la Priere

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Traité de la Prière de Sainte Catherine de Sienne :

LXV.- Du moyen que prend l’âme pour arriver à l’amour pur et généreux.

 

1.- Lorsque l’âme est entrée dans le chemin de la perfection, en passant par la doctrine -de Jésus crucifié, avec l’amour véritable de la vertu et avec la haine du vice, lorsqu’elle est arrivée par une sainte persévérance à la cellule de la connaissance d’elle-même, elle s’y renferme dans les veilles et la prière continuelle, et elle se sépare de la conversation des hommes. Pourquoi se renferme-t-elle? Elle se renferme par la crainte que lui cause la vue de son imperfection, et par le désir qu’elle a d’arriver à l’amour généreux et parfait. Elle voit et comprend qu’on ne peut y arriver par un autre moyen, et elle attend avec une foi vive ma venue par l’augmentation de la grâce en elle. A quoi se reconnaît cette foi vive? A la persévérance dans la vertu et dans la sainte prière, quelque chose qui arrive. A moins que ce ne soit par obéissance ou par charité, vous ne devez jamais abandonner la prière.

2.- Souvent le démon obsède plus l’âme de ses tentations pendant le temps destiné à la prière que pendant le temps qui n’y est pas consacré : il voudrait vous inspirer l’ennui de la, prière. Quelquefois il dit : Cette prière ne vous sert de rien, parce qu’on ne doit pas être ainsi distrait. Le démon s’efforce par ce moyen de troubler et, de dégoûter l’âme de l’exercice de la prière, parce que la prière est une arme avec laquelle l’âme se défend contre tous ses ennemis, lorsqu’elle la prend avec la main de l’amour et le bras du libre arbitre, et qu’elle combat à la lumière de la sainte foi. (103)

 

LXVI.- L’âme doit passer de la prière vocale à la prière mentale.

 

 

 

 

1.- Tu sais, ma fille bien-aimée, que c’est en persévérant dans une prière humble, continuelle et fidèle, que l’âme acquiert toute vertu. Elle doit persévérer , et ne se laisser jamais arrêter par les illusions du démon ou par sa propre fragilité. Elle doit résister aux pensées, aux mouvements de la chair, et aux propos que l’esprit du mal met sur la langue des hommes pour la détourner de la prière. Oh! que cette prière est douce à l’âme, et qu’elle m’est agréable, lorsqu’elle est faite avec la connaissance de sa bassesse et la connaissance de ma bonté, à la lumière de la sainte foi et avec l’ardeur de ma charité !

2.- Cette charité s’est rendue visible dans la personne de mon Fils unique, qui vous la montra en répandant son sang. Ce sang enivre l’âme et l’embrase du feu de la charité divine ; cette nourriture sacramentelle qui vous est offerte par la sainte Église est le corps et le sang de mon Fils, tout Dieu et tout homme. Mon Vicaire, qui tient la clef de ce précieux sang, est chargé de vous le distribuer. On le trouve dans cette hôtellerie établie sur le pont pour nourrir et assister les pèlerins qui passent par la doctrine de ma vérité, afin qu’ils ne périssent pas de faiblesse.

3.- Cette nourriture soutient peu ou beaucoup, selon le désir et les dispositions de celui qui la prend sacramentellement ou virtuellement : sacramentellement en recevant la sainte Hostie des mains du prêtre, virtuellement par le saint désir de la Communion ou par la pieuse contemplation du sang de Jésus crucifié. L’âme y trouve et goûte le sentiment de l’amour qui l’a fait répandre ; elle s’y enivre, s’y enflamme d’un saint désir, et se remplit uniquement de ma charité et de la charité du prochain. Où acquiert-elle cette charité? Dans la cellule de la connaissance d’elle-même, par la sainte oraison, comme Pierre et les disciples, qui, en se renfermant dans les veilles et la prière, perdirent leur imperfection (104) et acquirent la perfection. Par quel moyen? Par la persévérance unie à la sainte foi.

4.- Mais ne pense pas qu’on reçoive cette ardeur et cette force divine par une prière purement vocale. Beaucoup me prient plutôt des lèvres que du coeur. Ils ne songent qu’à réciter un certain nombre de psaumes et de Pater noster. Dès qu’ils ont rempli leur tâche, ils ne pensent pas à autre chose ; ils mettent toute leur piété dans de simples paroles. Il ne faut pas agir de la sorte ; quand on ne fait pas davantage, on en retire peu de fruit et on m’est peu agréable. Faut-il quitter la prière vocale pour la prière mentale, à laquelle tous ne semblent pas appelés ? Non, mais il faut procéder avec ordre et mesure.

5.- Tu sais que l’âme est imparfaite avant d’être parfaite sa prière doit être de même. Pour ne pas tomber dans l’oisiveté, lorsqu’elle est encore imparfaite, l’âme doit s’appliquer à la prière vocale ; mais elle ne doit pas faire la prière vocale sans la faire mentale ; pendant que les lèvres prononcent des paroles, elle s’efforcera d’élever et de fixer son esprit dans mon amour, par la considération de ses défauts en général et du sang de mon Fils, où elle trouvera l’abondance de ma charité et la rémission de ses péchés.

6.- Elle doit le faire pour que la connaissance d’elle-même et la vue de ses fautes lui fassent connaître ma bonté envers clic et continuer sa prière avec une humilité véritable. Je ne veux pas qu’elle considère ses fautes en particulier, mais en général, pour qu’elle ne soit pas souillée par le souvenir de ses péchés honteux. Je dis aussi qu’elle ne doit pas considérer ses péchés en généraI et en particulier sans y joindre la considération du sang de mon Fils et les souvenirs de mon inépuisable miséricorde, afin qu’elle ne tombe pas dans la confusion.

7.- Si la connaissance d’elle-même et la vue de son péché n’étaient pas accompagnées de la mémoire du sang et de l’espérance de la miséricorde, elle serait nécessairement troublée, et le démon se servirait de sa confusion et de son regret pour la faire tomber dans la damnation éternelle. Ce trouble la conduirait au désespoir, parce qu’elle ne s’appuierait pas sur le bras de ma miséricorde. (105)

8.- C’est là un des pièges les plus dangereux que le démon tende à mes serviteurs. Pour échapper à sa malice et pour m’être agréable, vous devez toujours dilater votre coeur et votre amour dans mon infinie miséricorde par une humilité sincère, Tu sais que l’orgueil du démon ne peut supporter une âme humble, et qu’il est confon4u par la grandeur de ma bonté et de ma miséricorde, dès que l’âme espère véritablement en moi.

9.- Souviens-toi que le démon voulait te perdre, en te troublant ; il tâchait de te persuader que ta vie était pleine d’égarements et que tu n’avais jamais suivi ma volonté. Tu fis alors ce que tu devais faire, et ce que ma bonté t’avait enseigné, car ma bonté est toujours présente à qui veut la recevoir. Tu t’appuyais avec humilité-sur ma miséricorde, et tu disais : Je confesse à mon Créateur que ma vie s’est passée dans les ténèbres, mais je me cacherai dans les -plaies de Jésus crucifié ; je me baignerai dans son sang. J’effacerai ainsi mes iniquités, et je me réjouirai par mon désir dans mon Créateur.

10.- Le démon prit la fuite, mais il revint avec une autre tentation, et voulut te porter à l’orgueil en te disant : Tu es parfaite et agréable à Dieu ; il est inutile de t’affliger davantage et de pleurer tes fautes. Ma lumière te fit voir alors la route que tu devais prendre ; c’était celle de l’humilité, et tu répondis au démon : Misérable que je suis! Jean-Baptiste n’a jamais fait de péché, il a été sanctifié dans le sein de sa mère, et il a fait pourtant beaucoup pénitence : et moi qui ai commis tant de fautes, ai-je commencé à les reconnaître et à les pleurer? ai-je compris ce qu’est Dieu, et ce que je suis, moi qui l’offense?

11.- Alors le démon, ne pouvant supporter l’humilité de l’espérance en ma bonté, te cria : Sois maudite, car je ne puis -rien faire avec toi si je veux t’abaisser parle désespoir, tu t’élèves par l’espérance de la miséricorde ; si je veux t’élever par l’orgueil, tu t’abaisses par l’humilité jusqu’aux enfers, où tu me poursuis. Je te fuirai maintenant, car tu me frappes toujours avec le bâton de la charité.

12.- L’âme doit donc sans cesse unir à la connaissance de ma bonté la connaissance d’elle-même, et à la connaissance d’elle-même ma connaissance. C’est ainsi que la prière vocale sera utile à l’âme qui la fera, et qu’elle me (106) sera agréable ; de la prière vocale imparfaite elle arrivera par la pratique et la persévérance à la prière mentale parfaite. Mais si elle se contente de réciter un certain nombre de prières, et si pour la prière vocale elle laisse la prière mentale, elle n’y arrivera jamais.

13.- Souvent l’âme, dans son ignorance, s’obstine à réciter de vive voix certaines prières, lorsque je la visite, tantôt en lui donnant une claire connaissance d’elle-même et la contrition de ses fautes, tantôt en lui faisant comprendre la grandeur de ma charité, d’autres fois en lui manifestant de différentes manières, comme il me plaît et comme elle l’avait désiré, la présence dé mon Fils bien-aimé ; mais elle, pour accomplir la tâche qu’elle s’est imposée, néglige ma visite et se fait un cas de conscience de ne pas achever ce qu’elle a commencé.

14.- Elle ne doit pas agir ainsi, car ce serait’ être le jouet du démon.. Dès qu’elle sent au contraire ma visite par les moyens que je viens de dire, elle doit abandonner la prière vocale pour la prière mentale, et ne la reprendre que si elle a le temps. Si elle n’en a pas le temps, elle ne doit pas s’en attrister et se troubler, parce qu’elle a fait ce qu’elle devait faire. Il faut excepter cependant l’office divin, que les ecclésiastiques et les religieux sont obligés de dire : en ne le disant pas ils m’offensent, puisqu’ils y sont tenus jusqu’à la mort. S’ils sentent leur esprit attiré vers la prière mentale à l’heure qu’ils devaient consacrer à la récitation de l’office, ils doivent faire en sorte de le dire , avant ou après, parce qu’ils ne doivent jamais y manquer,

15.- L’âme doit commencer par la prière vocale pour arriver à la prière mentale, et dés qu’elle s’y trouve disposée, elle gardera le silence. La prière vocale, faite comme je l’ai dit, conduit à la prière parfaite ; il ne faut donc pas l’abandonner, mais suivre le mode que je t’ai enseigné : et ainsi, par la pratique et la persévérance, l’âme goûtera la prière véritable et se nourrira du sang de mon Fils bien-aimé.

16.- Je t’ai dit que quelques-uns participaient au corps et au sang du Christ virtuellement, quoique non sacramentellement, parce qu’ils participaient à l’ardeur de la charité, qui se goûte au moyen de la sainte prière, peu (107) ou beaucoup, selon le désir de celui qui prie. Celui qui prie avec peu d’application recueille peu ; celui qui prie avec beaucoup d’application recueille beaucoup. Plus l’âme s’efforce d’affranchir son amour et de s’unir à moi par la lumière de l’intelligence, plus elle me connaît ; plus elle me connaît, plus elle m’aime ; plus elle m’aime, plus. Elle me goûte.

17.- Ainsi, tu vois que la prière parfaite ne consiste pas dans la multitude des paroles, mais dans l’ardeur du désir qui élève l’âme vers moi, par la connaissance de. son néant et la connaissance de ma bonté jointes ensemble : il faut donc unir la prière mentale et la prière vocale comme la vie active et la vie contemplative.

18.- il y a différentes manières de comprendre la prière vocale et la prière mentale. Car je t’ai dit que le désir, c’est-à-dire une volonté bonne et sainte, était une prière continuelle. Cette volonté se manifeste dans un lieu et dans un moment donné, et surajoute à la prière continuelle du désir ; et ainsi la prière vocale, unie à la sainte volonté de l’âme., se fera dans le temps prescrit, ou quelquefois se continuera au delà, si la charité le demande pour le salut du prochain, ou si la position où je l’ai placée l’exige.

19.- Chacun, selon son état, doit coopérer au salut des âmes, comme l’inspire une sainte volonté. Tout ce qui se dit et se fait pour le salut du prochain est une prière méritoire, mais qui n’exempte pas de la prière vocale prescrite à un certain moment et dans un certain lieu. En dehors de cette prière obligatoire, tout ce qui se fait dans la charité de -Dieu et du prochain, tout ce qu’on fait même pour soi avec une intention droite, peut être appelé une prière ; car, comme le dit mon apôtre saint Paul, on ne cesse pas de prier dès qu’on ne cesse pas de bien faire : aussi j’ai dit que la prière se faisait de plusieurs manières, en unissant la prière actuelle à la prière mentale. Cette prière actuelle est inspirée par l’ardeur de la charité, et -cette ardeur de la charité est la prière continuelle.

20.- Je t’ai dit comment on parvenait à la prière mentale, par la pratique, par la persévérance, et en laissant la prière vocale pour la prière mentale lorsque je (108)

visite l’âme ; je t’ai dit ce qu’étaient la prière publique et la prière vocale faite en dehors du temps prescrit, la prière du désir, et comment tout ce qu’on fait pour soi ou pour son prochain avec une intention droite était une prière. Il faut donc que l’âme s’excite avec courage à la prière, qui enfante la vertu ; et l’âme y parviendra si elle se renferme dans la connaissance d’elle-même avec un amour tendre et filial. Si l’âme ne le fait pas, elle restera toujours dans sa tiédeur et son imperfection ; elle n’aimera qu’autant qu’elle trouvera son avantage et son plaisir en moi et dans le prochain.

 

LXVII.- De l’erreur des gens du monde qui aiment et servent Dieu pour leur consolation.

 

 

 

 

1.- Je veux te parler de l’amour imparfait et de l’erreur de ceux qui m’aiment pour leur propre consolation. Tu sauras que le serviteur qui m’aime imparfaitement, cherche plutôt la consolation qu’il ne me cherche moi-même : cela est évident, puisqu’il se trouble dès qu’il manque de consolations spirituelles ou temporelles.

2.- Les consolations temporelles charment les hommes  du monde, qui font quelque bien tant qu’ils sont dans la prospérité ; mais quand vient la tribulation que je leur donne dans leur intérêt, ils se troublent et abandonnent le peu de bien qu’ils faisaient. Si vous leur demandez : Pourquoi vous troublez-vous? Ils répondront : Parce que je suis dans la peine, et le peu de bien que je faisais dans la prospérité me semble inutile, puisque je ne le fais plus avec le même amour et le même esprit. C’est la tribulation qui en est cause, car il me semble que j’agissais bien mieux, avec plus de paix et de calme autrefois que maintenant.

3.- Celui qui parle ainsi est aveuglé par l’intérêt. Il n’est pas vrai que ce soit la tribulation qui diminue son amour et ses oeuvres. Ce qu’on fait dans la tribulation vaut autant que ce qu’on fait dans la consolation, et même Le mérite en augmenterait si l’on avait la patience. Mais cela vient de ce que ces hommes s’attachent trop à la prospérité. Ils m’aiment peu par vertu, et se reposent l’esprit (109) dans quelques bonnes oeuvres. Dès qu’ils sont privés de ce qui, les charme, il leur semble qu’ils n’ont plus la paix nécessaire pour bien faire ; il leur arrive comme à un homme qui est dans un beau jardin : parce qu’il s’y plaît, il aime y travailler ; il croit aimer son travail, mais c’est le beauté du jardin qu’il aime. Il est- facile de voir qu’il aime plus le jardin que le travail ; car, dès qu’il a quitté le jardin, il ne ressent plus de plaisir. Si son plaisir venait du travail, il ne l’aurait pas ainsi perdu ; il l’aurait toujours, parce que la faculté de bien faire ne peut se perdre sans la volonté de l’homme, même lorsqu’on ne jouit plus de la prospérité, comme l’homme ne jouit plus du jardin.

4.- La passion égare ceux qui agissent ainsi et qui disent : Je sais que je faisais mieux et que j’avais plus de consolations avant d’être éprouvé. J’aimais à faire le bien, mais maintenant je n’y ai aucun goût. Ils se font illusion ; s’ils eussent aimé le bien par amour du bien, ils n’auraient pas cessé de l’aimer et, loin d’en perdre le goût, ils l’auraient davantage ; mais ils faisaient le bien pour le plaisir qu’ils y trouvaient ; leur amour du bien cesse avec ce plaisir, et c’est là une erreur où tombent la plupart de ceux, qui font des bonnes oeuvres ; ils s’abusent sur le plaisir qu’elles leur causent.

 

 

 

LXVIII.- Combien se trompent ceux qui aiment Dieu avec cet amour imparfait.

 

 

 

 

1.- Mes serviteurs qui sont encore dans l’amour imparfait me cherchent et m’aiment à cause de la  consolation et du bonheur qu’ils trouvent en moi. Et comme je récompense tout le bien qui se fait, petit ou grand, scion la mesure de l’amour qui agit, je donne des consolations spirituelles, tantôt d’une manière, tantôt d’une autre, dans le temps de la prière, Je ne le fais pas pour que l’âme reçoive mal la consolation, c’est-à-dire quelle s’arrête plus à la consolation que je lui donne qu’à moi-même, mais bien pour qu’elle regarde plus l’ardeur de ma charité à donner et son indignité à recevoir, que le  plaisir qu’elle trouve dans ces consolations. Mais si dans son ignorance (110), elle s’arrête à la seule jouissance, sans faire attention à mon amour envers elle, alors elle tombe dans un malheur et un égarement que je vais te faire connaître.

2.- Elle est trompée d’abord par cette consolation qu’elle cherche et dans laquelle elle se complaît. Car quelquefois je la console et je la visite plus qu’à l’ordinaire ; et quand je me retire, elle revient sur ses pas pour retrouver les jouissances dans la route qu’elle avait suivie. Je ne donne pas toujours de la même manière, afin qu’elle sache que je distribue ma grâce comme il plaît à ma bonté et comme le demandent ses besoins. Mais l’âme ignorante recherche la consolation dans les mêmes choses, comme si elle voulait imposer une règle à l’Esprit Saint.

3.- Elle ne doit pas agir ainsi, mais elle doit passer avec courage par ce pont de la doctrine de Jésus crucifié, et recevoir en la manière, au lieu et au moment choisis par ma bonté pour lui donner. Si je ne lui donne pas, je le fais par amour et non par haine, pour qu’elle me cherche en vérité et qu’elle ne m’aime pas seulement pour son plaisir, mais qu’elle s’attache plutôt à ma charité qu’à la consolation. Si elle ne le fait pas, et si elle cherche, la jouissance selon sa volonté et non selon la mienne, elle trouvera la peine et la honte, parce qu’elle se verra privée de ce plaisir où elle avait fixé le regard de son intelligence.

4.- Tels sont ceux qui s’arrêtent aux consolations : ils ont goûté ma visite d’une certaine manière, et ils veulent toujours y revenir. Leur ignorance est telle, que, si je les visite d’une autre façon, ils résistent et ne veulent me recevoir que comme ils le désirent. Cette erreur vient de leur attachement à la jouissance spirituelle qu’ils ont trouvée en moi.

5.- L’âme se trompe, parce qu’il est impossible qu’elle soit visitée toujours de la même manière. Elle ne peut rester stationnaire, elle avance ou elle recule dans la vertu, et alors elle ne peut recevoir de ma bonté les mêmes grâces ; je les varie au contraire, je lui donne tantôt la grâce spirituelle, tantôt une contrition et un regret qui semblent la bouleverser. Quelquefois je serai dans l’âme, et elle ne me sentira pas ; quelquefois je manifesterai ma volonté, c’est-à-dire (111) mon Verbe incarné, de différentes manières aux yeux de son intelligence, et cependant il semblera que l’âme ne goûte pas l’ardeur et la joie que cette vision devrait lui donner. D’autres fois, au contraire, elle ne verra rien, et goûtera un grand bonheur.

6.- Je fais tout cela par amour, pour la sauver, pour la faire croître dans l’humilité et la persévérance, pour lui apprendre à ne pas vouloir me donner de règle, et à ne pas mettre sa fin dans la consolation, mais seulement dans la vertu, dont je suis le fondement. Qu’elle reçoive humblement les différents états où elle se trouve, qu’elle reconnaisse avec amour l’amour avec lequel je donne. Qu’elle croie fermement que j’agis toujours uniquement pour la sauver ou la faire parvenir à une plus grande perfection. Elle doit être toujours humble et placer son principe et sa fin dans la fidélité à ma charité, et recevoir dans cette charité le plaisir et la privation, selon ma volonté et non selon la sienne. Le moyen d’éviter les pièges de l’ennemi est de recevoir tout de moi par amour, parce que je suis la fin suprême de l’homme et que, toute chose doit être basée sur ma douce volonté.

 

 

LXIX.- De ceux qui, pour ne pas perdre la paix et la consolation, négligent d’assister le prochain.

 

 

 

 

1.- Je t’ai parlé de l’erreur de ceux qui veulent me goûter et me recevoir à leur manière ; maintenant je veux te faire connaître combien se trompent ceux qui s’attachent tellement à la consolation, que, voyant les besoins spirituels ou temporels du prochain, ils ne font rien pour les soulager, sous prétexte de mieux faire ; ils disent : Cela m’ôte la paix de l’âme et m’empêche de réciter mes prières ordinaires.

2.- Ils croient m’offenser parce qu’ils n’ont plus de consolations, mais leur amour-propre spirituel les abuse ; car ils m’offensent bien plus en ne secourant pas leur prochain qu’en abandonnant toutes leurs consolations. Si j’ordonne des prières vocales et mentales, c’est pour que l’âme puisse arriver à la charité envers moi et envers le prochain, c’est pour qu’elle persévère dans cette charité. (112)

3.- Elle m’offense plus en abandonnant la charité du prochain pour prier et pour conserver la paix, qu’en laissant ses exercices pour assister le prochain. Aussi l’âme me trouve dans la charité du prochain, tandis qu’elle me perd dans les consolations où elle me cherche. Car en n’assistant pas le prochain, la charité du prochain diminue par là même. Dès que la charité du prochain diminue, mon amour pour elle diminue, et avec mon amour diminue aussi la consolation.

4.- En voulant cagner on perd, en voulant perdre on gagne ; car celui qui renonce à la consolation pour le salut du prochain me gagne, et gagne le prochain en l’assistant et en le servant avec charité. Il goûte ainsi toujours la douceur de ma charité. Celui qui ne le fait pas, au contraire, est toujours dans la peine ; car souvent l’obéissance, les liens particuliers, les infirmités spirituelles ou temporelles des autres le contraindront à s’occuper du prochain : et alors il le fera avec chagrin, avec ennui et trouble de conscience ; il deviendra insupportable à lui-même et aux autres.

5.- Si vous lui demandez : Pourquoi ressentez-vous de la peine? Il vous répondra : Il me semble que j’ai perdu la paix et la tranquillité d’esprit ; je n’ai pas fait mes exercices ordinaires, et je crois que j’ai offensé Dieu. Il n’en est rien ; mais parce qu’il ne regarde que sa propre consolation, il ne sait connaître et discerner véritablement où est son offense. S’il le savait, il verrait que l’offense ne consiste pas à être privé de consolation spirituelle et à laisser l’exercice de la prière lorsque les besoins du prochain le réclament, mais à manquer de charité pour le prochain, qu’on doit aimer et servir par amour pour moi. Tu vois donc que l’âme se trompe elle-même

à cause de son, amour-propre spirituel.

 

LXX.- De l’erreur de ceux qui mettent toute leur affection dans les consolations et les visions.

