les vertus morales et les dons du Saint Esprit

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                        « Le Sauveur me dit un jour » par Sœur Marie Lataste 

 

LIVRE NEUVIÈME, Des vertus morales et des dons du Saint-Esprit.

LIVRE NEUVIÈME, chapitre 1

  « Ma fille, me dit un jour le Sauveur Jésus, je veux vous parler des vertus de prudence, de justice, de force et de tempérance, c’est-à-dire des vertus morales. Ces vertus, comme l’indique leur nom, servent à diriger les mœurs du chrétien. Elles sont données avec la grâce sanctifiante.

  « La prudence est parmi les vertus morales ce qu’est la foi parmi les vertus théologales. Elle affecte l’intelligence dont l’action précède celle de la volonté et dirige toutes les forces, toutes les puissances qui sont dans l’homme. Il y plusieurs espèces de prudence, plusieurs parties qui entrent dans la constitution de la prudence, plusieurs vertus qui sont comme les compagnes de la prudence.

  « La prudence par laquelle un confesseur, un magistrat, un empereur se dirigent, est différente de la prudence par laquelle ils dirigent les hommes qui leur sont soumis ou qui leur demandent conseil; il y a donc deux sortes de prudence.

  « Voici les diverses parties qui constituent la prudence; pour que vous compreniez mieux, je vais vous apprendre d’abord en quoi consiste la prudence. La prudence est cette inclination de l’âme qui fait que l’homme dirige ses actions avec une connaissance sûre pour opérer le bien. Puisque telle est la nature de la prudence, je dis que la mémoire, l’intelligence, la docilité, l’habileté, la raison, la prévoyance, la circonspection, les précautions, sont autant de parties intégrantes de la prudence. La mémoire qui rappelle le passé; l’intelligence qui donne la connaissance du présent; la docilité qui fait qu’on s’instruit par l’enseignement d’autrui et qu’on suit ses conseils; l’habilité qui fait qu’on interprète bien ce qui est passé; la raison qui par la connaissance d’une chose vous en fait connaître une autre; la prévoyance, par laquelle on devine les moyens pour arriver au but qu’on se propose; la circonspection, par laquelle on remarque les circonstances d’un événement, et la précaution, par laquelle on prévient les obstacles ou les dangers. Sans toutes ces choses, il n’y a point de prudence possible; il y a un côté faible, et la prudence n’est point une prudence véritable.

  « Les trois puissances de la vertu de prudence sont : le bon conseil, un jugement droit et une vue claire et distincte.

  « Comme je veux vous parler uniquement de la vertu surnaturelle de prudence, je vous entretiendrai seulement de cette vertu et des autres vertus secondaires qui doivent lui être nécessairement annexées : la discrétion, la docilité, la sollicitude et la circonspection. Si vous réunissez en vous tout ce que je vous dirai sur la prudence, vous aurez réellement cette vertu.

  « La prudence, je vous l’ai déjà dit, ma fille, est cette inclination de l’âme qui fait que l’homme dirige toutes ses actions avec une connaissance sûre d’opérer le bien. La prudence est la vertu de l’intelligence en action pour opérer le bien. Par la prudence, l’intelligence cherche dans le conseil le moyen d’arriver au bien, elle trouve ces moyens dans le jugement vrai de ce qu’elle voit, et elle emploie ces moyens en suivant la voie capable de la mener au but.

  « Comme vous pouvez le penser, ma fille, la prudence, cette prudence surnaturelle, seule capable d’opérer le bien surnaturel, seule capable de faire atteindre aussi la fin surnaturelle, elle vient de Dieu, c’est Dieu qui la donne et la place dans l’âme.

  « Désirez ardemment cette vertu, demandez-la à Dieu, demandez-lui qu’il la développe en vous. Sans elle, toutes les autres vertus perdraient en vous leur éclat et leur beauté, elles se changeraient même aisément en vices. Car, sans la prudence, il y a toujours dans les actes excès, diminution ou défaillance, et par conséquent vice. Sans la prudence, l’homme risque de tomber dans les plus grands dangers, parce qu’il marche comme un aveugle avec pleine sécurité, et à l’heure où il y pensera le moins, il trouvera sous ses pieds sa perte et sa ruine. Sans la prudence, on ne peut faire le bien, on ne peut éviter le mal, parce que la prudence montre ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter, et empêche de prendre le bien pour le mal et le mal pour le bien. Rappelez-vous, ma fille, la parabole des dix vierges de l’Évangile : les cinq vierges folles étaient des vierges sans prudence; les vierges sages, au contraire, possédaient la prudence. Aussi, seules, trouvèrent-elles leurs lampes allumées à l’heure de la venue de l’époux.

  « Demandez à Dieu la prudence, il vous l’accordera; vous la reconnaîtrez dans vos actions.

  « Vous serez prudente si, dans toutes vos actions, vous cherchez le bon plaisir et la gloire de Dieu, si vous vous proposez par vos actes de vertu d’obtenir le ciel.

  « Vous serez prudente si, pour obtenir la gloire de Dieu et votre salut, vous consultez les lois de Dieu, si vous priez pour connaître en tout la volonté divine, et si vous recourez à votre réflexion ou à celle d’autrui, parce que vous vous défiez de vous-même.

  « Vous serez prudente si, dans les conseils que vous avez reçus, vous savez distinguer ce qui est bon de ce qui ne l’est pas, ce qui est utile des choses inutiles, ce qui est en rapport avec votre vocation et vos forces d’avec ce qui les surpasse ou s’oppose à votre genre de vie.

  « Vous serez prudente si vous savez distinguer ce qu’il y a de meilleur et de plus propre à vous conduire à votre fin.

  « Vous serez prudente si vous dominez votre volonté et l’obligez à accomplir ce qui est bien et à l’accomplir le mieux possible.

  « Ainsi, ma fille, vous le voyez, la prudence s’exerce sur les actions extérieures des œuvres morales; il est une autre sorte de prudence qui s’exerce sur les œuvres intimes ou intérieures de l’âme, c’est le discernement.

  « Le discernement, c’est la prudence spirituelle par laquelle on distingue, dans tout ce qui a rapport à l’intérieur, le bien du mal, le vrai du faux, le mieux de ce qui est bien, pour opérer ce qui est bien et meilleur, saisir ce qui est vrai, laisser le mal et répudier ce qui est faux.

  « De même que Dieu dans l’œuvre de la création sépara l’eau de la terre, la terre des cieux, la lumière des ténèbres, ainsi le juste, par le discernement que lui donne la grâce, discerne toutes choses dans le monde qui est en lui, et qu’il ment et fait vivre, mettant toutes choses à leur place et réservant pour Dieu ce qui est et doit être à Dieu.

  « Le discernement, c’est l’œil de l’âme; celui qui n’a pas le discernement est un pauvre aveugle, victime de mille maux qu’il ne peut éviter parce qu’il n’y voit point.

  « Le discernement fait connaître ce qui est bien, ce qui est mieux, ce qui est parfait, ce qui est mal, ce qu’il y a de plus mauvais.

  « Le discernement fait connaître les devoirs envers le prochain, les parents, les amis et les étrangers, envers les saints et les élus de Dieu, envers les trois personnes de la sainte Trinité.

  « Le discernement fait connaître le temps du repos et du travail, de la parole et du silence.

  « Le discernement fait connaître la règle des pensées et leur ordre vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis de soi-même et des créatures.

  « Pour que la prudence soit entière et parfaite, il faut qu’elle soit suivie de la docilité à écouter les conseils de Dieu, les conseils des hommes sages, les conseils de l’intelligence propre de chacun, quand elle est en rapport avec la raison et la pensée de ceux qui sont plus sages et plus expérimentés.

  « Tous les saints ont usé de docilité, et parce qu’ils ont été dociles, ils ont été prudents, et la prudence les a sanctifiés.

  « Moïse fut docile à écouter les conseils de Jéthro, saint Paul ceux d’Ananie, et le premier avait vu Dieu face à face, le second avait été ravi jusqu’au troisième ciel. À combien plus forte raison devez-vous être docile, vous ma fille, si vous voulez arriver à la perfection.

  « Il y a, en effet, une infinité de choses dictées par la prudence et le discernement, et le plus sage ne peut les observer toutes par lui-même; par conséquent rien de plus nécessaire que la docilité à écouter les discours d’autrui et à les mettre en pratique. Je ne veux point dire pour cela que vous devez écouter et recevoir les conseils de tout homme qui se présentera à vous. Non, ma fille; ne recevez et ne demandez de conseil qu’aux personnes mûres, réfléchies et sages, aux personnes qui elles-mêmes sont pleines de docilité et dont la parole sera claire, sans dissimulation, ni nuages, ni malveillance.

 « La docilité vous portera à suivre en tout les avis de votre directeur comme à lui dévoiler tout ce qui se passe dans l’intérieur de votre cœur. Elle vous portera à abandonner votre propre jugement pour vous conformer au sien, et cette docilité suppléera à ce qui pourrait vous manquer de prudence et de discrétion.

« Soyez docile, ma fille, soyez aussi pleine de sollicitude dans vos actions pour opérer le bien.

« La sollicitude est la promptitude de l’âme à opérer ce que la prudence et le discernement lui ont montré être conforme aux règles du vrai et du bien. La sollicitude, c’est l’empressement chaleureux de l’âme à faire le bien. Rien de plus précieux que cette sollicitude; elle arrête la tiédeur, elle empêche de tomber dans le péché. Voyez quelle sollicitude parmi les mondains pour accroître leur fortune, pour ramasser gloire et honneur sur le chemin de leur vie. Ils ne négligent rien, ils sont toujours en mouvement. Et qu’est-ce que la gloire du monde, que sont les richesses de la terre devant la gloire du ciel et les trésors de l’éternité?

  « La sollicitude, ma fille, vous portera à faire vos bonnes œuvres avec empressement, avec attention, à l’heure convenable, dans le lieu opportun.

  « La sollicitude vous fera éloigner les obstacles et les difficultés, et vous fera accomplir chaque action comme si elle était la dernière de votre vie.

  « Enfin, ma fille, pour que la prudence soit entière et parfaite, il faut avoir encore la circonspection c’est-à-dire cette attention ferme de l’âme sur tout ce qui entoure l’action qu’on veut entreprendre, afin qu’elle se fasse selon les règles du vrai et du bien, et qu’on éloigne tous les obstacles, afin qu’une fois entreprise on ne soit point obligé de l’abandonner.

«  Sans la circonspection, il sera impossible d’opérer le bien; voilà pourquoi en envoyant mes disciples prêcher la bonne nouvelle de l’Évangile, je leur parlai ainsi : Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups; soyez simples comme des colombes et prudents comme des serpents.

