négligé, et un très-haut de gémir sur tout le bien mal accompli par dégoût ou par tiédeur, ou même par une intention perverse.

IV. C’est de même un haut degré de contrition de déplorer tout le mal dont nous sommes coupables personnellement. Un plus haut de déplorer tout le mal dont nous avons été l’occasion sciemment, et un très-haut de déplorer tout le mal dont nous avons été

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l’occasion sans le connaître. De là cette parole du Prophète : « Ne vous soutenez pas des péchés que j’ai commis dans mon ignorance (1). »

V. C’est également un haut degré de contrition de pleurer les péchés connus de tout le monde. C’en est un plus haut de pleurer les péchés secrets dont nous seuls avons connaissance devant Dieu, et c’en est un très-haut de pleurer les péchés que Dieu seul voit en nous à l’éclat de sa lumière. C’est ce qui faisait dire à l’Apôtre : « Ma conscience ne me reproche rien, mais je ne me crois point justifié pour cela (2). »

VI. C’est aussi un haut degré de contrition de pleurer le tort qu’on s’est fait à soi-même par le péché. C’en est un plus haut de pleurer le tort qu’on a fait à ceux au milieu desquels on vit, et c’en est un très-haut de pleurer l’injure qu’on a faite à Dieu.

VII. Il y a encore un haut degré de contrition lorsque la douleur détruit la faute que nous avons commise; un plus haut lorsqu’elle détruit et la faute et une partie de la peine qu’elle mérite, et un très-haut lorsqu’elle détruit à la fois et la faute et la peine tout entière.

VIII. Enfin celui-là est dans un haut degré de contrition qui manifeste des regrets par une confession sincère; dans un plus haut celui qui les manifeste par ses larmes, et dans un très-haut celui qui les manifeste par ses oeuvres , comme les jeûnes, les veilles et les disciplines.

1 Ps. 24. — 2 I Cor., 4.

352

 

CHAPITRE XXIII. Degrés de la confession.

I. C’est un haut degré de la confession de faire l’aveu de tous ses péchés une fois chaque année, selon le précepte de l’Eglise. C’en est un plus haut de le faire tous les mois, et c’en est un très haut de le faire toutes les semaines, car il est écrit : « Le juste tombe sept fois le jour, et il se relève par l’aveu qu’il fait de ses torts (1). »

II. C’est aussi un haut degré de la confession de se confesser seulement à un prêtre , selon cette parole : « Allez et montrez-vous au prêtre (2). » C’en est un plus haut de se confesser à plusieurs prêtres séculiers, selon cette autre parole : « Allez, montrez-vous aux prêtres (3). » Et c’en est un très-haut de se confesser à plusieurs prêtres réguliers qui sont pleins de diligence et pour la confession et pour ceux qui s’en acquittent.

III. Celui-là pratique dans un haut degré la confession qui vient s’accuser, poussé par horreur et dégoût du péché; mais dans un plus haut celui qui le fait dans le désir de s’unir plus intimement à Dieu.

IV. Enfin celui-là est dans un degré élevé qui se confesse pour .que son âme soit purifiée de ses souillures; dans un plus haut celui qui se confesse pour devenir semblable à Dieu par la pureté, et dans

1 Prov., 24. — 2 Mat., 8. — 3 Luc., 17.

353

un très-haut celui qui le fait pour préparer, en purifiant son âme, une demeure où Dieu puisse habiter. Il faut se souvenir aussi que la confession est susceptible de tous les degrés de la contrition.

 

CHAPITRE XXIV. Degrés de la satisfaction.

I. C’est un haut degré de satisfaction de faire pénitence comme il convient de ses propres péchés. C’en est un plus haut de faire pénitence des péchés de ceux qui pratiquent la vertu ; et c’en est un très-haut de faire pénitence pour les péchés des méchants.

II. C’est de même un haut degré de satisfaction de faire pénitence des péchés de ses parents ; c’en est un plus haut de faire pénitence des péchés de ceux qui nous sont étrangers ; et c’en est un très-haut de faire pénitence des péchés de nos ennemis.

III. C’est aussi un haut degré de faire pénitence de ses péchés dans sa propre maison ; un plus haut de faire pénitence de ses péchés dans le désert; et un très-haut de faire cette pénitence dans le cloître.

IV. C’est encore un haut degré de satisfaction de faire pénitence de ses péchés dans un ordre austère ; c’en est un plus haut de faire cette pénitence dans un ordre plus austère ; et c’en est un très-haut de la faire dans un ordre très-austère.