 

 

 

 

1.- L’amour-propre spirituel cause un mal plus grand à l’âme lorsqu’elle aime et recherche uniquement les consolations et les visions que j’accorde souvent à mes serviteurs (113). Dès qu’elle s’en voit privée, elle tombe dans le chagrin et l’ennui, parce qu’il lui semble qu’elle est privée de la grâce lorsqu’elle ne sent plus ma présence ; car, comme je te l’ai dit, je parais et je disparais dans l’âme, afin de la rendre parfaite. Elle tombe dans l’abattement et croit être réprouvée dès qu’elle perd la consolation et qu’elle sent les attaques de la tentation.

2.- Elle ne devrait pas se laisser ainsi abuser par l’amour-propre spirituel, qui lui cache la vérité. Qu’elle sache que moi, le souverain Bien, je suis en elle pour soutenir sa volonté pendant le combat, et pour l’empêcher de reculer en recherchant la consolation. Elle doit s’humilier et se reconnaître indigne de la paix et du repos de l’esprit. Je me retire d’elle pour qu’elle s’humilie et qu’elle reconnaisse ma charité dans la volonté droite que je lui conserve pendant le combat.

3.- II faut qu’elle ne reçoive pas seulement le lait de la douceur que je lui présente, mais il faut- qu’elle s’attache au sein de ma Vérité, et qu’elle reçoive le lait avec la chair, c’est-à-dire qu’elle se nourrisse du lait de ma douceur par le moyen de la chair de Jésus crucifié, dont j’ai fait un pont pour que vous arriviez à moi. C’est pour cela que je me retire. Si l’âme avance avec prudence et sagesse, je reviens bientôt à elle avec plus de douceur, de force et de charité ; mais si elle reçoit avec trouble et tristesse la privation des douceurs spirituelles, elle y gagne peu et reste dans sa tiédeur.

 

 

LXXI.- Ceux qui s’attachent aux consolations spirituelles peuvent être trompés par le démon qui se transforme en ange de lumière.- Des signes auxquels on peut reconnaître qu’une vision vient de Dieu ou du démon.

 

 

 

 

1.- Ceux qui s’attachent aux consolations spirituelles sont souvent exposés à d’autres pièges du démon, qui se transforme en ange de lumière. Le démon tente toujours l’âme sur ce qu’elle désire davantage, et, s’il la voit passionnée pour les consolations et les visions spirituelles, si elle y met tout son bonheur, au lieu de le mettre dans la vertu en se reconnaissant indigne des douceurs de mon (114) amour, alors il revêt pour elle des formes de lumière :, tantôt il prend l’apparence d’un ange, tantôt celle de mon Fils, tantôt celle de quelque saint. Il agit ainsi pour prendre l’âme à l’amorce du plaisir qu’elle trouve dans les visions et les douceurs spirituelles. Si l’âme ne se retire pas avec une humilité profonde en repoussant la jouissance qui lui est offerte, elle tombe par ce piège dans les mains du démon. Mais si elle se sépare de la jouissance par l’humilité, si elle s’attache par l’amour à moi qui donne, plutôt qu’à mes présents, alors le démon est vaincu, parce que son orgueil ne peut supporter l’humilité de l’âme.

2.- Si tu me demandes comment on peut reconnaître. ce qui vient du démon et ce qui vient de moi, je te répondrai que c’est à ce signe. : Si c’est le démon qui se présente, à l’âme sous forme de lumière, elle en reçoit une vive joie ; mais plus la vision se prolonge, plus la joie diminue, et il ne reste bientôt que trouble, tristesse et ténèbres qui obscurcissent tout l’intérieur. Mais si c’est moi, l’éternelle Vérité, qui visite l’âme, elle éprouve au premier moment une sainte frayeur, et avec cette frayeur, la joie, l’assurance, une douce prudence qui fait qu’en doutant elle ne doute pas.

3.- La connaissance d’elle-même la persuade de son indignité. Elle dit : Je ne suis pas digne de recevoir votre visite, et, puisque je n’en suis pas digne, comment cela peut-il être? Alors elle se confie à la grandeur de ma charité ; elle comprend que je puis lui donner ce qu’il me plaît, en ne regardant pas son indignité, mais ma dignité, qui me rend, capable de me recevoir en elle-même par grâce et d’une manière sensible. Je ne méprise pas son désir qui m’appelle, et elle me reçoit humblement en disant : Voici, votre servante, qu’il me soit fait selon votre volonté. Alors elle quitte l’oraison et les douceurs de ma présence avec joie, avec humilité, parce qu’elle se trouve indigne de tout ce qu’elle reçoit de ma charité.

 4.- Tel est le signe qui montre si l’âme est visitée par moi ou par le démon. Ma visite commence par la crainte, elle continue et finit dans la joie et l’espoir de la vertu ; celle du démon commence par la joie, mais elle se termine dans la confusion et les ténèbres de l’esprit. Je vous ai donné ce signe pour que l’âme qui veut marcher avec humilité et prudence ne puisse être trompée ; elle le sera (115), quand elle voudra avancer seulement avec l’amour imparfait de sa propre consolation, et non pas avec mon amour.

 

 

 

LXXII.- L’âme qui se connaît évite les tromperies du démon.

 

 

1.- Je n’ai pas voulu te cacher, ma fille bien-aimée, l’erreur où tombent ordinairement les hommes qui se complaisent dans le peu de bien qu’ils font au temps de la consolation, et celle de mes serviteurs qui s’attachent tellement aux douceurs spirituelles, qu’ils ne peuvent plus connaître la vérité de mon amour et discerner où se trouve le péché. Je t’ai dit le piège où le démon les prend par leur faute s’ils ne suivent pas le moyen que je t’ai enseigné. Ainsi toi et mes autres serviteurs, vous devez suivre la vertu par amour pour moi, et non par un autre, motif.

2.- Ces erreurs et ces dangers sont pour ceux dont l’amour est imparfait, c’est-à-dire pour ceux qui aiment plus mes bienfaits que moi-même. Mais l’âme qui est entrée dans la connaissance d’elle-même en s’exerçant à l’oraison parfaite, en rejetant l’imperfection de l’amour et de la prière, comme je te l’ai expliqué, cette âme me reçoit par l’amour ; elle s’efforce d’attirer à elle le lait de ma douceur sur le sein de la doctrine de Jésus crucifié.

3.- Elle est arrivée au troisième état, c’est-à-dire à l’amour tendre et filial ; elle n’a pas un amour mercenaire, mais elle agit avec moi comme un ami agit avec son ami qui lui fait un présent : il ne regarde pas au présent, mais au coeur de celui qui donne, et il n’aime le présent que par amour pour son ami. Ainsi fait l’âme qui est parvenue à l’amour parfait. Quand elle reçoit mes bienfaits et mes grâces, elle ne s’arrête pas au présent, mais son intelligence contemple la grandeur de ma charité qui donne.

4.- Pour que l’âme ne puisse s’excuser de ne pas faire ainsi, j’ai voulu unir le bienfait au bienfaiteur, en unissant la nature humaine à la nature divine, lorsque je vous ai donné le Verbe, mon Fils unique, qui est une même chose avec moi comme moi avec lui. Par cette (116) union vous mie pouvez voir le présent sans voir celui qui vous le fait. Comprenez donc avec quel amour vous devez aimer le don et le donateur. Si vous faites cela, vous aurez un amour non pas mercenaire, mais pur et généreux, comme ceux qui se renferment dans la connaissance d’eux-mêmes.

 

 

 

LXXIII.- Comment l’âme quitte l’amour imparfait et arrive à l’amour parfait.

 

 

 

 

1.- Jusqu’à présent je t’ai montré de différentes manières comment’ l’âme quitte l’imperfection pour arriver à l’amour parfait, et comment elle agit quand elle est parvenue à l’amour intime et filial. Je t’ai dit et je te répète qu’elle y arrive par la persévérance, en se renfermant dans la connaissance d’elle-même, Cette connaissance d’elle-même doit être accompagnée de la connaissance de ma bonté, pour qu’elle n’en soit pas troublée. Car la connaissance d’elle-même lui donnera la haine de son amour, sensitif et de l’attrait qu’elle a pour les consolations. De cette haine fondée sur l’humilité doit naître la patience.

2.- La patience deviendra sa force contre les attaques du démon et contre les persécutions des hommes. Elle s’en servira avec moi, lorsque, pour son bien, je lui retire la consolation. Elle supportera tout au moyen de cette vertu. Si la sensualité voulait, dans quelques épreuves, se révolter contre la raison, le juge de la conscience s’élèverait au-dessus d’elle avec une sainte haine et ferait justice de tout mouvement coupable. Car l’âme qui ne s’aime pas se corrige toujours et se reprend non seulement des mouvements qui sont contre la raison, mais encore quelquefois de ceux qui viennent de moi.

3.- C’est ce que veut faire comprendre mon doux serviteur saint Grégoire, lorsqu’il dit qu’une conscience sainte et pure trouvait le péché là où il n’était pas, c’est-à-dire que sa délicatesse était si grande, qu’elle voyait une faute où il n’y en avait pas. L’âme doit faire de même si elle veut quitter l’imperfection, et si elle attend, dans la connaissance d’elle-même et à la lumière de la foi, ce qu’ordonnera ma Providence (117).

4.- Ainsi firent mes disciples, lorsqu’ils se renfermèrent dans le Cénacle, persévérant dans les veilles et la prière jusqu’à la descente du Saint-Esprit. L’âme, comme je te l’ai dit, fait de même. Elle s’éloigne de l’imperfection et se renferme en elle-même pour atteindre la perfection. Elle veille, et fixe le regard de son intelligence sur la doctrine de ma Vérité. Elle se connaît et persévère humblement dans la prière d’un saint désir, parce qu’elle éprouve en elle l’ardeur de ma charité.

 

 

 

LXXIV.- Des signes auxquels on connaît que l’âme est arrivée à l’amour parfait.

 

 

 

 

1.- Je vais te dire maintenant quel signe prouve que l’âme est arrivée à l’amour parfait. Ce signe est le même signe qu’on vit dans mes disciples, lorsqu’ils eurent reçu l’Esprit Saint. Ils sortirent du Cénacle, perdirent toute crainte et annoncèrent ma parole, la doctrine du Verbe mon Fils bien-aimé. Loin de redouter la souffrance, ils s’en glorifiaient ; ils ne craignaient pas de paraître devant les tyrans du monde et de leur dire la vérité pour l’honneur et la gloire de mon nom.

2.- Ainsi, lorsque l’âme s’est renfermée dans la connaissance d’elle-même, comme je te l’ai dit, je retourne vers elle par le feu de ma charité. Cette charité, pondant qu’elle persévérait dans sa retraite, lui a fait concevoir la vertu par amour, en lui communiquant ma puissance ; avec cette puissance elle a dominé et vaincu sa passion sensitive.

3.- Par la même charité, je l’ai fait participer à la sagesse de mon Fils, et dans cette sagesse elle voit et connaît, par l’oeil de l’intelligence, ma vérité et les égarements de l’amour-propre spirituel, c’est-à-dire l’amour imparfait de la consolation. Elle connaît la malice et les mensonges avec lesquels le démon abuse l’âme qui est liée à cet amour imparfait ; elle se lève avec la haine de l’imperfection et avec l’amour de la perfection.

4.- Par cette même charité, qui est le Saint-Esprit, je la fais participer à sa volonté, en fortifiant la volonté qu’elle a de supporter toute peine, de sortir de la retraite (118)

pour mon nom, et de produire des bonnes oeuvres envers le prochain. Elle ne sort pas de sa connaissance, mais elle fait sortir d’elle-même les vertus conçues par l’amour. Elle les montre de différentes manières, quand les besoins du prochain le réclament ; car elle n’a plus la crainte qu’elle avait de perdre ses consolations spirituelles.

5.- Elle est parvenue à l’amour généreux et parfait, et elle agit au dehors sans penser à elle-même. L’âme arrive au second degré de ce troisième état parfait, où elle goûte et enfante la charité du prochain. Elle obtient ce degré de parfaite union en moi. Ces deux derniers degrés sont unis ensemble, et l’un n’est pas sans l’autre ; mon amour n’est jamais sans l’amour du prochain, et celui du prochain, sans le mien, ils ne peuvent être jamais séparés : de même, ces deux degrés ne sont jamais l’un sans l’autre, comme je te le montrerai en t’expliquant le troisième état.

 

 

LXXV.- Les imparfaits veulent suivre seulement le Père, tandis que les parfaits suivent le Fils.

 

 

1.- Je t’ai dit que ceux qui sortent ainsi dehors, montrent qu’ils ont quitté l’imperfection et sont arrivés à la perfection. Ouvre les yeux de ton intelligence, et vois-les courir sur le pont de Jésus crucifié, votre règle, votre loi et votre doctrine. Ils ne se proposent pas d’autre but que Jésus crucifié. Ce n’est pas moi le Père qu’ils se proposent, comme font ceux qui sont dans l’amour imparfait et qui ne veulent pas supporter de peine, parce qu’en moi ne peut se trouver la peine.

2.- Les imparfaits ne veulent suivre que la consolation qu’ils trouvent en moi. Je te le dis, ce n’est pas moi qu’ils suivent, c’est la consolation qu’ils trouvent en moi. Les parfaits, au contraire, font autrement : embrasés par l’amour, ils ont uni les trois puissances de l’âme et monté les trois degrés figurés sur le corps de Jésus crucifié. Avec les pieds de son affection, leur âme est parvenue des pieds de mon Fils à son côté, où elle trouve le secret du coeur et connaît le baptême de l’eau, qui a sa vertu par le sang. L’âme y reçoit la grâce du saint baptême et y devient un vase capable de contenir la grâce unie et mélangée de ce sang. (119)

3.- Où l’âme connaît-elle la dignité d’être unie et mélangée au sang de l’Agneau, en recevant le saint baptême par la vertu de ce sang? Dans le côté de mon Fils où elle connaît le feu de la divine charité. Si tu te le rappelles, ma Vérité incarnée te l’a révélé, lorsque tu l’interrogeais en lui disant : Doux Agneau sans tache, vous étiez mort quand votre côté a été ouvert. Pourquoi vouloir que votre coeur soit ainsi frappé et entrouvert? Mon Fils te répondit, s’il t’en souvient, qu’il avait eu bien des raisons ; et il te dit les principales.

4.- Son désir de sauver le genre humain était infini, et son corps ne pouvait supporter la douleur et les tourments que dans une certaine mesure ; ce qui était fini ne pouvait donc montrer l’amour infini dont il vous aimait ; alors il voulut que vous vissiez le secret de son coeur, et il vous le montra ouvert, pour vous faire comprendre qu’il vous aimait plus que ne le pouvait montrer sa mort.

5.- L’eau et le sang qui en sortirent signifiaient le saint baptême de l’eau, que vous recevez en vertu du sang ; il répandit le sang et l’eau pour marquer deux baptêmes de sang : le premier, que reçoivent ceux qui répandent leur sang pour moi : ce sang tire sa vertu du sang de mon Fils, et remplace le baptême qu’ils n’ont pu recevoir ; le second est le baptême de feu, que reçoivent ceux qui désirent le baptême avec un ardent amour sans pouvoir l’obtenir ; et il n’y a pas de baptême de feu sans le sang ; parce que ce sang est pénétré par le feu de la divine charité qui l’a fait répandre.

6.- L’âme reçoit aussi le baptême de sang d’une autre manière, pour parler par figure ; ma divine charité l’accorde parce qu’elle Voit’ l’infirmité et la fragilité de l’homme qui l’entraîne au péché. Sa fragilité, ni aucune autre cause ne l’entraînerait au péché, s’il n’y consentait pas ; mais il y tombe par faiblesse, et le péché lui fait perdre la grâce qu’il avait reçue au baptême en vertu du sang ; alors il fallait que ma divine bonté perpétuât le baptême du sang par la contrition du coeur et par la sainte confession, en s’adressant, quand on le peut, à mes ministres qui gardent les clefs du sang.

7.- Le sang est versé sur l’âme par l’absolution, et quand (120) on ne peut se confesser, il suffit de la contrition du coeur : alors c’est la main de ma clémence qui vous donne le bénéfice du sang. Mais celui qui pourra se confesser devra le faire, et celui qui le pourra, et ne le fera pas, sera privé du bénéfice du sang.

8.- Il est vrai que, quand on le veut, au moment de la mort, et qu’on ne le peut pas, on reçoit le sang. Mais que personne ne soit assez insensé pour espérer se faire pardonner ses fautes au dernier instant ; car il peut craindre que, pour punir son obstination, ma divine justice lui dise : Tu ne t’es pas souvenu de moi pendant la vie, quand tu en avais le temps ; je ne me souviendrai pas de toi dans la mort. On ne doit donc jamais différer sa conversion ; mais, alors même, on doit jusqu’à la fin espérer dans le sang et en recevoir le baptême.

9.- Mais tu vois que le baptême de sang peut toujours couler sur l’âme ; et dans ce baptême tu reconnais l’action de mon Fils. La peine de la croix est finie, mais le fruit que vous en recevez est infini à cause de la nature divine infinie qui est unie à la nature humaine finie. La nature humaine souffrait dans mon Verbe revêtu de votre humanité, mais comme les deux natures sont unies et pénétrées l’une pour l’autre, La divinité attire à elle la peine qu’elle a supportée sur la croix avec un amour ineffable, et son action peut être appelée infinie.

10.- La peine n’était pas infinie, puisqu’elle était limitée par le corps, et que le désir de souffrir pour vous racheter a cessé sur la croix quand l’âme de mon Fils s’est séparée de son corps ; mais le fruit qui est sorti de cette peine est infini comme le désir de votre salut, et vous le recevez d’une manière infinie ; car s’il n’était pas infini, le genre humain ne pourrait pas être sauvé dans le passé, dans le présent et dans l’avenir. L’homme qui m’offense ne pourrait se relever sans cesse, si le baptême de sang ne lui était accordé d’une manière infinie, et si le fruit du sang n’était pas infini.

11.- C’est ce que mon Fils vous a montré par la blessure de son côté ; c’est là que vous trouvez le secret de son coeur, parce que vous y voyez qu’il vous aime plus qu’il ne peut vous le montrer par une peine finie. Il vous le montre d’une manière infinie, par le baptême du sang uni (121) au feu de la charité divine, car c’est l’amour qui l’a fait répandre. Le baptême est donné à tous les chrétiens, et à quiconque veut le recevoir, dans l’eau unie au sang et au feu. L’âme est ainsi pénétrée par le sang de mon Fils, et c’est pour vous faire comprendre ces choses qu’il a fait sortir le sang et l’eau de son côté. J’ai maintenant répondu à ce que tu m’avais demandé.

 

 

LXXVI.- L’âme au troisième degré parvient à la bouche de Jésus-Christ.- La mort de la volonté propre est le signe qu’elle y est arrivée.

 

 

 

 

1.- Tout ce que je viens de te dire, mon Fils te l’avait enseigné ; mais j’ai voulu te le répéter, en te parlant de lui pour te faire mieux comprendre l’excellence de l’âme parvenue au second degré, où elle connaît et acquiert si bien l’ardeur de l’amour, qu’elle court aussitôt au troisième degré, c’est-à-dire à la bouche : et là elle montre qu’elle est parvenue à l’état parfait. Par où passe-t-elle? L’âme passe par le coeur, c’est-à-dire qu’elle se rappelle où elle a été baptisée, et laissant l’amour imparfait, par la connaissance que lui donne cet aimable coeur, elle voit, elle goûte et ressent le feu de ma charité.

2.- Ceux qui sont arrivés à la bouche font ce que fait la bouche. La bouche parle avec la langue qu’elle a ; elle goûte les aliments, elle les retient pour les donner à l’estomac, et les dents les broient pour qu’ils puissent être avalés. L’âme fait de même ; elle me parle d’abord avec la langue, qui est dans la bouche du saint désir, c’est-à-dire avec la langue d’une sainte et continuelle prière. Cette langue parle, réellement et mentalement : elle parle mentalement lorsqu’elle m’offre ses doux et amoureux désirs pour le salut des âmes ; elle parle réellement lorsqu’elle annonce la doctrine de ma Vérité, lorsqu’elle avertit et conseille le prochain, lorsqu’elle confesse la foi sans craindre ce que le monde peut lui faire souffrir. Elle parle hardiment devant toute créature, de toutes les manières et à chacun selon son état.

3.- L’âme aussi apaise la faim qu’elle a des âmes pour mon honneur sur la table de la très sainte Croix. Nulle autre (122) chose et nulle autre table ne pourraient la rassasier parfaitement. Elle broie sa nourriture avec les dents, sans lesquelles elle ne peut rien avaler. La haine et l’amour sont comme deux rangées de dents dans la bouche du saint désir ; la nourriture qu’elle reçoit est préparée pas la haine d’elle-même et par l’amour de la vertu, en elle et dans son prochain. Elle broie l’injure, le mépris, les affronts, les reproches, les persécutions nombreuses ; elle supporte la faim, la soif, le froid, le chaud, les angoisses, les larmes et les sueurs pour le salut des âmes. Elle accepte tout pour mon honneur et ne rejette jamais son prochain.

4.- Quand tout est ainsi préparé, elle goûte et savoure le fruit de sa fatigue, et la douceur de ces âmes dont elle se rassasie dans ma charité et dans la charité du prochain. Cette nourriture parvient à l’estomac, qui est excité par le désir et la faim des âmes ; et cet organe est l’amour et le zèle de son coeur pour le prochain. Elle se plaît tant à savourer et à s’approprier cette nourriture, qu’elle perd le goût des délicatesses de la vie corporelle, afin de pouvoir mieux se rassasier de cet aliment, qu’elle trouve sur la table de la sainte Croix et de la doctrine de Jésus crucifié.

5.- Alors l’âme s’engraisse de solides et véritables vertus, et se développe tellement dans l’abondance, que le vêtement de la sensualité qui la couvre se déchire, c’est-à-dire que son corps perd tout désir sensuel. Ce qui est ainsi déchiré meurt, et la volonté sensitive disparaît ; car la volonté de l’âme qui vit en moi est revêtue de mon éternelle volonté : la sensualité meurt donc eu elle. Telle est l’âme arrivée au troisième degré de la bouche. Ce qui indique son progrès, c’est que la volonté propre est morte en goûtant l’ardeur de ma charité.

6.- L’âme trouve dans la bouche la paix et le repos. Tu sais que la bouche donne le baiser de paix : aussi à ce degré l’âme possède tellement la paix, que personne ne peut la troubler, parce qu’elle a perdu et détruit sa volonté propre, dont la mort seuls procure la paix et le repos. L’âme alors enfante sans douleur des vertus à l’égard du prochain : non pas qu’elle Soit exempte de peine, mais sa volonté, qui est morte, ne peut plus les ressentir, et elle supporte tout volontairement pour l’honneur de mon nom. Elle court avec ardeur dans la voie de Jésus crucifié ; elle ne se laisse point (123) arrêter par l’injure, par les persécutions qu’elle rencontre ou par les plaisirs que le monde voudrait lui donner : elle surmonte tout avec force et persévérance.

7.- Son amour s’est revêtu du feu de ma charité ; il se rassasie du salut des âmes avec une patience sincère et parfaite. Cette patience est la preuve certaine que l’âme m’aime parfaitement et sans intérêt. Car si elle m’aimait et aimait le prochain pour sa consolation, elle serait impatiente et s’arrêterait dans sa route. Mais parce qu’elle m’aime pour moi, qui suis la souveraine Bonté, seule digne d’être aimée, parce qu’elle s’aime et qu’elle aime le prochain pour moi, pour louer et glorifier mon nom, elle est patiente, forte et persévérante.