  « Je ne voulais, par ces paroles, que leur recommander la circonspection : voilà pourquoi ils devaient être simples comme des colombes, c’est-à-dire accomplir tout ce que je leur avais recommandé et se fier à moi; prudents comme des serpents, c’est-à-dire pleins d’avisement au milieu des crimes, des vices et des scandales qu’ils devaient trouver dans le monde. Or, dès que le serpent aperçoit le danger, il cache immédiatement sa tête pour la préserver, ainsi devez-vous à l’approche du danger mettre votre âme à couvert pour qu’elle ne succombe pas. Et que de périls dans le monde. Satan est toujours prêt, comme un lion rugissant, à vous dévorer. Les passions sont toujours prêtes à se déchaîner. La vertu elle-même, dans les autres comme chez soi, devient un écueil. Combien donc faut-il avoir l’œil ouvert pour apercevoir tous les dangers et aussi les moyens de les éviter.

  « La circonspection évite les extrêmes, elle marche dans le droit chemin où se trouve la vertu. Elle observe, elle pèse les moyens pour arriver à la fin proposée, elle consulte dans le doute; elle ne se hâte pas pour agir, elle attend et la réflexion et le moment opportun. Néanmoins, elle ne traîne pas en longueur pour ne point laisser échapper l’occasion de faire le bien.

  « La circonspection mesure toutes les pensées, toutes les paroles, toutes les actions, tous les sentiments; elle ne se fie point à tous, et ne dévoile point ce qu’il faut tenir secret.

  « La circonspection ne craint point sans un sujet de crainte, et dans les dangers qu’elle ne cherche pas, elle se fie à Dieu et demeure impassible. Elle ne se laisse ni tromper, ni séduire par l’extérieur, elle pénètre au fond des choses et puis elle se prononce et agit.

  « La circonspection n’ajoute point foi aisément à toutes choses, elle ne concède rien sans réflexion, ne juge point sans motifs, ne fait point de promesse qu’elle ne puisse tenir facilement; elle parle peu et se fâche rarement.

  « O ma fille, soyez circonspecte, soyez docile, soyez pleine de sollicitude, acquérez le discernement et la prudence; je vous le dis, même pour le bien de votre vie matérielle et terrestre; vous ferez toutes choses selon Dieu et son divin Fils, votre Sauveur, Dieu et homme tout ensemble, et la paix qui vous donnera la vie spirituelle, reposant dans le bien, vous donnera aussi la paix du cœur. »

LIVRE NEUVIÈME, chapitre 2

  « Une des vertus les plus admirables dans l’ordre moral c’est la justice. Elle est parmi les vertus morales ce qu’est la charité parmi les vertus théologales. La justice dure dans le temps où elle commence et durera à jamais dans l’éternité.

  « La justice a plusieurs aspects. Elle consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû; par conséquent selon la diversité des devoirs, vous trouverez autant d’espèces ou d’aspects dans la justice. Je ne vous parlerai point de la justice humaine ou naturelle; je ne vous entretiendrai que de la vertu surnaturelle de justice.

  « La vertu de justice est une inclination surnaturelle qui porte l’homme à rendre à Dieu, au prochain et à soi-même, ce qui est dû à chacun.

  « Vous devez à Dieu, ma fille, les devoirs de religion qu’il vous a prescrits, l’observation des commandements qu’il vous a donnés. Vous lui devez la reconnaissance pour tous les bienfaits dont il vous a comblée; enfin, si vous l’avez offensé, vous lui devez réparation et repentir; tels sont vos devoirs envers Dieu.

  « Je vous ai déjà fait connaître quel est votre prochain. Or, je distingue dans votre prochain, vos parents, vos supérieurs, les personnes qui sont au dessus de votre position, vos égaux et vos inférieurs.

  « Vous devez à tous le respect, l’amour et la vérité. Le respect, car tout homme venant de Dieu mérite que vous le respectiez; Dieu vous a fait un ordre de les aimer tous, et l’ordre vous impose l’obligation de dire à tous la vérité par vos paroles, vos signes ou vos écrits.

  « Vous devez agir envers tous avec simplicité, de telle manière que vous apparaissiez à chacun dans tous vos actes et toutes vos démarches telle que vous êtes en réalité.

  « Vous devez en particulier à vos parents un amour spécial parce qu’ils sont près de vous les représentants de Dieu; vous leur devez l’obéissance en tout ce qui n’est point contraire à la loi de Dieu, vous leur devez le respect le plus profond, vous leur devez la reconnaissance pour tout ce que vous avez reçu d’eux.

  « Vous devez en particulier à vos supérieurs comme à vos parents amour spécial, obéissance, respect et reconnaissance.

  « Vous devez en particulier à ceux qui sont dans une position supérieure à la vôtre le respect et l’honneur qui leur sont dus par le rang qu’ils occupent.

  « Vous devez en particulier à vos inférieurs les secours et les soutiens que vous pouvez leur donner.

« Vous ne devez à vous-même, après avoir rempli vos devoirs envers Dieu et le prochain, que le mépris et le désir de l’humiliation.

  « On pèche contre la justice envers Dieu par négligence, envers son prochain par cupidité, envers soi-même par amour-propre.

  « Fuyez la négligence et vous serez exacte à rendre à Dieu tous vos devoirs; fuyez la cupidité des biens terrestres, la cupidité de vos satisfactions personnelles, et vous remplirez vos devoirs envers le prochain; fuyez l’amour-propre, ma fille, et vous remplirez aussi tous vos devoirs envers vous-même. »

LIVRE NEUVIÈME, chapitre 3

  « La vertu de force pose dans l’âme la fermeté nécessaire pour soutenir ou repousser ce que la raison et la foi disent de repousser ou de soutenir.

  « La force est une vertu qui repousse une crainte coupable qui empêcherait de faire le bien, et qui chasse au loin une témérité qui ferait entreprendre une œuvre contraire à la raison.

  « La force est dans l’âme comme le tronc d’un arbre qui soutient l’arbre, les branches, les feuilles et les fruits, la force soutient toutes les autres vertus. Par conséquent, ma fille, si vous ne voulez point perdre les vertus que Dieu a mises dans votre âme, vous devez conserver et tâcher d’augmenter la vertu de force en vous. Par elle vous conserverez le bien qui est en vous, par elle vous perfectionnerez ce bien, vous y attirerez celui qui n’y est point encore.

  « Car si vous avez la vertu de force, vous ne craindrez ni les périls, ni la mort; vous ne craindrez ni les épreuves, ni les afflictions, ni les douleurs, ni les misères de la vie; vous ne craindrez ni les attaques du démon, ni ses tentations; vous ne craindrez ni les assauts du monde, ni ceux de vos passions.

  « Vous combattrez noblement tous vos ennemis, ne cherchant pas votre gloire, mais celle de Dieu.

  « Vous entreprendrez avec sécurité tout ce que Dieu vous inspirera sans craindre de vous tromper, sans craindre de ne pas atteindre votre fin.

  « Vous ne regretterez rien de ce que vos pourrez donner à Dieu, ni jeunesse, ni fortune, ni tranquillité, ni bonheur; vous lui donnerez tout et vous reposerez en lui, comme un enfant sur les genoux de sa mère.

  « Vous serez patiente et soutiendrez sans faillir les épreuves de la vie, sans vous troubler intérieurement ni manifester extérieurement votre tristesse.

  « Vous soutiendrez longtemps les peines de votre corps et de votre âme, les maladies de votre corps, les aridités et la sécheresse de votre âme. Vous soupirerez vers la patrie du ciel, il est vrai, mais vous attendrez patiemment l’heure de Dieu.

  « Vous persévérerez dans le bien jusqu’au dernier instant de votre vie. Jusqu’à la mort, vous ferez le bien et éviterez le mal.

  « Vous serez comme une colonne de fer assise sur un roc de l’océan. Vainement les flots et les vents se déchaînent contre elle, elle demeure inébranlable. Vous serez ainsi, ma fille, vous serez ferme comme la montagne de Sion. »

LIVRE NEUVIÈME, chapitre 4

  « La tempérance est la quatrième des vertus morales. On peut considérer la tempérance d’une manière tout à fait générale : alors on entend par tempérance une règle quelconque dans les actions et l’usage de la vie. Je veux vous entretenir de la vertu de tempérance, c’est-à-dire de la règle qui dirige l’homme dans l’usage des choses qui le captivent le plus et peuvent le plus facilement le séparer du bien, savoir, les plaisirs de la nourriture et des sens.

  « Les vertus morales sont celles qui dirigent le coeur de l’homme selon la raison des choses, pour l’éloigner du mal et lui faire pratiquer le bien dans l’usage des créatures.

  « Or, parmi les choses qui se portent contre la raison et voudraient l’opprimer, il n’en est pas dont l’empire soit plus puissant que celui des plaisirs des sens, d’autant plus sentis qu’ils viennent d’un acte plus naturel ou plus en rapport avec la nature; par conséquent, le plaisir sera plus grand dans les actes qui tendent à la conservation de la nature humaine. Ces actes peuvent être considérés par rapport à la conservation de l’individu, qui s’opère par le boire et le manger, ou par rapport à la conservation de l’espèce humaine, qui s’opère par la génération. Voilà les actes les plus naturels à l’homme, les actes où il éprouve le plus de plaisir, les actes, par conséquent, qui tendent le plus à l’éloigner de Dieu. C’est donc sur ces actes que la raison, qui a été donnée à l’homme pour lui servir de lumière et de guide, doit s’exercer d’une manière toute particulière. C’est l’exercice de cette raison et la règle par laquelle elle dirige ces actes qui est la vertu de tempérance.

  « Par la vertu de tempérance que Dieu lui donne, l’homme exerce une domination ferme et juste sur les plaisirs qui sont dans le goût et le toucher, pour vivre d’une manière raisonnable et conformément aux desseins de Dieu sur lui.

  « On distingue dans la vertu ce qui est nécessaire pour son existence, les objets sur lesquels elle se porte et les effets qu’elle produit.

  « Or, deux choses sont essentielles à la vertu de tempérance, savoir; la honte, ou ce sentiment qui éloigne de la turpitude de tout acte contraire à la tempérance, et l’honnêteté, ou ce sentiment qui fait aimer la beauté inhérente à la tempérance; car, entre toutes les vertus, la tempérance réclame cet honneur qui ressort de la vertu, et l’intempérance, le déshonneur qui ressort du vice.

  « La vertu de tempérance a pour objet principal le toucher, dont elle règle l’usage.

  « C’est la tempérance qui règle la sensation de plaisir qu’on éprouve au toucher. C’est pourquoi toute vertu qui tend à refréner, à modérer ou à diriger une inclination quelconque vers le mal, est une partie de la vertu de tempérance. Or, les vertus produisent cet effet de trois manières : en agissant sur les mouvements intérieurs du cœur, sur les mouvements extérieurs et les actes du corps, ou bien en observant la valeur réelle des choses de la vie.

  « Outre les sensations du toucher, la tempérance règle encore les mouvements de l’âme qui l’attirent vers quelque chose, attraction qui est le toucher intérieur de l’âme.

