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Traité de la Prière de Sainte Catherine de Sienne :
LXV.- Du moyen que prend lâme pour arriver à lamour pur et généreux.
1.- Lorsque lâme est entrée dans le chemin de la perfection, en passant par la doctrine -de Jésus crucifié, avec lamour véritable de la vertu et avec la haine du vice, lorsquelle est arrivée par une sainte persévérance à la cellule de la connaissance delle-même, elle sy renferme dans les veilles et la prière continuelle, et elle se sépare de la conversation des hommes. Pourquoi se renferme-t-elle? Elle se renferme par la crainte que lui cause la vue de son imperfection, et par le désir quelle a darriver à lamour généreux et parfait. Elle voit et comprend quon ne peut y arriver par un autre moyen, et elle attend avec une foi vive ma venue par laugmentation de la grâce en elle. A quoi se reconnaît cette foi vive? A la persévérance dans la vertu et dans la sainte prière, quelque chose qui arrive. A moins que ce ne soit par obéissance ou par charité, vous ne devez jamais abandonner la prière.
2.- Souvent le démon obsède plus lâme de ses tentations pendant le temps destiné à la prière que pendant le temps qui ny est pas consacré : il voudrait vous inspirer lennui de la, prière. Quelquefois il dit : Cette prière ne vous sert de rien, parce quon ne doit pas être ainsi distrait. Le démon sefforce par ce moyen de troubler et, de dégoûter lâme de lexercice de la prière, parce que la prière est une arme avec laquelle lâme se défend contre tous ses ennemis, lorsquelle la prend avec la main de lamour et le bras du libre arbitre, et quelle combat à la lumière de la sainte foi. (103)
LXVI.- Lâme doit passer de la prière vocale à la prière mentale.
1.- Tu sais, ma fille bien-aimée, que cest en persévérant dans une prière humble, continuelle et fidèle, que lâme acquiert toute vertu. Elle doit persévérer , et ne se laisser jamais arrêter par les illusions du démon ou par sa propre fragilité. Elle doit résister aux pensées, aux mouvements de la chair, et aux propos que lesprit du mal met sur la langue des hommes pour la détourner de la prière. Oh! que cette prière est douce à lâme, et quelle mest agréable, lorsquelle est faite avec la connaissance de sa bassesse et la connaissance de ma bonté, à la lumière de la sainte foi et avec lardeur de ma charité !
2.- Cette charité sest rendue visible dans la personne de mon Fils unique, qui vous la montra en répandant son sang. Ce sang enivre lâme et lembrase du feu de la charité divine ; cette nourriture sacramentelle qui vous est offerte par la sainte Église est le corps et le sang de mon Fils, tout Dieu et tout homme. Mon Vicaire, qui tient la clef de ce précieux sang, est chargé de vous le distribuer. On le trouve dans cette hôtellerie établie sur le pont pour nourrir et assister les pèlerins qui passent par la doctrine de ma vérité, afin quils ne périssent pas de faiblesse.
3.- Cette nourriture soutient peu ou beaucoup, selon le désir et les dispositions de celui qui la prend sacramentellement ou virtuellement : sacramentellement en recevant la sainte Hostie des mains du prêtre, virtuellement par le saint désir de la Communion ou par la pieuse contemplation du sang de Jésus crucifié. Lâme y trouve et goûte le sentiment de lamour qui la fait répandre ; elle sy enivre, sy enflamme dun saint désir, et se remplit uniquement de ma charité et de la charité du prochain. Où acquiert-elle cette charité? Dans la cellule de la connaissance delle-même, par la sainte oraison, comme Pierre et les disciples, qui, en se renfermant dans les veilles et la prière, perdirent leur imperfection (104) et acquirent la perfection. Par quel moyen? Par la persévérance unie à la sainte foi.
4.- Mais ne pense pas quon reçoive cette ardeur et cette force divine par une prière purement vocale. Beaucoup me prient plutôt des lèvres que du coeur. Ils ne songent quà réciter un certain nombre de psaumes et de Pater noster. Dès quils ont rempli leur tâche, ils ne pensent pas à autre chose ; ils mettent toute leur piété dans de simples paroles. Il ne faut pas agir de la sorte ; quand on ne fait pas davantage, on en retire peu de fruit et on mest peu agréable. Faut-il quitter la prière vocale pour la prière mentale, à laquelle tous ne semblent pas appelés ? Non, mais il faut procéder avec ordre et mesure.
5.- Tu sais que lâme est imparfaite avant dêtre parfaite sa prière doit être de même. Pour ne pas tomber dans loisiveté, lorsquelle est encore imparfaite, lâme doit sappliquer à la prière vocale ; mais elle ne doit pas faire la prière vocale sans la faire mentale ; pendant que les lèvres prononcent des paroles, elle sefforcera délever et de fixer son esprit dans mon amour, par la considération de ses défauts en général et du sang de mon Fils, où elle trouvera labondance de ma charité et la rémission de ses péchés.
6.- Elle doit le faire pour que la connaissance delle-même et la vue de ses fautes lui fassent connaître ma bonté envers clic et continuer sa prière avec une humilité véritable. Je ne veux pas quelle considère ses fautes en particulier, mais en général, pour quelle ne soit pas souillée par le souvenir de ses péchés honteux. Je dis aussi quelle ne doit pas considérer ses péchés en généraI et en particulier sans y joindre la considération du sang de mon Fils et les souvenirs de mon inépuisable miséricorde, afin quelle ne tombe pas dans la confusion.
7.- Si la connaissance delle-même et la vue de son péché nétaient pas accompagnées de la mémoire du sang et de lespérance de la miséricorde, elle serait nécessairement troublée, et le démon se servirait de sa confusion et de son regret pour la faire tomber dans la damnation éternelle. Ce trouble la conduirait au désespoir, parce quelle ne sappuierait pas sur le bras de ma miséricorde. (105)
8.- Cest là un des pièges les plus dangereux que le démon tende à mes serviteurs. Pour échapper à sa malice et pour mêtre agréable, vous devez toujours dilater votre coeur et votre amour dans mon infinie miséricorde par une humilité sincère, Tu sais que lorgueil du démon ne peut supporter une âme humble, et quil est confon4u par la grandeur de ma bonté et de ma miséricorde, dès que lâme espère véritablement en moi.
9.- Souviens-toi que le démon voulait te perdre, en te troublant ; il tâchait de te persuader que ta vie était pleine dégarements et que tu navais jamais suivi ma volonté. Tu fis alors ce que tu devais faire, et ce que ma bonté tavait enseigné, car ma bonté est toujours présente à qui veut la recevoir. Tu tappuyais avec humilité-sur ma miséricorde, et tu disais : Je confesse à mon Créateur que ma vie sest passée dans les ténèbres, mais je me cacherai dans les -plaies de Jésus crucifié ; je me baignerai dans son sang. Jeffacerai ainsi mes iniquités, et je me réjouirai par mon désir dans mon Créateur.
10.- Le démon prit la fuite, mais il revint avec une autre tentation, et voulut te porter à lorgueil en te disant : Tu es parfaite et agréable à Dieu ; il est inutile de taffliger davantage et de pleurer tes fautes. Ma lumière te fit voir alors la route que tu devais prendre ; cétait celle de lhumilité, et tu répondis au démon : Misérable que je suis! Jean-Baptiste na jamais fait de péché, il a été sanctifié dans le sein de sa mère, et il a fait pourtant beaucoup pénitence : et moi qui ai commis tant de fautes, ai-je commencé à les reconnaître et à les pleurer? ai-je compris ce quest Dieu, et ce que je suis, moi qui loffense?
11.- Alors le démon, ne pouvant supporter lhumilité de lespérance en ma bonté, te cria : Sois maudite, car je ne puis -rien faire avec toi si je veux tabaisser parle désespoir, tu télèves par lespérance de la miséricorde ; si je veux télever par lorgueil, tu tabaisses par lhumilité jusquaux enfers, où tu me poursuis. Je te fuirai maintenant, car tu me frappes toujours avec le bâton de la charité.
12.- Lâme doit donc sans cesse unir à la connaissance de ma bonté la connaissance delle-même, et à la connaissance delle-même ma connaissance. Cest ainsi que la prière vocale sera utile à lâme qui la fera, et quelle me (106) sera agréable ; de la prière vocale imparfaite elle arrivera par la pratique et la persévérance à la prière mentale parfaite. Mais si elle se contente de réciter un certain nombre de prières, et si pour la prière vocale elle laisse la prière mentale, elle ny arrivera jamais.
13.- Souvent lâme, dans son ignorance, sobstine à réciter de vive voix certaines prières, lorsque je la visite, tantôt en lui donnant une claire connaissance delle-même et la contrition de ses fautes, tantôt en lui faisant comprendre la grandeur de ma charité, dautres fois en lui manifestant de différentes manières, comme il me plaît et comme elle lavait désiré, la présence dé mon Fils bien-aimé ; mais elle, pour accomplir la tâche quelle sest imposée, néglige ma visite et se fait un cas de conscience de ne pas achever ce quelle a commencé.