 

 

LXXVII.- Des oeuvres de l’âme parvenue au troisième degré.

 

 

 

 

1.- Il y a trois glorieuses vertus qui sont fondées sur la charité, et qui sont les fruits de ses branches : ces vertus sont la patience, la force, la persévérance. Elles sont couronnées par la lumière de la très sainte foi ; cette lumière dissipe les ténèbres de l’âme qui court dans la voie de la Vérité ; l’âme est exaltée par un saint désir, et personne n’est capable de l’arrêter. Le démon ne peut lui nuire par ses tentations, car il craint l’âme embrasée du feu de la charité. Les persécutions et les injures des hommes sont impuissantes contre elle ; si le monde la poursuit, le monde aussi la redoute. Ma bonté le permet pour la fortifier et la faire grandir devant moi et devant le monde, parce qu’elle s’est faite petite par humilité.

2.- Ne le vois-tu pas dans mes saints, qui se sont abaissés pour moi et que j’ai élevés en moi, et dans le corps mystique de la sainte Église, qui parle toujours d’eux, parce que leurs noms sont écrits en moi, le livre de vie? Oui, le monde les respecte, parce qu’ils ont méprisé le monde. Ils ne cachent pas leur vertu par crainte, mais par humilité ; et si le prochain a besoin de leurs services, ils ne se cachent pas de peur de souffrir et de perdre leur consolation ; mais ils le servent avec courage, s’oubliant et se sacrifiant eux-mêmes.

3.- De quelque manière qu’ils consacrent leur vie et (124) leur temps à mon honneur, ils sont heureux et trouvent la paix et le repos de l’esprit. Pourquoi? Parce qu’ils veulent me servir, non pas selon leur volonté, mais selon la mienne, et qu’ils aiment le temps de la consolation comme le temps de la tribulation, la prospérité comme l’adversité ; l’une ne leur pèse pas plus que l’autre, parce qu’en toute chose ils trouvent ma volonté, et qu’ils n’ont pas d’autre pensée que de s’y conformer dès qu’ils la connaissent.

4.- Ils ont vu que rien ne se fait sans moi et que tout est ordonné mystérieusement par ma providence, excepté le péché, qui est un néant. C’est pour cela qu’ils détestent le péché et qu’ils acceptent avec respect les autres choses. Ils sont fermes et inébranlables dans leur volonté de suivre la voie de la vérité. Ils ne se ralentissent jamais, et servent fidèlement leur prochain, sans s’arrêter à son ignorance et à son ingratitude. Si quelquefois le méchant leur dit des injures et leur fait des reproches, ils n’en continuent pas moins leurs bonnes oeuvres et les prières qu’ils m’offrent pour lui, et ils souffrent plus de l’offense qu’il me fait et du tort qu’il cause à son âme que de toutes les injures qui leur sont adressées. C’était ce que disait mon glorieux apôtre saint Paul : « Le monde nous maudit, et nous bénissons ; il nous persécute, et nous le souffrons avec patience et actions de grâce ; il blasphème, et nous prions ; nous sommes rejetés comme les ordures du monde, et nous le supportons » (I Cor. , IV, 12-13 ).

5.- Tu vois, ma fille bien-aimée, le signe par excellence qui montre que l’âme a quitté l’amour imparfait pour, l’amour parfait : ce signe est la vertu de patience, qui lui fait suivre le doux Agneau sans tache, mon cher Fils. Lorsqu’il était sur la Croix où les clous de l’amour l’attachaient, il ne tint pas compte des injures des Juifs, qui lui criaient : « Descends, et nous croirons en toi » (S.Matth. XXVII, 42). Votre ingratitude ne l’empêcha pas de persévérer dans l’obéissance que je lui avais imposée, et sa patience fut si grande, qu’on n’entendit pas la moindre plainte sortir de ses lèvres.

6.- Ainsi font mes enfants bien-aimés, mes fidèles serviteurs qui suivent la doctrine et l’exemple de ma Vérité. Le monde a beau vouloir les faire reculer par ses caresses (125) ou ses menaces ; ils ne tournent jamais la tête en arrière, et fixent toujours leurs regards sur ma Vérité. Ils ne veulent jamais quitter le champ de bataille, pour venir reprendre chez eux le vêtement qu’ils y ont laissé, c’est-à-dire cet amour qui fait préférer la créature au Créateur. Ils restent joyeusement dans la mêlée, tout enivrés du sang de Jésus crucifié, de ce sang que j’ai chargé la sainte Église de distribuer pour soutenir et animer mes vrais chevaliers, qui combattent la sensualité, la chair, le mondé et le démon, avec la haine de leurs ennemis et l’amour de la vertu. Cet amour est une armure qui résiste à tous les coups et rend invulnérable tant qu’on la conserve et que le libre arbitre ne livre pas volontairement à l’ennemi le glaive qu’il tient dans ses mains. Ceux qui sont enivrés du sang de mon Fils ne le font jamais ; ils persévèrent courageusement jusqu’à la mort, où tous leurs ennemis sont confondus.

7.- O glorieuse vertu, combien tu me plais! tu brilles dans le monde même, aux yeux ténébreux des ignorants qui ne peuvent s’empêcher de participer à la lumière de mes serviteurs. Dans la haine avec laquelle ils les poursuivent brille la bonté de mes serviteurs, qui désirent leur salut. Dans leur envie brille la grandeur de la charité, dans leur cruauté la pitié : car plus ils sont cruels, plus mes serviteurs sont compatissants. Dans l’injure triomphe la patience, qui règle et gouverne toutes les vertus, parce qu’elle est la moelle de la charité. Elle prouve et affermit les vertus de l’âme ; elle montre si elles sont fondées ou non en moi. Elle est victorieuse et jamais vaincue, car elle est accompagnée, comme je te l’ai dit, de la force et de la persévérance ; elle remporte la victoire, et quand elle quitte le champ de bataille, c’est pour venir à moi le Père, l’Eternel, qui récompense toute fatigue et qui lui donne la couronne de gloire.

 

LXXVIII.- Du quatrième état, qui n’est pas séparé du troisième.- Des oeuvres de l’âme arrivée à cet état, et comment Dieu ne se sépare jamais d’elle d’une manière sensible.

 

 

1.- Je t’ai dit comment on reconnaît que l’âme est arrivée (126) à la perfection de l’amour sincère et filial ; maintenant je veux te dire le bonheur qu’elle goûte en moi, même dans son corps mortel. Lorsqu’elle est arrivée au troisième état dont je t’ai parlé, elle en atteint un quatrième, qui n’est pas séparé du troisième, mais qui lui est uni nécessairement, comme ma charité est toujours unie à la charité du prochain. C’est un fruit qui sort de ce troisième état par l’union parfaite que l’âme contracte avec moi ; elle y trouve une force si grande que non seulement elle souffre avec patience, mais qu’elle désire avec ardeur souffrir pour l’honneur et la gloire de mon nom.

2.- Elle se glorifie dans les opprobres de mon Fils unique, comme le disait mon apôtre saint Paul : « Je me glorifie dans la tribulation et dans les opprobres de Jésus crucifié » (II Cor., XII, 9). Et ailleurs : « Puis-je me glorifier en autre chose qu’en Jésus crucifié» ? Il disait aussi : « Je porte les stigmates de Jésus crucifié dans mon corps » (Gal., VI, 14-17). De même, ceux qui se passionnent pour mon honneur et qui sont affamés du salut des âmes, courent à la table de la très sainte Croix ; ils veulent souffrir beaucoup pour être utiles au prochain, pour conserver et acquérir des vertus en portant les stigmates du Christ dans leur corps. Car l’amour crucifié qui les brûle, brille dans leur corps, et ils le montrent en se méprisant eux-mêmes, en se réjouissant des opprobres, des peines que je leur accorde, de quelque côté ou de quelque manière qu’ elles leur viennent.

3.- Pour ces fils bien aimés la peine est un plaisir et le plaisir une fatigue. Ils repoussent les consolations et les jouissances que leur offre le monde, non seulement ils ne veulent pas celles que le monde leur donne par ma permission, car quelquefois les serviteurs du monde sont forcés par ma bonté à les vénérer et à les assister dans leurs besoins, mais encore ils ne veulent pas des consolations spirituelles qu’ils reçoivent de moi, et cela par humilité et par haine d’eux-mêmes. Ils ne méprisent pas la consolation, le présent de ma grâce, mais le plaisir que l’âme trouve dans cette consolation. Ce qui les inspire, c’est la vertu d’une humilité sincère acquise par une sainte haine ; cette humilité est la gardienne et la nourrice de la charité que donne la connaissance de moi et d’eux-mêmes (127). Aussi tu vois briller dans leur esprit et dans leur corps la vertu et les stigmates de Jésus crucifié.

4.- Je leur fais la grâce de ne jamais me séparer d’eux d’une manière sensible, comme je le fais pour les autres dont je me rapproche et m’éloigne, non par la grâce mais par la douceur de ma présence. Je n’agis pas de la sorte avec ceux qui sont arrivés à la grande perfection et qui sont entièrement morts à leur volonté ; car je me repose continuellement dans leur âme par ma grâce et d’une manière sensible. Dès qu’ils veulent s’unir à moi par un regard d’amour, ils le peuvent, parce que leur désir les attache tellement à moi que rien ne peut les en séparer. Tous les lieux et les instants leur conviennent pour la prière, parce que leur conversation s’est élevée au-dessus de la terre, et s’est fixée dans le ciel. Ils ont perdu toute affection terrestre, tout amour-propre sensitif ; ils se sont élevés au-dessus d’eux-mêmes jusque dans les hauteurs des cieux, par l’échelle des vertus et les trois degrés que je t’ai montrés sur le corps de mon Fils.

5.- Au premier degré, ils ont dépouillé les pieds de leur affection de l’amour du vice ; au second, ils ont goûté le secret et l’affection du coeur, et ils ont conçu l’amour pour les vertus ; au troisième, où est la paix de l’esprit, ils ont acquis les vertus en quittant l’amour imparfait, et ils sont parvenus à la grande perfection, où ils ont trouvé le repos dans la doctrine de ma Vérité.

6.- Ils ont trouvé la table, la nourriture et le serviteur. La nourriture, ils la goûtent au moyen de la doctrine de Jésus crucifié. C’est moi qui suis le lit et la table ; mon doux et tendre Fils est la nourriture ; car ils se rassasient en lui du salut des âmes, et ils se nourrissent de lui-même. Je vous l’ai donné pour aliment ; vous recevez au Sacrement de l’Autel sa chair et son sang, sa divinité, son humanité tout entière, que ma bonté vous offre pour que vous ne tombiez pas de faiblesse pendant votre pèlerinage, pour que vous n’oubliiez pas le bénéfice du sang versé pour vous avec tant d’amour, mais pour que vous soyez toujours pleins de force et d’ardeur dans votre voyage.

7.- L’Esprit Saint les sert, car l’ardeur de ma charité leur distribue les dons et les grâces. Ce doux serviteur va et vient pour les servir ; il me porte leurs ardents et amoureux (128) désirs, et il leur porte le fruit de leurs fatiguez, dont ils goûtent et savourent la douceur dans leurs âmes. Ainsi tu le vois, je suis la table, mon Fils est la nourriture, et le Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, est le serviteur.

8.- Remarque qu’ils me possèdent toujours d’une manière sensible : plus ils ont rejeté les jouissances et voulu la peine, plus ils ont perdu la peine et trouvé la Jouissance. Pourquoi ? Parce qu’ils sont enflammés et embrasés de ma charité qui a Consumé leur volonté. Aussi le démon redoute les coups de leur charité ; il leur jette de loin ses flèches et n’ose pas en approcher.

9.- Le monde les frappe à l’extérieur, croyant les blesser, et c’est lui qui se blesse ; car le trait qui ne peut pénétrer revient sur celui qui le jette. Ainsi le monde, lorsqu’il lance les injures, la persécution et les murmures, sur mes parfaits serviteurs, ne trouve aucun endroit où il puisse les atteindre, parce que le jardin de leur âme est fermé ; et le trait revient sur celui qui l’a lancé, empoisonné par la faute. Il ne peut blesser d’aucun côté les parfaits, parce qu’en frappant le corps il n’atteint pas l’âme qui reste heureuse et affligée, affligée de la faute du prochain, et heureuse de la charité qu’elle possède.

10.- Elle suit ainsi l’Agneau sans tache, mon Fils bien-aimé, qui, sur la croix, était heureux et affligé. Il était affligé de la croix que souffrait son corps, et de la croix du désir qu’il avait d’expier la faute des hommes ; il était heureux, parce que la nature divine, unie à la  nature humaine, ne pouvait souffrir et ravissait toujours son âme en se montrant à elle sans voile, li était heureux et affligé, parce que la chair souffrait, mais que la divinité ne pouvait souffrir, pas plus que son âme dans la partie supérieure de son entendement. De même, mes enfants bien-aimés, lorsqu’ils sont arrivés au troisième et au quatrième degré, sont affligés par des croix spirituelles et corporelles, puisqu’ils souffrent dans leur corps, comme je le permets, et qu’ils sont tourmentés du regret que leur causent mon offense et le malheur du prochain ; mais ils sont heureux parce que le trésor de la charité qu’ils possèdent ne peut leur être enlevé ; et c’est pour eux une source d’allégresse et de béatitude. (129)

11.- Leur affliction n’est pas une douleur qui dessèche l’âme : elle l’engraisse, au contraire, dans l’ardeur de la charité. La peine augmente la vertu, la fortifie, la développe et l’excite. Elle n’affecte pas l’âme, mais elle la nourrit. Aucune douleur, aucune peine ne peut la retirer du foyer d’amour où elle est plongée. Un tison qui est embrasé dans une fournaise ne peut être saisi parce qu’il est tout en feu : de même l’âme qui est jetée dans la fournaise de ma charité n’est plus rien en dehors de moi ; sa volonté est détruite et elle est toute embrasée en moi ; personne ne peut la prendre et la retirer de ma grâce, parce qu’elle est devenue une même chose avec moi, et moi une même chose avec elle.

12.- Jamais je ne lui retire ma présence comme je le fais pour les autres dont je me rapproche et m’éloigne pour les conduire à la perfection. Lorsqu’ils y sont arrivés je cesse ce jeu de l’amour ; cette alternative de visites et d’absences est un jeu de l’amour ; c’est par amour que je pars, c’est par amour que je reviens. Je ne me retire pas réellement, car je suis un Dieu immuable et je ne change pas ; mais c’est l’effet sensible de ma charité dans l’âme qui parait et disparaît.

 

 

 

 

 

LXXIX.- Dieu ne se sépare jamais des parfaits par grâce et par sentiment, mais par union.

 

 

Dans sa traduction latine, le bienheureux Raymond, confesseur de sainte Catherine, affirme ici que l’état dont il est question était celui de notre sainte.

 

 

1.- Je te disais que les parfaits ne perdent jamais le sentiment de ma présence. Je m’éloigne cependant d’une autre manière, parce que leur âme, qui est unie à leur corps, ne pourrait supporter continuellement l’union que je contracte avec elle. Et parce qu’elle ne le peut pas, je m’éloigne, non par sentiment ou par grâce, mais par union.

2.- Lorsque l’âme s’élance avec ardeur vers la vertu par le pont de la doctrine de Jésus crucifié, et qu’elle arrive à la porte divine, elle élève son esprit eu moi, elle se baigne et s’enivre du sang ; elle brûle du feu de l’amour et goûte en moi la divinité même. L’âme s’unit tellement à cet océan tranquille, qu’elle ne peut avoir de pensée qu’en (130) moi. Dès sa vie mortelle elle goûte le bien de l’immortalité, et malgré le poids de son corps elle reçoit les joies de l’esprit.

3.- Souvent son corps est élevé de terre par la parfaite union de l’âme avec moi, comme si le corps était déjà devenu subtil. Il n’a pas perdu sa pesanteur, mais parce que l’union de l’âme avec moi est plus parfaite que son union avec le corps, la force de l’esprit fixé en moi soulève de terre le poids du corps, et le corps reste immobile et brisé par l’amour de l’âme : tellement que, comme tu l’as entendu dire de quelques personnes, il lui serait impossible de vivre si ma bonté ne lui en donnait pas la force. Et je veux que tu saches que c’est un plus grand miracle de voir l’âme ne pas quitter le corps dans cette union, que de voir plusieurs corps morts ressusciter.

4.- Aussi j’arrête pour quelque temps cette union de l’âme et je la fais retourner dans le vase de son corps ; la sensibilité de ses organes, qui avait été suspendue par l’ardeur de l’âme, recommence ses fonctions. Car l’âme n’est complètement séparée du corps que par la mort, mais elle perd seulement ses puissances par l’amour qui l’unit à moi. La mémoire ne contient d’autre chose que moi ; l’intelligence ne contemple d’autre objet que ma Vérité, et l’amour qui suit l’intelligence, n’aime et ne s’unit qu’à ce que voit l’intelligence. Toutes ses puissances sont unies, abîmées et consumées en moi. Le corps perd tout sentiment. L’oeil en voyant ne voit pas, l’oreille en entendant n’entend pas, la langue en parlant ne parle pas, à moins que quelquefois, à cause de la plénitude du coeur, je ne permette à la langue de le laisser déborder et de parler pour la gloire de mon nom.

5.- Ainsi, la langue en parlant ne parle pas, la main en touchant ne touche pas, les pieds en marchant ne marchent pas ; tous les membres sont liés et retenus par les liens de l’amour, et ces liens les soumettent tellement à la raison et les unissent si étroitement à l’ardeur de l’âme, que tous ensemble, contrairement à la nature, ils crient vers moi le Père éternel pour que le corps soit séparé de l’âme et l’âme du corps. C’est ce que me criait le glorieux saint Paul : «Malheureux que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? Je vois dans mes membres (131) une loi contraire à la loi de l’esprit » (Rom., VII , 23-24).

6.  Paul ne parlait pas seulement du combat de la chair contre l’esprit, car ma parole l’avait pour ainsi dire rassuré, lorsqu’il lui avait été dit : «  Paul, ma grâce te suffit» ( II Cor., XII, 9). Il parlait ainsi parce qu’il se sentait enfermé dans son corps, qui empêchait ma vision pour quelque temps. Jusqu’au moment de la mort, l’oeil ne peut voir l’éternelle Trinité de la même vision que les Bienheureux qui rendent sans cesse honneur et gloire à mon nom. Tant que Paul se trouvait parmi les hommes qui sans cesse m’offensent, il était privé de me voir dans mon essence.

7.- Mes serviteurs me voient et me goûtent, non pas dans mon essence, mais dans l’effet de la charité, de différentes manières, selon qu’il plaît à ma bonté de me manifester ; mais cette vue de l’âme unie au corps est une obscurité quand on la compare à la vue de l’âme séparée du corps. Il semblait à Paul que la vue corporelle empêchait la vue spirituelle, et que ses sens grossiers privaient son âme de me contempler face à face. Sa volonté lui paraissait liée de telle sorte qu’il ne pouvait aimer autant qu’il devait aimer, parce que tout amour dans cette vie est imparfait jusqu’à ce qu’il arrive à sa perfection.

8.- L’amour de Paul, comme celui de mes autres vrais serviteurs, n’était pas imparfait quant à la grâce et à la charité ; il était parfait sous ce rapport, mais il était imparfait parce qu’il ne pouvait rassasier son amour. C’était là sa peine. S’il avait pu satisfaire son désir de ce qu’il aimait, il n’aurait eu aucune peine ; mais il souffrait parce que l’amour, tant qu’il est dans un corps mortel -n’a pas parfaitement ce qu’il aime.

9.- Dès que l’âme, au contraire, est séparée du corps, son désir est rempli et l’amour est sans peine. L’âme alors est rassasiée, mais elle l’est sans dégoût, parce qu’étant rassasiée elle a toujours faim, sans avoir la peine de la faim, car dès que l’âme est séparée du corps, elle déborde d’une félicite parfaite, et elle ne peut rien désirer sans la voir. Elle désire me voir, et elle me soit face a face, elle désire voir la gloire de mon nom dans mes saints, et elle la voit dans la nature angélique et dans la nature humaine. (132)

 

 

 

LXXX.- Les mondains rendent gloire à Dieu, qu’ils le veuillent ou ne le veuillent pas.

 

 

 

 

1.- La vue de l’âme bienheureuse est si parfaite qu’elle voit la gloire et l’honneur de mon nom, non seulement dans les habitants du ciel, mais encore dans ceux de la terre. Qu’il le veuille ou non, le monde me rend gloire. Il est vrai qu’il ne le fait pas comme il devrait, en m’aimant par dessus toute chose ; mais moi je trouve dans.

 les hommes la gloire et la louange de mon nom, puisqu’en eux brillent ma miséricorde et la grandeur de ma charité.

2.- Je leur laisse le temps, et je ne commande pas à la terre de les engloutir pour leurs fautes ; je les attends, au contraire, et je dis à la terre de leur donner ses fruits, au soleil de les éclairer et de les chauffer de ses rayons ; je conserve au ciel la régularité de ses mouvements et je répands ma miséricordieuse bonté sur toutes les. choses qui sont faites pour eux. Non seulement je ne les leur retire pas à cause de leurs fautes, mais encore je les donne au pécheur comme au juste, et même souvent plus-au pécheur qu’au juste, parce que le juste peut souffrir, et que je le prive des biens de la terre pour lui donner plus abondamment les biens du ciel. Ainsi, ma miséricorde et ma charité brillent sur eux.

3.- Quelquefois, les persécutions que les serviteurs du monde font supporter à mes serviteurs éprouvent leur patience et leur charité ; elles ne servent qu’à me faire

offrir d’humbles et continuelles prières ; elles tournent. ainsi à la gloire et à l’honneur de mon nom. Qu’il le veuille ou non, le méchant cause ma gloire, même par ce qu’il fait pour m’offenser.

 

 

LXXXI.- Comment les démons même rendent gloire à Dieu

 

 

 

 

1.- De même que les pécheurs servent- dans cette vie à augmenter la vertu de mes serviteurs, de même les dé-nions dans l’enfer sont les bourreaux et les ministres de

 ma justice sur les damnés. Ils servent aussi mes créatures, (133) qui, dans leur pèlerinage terrestre, désirent arriver a moi, leur fin. Ils les servent en exerçant leur vertu par des attaques et des tentations de toute sorte, en les exposant aux injures et aux injustices des autres afin de leur faire perdre la chante, mais en voulant dépouiller mes serviteurs, ils les enrichissent en exerçant leur patience, leur force et leur persévérance. De cette manière ils rendent gloire et honneur à mon nom.

2.- Ainsi s’accomplit ma vérité en eux. Je les avais créés pour me louer, me glorifier et pour les faire participer à ma beauté ; mais ils se sont révoltés contre moi par orgueil, ils sont tombés, ils ont été privés de ma vision. Ils ne me rendent pas gloire par l’amour ; mais moi, la Vérité éternelle, je les ai faits des instruments pour exercer mes serviteurs à la vertu, et des bourreaux pour punir les damnés ou pour purifier ceux qui sont dans le purgatoire. Tu vois que ma vérité s’accomplit véritablement a eux, puisqu’ils me rendent gloire, non pas comme les habitants du ciel, dont ils sont exilés par leur faute, mais comme les ministres de ma justice dans les enfers et dans le purgatoire.

 

 

 

 

LXXXII.- L’âme, délivrée de cette vie, voit parfaitement la gloire de Dieu dans toute créature ; elle n’a plus la peine du désir, mais seulement le désir.