V. C’est enfin un haut degré de satisfaction d’expier

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ses péchés par des aumônes ; c’en est un plus haut de les expier par de bonnes oeuvres corporelles , comme le jeûne, la prière, les pélerinages, etc. Et c’en est un très-haut de les expier par des souffrances corporelles, comme les larmes, les disciplines, les cilices, etc. Car il est plus parfait de souffrir avec patience ce qui est pénible que de s’appliquer aux bonnes oeuvres.

 

CHAPITRE XXV. Degrés de la contemplation.

I. C’est un haut degré de contemplation de connaître Dieu dans ses créatures. Un plus haut de le connaître en ses Ecritures; et un très-haut de le connaître en sa puissance, en sa sagesse, etc.

II. C’est aussi un haut degré de contemplation de connaître Dieu dans les hommes qui ont été formés à son image; un plus haut de le connaître dans les anges, qui sont le sceau de sa ressemblance; et un très-haut de le connaître en sa propre substance.

III. C’est encore un haut degré de contemplation de connaître Dieu dans les oeuvres de ses mains; un plus haut de le connaître en ses perfections divines; et un très-haut de le connaître dans sa lumière même. De là cette parole : « Afin qu’ils voient la splendeur que vous m’avez donnée  (1). »

1 Joan., 17.

IV. Enfin celui-là s’élève à un haut degré de contemplation qui sépare son âme de toutes les choses qui passent , et la recueille en elle-même. A un plus haut degré celui qui connaît ce qu’est son âme ainsi recueillie en elle-même , en se la représentant au-dessus de son corps, sans son corps, et selon ce qu’elle est en sa nature. Et celui-là s’élève à un très-haut degré, qui connaît Dieu , à l’image duquel il a été formé, et s’applique de tout son pouvoir à se rendre semblable à lui. Jésus-Christ a été dans tous ces degrés.

 

CHAPITRE XXVI. Degrés de la discrétion.

I. C’est un haut degré de discrétion de se servir des biens temporels selon l’ordre établi par Dieu. C’en est un plus haut d’user ainsi des qualités naturelles, tant du corps que l’âme; et c’en est un très-haut d’agir de la sorte pour les dons gratuits de l’âme.

II. C’est de même un haut degré de discrétion d’observer les commandements de la sainte Ecriture ; un plus haut d’en observer,les conseils; et un très-haut d’observer tous les enseignements de Jésus-Christ.

III. C’est aussi un haut degré de discrétion de se conduire selon les exemples des saints; un plus haut de se conduire selon les exemples de Jésus-Christ ; et

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un très-haut de se conduire selon les perfections divines.

IV. C’est encore un haut degré de discrétion de se souvenir des divers bienfaits de Dieu ; un plus élevé de lui en rendre grâces; et un très-haut de louer sa divine nature, sa bonté, et toutes les perfections qu’il manifeste en nous faisant du bien.

V. C’est enfin un haut degré de discrétion d’être attentif en toutes choses à ne point scandaliser les personnes du siècle; c’en est un plus haut d’apporter la même attention à édifier ceux qui vivent en religion; et c’en est un très-haut d’agir de même afin qu’aucun péché ne soit commis en présence de Dieu notre Juge.

 

CHAPITRE XXVII. Degrés de l’espérance.

I. C’est un haut degré d’espérance d’attendre l’héritage céleste parce que Dieu s’est engagé à nous l’accorder, et qu’il nous en a donné pour gage l’Esprit que nous avons reçu dans le baptême , selon la doctrine de l’Apôtre. C’en est un plus haut d’attendre cette béatitude parce qu’il nous a assuré par serment qu’il nous la donnerait. De là cette parole : « C’est le serment par lequel il a juré à Abraham, notre père, qu’il nous accorderait cette grâce (1). Et c’est

1 Luc., 1.

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un très-haut degré de cette vertu d’attendre la même félicité de la promesse qui nous en a été faite dans la Loi et les Prophètes. Ce qui a fait dire à l’Apôtre : « L’oeil n’a point vu, l’oreille n’a point entendit, et le coeur de l’homme n’a jamais conçu ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment (1). »

II. Celui-là est dans un haut degré d’espérance qui attend la béatitude éternelle en vertu des oeuvres de miséricorde et de justice auxquelles il s’est exercé longtemps. Dans un plus haut celui qui l’attend en vertu de la Passion que Jésus-Christ a endurée pour nous la mériter; et dans un très-haut celui qui l’attend de la pure bonté et de la miséricorde de Dieu , qui nous a créés pour cette félicité.