14.- Elle ne doit pas agir ainsi, car ce serait être le jouet du démon.. Dès quelle sent au contraire ma visite par les moyens que je viens de dire, elle doit abandonner la prière vocale pour la prière mentale, et ne la reprendre que si elle a le temps. Si elle nen a pas le temps, elle ne doit pas sen attrister et se troubler, parce quelle a fait ce quelle devait faire. Il faut excepter cependant loffice divin, que les ecclésiastiques et les religieux sont obligés de dire : en ne le disant pas ils moffensent, puisquils y sont tenus jusquà la mort. Sils sentent leur esprit attiré vers la prière mentale à lheure quils devaient consacrer à la récitation de loffice, ils doivent faire en sorte de le dire , avant ou après, parce quils ne doivent jamais y manquer,
15.- Lâme doit commencer par la prière vocale pour arriver à la prière mentale, et dés quelle sy trouve disposée, elle gardera le silence. La prière vocale, faite comme je lai dit, conduit à la prière parfaite ; il ne faut donc pas labandonner, mais suivre le mode que je tai enseigné : et ainsi, par la pratique et la persévérance, lâme goûtera la prière véritable et se nourrira du sang de mon Fils bien-aimé.
16.- Je tai dit que quelques-uns participaient au corps et au sang du Christ virtuellement, quoique non sacramentellement, parce quils participaient à lardeur de la charité, qui se goûte au moyen de la sainte prière, peu (107) ou beaucoup, selon le désir de celui qui prie. Celui qui prie avec peu dapplication recueille peu ; celui qui prie avec beaucoup dapplication recueille beaucoup. Plus lâme sefforce daffranchir son amour et de sunir à moi par la lumière de lintelligence, plus elle me connaît ; plus elle me connaît, plus elle maime ; plus elle maime, plus. Elle me goûte.
17.- Ainsi, tu vois que la prière parfaite ne consiste pas dans la multitude des paroles, mais dans lardeur du désir qui élève lâme vers moi, par la connaissance de. son néant et la connaissance de ma bonté jointes ensemble : il faut donc unir la prière mentale et la prière vocale comme la vie active et la vie contemplative.
18.- il y a différentes manières de comprendre la prière vocale et la prière mentale. Car je tai dit que le désir, cest-à-dire une volonté bonne et sainte, était une prière continuelle. Cette volonté se manifeste dans un lieu et dans un moment donné, et surajoute à la prière continuelle du désir ; et ainsi la prière vocale, unie à la sainte volonté de lâme., se fera dans le temps prescrit, ou quelquefois se continuera au delà, si la charité le demande pour le salut du prochain, ou si la position où je lai placée lexige.
19.- Chacun, selon son état, doit coopérer au salut des âmes, comme linspire une sainte volonté. Tout ce qui se dit et se fait pour le salut du prochain est une prière méritoire, mais qui nexempte pas de la prière vocale prescrite à un certain moment et dans un certain lieu. En dehors de cette prière obligatoire, tout ce qui se fait dans la charité de -Dieu et du prochain, tout ce quon fait même pour soi avec une intention droite, peut être appelé une prière ; car, comme le dit mon apôtre saint Paul, on ne cesse pas de prier dès quon ne cesse pas de bien faire : aussi jai dit que la prière se faisait de plusieurs manières, en unissant la prière actuelle à la prière mentale. Cette prière actuelle est inspirée par lardeur de la charité, et -cette ardeur de la charité est la prière continuelle.
20.- Je tai dit comment on parvenait à la prière mentale, par la pratique, par la persévérance, et en laissant la prière vocale pour la prière mentale lorsque je (108)
visite lâme ; je tai dit ce quétaient la prière publique et la prière vocale faite en dehors du temps prescrit, la prière du désir, et comment tout ce quon fait pour soi ou pour son prochain avec une intention droite était une prière. Il faut donc que lâme sexcite avec courage à la prière, qui enfante la vertu ; et lâme y parviendra si elle se renferme dans la connaissance delle-même avec un amour tendre et filial. Si lâme ne le fait pas, elle restera toujours dans sa tiédeur et son imperfection ; elle naimera quautant quelle trouvera son avantage et son plaisir en moi et dans le prochain.
LXVII.- De lerreur des gens du monde qui aiment et servent Dieu pour leur consolation.
1.- Je veux te parler de lamour imparfait et de lerreur de ceux qui maiment pour leur propre consolation. Tu sauras que le serviteur qui maime imparfaitement, cherche plutôt la consolation quil ne me cherche moi-même : cela est évident, puisquil se trouble dès quil manque de consolations spirituelles ou temporelles.
2.- Les consolations temporelles charment les hommes du monde, qui font quelque bien tant quils sont dans la prospérité ; mais quand vient la tribulation que je leur donne dans leur intérêt, ils se troublent et abandonnent le peu de bien quils faisaient. Si vous leur demandez : Pourquoi vous troublez-vous? Ils répondront : Parce que je suis dans la peine, et le peu de bien que je faisais dans la prospérité me semble inutile, puisque je ne le fais plus avec le même amour et le même esprit. Cest la tribulation qui en est cause, car il me semble que jagissais bien mieux, avec plus de paix et de calme autrefois que maintenant.
3.- Celui qui parle ainsi est aveuglé par lintérêt. Il nest pas vrai que ce soit la tribulation qui diminue son amour et ses oeuvres. Ce quon fait dans la tribulation vaut autant que ce quon fait dans la consolation, et même Le mérite en augmenterait si lon avait la patience. Mais cela vient de ce que ces hommes sattachent trop à la prospérité. Ils maiment peu par vertu, et se reposent lesprit (109) dans quelques bonnes oeuvres. Dès quils sont privés de ce qui, les charme, il leur semble quils nont plus la paix nécessaire pour bien faire ; il leur arrive comme à un homme qui est dans un beau jardin : parce quil sy plaît, il aime y travailler ; il croit aimer son travail, mais cest le beauté du jardin quil aime. Il est- facile de voir quil aime plus le jardin que le travail ; car, dès quil a quitté le jardin, il ne ressent plus de plaisir. Si son plaisir venait du travail, il ne laurait pas ainsi perdu ; il laurait toujours, parce que la faculté de bien faire ne peut se perdre sans la volonté de lhomme, même lorsquon ne jouit plus de la prospérité, comme lhomme ne jouit plus du jardin.
4.- La passion égare ceux qui agissent ainsi et qui disent : Je sais que je faisais mieux et que javais plus de consolations avant dêtre éprouvé. Jaimais à faire le bien, mais maintenant je ny ai aucun goût. Ils se font illusion ; sils eussent aimé le bien par amour du bien, ils nauraient pas cessé de laimer et, loin den perdre le goût, ils lauraient davantage ; mais ils faisaient le bien pour le plaisir quils y trouvaient ; leur amour du bien cesse avec ce plaisir, et cest là une erreur où tombent la plupart de ceux, qui font des bonnes oeuvres ; ils sabusent sur le plaisir quelles leur causent.
LXVIII.- Combien se trompent ceux qui aiment Dieu avec cet amour imparfait.
1.- Mes serviteurs qui sont encore dans lamour imparfait me cherchent et maiment à cause de la consolation et du bonheur quils trouvent en moi. Et comme je récompense tout le bien qui se fait, petit ou grand, scion la mesure de lamour qui agit, je donne des consolations spirituelles, tantôt dune manière, tantôt dune autre, dans le temps de la prière, Je ne le fais pas pour que lâme reçoive mal la consolation, cest-à-dire quelle sarrête plus à la consolation que je lui donne quà moi-même, mais bien pour quelle regarde plus lardeur de ma charité à donner et son indignité à recevoir, que le plaisir quelle trouve dans ces consolations. Mais si dans son ignorance (110), elle sarrête à la seule jouissance, sans faire attention à mon amour envers elle, alors elle tombe dans un malheur et un égarement que je vais te faire connaître.
2.- Elle est trompée dabord par cette consolation quelle cherche et dans laquelle elle se complaît. Car quelquefois je la console et je la visite plus quà lordinaire ; et quand je me retire, elle revient sur ses pas pour retrouver les jouissances dans la route quelle avait suivie. Je ne donne pas toujours de la même manière, afin quelle sache que je distribue ma grâce comme il plaît à ma bonté et comme le demandent ses besoins. Mais lâme ignorante recherche la consolation dans les mêmes choses, comme si elle voulait imposer une règle à lEsprit Saint.
3.- Elle ne doit pas agir ainsi, mais elle doit passer avec courage par ce pont de la doctrine de Jésus crucifié, et recevoir en la manière, au lieu et au moment choisis par ma bonté pour lui donner. Si je ne lui donne pas, je le fais par amour et non par haine, pour quelle me cherche en vérité et quelle ne maime pas seulement pour son plaisir, mais quelle sattache plutôt à ma charité quà la consolation. Si elle ne le fait pas, et si elle cherche, la jouissance selon sa volonté et non selon la mienne, elle trouvera la peine et la honte, parce quelle se verra privée de ce plaisir où elle avait fixé le regard de son intelligence.
4.- Tels sont ceux qui sarrêtent aux consolations : ils ont goûté ma visite dune certaine manière, et ils veulent toujours y revenir. Leur ignorance est telle, que, si je les visite dune autre façon, ils résistent et ne veulent me recevoir que comme ils le désirent. Cette erreur vient de leur attachement à la jouissance spirituelle quils ont trouvée en moi.