 

 

1.- Qui est-ce qui voit et goûte en toute chose, dans les créatures raisonnables et dans les démons même la gloire et l’honneur de mon nom? C’est l’âme dépouillée de son corps et parvenue à moi, qui suis sa fin. Elle voit parfaitement et connaît la Vérité. En me voyant, moi, le Père, elle aime ; en aimant, elle est rassasiée ; en étant rassasiée, elle connaît la vérité, et cette connaissance de la vérité fixe sa volonté dans la mienne ; elle y est tellement ferme et attachée, que rien ne peut lui causer de peine, parce qu’elle a ce qu’elle désirait avoir. Elle désirait avant tout me voir et voir glorifier mon nom ; elle le voit pleinement et véritablement dans mes saints, dans les anges, dans toutes les créatures, dans les démons mêmes.

2.- Elle voit l’offense qu’i m’est faite ; elle ne peut (134) plus comme autrefois en ressentir de la douleur, elle en éprouve seulement de la compassion ; elle aime sans peine et prie toujours avec charité pour que je fasse miséricorde au monde. En elle la peine est passée, mais non la charité. Le Verbe, mon Fils, vit finir, dans la mort douloureuse de la Croix, la peine du désir de votre salut qui le tourmentait ; mais le désir de votre salut n’a pas cessé avec la peine.

3.- Si l’ardeur de ma charité que je vous ai montrée en mon Fils avait cessé pour vous, vous ne seriez pas. Vous êtes faits par amour ; si je retirais l’amour, c’est-à-dire si je n’aimais pas votre être, vous ne seriez pas ; mais mon amour vous a créés, mon amour vous conserve, et, parce que je suis une même chose avec mon Verbe et mon Verbe avec moi, la peine du désir a cessé, mais non pas le désir.

4.- De même les saints qui ont la vie éternelle conservent le désir du salut des âmes, mais sans en avoir la peine ; la peine s’est éteinte dans leur mort, mais non ‘ardeur de la charité. Ils sont comme enivrés du sang de l’Agneau sans tache, et revêtus de la charité du prochain Ils ont passé par la porte étroite, tout inondés du sang

de Jésus crucifié, et ils se trouvent en moi, l’océan de la paix, délivrés de l’imperfection, c’est-à-dire de la peine du désir, car ils sont arrivés à cette perfection où ils sont rassasiés de tout bien.

 

 

 

LXXXIII.- Comment saint Paul, après avoir vu la gloire des Bienheureux, désirait être délivré de son corps.

 

 

I.- Paul avait vu et goûté ce bien quand je l’élevai au troisième ciel, c’est-à-dire à la hauteur de la Trinité. Il avait connu et goûté  ma vérité en recevant la plénitude du Saint-Esprit, et en apprenant la doctrine de mon Verbe incarné. Son âme se revêtit de moi, le Père, par union et par sentiment, comme les Bienheureux dans le

 ciel, excepté que son âme n’était pas séparée de son corps. Il plut à ma bonté d’en faire un vase d’élection dans l’abîme de ma Trinité, et je le dépouillai de moi, parce qu’en moi ne peut être la peine ; et je voulais qu’il souffrît pour mon nom. (135)

2.- Je donnai pour objet à son intelligence Jésus crucifié, le revêtant du vêtement de sa doctrine, le liant et l’enchaînant avec la clémence du Saint- Esprit, qui est le feu de la charité. Il devint par ma bonté un vase utile et nouveau ; il ne résista pas quand il fut frappé, mais il dit : « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ; dites ce que vous voulez que je fasse et je le ferai ». (Act., IX, 6). Alors je l’enseignai en lui montrant Jésus crucifié, en le revêtant de la doctrine de ma charité. Je l’illuminai parfaitement par la lumière de la vraie contrition, avec laquelle il effaça ses fautes, en s’appuyant sur ma charité (La fin de ce chapitre et le commencement du chapitre suivant ne se trouvent pas dans l’édition italienne de Gigli. Nous les donnons d’après la traduction latine du bienheureux Raymond de Capoue.).

3.- Il se revêtit tellement de la doctrine de Jésus  crucifié, il y fixa si fortement son âme, qu’il ne put en être dépouillé et séparé, ni par les tentations du démon, ni par les combats de la chair, que ma bonté permettait pour le faire croître en mérite et en grâce, pour conserver son humilité après qu’il eut joui des grandeurs de la Trinité. Jamais il ne quitta en la moindre chose ce vêtement de Jésus-Christ ; il le garda dans toutes ses épreuves et. ses tribulations, et il persévéra toujours dans la doctrine de la Croix. Il se l’était tellement incorporé, qu’il donna sa vie pour ne pas s’en séparer, et retourna vers moi avec ce vêtement divin.

4.- Paul avait goûté ce que c’était que jouir de moi sans le poids de son corps ; je lui avais permis d’en jouir par union, mais non pas complètement séparé de son corps. Quand il fut revenu à lui, revêtu de Jésus crucifié, il lui sembla que son amour était imparfait en le comparant à la perfection de l’amour qu’il avait goûté en moi, et qu’il avait vu dans les Bienheureux séparés de leurs corps. Il sentait que le poids de son corps était un obstacle qui empêchait la perfection et le rassasiement dont l’âme jouit après la mort. Sa mémoire lui paraissait faible et imparfaite, et cette faiblesse, cette imperfection le rendaient incapable de pouvoir me retenir, me recevoir, me goûter avec la perfection des saints dans le ciel. (136)

5.- Il lui semblait que, tant qu’il était dans son corps mortel, il rencontrait en toute chose une loi mauvaise qui combattait l’esprit, non. par un entraînement au péché, puisque je lui avais dit : « Paul, ma grâce te suffit», mais par un empêchement à la perfection de l’esprit, qui consiste à me voir dans mon essence. Et comme cette vision est impossible avec la loi et la pesanteur du corps, Paul s’écriait : « O homme infortuné que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? car j’ai dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit ».

 6.- C’est la vérité ; car la mémoire est combattue par l’imperfection du corps, l’intelligence, arrêtée par sa pesanteur, ne peut me voir tel que je suis dans mon essence, et la volonté, enchaînée par ses liens, ne peut me goûter sans peine, comme je te l’ai fait comprendre. Ainsi Paul avait bien raison de dire : J’ai dans mon corps une loi qui combat la loi de mon esprit. De même mes serviteurs que je t’ai montrés parvenus au troisième et au quatrième degré d’union parfaite avec moi, crient aussi qu’ils désirent être délivrés et séparés des liens de leur corps.

 

 

 

 

LXXXIV.- Des causes qui font désirer à l’âme d’être séparée de son corps.

 

 

1.- Mes, fidèles serviteurs ne connaissent pas la crainte, et l’angoisse de la mort, ils la désirent au contraire. Dans la rude guerre qu’ils ont faite à leurs corps avec une sainte haine, ils ont perdu cette tendresse naturelle qui unit le corps et l’âme ; ils ont vaincu et détruit l’amour d’eux-mêmes, et ils désirent mourir par amour pour moi. Ils disent : Qui me délivrera de ce corps de mort? Je désire en être affranchi pour être avec le Christ. Ils disent avec l’Apôtre : La mort est mon désir, mais je prends la vie en patience. Dès que l’âme est élevée à l’union parfaite, elle ne souhaite plus que de me contempler et de me voir glorifié en tontes choses.

2.- (Le chapitre LXXXIV commence ici dans l’édition italienne ) Quand l’âme revient à ses sens corporels, qui  avaient été absorbés en moi par l’effet de l’amour, elle (136)

supporte péniblement la vie, parce qu’elle se voit privée de l’union qu’elle avait avec moi, ‘et de la société désirable des Bienheureux qui nie rendent sans cesse gloire. Elle se retrouve parmi les hommes, dont elle voit les iniquités si nombreuses. Ce spectacle lui cause une amère douleur et augmente son désir de me voir. La vie lui devient insupportable.

3.- Cependant comme sa volonté ne lui appartient plus et qu’elle est devenue par l’amour une même chose avec moi, elle ne peut vouloir et désirer autre chose que ce que je veux. Elle désire venir, mais elle est contente de rester si je l’ordonne, et de souffrir beaucoup pour ma gloire et pour le salut des âmes. Elle ne s’éloigne en rien de ma volonté, mais elle court avec ardeur ; revêtue de Jésus crucifié, elle passe par le pont de sa doctrine, en se glorifiant dans les opprobres et dans la peine. Plus elle souffre, plus elle se réjouit : la multitude des tribulations calme le désir qu’elle a de la mort, et souvent l’amour des souffrances adoucit la peine qu’elle éprouve de n’être

pas délivrée de son corps.

4.- Non seulement mes serviteurs souffrent alors avec patience comme ceux qui Sont au troisième degré, mais ils se glorifient encore de souffrir beaucoup en mon nom ; quand ils souffrent, ils se réjouissent ; et quand ils ne souffrent pas, ils s’en affligent, parce qu’ils craignent que je ne veuille les récompenser en cette vie, et que le sacrifice de leurs désirs ne me soit point agréable. Dès que je leur envoie au contraire beaucoup d’épreuves, ils sont heureux de se voir revêtus des peines et des opprobres de Jésus-Christ.

5.- S’ils pouvaient être vertueux sans fatigue, ils n’y consentiraient pas ; ils préféreraient se réjouir sur la croix avec le Christ, et acquérir la vie éternelle par la souffrance plutôt que par tout autre moyen. Pourquoi? Parce qu’ils sont abîmés et embrasés dans ce sang où ils trouvent ma charité, ce feu qui sort de moi pour ravir leur coeur, leur esprit et consumer le sacrifice de leur désir. C’est ainsi que le regard de l’intelligence s’élève à cette contemplation de ma divinité, où l’amour s’unit et se développe en suivant l’entendement. Cette vue surnaturelle est une grâce infinie que je donne à l’âme qui m’aime et me sert en vérité. (138)

 

 

 

 

LXXXV.- Ceux qui sont arrivés à cet état unitif sont éclairés dans leur intelligence par une lumière surnaturelle et infuse de la grâce.- Il vaut mieux consulter, pour le salut de son âme, un humble qui a une conscience pure, qu’un savant qui a de l’orgueil.

 

 

 

 

1.- C’est avec cette lumière qui éclairait son intelligence que me vit saint Thomas d’Aquin et qu’il acquit, les clartés de la science, comme le firent saint Augustin saint Jérôme et nies autres saints docteurs. Ils étaient éclairés d’en haut et comprenaient dans les ténèbres ma vérité, c’est-à-dire la  Sainte Ecriture qui parait obscure parce qu’elle n’est pas comprise, non par le défaut de l’Écriture, mais par l’ignorance de celui qui ne la comprend pas. Aussi j’ai donné ces lampes pour éclairer les

aveugles et les intelligences grossières, afin que l’homme puisse connaître la vérité dans les ténèbres.

2.- Moi, le feu qui consume le sacrifice, je les ai ravis en leur donnant la lumière surnaturelle qui fait comprendre la vérité dans les ténèbres. Et alors ce qui paraissait obscur est devenu évident pour les ignorants comme pour les savants. Chacun reçoit la lumière selon sa capacité et selon la préparation qu’il apporte à mie connaître ; car je ne méprise les bonnes dispositions de personne.

3.- L’intelligence reçoit une lumière infuse par la grâce, supérieure à la lumière naturelle, une lumière avec laquelle les saints docteurs et mes autres serviteurs ont connu la lumière dans les ténèbres. Des ténèbres est venue la lumière, car l’intelligence a été formée avant l’Écriture ; c’est dé l’intelligence que vient la science, puisque c’est en voyant qu’elle discerne.

4.- Avec cette lumière, les prophètes ont vu l’avènement et la mort de mon Fils ; les apôtres l’ont possédée après la descente du Saint-Esprit ; les évangélistes, les docteurs, les confesseurs, les vierges, les martyrs en ont tous été éclairés ; tous l’ont reçue selon que le demandaient leur salut, le salut des âmes et l’enseignement de la Sainte Écriture. (139)

5.- Les docteurs l’ont reçue pour expliquer la doctrine de ma Vérité, la prédication des Apôtres et les textes des Évangélistes ; les martyrs, pour montrer par leur sang la lumière de la foi, le trésor et le fruit du sang de l’Agneau ; les vierges l’ont montrée par la charité et la pureté. Les obéissants ont fait briller l’obéissance du Verbe, cette obéissance parfaite que mon Fils a embrassée pour courir à la mort ignominieuse de la Croix.

6.- Cette lumière est visible dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. Dans l’Ancien Testament, par les prophètes dont l’intelligence a été surnaturellement éclairée par ma grâce ; dans le Nouveau Testament, par la vie évangélique révélée au chrétien fidèle. La nouvelle loi venait de la même lumière, car elle n’a pas détruit l’ancienne, elle en est inséparable ; elle en a seulement ôté l’imperfection, parce qu’elle était fondée sur la crainte.

7.- Lorsque le Verbe mon Fils vint avec la loi d’amour, il l’accomplit en lui donnant l’amour, en ôtant la crainte de la peine, et en ne lui laissant que la bonne et sainte,

 crainte. Aussi, mon Fils disait à ses disciples pour montrer qu’il ne détruisait pas la loi : « Je ne suis pas venu pour- détruire la loi, mais l’accomplir » (S. Matth., V. 17 ). Comme s’il disait : Jusqu’à présent, la loi était imparfaite ; mais avec mon sang je la rendrai parfaite et je l’accomplirai en ce qui lui manque, parce que j’ôterai la crainte de la peine ; je l’établirai sur l’amour et sur la crainte sainte et filiale.

8.- Comment la Vérité est-elle connue? Par la lumière surnaturelle qui est donnée à qui veut la recevoir de ma grâce. Toute lumière qui sort de la sainte Ecriture, sort de cette lumière. Les ignorants, orgueilleux de leur science, s’aveuglent dans la lumière, parce que leur orgueil et les nuages de l’amour-propre en couvrent et en cachent la clarté. Ils comprennent la lettre et l’apparence de l’Écriture plus qu’ils n’en saisissent le sens ; ils goûtent la lettre en consultant beaucoup de livres, mais ils ne goûtent pas la moelle de l’Écriture, parce qu’ils sont privés de la lumière avec laquelle l’Écriture a été formée et présentée.

9.- Ceux-là s’étonnent et murmurent quand ils voient des gens sans instruction plus éclairés sur la vérité que (140) ceux qui ont longtemps étudié. Ce n’est pas surprenant, puisqu’ils possèdent la cause de la lumière d’où vient la science ; mais, parce que, les superbes ont, perdu la lumière, ils ne voient pas et ne connaissent pas ma bonté et la lumière de la grâce répandue sur mes serviteurs.

10.- Aussi je te dis qu’il vaut mieux prendre pour le conseiller de son âme une personne humble qui a une conscience droite et pure, qu’un savant orgueilleux qui a beaucoup étudié. Car on ne peut donner que ce qu’on a soi-même. Une vie de ténèbres change souvent en ténèbres pour les autres la lumière des Saintes Écritures. Tu trouveras le contraire dans mes serviteurs parce que la lumière qu’ils ont en eux, ils la présentent avec l’ardent désir du salut des âmes.

11.- Je te dis cela, ma très douce fille ; pour te faire connaître la perfection de l’état unitif, où l’intelligence est ravie par le feu de ma charité qui donne la lumière surnaturelle. L’âme m’aime avec cette lumière, parce que l’amour suit l’intelligence ; plus elle connaît, plus elle aime, et plus elle aime, plus elle connaît. L’intelligence et l’amour se nourrissent réciproquement.

12.- C’est par cette lumière que l’âme isolée du corps parvient à mon éternelle vision, où elle me goûte en vérité, comme je te l’ai dit en t’expliquant le bonheur que l’âme reçoit en moi. C’est l’état le plus élevé où l’âme dans sa vie mortelle puisse goûter la vie des Bienheureux. Souvent son union est si grande, qu’elle sait à peine si elle est avec son corps ou sans son corps. Elle a un avant-goût de la vie éternelle, parce qu’elle m’est étroitement unie, et que sa volonté est morte en elle : c’est cette mort qui l’unit à moi, et il n’y a pas d’autre moyen de s’unir à moi parfaitement. L’âme goûte la vie éternelle dès qu’elle est délivrée de l’enfer de sa volonté propre. L’homme souffre comme un damné quand il obéit à sa volonté sensitive.

 

 

LXXXVI.- Résumé de ce qui précède.- Dieu invite l’âme à prier pour toute créature et pour la sainte Église.

 

 

 

 

1.- Tu as vu avec ton intelligence et tu a entendus (141) avec ton coeur, comment tu devais profiter pour toi et pour ton prochain de la doctrine et de la connaissance de ma Vérité. Je te l’ai dit en commençant, tu dois arriver à la connaissance de la vérité par la connaissance de toi-même ; mais cette connaissance de toi-même doit être jointe et unie à la connaissance de moi-même en toi. C’est ce qui te donnera l’humilité, la haine, le mépris personnel et le feu de la charité que tu trouveras dans ma connaissance ; tu parviendras ainsi à l’amour du prochain, en lui étant utile par la doctrine et les exemples d’une vie sainte.

2.- Je t’ai montré un pont et les trois degrés qui représentent les trois puissances de l’âme. Personne ne peut avoir la vie le la grâce s’il ne monte ces trois degrés, c’est-à-dire, s’il ne réunit toutes ses puissances en mon nom. Je t’ai montré plus parfaitement ces trois degrés de l’âme figurés sur le corps de mon Fils unique, dont je fais un moyen de vous élever, en parvenant à ses pieds percés, à l’ouverture de son côté, et à sa bouche où l’âme goûte la paix et le repos.

3.- Je t’ai fait connaître l’imperfection de la crainte servile, et l’imperfection de l’amour de ceux qui m’aiment à cause de la douceur qu’ils trouvent en moi. Tu as vu la perfection du troisième degré, celle de ceux qui sont arrivés à la paix de la bouche, après avoir couru avec un ardent désir sur le pont de Jésus crucifié et avoir monté-les trois degrés principaux, en unissant les puissances de leur âme et toutes leurs opérations en mon nom, comme je te l’ai clairement expliqué. Tu les as vus, après avoir franchi les trois degrés particuliers, passer de l’état imparfait à l’état parfait dans lequel ils courent en vérité.

4.- Je t’ai fait goûter la perfection de l’âme et les parfums de ses vertus. Je t’ai montré aussi les pièges où elle peut tomber avant d’arriver à la perfection, si elle ne s’applique pas toujours à se connaître et à me connaître Je t’ai montré le malheur de ceux qui se noient dans le fleuve, en ne passant pas par le pont de la doctrine de ma Vérité, que -je vous ai donné pour que vous ne périssiez pas ; mais les insensés ont préféré se noyer dans les misères et la fange du monde. (142)

5.- Je t’ai montré ces choses pour augmenter en toi le feu des saints désirs et la douleur de la perte des âmes, afin que la douleur et l’amour te poussent à me faire violence par les larmes, les sueurs, les humbles et continuelles prières que tu m’offriras avec ardeur. Je t’ai parlé pour que beaucoup d’autres qui me servent m’entendent, et pour qu’enflammés de ma charité, vous m’imploriez tous et vous me forciez à faire miséricorde au monde et au corps mystique de la sainte Église pour lequel tu m’as tant prié.

6.- Je t’ai promis, si tu te le rappelles, d’exaucer vos saints désirs et de récompenser vos peines. Je réformerai la sainte Église en lui donnant de bons et saints pasteurs. Ce ne sera pas avec la guerre, le glaive et la cruauté, mais avec la paix, le calme, les larmes et les sueurs de mes amis ; je vous ai envoyés travailler à vos âmes et à celles du prochain, dans le corps mystique de la sainte Église, en agissant par la vertu, l’exemple et la doctrine, en m’offrant de continuelles prières pour le salut des hommes, et en produisant des vertus dans le prochain. Car je veux que vous soyez utiles à votre prochain, c’est le moyen véritable de faire fructifier votre vigne.

7.- Ne cessez jamais de faire monter vers moi le bon encens de vos prières pour le salut des âmes, parce que je veux faire miséricorde au monde. Je laverai avec vos prières, vos sueurs et vos larmes, la face de mon épouse, la sainte Église, que je t’ai montrée sous la forme d’une femme dont le visage est sali et pour ainsi dire couvert de lèpre, parce que les ministres de la religion et tous les chrétiens l’ont souillée de leurs fautes, comme je te l’expliquerai bientôt.

 

 

LXXXVII.- L’âme demande à Dieu de vouloir bien lui faire connaître les différentes sortes de larmes.

 

 

 

 

1.- Alors cette âme tourmentée d’un immense désir, et tout enivrée de son union avec Dieu et de ce qu’elle avait entendu de la Vérité suprême, se désolait de l’aveuglement des créatures qui méconnaissaient leur bienfaiteur et l’ardeur de la charité divine. Elle se réjouissait cependant de (143) l’espérance que Dieu lui avait donnée, en lui enseignant ce qu’elle devait faire avec ses autres serviteurs, pour obtenir sa miséricorde au monde. Elle fixa le regard de son intelligence dans la douce Vérité à laquelle elle était unie, parce qu’elle voulait savoir quelque chose des états de l’âme dont Dieu lui avait parlé. Et comme elle voyait que l’âme passe

à ces états par les larmes, elle désirait apprendre de la Vérité la différence des larmes, ce qu’elles sont, d’où elles viennent et les fruits qu’elles produisent.

2.- La vérité ne pouvant être connue et comprise que par la Vérité même, elle s’adressait à la Vérité, où rien ne s’aperçoit que par l’intelligence. Celui qui veut la connaître doit s’élever vers elle par l’ardeur du désir, en ouvrant l’oeil de son intelligence par la lumière de la foi, en fixant son regard sur la Vérité. Quand donc cette âme eut connu qu’elle ne s’était pas écartée de la doctrine que Dieu, la Vérité même, lui avait enseignée, et qu’il n’y avait pas d’autres moyens de connaître ce qu’elle voulait savoir des différentes larmes et de leurs fruits, elle s’éleva au dessus d’elle-même par un effort extraordinaire de son désir, et à la lumière d’une foi vive, elle fixait son regard dans la Vérité éternelle où elle vit et connut la vérité de ce qu’elle demandait. Dieu se manifestait à elle, et sa bonté condescendait à son ardent désir et accueillait favorablement sa demande.

 

 

LXXXVIII.- Des larmes qui se rapportent aux différents états de l’âme.

 

 

1.- La Vérité suprême lui disait doucement : Ma très douce et très chère fille, tu me demandes de t’apprendre les causes des larmes et leurs résultats ; je veux satisfaire ton désir. Ouvre donc l’oeil de ton intelligence, et je -te montrerai par les trois états de l’âme les larmes imparfaites qui viennent de la crainte. Mais avant je t’expliquerai celles que répandent les hommes coupables du monde : ce sont des larmes de damnation. ‘Les secondes larmes sont celles de la crainte, celles de ceux qui fuient le péché pour éviter le châtiment et qui pleurent par crainte. Les troisièmes sont celles de ceux qui, purifiés du péché, pleurent avec douceur en commençant à me goûter et à me servir. Mais, parce que leur (144) amour est imparfait, leurs larmes sont encore imparfaites. Les quatrièmes sont celles de ceux qui sont arrivés à la perfection de la charité du prochain, en m’aimant sans intérêt pour eux-mêmes. Ceux-là pleurent, et leurs larmes sont parfaites. Les cinquièmes sont mêlées aux quatrièmes ; ces larmes sont d’une douceur extrême, et il y a un grand charrue à les répandre, comme je te le dirai bientôt.