  « Le premier mouvement est celui de la volonté, émue par l’impétuosité de la passion; il est maîtrisé par la continence, qui fait que l’homme, éprouvant les assauts de la concupiscence, loin d’être battu par elle, lui résiste et lui commande en maître.

  « Le second est celui que produit une espérance fausse et une audace criminelle; il est réprimé par l’humilité, qui ne s’attend à rien, qui ne réclame rien et se croit incapable de tout par elle-même.

  « Le troisième est celui de la colère, qui porte à la vengeance; il est réprimé par la douceur et la clémence.

  « La tempérance règle aussi les mouvements du corps en lui-même, par la modestie et les mouvements de la langue, par la réserve et le silence; elle règle enfin les mouvements du corps vers les choses créées, par la discrétion, la pauvreté et l’économie.

  « Ma fille, je vous ai déjà parlé de la pureté, de la chasteté, de la virginité et de la pauvreté. Je vous parlerai maintenant sur la honte, l’honnêteté, l’abstinence, la sobriété, la continence, l’humilité, la douceur, la clémence, la modestie, le silence, la discrétion et l’économie.

  « Je vous ai dit, ma fille, que les sentiments de honte et d’honnêteté sont deux sentiments ou deux inclinations de l’âme nécessaires pour la vertu de tempérance.

  « La honte est la crainte du déshonneur par l’accomplissement d’un acte mauvais. Il y a quatre espèces de honte : celle du mal qu’on a commis, celle du mal qu’on commet, celle qui fait éviter le mal et celle qui empêche de faire le bien.

  « La honte qui empêche de faire le bien est coupable, mauvaise, c’est le respect humain; ne craignez jamais de faire le bien, n’en rougissez jamais, ne craignez que le mal.

  « La honte du mal qu’on commet est mauvaise, si elle ne produit rien que la fuite des regards d’autrui, si elle ne fait point éviter le péché.

  « La honte du mal qu’on a commis est bonne, si elle porte à éviter le mal; elle est sans effet véritable, si elle ne fait point éviter le péché.

  « La honte qui empêche non-seulement de commettre le péché, mais encore qui le fait fuir et donne de l’horreur pour lui, est bonne et appartient à la vertu de prudence.

  « Cette honte ne mérite point le nom de vertu dans sa signification véritable, parce que le mot vertu implique en lui-même un certain degré de perfection. Or dans la honte, il n’y a que tendance à fuir le mal.

  « Ainsi la honte ne se trouve ni dans ceux qui sont endurcis dans le vice, ni dans les parfaits. Les uns ne font que le bien, les autres, loin de craindre l’opération du mal, vivent continuellement dans le mal.

  « Elle n’est point dans les enfants, parce qu’elle suppose un jugement, et qu’ils n’ont point l’usage de la raison et ne peuvent juger de rien.

  « La honte se trouve dans les imparfaits qui tendent vers la perfection; elle est d’autant plus forte, elle a d’autant plus d’empire sur les hommes, que le vice ou le péché est plus grand, qu’ils se trouvent en face de personnages probes et vertueux, ou de personnes qui les voient plus souvent et sont plus à même de s’apercevoir de leurs défauts.

  « Pour que la honte ne soit pas nuisible et qu’elle soit avantageuse, il faut tantôt l’éviter et la mépriser, et tantôt la modérer ou l’exciter en soi.

  « Il faut fuir et éviter la honte dans tout ce qui est bon. Si vous rougissez de moi, ma fille, pendant votre vie, je rougirai de vous à la fin des temps.

  « Il faut mépriser la honte dans les conditions et les états où il n’y a aucun motif de rougir, ni crainte de déshonneur, comme la pauvreté et la misère.

  « Il faut modérer la honte que l’on a des péchés dont on s’est rendu coupable, afin qu’elle n’empêche point d’en faire l’aveu au ministre chargé de les pardonner.

  « Il faut exciter la honte en soi quand on est tenté violemment et qu’on court risque de tomber dans le péché. C’est alors le moment de considérer la noirceur de l’offense envers Dieu et l’opprobre dont on se couvre par cette faute, parce que cette vue fait éviter le péché.

  « La honte est essentielle à la vertu de tempérance; le second sentiment nécessaire à cette vertu c’est l’honnêteté.

  « L’honnêteté est le sentiment de l’âme qui fait aimer la beauté inhérente à la vertu ou à la tempérance. Elle consiste dans le jugement de l’excellence d’un acte que l’on accomplit, et comme tout acte bon est beau, et tout acte beau digne d’honneur, celui qui a l’honnêteté juge de la bonté et de la beauté de cet acte et de l’honneur qui lui revient.

  « L’honnêteté est l’accomplissement d’un acte bon dicté par le jugement intime de l’âme. Ainsi elle a sa source, son principe dans l’intérieur, mais elle ressort extérieurement par l’accomplissement de l’acte, et c’est l’acte bon accompli qui fait juger de l’honnêteté de quelqu’un. Tant que l’acte n’est point accompli, on ne peut juger de l’honnêteté de celui qu’on examine, ni lui rendre l’honneur qu’il mérite.

  « Or, comme la tempérance est précisément la vertu qui incline à faire le bien et à éviter le mal, vous comprenez, ma fille, que l’honnêteté doit nécessairement précéder la tempérance et être constamment avec elle.

  « L’abstinence est une vertu par laquelle on modère le plaisir et l’usage de la nourriture.

  « Ainsi, l’abstinence consiste non à se priver complètement de nourriture, ce qui serait détruire sa santé et sa vie, mais à prendre la quantité suffisante afin de ne pas trop exciter les mouvements déréglés de la nature, et à savoir même distraire une légère partie de cette quantité pour réprimer ces mouvements.

  « Je vous ai donné l’exemple de l’abstinence dans l’usage que je fis sur la terre des mets les plus communs et dans le jeûne que je supportai dans le désert. Suivez mon exemple et pratiquez l’abstinence telle que je vous l’ai indiquée, elle produira les plus heureux effets sur votre âme et votre corps.

  « Elle disposera votre âme à prier avec plus de ferveur. Celui qui ne pratique pas l’abstinence ressent dans son âme la pesanteur de son corps chargé de nourriture, qui lui enlève toute sa vigueur de l’esprit et lui enlève par conséquent toute aptitude pour la prière.

  « Elle développera votre mémoire et la rendra plus apte à se rappeler tous les bienfaits dont Dieu vous a comblée et que vous lui devez. Celui qui ne pratique pas l’abstinence est toujours dans une sorte d’engourdissement qui empêche le développement ou l’usage de ses facultés, et l’oblige à l’inaction intellectuelle. Ce qui vous le fera bien comprendre, ma fille, c’est ce que vous éprouvez en vous-même. Le matin, quand vous êtes levée, vous vous trouvez plus disposée, plus apte à la prière, votre esprit se porte plus naturellement vers moi; il est plus frappé par les paroles que je vous adresse le matin que dans la journée, et voilà pourquoi j’ai voulu de préférence vous entretenir et vous parler le matin, soit dans votre chambre, à l’heure de votre prière, soit plus particulièrement dans le lieu saint, près de mon tabernacle.

  « L’abstinence produit aussi le développement de l’intelligence. L’intelligence ne se trouve pas arrêtée dans son essor par le poids des choses sensibles, par la matière qui l’entoure et l’enveloppe comme un nuage. C’est le matin aussi que vous comprenez mieux les paroles que je vous adresse, que vous vous rendez mieux raison des choses.

  « Puisque l’abstinence est si avantageuse, pratiquez-la ma fille; elle servira non-seulement à votre âme, mais aussi à votre corps.

  « L’abstinence rend le corps le temple de Dieu. Le temple de Dieu est saint, dit l’apôtre, et ce temple, c’est l’homme.

  « Or, l’abstinence est une dédicace du corps à Dieu. Par l’abstinence, en effet, ne semblez-vous point ne vouloir y introduire rien de ce qui est superflu? En outre, le corps est l’instrument de l’âme, et l’âme par le corps opère des œuvres de vertu et évite le péché; il évite le péché quand il a la force de résister, quand il n’est point mou et efféminé; il pratique le bien, il fait de bonnes œuvres parce qu’il a la vigueur nécessaire, et que les aliments qu’il a pris ne le lient et ne le retiennent point attaché à la matière. L’abstinence est donc comme une porte fermée au mal et ouverte à la vertu. C’est donc elle qui rend le corps saint, qui en fait véritablement le temple de Dieu.

  « L’abstinence est l’assaisonnement de la nourriture de l’homme et le soutien de sa santé. Celui qui pratique l’abstinence ne mange que ce qui lui est nécessaire. Aussi, quelle que soit la nourriture qui lui est présentée, il l’accepte et la trouve bonne. Et cette nourriture le soutient, le fortifie sans altérer sa santé.

  « Enfin, l’abstinence est le soutien des relations de la vie. Celui qui ne la pratique point ne peut vivre dans la société de ses pairs; il est méprisé, honni par tous. Celui qui ne pratique pas l’abstinence peut à peine se supporter lui-même, tant il a pris de nourriture.

  « Pratiquez l’abstinence, ma fille; elle est utile aux intérêts de votre corps comme à ceux de votre âme; elle conservera la santé de votre âme et celle de votre corps. Pratiquez-la dès à présent. C’est la première condition pour que vous la pratiquiez toute votre vie. Ne recherchez point les mets délicats et bien préparés. Ne mangez jamais autant que votre appétit vous le permettrait. Ne mangez pas avec trop d’empressement. Enfin ne vous occupez point de la nourriture que vous aurez pour en désirer une plus recherchée, et, à ces conditions, vous pratiquerez l’abstinence.

  « La sobriété est pour l’usage du vin ce que l’abstinence est pour l’usage de la nourriture. C’est une vertu par laquelle on modère le plaisir et l’usage de la boisson.

  « C’est une vertu morale qui dépend de la vertu de tempérance. C’est une vertu morale, car les vertus morales ont pour but de conserver et de défendre le bien de la raison contre tout ce qui peut l’attaquer et le faire perdre. Par conséquent, là où se trouve un écueil pour la raison, là doit se trouver une vertu pour combattre cet écueil. Or, l’usage du vin, quand il est immodéré, fait perdre la raison. Il faut donc un rempart contre ce vice : vous le trouverez dans la sobriété, qui donne la règle dans l’usage qu’on doit faire du vin que Dieu a donné à l’homme pour le désaltérer et réparer ses forces, non pour lui faire perdre sa raison.

  « La sobriété produit quatre effets principaux : elle conserve et entretient la lumière de l’intelligence, car l’usage modéré du vin fortifie le cœur, d’où procèdent tous les actes naturels et vitaux de l’homme; elle développe la puissance de l’esprit en l’excitant doucement et avec mesure; elle conserve le cerveau dans toute sa pureté; enfin, elle réjouit l’âme dans toutes ses facultés, et en particulier, celle qui saisit la vérité pour perfectionner toutes ses œuvres et leur donner de la fermeté. Voilà pourquoi vous avez vu que dans les Livres saints la sobriété est appelée la santé du corps et de l’âme. Il est facile de comprendre comment la sobriété dispose l’intelligence à saisir ce qu’il y a de plus subtil et de plus fin, parce que la sobriété place la personne dans la règle parfaite de son être, et que l’homme n’est jamais plus apte à agir intellectuellement ou matériellement que lorsqu’il se trouve en cet état.