5.- Lâme se trompe, parce quil est impossible quelle soit visitée toujours de la même manière. Elle ne peut rester stationnaire, elle avance ou elle recule dans la vertu, et alors elle ne peut recevoir de ma bonté les mêmes grâces ; je les varie au contraire, je lui donne tantôt la grâce spirituelle, tantôt une contrition et un regret qui semblent la bouleverser. Quelquefois je serai dans lâme, et elle ne me sentira pas ; quelquefois je manifesterai ma volonté, cest-à-dire (111) mon Verbe incarné, de différentes manières aux yeux de son intelligence, et cependant il semblera que lâme ne goûte pas lardeur et la joie que cette vision devrait lui donner. Dautres fois, au contraire, elle ne verra rien, et goûtera un grand bonheur.
6.- Je fais tout cela par amour, pour la sauver, pour la faire croître dans lhumilité et la persévérance, pour lui apprendre à ne pas vouloir me donner de règle, et à ne pas mettre sa fin dans la consolation, mais seulement dans la vertu, dont je suis le fondement. Quelle reçoive humblement les différents états où elle se trouve, quelle reconnaisse avec amour lamour avec lequel je donne. Quelle croie fermement que jagis toujours uniquement pour la sauver ou la faire parvenir à une plus grande perfection. Elle doit être toujours humble et placer son principe et sa fin dans la fidélité à ma charité, et recevoir dans cette charité le plaisir et la privation, selon ma volonté et non selon la sienne. Le moyen déviter les pièges de lennemi est de recevoir tout de moi par amour, parce que je suis la fin suprême de lhomme et que, toute chose doit être basée sur ma douce volonté.
LXIX.- De ceux qui, pour ne pas perdre la paix et la consolation, négligent dassister le prochain.
1.- Je tai parlé de lerreur de ceux qui veulent me goûter et me recevoir à leur manière ; maintenant je veux te faire connaître combien se trompent ceux qui sattachent tellement à la consolation, que, voyant les besoins spirituels ou temporels du prochain, ils ne font rien pour les soulager, sous prétexte de mieux faire ; ils disent : Cela môte la paix de lâme et mempêche de réciter mes prières ordinaires.
2.- Ils croient moffenser parce quils nont plus de consolations, mais leur amour-propre spirituel les abuse ; car ils moffensent bien plus en ne secourant pas leur prochain quen abandonnant toutes leurs consolations. Si jordonne des prières vocales et mentales, cest pour que lâme puisse arriver à la charité envers moi et envers le prochain, cest pour quelle persévère dans cette charité. (112)
3.- Elle moffense plus en abandonnant la charité du prochain pour prier et pour conserver la paix, quen laissant ses exercices pour assister le prochain. Aussi lâme me trouve dans la charité du prochain, tandis quelle me perd dans les consolations où elle me cherche. Car en nassistant pas le prochain, la charité du prochain diminue par là même. Dès que la charité du prochain diminue, mon amour pour elle diminue, et avec mon amour diminue aussi la consolation.
4.- En voulant cagner on perd, en voulant perdre on gagne ; car celui qui renonce à la consolation pour le salut du prochain me gagne, et gagne le prochain en lassistant et en le servant avec charité. Il goûte ainsi toujours la douceur de ma charité. Celui qui ne le fait pas, au contraire, est toujours dans la peine ; car souvent lobéissance, les liens particuliers, les infirmités spirituelles ou temporelles des autres le contraindront à soccuper du prochain : et alors il le fera avec chagrin, avec ennui et trouble de conscience ; il deviendra insupportable à lui-même et aux autres.
5.- Si vous lui demandez : Pourquoi ressentez-vous de la peine? Il vous répondra : Il me semble que jai perdu la paix et la tranquillité desprit ; je nai pas fait mes exercices ordinaires, et je crois que jai offensé Dieu. Il nen est rien ; mais parce quil ne regarde que sa propre consolation, il ne sait connaître et discerner véritablement où est son offense. Sil le savait, il verrait que loffense ne consiste pas à être privé de consolation spirituelle et à laisser lexercice de la prière lorsque les besoins du prochain le réclament, mais à manquer de charité pour le prochain, quon doit aimer et servir par amour pour moi. Tu vois donc que lâme se trompe elle-même
à cause de son, amour-propre spirituel.
LXX.- De lerreur de ceux qui mettent toute leur affection dans les consolations et les visions.
1.- Lamour-propre spirituel cause un mal plus grand à lâme lorsquelle aime et recherche uniquement les consolations et les visions que jaccorde souvent à mes serviteurs (113). Dès quelle sen voit privée, elle tombe dans le chagrin et lennui, parce quil lui semble quelle est privée de la grâce lorsquelle ne sent plus ma présence ; car, comme je te lai dit, je parais et je disparais dans lâme, afin de la rendre parfaite. Elle tombe dans labattement et croit être réprouvée dès quelle perd la consolation et quelle sent les attaques de la tentation.
2.- Elle ne devrait pas se laisser ainsi abuser par lamour-propre spirituel, qui lui cache la vérité. Quelle sache que moi, le souverain Bien, je suis en elle pour soutenir sa volonté pendant le combat, et pour lempêcher de reculer en recherchant la consolation. Elle doit shumilier et se reconnaître indigne de la paix et du repos de lesprit. Je me retire delle pour quelle shumilie et quelle reconnaisse ma charité dans la volonté droite que je lui conserve pendant le combat.
3.- II faut quelle ne reçoive pas seulement le lait de la douceur que je lui présente, mais il faut- quelle sattache au sein de ma Vérité, et quelle reçoive le lait avec la chair, cest-à-dire quelle se nourrisse du lait de ma douceur par le moyen de la chair de Jésus crucifié, dont jai fait un pont pour que vous arriviez à moi. Cest pour cela que je me retire. Si lâme avance avec prudence et sagesse, je reviens bientôt à elle avec plus de douceur, de force et de charité ; mais si elle reçoit avec trouble et tristesse la privation des douceurs spirituelles, elle y gagne peu et reste dans sa tiédeur.
LXXI.- Ceux qui sattachent aux consolations spirituelles peuvent être trompés par le démon qui se transforme en ange de lumière.- Des signes auxquels on peut reconnaître quune vision vient de Dieu ou du démon.
1.- Ceux qui sattachent aux consolations spirituelles sont souvent exposés à dautres pièges du démon, qui se transforme en ange de lumière. Le démon tente toujours lâme sur ce quelle désire davantage, et, sil la voit passionnée pour les consolations et les visions spirituelles, si elle y met tout son bonheur, au lieu de le mettre dans la vertu en se reconnaissant indigne des douceurs de mon (114) amour, alors il revêt pour elle des formes de lumière :, tantôt il prend lapparence dun ange, tantôt celle de mon Fils, tantôt celle de quelque saint. Il agit ainsi pour prendre lâme à lamorce du plaisir quelle trouve dans les visions et les douceurs spirituelles. Si lâme ne se retire pas avec une humilité profonde en repoussant la jouissance qui lui est offerte, elle tombe par ce piège dans les mains du démon. Mais si elle se sépare de la jouissance par lhumilité, si elle sattache par lamour à moi qui donne, plutôt quà mes présents, alors le démon est vaincu, parce que son orgueil ne peut supporter lhumilité de lâme.
2.- Si tu me demandes comment on peut reconnaître. ce qui vient du démon et ce qui vient de moi, je te répondrai que cest à ce signe. : Si cest le démon qui se présente, à lâme sous forme de lumière, elle en reçoit une vive joie ; mais plus la vision se prolonge, plus la joie diminue, et il ne reste bientôt que trouble, tristesse et ténèbres qui obscurcissent tout lintérieur. Mais si cest moi, léternelle Vérité, qui visite lâme, elle éprouve au premier moment une sainte frayeur, et avec cette frayeur, la joie, lassurance, une douce prudence qui fait quen doutant elle ne doute pas.
3.- La connaissance delle-même la persuade de son indignité. Elle dit : Je ne suis pas digne de recevoir votre visite, et, puisque je nen suis pas digne, comment cela peut-il être? Alors elle se confie à la grandeur de ma charité ; elle comprend que je puis lui donner ce quil me plaît, en ne regardant pas son indignité, mais ma dignité, qui me rend, capable de me recevoir en elle-même par grâce et dune manière sensible. Je ne méprise pas son désir qui mappelle, et elle me reçoit humblement en disant : Voici, votre servante, quil me soit fait selon votre volonté. Alors elle quitte loraison et les douceurs de ma présence avec joie, avec humilité, parce quelle se trouve indigne de tout ce quelle reçoit de ma charité.
4.- Tel est le signe qui montre si lâme est visitée par moi ou par le démon. Ma visite commence par la crainte, elle continue et finit dans la joie et lespoir de la vertu ; celle du démon commence par la joie, mais elle se termine dans la confusion et les ténèbres de lesprit. Je vous ai donné ce signe pour que lâme qui veut marcher avec humilité et prudence ne puisse être trompée ; elle le sera (115), quand elle voudra avancer seulement avec lamour imparfait de sa propre consolation, et non pas avec mon amour.
LXXII.- Lâme qui se connaît évite les tromperies du démon.