2.- Je te parlerai aussi des larmes de feu, que l’oeil ne verse pas, parce que ce sont celles de ceux qui voudraient pleurer et ne le peuvent pas. L’âme passe par ces différentes larmes en quittant la crainte et l’amour imparfait pour arriver à la charité parfaite de l’état unitif. Je vais t’expliquer toutes ces larmes.

 

LXXXIX.- Des différentes sortes de larmes.

 

 

1.- Apprends, ma fille, que toute larme vient du coeur, car aucune partie du corps ne correspond si parfaitement que l’oeil aux affections du coeur. Si le coeur souffre, l’oeil le fait paraître. Si sa douleur est sensuelle, les larmes le sont aussi et engendrent la mort, parce qu’elles procèdent d’un amour déréglé qui m’offense et qui empoisonne la douleur et les larmes. Cette douleur et ces larmes sont plus ou moins

coupables, selon la mesure de l’amour déréglé, ceux qui pleurent ainsi répandent les larmes de mort dont je t’ai parlé.

2.- Voici maintenant les larmes qui commencent à donner la vie : ce sont les larmes de ceux qui à la vue de leurs fautes commencent à pleurer par crainte du châtiment. Ces larmes sont humaines et sensibles, parce que l’âme n’a pas encore la haine parfaite de sa faute, à cause de l’offense qu’elle m’a faite ;sa douleur vient de la peine qui suit le péché commis, et l’oeil pleure parce qu’il obéit au mouvement du coeur.

3.- Lorsque l’âme s’exerce à la vertu, elle commence à perdre la crainte, parce qu’elle connaît que la seule crainte ne suffit pas pour donner la vie éternelle, comme je te l’ai expliqué dans le second état de l’âme. Alors elle s’élève avec amour à la connaissance d’elle-même et de ma bonté jour elle, et elle commence à espérer de ma miséricorde dans laquelle se réjouit son coeur. La douleur de sa faute se mêle à la joie de l’espérance dans ma miséricorde, et l’oeil commence à verser des larmes qui viennent de la source du cœur (145).

4.- Mais, parce que l’âme n’est pas parvenue à la véritable perfection, souvent ces larmes sont encore sensuelles. Et si tu me demandes pourquoi, je te répondrai : Parce que la racine de l’amour-propre n’est pas détruite : Je ne parle pas de l’amour-propre sensitif, car il est vaincu, mais de l’amour-propre spirituel, qui fait désirer à l’âme les consolations qui viennent de moi ou de quelque créature qu’elle afme d’une affection spirituelle.

5.- Lorsqu’elle est privée de ces consolations intérieures ou extérieures, intérieures si elles viennent de moi, ou extérieures si elles viennent des créatures, lorsqu’elle est éprouvée par les tentations du démon et par les persécutions des hommes, son coeur souffre, et aussitôt l’oeil ressent sa douleur et commence à répandre des larmes personnelles qui viennent de la tendresse que l’âme u pour elle-même, parce que sa volonté propre n’est pas encore entièrement foulée aux pieds et détruite. Ces larmes sont sensuelles, car elles procèdent d’une passion spirituelle dont je t’ai montré l’imperfection.

6.- Mais si l’âme, en augmentant la connaissance d’elle-même, se méprise et se hait parfaitement ; si elle acquiert ainsi une vraie connaissance de ma bonté et un ardent amour, elle commence à unir et conformer sa volonté à la mienne, et à ressentir intérieurement la joie de la compassion, la joie de l’amour et la compassion du prochain, comme je te l’ai dit en parlant du troisième état. Aussitôt l’oeil qui veut satisfaire le coeur verse des larmes excitées par ma charité et par l’amour du prochain. L’âme pleure sur l’offense qui m’est faite, et sur le malheur du prochain, sans penser à la peine qu’elle peut en recevoir elle-même, parce qu’elle s’oublie pour ne penser qu’à rendre gloire à mon nom ; et dans l’ardeur de son désir elle se rassasie à la table de la sainte Croix, en imitant l’humilité, la patience de l’Agneau sans tache, mon Fils unique, dont j’ai fait un pont pour les hommes.

7.- Lorsque l’âme a passé sur ce pont, en suivant la doctrine de rua Vérité et l’exemple de mon Verbe, elle souffre avec une sincère patience les épreuves et les afflictions que je permets pour son salut ; non seulement elle les supporte avec patience, mais encore avec joie et empressement. Elle trouve que c’est une gloire d’être persécutée pour mon nom (146), selon ma volonté et non selon la sienne. Elle est contente, pourvu qu’elle souffre, et elle goûte une consolation et une paix qu’aucune langue n’est capable d’exprimer.

8.- En suivant ainsi la doctrine de mon Fils, elle fixe son intelligence en moi, la Vérité suprême ; en me voyant elle me connaît, en me connaissant elle, m’aime. L’amour suit l’intelligence et savoure ma divinité qu’elle connaît et qu’elle voit dans la nature divine unie à votre humanité. Elle se repose en moi, l’océan de la paix, et son coeur m’est uni par les liens de l’amour, comme je l’ai dit dans le quatrième état unitif. Le sentiment de ma divinité fait verser aux yeux de douces larmes qui sont un lait pur dont l’âme se nourrit clans la patience. Ces larmes sont un baume précieux qui répand un parfum d’une extrême suavité.

9.- O ma fille bien-aimée! quelle gloire pour cette âme qui a réellement su passer de la mer orageuse du monde à moi, l’océan de la paix, pour y remplir le vase de son coeur dans les abîmes de ma divinité! L’oeil, qui est le canal dit cœur, en reçoit les larmes et les répand avec abondance. C’est le dernier état, où l’âme est heureuse et affligée : heureuse par l’union qu’elle éprouve en moi, et par l’amour divin qu’elle goûte ; affligée par l’offense qu’elle voit faire à ma bonté, à ma grandeur qu’elle a vue et goûtée dans la connaissance d’elle-même. C’est par cette connaissance et. par la mienne qu’elle arrive à ce dernier état.

10.- Cet état unitif n’empêché pas qu’elle ne répande des larmes d’une extrême douceur, que lui causent la connaissance d’elle-même et la charité du prochain. Elle pleure d’amour pour ma divine miséricorde, et de douleur pour l’offense du prochain ; elle pleure avec ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent. L’âme se réjouit avec ceux qui vivent dans la charité, parce qu’elle me voit rendre grâce et honneur par mes serviteurs.

11.- Les secondes larmes n’empêchent pas les dernIères, c’est-à-dire celles du second état d’union. Les unes conduisent aux autres. Si les dernières larmes, où l’âme a trouvé une si grande union, n’étaient pas venues des secondes, c’est-à-dire du troisième état de la charité du prochain, elles ne seraient pas parfaites. Il faut qu’elles viennent les unes des autres : sans cela la présomption serait à craindre ;

le vent perfide de la propre estime pourrait faire tomber (147) l’âme des hauteurs de la vertu jusqu’aux abîmes des premières chutes.

12.- Il faut soutenir et entretenir la-charité du prochain par la vraie connaissance de soi-même. Ainsi s’alimentera le feu de ma charité dans l’âme, parce que la charité du prochain vient de ma charité, c’est-à-dire de cette connaissance que l’âme a d’elle et de ma bonté en elle. Elle voit un amour ineffable envers elle, et du même amour dont elle se voit aimée, elle aime toute créature raisonnable.  C’est pour cela que l’âme, aussitôt qu’elle me connaît, aime le prochain, et elle aime avec ardeur ce qu’elle voit que j’aime le plus.

13.- Elle comprend qu’elle né peut m’être utile personnellement et me rendre ce pur amour que je lui porte ; alors elle s’applique à me rendre cet amour par le moyen que je lui ai donné, c’est-à-dire par le prochain. C’est le moyen dont vous devez profiter ; car, comme je te l’ai dit, toute vertu s’accomplit par le moyen du prochain, en agissant envers lui en général et en particulier, selon les grâces de la vocation que je vous donne.

14.-Vous devez aimer du même amour pur dont je vous aime. Vous ne le pouvez faire à mon égard, parce que je vous ai aimés sans être aimé et sans aucun intérêt, car je vous ai aimés avant même votre existence. L’amour m’a porté à vous créer à mon image et ressemblance. Vous ne pouvez me rendre cet amour gratuit, mais vous devez le rendre aux créatures raisonnables ; vous devez les aimer sans en être aimés et sans songer à aucun intérêt spirituel ou temporel. Vous devez les aimer uniquement pour l’honneur et la gloire de mon nom, parce que je les aime : et ainsi vous accomplirez le commandement de la loi qui est de m’aimer par dessus toute chose et d’aimer le prochain comme vous-mêmes.

15.- Il est vrai qu’on ne peut arriver à cette hauteur que par le second degré de l’union ; et, quand on y est parvenu, on ne peut le conserver, si on s’éloigne de cet amour qui conduit aux secondes larmes. Il est impossible d’accomplir ma loi sans celle qui regarde le prochain. Ce sont les deux pieds de l’affection qui font observer les commandements et les conseils que vous a donnés ma Vérité, Jésus crucifié. Ces deux états, qui n’en font (148) qu’un, nourrissent l’âme dans la vertu, en augmentant sa perfection et son état d’union. L’âme ne change pas d’état quand elle est parvenue à ce degré ; mais à ce degré augmente la richesse de la grâce par de nouveaux dons et d’admirables extases, avec une connaissance de la Vérité qui semble être du ciel plus que de la terre, parce que le sentiment de sa propre sensualité est vaincu, et que sa volonté est morte par l’union qu’elle a avec moi.

16.- Oh ! combien cette union est douce pour l’âme qui en jouit et qui voit ainsi mes secrets! Souvent l’esprit de prophétie lui fait connaître les choses futures ; c’est un don de ma bonté, que l’âme humble ne doit pas demander, parce qu’elle doit fuir, non pas les effets de ma charité, mais le désir des consolations. Pour entretenir sa vertu, elle sa reconnaît indigne de la paix et du repos ; elle ne s’arrête pas au second état, mais elle descend dans la vallée de la connaissance de sa faiblesse.

17.- Ma grâce lui accorde cette lumière pour qu’elle grandisse. Car l’âme n’est jamais si parfaite en cette vie, qu’elle ne puisse arriver à une plus grande perfection d’amour. Il n’y a que mon Fils bien-aimé, votre Chef, qui ne pouvait pas croître en perfection, parce qu’il était une même chose avec moi et moi avec lui. Son âme était bienheureuse par l’union de sa nature divine. Mais vous qui êtes ses membres, vous pouvez, pendant votre pèlerinage, croître toujours en perfection ; vous ne pouvez, cependant arriver à un autre état que celui dont je vous ai parié ; vous êtes arrivés au dernier, mais vous pourrez toujours y croître dans la perfection, autant que vous le désirerez, avec le secours de ma grâce.

 

 

 

XC.- Résumé du chapitre précédent.- Le démon fuit ceux qui sont arrivés aux cinquièmes larmes.- Les attaques du démon sont la voie véritable pour parvenir à cet état.

 

 

 

 

1.- Tu as vu maintenant toutes les larmes et leur différence, parce qu’il a plu à ma Vérité de satisfaire ton désir. Les premières viennent de ceux qui sont dans un état de mort et de péché mortel. Tu as vu que la (149) douleur procède généralement du coeur, et comme le principe du sentiment qui cause les larmes est corrompu, cette douleur est corrompue et misérable, et toutes leurs oeuvres sort mauvaises. Dans le second état. se trouvent ceux qui commencent à connaître leur malheur par le châtiment qui doit suivre la faute. C’est là un premier mouvement que ma bonté donne aux faibles et aux aveugles qui se noient dans le fleuve, en méprisant la doctrine de mon Fils. Mais il en est un très grand nombre qui connaissent leur malheur sans crainte servile du châtiment et qui ressentent aussitôt une grande haine d’eux-mêmes ; à cause de cette haine ils se reconnaissent dignes de toutes sortes de peines.

2.- Plusieurs s’appliquent en toute simplicité à me servir et à se repentir de l’offense qu’ils ont faite à leur Créateur. Il est vrai que celui qui a une grande haine de lui-même est plus apte que tout autre à parvenir, à la perfection ; tous y arrivent en s’exerçant à la vertu, mais celui-là y arrive le premier. Celui qui avance avec une

grande haine de lui même doit prendre garde de rester dans la crainte servile ; celui qui marche plus simplement doit prendre garde de s’engourdir dans la tiédeur :

cette route cependant est la vocation la plus commune.

3.- Dans le troisième et le quatrième état se trouvent ceux qui ont quitté la crainte, pour arriver à l’amour et à l’espérance ; ils goûtent ma divine miséricorde, et reçoivent de moi des faveurs et des consolations abondantes ; leurs yeux pleurent d’abord pour satisfaire le sentiment de leur coeur, mais comme ce sentiment est encore imparfait et mélangé de regrets spirituels, en s’exerçant à la vertu, iIs arrivent au degré où l’âme, augmentant son désir, s’unit et se conforme tellement à ma volonté, qu’elle ne peut vouloir et désirer que ce que je veux. Elle trouve alors en elle des pleurs d’amour et de douleur pour l’offense et le malheur du prochain. Cet état est inséparable de la perfection où l’âme s’unit dans la vérité, et augmente l’ardeur du saint désir.

4.- Le démon fuit ce saint désir et ne peut ébranler l’âme, ni par l’injure qui lui est faite parce qu’elle est devenue patiente dans la charité du prochain, ni par les consolations spirituelles ou temporelles parce que la haine (150) d’elle-même, son humilité sincère lui font tout mépriser. Il            est vrai que de son côté le démon ne dort jamais : il vous donne en cela des leçons, lorsque par votre négligence vous perdez à dormir le temps dont vous pourriez profiter. Mais sa vigilance ne peut nuire à cette âme, parce qu’il ne peut supporter l’ardeur de sa charité, ni l’odeur de l’union qu’elle a contractée avec moi, l’océan de la paix.

5.- L’âme ne peut être trompée tant qu’elle est unie à moi ; le démon s’en éloigne, comme la mouche fuit la vapeur d’un vase qui bout sur le feu ; si le vase était tiède, la mouche ne le craindrait pas ; elle s’y arrêterait, quoique souvent elle y périsse, en y trouvant plus de chaleur qu’elle ne croyait. Il en arrive de même pour l’âme qui n’est pas encore parvenue à l’état parfait : le démon, parce qu’il la croit tiède, s’y présente avec beaucoup de tentations ; mais il y trouve une connaissance de soi-même, une ferveur et une horreur des fautes qui lui résistent et fixent la volonté dans les liens de la haine du péché et de l’amour de la vertu.

6.- Que l’âme se réjouisse quand elle éprouve ces tentations, car c’est là le chemin pour arriver à ce doux et glorieux degré. Je te l’ai dit, vous arrivez à la perfection par la connaissance et la haine de vous-mêmes, et par la connaissance de ma bonté. Jamais l’âme ne se connaît aussi parfaitement, si je suis en elle, qu’au moment de ces combats : elle se connaît en se voyant dans des combats qu’elle ne peut éviter malgré sa volonté ; elle peut seulement y résister en refusant toujours son consentement mais pas autrement. Elle peut alors comprendre qu’elle n’est pas ; car si elle était quelque chose par elle-même, elle se délivrerait de ces tentations qui lui répugnent.

7.-Elle s’humilie ainsi dans la connaissance d’elle-même, et avec la lumière de la sainte foi elle court vers moi l’Eternel, dont la bonté conserve sa volonté dans la droiture et la justice, si elle ne consent pas, pendant le combat, à obéir à ces misères qui la tourmentent. Vous avez donc bien raison de vous fortifier dans la doctrine du doux et tendre Verbe, mon Fils unique, lorsque l’adversité et les tentations des hommes et du démon vous éprouvent car ce sont des moyens pour augmenter la vertu et parvenir à la perfection. (151)

 

 

 

XCI.- Ceux qui désirent pleurer et ne le peuvent pas, ont des larmes de feu.- Pour quelle raison Dieu retire les larmes corporelles.

 

 

 

 

1.- Je t’ai parlé des larmes parfaites et imparfaites toutes sortent du coeur comme d’un vase, qu’elle qu’en soit la raison : aussi peut-on les appeler toutes des larmes. du coeur. Leur différence vient de l’amour réglé ou déréglé, parfait ou imparfait, comme je te l’ai dit : il me reste maintenant à te parler, pour satisfaire ton désir, de ceux qui souhaitent la perfection des larmes et semblent ne pouvoir l’atteindre.

2.- Y a-t-il une autre manière de pleurer? Oui, car il y a des larmes de feu, c’est-à-dire les larmes d’un vrai et saint désir, les larmes de ceux qui se consument d’amour et qui voudraient perdre la vie dans la douleur, par haine pour eux-mêmes, par zèle pour le salut des âmes ; et il semble qu’ils ne peuvent y réussir. Je te dis que ceux-là ont des larmes de feu, par lesquelles le Saint-Esprit pleure devant moi, pour eux et pour le prochain. Ma divine charité embrase de ses flammes cette âme, qui m’offre ses ardents désirs sans pouvoir pleurer.

3.- Ces larmes sont des larmes de feu, et c’est pour cela que je te dis que le Saint-Esprit pleure dans cette âme. Au lieu des larmes qu’elle ne peut répandre, elle offre le désir, la volonté qu’elle a de pleurer par amour pour moi. Lorsque mes serviteurs exhalent le parfum des saints désirs, et offrent en ma présence d’humbles et continuelles prières, l’Esprit Saint gémit en eux. C’est ce que mon glorieux apôtre saint Paul voulait exprimer lorsqu’il disait que l’Esprit Saint me sollicite pour vous par des gémissements inénarrables (Rom., VIII, 26).

4.- Tu vois donc que ces larmes de feu ne sont pas. moins efficaces que les larmes qui coulent des yeux. Souvent même elles valent davantage, selon la mesure de l’amour. L’âme ne doit donc pas se troubler et se croire privée de moi parce qu’elle désire les larmes et qu’elle ne peut en répandre comme elle le voudrait. Elle doit les désirer en conformant sa volonté à la mienne, et s’humilier (152) toujours, qu’elle les obtienne ou qu’elle ne les obtienne pas, selon qu’il plaît à ma bonté divine.

5.- Quelquefois je n’accorde pas les larmes dû corps, pour que l’âme persévère dans l’humilité, la prière et le désir de me goûter ; car si elle recevait de moi ce qu’elle me demande, elle n’en retirerait pas l’utilité qu’elle en attend, mais elle serait contente de posséder ce qu’elle désire, et ralentirait son ardeur. Pour soutenir et augmenter sa vertu, je la prive des larmes des yeux ; je lui donne des larmes du coeur tout embrasées du feu de ma divine charité. Je suis le médecin, et vous êtes les malades ; je donne à tous ce qui est nécessaire à votre salut et à la perfection de vos âmes.

6.- Ceci est la vérité et l’explication des différentes sortes de larmes que tu m’as demandée, ma fille bien-aimée. Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, dans le sang de l’humble Agneau sans tache, et avance toujours dans la vertu, afin d’augmenter en toi le feu de ma divine charité.

 

 

XCII.- Dieu veut être servi comme l’être infini, et non comme une chose finie.

 

 

 

 

1. -Ces cinq états sont comme cinq canaux principaux dont quatre versent une abondance et une variété de larmes infinies, qui toutes donnent la vie si elles sont appliquées à la vertu. Vous n’êtes pas infinis dans votre douleur, mais vos larmes sont infinies par le désir infini de l’âme.

2.-Tu sais maintenant que toute larme procède du coeur, c’est le coeur qui donne les larmes aux yeux lorsque l’ardeur du désir les y fait naître. Quand le bois vert est dans le feu, la force de la chaleur le fait pleurer, parce qu’il est vert ; s’il était sec il ne pleurerait pas. De même le coeur reverdit par l’action de la grâce, et perd la sécheresse de l’amour-propre qui dessèche l’âme ; ce coeur renouvelé trouve des larmes dans le feu des saints désirs, et, parce que le désir ne finit jamais, il ne peut être rassasié en cette vie.

3.- Plus l’âme aime, moins il lui semble aimer. Aussi excite-t-elle sans cesse le saint désir, qui est fondé sur la (153) charité et qui lui fait répandre des larmes. Mais dès que l’âme est séparée du corps et qu’elle est arrivée à moi, sa fin, elle n’abandonne plus le désir qui la porte vers moi et vers la charité du prochain ; car la charité est entrée dans le ciel comme une reine, avec le fruit de toutes lés autres vertus.

4.- Il est vrai que la peine du désir est finie, mais le désir dure toujours. L’âme .me désire, mais elle me possède en vérité ; sans aucune crainte de perdre ce qu’elle a si longtemps désiré, et de cette manière elle se nourrit de sa faim, elle a faim et elle est rassasiée ; elle est rassasiée et elle a faim, sans jamais connaître le dégoût de la satiété, ni la douleur de la faim, parce que sa béatitude est parfaite.

5.- Ainsi votre désir est infini. Aucune vertu ne pourrait vous mériter la vie éternelle, si vous me serviez d’une manière finie ; car moi, le Dieu infini, je veux être servi par vous d’une manière infinie, et vous n’avez d’infini que le désir et l’élan de votre âme. Aussi je disais que vous aviez une variété de larmes infinies, et c’est la vérité, à cause du désir infini qui se mêle à vos larmes..

6.- Aussitôt que l’âme est séparée du corps, les larmes des yeux lui sont étrangères ; mais l’ardeur de la charité attire le fruit des larmes qu’elle a consumées, comme l’eau est absorbée par une fournaise : l’eau ne reste pas dehors, mais la chaleur du feu’ l’attire et la détruit. De même, l’âme qui est parvenue à goûter le feu de ma charité divine, et qui a quitté la vie avec l’ardeur de ma charité et de la charité du prochain dans l’amour unitif qui lui faisait répandre des larmes, ne cesse jamais de m’offrir ses saints désirs, toujours pleins de bonheur et de larmes.

7.- Ces larmes ne sont pas pénibles comme celles que l’oeil répand et que le feu a consumées, mais ce sont les larmes de feu du Saint-Esprit. Tu vois donc que ces larmes sont infinies, et dans cette vie même, la langue ne peut suffire à raconter la variété de celles qui coulent en cet état. Je t’ai expliqué la différence des quatre états des larmes, il me reste à te dire le fruit des larmes du désir et ce qu’il produit dans l’âme (Dans l’édition de Gigli, cette dernière phrase commence le chapitre suivant. La traduction latine nous semble préférable.). (154)

 

 

 

 

 

XCIII.- Du fruit des larmes que répandent les hommes du monde.

 

 

 

 

1.- Je commencerai d’abord par les premières larmes dont je t’ai parlé, c’est-à-dire par celles que répandent les -malheureux qui ,vivent dans le monde, et qui font leur

Dieu des choses créées et de leur propre sensualité, ce qui entraîne la ruine de leur âme et de leur corps. Je te dirai que toute larme procède du coeur, et c’est la vérité ; car le coeur souffre autant qu’il aime. Les hommes du monde pleurent quand leur coeur souffre, c’est-à-dire quand il est privé de ce qu’il aime.

2.- Ils ont bien des sortes de larmes. Sais-tu combien?-Autant qu’ils ont de sortes d’amour. Et parce que la racine est corrompue par l’amour-propre sensuel, tout ce qui en sort est corrompu : c’est un arbre qui n’a que des fruits de mort, des fleurs infectes, des feuilles souillées, des rameaux qui traînent à terre et qu’agitent tous les vents. Tel est l’arbre de l’âme. Vous êtes tous des arbres d’amour, et sans l’amour vous ne pouvez vivre ; car vous avez été faits par moi, par amour. L’âme qui vit saintement place la racine de son arbre dans la vallée de l’humilité véritable ; mais celle qui vit misérablement l’enterre dans la montagne de l’orgueil, et, parce que l’arbre est mal planté, il ne produit pas des fruits de vie, mais des fruits de mort.