  « La sobriété réprime la concupiscence de la chair. Le vin en effet, ma fille, excite tout l’organisme de l’homme; il augmente le penchant qu’il a pour le mal et porte naturellement au vice d’impureté. Voilà pourquoi Dieu avait ordonné aux Nazaréens de ne point boire de vin ni de liqueur enivrante. Vous avez une preuve de cet effet dans Noé, que l’ivresse mit dans un état complet de nudité, et dans saint Jean-Baptiste, que la sobriété ou plutôt, la privation complète de vin conserva dans une si parfaite pureté.

  « La sobriété est la conservatrice de la paix parmi les hommes. La paix disparaît parmi les hommes quand ils perdent la raison, ou que leur intelligence est voilée, ou que leur esprit est surexcité. Or, la sobriété conserve la raison, empêche la raison de se voiler et les esprits ou les forces de l’homme de se surexciter. La sobriété donc conserve la paix et la bonne harmonie parmi eux.

  « La sobriété n’est pas l’abstention complète du vin, elle est la règle de son usage. Elle convient à tout le monde. En premier lieu, elle convient aux ministres de mes autels, puis aux princes et aux magistrats, afin qu’ils soient toujours à même d’agir conformément à la mission qui leur est confiée.

  « Elle convient en particulier aux religieux, afin qu’ils puissent vaquer aux œuvres de piété que leur devoir leur impose, afin qu’ils mortifient leur chair et s’exercent facilement dans la pratique de toutes les vertus

  « Elle convient surtout à la jeunesse et aux femmes : à la jeunesse, pour ne point augmenter l’entraînement qu’elle a vers le mal; elle convient aux femmes pour conserver toujours intacte la dignité de leur sexe.

  « La continence, ma fille, est une vertu qui donne la force de résister à toute passion.

  « On peut entendre la continence de trois manières. La continence, dans un sens large et général, est la répression des entraînements mauvais provenant du toucher et de tous les autres sens. La continence s’entend encore de la chasteté dans l’état de mariage. Enfin, la continence est la répression actuelle des mouvements déréglés de la concupiscence qu’on éprouve dans son âme.

  « De quelque manière que vous l’entendiez, la continence est la fermeté de la raison et du devoir contre les passions pour qu’elles n’entraînent point au mal.

  « Cela doit vous faire comprendre les immenses avantages de la continence pendant votre vie, qui est si courte et qui n’est pour vous qu’un temps d’épreuve. Que de maux, que de peines, que de regrets, que de malheurs dont préserve la continence! La continence, en effet, prolonge les jours de la vie du temps et assure la possession de l’éternité. La continence conserve le souvenir des fins dernières et fait prendre les moyens pour arriver à la félicité suprême. C’est là l’heureux résultat de la continence; elle donne une vie tranquille et pacifique, elle donne une vie estimable et estimée des hommes, des anges et de Dieu; elle assure la vie heureuse du ciel.

  « L’humilité est encore une vertu qui appartient à la vertu de tempérance, car elle porte l’homme à ne point s’élever au dessus de ce qu’il est.

  « C’est une vertu par laquelle l’homme, d’après la connaissance intime de la majesté de Dieu et de son propre néant, se méprise lui-même et aime à se voir méprisé par autrui. L’humilité ne consiste pas seulement dans la connaissance de Dieu, ni de soi-même, mais dans la répression du mouvement qui porte l’homme à s’élever au dessus de lui-même. La connaissance de Dieu et de soi produit cette répression qui constitue l’humilité.

  « Or, celui qui réprime ce mouvement désordonné de lui-même est véritablement humble, parce qu’il se connaît lui-même, et que s’il trouve en soi quelque chose de bien, il reconnaît ne l’avoir pas de lui-même, mais par le don de la miséricorde de Dieu.

  « Il est véritablement humble, parce qu’il se méprise lui-même, et qu’il sait bien qu’il est indigne des biens que Dieu lui a accordés et de ceux qu’il veut lui accorder encore.

  « Il est véritablement humble, parce que bien loin de désirer l’estime, l’honneur ou les louanges d’autrui, il ne cherche que le mépris et rapporte à Dieu toutes les faveurs qui lui viennent des hommes afin qu’elles retournent à Celui qui seul les a véritablement méritées.

  « Il est véritablement humble, parce qu’il se croit la plus vile des créatures, à la vue de ce que Dieu a fait pour lui et du peu de reconnaissance qu’il lui en a rendu, et qu’il ne considère en autrui que le bien qu’il possède.

  « Il est véritablement humble, parce qu’il se fait volontiers le serviteur de tous, qu’il cherche partout la dernière place et les emplois les plus vils.

  « Il est véritablement humble, parce qu’il se tient vis-à-vis de Dieu comme un esclave soumis en toutes choses à la volonté de son maître, et comme un pauvre pécheur indigne de paraître devant lui et d’être souffert en sa présence.

  « Or, rien n’est supérieur à la vertu d’humilité; l’humilité, en effet, est la première des vertus. Elle est avant la foi, l’espérance et la charité. Elle est leur fondement. Cela vous étonne, ma fille? — Oui, Seigneur. — Pourquoi cela? — Parce que je me souviens que vous m’avez dit en me parlant de la foi, qu’elle est le fondement de toutes les vertus. Comment donc les vertus peuvent-elles avoir deux fondements? — Ma fille, me répondit le Seigneur Jésus, si votre humilité avait été plus grande, vous n’auriez éprouvé aucun étonnement de mes paroles. Vous auriez pensé que je suis la vérité et que par conséquent mes paroles sont des paroles de vérité.

  Je demandai pardon au Sauveur Jésus de ma manière d’agir, je le conjurai de continuer à m’instruire et je l’écoutai avec docilité.

  « L’humilité, me dit-il, est le fondement des vertus, mais d’une manière différente ou sous un autre aspect que la foi. Vous allez le comprendre aisément. La connaissance d’une chose précède le désir qu’on a de cette chose, et le désir précède les moyens pour acquérir sa possession. Les vertus théologales précèdent donc les vertus morales, parce qu’elles sont la connaissance, le désir et l’amour de Dieu, tandis que les vertus morales ne sont que les moyens pour atteindre Dieu. Or, la foi est une vertu théologale, et la première des vertus théologales dans l’ordre de l’existence; donc elle est avant l’humilité, qui est une vertu morale, puisqu’elle se rattache à la tempérance, et, sous ce rapport, la foi est le fondement de toutes les vertus, même de l’humilité.

  « Sous un autre rapport, au contraire, l’humilité est le fondement de toutes les vertus, même de la vertu de foi.

  « Personne, en effet, n’aura la foi s’il ne commence par chasser l’orgueil de son âme et s’il n’y place l’humilité qui le soumet à la parole et à la révélation de Dieu. L’humilité est donc le fondement de la foi.

  « L’humilité est le fondement de l’espérance. C’est l’humilité qui dit : Je ne suis que faiblesse, je ne suis qu’impuissance, mais je puis tout dans Celui qui me fortifie. Car celui qui est humble se connaît lui-même, et sachant qu’il ne peut rien par lui-même, il met tout son espoir en Dieu, et dans son espérance, il s’écrie : Je puis tout dans Celui qui me fortifie. Ainsi, l’humilité ne repousse pas, ne refuse pas les grandes entreprises quand Dieu les demande et les attend; elle ne refuse rien, mais elle met tout son espoir en Dieu.

  « L’humilité est le fondement de la charité. C’est l’estime de soi qui éloigne de Dieu, c’est le mépris de soi qui rapproche de lui. Celui qui s’estime ne pense qu’à soi, voilà pourquoi il oublie Dieu. Celui qui se méprise ne pense qu’à Dieu, et cette pensée n’est point vaine, car elle produit l’amour, et plus cette pensée est ferme, plus elle est constante et plus l’amour pour Dieu devient intense.

  « L’humilité est donc le fondement des vertus théologales. Voyez plutôt, ma fille, sans elle, la foi chancelle; sans l’humilité, l’espérance diminue; sans l’humilité, la charité est détruite. Ce que je dis des vertus théologales, je le dis aussi des vertus morales. Sans l’humilité, la prudence est aveugle, la justice trompeuse, la force impuissante et la tempérance immodérée.

  « L’humilité, ma fille, est encore la grande voix de l’âme qui va de la terre au ciel et qui pénètre jusqu’au trône de Dieu. C’est la voix la plus agréable qui résonne aux oreilles de Dieu; c’est la prière la plus puissante qui monte jusqu’à lui, et voilà pourquoi elle obtient à l’âme les faveurs de Dieu les plus signalées. Marie fut la plus humble des créatures et elle est devenue ma mère. Est-il faveur comparable à cette faveur?

  « L’humilité préserve du péché, maintient et fortifie dans le bien, elle enseigne la véritable sagesse, et donne enfin le bonheur véritable par la participation à la vue de Dieu.

  « Ma fille, aimez donc l’humilité, cherchez l’oubli et le mépris. Marchez, sur mon exemple, dans la voie des humiliations; ne cherchez point à vous produire, effacez-vous en tout, n’élevez jamais ni votre tête, ni votre voix, ni votre cœur; votre tête pour dominer quelqu’un, votre voix pour vous imposer à qui que ce soit, votre cœur pour vous estimer vous-même. Comprenez que tout ce que vous avez, vous l’avez reçu de Dieu, par conséquent ne vous en glorifiez point. Si je vous comble de mes faveurs les plus signalées, méritez-les encore plus par votre humilité, et en reconnaissant qu’il n’y a rien en vous qui vous rende digne de si grands témoignages de mon amitié pour vous. Recevez sans vous plaindre, sans murmurer, tous les mépris dont vous serez l’objet; estimez-vous heureuse d’être ainsi méprisée, honnie ou mal vue, et dans ces sentiments de l’humilité la plus profonde, tenez-vous toujours comme une servante devant Dieu.

  « Si vous avez ces sentiments, ma fille, vous serez toujours calme. Qu’est-ce donc qui pourrait vous troubler, si vous croyez être un rien, un néant? Qu’est-ce qui pourrait vous affliger, si vous croyez mériter tous les mépris? L’humilité, c’est le calme, la tranquillité, la joie sur la terre, c’est le mérite du bonheur dans l’éternité.

  « La douceur et la clémence sont deux vertus qui ont une grande analogie; elles diffèrent pourtant l’une de l’autre. Je vous l’ai déjà dit, ma fille, les passions intérieures sont le principe ou l’empêchement des actes extérieurs. De même les vertus qui règlent les passions concourent au même effet que les vertus qui règlent les actions, quoique d’une manière différente. Si vous appliquez ces paroles à la douceur et à la clémence, vous comprendrez leur différence. La douceur et la clémence concourent à refréner la colère, c’est là leur but commun, et en cela ces deux vertus paraissent se ressembler; elles diffèrent pourtant par leur manière d’opérer.