1.- Je nai pas voulu te cacher, ma fille bien-aimée, lerreur où tombent ordinairement les hommes qui se complaisent dans le peu de bien quils font au temps de la consolation, et celle de mes serviteurs qui sattachent tellement aux douceurs spirituelles, quils ne peuvent plus connaître la vérité de mon amour et discerner où se trouve le péché. Je tai dit le piège où le démon les prend par leur faute sils ne suivent pas le moyen que je tai enseigné. Ainsi toi et mes autres serviteurs, vous devez suivre la vertu par amour pour moi, et non par un autre, motif.
2.- Ces erreurs et ces dangers sont pour ceux dont lamour est imparfait, cest-à-dire pour ceux qui aiment plus mes bienfaits que moi-même. Mais lâme qui est entrée dans la connaissance delle-même en sexerçant à loraison parfaite, en rejetant limperfection de lamour et de la prière, comme je te lai expliqué, cette âme me reçoit par lamour ; elle sefforce dattirer à elle le lait de ma douceur sur le sein de la doctrine de Jésus crucifié.
3.- Elle est arrivée au troisième état, cest-à-dire à lamour tendre et filial ; elle na pas un amour mercenaire, mais elle agit avec moi comme un ami agit avec son ami qui lui fait un présent : il ne regarde pas au présent, mais au coeur de celui qui donne, et il naime le présent que par amour pour son ami. Ainsi fait lâme qui est parvenue à lamour parfait. Quand elle reçoit mes bienfaits et mes grâces, elle ne sarrête pas au présent, mais son intelligence contemple la grandeur de ma charité qui donne.
4.- Pour que lâme ne puisse sexcuser de ne pas faire ainsi, jai voulu unir le bienfait au bienfaiteur, en unissant la nature humaine à la nature divine, lorsque je vous ai donné le Verbe, mon Fils unique, qui est une même chose avec moi comme moi avec lui. Par cette (116) union vous mie pouvez voir le présent sans voir celui qui vous le fait. Comprenez donc avec quel amour vous devez aimer le don et le donateur. Si vous faites cela, vous aurez un amour non pas mercenaire, mais pur et généreux, comme ceux qui se renferment dans la connaissance deux-mêmes.
LXXIII.- Comment lâme quitte lamour imparfait et arrive à lamour parfait.
1.- Jusquà présent je tai montré de différentes manières comment lâme quitte limperfection pour arriver à lamour parfait, et comment elle agit quand elle est parvenue à lamour intime et filial. Je tai dit et je te répète quelle y arrive par la persévérance, en se renfermant dans la connaissance delle-même, Cette connaissance delle-même doit être accompagnée de la connaissance de ma bonté, pour quelle nen soit pas troublée. Car la connaissance delle-même lui donnera la haine de son amour, sensitif et de lattrait quelle a pour les consolations. De cette haine fondée sur lhumilité doit naître la patience.
2.- La patience deviendra sa force contre les attaques du démon et contre les persécutions des hommes. Elle sen servira avec moi, lorsque, pour son bien, je lui retire la consolation. Elle supportera tout au moyen de cette vertu. Si la sensualité voulait, dans quelques épreuves, se révolter contre la raison, le juge de la conscience sélèverait au-dessus delle avec une sainte haine et ferait justice de tout mouvement coupable. Car lâme qui ne saime pas se corrige toujours et se reprend non seulement des mouvements qui sont contre la raison, mais encore quelquefois de ceux qui viennent de moi.
3.- Cest ce que veut faire comprendre mon doux serviteur saint Grégoire, lorsquil dit quune conscience sainte et pure trouvait le péché là où il nétait pas, cest-à-dire que sa délicatesse était si grande, quelle voyait une faute où il ny en avait pas. Lâme doit faire de même si elle veut quitter limperfection, et si elle attend, dans la connaissance delle-même et à la lumière de la foi, ce quordonnera ma Providence (117).
4.- Ainsi firent mes disciples, lorsquils se renfermèrent dans le Cénacle, persévérant dans les veilles et la prière jusquà la descente du Saint-Esprit. Lâme, comme je te lai dit, fait de même. Elle séloigne de limperfection et se renferme en elle-même pour atteindre la perfection. Elle veille, et fixe le regard de son intelligence sur la doctrine de ma Vérité. Elle se connaît et persévère humblement dans la prière dun saint désir, parce quelle éprouve en elle lardeur de ma charité.
LXXIV.- Des signes auxquels on connaît que lâme est arrivée à lamour parfait.
1.- Je vais te dire maintenant quel signe prouve que lâme est arrivée à lamour parfait. Ce signe est le même signe quon vit dans mes disciples, lorsquils eurent reçu lEsprit Saint. Ils sortirent du Cénacle, perdirent toute crainte et annoncèrent ma parole, la doctrine du Verbe mon Fils bien-aimé. Loin de redouter la souffrance, ils sen glorifiaient ; ils ne craignaient pas de paraître devant les tyrans du monde et de leur dire la vérité pour lhonneur et la gloire de mon nom.
2.- Ainsi, lorsque lâme sest renfermée dans la connaissance delle-même, comme je te lai dit, je retourne vers elle par le feu de ma charité. Cette charité, pondant quelle persévérait dans sa retraite, lui a fait concevoir la vertu par amour, en lui communiquant ma puissance ; avec cette puissance elle a dominé et vaincu sa passion sensitive.
3.- Par la même charité, je lai fait participer à la sagesse de mon Fils, et dans cette sagesse elle voit et connaît, par loeil de lintelligence, ma vérité et les égarements de lamour-propre spirituel, cest-à-dire lamour imparfait de la consolation. Elle connaît la malice et les mensonges avec lesquels le démon abuse lâme qui est liée à cet amour imparfait ; elle se lève avec la haine de limperfection et avec lamour de la perfection.
4.- Par cette même charité, qui est le Saint-Esprit, je la fais participer à sa volonté, en fortifiant la volonté quelle a de supporter toute peine, de sortir de la retraite (118)
pour mon nom, et de produire des bonnes oeuvres envers le prochain. Elle ne sort pas de sa connaissance, mais elle fait sortir delle-même les vertus conçues par lamour. Elle les montre de différentes manières, quand les besoins du prochain le réclament ; car elle na plus la crainte quelle avait de perdre ses consolations spirituelles.
5.- Elle est parvenue à lamour généreux et parfait, et elle agit au dehors sans penser à elle-même. Lâme arrive au second degré de ce troisième état parfait, où elle goûte et enfante la charité du prochain. Elle obtient ce degré de parfaite union en moi. Ces deux derniers degrés sont unis ensemble, et lun nest pas sans lautre ; mon amour nest jamais sans lamour du prochain, et celui du prochain, sans le mien, ils ne peuvent être jamais séparés : de même, ces deux degrés ne sont jamais lun sans lautre, comme je te le montrerai en texpliquant le troisième état.
LXXV.- Les imparfaits veulent suivre seulement le Père, tandis que les parfaits suivent le Fils.
1.- Je tai dit que ceux qui sortent ainsi dehors, montrent quils ont quitté limperfection et sont arrivés à la perfection. Ouvre les yeux de ton intelligence, et vois-les courir sur le pont de Jésus crucifié, votre règle, votre loi et votre doctrine. Ils ne se proposent pas dautre but que Jésus crucifié. Ce nest pas moi le Père quils se proposent, comme font ceux qui sont dans lamour imparfait et qui ne veulent pas supporter de peine, parce quen moi ne peut se trouver la peine.
2.- Les imparfaits ne veulent suivre que la consolation quils trouvent en moi. Je te le dis, ce nest pas moi quils suivent, cest la consolation quils trouvent en moi. Les parfaits, au contraire, font autrement : embrasés par lamour, ils ont uni les trois puissances de lâme et monté les trois degrés figurés sur le corps de Jésus crucifié. Avec les pieds de son affection, leur âme est parvenue des pieds de mon Fils à son côté, où elle trouve le secret du coeur et connaît le baptême de leau, qui a sa vertu par le sang. Lâme y reçoit la grâce du saint baptême et y devient un vase capable de contenir la grâce unie et mélangée de ce sang. (119)
3.- Où lâme connaît-elle la dignité dêtre unie et mélangée au sang de lAgneau, en recevant le saint baptême par la vertu de ce sang? Dans le côté de mon Fils où elle connaît le feu de la divine charité. Si tu te le rappelles, ma Vérité incarnée te la révélé, lorsque tu linterrogeais en lui disant : Doux Agneau sans tache, vous étiez mort quand votre côté a été ouvert. Pourquoi vouloir que votre coeur soit ainsi frappé et entrouvert? Mon Fils te répondit, sil ten souvient, quil avait eu bien des raisons ; et il te dit les principales.
4.- Son désir de sauver le genre humain était infini, et son corps ne pouvait supporter la douleur et les tourments que dans une certaine mesure ; ce qui était fini ne pouvait donc montrer lamour infini dont il vous aimait ; alors il voulut que vous vissiez le secret de son coeur, et il vous le montra ouvert, pour vous faire comprendre quil vous aimait plus que ne le pouvait montrer sa mort.