3.- Ces fruits sont leurs oeuvres, qui sont toutes empoisonnées par le péché, et si parfois ils font quelque bien, comme, la racine est gâtée, ce qui en sort l’est aussi. L’âme qui est en péché mortel ne peut faire aucune chose méritoire pour la vie éternelle, puisqu’elle n’est pas en état de grâce. Elle ne doit pas cependant abandonner les bonnes oeuvres, parce que tout bien est récompensé et toute faute punie. Le bien fait en dehors de la grâce ne sert pas à la vie éternelle, mais ma bonté et ma justice divine donnent une récompense imparfaite comme l’oeuvre imparfaite que l’âme me présente.

 4.- Quelquefois je la récompense par des biens temporels ; quelquefois je lui accorde, comme je te l’ai dit ; du (155) temps pour qu’elle puisse se corriger. D’autres fois je lui donne la vie de la grâce par le moyen de mes serviteurs que j’aime et que j’écoute. Ainsi l’ai-je fait pour mon glorieux apôtre saint Paul, qui, par la prière de saint Étienne, cessa d’être infidèle et de persécuter les chrétiens. Dans quelque état que l’homme se trouve, il ne doit jamais cesser de bien faire.

5.- Je t’ai dit que les fleurs de cet arbre étaient corrompues, et c’est la vérité. Ces fleurs sont les pensées infectes du coeur qui m’offense et qui déteste le prochain ; l’homme, comme un voleur, dérobe mon honneur pour se le donner à lui-même. Ses fleurs répandent l’infection des faux jugements de deux manières. D’abord l’homme me juge faussement en jugeant mal mes jugements secrets et mes mystères ; il reçoit avec haine ce que j’ai fait par amour ; il         voit le mensonge où j’ai mis la vérité, et la mort où j’ai placé la vie. Il juge et condamne d’après sa faiblesse et son ignorance. Parce qu’il a obscurci l’oeil de l’intelligence recouvert la pupille de la sainte foi avec l’amour-propre sensuel, il ne peut plus voir et connaître la vérité.

6.- Il juge ensuite faussement le prochain ; ce qui cause souvent de grands maux. Ce pauvre homme, qui s’ignore lui-même, veut connaître le coeur et les sentiments de la créature raisonnable, et les juger d’après un acte qu’il verra ou une parole qu’il entendra. Mes serviteurs jugent toujours en bien, parce qu’ils s’appuient sur moi, le Bien suprême ; les malheureux, au contraire, jugent tout en mal, parce qu’ils partent d’un principe mauvais. Leurs Jugements engendrent souvent la haine, l’homicide, l’aversion pour le prochain et l’éloignement de l’amour de la vertu dans mes serviteurs.

7.- Viennent ensuite les feuilles, qui sont les paroles qui sortent de la bouche pour me blâmer, pour profaner le sang de mon Fils et pour injurier le prochain.            Ils ne songent à autre chose qu’à maudire et condamner mes oeuvres, à blasphémer et à dire du mal de tous            ceux qu’ils rencontrent et qu’ils jugent témérairement. Ils ne pensent pas, les malheureux, que la langue et       uniquement faite pour m’honorer., pour confesser leurs fautes, pour     pratiquer la vertu et travailler au salut du prochain. Ce sont (156) là les feuilles du péché, car le coeur d’où elles viennent n’est pas pur ; il est tout souillé de fausseté et- de misère, Outre le tort que cause à l’âme la privation de la grâce, que de malheurs temporels occasionnent ces langues coupables! car par leurs paroles combien ne voit-on pas de changements de fortune, de bouleversements dans les villes, d’homicides et de catastrophes? Une parole entre dans le coeur de celui qui l’entend ; elle pénètre là où ne pouvait arriver le poignard.

8.- Cet arbre a sept branches qui traînent par terre et qui donnent des fleurs et dès feuilles, comme je viens de le dire. Ces branches sont les sept péchés capitaux, qui en portent tant d’autres. Leur commune racine est l’amour de soi-même et l’orgueil, d’où partent les fleurs des pensées mauvaises, les feuilles des paroles coupables et les fruits des actions criminelles.

9.- Les branches sont courbées jusqu’à terre, car les péches mortels inclinent vers la terre et abaissent vers les choses fragiles du monde les hommes qui ne songent qu’à s’en repaître sans pouvoir s’en rassasier Ils sont insatiables et insupportables à eux-mêmes. Il est bien juste qu’ils soient toujours inquiets, toujours vides, puisqu’ils ne désirent qu’une chose qui ne pourra jamais les satisfaire. Ce qui les empochent d’être rassasiés, c’est qu’ils désirent une chose finie, tandis qu’ils sont une chose infinie, puisque leur être ne finira jamais, quoiqu’ils meurent à la grâce par le péché.

10.- L’homme est au-dessus des choses créées, et les choses créées ne sont pas au dessus de lui ; il ne peut se rassasier et trouver le repos que dans une chose plus grande que lui. Au dessus de lui ; il n’y a rien que moi, l’Éternel, aussi je puis seul le rassasier. Tant qu’il se prive de moi par sa faute, il est dans une peine et un tourment continuels Après la peine viendront les larmes, et les vents frapperont l’arbre de l’amour sensuel, qui est le principe de tout mal.

 

 

XCIV.- Les mondains qui pleurent sont battus par quatre vents différents.

 

 

 

 

1.- Les mondains sont agités par quatre sortes de vents, (157) le vent de la prospérité, le vent de l’adversité, le vent de la crainte et le vent de la conscience. Le vent de la prospérité nourrit dans l’âme l’orgueil, la haute estime de soi-même et le mépris du prochain. S’il domine, il multiplie l’injustice, la vanité du coeur, les impuretés du corps et de l’esprit, l’amour-propre, et tous les vices qui en viennent. Ta langue ne suffirait pas à les raconter.

2.- Est-ce le vent de la prospérité qui est corrompu lui-même? Non certainement, ni ce vent ni les autres. Ce qui est corrompu, c’est la racine de l’arbre, et tout ce qui en sort est corrompu. Moi qui suis la Bonté suprême, je vous donne toute chose, et le vent de la prospérité que je vous envoie ne peut être mauvais. Si les mondains pleurent, c’est que leur coeur n’est pas rassasié, il désire ce qu’il ne peut avoir; cette privation cause sa peine et la peine cause les larmes; parce que l’oeil veut toujours satisfaire le coeur.

3.- Vient ensuite le vent de la crainte servile, qui fait que l’homme a peur de son ombre, tant il craint de perdre ce qu’il aime. Il craint de perdre, ou sa vie, ou ses enfants, ou d’autres créatures. Il tremble pour sa fortune ou celle des autres qui l’intéressent, pour ses honneurs et ses richesses. Cette crainte ne le laisse pas jouir en paix, parce qu’il ne possède pas selon les règles de ma volonté: de là sa crainte servile et continuelle. Il se rend l’esclave malheureux du péché; il s’assimile à la chose qu’il sert, et comme le péché est un néant, il va au néant.

4.- Lorsque le vent de la crainte l’a frappé, il ressent bientôt celui de l’adversité, qu’il redoutait et qui le prive de ce qu’il possède, en tout ou en partie. Quelquefois il perd tout en perdant la vie; la mort le dépouille de toute chose. Quelquefois la ruine n’est pas si complète il perd la santé, ou ses enfants, ses richesses, son rang, ses honneurs, selon que moi, le bon médecin, je vois que votre salut le réclame. Je vous avais donné ces choses pour votre bien, mais votre fragilité a tout corrompu. L’âme méconnaît la vérité et ne goûte pas le fruit de la patience. Elle produit l’impatience, les scandales, les murmures, la haine, l’aversion pour moi et pour mes créatures.

5.- Ainsi, ce que je lui avais donné pour la vie, elle le reçoit pour la mort, et la douleur de leur perte est (158) proportionnée à leur amour. Elle est réduite à des larmes pleines d’impatience, qui la dessèchent et la tuent, en lui enlevant la vie de la grâce. Le corps lui-même se consume et dépérit; l’homme malheureux perd la vue spirituelle et corporelle; il n’a plus de bonheur, d’espérance, parce qu’il est privé de ce qu’il aimait, de ce qui était son affection, sa foi, son espérance ; et il verse des larmes. Ce ne sont pas seulement ces larmes qui causent ces tristes effets, c’est aussi l’amour déréglé et la peine du coeur d’où viennent ces larmes.

6.- Les larmes des yeux ne donnent pas la mort, c’est la racine d’où elles procèdent, c’est à-dire l’amour propre déréglé du coeur. Si le coeur était réglé et avait la vie de la grâce, ses larmes seraient réglées, et il connaîtrait que moi, l’Éternel, je veux lui faire miséricorde. J’ai dit que les larmes donnaient la mort, car les larmes sont des messagères qui vous annoncent la vie ou la mort qui est dans le coeur.

7.- Le vent de la conscience se fait aussi sentir, et c’est un acte de ma divine bonté. J’ai voulu attirer l’homme par l’amour, au moyen de la prospérité. J’ai essayé ensuite la crainte, pour le porter par le trouble de son coeur à aimer d’une manière sainte et méritoire. Je I’ai enfin éprouvé par la tribulation, afin qu il connut la fragilité et le peu de consistance du monde. Lorsque tout a été inutile, mon amour ineffable lui accorde le remords de la conscience, afin qu’il ouvre la bouche et qu’il vomisse la corruption du péché par la sainte confession. Mais les malheureux obstinés s’éloignent toujours de moi par leurs fautes et ne veulent recevoir ma grâce d’aucune manière. Ils fuient le remords de la conscience, et s’en délivrent par des plaisirs coupables, par des offenses contre moi et contre le prochain Il en est ainsi parce que la racine et l’arbre sont corrompus tout devient mortel pour eux, et ils sont dans des peines continuelles et des larmes amères.

8.- S’ils ne se convertissent pas pendant qu’ils ont encore le temps de se servir du libre arbitre, ils passent des larmes finies à des larmes infinies. Le fini devient infini, parce que ces larmes ont été répandues avec une haine infinie de la vertu, c’est-à-dire avec un désir de l’âme fondé sur une haine infinie. Il est vrai que, s’ils avaient voulu, ils seraient (159) sortis de ces larmes, avec le secours de ma grâce, quand ils étaient encore libres. J’ai dit ces larmes infinies quant au désir et à l’être de l’âme, mais non quant à la haine et à l’amour qui est dans l’âme. Car, tant que vous êtes dans cette vie, vous pouvez aimer et haïr à votre gré : mais si l’homme finit dans l’amour de la vertu, il reçoit un bien infini, et s’il finit dans la haine, il reste dans une haine infinie en recevant l’éternelle damnation, comme je te l’ai dit lorsque je te parlais de ceux qui se noyaient dans le fleuve.

9.- Ceux-là ne peuvent désirer le bien parce qu’ils sont privés de ma miséricorde et de la charité que goûtent les saints, les uns avec les autres. Ils sont privés aussi de votre charité pendant que vous êtes voyageurs sur cette terre, où je vous ai placés pour que vous arriviez à moi, la Vie éternelle ; les prières, les aumônes, les autres bonnes oeuvres ne leur servent plus de rien. Ce sont des membres retranchés du corps de ma charité divine, parce que, pendant qu’ils ont vécu, ils n’ont pas voulu être unis à l’obéissance de mes saints commandements, dans le corps mystique de la sainte Église, leur mère, dans sa douce obéissance, où vous puisez le sang de l’Agneau sans tache, mon Fils bien-aimé.

10.- Ils recueillent le fruit de l’éternelle damnation, avec les pleurs et les grincements de dents. Ce sont les martyrs du démon ; le démon leur donne le fruit qu’il a lui-même. Ainsi, tu le vois, les pleurs des mondains leur procurent des peines amères dans le temps, et à la mort la société éternelle des démons.

 

XCV.- Du fruit des secondes et des troisièmes larmes.

 

 

 

 

1.-Il me reste maintenant à te parler du fruit que reçoivent ceux qui commencent à quitter le péché par crainte du châtiment. Quelques-uns sortent de la mort du péché mortel par crainte du châtiment, et, comme je te l’ai dit, c’est la vocation commune. Quel fruit en retirent-ils? ils commencent à purifier la demeure de leur âme des souillures du péché. Le libre arbitre y est déterminé par la crainte, et dès qu’ils ont ainsi purifié l’âme de ses fautes, ils reçoivent la paix de la conscience, disposent (160) leur âme à l’amour, et, en considérant leur intérieur, où ils n’apercevaient, avant- de l’avoir débarrassé, que la corruption de leurs nombreux péchés, ils commencent à recevoir la consolation, parce que le ver de la conscience est tranquille et qu’ils sont prêts à prendre la nourriture des vertus.

2.- Ainsi fait l’homme lorsque son estomac est débarrassé des humeurs mauvaises ; son appétit le porte à prendre des aliments. De même ceux-ci attendent que la main du libre arbitre prépare avec le désir la nourriture des vertus que l’âme doit prendre. En effet, l’âme, en éprouvant cette crainte, purifie du péché ses affections ; elle reçoit le second fruit, c’est-à-dire le second état des larmes où l’âme, poussée par l’amour, commence à orner de vertus sa demeure, quoiqu’elle soit encore imparfaite. Pourvu qu’elle quitte la crainte, elle reçoit la consolation et la douceur, parce que son coeur jouit de ma vérité et de moi, qui suis l’amour même. Et à cause de la douceur, et de

la consolation qu’elle trouve en moi, elle commence à aimer avec bonheur, parce qu’elle jouit de moi et des créatures à cause de moi.

3.- En exerçant l’amour qui est entré dans le coeur purifié par la crainte, l’âme commence à goûter les fruits de ma divine bonté ; et dès que l’amour est maître de l’âme, elle commence à jouir en recevant les fruits nombreux et variés de la consolation. Par la persévérance, elle, obtient enfin de s’asseoir au festin, c’est-à-dire que, quand elle a passé de la crainte à l’amour des vertus, et qu’elle est arrivée aux troisièmes larmes, elle s’asseoit à son festin, elle dresse la table de la très sainte Croix dans son coeur ; dès qu’elle l’a mise, elle y trouve la nourriture du doux et tendre Verbe, qui lui montre mon honneur et votre salut ; car c’est pour mon honneur et votre salut que le coeur de mon Fils bien-aimé a été ouvert, et que sa  chair vous a été offerte en aliment. Alors elle se nourrit de mon honneur et du salut des âmes, avec la haine et l’horreur, du péché.

4.- Quel fruit reçoit l’âme de ce troisième état des larmes? Elle reçoit une force fondée sur une sainte haine de la sensualité, avec le doux fruit d’une humilité véritable et d’une patience qui ôte tout scandale et délivre l’âme de toute (161) affliction, parce qu’avec le glaive de la haine elle a tué sa propre volonté, principe de vos peines. Il n’y a que la  volonté sensitive qui se scandalise des injures, des persécutions, de la privation des consolations temporelles et spirituelles, comme je te l’ai dit, et ç’est ainsi que l’âme tombe dans l’impatience. Mais quand sa volonté est morte dans les douces larmes du désir, elle commence à goûter le fruit de la patience.

5.- O fruit d’une extrême suavité, combien tu es doux à qui te goûte, et combien tu m’es agréable! Tu fais trouver la douceur dans l’amertume, la paix au milieu des injures. Lorsque la mer est bouleversée par la tempête, et que les vents furieux poussent des vagues immenses sur la barque de ton âme, tu restes calme et tranquille sans recevoir aucun mal. Ta barque est protégée par la  volonté divine, une ardente charité l’enveloppe comme d’un vêtement, et il est impossible à l’eau d’entrer.

6.- O ma fille bien-aimée, la patience est une reine qui résiste sur un roc inébranlable ; elle est toujours victorieuse, jamais vaincue. Elle n’est pas seule, car la persévérance l’accompagne ; elle est la moelle de la charité, et c’est celle qui montre qu’on porte la robe nuptiale. Si ce vêtement est déchiré par l’imperfection, elle le fait voir sur-le-champ par son contraire, c’est-à-dire par l’Impatience.

 7.- Toutes les vertus peuvent tromper quelque temps et faire croire qu’elles sont parfaites, lorsqu’elles sont imparfaites ; mais elles ne peuvent se cacher devant, toi, ô Patience, parce que tu es le miroir de l’âme : tu es l’essence de la charité et tu montres si les vertus sont vivantes et parfaites. Dès que tu es absente, on voit que toutes les vertus sont imparfaites, et qu’elles ne sont pas encore nourries à la table de la sainte Croix. L’âme te conçoit dans la connaissance d’elle-même et dans la connaissance de ma bonté ; elle t’enfante par une sainte haine et te fortifie par une humilité véritable ; tu peux toujours prendre la nourriture de mon honneur et du salut des âmes, et tu t’en rassasies sans cesse.

8.- Ma fille bien-aimée, regarde mes doux et glorieux martyrs, qui se nourrissaient des âmes par la patience. Leur mort donnait la vie ; ils  ressuscitaient les morts, et chassaient les ténèbres du péché. Le monde et toutes ses (162) grandeurs, les princes et toute leur puissance ne pouvaient leur résister, à cause de la royale vertu de la patience.

9.- Cette vertu est la lampe sur le candélabre ; c’est le fruit glorieux que donnent les larmes, lorsque l’âme, parvenue à la charité du prochain, se nourrit avec l’Agneau sans tache, mon Fils unique, par le supplice de son, désir, et le tourment qu’elle ressent de l’offense qui m’outrage. Ce n’est pas une peine qui l’afflige, parce que l’amour avec la vraie patience tue la crainte et l’amour-propre, qui donnent la peine. Mais c’est une peine pleine de douceur qui vient de l’offense qui m’est faite, et du malheur du prochain. Elle a pour principe la charité, et cette peine engraisse l’âme qui s’en réjouit, parce que c’est une preuve qui lui montre que je suis en elle par ma grâce.

 

 

XCVI.- Du fruit des quatrièmes larmes unitives.

 

 

 

 

1.- Je t’ai dit le fruit des troisièmes larmes ; vient ensuite le quatrième et dernier état des larmes unitives, qui n’est pas séparé du troisième. Ils sont unis ensemble, comme ma charité avec celle du prochain ; l’une est préparée par l’autre ; mais, en arrivant au quatrième état, l’âme a fait tant de progrès, qu’elle souffre non seulement avec patience, mais qu’elle désire encore souffrir. Elle méprise toute jouissance, de quelque côté qu’elle vienne, pourvu qu’elle puisse ressembler à Jésus crucifié.

2.- Elle reçoit un fruit de paix spirituelle, une union par sentiment avec ma nature divine, dont elle goûte le lait comme l’enfant qui se repose paisiblement sur le sein de sa mère, pendant que ses lèvres y puisent la nourriture de même, l’âme arrivée à ce dernier état repose sur le sein de ma divine charité, Elle tient les lèvres du saint désir sur la chair de Jésus crucifié : c’est-à-dire qu’elle suit ses traces et sa doctrine ; car elle a bien compris dans le troisième état, qu’on ne pouvait avancer par moi le Père, parce qu’en moi ne peut se trouver la peine ; elle se trouve dans mon Fils bien-aimé, le doux et tendre Verbe.

 3.- Oui, vous ne pouvez avancer sans peine ; c’est en souffrant beaucoup que vous arriverez à des vertus solides. L’âme se placé donc sur le sein de Jésus crucifié ; elle tire à (163) elle le lait des vertus qui lui donnent la vie de la grâce, elle y goûte ma nature divine qui rend douces les vertus. Les vertus en elles-mêmes n’étaient pas douces, mais elles le sont devenues, parce qu’elles ont été faites et unies en moi,

l’Amour suprême ; car l’âme n’a pas pensé à elle, mais seulement à mon honneur et au salut des âmes.

4.- Regarde, ma fille, combien est doux et glorieux cet état où l’âme s’attache tellement au sein de la charité, que jamais ses lèvres ne se séparent de cette source inépuisable. L’âme ne se trouve ainsi jamais sans Jésus crucifié, et sans moi le Père, qu’elle a trouvé en goûtant l’éternelle et souveraine Déité. Oh! qui pourra comprendre combien s’enrichissent les puissances de cette âme? La mémoire se remplit continuellement de mon Souvenir ; elle se rappelle avec amour tous mes bienfaits ; non pas à cause des bienfaits eux-mêmes, mais à cause de la charité avec laquelle je les lui ai accordés. Elle se rappelle d’abord le bienfait de la création

qui l’a faite à mon image et ressemblance ; puis, dans le premier état, la peine qui a puni son ingratitude, et ensuite la délivrance de ses fautes par le bienfait du sang du Christ dans lequel je l’ai fait renaître à la grâce en lui ôtant la lèpre du péché. Elle se rappelle que, dans le second état, elle a goûté la douceur de l’amour et le repentir du péché qu’elle voit m’avoir tellement déplu que je l’ai puni sur le corps de mon Fils unique. Elle se rappelle enfin le bienfait de la venue du Saint-Esprit, qui l’a éclairée, et qui l’éclaire dans la vérité.

5.- Quand l’âme reçoit-elle cette lumière? Lorsqu’elle a reconnu, dans le premier et le second état, ma libéralité envers elle. Elle reçoit alors la lumière parfaite ; elle connaît ma vérité, c’est-à-dire que par mon amour paternel je l’ai créée pour lui donner la vie éternelle ; et cette vérité je l’ai montrée par le sang de Jésus crucifié. Dès qu’elle la connaît elle l’aime ; dès qu’elle l’aime, elle le prouve en aimant purement ce que j’aime et en haïssant ce que je hais. Elle se trouve ainsi dans le troisième état de la charité du prochain. La mémoire se nourrit alors sur le sein de la charité ; elle se dépouille de toute imperfection, parce qu’elle s’est rappelé et qu’elle a retenu mes bienfaits.

6.- L’intelligence a reçu la lumière ; en regardant dans la mémoire elle a connu la vérité, et en perdant l’aveuglement (164) de l’amour-propre, elle est restée dans le soleil de son objet, Jésus crucifié, qu’elle connaît vrai Dieu et vrai homme. Outre cette connaissance que lui donne cette union, elle s’élève à une lumière acquise, non par sa nature, ni par son propre mérite, mais par la grâce particulière que lui donne ma Vérité, qui ne méprise jamais l’ardeur des désirs et les fatigues

 qu’on offre devant moi. Alors le coeur qui suit toujours l’intelligence, s’unit à moi d’un amour très parfait et très enflammé. Et si quelqu’un me demandait ce qu’est cette âme, je répondrais : Un autre moi-même par l’union de l’amour.

7.- Quelle langue pourrait dire l’excellence de ce dernier état, et les fruits nombreux et variés qu’en retirent les trois puissances de l’âme? C’est de leur sainte union que je te parlais en t’expliquant, à l’occasion des trois degrés, la parole de ma Vérité. Non, la langue ne peut le dire ; cependant les saints docteurs, éclairés par cette glorieuse lumière, l’ont montrée en- expliquant la Sainte Écriture. Tu sais que le grand saint Thomas d’Aquin, de ton Ordre, puisa plutôt la science dans la prière, l’extase et la lumière de l’intelligence, que dans les études humaines. C’est une lumière que j’ai  donnée au corps mystique de la sainte Eglise pour dissiper les ténèbres de l’erreur.