  « La colère porte à se venger d’une offense et à infliger une sévère punition. La douceur est une force qui empêche la colère et par conséquent qui prévient toute punition. La clémence, au contraire, porte à diminuer la peine ou la punition méritée et que la colère a augmentée. Ces deux vertus tendent donc à régler la colère; la douceur en la faisant disparaître, la clémence en diminuant la vengeance excitée par la colère; la douceur en combattant la colère, la clémence en combattant l’acte produit par la colère.

  « Ma fille, c’est avec raison qu’on a comparé la douceur au lait et au miel. Il n’est rien en effet de plus suave dans la vie que les relations avec les personnes qui sont douces. C’est un parfum délicieux dont l’odeur se répandant sur toute la terre ravit tous les cœurs. Elle ressemble à celui qui coula le long de la robe d’Aaron; c’est ainsi, en effet, qu’elle se répand sur toutes les actions de celui qui la possède. Elle est si aimable qu’elle s’insinue et pénètre dans les âmes dont vous approchez, autant par votre air et vos manières que par vos paroles. C’est la compagne fidèle de l’humilité. Toute personne humble est douce en même temps; mais une personne qui est douce peut bien n’être pas humble; alors néanmoins elle n’a pas la véritable vertu de douceur. Elle a une douceur naturelle ou, comme vous le dites habituellement, elle a la douceur de caractère, ou encore une douceur calculée, préméditée, douceur qui n’est pas toujours dans la conduite ni les paroles.

  « Quelle différence entre celui qui a la douceur et celui qui n’a point cette vertu. Quand on l’a, on est affable, prévenant, aimable, patient, sans chercher jamais à déplaire en rien; on est toujours égal dans ses actions comme dans ses paroles; on a toujours une figure calme et sereine; on se possède même dans les torts ou les injures qu’on reçoit; on oublie le mal et on le pardonne; on fait du bien à ses plus grands ennemis. On m’imite dans ma manière d’agir, et au dernier jour on entendra cette parole : parce que vous avez été doux et humble de cœur, venez, bon serviteur, posséder la terre qui vous a été promise, c’est-à-dire le ciel.

  « Quand on n’a pas la douceur, au contraire, on est brusque, froid, sévère, irascible; on éloigne les coeurs de soi.

  « Exercez-vous, ma fille, dans la vertu de douceur. Elle convient à tous en général, mais en particulier aux supérieurs quels qu’ils soient, afin qu’ils puissent gagner la confiance et l’affection des inférieurs; elle convient en particulier aux prêtres, à cause de leurs relations intimes avec les consciences des fidèles. Elle vous convient en particulier, afin d’édifier, de donner le bon exemple et de vous perfectionner de plus en plus. Demandez à Dieu cette belle vertu de douceur.

  « La clémence est une vertu qui porte à pardonner une peine méritée ou une partie de cette peine. La clémence est, par conséquent, une vertu morale, car elle soumet le mouvement du cœur à la raison. Que fait la clémence en pardonnant une peine ou une partie de cette peine, si ce n’est voir quand et pourquoi il faut pardonner et moins punir, et considérer aussi s’il y a motif ou non d’infliger une peine. La sévérité est l’application rigoureuse de la loi. La clémence diminue la peine qui serait due, selon l’expression de la loi, parce que celui qui l’applique interprète l’intention du législateur plutôt que sa loi; aussi la clémence modère le mouvement du cœur pour que la peine ne soit pas appliquée dans toute sa rigueur.

  « La clémence doit être la grande vertu des princes, des prélats, des magistrats et des supérieurs. Ils doivent se rappeler la clémence de Dieu et de son Fils sur les hommes, et ne point punir selon l’étendue de leurs pouvoirs. La clémence guérit plus de maux que la sévérité. Les passions sont surexcitées par la sévérité et apaisées par la clémence, qui souvent obtient ce que jamais n’aurait obtenu la sévérité. Rien de plus propre à exciter en vous la clémence que la considération de la fragilité humaine, de votre propre fragilité. Que de fautes aussi commises par mégarde ou par ignorance! Aussi ne faut-il point les punir selon la rigueur de la loi.

  « Soyez clémente, ma fille, c’est-à-dire pardonnez toute la peine que mériteraient ceux qui pourraient vous offenser. Ne cherchez point à les faire punir. Pardonnez-leur de grand cœur; traitez-les comme frères et amis. Rendez-leur service si vous le pouvez; témoignez-leur que vous avez tout oublié et que votre esprit n’a gardé aucun souvenir de leurs injures.

  « Ma fille, la tempérance règle les mouvements intérieurs de l’âme par la continence, l’humilité, la douceur et la prudence; elle règle aussi les mouvements personnels et extérieurs du corps par la modestie et le silence.

  « La modestie est une vertu qui règle les mouvements du corps, qui gouverne les sens, indique la manière dont on doit se récréer et préside à l’arrangement extérieur des vêtements, selon la conduite dans laquelle on est placé.

  « Vous comprenez que le mouvement du corps, que les sens, les jeux, les délaissements et les habits dont on se couvre sont susceptibles de recevoir une règle dictée par la raison; par conséquent la modestie est une vertu morale.

  « Elle vous apprendra à régler les mouvements du corps; à ne point marcher avec précipitation ni avec trop de lenteur; à ne point agiter les bras d’une manière inconvenante; à ne point étendre votre corps avec mollesse; à vous tenir toujours, même seule, comme devant les personnes de distinction ou qui méritent votre respect.

  « La modestie vous apprendra à ne point tourner la tête légèrement de tous cotés et à chaque instant; mais à la tourner doucement quand il y a nécessité, à la tenir un peu inclinée sur le devant, sans la pencher immodérément ni à droite ni à gauche.

  « La modestie vous apprendra surtout à ne point tourner vos yeux de tous cotés, à ne point les fixer sur toutes choses; elle vous apprendra à regarder non avec fureur, mais avec bonté; non avec orgueil, mais avec humilité; non avec inconvenance, mais avec chasteté et pudeur; elle vous apprendra, quand vous parlerez à quelqu’un, à le regarder non fixement et d’un air sérieux, mais avec douceur et un peu en dessous de ses yeux, comme si vous regardiez plutôt l’intérieur de son âme que l’extérieur de sa figure.

  « Elle vous apprendra à revêtir votre figure d’un air plein de douceur et de bonté, sans contracter ni vos sourcils ni vos lèvres; à ne point garder un silence obstiné, mais à adresser quelques paroles dictées par la circonstance et toujours empreintes de dignité autant que de franchise et de sincérité.

  « Elle vous apprendra à user de délassements convenables à votre âge, à votre condition, à votre sexe, pour récréer et refaire votre esprit et ne point le tenir toujours tendu. Elle vous apprendra à ne jamais vous tenir seule avec un homme seul, et à fuir dans vos récréations tout ce qui peut blesser l’honnêteté ou la politesse. Elle vous apprendra à ne point trop satisfaire votre esprit, à ne pas trop le délasser par vos amusements, et à ne vous récréer que dans les lieux et aux moments convenables.

  « Elle vous apprendra à vous habiller d’une manière digne et en rapport avec votre position, sans chercher des habits de luxe ou des formes trop élégantes qui favorisent le dérèglement des passions. Elle vous apprendra à être au contraire toujours vêtue avec simplicité, ordre et propreté.

  « Elle vous apprendra la même simplicité dans la disposition de votre maison, dans les meubles et dans la nourriture qui sera servie sur votre table.

  « C’est là, ma fille, la première vertu qui règle les mouvements extérieurs du corps; voici la seconde, le silence.

  « Le silence, ma fille, peut s’entendre de deux manières, en tant qu’acte ou abstention de langage et en tant qu’inclination à retenir et à modérer la parole. Pour les distinguer, j’appellerai l’acte par lequel on s’abstient de parler, silence, et l’inclination ou la force par laquelle on modère sa propension à parler, l’amour du silence.

  « L’amour du silence est une vertu qui a un double but. Le premier est d’interdire à la langue toute parole illicite, comme la médisance, la calomnie, le mensonge, le parjure, toute parole déshonnête, impure, oiseuse ou inutile. Le second, d’interdire à la langue des paroles même utiles ou licites quand il n’y a point de nécessité.

  « Vous reconnaîtrez en vous l’amour du silence, si vous ne prononcez jamais de paroles déplacées, si vous ne parlez que dans le lieu où vous pouvez parler, c’est-à-dire hors du lieu saint; si pour vous recueillir, réparer les forces de votre esprit, vous vous abstenez pendant un certain temps de la journée de parler et de converser; si vous vous abstenez non-seulement du langage extérieur, mais encore du langage intérieur de votre esprit, en contenant votre imagination; si vous ne parlez jamais pour votre propre satisfaction, par amour-propre, mais toujours par charité et pour la plus grande gloire de Dieu.

  « Ma fille, je vous recommande l’amour du silence. Suivez l’exemple que je vous ai donné quand j’étais sur la terre. Je suis la parole éternelle de Dieu le Père, et j’ai demeuré les trente premières années de ma vie sans me manifester qu’une seule fois dans le temple de Jérusalem. Je suis la parole éternelle de Dieu et je demeure en silence dans le sacrement de l’autel, ne parlant aux hommes que par la voix de ma grâce et de mon amour.

  « Gardez le silence et vous aurez la paix avec Dieu, avec le prochain, avec vous-même. Gardez le silence et vous avancerez rapidement dans la perfection, car vous fuirez de nombreuses occasions de péché; vos n’exciterez ni vos passions ni celles d’autrui, et vous serez plus à même d’apercevoir les pièges que vous tendra l’ennemi de votre salut.

  « La discrétion est une vertu morale qui règle le don de la science ou de la connaissance. C’est le contraire de la curiosité.

  « Il y a des sciences qui sont utiles, d’autres dangereuses et d’autres coupables; d’autres qui ne peuvent servir de rien, et qui par conséquent sont inutiles.

  « La discrétion apprend à connaître celles qui sont utiles et à repousser les autres comme mauvaises ou entraînant au mal. Elle apprend aussi à réprimer le désir trop grand des sciences même utiles, parce que la science enfle le cœur et engendre l’orgueil.

  « La discrétion apprend à connaître les choses utiles et porte à les étudier, à cause de l’avantage qui ressort de l’étude tant pour soi que pour autrui. Or, la première science, la première connaissance nécessaire, c’est la science de Dieu, la connaissance de la religion, la science et la connaissance du salut. Après celle-là viennent les sciences secondaires qui facilitent le moyen de perfectionner la science du salut, comme la lecture et l’écriture, par lesquelles on apprend par soi-même et on retient ce que l’on a appris en le gravant sur le papier pour le graver ensuite dans le cœur.