5.- Leau et le sang qui en sortirent signifiaient le saint baptême de leau, que vous recevez en vertu du sang ; il répandit le sang et leau pour marquer deux baptêmes de sang : le premier, que reçoivent ceux qui répandent leur sang pour moi : ce sang tire sa vertu du sang de mon Fils, et remplace le baptême quils nont pu recevoir ; le second est le baptême de feu, que reçoivent ceux qui désirent le baptême avec un ardent amour sans pouvoir lobtenir ; et il ny a pas de baptême de feu sans le sang ; parce que ce sang est pénétré par le feu de la divine charité qui la fait répandre.
6.- Lâme reçoit aussi le baptême de sang dune autre manière, pour parler par figure ; ma divine charité laccorde parce quelle Voit linfirmité et la fragilité de lhomme qui lentraîne au péché. Sa fragilité, ni aucune autre cause ne lentraînerait au péché, sil ny consentait pas ; mais il y tombe par faiblesse, et le péché lui fait perdre la grâce quil avait reçue au baptême en vertu du sang ; alors il fallait que ma divine bonté perpétuât le baptême du sang par la contrition du coeur et par la sainte confession, en sadressant, quand on le peut, à mes ministres qui gardent les clefs du sang.
7.- Le sang est versé sur lâme par labsolution, et quand (120) on ne peut se confesser, il suffit de la contrition du coeur : alors cest la main de ma clémence qui vous donne le bénéfice du sang. Mais celui qui pourra se confesser devra le faire, et celui qui le pourra, et ne le fera pas, sera privé du bénéfice du sang.
8.- Il est vrai que, quand on le veut, au moment de la mort, et quon ne le peut pas, on reçoit le sang. Mais que personne ne soit assez insensé pour espérer se faire pardonner ses fautes au dernier instant ; car il peut craindre que, pour punir son obstination, ma divine justice lui dise : Tu ne tes pas souvenu de moi pendant la vie, quand tu en avais le temps ; je ne me souviendrai pas de toi dans la mort. On ne doit donc jamais différer sa conversion ; mais, alors même, on doit jusquà la fin espérer dans le sang et en recevoir le baptême.
9.- Mais tu vois que le baptême de sang peut toujours couler sur lâme ; et dans ce baptême tu reconnais laction de mon Fils. La peine de la croix est finie, mais le fruit que vous en recevez est infini à cause de la nature divine infinie qui est unie à la nature humaine finie. La nature humaine souffrait dans mon Verbe revêtu de votre humanité, mais comme les deux natures sont unies et pénétrées lune pour lautre, La divinité attire à elle la peine quelle a supportée sur la croix avec un amour ineffable, et son action peut être appelée infinie.
10.- La peine nétait pas infinie, puisquelle était limitée par le corps, et que le désir de souffrir pour vous racheter a cessé sur la croix quand lâme de mon Fils sest séparée de son corps ; mais le fruit qui est sorti de cette peine est infini comme le désir de votre salut, et vous le recevez dune manière infinie ; car sil nétait pas infini, le genre humain ne pourrait pas être sauvé dans le passé, dans le présent et dans lavenir. Lhomme qui moffense ne pourrait se relever sans cesse, si le baptême de sang ne lui était accordé dune manière infinie, et si le fruit du sang nétait pas infini.
11.- Cest ce que mon Fils vous a montré par la blessure de son côté ; cest là que vous trouvez le secret de son coeur, parce que vous y voyez quil vous aime plus quil ne peut vous le montrer par une peine finie. Il vous le montre dune manière infinie, par le baptême du sang uni (121) au feu de la charité divine, car cest lamour qui la fait répandre. Le baptême est donné à tous les chrétiens, et à quiconque veut le recevoir, dans leau unie au sang et au feu. Lâme est ainsi pénétrée par le sang de mon Fils, et cest pour vous faire comprendre ces choses quil a fait sortir le sang et leau de son côté. Jai maintenant répondu à ce que tu mavais demandé.
LXXVI.- Lâme au troisième degré parvient à la bouche de Jésus-Christ.- La mort de la volonté propre est le signe quelle y est arrivée.
1.- Tout ce que je viens de te dire, mon Fils te lavait enseigné ; mais jai voulu te le répéter, en te parlant de lui pour te faire mieux comprendre lexcellence de lâme parvenue au second degré, où elle connaît et acquiert si bien lardeur de lamour, quelle court aussitôt au troisième degré, cest-à-dire à la bouche : et là elle montre quelle est parvenue à létat parfait. Par où passe-t-elle? Lâme passe par le coeur, cest-à-dire quelle se rappelle où elle a été baptisée, et laissant lamour imparfait, par la connaissance que lui donne cet aimable coeur, elle voit, elle goûte et ressent le feu de ma charité.
2.- Ceux qui sont arrivés à la bouche font ce que fait la bouche. La bouche parle avec la langue quelle a ; elle goûte les aliments, elle les retient pour les donner à lestomac, et les dents les broient pour quils puissent être avalés. Lâme fait de même ; elle me parle dabord avec la langue, qui est dans la bouche du saint désir, cest-à-dire avec la langue dune sainte et continuelle prière. Cette langue parle, réellement et mentalement : elle parle mentalement lorsquelle moffre ses doux et amoureux désirs pour le salut des âmes ; elle parle réellement lorsquelle annonce la doctrine de ma Vérité, lorsquelle avertit et conseille le prochain, lorsquelle confesse la foi sans craindre ce que le monde peut lui faire souffrir. Elle parle hardiment devant toute créature, de toutes les manières et à chacun selon son état.
3.- Lâme aussi apaise la faim quelle a des âmes pour mon honneur sur la table de la très sainte Croix. Nulle autre (122) chose et nulle autre table ne pourraient la rassasier parfaitement. Elle broie sa nourriture avec les dents, sans lesquelles elle ne peut rien avaler. La haine et lamour sont comme deux rangées de dents dans la bouche du saint désir ; la nourriture quelle reçoit est préparée pas la haine delle-même et par lamour de la vertu, en elle et dans son prochain. Elle broie linjure, le mépris, les affronts, les reproches, les persécutions nombreuses ; elle supporte la faim, la soif, le froid, le chaud, les angoisses, les larmes et les sueurs pour le salut des âmes. Elle accepte tout pour mon honneur et ne rejette jamais son prochain.
4.- Quand tout est ainsi préparé, elle goûte et savoure le fruit de sa fatigue, et la douceur de ces âmes dont elle se rassasie dans ma charité et dans la charité du prochain. Cette nourriture parvient à lestomac, qui est excité par le désir et la faim des âmes ; et cet organe est lamour et le zèle de son coeur pour le prochain. Elle se plaît tant à savourer et à sapproprier cette nourriture, quelle perd le goût des délicatesses de la vie corporelle, afin de pouvoir mieux se rassasier de cet aliment, quelle trouve sur la table de la sainte Croix et de la doctrine de Jésus crucifié.
5.- Alors lâme sengraisse de solides et véritables vertus, et se développe tellement dans labondance, que le vêtement de la sensualité qui la couvre se déchire, cest-à-dire que son corps perd tout désir sensuel. Ce qui est ainsi déchiré meurt, et la volonté sensitive disparaît ; car la volonté de lâme qui vit en moi est revêtue de mon éternelle volonté : la sensualité meurt donc eu elle. Telle est lâme arrivée au troisième degré de la bouche. Ce qui indique son progrès, cest que la volonté propre est morte en goûtant lardeur de ma charité.
6.- Lâme trouve dans la bouche la paix et le repos. Tu sais que la bouche donne le baiser de paix : aussi à ce degré lâme possède tellement la paix, que personne ne peut la troubler, parce quelle a perdu et détruit sa volonté propre, dont la mort seuls procure la paix et le repos. Lâme alors enfante sans douleur des vertus à légard du prochain : non pas quelle Soit exempte de peine, mais sa volonté, qui est morte, ne peut plus les ressentir, et elle supporte tout volontairement pour lhonneur de mon nom. Elle court avec ardeur dans la voie de Jésus crucifié ; elle ne se laisse point (123) arrêter par linjure, par les persécutions quelle rencontre ou par les plaisirs que le monde voudrait lui donner : elle surmonte tout avec force et persévérance.
7.- Son amour sest revêtu du feu de ma charité ; il se rassasie du salut des âmes avec une patience sincère et parfaite. Cette patience est la preuve certaine que lâme maime parfaitement et sans intérêt. Car si elle maimait et aimait le prochain pour sa consolation, elle serait impatiente et sarrêterait dans sa route. Mais parce quelle maime pour moi, qui suis la souveraine Bonté, seule digne dêtre aimée, parce quelle saime et quelle aime le prochain pour moi, pour louer et glorifier mon nom, elle est patiente, forte et persévérante.
LXXVII.- Des oeuvres de lâme parvenue au troisième degré.
1.- Il y a trois glorieuses vertus qui sont fondées sur la charité, et qui sont les fruits de ses branches : ces vertus sont la patience, la force, la persévérance. Elles sont couronnées par la lumière de la très sainte foi ; cette lumière dissipe les ténèbres de lâme qui court dans la voie de la Vérité ; lâme est exaltée par un saint désir, et personne nest capable de larrêter. Le démon ne peut lui nuire par ses tentations, car il craint lâme embrasée du feu de la charité. Les persécutions et les injures des hommes sont impuissantes contre elle ; si le monde la poursuit, le monde aussi la redoute. Ma bonté le permet pour la fortifier et la faire grandir devant moi et devant le monde, parce quelle sest faite petite par humilité.