III. Celui-là est aussi dans un haut degré d’espérance, à qui une conscience profondément examinée promet le salut éternel ; dans un plus haut celui à qui la sainte Ecriture fait une semblable promesse ; et dans un très-haut celui qui tire cette assurance de l’inspiration divine.

IV. Celui-là possède encore un haut degré d’espérance qui attend le bonheur éternel à cause des prières multipliées qui se font pour lui tant sur la terre qu’au ciel. Celui-là en possède un plus haut qui attend ce bonheur de la vigilance empressée des anges autour de lui. Et celui-là, enfin, en possède un très-haut qui attend la même félicité de la garde très-attentive que Dieu fait de son âme. De là cette parole

1 I Cor., 2.

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de saint Augustin : « Dieu se constitue le gardien des plus parfaits, et les anges, de ceux qui le sont moins. »

 

CHAPITRE XXVIII. Degrés de la crainte.

I. C’est un premier degré de crainte de redouter le juge séculier. C’en est un plus élevé de redouter le juge spirituel; et c’en est un très-élevé de redouter le juge éternel.

II. C’est de même un haut degré de crainte de redouter le jugement de Dieu parce qu’il peut punir notre corps en ce monde. C’en est un plus élevé de le redouter parce qu’il peut punir notre âme ; et c’en est un très-élevé de le redouter parce qu’il peut perdre notre corps et notre âme en enfer.

III. Celui-là est dans un haut degré de crainte qui se sent porté par cette crainte à fuir tout ce qui peut le séparer pour un peu de temps de l’amour de Dieu. Dans un plus haut celui qu’un pareil sentiment porte à éviter tout ce qui le séparerait pendant longtemps de l’union avec Dieu; et dans un très-haut celui que ce même sentiment éloigne de tout ce qui interrompt l’union permanente avec Dieu.

IV. Celui-là est de même dans un haut degré de crainte à qui cette crainte persuade de rechercher en tout temps quelle est la volonté de Dieu , selon cette

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parole : « Celui qui craint le Seigneur, recherchera ce qui lui est agréable (1). » Celui-là est dans un plus haut degré à qui cette même crainte persuade d’accomplir en tout temps la volonté de Dieu, selon cette autre parole : « Celui qui craint Dieu ne négligera rien, et celui qui est pénétré de sa crainte fera le bien (2). Et enfin celui-là est dans un très-haut degré de crainte en qui cette vertu conserve tous les trésors spirituels qu’il a acquis , selon cette sentence de la sainte Ecriture : « La crainte du Seigneur s’élève au-dessus de tout; elle est comme un sceau qui conserve tout (3). »

 

CHAPITRE XXIX. Degrés de la douleur en tant qu’elle a rapport à la vertu.

I. C’est un haut degré de douleur de s’attrister du fond du coeur de tout malheur temporel du prochain. C’en est un plus haut de s’attrister de tous ses malheurs spirituels ; et c’en est un très-haut de s’attrister de toute injure faite à Dieu.

II. C’est de même un haut degré de douleur de s’attrister en voyant les âmes se souiller continuellement par des fautes vénielles. C’en est un plus haut de s’attrister de les voir se souiller fréquemment par des fautes mortelles. Ce qui fait dire à saint Bernard :

1 Eccl.,2. — 2 Eccl.,7.— 3 Eccl., 15 et 25.

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« Reconnais, ô homme! combien cruelles sont les blessures du péché, puisque pour les guérir il a fallu que Jésus-Christ lui-même fùt couvert de blessures. » Et c’est un très-haut degré de s’attrister en voyant les plaies du Sauveur se rouvrir tous les jours lorsque le péché mortel vient les frapper de ses traits.

III. C’est encore un haut degré de douleur de gémir de l’inclination qui nous porte à nous jeter dans le mal ; c’en est un plus grand de gémir de notre lenteur à nous relever lorsque nous sommes tombés et du petit nombre de fois où nous en avons le courage; et c’en est un très-haut de gémir de la difficulté que nous avons à persévérer dans le bien.

IV. C’est également un haut degré de douleur de déplorer notre faiblesse à accomplir le bien; c’en est un plus haut de déplorer notre peu d’énergie à abandonner le mal; et c’en est un très-haut de déplorer notre peu de courage à le consommer.