  « La discrétion apprend à repousser les sciences inutiles pour le bien, parce que ces sciences peuvent très facilement entraîner au mal; elle apprend à repousser les sciences dangereuses, la science du mal, parce que l’homme qui connaît le mal peut l’opérer très facilement.

  « La discrétion apprend à réprimer le désir qu’on a de connaître ce qui regarde autrui, elle porte aussi à ne point communiquer ce qu’on a appris quand il y a des motifs suffisants pour ne point faire ces communications.

  « Demandez à Dieu la discrétion, ma fille, et vous croîtrez comme votre Sauveur en âge, en sagesse et en grâce devant Dieu; vous apprendrez à connaître Dieu de plus en plus, de plus en plus à vous attacher à lui et à n’aimer que lui.

  « L’économie est la dernière vertu qui a rapport à la vertu de tempérance. L’économie est la vertu qui règle l’usage convenable et nécessaire des choses dont on se sert. Cette vertu a un triple objet, l’âme, le corps et les objets matériels qui l’environnent.

  « L’économie règle les forces de l’âme en mesurant leur emploi, en donnant celles qui sont indispensables et n’employant point celles dont l’usage serait superflu.

  « L’économie règle les forces du corps en mesurant la manière dont l’homme doit travailler, le travail qu’il doit faire, l’heure et le temps dans lequel il doit le faire.

  « Enfin, l’économie règle l’emploi des choses extérieures que l’homme a à sa disposition, afin d’en user selon ses besoins, et de ne point les dissiper d’une manière inutile.

  « D’où vous voyez que l’économie est essentiellement une conservation des forces de l’âme et du corps et des biens de la fortune. Cette conservation des forces de l’âme tend à les augmenter pour qu’elle grandisse et croisse en vertu par l’accomplissement du bien et la conformation à la vérité, en appliquant toutes ses forces quand il est nécessaire à cet accomplissement et à cette conformation.

  « Cette conservation des forces du corps tend à les augmenter pour conserver à l’âme qu’il renferme sa vigueur et sa fermeté, et permettre au corps soumis à l’âme d’accomplir les actions nécessaires à la vie naturelle et surnaturelle.

  « Cette conservation des biens de la fortune tend à les augmenter, afin de s’en servir ensuite selon les desseins de Dieu, afin de secourir les pauvres et les malheureux, et de pourvoir soi-même à des malheurs imprévus qui pourraient advenir. Ainsi, ma fille, l’économie se rapporte à la tempérance et règle en vous toutes vos actions selon l’ordre et la raison. Demandez à Dieu toutes ces vertus, et quand Dieu vous les donne, tachez de les augmenter et de les accroître par une correspondance fidèle à l’inclination qu’elles mettront en votre âme. »

LIVRE NEUVIÈME, chapitre 5

  Je vais rapporter aussi ce que le Sauveur Jésus m’a dit, en deux circonstances différentes, sur la pureté et les cœurs purs. Je méditais un jour sur la passion. Je le considérais dépouillé de ses vêtements par ses bourreaux : « Si vous saviez combien j’ai souffert, ma fille, en ce moment! Vous ne le comprendrez jamais, cela dépasse la portée de votre intelligence. Quelle confusion j’éprouvais en me voyant en la présence de mon Père, chargé de toutes les infamies, de toutes les turpitudes, de tous les péchés dont les hommes s’étaient rendus et devaient se rendre coupables, moi Dieu de sainteté! Ah! Dieu seul a pu apprécier l’étendue de la honte et de la douleur que j’éprouvais. Comprenez, du moins un peu, combien j’aime la pureté et à quel prix je voudrais l’établir sur la terre. Les cieux ne sont pas assez purs pour contenir ma sainteté et je viens habiter dans vos temples; je descends sur vos autels et même dans votre cœur. Priez Dieu de vous purifier de plus en plus, afin que de plus en plus vous soyez digne de me recevoir. Jamais pour la communion vous n’auriez assez de pureté, assez de sainteté, si mon amour n’y suppléait. O sainte et aimable pureté! tu mérites l’honneur et le respect des hommes, l’estime des anges et l’amour de Dieu. Comme un parfum suave tu t’élèves jusqu’au ciel pour revenir ensuite sur la terre avec la bénédiction de Dieu.

  « Il y a, ma fille, trois sortes de pureté : la première consiste à n’avoir aucun péché mortel sur la conscience; la seconde dans l’exemption du péché véniel et de l’attache à ce péché; la troisième dans l’exemption ou le désir ferme d’exemption de toute imperfection, dans la privation de toute attache aux choses créées et dans l’amour parfait.

  « Être pur, c’est être séparé de toute attache déréglée; être pur, c’est ne vivre qu’en Dieu, avec Dieu et pour Dieu; être pur, c’est renoncer à tous les plaisirs les plus légitimes pour n’avoir qu’un seul plaisir, la volonté de Dieu; et vivre comme cela, c’est ressembler aux anges, c’est être un ange dans un corps mortel. O ma fille! Tendez toujours vers la pureté la plus parfaite, en vous détachant non seulement du mal, mais de ce qui est permis, pour ne vous attacher qu’à moi; tout le reste ternirait votre pureté, votre innocence; je serai pour vous ce qu’est le soleil pour un cristal très pur qu’il pénètre et dont il rehausse l’éclat.

  Quelque temps après Jésus me dit encore : « Heureux les cœurs purs, ma fille, parce qu’ils verront Dieu. Ma fille, il y a deux sortes de vision de Dieu : la vision en ses œuvres, et puis en lui-même. Les cœurs purs ont la première de ces visions sur la terre, ils les auront toutes les deux dans l’éternité.

  « Dieu se manifeste par ses œuvres et dans ses œuvres. Celui qui les voit peut et doit dire : Ces œuvres dont d’un Dieu. Il y a deux sortes d’œuvres opérées par Dieu, les unes de création, les autres de réparation et de rédemption. Ces deux œuvres sont pleines de réalités; mais tous ceux qui ont des yeux pour voir ne les voient pas; tous ceux qui ont des yeux pour les considérer ne savent point y distinguer leur auteur. Il faut pour cela, ma fille, voir un cœur pur, c’est-à-dire un cœur détaché du péché, exempt du péché, un cœur où la grâce habite, un cœur où la Divinité trouve un séjour digne d’elle, un cœur où elle vienne demeurer et prendre son repos, un cœur embelli des plus belles vertus, un coeur non de marbre et de pierre, mais un cœur sensible, un cœur éclairé. Celui qui a le cœur ainsi fait a des yeux pour voir, parce que Dieu est sa lumière, et à la clarté de cette lumière, il aperçoit le nom de Dieu écrit dans toutes ses œuvres. Il regarde le ciel et dit : Le ciel est l’oeuvre de Dieu; la terre et il dit : C’est l’œuvre de Dieu; le jour et il dit : C’est l’œuvre de Dieu; la nuit et il dit : C’est l’oeuvre de Dieu; l’Océan et les mers et il dit : C’est l’œuvre de Dieu. Celui qu a le cœur ainsi fait a des yeux pour voir, parce Dieu est sa lumière, et, à la clarté de cette lumière, il aperçoit le nom de Dieu dans toutes les œuvres de réparation et de rédemption. Il regarde ma naissance et il dit : C’est là l’œuvre de Dieu; ma vie et il dit : C’est là l’oeuvre de Dieu; ma passion, mon humiliation, mes peines, mes souffrances, ma mort, et il dit : C’est là l’oeuvre de Dieu; ma résurrection et il dit : C’est là l’oeuvre de Dieu. Il regarde ma croix, mon tabernacle, le sacrement de mon amour, tous les sacrements, mon Église, ma religion, et il dit : C’est là l’oeuvre de Dieu.

  « Ainsi, ma fille, se réalise la vérité de cette parole : Heureux les cœurs purs, parce qu’ils verront Dieu. Mais les cœurs purs ne verront pas Dieu seulement à travers le voile de la création et comme dans une énigme dont ils ont trouvé le nœud, ils le verront face à face, tel qu’il est dans sa gloire au ciel, en lui-même. Ils le verront dans cette création première qui est le ciel ou la manifestation de lui-même, et dans cette manifestation, ils se rendront compte de la manifestation qu’il a faite dans le temps par la création du monde, manifestation qu’ils ne pouvaient saisir parfaitement alors qu’ils la voyaient avec les yeux du corps, mais qu’ils comprendront sous tous ses aspects alors qu’ils l’auront quittée pour jamais. Ils le verront dans sa vie, dans sa nature, dans ses relations intimes avec les anges, dans ses relations avec les élus, dans ses relations ave eux-mêmes, et cela fera leur bonheur et leur félicité. Oui, heureux les cœurs purs, parce qu’ils verront Dieu!

  « Ma fille, purifiez votre cœur de plus en plus; détachez-le de vous-même et de vos inclinations; détachez-le du monde et de tout ce qui est du monde; détachez-le de Satan et de ses inspirations pour l’unir de la manière la parfaite à votre Dieu et Sauveur. Ne vous découragez point, luttez contre vos imperfections; gémissez sur la misère de votre nature; humiliez-vous profondément, ouvrez vos yeux à ma lumière, votre oreille à ma parole, votre âme à ma grâce et votre cœur deviendra pur. Alors j’habiterai dans votre  cœur, je me manifesterai à vous, non pas seulement dans la création extérieure, mais dans votre propre cœur. Je le disposerai comme une habitation de plaisance où je veux demeurer; je vous en confierai la clef et vous m’y trouverez quand vous vous sentirez l’attrait de venir à moi. Alors vous aurez dans l’exil et dans cette vallée de larmes un avant-goût de la réalisation de ma parole : Heureux les cœurs purs, parce qu’ils verront Dieu; vos serez heureuse parce que vous me verrez. »

LIVRE NEUVIÈME, chapitre 6

  Le Sauveur Jésus m’a ainsi parlé des sept dons du Saint-Esprit. Je ne sais pas trop si je me rappellerai ses paroles comme il me les a dites. Je ferai comme je pourrai.

  « Ma fille, me dit-il, je veux vous faire connaître les dons du Saint-Esprit que la grâce sanctifiante communique à l’âme. Ils sont au nombre de sept : Le don de sagesse et d’intelligence, le don de conseil et de force, le don de science et de piété, et le don de la crainte du Seigneur.

  « Les dons du Saint-Esprit sont des habitudes ou des inclinations inhérentes à l’âme, distinctes des vertus surnaturelles infuses, nécessaires pour opérer le bien et obtenir le salut, et inséparables les unes des autres. Je vous les ai fait connaître selon le rang de leur dignité. Les dons du Saint-Esprit sont inférieurs en dignité aux vertus théologales, mais ils sont supérieurs aux vertus morales.

  « Les dons du Saint-Esprit sont des habitudes infuses, c’est-à-dire inhérentes à l’âme. Car, par la grâce, l’Esprit-Saint habite dans l’âme et il y demeure avec ses dons. Cette permanence du don n’est point par conséquent quelque chose de transitoire, mais une réalité fixe qui demeure dans l’âme, une inclination, une habitude qui la porte à agir selon la tendance du don du Saint-Esprit.