2.- Ne le vois-tu pas dans mes saints, qui se sont abaissés pour moi et que jai élevés en moi, et dans le corps mystique de la sainte Église, qui parle toujours deux, parce que leurs noms sont écrits en moi, le livre de vie? Oui, le monde les respecte, parce quils ont méprisé le monde. Ils ne cachent pas leur vertu par crainte, mais par humilité ; et si le prochain a besoin de leurs services, ils ne se cachent pas de peur de souffrir et de perdre leur consolation ; mais ils le servent avec courage, soubliant et se sacrifiant eux-mêmes.
3.- De quelque manière quils consacrent leur vie et (124) leur temps à mon honneur, ils sont heureux et trouvent la paix et le repos de lesprit. Pourquoi? Parce quils veulent me servir, non pas selon leur volonté, mais selon la mienne, et quils aiment le temps de la consolation comme le temps de la tribulation, la prospérité comme ladversité ; lune ne leur pèse pas plus que lautre, parce quen toute chose ils trouvent ma volonté, et quils nont pas dautre pensée que de sy conformer dès quils la connaissent.
4.- Ils ont vu que rien ne se fait sans moi et que tout est ordonné mystérieusement par ma providence, excepté le péché, qui est un néant. Cest pour cela quils détestent le péché et quils acceptent avec respect les autres choses. Ils sont fermes et inébranlables dans leur volonté de suivre la voie de la vérité. Ils ne se ralentissent jamais, et servent fidèlement leur prochain, sans sarrêter à son ignorance et à son ingratitude. Si quelquefois le méchant leur dit des injures et leur fait des reproches, ils nen continuent pas moins leurs bonnes oeuvres et les prières quils moffrent pour lui, et ils souffrent plus de loffense quil me fait et du tort quil cause à son âme que de toutes les injures qui leur sont adressées. Cétait ce que disait mon glorieux apôtre saint Paul : « Le monde nous maudit, et nous bénissons ; il nous persécute, et nous le souffrons avec patience et actions de grâce ; il blasphème, et nous prions ; nous sommes rejetés comme les ordures du monde, et nous le supportons » (I Cor. , IV, 12-13 ).
5.- Tu vois, ma fille bien-aimée, le signe par excellence qui montre que lâme a quitté lamour imparfait pour, lamour parfait : ce signe est la vertu de patience, qui lui fait suivre le doux Agneau sans tache, mon cher Fils. Lorsquil était sur la Croix où les clous de lamour lattachaient, il ne tint pas compte des injures des Juifs, qui lui criaient : « Descends, et nous croirons en toi » (S.Matth. XXVII, 42). Votre ingratitude ne lempêcha pas de persévérer dans lobéissance que je lui avais imposée, et sa patience fut si grande, quon nentendit pas la moindre plainte sortir de ses lèvres.
6.- Ainsi font mes enfants bien-aimés, mes fidèles serviteurs qui suivent la doctrine et lexemple de ma Vérité. Le monde a beau vouloir les faire reculer par ses caresses (125) ou ses menaces ; ils ne tournent jamais la tête en arrière, et fixent toujours leurs regards sur ma Vérité. Ils ne veulent jamais quitter le champ de bataille, pour venir reprendre chez eux le vêtement quils y ont laissé, cest-à-dire cet amour qui fait préférer la créature au Créateur. Ils restent joyeusement dans la mêlée, tout enivrés du sang de Jésus crucifié, de ce sang que jai chargé la sainte Église de distribuer pour soutenir et animer mes vrais chevaliers, qui combattent la sensualité, la chair, le mondé et le démon, avec la haine de leurs ennemis et lamour de la vertu. Cet amour est une armure qui résiste à tous les coups et rend invulnérable tant quon la conserve et que le libre arbitre ne livre pas volontairement à lennemi le glaive quil tient dans ses mains. Ceux qui sont enivrés du sang de mon Fils ne le font jamais ; ils persévèrent courageusement jusquà la mort, où tous leurs ennemis sont confondus.
7.- O glorieuse vertu, combien tu me plais! tu brilles dans le monde même, aux yeux ténébreux des ignorants qui ne peuvent sempêcher de participer à la lumière de mes serviteurs. Dans la haine avec laquelle ils les poursuivent brille la bonté de mes serviteurs, qui désirent leur salut. Dans leur envie brille la grandeur de la charité, dans leur cruauté la pitié : car plus ils sont cruels, plus mes serviteurs sont compatissants. Dans linjure triomphe la patience, qui règle et gouverne toutes les vertus, parce quelle est la moelle de la charité. Elle prouve et affermit les vertus de lâme ; elle montre si elles sont fondées ou non en moi. Elle est victorieuse et jamais vaincue, car elle est accompagnée, comme je te lai dit, de la force et de la persévérance ; elle remporte la victoire, et quand elle quitte le champ de bataille, cest pour venir à moi le Père, lEternel, qui récompense toute fatigue et qui lui donne la couronne de gloire.
LXXVIII.- Du quatrième état, qui nest pas séparé du troisième.- Des oeuvres de lâme arrivée à cet état, et comment Dieu ne se sépare jamais delle dune manière sensible.
1.- Je tai dit comment on reconnaît que lâme est arrivée (126) à la perfection de lamour sincère et filial ; maintenant je veux te dire le bonheur quelle goûte en moi, même dans son corps mortel. Lorsquelle est arrivée au troisième état dont je tai parlé, elle en atteint un quatrième, qui nest pas séparé du troisième, mais qui lui est uni nécessairement, comme ma charité est toujours unie à la charité du prochain. Cest un fruit qui sort de ce troisième état par lunion parfaite que lâme contracte avec moi ; elle y trouve une force si grande que non seulement elle souffre avec patience, mais quelle désire avec ardeur souffrir pour lhonneur et la gloire de mon nom.
2.- Elle se glorifie dans les opprobres de mon Fils unique, comme le disait mon apôtre saint Paul : « Je me glorifie dans la tribulation et dans les opprobres de Jésus crucifié » (II Cor., XII, 9). Et ailleurs : « Puis-je me glorifier en autre chose quen Jésus crucifié» ? Il disait aussi : « Je porte les stigmates de Jésus crucifié dans mon corps » (Gal., VI, 14-17). De même, ceux qui se passionnent pour mon honneur et qui sont affamés du salut des âmes, courent à la table de la très sainte Croix ; ils veulent souffrir beaucoup pour être utiles au prochain, pour conserver et acquérir des vertus en portant les stigmates du Christ dans leur corps. Car lamour crucifié qui les brûle, brille dans leur corps, et ils le montrent en se méprisant eux-mêmes, en se réjouissant des opprobres, des peines que je leur accorde, de quelque côté ou de quelque manière qu elles leur viennent.
3.- Pour ces fils bien aimés la peine est un plaisir et le plaisir une fatigue. Ils repoussent les consolations et les jouissances que leur offre le monde, non seulement ils ne veulent pas celles que le monde leur donne par ma permission, car quelquefois les serviteurs du monde sont forcés par ma bonté à les vénérer et à les assister dans leurs besoins, mais encore ils ne veulent pas des consolations spirituelles quils reçoivent de moi, et cela par humilité et par haine deux-mêmes. Ils ne méprisent pas la consolation, le présent de ma grâce, mais le plaisir que lâme trouve dans cette consolation. Ce qui les inspire, cest la vertu dune humilité sincère acquise par une sainte haine ; cette humilité est la gardienne et la nourrice de la charité que donne la connaissance de moi et deux-mêmes (127). Aussi tu vois briller dans leur esprit et dans leur corps la vertu et les stigmates de Jésus crucifié.
4.- Je leur fais la grâce de ne jamais me séparer deux dune manière sensible, comme je le fais pour les autres dont je me rapproche et méloigne, non par la grâce mais par la douceur de ma présence. Je nagis pas de la sorte avec ceux qui sont arrivés à la grande perfection et qui sont entièrement morts à leur volonté ; car je me repose continuellement dans leur âme par ma grâce et dune manière sensible. Dès quils veulent sunir à moi par un regard damour, ils le peuvent, parce que leur désir les attache tellement à moi que rien ne peut les en séparer. Tous les lieux et les instants leur conviennent pour la prière, parce que leur conversation sest élevée au-dessus de la terre, et sest fixée dans le ciel. Ils ont perdu toute affection terrestre, tout amour-propre sensitif ; ils se sont élevés au-dessus deux-mêmes jusque dans les hauteurs des cieux, par léchelle des vertus et les trois degrés que je tai montrés sur le corps de mon Fils.
5.- Au premier degré, ils ont dépouillé les pieds de leur affection de lamour du vice ; au second, ils ont goûté le secret et laffection du coeur, et ils ont conçu lamour pour les vertus ; au troisième, où est la paix de lesprit, ils ont acquis les vertus en quittant lamour imparfait, et ils sont parvenus à la grande perfection, où ils ont trouvé le repos dans la doctrine de ma Vérité.