8.-Si tu regardes le glorieux évangéliste saint Jean, quelle lumière puisa-t-il sur le sein du Christ, ma Vérité! Et avec cette lumière, combien longtemps il annonça ma Vérité! Tous, par leur parole, ont propagé cette lumière d’une manière ou d’une autre. Mais quant au sentiment intérieur, à la douceur ineffable que donne l’union parfaite, la langue ne pourra jamais l’exprimer, puisqu’elle est une chose finie.

C’est ce que saint Paul affirmait en disant : « L’oeil ne peut  voir, l’oreille entendre, le coeur imaginer le bonheur que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment véritablement »

(I Cor., II, 9).

 9.- Oh! qu’elle est douce cette demeure! douce au dessus de toutes les douceurs, par l’union parfaite de l’âme en moi. Cette union est telle que la volonté disparaît de l’âme, parce qu’elle ne fait plus qu’un avec moi. Elle répand par le monde le parfum et le fruit de ses humbles et continuelles prières ; l’encens de son désir prie sans cesse pour le salut des âmes ; c’est une voix sans parole humaine, qui crie toujours en présence de ma divine Majesté. (165)

10.- Ce sont ces fruits de l’union qui. nourrissent l’âme pendant la vie, dans ce dernier état, acquis par bien des fatigues, des larmes et des sueurs. Elle passe ainsi avec la persévérance dans la grâce de cette union qui est encore imparfaite, à l’union durable et éternelle. Je dis imparfaitement, uniquement parce qu’elle ne peut se rassasier de ce qu’elle désire tant qu’elle est dans les liens d’un corps mortel, où se trouve une loi perverse ; cette loi est endormie par l’amour de la vertu : elle n’est pas morte, et elle peut se réveiller, si la puissance de la vertu qui l’endort, disparaît. C’est pour cela qu’on peut appeler cette union imparfaite, mais cette union imparfaite conduit l’âme à recevoir la perfection durable que rien ne peut détruire, comme je te le disais en parlant des Bienheureux qui me goûtent véritablement, moi la Vie, le Bien suprême qui ne finit jamais.

11.- Ceux-là ont reçu la vie, tandis que les autres n’ont recueilli de leurs larmes que la mort. Ils sont arrivés à la joie par des larmes qui leur ont mérité des récompenses éternelles, et leur ardente charité crie toujours vers moi et m’offre sans cesse des larmes de feu pour vous. Maintenant je t’ai dit les différents degrés de larmes, leur valeur, leurs perfections et les fruits qu’en retirent les âmes. Les parfaits reçoivent la vie éternelle et les méchants l’éternelle damnation.

 

 

XCVII.- L’âme remercie Dieu de lui avoir appliqué les larmes, et elle lui fait trois demandes.

 

 

 

 

1.- Alors cette âme enflammée d’un ardent désir par les explications que Dieu, la Vérité même, lui avait données des différents états de larmes, disait dans la violence de son amour : Grâces, grâces vous soient rendues, ô Père, qui satisfaites les saints désirs, et qui vous passionnez pour nôtre salut ; vous qui, au moment où nous étions en guerre avec vous, nous avez montré tant d’amour, par le moyen de votre Fils unique! Au nom de cet amour ineffable, je vous demande, par grâce et miséricorde, de pouvoir arriver sûrement à vous, non dans les ténèbres, mais dans la lumière ; ne suivre la doctrine de votre Vérité, que vous m’avez clairement montrée.

2.- Afin de pouvoir distinguer deux pièges que je crains (166) de rencontrer, je voudrais, ô Père éternel, qu’avant de finir ce sujet vous m’expliquiez ces deux points : D’abord, si quelqu’un s’adressait à moi ou à un de vos autres serviteurs, et demandait conseil sur la manière de vous servir, quelle doctrine faudrait-il lui donner? Je sais bien ; mon Dieu, que vous m’avez déjà expliqué cette parole que vous m’avez dite : « Je suis celui qui aime peu de mots et beaucoup d’actions ». Cependant, s’il plaisait fi votre bonté de m’en dire e-acore quelque chose, je serais bien heureuse.

3.- Si en priant pour vos créatures et particulièrement pour vos serviteurs, je voyais, dans l’oraison, une âme bien disposée et paraissant jouir de vous et si j’en voyais une autre qui semblerait obscure, devrais-je, ô Père éternel, juger que l’une est dans la lumière et l’autre dans les ténèbres? Ou si je voyais quelqu’un faire de grandes pénitences et un autre y être étranger, devrais je juger qu il y a une plus grande perfection dans celui qui fait de grandes pénitences que dans celui qui a en fait pas ? Faites, mon Dieu, que je ne m’égare pas dans mon peu de clairvoyance, et expliquez moi plus particulièrement ce que vous m avez dit d’une manière générale.

4.- La seconde chose que je vous demande, c’est de me montrer davantage, le signe auquel on reconnaît si c’est vous qui visitez l’âme, ou si ce n’est pas vous. Il me semble que vous me disiez, Ô Vérité éternelle, que l’âme reste alors joyeuse et portée à la vertu. Je voudrais savoir si cette joie peut être une illusion de la passion spirituelle ; si cela était, je ne m’arrêterais qu’au signe de la vertu. Ces choses, je vous les demande afin de pouvoir vous servir dans la vérité, afin de servir le prochain et de ne faire aucun faux jugement à l’égard de vos créatures et de vos serviteurs. Car juger ainsi éloigne l’âme de vous, et je ne voudrais pas tomber dans ce malheur.

 

 

 

XCVIII.- La lumière de la raison est nécessaire à celui qui veut servir Dieu.- De la lumière générale.

 

 

1.- Alors l’Éternel, se délectant de la soif et de la faim de cette âme, de la pureté de son coeur et du désir avec lequel elle demandait les moyens de le servir, jeta-sur elle  les regards de sa miséricordieuse bonté, en lui disant : Ma (167) bien-aimée, ma chère et douce fille, mon épouse fidèle, élève-toi au dessus de toi-même, et ouvre l’oeil de ton intelligence pour contempler ma bonté infinie et l’amour ineffable que j’ai pour toi et pour mes autres serviteurs. Ouvre l’oreille de ton coeur et de ton désir ; car, si tu ne voyais pas, tu ne pourrais pas entendre et connaître ma Vérité.

2.- L’âme qui ne voit pas avec l’oeil de son intelligence l’objet de ma Vérité, ne peut entendre ni connaître ma Vérité, et je veux que, pour la mieux connaître, tu t’élèves au dessus de tes sens. Tes demandes et tes désirs me sont agréables et je vais y satisfaire. Mon bonheur ne peut venir de vous, car je suis Celui qui suis ; je puis vous enrichir, et vous ne pouvez rien pour moi ; je nie réjouis en moi-même de mes oeuvres.

3.- Alors cotte âme obéissante s’éleva au dessus d’elle-même, pour connaître la vérité sur ce qu’elle demandait ; et l’Éternel lui dit : Afin que tu puisses mieux comprendre ce que je te dirai, je commencerai par te parler des trois lumières qui sortent de moi, la vraie Lumière.

4.- La première lumière est une lumière générale pour ceux qui sont dans la charité commune. Je t’en ai déjà entretenu de plusieurs manières, mais je te répéterai certaines choses, afin que ton faible entendement comprenne mieux ce que tu désires savoir : Les deux autres lumières sont pour ceux qui se séparent du monde et veulent atteindre la perfection ; et sur ce sujet je te dirai ce que tu m’as demandé, et je t’expliquerai particulièrement ce que j’en ai dit d’une manière générale.

5.- Tu sais que, sans la lumière de la raison, personne ne peut aller par la voie de la vérité ; et cette lumière de la raison, vous la tirez de moi, la vrai Lumière, au moyen de l’intelligence et avec la lumière de la foi que je vous ai donnée dans le saint baptême, si vous ne vous en privez pas par vos fautes.

6.- Le baptême, par la vertu du sang de mon Fils unique, vous a donné la forme de la foi ; et cette foi s’exerce par la vertu, par la lumière de la raison. La raison s’illumine de cette lumière qui vous donne la vie et vous fait marcher dans la voie de la vérité. Avec cette lumière vous parvenez à moi, la vraie Lumière, et sans elle vous n’arriverez qu’aux ténèbres. (168)

7.- Deux lumières qui viennent de cette lumière vous sont nécessaires, et à ces deux lumières j’en joindrai une troisième. La première vous fait clairement comprendre les choses transitoires du monde qui passe comme le vent ; mais vous ne pouvez le bien connaître, si vous ne connaissez pas d’abord votre propre fragilité, et combien elle s’incline vers la loi perverse qui est attachée à vos membres pour combattre contre moi, votre Créateur. Cette loi ne peut forcer personne à commettre le moindre péché, si la volonté n’y consent pas, mais elle combat violemment contre l’esprit.

8.- Je n’ai pas donné cette loi pour que la créature raisonnable fût vaincue, mais pour que la vertu augmentât et fût éprouvée dans l’âme, car la vertu ne s’éprouve que par les contraires. La sensualité est contraire à l’esprit, et c’est par la sensualité que l’âme montre l’amour qu’elle a pour moi, son Créateur. Comment le prouve-t-elle? Lorsqu’elle se combat elle-même par le mépris.

9.- J’ai aussi donné cette loi aux hommes, pour les, conserver dans l’humilité véritable. Tu dois voir qu’en créant l’âme à mon image et à ma ressemblance, et en l’élevant à une si haute dignité et beauté, je l’ai associée en même temps aux choses les plus viles en lui donnant cette loi perverse, en la liant à un corps formé de la fange de la terre, afin que, voyant sa beauté, elle ne levât pas orgueilleusement la tête contre moi.

10.- Ainsi donc, l’homme fragile qui a cette lumière, a raison d’humilier son âme, et n’a aucun sujet de s’enorgueillir, mais il doit concevoir une humilité sincère et parfaite. Cette loi ne peut aucunement forcer au péché, mais elle est un moyen de vous donner la connaissance de vous-même et de l’instabilité de la vie présente. C’est ce que doit voir l’oeil de l’intelligence avec la lumière de la sainte foi qui est, comme je te l’ai dit, la prunelle de l’oeil.

11.- Cette lumière est nécessaire à toute créature raisonnable qui désire, dans quelque état que ce soit, participer à la vie de la grâce et au fruit du sang de l’Agneau sans tache. C’est la lumière générale que chacun doit avoir : et. s’il ne l’avait pas, il serait en état de damnation. Et ce qui l’empêche d’être en état de grâce, c’est de n’avoir pas la lumière ; celui qui n’a pas la lumière ne connaît pas le mal (169) de la faute et ce qui en est la cause, et par conséquent il ne peut pas fuir et détester cette cause.

12.- Il ne connaît pas non plus le bien et la cause du bien, c’est-à-dire la vertu ; il ne peut m’aimer et me désirer, moi qui suis le Bien suprême ; il ne peut aimer et désirer la vertu, que je vous ai donnée comme instrument et comme moyen pour obtenir ma grâce et le bien véritable. Tu dois comprendre quel besoin vous avez de cette lumière ; car vos fautes ne consistent qu’à aimer ce que je hais et à haïr ce que j’aime. J’aime la vertu et je hais le vice ; celui qui aime le vice et hait la vertu, m’outrage et se prive de ma grâce. Il va comme un aveugle, ne connaissant pas la cause du vice, qui est l’amour-propre sensitif. Il ne se hait pas lui-même ; il ne connaît pas le vice et le mal qui vient du vice ; il ignore aussi la vertu, et il m’ignore, moi qui lui donne la vertu et qui lui accorde la vie et la dignité où il se conserve et acquiert la grâce par le moyen de la vertu. Tu vois que son aveuglement est la cause de son mal, et que cette lumière vous est nécessaire.

 

 

 

XCIX.- De la seconde lumière, plus parfaite que la lumière générale.

 

 

 

 

1.- Lorsque l’âme est parvenue à la lumière générale dont je viens de te parler, elle ne doit pas s’en contenter ; car tant que vous êtes dans le pèlerinage de cette vie, vous pouvez avancer, et celui qui n’avance pas recule. Il faut avancer dans la lumière générale acquise par ma grâce et s’efforcer d’atteindre la seconde lumière en allant de l’imparfait au parfait, parce qu’il faut avec la lumière arriver à la perfection.

2.- Dans cette seconde lumière il y a deux sortes de parfaits ; les parfaits sont ceux qui ont quitté la vie commune du monde, et dans cette perfection il y a deux états :

le premier, où sont ceux qui s’appliquent entièrement à châtier leur corps par de rudes et de grandes pénitences, pour que leurs sens ne se révoltent pas Contre la raison ; ils mettent plus de soin à mortifier leur corps qu’à tuer leur volonté, comme je te l’ai déjà dit.

3.- Ceux-là se nourrissent à la table de la pénitence. (170) Ils sont bons et parfaits si leur pénitence est fondée en moi, avec la lumière de la discrétion, c’est-à-dire avec l’humble connaissance d’eux-mêmes et de moi, surtout s’ils s’appliquent plus à voir ma volonté que celle des hommes. S’il en était autrement, c’est-à-dire s’ils ne se revêtaient pas humblement de ma volonté, ils nuiraient souvent à leur perfection, en jugeant mal ceux qui ne suivent pas la voie où ils marchent. Et sais-tu pourquoi cela leur arriverait ? Parce qu’ils mettent plutôt leurs soins et leurs désirs à mortifier leur corps qu’à tuer leur volonté.

4.- Ils veulent choisir eux-mêmes le temps, le lieu des consolations spirituelles, comme aussi les tribulations du monde et les attaques du démon, Ils se laissent égarer par la volonté propre que j’ai appelée la volonté spirituelle, et ils disent : Je voudrais cette consolation et non cette tentation, cette attaque du démon. Je ne le désire pas pour moi, mais pour plaire davantage à Dieu et avoir une grâce plus abondante dans mon âme ; car il me semble que je le servirai bien mieux de cette manière que d’une autre.

5.- C’est ainsi que souvent l’âme tombe dans la peine et l’ennui, et qu’elle devient insupportable à elle-même. Elle nuit de la sorte à sa perfection et ne s’aperçoit pas de la corruption de l’orgueil qui l’envahit. Car, si l’âme était véritablement humble et sans présomption, elle verrait, à la lumière de la raison, que moi, la Vérité même, je distribue à chacun l’état, le temps, le lieu, la consolation, la tribulation, selon que le réclament votre salut et la perfection à laquelle j’appelle les âmes ; elle verrait que toute chose vient de mon amour et quelle doit recevoir tout par conséquent avec soumission et amour, comme le font ceux qui parviennent au troisième état et qui restent dans la lumière parfaite.

 

C.- De la troisième et parfaite lumière.- Des oeuvres de l’âme parvenue à cette lumière.

 

 

 

 

1.- Ceux qui arrivent à cette glorieuse lumière sont parfaits dans toutes les conditions où ils se trouvent. Ils reçoivent avec respect tout ce qui leur arrive par ma (171) permission, ainsi que je te l’ai dit en te parlant du troisième état unitif de l’âme. Ils se croient dignes des peines, des scandales du monde, et de la privation de toute sorte

de consolation ; comme ils se croient dignes des peines, ils se trouvent indignes des récompenses qui suivent les peines.

2.- Ils connaissent et goûtent dans la lumière mon éternelle volonté qui ne veut autre chose que votre bien, car tout ce que je donne et permet est afin que vous soyez sanctifiés en moi. Dès que l’âme l’a reconnu, elle se revêt de ma volonté ; elle ne songe à autre chose qu’au moyen de conserver et d’accroître sa perfection pour la gloire et l’honneur de mon nom. Elle fixe par la lumière de la foi l’oeil de son intelligence sur Jésus crucifié, mon Fils unique, en, aimant et en suivant sa doctrine

qui est la règle et la voie des parfaits et des imparfaits. Elle voit que le tendre Agneau, mon Fils, lui donne la doctrine de la perfection, et cette vue la remplit d’amour.

3.- La perfection est la connaissance de ce doux et tendre Verbe, mon Fils unique, qui s’est nourri à la table du saint désir, en cherchant l’honneur de son Père et votre salut. C’est ce désir qui l’a fait courir avec ardeur à la mort ignominieuse de la Croix, et satisfaire à l’obéissance que moi le Père, je lui avais imposée. Il n’a pas craint la fatigue et les opprobres ; il n’a pas reculé devant votre ingratitude et votre aveuglement à ne pas reconnaître les bienfaits dont il vous comblait. Il ne

s’est pas laissé arrêter par les persécutions des Juifs, les mépris, les affronts, les murmures du peuple ; mais il a triomphé de tout comme un vaillant capitaine, un

généreux chevalier que j’avais envoyé sur le champ de bataille pour vous tirer des mains du démon, pour vous affranchir, vous délivrer du plus triste esclavage où vous puissiez tomber, pour enseigner la voie et la doctrine qui peut vous conduire à moi, la Vie éternelle, au moyen de son sang précieux, répandu avec tant d’amour et avec tant de haine de vos fautes.

4.- C’est comme si le doux ,et tendre Verbe, mon Fils, vous disait : Voici que je vous ai tracé la voie et que je vous ai ouvert la porte avec mon sang ; ne soyez donc pas négligents à la suivre, ne vous arrêtez pas dans (172) votre amour-propre, dans l’ignorance de la voie et dans la prétention de vouloir me servir à votre manière et non à la mienne. Je vous ai tracé la voie droite par -le moyen du Verbe incarné qui l’a arrosée de son sang. Levez-vous donc et suivez-le, car personne ne peut venir à moi, le Père, si ce n’est par lui. Il est la voie et la porte par laquelle il faut entrer en moi, l’océan de la paix.

5.- Lorsque l’âme est parvenue à goûter cette lumière et qu’elle en connaît la douceur parce qu’elle l’a goûtée, elle court vers moi dans l’ardeur et la passion de son amour, sans penser à elle, sans chercher les consolations spirituelles et temporelles, comme une personne qui a complètement renoncé à sa propre volonté. Dans cette lumière et cette connaissance, elle ne fuit aucune fatigue, de quelque côté qu’elle vienne : elle se réjouit au contraire de souffrir les opprobres, les attaques du démon, les murmures des hommes ; elle se nourrit de mon honneur et du salut des âmes sur la table de la sainte Croix. Elle ne demande aucune récompense ni de moi ni des créatures, car elle s’est dépouillée de l’amour mercenaire qui m’aime par intérêt. Elle s’est revêtue de la lumière parfaite en m’aimant, sans songer à autre chose qu’à la gloire, à la louange de mon nom, et en me servant, sans penser au bonheur qu’elle y trouve et à l’utilité que lui procure le  prochain, mais en agissant par pur amour.

6.- Ceux-là se sont perdus eux-mêmes et se sont dépouillés du vieil homme, c’est-à-dire de la sensualité, pour se revêtir de l’homme nouveau, le Christ, le doux Jésus, ma Vérité, qu’ils suivent avec courage. Ceux-là sont assis à la table du saint désir et s’appliquent plus à tuer leur propre volonté qu’à tuer et à mortifier leur corps. Ils mortifient bien aussi leur corps, mais ce n’est pas là leur but principal ;c’est seulement un moyen pour les aider à tuer leur propre volonté, comme je te l’ai dit en t’expliquant cette parole : que je voulais peu de mots et beaucoup d’actions.

7.- En effet, tous vos efforts doivent tendre à tuer votre volonté, et ne vouloir autre chose que suivre ma douce Vérité, le Christ crucifié, en cherchant l’honneur et la gloire de mon nom et le salut des âmes ceux qui sont dans (173) cette glorieuse lumière le font, et c’est pour cela qu’ils sont toujours dans la paix et le repos. Rien ne les scandalise, parce qu’ils ont éloigné ce qui cause le scandale, c’est-à-dire la volonté propre. Les persécutions que le monde et le démon peuvent soulever passent à leurs pieds ; ils traversent les grandes eaux de la tribulation et de la tentation sans qu’elles puissent leur nuire, parce qu’ils sont revêtus et fortifiés par l’ardeur de leur désir. Ils se réjouissent de tout, et ne jugent pas mes serviteurs ni aucune créature raisonnable.

8.- Ils sont heureux de tout ce qu’ils voient, de tout ce qu’ils rencontrent, et ils disent : Grâces vous soient rendues, ô Père éternel ! de ce qu’il y a en votre maison plusieurs demeures ( S. Jean, XIV,2 ). Ils se réjouissent plus de voir mes amis suivre des routes différentes que de les voir suivre tous le même chemin, parce qu’ils admirent plus la grandeur de ma bonté ; tout leur est agréable, et leur semble des roses. Non seulement ils sont édifiés du bien, mais ils ne veulent pas juger ce qui est évidemment mal ; ils éprouvent seulement alors une sainte et vraie compassion, me priant pour ceux qui m’offensent et disant avec une humilité parfaite : Aujourd’hui c’est toi, demain ce sera moi, si la grâce divine ne me conserve.

9.- O ma fille bien-aimée ! passionne-toi pour ce doux, cet excellent état. Contemple ceux qui courent à cette glorieuse lumière ; vois comme leurs âmes sont saintes et se nourrissent pour mon honneur de la nourriture des âmes à la table du saint désir. Ils sont revêtus du beau vêtement de l’Agneau, mon Fils unique, c’est-à-dire de sa doctrine, par l’ardeur de sa charité. Ils ne perdent pas le temps à faire de faux jugements sur mes serviteurs et sur les serviteurs du monde ; ils ne sont jamais scandalisés d’aucun murmure contre eux ou contre le prochain. Ils sont contents de souffrir pour mon nom, et quand une injure est faite aux autres, ils la supportent en compatissant au prochain, ne murmurant pas contre celui qui la fait ou contre celui qui la reçoit.

10.- Leur amour est réglé en moi, le Père céleste. Ils ne s’égarent jamais, et parce qu’il est réglé, ma chère fille, ils ne se scandalisent pas de ceux qu’ils aiment ni (174)

d’aucune créature raisonnable. Leur opinion est morte et non vivante. Ils ne s’arrêtent pas à juger la volonté des autres, mais ils ne voient partout que l’expression de ma miséricordieuse bonté. Ils observent la doctrine qui, tu le sais, te fut donnée au commencement de ta vie par ma Vérité, quand tu lui demandais avec un grand désir comment tu pourrais parvenir à une pureté parfaite. Lorsque tu en cherchais les moyens, tu sais ce qui te fut répondu. Tu t’étais endormie dans ce désir, et la parole retentit non seulement à ton esprit, mais à ton oreille, de telle sorte, s’il t’en souvient, que tu fus rappelée à toi-même.

11.- Ma Vérité te disait clairement : si tu veux arriver à la pureté parfaite ; et que ton esprit ne soit troublé par aucun scandale, il faut toujours m’être unie par l’amour, car je suis la souveraine, l’éternelle Pureté. Je suis le feu qui purifie l’âme véritablement. Plus tu t’approcheras de moi, plus tu deviendras pure ; et plus tu t’en éloigneras, plus tu seras souillée. Les hommes du monde ne tombent dans de si grandes souillures que parce qu’ils sont séparés de moi ; car l’âme qui s’unit à moi participe nécessairement à ma pureté.

12.- Il faut faire une autre chose pour arriver à cette union, à cette pureté : il faut t’abstenir de tout jugement sur ce que tu vois faire ou dire par quelque créature que ce soit, contre toi ou contre les autres ; il ne faut jamais considérer la volonté de l’homme, mais voir ma volonté en toute chose. Si tu vois un péché ou un défaut évident, il faut tirer de l’épine la rose, en m’offrant les coupables par une sainte et fraternelle compassion. Au milieu des injures que tu reçois, juge que ma volonté les permet pour éprouver la vertu en toi et en mes serviteurs, pensant que celui qui les dit est un instrument choisi par moi, et que souvent ses intentions sont bonnes ; car personne ne peut juger les secrets du coeur de l’homme.