  « Vous ne savez pas comment il se fait que les dons du Saint-Esprit soient distincts des vertus? Vous allez le comprendre facilement. Les dons du Saint-Esprit seraient mieux appelés les inspirations du Saint-Esprit, parce que ce mot indiquerait la nature même de ces dons, c’est-à-dire qu’ils sont dans l’âme comme le souffle de l’Esprit-Saint. Or, l’inspiration marque un mouvement venu de l’extérieur.

  « Dans l’homme il y a deux principes de mouvement : un principe intérieur, qui est la raison; un principe extérieur, qui est Dieu. Or, pour le mouvement, il faut qu’il y ait proportion entre l’objet du mouvement et son principe, et le mouvement sera parfait si le moteur sait bien diriger la disposition mobile de l’objet qu’il veut mettre en mouvement. De même, plus le principe du mouvement sera considérable, et plus aussi l’objet doit avoir une disposition mobile plus considérable. Un maître distingué, savant, érudit, élevé dans la doctrine, demande nécessairement en son élève une intelligence qui soit à la hauteur de son enseignement. Les vertus humaines perfectionnent l’homme, selon qu’il est mû par la raison à agir intérieurement ou extérieurement. Mais il faut qu’il y ait en l’homme des perfections ou des vertus plus élevées par lesquelles il soit disposé à recevoir en lui l’action de Dieu. Les dons du Saint-Esprit sont ces perfections et ces vertus qui soufflent sur l’âme, afin qu’elle reçoive le mouvement que Dieu veut lui donner. Les dons du Saint-Esprit élèvent l’homme à Dieu et le disposent à recevoir le mouvement qu’il veut lui donner.

  « Voilà pourquoi les dons du Saint-Esprit sont inférieurs aux vertus théologales. Les vertus théologales, en effet, attachent l’âme à Dieu, tandis que les dons du Saint-Esprit ne font que la diriger et la mouvoir vers lui.

  « Voilà pourquoi aussi ils sont supérieurs aux vertus morales, parce que les vertus morales ne font qu’enlever les obstacles qui éloignent de Dieu, tandis que les dons du Saint-Esprit dirigent véritablement et meuvent vers Dieu.

  « Les dons du Saint-Esprit sont nécessaires pour opérer le bien et obtenir le salut.

  « Les œuvres de l’homme sont perfectionnées de deux manières : par la lumière naturelle qui est la raison, et par la lumière surnaturelle donnée par les vertus théologales. Mais cette perfection est imparfaite, puisque même avec ces vertus vous ne connaissez et n’aimez Dieu qu’imparfaitement. Par conséquent il faut à ces vertus une force différente d’elles-mêmes pour les pousser à agir. La raison, n’étant éclairée qu’imparfaitement par les vertus théologales, a besoin, pour tendre avec plus de sûreté vers la fin surnaturelle, de l’inspiration et du mouvement qui lui sont données par l’Esprit-Saint. Ceux qui sont conduits par lui sont vraiment fils de Dieu et partageront son héritage que nul ne peut atteindre, à moins d’y être poussé par le souffle du Saint-Esprit. De même, l’éloignement des obstacles qui l’empêchent d’aller à Dieu ne suffit pas à la volonté de l’homme, il faut encore que cette volonté soit poussée vers Dieu, c’est là l’œuvre des dons du Saint-Esprit.

  « Par conséquent les vertus théologales et morales ne suffisent pas à l’homme, il lui faut encore les dons du Saint-Esprit pour lui faire atteindre sa fin dernière.

  « Vous le comprenez, en effet, ma fille, si les vertus théologales et morales donnent à l’homme de nombreuses connaissances et éloignent de lui mille embarras, elles ne lui font point tout connaître et ne lui rendent pas tout possible. Mais Dieu, qui est tout-puissant et qui connaît tout, perfectionne en l’homme l’œuvre de sa grâce par les dons du Saint-Esprit.

  « Les vertus théologales et morales sont au nombre de sept, de même on compte sept dons du Saint-Esprit qui perfectionnent l’oeuvre de ces vertus.

  « Les vertus théologales et morales reposent toutes dans la raison ou dans la volonté, parce que la raison et la volonté sont dans l’homme seuls principes d’action.

  « La raison est spéculative, c’est-à-dire observatrice; ou pratique, c’est-à-dire agissante. Or, dans la raison spéculative comme dans la raison pratique, vous pouvez considérer l’appréhension du bien ou de la vérité par la vue de la vérité ou du bien, et par le jugement que vous en portez.

  « Dans la vue de la vérité, la raison spéculative est perfectionnée par le don d’intelligence, et la raison pratique par le don de conseil.

  « Dans le jugement de la vérité, la raison spéculative est perfectionnée par le don de sagesse, et la raison pratique par le don de science.

  « Si, après la raison ou l’intelligence, vous considérez la volonté et l’opération des vertus sur elle, vous verrez que les vertus exercent la puissance de la volonté par rapport à Dieu, à soi et aux passions.

  « Or, cette puissance que développent les vertus est perfectionnée par rapport à Dieu par le don de piété, par rapport à soi par le don de force, et contre les passions par le don de la crainte du Seigneur.

  « Ces dons du Saint-Esprit sont tous donnés par la grâce sanctifiante, et ils reposent sur la charité qui unit l’âme à Dieu. Celui qui a la charité a en lui tous les dons du Saint-Esprit; mais celui qui perd la charité, perd aussi les dons du Saint-Esprit, c’est-à-dire qu’il n’éprouve point l’effet du souffle de l’Esprit-Saint qui le pousse vers Dieu. »

  Je ne me rappelle pas mieux que je ne viens de le dire cette question.

LIVRE NEUVIÈME, chapitre 7

  Voici ce que le Sauveur Jésus m’a dit sur chacun de ces dons :

  « Je veux, me dit-il, vous parler de chacun des dons du Saint-Esprit, vous apprendre à les estimer en les connaissant mieux.

  « Ma fille, il y a trois sortes de sagesse : la sagesse incréée qui est Dieu, la sagesse incarnée qui est le Fils de Dieu fait homme, et la sagesse humaine ou la sagesse de l’homme.

  « La sagesse incréée, c’est Dieu, ce sont les trois personnes divines, inséparables les unes des autres, et qui par leur sagesse ont tout créé, gouvernent et dirigent tout. L’esprit de l’homme ne peut comprendre cette sagesse infinie, et l’apôtre, ravi jusqu’au troisième ciel, en ayant aperçu l’éclat quelques instants, n’en put rien dire que ces mots : O élévation des trésors de la sagesse et de la science de Dieu!

  « La sagesse incarnée, c’est la seconde personne de la sainte Trinité, le Fils de Dieu fait homme, qui est venu manifester d’une manière extérieure la sagesse incréée par la réparation du désordre causé par le péché.

  « La sagesse humaine se divise en deux : La sagesse selon le monde, la chair et le péché, et la sagesse selon Dieu et venue de Dieu. La première est la sagesse des méchants; la seconde, celle des bons.

  « La sagesse est une habitude de l’âme qui lui permet de goûter les choses et de les juger, d’où vous voyez que la sagesse des méchants est une habitude de leur âme qui produit un goût et un jugement dépravés, tandis que la sagesse des bons est une habitude qui produit un goût et un jugement parfaits de toutes choses.

  « C’est cette sagesse des bons qui est le premier don du Saint-Esprit. Elle se trouve dans tous ceux qui ont la grâce sanctifiante; elle se trouve même dans les enfants et les adultes baptisés, qui n’ont point l’usage de la raison, à l’état d’habitude, mais non à l’état de sagesse en acte, parce que ces actes de sagesse sont empêchés dans les enfants et les adultes privés de l’usage de la raison, à cause de ce défaut naturel qui est en eux.

  « La sagesse, don du Saint-Esprit, consiste pour tous à goûter et à juger sainement ce qui est à Dieu et en Dieu, comme ce qui est à la vie, de la vie et dans la vie, pour opérer le salut en faisant tout ce que Dieu a prescrit pour cela. Telle est la sagesse commune à ceux qui sont en état de grâce sanctifiante.

  « Il y a pourtant une sagesse, don du Saint-Esprit, qui est plus élevée et que certaines âmes reçoivent pour s’élever plus haut dans la contemplation des mystères divins, dans la connaissance de ces mystères et le pouvoir de les manifester à autrui, comme pour mieux connaître la direction des actes de leur vie, selon la volonté de Dieu, connaissance dont l’utilité ne s’arrête pas à eux seulement, mais retombe aussi sur autrui. Mais cette sagesse est une des grâces purement gratuites, et qui, considérées en elles-mêmes, ne concourent pas à rendre plus agréables à Dieu ceux qui les ont.

  « Les avantages de ce don de sagesse sont immenses. Celui qui a le don de sagesse est chaste, pacifique, modeste, confiant à la parole d’autrui, favorise le bien, pratique la miséricorde et juge sans dissimulation.

  « Car la sagesse ne fait pas seulement contempler Dieu, elle régularise encore les actes de l’homme. Or, le premier effet de cette régularisation est d’éloigner du péché, par conséquent l’homme sage est aussi un homme chaste.

  « Il est pacifique, car celui qui est sage n’éprouve point de mouvements désordonnés, déréglés, et tout en lui obéit à Dieu et à la raison; or, la paix, c’est l’ordre, c’est le calme.

  « Il est modeste, car si l’homme sage est éloigné du péché, à plus forte raison de ce qui peut conduire au péché.

  « Il est confiant, il aime à recevoir des conseils, à les écouter et à les suivre. Il favorise le bien, ne l’empêchant jamais et cherchant au contraire à le développer le plus possible. Il fait le bien lui-même et l’opère avec empressement. Il est miséricordieux, car voyant que l’homme est fait à l’image de Dieu, il a pitié de sa faiblesse, lui porte secours et l’aide selon ses facultés. Il juge sans dissimulation, c’est-à-dire qu’il ne craint point de montrer le mal quand il l’aperçoit, pour le faire disparaître et avertir celui qui le fait de ne le point faire. Et sa sagesse le portera à donner cet avertissement en termes convenables et en circonstances opportunes pour ne point augmenter le mal, mais le guérir complètement.

  « Tel est le premier don du Saint-Esprit. Il affecte directement la puissance intelligente de l’homme ainsi que les trois dons suivants, savoir : le don d’intelligence, le don de science et le don de conseil dont je vais vous parler. Mais, afin de vous mieux faire comprendre la nature de ces dons, je veux vous montrer comment ils diffèrent et le rôle qui leur est destiné.

  « Ces quatre dons appartiennent à la connaissance surnaturelle de l’homme qui est fondée sur la foi. Or, la foi se porte immédiatement et directement sur la vérité première qui est Dieu; puis sur quelques faits principaux dans l’ordre de la création : l’incarnation et l’humanité du Sauveur, la rédemption de l’homme, sa justification par la grâce, la création et le gouvernement du monde; enfin, elle se porte sur la direction des actes de l’homme, direction fondée sur les règles données par Dieu.