6.- Ils ont trouvé la table, la nourriture et le serviteur. La nourriture, ils la goûtent au moyen de la doctrine de Jésus crucifié. Cest moi qui suis le lit et la table ; mon doux et tendre Fils est la nourriture ; car ils se rassasient en lui du salut des âmes, et ils se nourrissent de lui-même. Je vous lai donné pour aliment ; vous recevez au Sacrement de lAutel sa chair et son sang, sa divinité, son humanité tout entière, que ma bonté vous offre pour que vous ne tombiez pas de faiblesse pendant votre pèlerinage, pour que vous noubliiez pas le bénéfice du sang versé pour vous avec tant damour, mais pour que vous soyez toujours pleins de force et dardeur dans votre voyage.
7.- LEsprit Saint les sert, car lardeur de ma charité leur distribue les dons et les grâces. Ce doux serviteur va et vient pour les servir ; il me porte leurs ardents et amoureux (128) désirs, et il leur porte le fruit de leurs fatiguez, dont ils goûtent et savourent la douceur dans leurs âmes. Ainsi tu le vois, je suis la table, mon Fils est la nourriture, et le Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, est le serviteur.
8.- Remarque quils me possèdent toujours dune manière sensible : plus ils ont rejeté les jouissances et voulu la peine, plus ils ont perdu la peine et trouvé la Jouissance. Pourquoi ? Parce quils sont enflammés et embrasés de ma charité qui a Consumé leur volonté. Aussi le démon redoute les coups de leur charité ; il leur jette de loin ses flèches et nose pas en approcher.
9.- Le monde les frappe à lextérieur, croyant les blesser, et cest lui qui se blesse ; car le trait qui ne peut pénétrer revient sur celui qui le jette. Ainsi le monde, lorsquil lance les injures, la persécution et les murmures, sur mes parfaits serviteurs, ne trouve aucun endroit où il puisse les atteindre, parce que le jardin de leur âme est fermé ; et le trait revient sur celui qui la lancé, empoisonné par la faute. Il ne peut blesser daucun côté les parfaits, parce quen frappant le corps il natteint pas lâme qui reste heureuse et affligée, affligée de la faute du prochain, et heureuse de la charité quelle possède.
10.- Elle suit ainsi lAgneau sans tache, mon Fils bien-aimé, qui, sur la croix, était heureux et affligé. Il était affligé de la croix que souffrait son corps, et de la croix du désir quil avait dexpier la faute des hommes ; il était heureux, parce que la nature divine, unie à la nature humaine, ne pouvait souffrir et ravissait toujours son âme en se montrant à elle sans voile, li était heureux et affligé, parce que la chair souffrait, mais que la divinité ne pouvait souffrir, pas plus que son âme dans la partie supérieure de son entendement. De même, mes enfants bien-aimés, lorsquils sont arrivés au troisième et au quatrième degré, sont affligés par des croix spirituelles et corporelles, puisquils souffrent dans leur corps, comme je le permets, et quils sont tourmentés du regret que leur causent mon offense et le malheur du prochain ; mais ils sont heureux parce que le trésor de la charité quils possèdent ne peut leur être enlevé ; et cest pour eux une source dallégresse et de béatitude. (129)
11.- Leur affliction nest pas une douleur qui dessèche lâme : elle lengraisse, au contraire, dans lardeur de la charité. La peine augmente la vertu, la fortifie, la développe et lexcite. Elle naffecte pas lâme, mais elle la nourrit. Aucune douleur, aucune peine ne peut la retirer du foyer damour où elle est plongée. Un tison qui est embrasé dans une fournaise ne peut être saisi parce quil est tout en feu : de même lâme qui est jetée dans la fournaise de ma charité nest plus rien en dehors de moi ; sa volonté est détruite et elle est toute embrasée en moi ; personne ne peut la prendre et la retirer de ma grâce, parce quelle est devenue une même chose avec moi, et moi une même chose avec elle.
12.- Jamais je ne lui retire ma présence comme je le fais pour les autres dont je me rapproche et méloigne pour les conduire à la perfection. Lorsquils y sont arrivés je cesse ce jeu de lamour ; cette alternative de visites et dabsences est un jeu de lamour ; cest par amour que je pars, cest par amour que je reviens. Je ne me retire pas réellement, car je suis un Dieu immuable et je ne change pas ; mais cest leffet sensible de ma charité dans lâme qui parait et disparaît.
LXXIX.- Dieu ne se sépare jamais des parfaits par grâce et par sentiment, mais par union.
Dans sa traduction latine, le bienheureux Raymond, confesseur de sainte Catherine, affirme ici que létat dont il est question était celui de notre sainte.
1.- Je te disais que les parfaits ne perdent jamais le sentiment de ma présence. Je méloigne cependant dune autre manière, parce que leur âme, qui est unie à leur corps, ne pourrait supporter continuellement lunion que je contracte avec elle. Et parce quelle ne le peut pas, je méloigne, non par sentiment ou par grâce, mais par union.
2.- Lorsque lâme sélance avec ardeur vers la vertu par le pont de la doctrine de Jésus crucifié, et quelle arrive à la porte divine, elle élève son esprit eu moi, elle se baigne et senivre du sang ; elle brûle du feu de lamour et goûte en moi la divinité même. Lâme sunit tellement à cet océan tranquille, quelle ne peut avoir de pensée quen (130) moi. Dès sa vie mortelle elle goûte le bien de limmortalité, et malgré le poids de son corps elle reçoit les joies de lesprit.
3.- Souvent son corps est élevé de terre par la parfaite union de lâme avec moi, comme si le corps était déjà devenu subtil. Il na pas perdu sa pesanteur, mais parce que lunion de lâme avec moi est plus parfaite que son union avec le corps, la force de lesprit fixé en moi soulève de terre le poids du corps, et le corps reste immobile et brisé par lamour de lâme : tellement que, comme tu las entendu dire de quelques personnes, il lui serait impossible de vivre si ma bonté ne lui en donnait pas la force. Et je veux que tu saches que cest un plus grand miracle de voir lâme ne pas quitter le corps dans cette union, que de voir plusieurs corps morts ressusciter.
4.- Aussi jarrête pour quelque temps cette union de lâme et je la fais retourner dans le vase de son corps ; la sensibilité de ses organes, qui avait été suspendue par lardeur de lâme, recommence ses fonctions. Car lâme nest complètement séparée du corps que par la mort, mais elle perd seulement ses puissances par lamour qui lunit à moi. La mémoire ne contient dautre chose que moi ; lintelligence ne contemple dautre objet que ma Vérité, et lamour qui suit lintelligence, naime et ne sunit quà ce que voit lintelligence. Toutes ses puissances sont unies, abîmées et consumées en moi. Le corps perd tout sentiment. Loeil en voyant ne voit pas, loreille en entendant nentend pas, la langue en parlant ne parle pas, à moins que quelquefois, à cause de la plénitude du coeur, je ne permette à la langue de le laisser déborder et de parler pour la gloire de mon nom.
5.- Ainsi, la langue en parlant ne parle pas, la main en touchant ne touche pas, les pieds en marchant ne marchent pas ; tous les membres sont liés et retenus par les liens de lamour, et ces liens les soumettent tellement à la raison et les unissent si étroitement à lardeur de lâme, que tous ensemble, contrairement à la nature, ils crient vers moi le Père éternel pour que le corps soit séparé de lâme et lâme du corps. Cest ce que me criait le glorieux saint Paul : «Malheureux que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? Je vois dans mes membres (131) une loi contraire à la loi de lesprit » (Rom., VII , 23-24).
6. Paul ne parlait pas seulement du combat de la chair contre lesprit, car ma parole lavait pour ainsi dire rassuré, lorsquil lui avait été dit : « Paul, ma grâce te suffit» ( II Cor., XII, 9). Il parlait ainsi parce quil se sentait enfermé dans son corps, qui empêchait ma vision pour quelque temps. Jusquau moment de la mort, loeil ne peut voir léternelle Trinité de la même vision que les Bienheureux qui rendent sans cesse honneur et gloire à mon nom. Tant que Paul se trouvait parmi les hommes qui sans cesse moffensent, il était privé de me voir dans mon essence.
7.- Mes serviteurs me voient et me goûtent, non pas dans mon essence, mais dans leffet de la charité, de différentes manières, selon quil plaît à ma bonté de me manifester ; mais cette vue de lâme unie au corps est une obscurité quand on la compare à la vue de lâme séparée du corps. Il semblait à Paul que la vue corporelle empêchait la vue spirituelle, et que ses sens grossiers privaient son âme de me contempler face à face. Sa volonté lui paraissait liée de telle sorte quil ne pouvait aimer autant quil devait aimer, parce que tout amour dans cette vie est imparfait jusquà ce quil arrive à sa perfection.
8.- Lamour de Paul, comme celui de mes autres vrais serviteurs, nétait pas imparfait quant à la grâce et à la charité ; il était parfait sous ce rapport, mais il était imparfait parce quil ne pouvait rassasier son amour. Cétait là sa peine. Sil avait pu satisfaire son désir de ce quil aimait, il naurait eu aucune peine ; mais il souffrait parce que lamour, tant quil est dans un corps mortel -na pas parfaitement ce quil aime.