V. C’est enfin un haut degré de douleur de s’attrister de faire si peu de cas des exemples que les hommes vertueux nous dorment sur la terre. C’en est un plus haut de s’attrister du peu d’attention qu’on apporte aux exemples plus parfaits que nous offre la céleste patrie ; et c’en est un très-élevé de s’attrister qu’on s’occupe si peu des exemples de perfection infinie que l’Evangile nous présente en la personne de Jésus-Christ.

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CHAPITRE XXX. Degrés de la joie.

I. C’est un haut degré de joie de se réjouir maintenant et dans l’avenir de la société éternelle des anges et des saints d’un ordre inférieur. C’en est un plus haut de se réjouir de la société des anges et des saints d’un ordre supérieur, et surtout de la bienheureuse vierge Marie, qui est élevée au-dessus de tous les anges et de tous les saints. Et c’en est un très-élevé de se réjouir de l’éternelle société de Dieu.

II. C’est de même un haut degré de joie, de se réjouir de la chair très-sainte que Jésus-Christ a prise du sang très-pur de la vierge Marie , et que nous contemplerons durant l’éternité des yeux de notre corps. C’en est un plus élevé de se réjouir de son âme si parfaite en toutes sortes de vertus et dons célestes, et à qui le Saint-Esprit n’a point été donné avec mesure , ainsi qu’aux autres saints. Et c’en est un très-élevé de se réjouir de la divinité de Jésus-Christ, qu’il possède de toute éternité en communauté avec le Père et le Saint-Esprit.

III. C’est également un haut degré de joie de se réjouir de tous les desseins méritoires que nous formons. C’en est un plus haut de se réjouir de toutes les bonnes paroles que nous prononçons, et un très-

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haut de se réjouir de toutes les bonnes actions que nous accomplissons.

IV. C’est aussi un haut degré de joie de nous réjouir et maintenant et pour l’avenir de la sainteté de notre vie extérieure. C’en est un plus haut de nous réjouir du bon ordre de nos affections intérieures; et c’en est un très-haut de nous réjouir de la paix de notre âme. De là cette parole : « L’âme paisible est comme un festin perpétuel (1). »

V. Enfin c’est un haut degré de joie de se réjouir de la vue ou de la connaissance de la sainte Trinité. C’en est un plus haut de se réjouir de ce que cette vision sera éternelle; et c’en est un très-haut de se réjouir de ce que la possession de cette même Trinité ne finira jamais.

Voilà pourquoi saint Augustin nous adresse ces paroles : « O âme, créature admirable! dans quelle humiliation te plonges-tu? Tu aimes la terre , et tu es d’un plus grand prix que la terre. Tu admires le soleil, et tu l’emportes sur lui en beauté. Tu contemples le ciel , et tu es .plus élevée : « tu n’es inférieure qu’à celui seul qui t’a créée. Si donc tu veux passer en moi, te dit le Seigneur, je passerai également en toi. Sors entièrement de toi-même; je t’attirerai en moi , je t’introduirai en moi ; et ainsi tu n’aimeras plus rien en toi, ni en aucune créature en dehors de moi. »

Et ailleurs le même saint dit encore : « L’âme tient le milieu entre Dieu et les créatures. Si elle se

1 Prov., 15

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tourne vers lui elle est illuminée , elle devient meilleure, elle se rend parfaite. Si, au contraire, elle abaisse ses regards vers ces dernières, elle s’en-« fonce dans les ténèbres, elle perd tout ce qui est bien en elle, elle se donne la mort. Dieu, ajoute-t-il, en faisant son entrée dans l’âme, est pour elle plus suave que toutes délices, plus brillant que toute lumière, plus sublime que tout honneur, plus intérieur que le mystère le plus profond.

« L’âme, dit saint Grégoire, ne peut être sans joie; elle la trouvera ou dans ce qui est élevé ou dans ce qui est bas (1). » —« Heureuse l’âme , dit aussi la Glose sur l’Ecclésiastique, heureuse l’âme qui se purifie chaque jour afin d’avoir pour hôte Dieu même. Celui qui le possède n’a besoin d’aucun bien, car il a en soi l’Auteur de tous les biens. » — La charité de Dieu est grande, sa miséricorde est ineffable, dit saint Augustin ; car il ne permet point que l’homme prédestiné à la vie éternelle sorte de ce monde dans un état autre que celui qui sait lui être le plus avantageux ; et il retire de cette vie les pécheurs , alors qu’il connaît que leur état de-« viendrait pire, afin que leur punition soit moindre et que les justes ne se pervertissent point par leurs exemples. »

1 Mor., lib. 18, c. 8.

 

 

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