13.- Ce que tu ne vois pas être évidemment un péché mortel, tu dois ne pas le juger dans ton esprit et ne voir que ma volonté. Lorsque tu vois un péché évident, tu ne dois pas le condamner, mais en avoir compassion ; de cette manière tu arriveras à la pureté parfaite, parce (175) qu’en faisant ainsi, ton esprit ne sera scandalisé ni en moi, ni dans le prochain. Vous tombez dans le mépris du prochain lorsque vous ne voyez que sa mauvaise volonté envers vous, et non pas ma volonté dans ses actes. Ce mépris et ce scandale séparent l’âme de moi, et empêchent sa perfection. Dans quelques-uns même la grâce est détruite plus ou moins, selon la gravité du mépris et de la haine qu’ils ont contre le prochain en le jugeant.

14.- Le contraire arrive à l’âme qui en tout, comme je te l’ai dit, voit ma volonté toujours attentive à votre bien. Tout ce que je donne et permets est pour que vous parveniez à la fin pour laquelle je vous ai créés. Le moyen de rester toujours dans l’amour du prochain est de rester toujours dans le mien, et l’âme en m’aimant m’est toujours unie.

15.- Si tu veux absolument parvenir à cette pureté que tu me demandes, il faut faire surtout trois choses : T’unir à moi par l’amour, en conservant dans ta mémoire le souvenir des bienfaits que tu as reçus de moi ; voir avec l’oeil de ton intelligence l’ardeur ineffable de ma charité envers vous ; voir enfin ma volonté dans la volonté de l’homme, et non pas sa méchanceté, parce que c’est moi qui suis juge, ce n’est pas vous. Tu arriveras ainsi à la perfection. Telle est la doctrine que t’enseigna ma Vérité, s’il t’en souvient bien.

16.- Maintenant, ma très chère fille, je dis que ceux qui suivent cette doctrine ont, dès cette vie, un avant-goût de la vie éternelle. Si tu la conserves dans ton âme, tu ne tomberas jamais dans les pièges du démon ; car tu les reconnaîtras aux signes que tu m’as demandés. Mais pour satisfaire plus complètement tes saints désirs, je te montrerai que votre jugement ne doit jamais condamner, mais seulement compatir.

 

 

 

 

CI.- Ceux qui sont dans la perfection de la troisième Lumière reçoivent dès ce monde un avant-goût de la vie éternelle.

 

 

1.- Mes serviteurs reçoivent les arrhes de la vie éternelle (176). Je dis les arrhes et non pas la plénitude de la récompense, parce qu’ils espèrent la recevoir en moi, la Vie durable, où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans souffrance ; la peine alors sera séparée de la faim, parce qu’ils auront ce qu’ils désirent, et leur rassasiement ne connaîtra pas l’ennui, parce que je suis une nourriture sans aucun défaut. Ici-bas ils reçoivent les arrhes de ce bonheur, parce que l’âme est affamée de mon honneur et du salut des âmes ; et comme elle en a faim, elle s’en nourrit, c’est-à-dire que l’âme se nourrit de la charité du prochain, dont elle a faim comme d’une nourriture, et en s’en nourrissant elle ne s’en rassasie jamais, parce qu’elle est insatiable et qu’elle a une faim continuelle.

2.- Les arrhes sont une garantie qu’on donne à l’homme pour qu’il attende le payement. Cette sûreté n’est pas parfaite en elle-même, mais par la foi elle donne la certitude d’arriver au complément, et de recevoir en totalité le payement. De même cette âme passionnée et revêtue de ma Vérité a reçu, dès cette vie, les arrhes de ma charité et de la charité du prochain ; elle n’est pas parfaite, mais elle attend la perfection de la vie éternelle.

3.- Ce qu’elle reçoit n’est pas parfait, parce qu’elle n’est, pas arrivée à cette perfection où elle ne souffre ni en elle, ni dans les autres : en elle, par l’offense que me cause la loi perverse qui est dans ses membres et qui combat contre l’esprit ; dans les autres, par les fautes du prochain. Ce qu’elle reçoit est parfait quant à la grâce, mais elle n’a pas la perfection dont jouissent les saints dans le ciel ; car, comme je te l’ai dit, leurs désirs sont sans peine, tandis que les vôtres vous font souffrir.

4.- Mes serviteurs, qui se nourrissent à la table des saints désirs, sont heureux et affligés comme mon Fils unique l’était sur le bois de la sainte Croix ; car sa chair était douloureuse et tourmentée, tandis que son âme était bienheureuse par l’union de la nature divine. De même ceux-là sont bienheureux par l’union de leur saint désir en moi, parce qu’ils ont revêtu ma douce volonté. Ils souffrent parce qu’ils compatissent au malheur du prochain, et qu’ils affligent leurs sens en leur retranchant tous les plaisirs et toutes les consolations temporelles. (177)

 

 

 

 

CII.- Comment on doit reprendre le prochain sans tomber dans de faux jugements.

 

 

 

 

1.- Ma fille bien-aimée, écoute maintenant, afin que tu puisses mieux comprendre ce que tu me demandais. Je t’ai parlé de la lumière générale que vous devez tous avoir, dans quelque état que vous soyez, dès que vous êtes dans la charité commune. Je t’ai dit que ceux qui étaient dans la lumière parfaite l’avaient de deux manières : les uns se séparent du monde et s’appliquent à mortifier leurs corps ; les autres mettent tous leurs soins à tuer leur volonté ; ce sont les parfaits qui se nourrissent à la table du saint désir.

2.- Maintenant je te parlerai plus particulièrement, et en te parlant je parlerai aux autres et je satisferai ton désir. Je veux surtout que, tu fasses trois choses, afin que l’ignorance n’empêche pas la perfection à laquelle je t’appelle. Il ne faut pas que, le démon, sous le manteau de la charité du prochain, nourrisse en toi la racine de la présomption pour te faire tomber dans les faux jugements que je t’ai défendus. Tu croirais juger bien et tu jugerais mal, si tu suivais tes impressions, et le démon te ferait souvent voir beaucoup de vérités pour te conduire au mensonge. Cela t’arriverait si tu te faisais juge des pensées et- des intentions des créatures raisonnables ; car comme je te l’ai dit, je dois seul les juger.

3.- C’est là une des trois choses que je te recommande d’observer. Je veux que tu ne juges personne sans une règle, et je veux que cette règle soit celle-ci : A moins que je ne t’aie manifesté clairement, non seulement une ou deux fois, mais plusieurs fois, le défaut de ton prochain, tu ne dois pas reprendre particulièrement celui en qui tu crois voir ce défaut, mais tu dois reprendre d’une manière générale les vices de celui qui. vient te visiter, et lui prêcher la vertu avec, charité et douceur, en n’ajoutant la sévérité à la douceur que si tu en vois le besoin.

4.- S’il te semble que je t’ai montré souvent les défauts de quelqu’un, mais si tu ne vois pas que ce soit (178) une révélation formelle, comme je te l’ai dit, tu ne dois pas le reprendre particulièrement ; tu dois suivre la voie la plus sûre, afin d’éviter les pièges et la malice du démon qui pourrait te prendre par l’amorce du désir, en te faisant souvent voir dans le prochain ce qui n’y serait pas ; tu pourrais ainsi te scandaliser injustement.

5.- Que ta bouche garde donc le silence, ou qu’elle parle seulement de la vertu pour combattre le vice ; et quand tu croiras reconnaître dans les autres un défaut, reprends-le aussi en toi-même par un acte d’une sincère humilité. Si ce défaut est véritablement dans cette personne, elle se corrigera mieux, en se voyant si doucement reprise, et tes avis lui seront plus profitables, en te disant à toi-même ce que tu voulais dire. Tu seras plus tranquille toi-même et tu auras repoussé le démon, qui ne pourra pas te tromper et empêcher la perfection de ton âme.

6.- Je veux que tu saches que tu ne dois pas te fier à ce que tu vois ; il vaut mieux détourner la tête et tâcher de ne rien voir ; mais il faut seulement persévérer dans la vue et la connaissance de toi-même, et dans celle de ma bonté et de ma générosité envers toi. Ainsi font, ceux qui sont arrivés au dernier état dont je te parle. Ils retournent toujours à la vallée de la connaissance d’eux-mêmes. Cela n’empêche pas leur élévation et leur union avec moi. C’est là une des trois choses que je t’ai dit que je voulais te voir faire pour que tu me serves en vérité.

 

 

 

 

CIII.- Celui qui voit une âme pleine de ténèbres ne doit pas en conclure qu’elle est en péché mortel.

 

 

 

 

1.- Voici maintenant la seconde explication : si, en priant particulièrement pour deux âmes, tu vois dans l’une la lumière de ma grâce que tu ne vois pas dans l’autre, quoique les deux .me soient fidèles, il ne faut pas conclure des ténèbres de l’âme éprouvée que son état vient de quelque faute ; car souvent ton jugement pourrait être faux. Quelquefois, en priant pour quelqu’un tu trouveras en lui une lumière et un désir de moi si saint, qu’il te semblera que ton âme s’engraisse de sa vertu, comme le (179) veut l’ardeur de la charité qui fait participer chacun au bien des autres. Une autre fois au contraire, son âme te semblera éloignée de moi et si pleine de ténèbres et de tentations, que ce te sera une fatigue d’offrir pour elle tes prières devant moi. Il pourra se faire que cet état vienne de quelque défaut de celui pour qui tu pries. Mais le plus souvent ce ne sera pas la punition d’une faute, mais l’effet d’une de ces privations que j’envoie souvent pour faire parvenir à la perfection, ainsi que je te l’ai dit en te parlant des états de l’âme.

2.- Je me serai retiré par sentiment et non par grâce. L’âme ne sentira plus de douceur et de consolation ; elle sera plongée dans la sécheresse, l’aridité, la peine ; et cette peine, je la fais sentir à ceux nièmes qui prient pour cette âme. J’agis ainsi par- amour pour cette âme qui est l’objet de la prière, afin que celui qui prie s’unisse à elle pour dissiper le nuage qui l’environne. Ainsi tu vois, ma douce et chère fille, combien serait ignorant et digne de blâme celui qui jugerait sur les apparences et qui croirait que c’est le péché qui cause les ténèbres que je t’ai montrées dans cette âme ; car tu as vu qu’elle n’était pas privée de ma grâce, mais seulement de la douceur du sentiment que je lui donnais de ma présence.

3.- Oui, vous tous, mes serviteurs, vous devez désirer vous connaître parfaitement vous-mêmes, afin que vous connaissiez plus parfaitement ma bonté envers vous. Laissez-moi les jugements sur les autres, car c’est ma part et non la vôtre. Abandonnez-moi la justice qui m’appartient ; ayez seulement compassion de votre prochain, et faim de mon honneur et du salut des âmes. Prêchez la vertu avec l’ardeur du désir et reprenez le vice en vous et dans les autres, comme je l’ai dit plus haut.

4.- C’est ainsi que tu viendras à moi en vérité et que tu montreras que tu gardes et que tu observes la doctrine que t’a donnée mon Fils. Ne vois que ma volonté et non celle des hommes ; c’est le seul moyen d’acquérir une vertu réelle et de demeurer dans la parfaite et grande lumière, en te nourrissant à la table des saints désirs, de la nourriture des âmes, pour la gloire et l’honneur de mon nom. (180)

 

 

 

CIV.- On ne doit pas prendre pour fondement de l’âme la pénitence, mais l’amour de la vertu.

 

 

 

 

1.- Ma fille bien-aimée, après ces deux choses, je t’en dirai une troisième à laquelle je veux que tu fasses attention pour en profiter toi-même, si le démon ou la faiblesse de ta vue te portait à vouloir conduire mes serviteurs par la voie où tu as marché toi-même, car ce serait contre la doctrine que tu as reçue de ma Vérité. il arrive souvent qu’en voyant marcher les autres par la voie d’une austère pénitence, on veut que tous suivent la même route, et s’ils ne la prennent pas, on en est affligé, scandalisé, et on pense qu’ils font mal.

2.- Vois cependant quelle erreur. Souvent celui qu’on juge mal parce qu’il fait moins pénitence, fera mieux et sera plus vertueux, quoiqu’il ne pratique pas les austérités de celui qui murmure. Je te l’ai dit, si ceux qui se nourrissent à la table de la pénitence n’agissent pas avec une humilité véritable, s’ils ne prennent pas la pénitence, non comme but principal, mais comme instrument de vertu, leurs murmures nuiront souvent à leur perfection.

3.- Ils doivent savoir que la perfection ne consiste pas à macérer et à tuer son corps, mais à détruire sa propre volonté, et c’est par cette voie de la volonté anéantie et soumise à ma douce Volonté que vous devez désirer ce que je veux que tu désires pour tous. C’est la doctrine éclatante de cette glorieuse Lumière, où court l’âme passionnée et revêtue de ma Vérité.

4.- Je ne méprise pas cependant la pénitence ; car la pénitence est bonne à dompter le corps, quand il veut combattre contre l’esprit. Mais je ne veux pas, ma chère fille, que tu la prennes pour règle générale, parce que tous les corps ne sont pas égaux et n’ont pas la mémo complexion ; la nature est plus forte dans l’un que dans l’autre, et souvent il arrive, comme je te l’ai dit, que les circonstances forcent à abandonner les austérités qu’on avait commencées. Alors, si tu avais pris ou si tu avais fait prendre la pénitence pour base de conduite, il y aurait découragement, imperfection ; l’âme perdrait la consolation et la vertu. (181)

5.- Parce que vous êtes privés d’une chose que vous aimiez trop et que vous aviez prise pour votre but, vous vous croyez privés de moi, et en vous croyant séparés de ma bonté, vous tombez dans l’ennui, le dégoût et le trouble. Vous perdez ainsi la pratique de l’oraison et la ferveur que vous aviez quand vous faisiez pénitence. Les circonstances vous ont forcés à l’abandonner, et vous ne trouvez plus dans la prière la douceur que vous goûtiez auparavant. Cela vient de ce que vous avez pris pour fondement l’amour de la pénitence, et non l’ardeur du désir des véritables et solides vertus.

6.- Tu vois le mal qui arrive lorsque vous prenez pour base principale la pénitence : vous êtes dans l’erreur et vous tombez dans des murmures contre mes serviteurs. Vous rencontrez l’ennui, l’amertume, et vous voulez nie servir par des oeuvres finies, moi qui suis le Bien infini et qui vous demande un désir infini. La chose principale pour vous est de tuer et d’anéantir la volonté-propre. C’est en la soumettant entièrement à ma volonté que vous me présenterez, comme une agréable offrande, l’ardeur de votre désir infini pour mon honneur et le salut des âmes.

7.- Vous vous nourrirez ainsi à la table du saint désir, et vous ne serez jamais scandalisés, ni à votre occasion, ni à celle du prochain ; mais vous vous réjouirez

en, toute chose, et vous profiterez des moyens si variés que je donne à l’âme. Ce n’est pas ce que font les malheureux qui ne suivent pas cette douce doctrine, et la voie droite donnée par ma Vérité. Ils jugent au contraire selon l’aveuglement et l’infirmité de leur vue ; ils vont comme des insensés qui ignorent leur route ; ils se privent des biens de la terre et du ciel. Dès cette vie, comme je te l’ai dit dans un autre endroit, ils ont un avant-goût de l’enfer.

 

 

 

 

CV.- Résumé des choses précédentes.- Explication sur la correction du prochain.

 

 

 

 

1 – Maintenant, ma très chère fille, je satisferai ton désir, et je t’expliquerai ce que tu me demandais sur la (182) manière de reprendre ton prochain sans te laisser tromper par le démon, ou par la faiblesse de ta vue. Tu dois le reprendre d’une manière générale, et non particulière, à moins que je ne te l’aie expressément révélé ; mais toujours avec une grande humilité, et en te reprenant toi-même avec les autres.

2.- Je t’ai dit, et je te répète qu’en aucune occasion il n’est permis de juger les créatures et les âmes de mes serviteurs suivant les dispositions heureuses ou fâcheuses où on les trouve. Car tu es incapable de les juger, et en le faisant tu te tromperais dans tes jugements. Vous devez compatir au prochain, et me le laisser juger.

3.- Je t’ai dit aussi la règle que tu devais donner à ceux qui viendraient te consulter. et qui voudraient sortir des ténèbres du péché mortel et suivre les sentiers de la vertu. Il faut leur donner pour principe et fondement l’amour de la vertu, par la connaissance d’eux-mêmes et la connaissance de ma bonté envers eux ; il faut leur faire tuer et détruire leur propre volonté, afin qu’elle ne se révolte jamais contre moi. Montre-leur la pénitence comme un moyen, et non comme un but ; elle ne doit pas être égale pour tous, mais elle doit se régler sur l’aptitude, les forces et l’état de chacun : les uns peuvent beaucoup, les autres moins, selon leurs dispositions extérieures.

4.- Je t’ai dit qu’il ne fallait reprendre le prochain que d’une manière générale, et c’est la vérité. Je ne veux pas cependant que tu penses qu’en voyant un défaut formel dans quelqu’un, tu ne puisses le reprendre entre toi et lui. Tu peux le faire, et même s’il s’obstine et s’il ne se corrige pas, tu peux le dire à deux ou trois personnes et si cela ne sert de rien, tu peux le déclarer au corps mystique de la sainte Eglise (S. Matthieu, XVIII, 15-17), Mais je t’ai dit d’être prudente et de ne pas te hâter sur

des apparences que tu verras dans ton esprit ou extérieurement. A moins de voir clairement la vérité, ou d’en recevoir une révélation positive, tu ne dois reprendre personne, si ce n’est comme je te l’ai dit : c’est le parti le plus sûr pour que le démon ne te trompe pas sous le manteau de la, charité. J’ai fini maintenant, ma bien chère fille, de t’expliquer ce qui est nécessaire pour conserver et accroître la perfection de l’âme. (183)

 

 

 

 

 

CVI.- Des signes qui font connaître si les visites et les visions spirituelles viennent de Dieu ou du démon.

 

 

 

 

1.- Je vais te dire maintenant ce que tu, me demandais sur le signe que je donne à l’âme dans ses visions et ses consolations spirituelles pour distinguer les visites qu’elle reçoit, et pour reconnaître si elles viennent de moi ou d’un autre. Je t’ai dit que le signe de ma visite était ta joie que je laissais dans l’âme et la faim de la vertu

qu’elle ressent, les sentiments d’une humilité sincère et l’ardeur de la divine charité. Tu m’as demandé si dans cette joie ne pouvait pas se rencontrer quelque illusion, parce que tu voudrais suivre la route la plus sûre et le signe de la vertu qui ne peut t’égarer. Je te dirai le piège que tu dois craindre et comment tu reconnaîtras si cette

joie est bonne ou mauvaise. Voici la manière dont l’ennemi peut vous tromper.

2.- Apprends que toute créature raisonnable qui aime et désire une chose, éprouve de la joie lorsqu’elle la possède ; et plus elle aime cette chose, moins elle la voit

avec discernement, moins elle s’applique à la connaître avec prudence. Elle est tout entière à la jouissance de ce qu’elle a désiré, et la joie qu’elle y trouve la rend aveugle à son sujet. Aussi ceux qui aiment et désirent trop les consolations spirituelles, recherchent les visions et s’attachent plus aux douceurs des consolations qu’à moi-même, comme je te l’ai dit de ceux qui sont dans l’état imparfait, parce qu’ils s’arrêtent plus aux faveurs qu’ils reçoivent de moi qu’à l’ineffable charité avec laquelle je leur donne.

3.- Ces personnes peuvent être trompées dans leur joie, sans compter les autres dangers qui les menacent. Comment sont-elles trompées? Le voici : Lorsque l’âme s’est passionnée pour la consolation et qu’elle la reçoit de quelque manière, elle ressent une grande joie, parce qu’elle voit ce qu’elle aime et ce qu’elle désire. Souvent ces consolations peuvent venir du démon, et l’âme en ressent cependant de la joie. Mais, je te l’ai dit, quand c’est le démon qui agit, cette visite de l’âme commence dans (184) la joie et finit dans la peine, le trouble de la conscience et l’indifférence de la vertu.

4.- Quelquefois l’âme peut avoir cette joie et la conserver jusqu’à la fin de l’oraison, mais si cette joie se trouve sans un ardent désir de la vertu, si elle n’est pas embaumée d’humilité et embrasée du feu de ma divine charité, ces visites, ces consolations, ces visions qu’elle a reçues sont du démon et non de moi, quoiqu’elle éprouve le signe de la joie. Puisque cette joie n’est pas unie à l’amour de la vertu, il est évident qu’elle vient de l’amour que l’âme avait pour sa propre consolation. Elle jouit, elle est heureuse parce qu’elle a ce qu’elle désirait, car c’est le propre de tout amour de ressentir de la joie quand il reçoit ce qu’il aime.

5.- Tu ne dois donc pas te fier à ta seule joie, lors même qu’elle durerait pendant toute la consolation, et encore davantage. L’amour aveuglé par cette joie ne peut reconnaître la tromperie du démon, s’il n’agit pas avec prudence, mais en agissant avec prudence, l’âme verra si la joie est accompagnée de l’amour de la vertu, et par ce moyen elle connaîtra si la visite qu’elle reçoit vient de moi ou du démon.

6.- Ainsi pour reconnaître quand c’est moi qui te visite, il faut que ta joie soit unie à la vertu ; c’est le signe que je t’ai donné et qui te fera discerner l’erreur et la vérité, c’est-à-dire la joie qui viendra réellement de moi et la’ joie qui viendra de l’amour-propre spirituel uniquement attaché à la consolation. Ma visite donne la joie unie à l’amour de la vertu, et celle du démon, donne la joie seulement. Quand on s’aperçoit que la vertu n’augmente pas, on doit en conclure que la joie procède de l’amour de la consolation.

7.- Je veux que tu saches que tous ne sont pas trompés par cette joie ; il n’y a que les imparfaits qui recherchent la consolation et qui s’attachent plus au bienfait qu’au bienfaiteur. Mais ceux qui sont embrasés pour moi d’un amour pur et désintéressé, ceux qui aiment le bienfait à cause du bienfaiteur et non à cause de leur consolation, ceux-là ne peuvent jamais être trompés par cette joie ; car ils ont un signe certain pour reconnaître que le démon veut les tromper en se transformant en ange de lumière et en les remplissant d’allégresse. Ils ne sont point passionnés pour la  consolation, et ils reconnaissent avec (185) prudence le piège du démon ; leur joie passe vite, et comme ils voient qu’ils sont dans les ténèbres, ils s’humilient dans la vraie connaissance d’eux-mêmes. Ils méprisent toute consolation et embrassent avec ardeur la doctrine de ma Vérité. Le démon, honteux de sa défaite, ne revient jamais ou presque jamais sous cette forme.

8.- Ceux qui aiment leur consolation seront souvent ainsi trompés, mais ils reconnaîtront leur illusion par le moyen que je t’indique, c’est-à-dire en s’apercevant que cette joie n’est pas accompagnée de l’amour de la vertu, de l’humilité, de la vraie charité, du désir de mon honneur et du salut des âmes. Mon ineffable bonté donne ainsi aux parfaits et aux imparfaits, dans quelque état qu’ils soient, un moyen de n’être jamais trompé. Si vous voulez conserver la lumière de l’intelligence que je vous donne par la sainte foi, ne

 

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