  « D’où vous voyez, ma fille, qu’il fait nécessairement de votre part deux choses pour l’objet de la foi : d’abord que vous pénétriez cet objet de votre croyance pour avoir la foi, et vous le faites par le don d’intelligence, qui vous donne une certitude non de démonstration, mais de persuasion tellement efficace que vous voyez clairement que vous devez affirmer votre foi. Il faut que vous portiez sur l’objet de votre foi un jugement droit, de telle manière que vous compreniez la nécessité de vous attacher à ces objets et de vous éloigner de ceux qui leur sont opposés. Or, ce jugement droit est formé pour ce qui concerne Dieu par le don de sagesse, pour ce qui concerne la créature par le don de science. Cela ne suffit pas, il faut encore que le don de conseil vienne en vous pour l’application particulière de chacun de vos actes.

  « Vous allez mieux comprendre maintenant, ma fille, mes explications sur ces dons du Saint-Esprit.

  « La lumière naturelle qui permet à l’homme de diriger ses actes et de les régler ne lui suffit point, parce qu’il est destiné à une fin surnaturelle. Or, pour obtenir cette fin, ce bien surnaturel, il lui faut une lumière surnaturelle qui lui permette de voir cette fin et ce bien. Elle lui est communiquée par le don d’intelligence.

  « Le mot intelligence a plusieurs significations : il signifie la nature de l’âme; il signifie la faculté de l’âme qui est opposée à la volonté; il signifie une disposition à percevoir les principes premiers en tant qu’il faut les affirmer ou les nier, par exemple, qu’il faut aimer Dieu, qu’il ne faut point aimer le mal; enfin, il signifie le don du Saint-Esprit.

  « Considéré en lui-même, le mot intelligence signifie connaissance intime d’une chose. Le don d’intelligence surnaturelle est le don de la connaissance intime de ce qui est en Dieu, et des actions à accomplir en vue de Dieu et pour Dieu.

  « Le don d’intelligence n’est pas un don d’intelligence purement spéculative, il est aussi un don d’intelligence pratique; car ce don ayant rapport à la foi, il doit être comme la foi, spéculatif et pratique. Or, le don d’intelligence ne se rapporte pas uniquement à ce qui est immédiatement du domaine de la foi, mais encore à tout ce qui est uni avec la foi, par conséquent, les bonnes œuvres lui sont étroitement unies, puisqu’elles la vivifient, car pour l’accomplissement de ces œuvres, il faut nécessairement le don d’intelligence qui les règle et les ordonne.

  « Le don d’intelligence se trouve dans tous ceux qui ont la grâce sanctifiante, car la grâce sanctifiante dirige la volonté vers le bien, et la volonté ne peut être dirigée vers le bien, si elle ne le connaît pas. Quelquefois pourtant il est enlevé à ceux qui se trouvent en état de grâce; cependant ils le conservent autant qu’il leur est nécessaire pour opérer le bien, se maintenir dans le bien et dans la voie du salut. Mais il leur est enlevé pour qu’ils ne pénètrent pas trop avant dans les secrets de Dieu et les vérités sublimes de la foi. Cette élévation de leur esprit pourrait les enorgueillir, et Dieu leur retire l’intelligence par laquelle ils s’élèveraient à ce degré qui causerait leur ruine et leur perte.

  « C’est ainsi, ma fille, que tout est disposé pour le bien de vos âmes dans la grâce de Dieu et les dons de son Esprit.

  « Le don de science est le don qui vous fait connaître tout ce qui est dans l’ordre de la création et des devoirs que vous avez à remplir en vue de cet ordre, pour obtenir votre fin surnaturelle. Par conséquent ce don vous apprend le chemin que vous devez tenir et les dangers que vous devez éviter; l’usage que vous devez faire des créatures; la manière dont vous devez en user ou la séparation que vous devez établir entre elles et vous. Le don de science est par conséquent un don qui tend nécessairement à l’action.

  « Le don de conseil est un don surnaturel qui dirige, règle et conduit les actes de l’âme qui a connaissance de ses devoirs. Cette direction, cette conduite ne vient pas par le raisonnement, mais par le conseil ou l’inspiration du Saint-Esprit. Ce don de conseil fait donc éviter le mal dans les actes et toujours opérer le bien; il vous mène dans toutes les actions qui tendent à la vie éternelle, dans tout ce qui est, comme dans tout ce qui n’est pas de nécessité de salut.

  « Il vous est facile de comprendre, ma fille, quelle perfection l’âme acquiert par ce don, car elle a par lui la rectitude même de Dieu ou de l’Esprit-Saint qui dirige toutes choses sur la terre et dans le ciel.

  « Ces quatre dons du Saint-Esprit, ma fille, ont rapport à l’intelligence; les autres, à la volonté de l’homme.

  « Le don de force est mis dans l’âme par le Saint-Esprit pour qu’elle résiste vigoureusement à toutes les adversités de la vie, de quelque nature qu’elles soient, pour les lui faire traverser avec fermeté et l’empêcher de succomber sous leur poids.

  « Ce don de force se fait sentir par trois effets dans l’âme : le premier qui la porte à attaquer et à prévenir les difficultés de la vie; le second qui la porte à tout supporter sans attaquer jamais, et le troisième à tout supporter aussi, et non pas seulement un jour, mais plusieurs années et même jusqu’à la mort.

  « Or, vous devez remarquer encore, ma fille, que le don de force ne doit point faire dire à l’âme qui l’a reçu, que ce que le corps éprouve n’est pas un mal, n’est pas une douleur, une souffrance; il suffit pour que le don de force opère, que l’âme ne se laisse pas aller à la tristesse, au point de quitter la voie du bien et de la vérité.

  « Enfin, vous devez remarquer que la grâce de Dieu se fait sentir tellement quelquefois à l’âme, qu’elle oublie toutes les peines de son corps pour n’éprouver qu’une entière et complète satisfaction, ce qui lui permet de s’écrier qu’elle surabonde de joie au milieu de toutes ses tribulations.

  « La pitié, ma fille, est un don du Saint-Esprit, qui vous porte avec empressement et amour à rendre à Dieu le culte intérieur et extérieur qui lui est dû, et à vous soumettre en tout à sa volonté.

  « La piété est un don de la vie présente et aussi un don de la vie future.

  « Le don de piété vous portera à honorer Dieu, à lui rendre vos devoirs, parce qu’il est votre créateur, votre souverain maître, votre Dieu, votre rédempteur, et qu’à ces titres il mérite tous vos devoirs tant intérieurs qu’extérieurs. Il vous portera à vous soumettre à toute les lois et pratiques de la religion que vous devez observer. Il vous portera à l’aimer et à vous donner tout entière à lui. Il vous portera à rendre hommage aux saints parce qu’ils sont les temples glorifiés de Dieu, à honorer surtout votre famille et à lui demeurer toujours humblement soumise. Il vous portera à secourir les pauvres dans les nécessités du corps comme dans celles de l’âme, parce qu’il vous montrera en eux mon image. Il vous portera à passer toujours au milieu des méchants sans les scandaliser par votre conduite, et à vivre même parmi eux dans la pratique constante du bien et de la vertu.

  « Je vous ai dit, ma fille, que la piété demeurera avec vous dans le ciel; vous y conserverez en effet ce don, mais non tel que vous l’avez sur la terre; vous le conserverez pour demeurer toujours attachée et unie à Dieu.

  « Ma fille, il y a plusieurs sortes de crainte. La crainte du pécheur, crainte excessive qui le fait tomber dans le désespoir à la vue de la justice de Dieu et de ses jugements : cette crainte est mauvaise.

  « Celle des personnes qui redoutent les vengeances de Dieu et qui pour cela accomplissent sa loi, n’osant commettre le péché à cause du châtiment qui le suivrait. La loi est pour elles un pesant fardeau. L’amour seul peut rendre le fardeau de la loi doux et léger.

  « Il y a une autre espèce de crainte, la crainte des serviteurs. Ils accomplissent fidèlement toute la loi, ils regardent, craignent et aiment Dieu comme leur maître. Ils craignent de lui déplaire à cause des châtiments qu’ils encourraient et de la perte de leur récompense. Ils l’aiment pour lui-même, sans doute, mais ils l’aiment surtout pour leurs intérêts.

  « La meilleure des craintes est celle des enfants de Dieu. Ceux-ci regardent, aiment et craignent Dieu comme leur père; ils ne considèrent ni le châtiment, ni la récompense, et n’ont d’autre mobile de leurs actions que la volonté de leur Père qui règne au ciel. Cette volonté est la seule loi qu’ils reconnaissent et ils se soumettent à cette volonté pour être agréables à Dieu, par amour pour lui, à cause de ses infinies perfections et des bienfaits dont il les a comblés. Ne sachant comment lui témoigner leur reconnaissance, ils lui offrent toutes leurs actions et tout ce qu’ils possèdent. Désirant l’aimer le plus parfaitement possible, et voyant que tout est imperfection sur la terre et danger de lui déplaire, ils soupirent après le ciel, non pour être plus heureux ou délivrés des peines de la vie, mais pour ne plus offenser Dieu et l’aimer parfaitement. Ils sont vertueux non à cause de la récompense qui les attend, mais pour plaire à Dieu; et, après l’avoir servi fidèlement toute leur vie, ils se verraient sans peine condamnés au feu de l’enfer, pourvu qu’ils pussent là encore donner à Dieu leur amour. S’ils tombent dans le péché, dans un moment de faiblesse, loin de se décourager et de refroidir leur amour pour Dieu, ils se relèvent avec courage, avec une ferme résolution de ne plus pécher; ils vont se jeter entre les bras paternels du Seigneur, ils lui demandent pardon et s’engagent à l’aimer désormais davantage, à faire plus fidèlement en tout sa volonté. S’ils demandent une grâce, ils la demandent comme la demanderait un enfant à son père. Ah! Ma fille, combien ceux qui agissent ainsi sont peu nombreux.

  « Cette crainte filiale, c’est le Saint-Esprit qui la donne à l’âme. Ceux qui ont cette crainte sont conduits par l’Esprit-Saint. Aussi toutes leurs actions sont les actions des véritables enfants de Dieu.

  « Ce que je viens de vous dire, ma fille, des divers dons du Saint-Esprit, vous en fait assez comprendre l’importance, la nécessité et les immenses avantages. Le Saint-Esprit vous les a donnés dans leur plénitude au jour de votre confirmation. Ne mettez jamais d’obstacle, ma fille, à l’efficacité de ces dons. Laissez-vous conduire par l’Esprit-Saint; il est Esprit de vérité, ils vous maintiendra dans la vérité, il vous attachera à la vérité, et par lui vous serez unie à Dieu et vos trouverez en Dieu la félicité. »

  Amour et reconnaissance soit à jamais à Jésus au saint sacrement de l’autel. Amen.

 

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