9.- Dès que lâme, au contraire, est séparée du corps, son désir est rempli et lamour est sans peine. Lâme alors est rassasiée, mais elle lest sans dégoût, parce quétant rassasiée elle a toujours faim, sans avoir la peine de la faim, car dès que lâme est séparée du corps, elle déborde dune félicite parfaite, et elle ne peut rien désirer sans la voir. Elle désire me voir, et elle me soit face a face, elle désire voir la gloire de mon nom dans mes saints, et elle la voit dans la nature angélique et dans la nature humaine. (132)
LXXX.- Les mondains rendent gloire à Dieu, quils le veuillent ou ne le veuillent pas.
1.- La vue de lâme bienheureuse est si parfaite quelle voit la gloire et lhonneur de mon nom, non seulement dans les habitants du ciel, mais encore dans ceux de la terre. Quil le veuille ou non, le monde me rend gloire. Il est vrai quil ne le fait pas comme il devrait, en maimant par dessus toute chose ; mais moi je trouve dans.
les hommes la gloire et la louange de mon nom, puisquen eux brillent ma miséricorde et la grandeur de ma charité.
2.- Je leur laisse le temps, et je ne commande pas à la terre de les engloutir pour leurs fautes ; je les attends, au contraire, et je dis à la terre de leur donner ses fruits, au soleil de les éclairer et de les chauffer de ses rayons ; je conserve au ciel la régularité de ses mouvements et je répands ma miséricordieuse bonté sur toutes les. choses qui sont faites pour eux. Non seulement je ne les leur retire pas à cause de leurs fautes, mais encore je les donne au pécheur comme au juste, et même souvent plus-au pécheur quau juste, parce que le juste peut souffrir, et que je le prive des biens de la terre pour lui donner plus abondamment les biens du ciel. Ainsi, ma miséricorde et ma charité brillent sur eux.
3.- Quelquefois, les persécutions que les serviteurs du monde font supporter à mes serviteurs éprouvent leur patience et leur charité ; elles ne servent quà me faire
offrir dhumbles et continuelles prières ; elles tournent. ainsi à la gloire et à lhonneur de mon nom. Quil le veuille ou non, le méchant cause ma gloire, même par ce quil fait pour moffenser.
LXXXI.- Comment les démons même rendent gloire à Dieu
1.- De même que les pécheurs servent- dans cette vie à augmenter la vertu de mes serviteurs, de même les dé-nions dans lenfer sont les bourreaux et les ministres de
ma justice sur les damnés. Ils servent aussi mes créatures, (133) qui, dans leur pèlerinage terrestre, désirent arriver a moi, leur fin. Ils les servent en exerçant leur vertu par des attaques et des tentations de toute sorte, en les exposant aux injures et aux injustices des autres afin de leur faire perdre la chante, mais en voulant dépouiller mes serviteurs, ils les enrichissent en exerçant leur patience, leur force et leur persévérance. De cette manière ils rendent gloire et honneur à mon nom.
2.- Ainsi saccomplit ma vérité en eux. Je les avais créés pour me louer, me glorifier et pour les faire participer à ma beauté ; mais ils se sont révoltés contre moi par orgueil, ils sont tombés, ils ont été privés de ma vision. Ils ne me rendent pas gloire par lamour ; mais moi, la Vérité éternelle, je les ai faits des instruments pour exercer mes serviteurs à la vertu, et des bourreaux pour punir les damnés ou pour purifier ceux qui sont dans le purgatoire. Tu vois que ma vérité saccomplit véritablement a eux, puisquils me rendent gloire, non pas comme les habitants du ciel, dont ils sont exilés par leur faute, mais comme les ministres de ma justice dans les enfers et dans le purgatoire.
LXXXII.- Lâme, délivrée de cette vie, voit parfaitement la gloire de Dieu dans toute créature ; elle na plus la peine du désir, mais seulement le désir.
1.- Qui est-ce qui voit et goûte en toute chose, dans les créatures raisonnables et dans les démons même la gloire et lhonneur de mon nom? Cest lâme dépouillée de son corps et parvenue à moi, qui suis sa fin. Elle voit parfaitement et connaît la Vérité. En me voyant, moi, le Père, elle aime ; en aimant, elle est rassasiée ; en étant rassasiée, elle connaît la vérité, et cette connaissance de la vérité fixe sa volonté dans la mienne ; elle y est tellement ferme et attachée, que rien ne peut lui causer de peine, parce quelle a ce quelle désirait avoir. Elle désirait avant tout me voir et voir glorifier mon nom ; elle le voit pleinement et véritablement dans mes saints, dans les anges, dans toutes les créatures, dans les démons mêmes.
2.- Elle voit loffense qui mest faite ; elle ne peut (134) plus comme autrefois en ressentir de la douleur, elle en éprouve seulement de la compassion ; elle aime sans peine et prie toujours avec charité pour que je fasse miséricorde au monde. En elle la peine est passée, mais non la charité. Le Verbe, mon Fils, vit finir, dans la mort douloureuse de la Croix, la peine du désir de votre salut qui le tourmentait ; mais le désir de votre salut na pas cessé avec la peine.
3.- Si lardeur de ma charité que je vous ai montrée en mon Fils avait cessé pour vous, vous ne seriez pas. Vous êtes faits par amour ; si je retirais lamour, cest-à-dire si je naimais pas votre être, vous ne seriez pas ; mais mon amour vous a créés, mon amour vous conserve, et, parce que je suis une même chose avec mon Verbe et mon Verbe avec moi, la peine du désir a cessé, mais non pas le désir.
4.- De même les saints qui ont la vie éternelle conservent le désir du salut des âmes, mais sans en avoir la peine ; la peine sest éteinte dans leur mort, mais non ardeur de la charité. Ils sont comme enivrés du sang de lAgneau sans tache, et revêtus de la charité du prochain Ils ont passé par la porte étroite, tout inondés du sang
de Jésus crucifié, et ils se trouvent en moi, locéan de la paix, délivrés de limperfection, cest-à-dire de la peine du désir, car ils sont arrivés à cette perfection où ils sont rassasiés de tout bien.
LXXXIII.- Comment saint Paul, après avoir vu la gloire des Bienheureux, désirait être délivré de son corps.
I.- Paul avait vu et goûté ce bien quand je lélevai au troisième ciel, cest-à-dire à la hauteur de la Trinité. Il avait connu et goûté ma vérité en recevant la plénitude du Saint-Esprit, et en apprenant la doctrine de mon Verbe incarné. Son âme se revêtit de moi, le Père, par union et par sentiment, comme les Bienheureux dans le
ciel, excepté que son âme nétait pas séparée de son corps. Il plut à ma bonté den faire un vase délection dans labîme de ma Trinité, et je le dépouillai de moi, parce quen moi ne peut être la peine ; et je voulais quil souffrît pour mon nom. (135)
2.- Je donnai pour objet à son intelligence Jésus crucifié, le revêtant du vêtement de sa doctrine, le liant et lenchaînant avec la clémence du Saint- Esprit, qui est le feu de la charité. Il devint par ma bonté un vase utile et nouveau ; il ne résista pas quand il fut frappé, mais il dit : « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ; dites ce que vous voulez que je fasse et je le ferai ». (Act., IX, 6). Alors je lenseignai en lui montrant Jésus crucifié, en le revêtant de la doctrine de ma charité. Je lilluminai parfaitement par la lumière de la vraie contrition, avec laquelle il effaça ses fautes, en sappuyant sur ma charité (La fin de ce chapitre et le commencement du chapitre suivant ne se trouvent pas dans lédition italienne de Gigli. Nous les donnons daprès la traduction latine du bienheureux Raymond de Capoue.).
3.- Il se revêtit tellement de la doctrine de Jésus crucifié, il y fixa si fortement son âme, quil ne put en être dépouillé et séparé, ni par les tentations du démon, ni par les combats de la chair, que ma bonté permettait pour le faire croître en mérite et en grâce, pour conserver son humilité après quil eut joui des grandeurs de la Trinité. Jamais il ne quitta en la moindre chose ce vêtement de Jésus-Christ ; il le garda dans toutes ses épreuves et. ses tribulations, et il persévéra toujours dans la doctrine de la Croix. Il se létait tellement incorporé, quil donna sa vie pour ne pas sen séparer, et retourna vers moi avec ce vêtement divin.
4.- Paul avait goûté ce que cétait que jouir de moi sans le poids de son corps ; je lui avais permis den jouir par union, mais non pas complètement séparé de son corps. Quand il fut revenu à lui, revêtu de Jésus crucifié, il lui sembla que son amour était imparfait en le comparant à la perfection de lamour quil avait goûté en moi, et quil avait vu dans les Bienheureux séparés de leurs corps. Il sentait que le poids de son corps était un obstacle qui empêchait la perfection et le rassasiement dont lâme jouit après la mort. Sa mémoire lui paraissait faible et imparfaite, et cette faiblesse, cette imperfection le rendaient incapable de pouvoir me retenir, me recevoir, me goûter avec la perfection des saints dans le ciel. (136)
5.- Il lui semblait que, tant quil était dans son corps mortel, il rencontrait en toute chose une loi mauvaise qui combattait lesprit, non. par un entraînement au péché, puisque je lui avais dit : « Paul, ma grâce te suffit», mais par un empêchement à la perfection de lesprit, qui consiste à me voir dans mon essence. Et comme cette vision est impossible avec la loi et la pesanteur du corps, Paul sécriait : « O homme infortuné que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? car jai dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit ».
6.- Cest la vérité ; car la mémoire est combattue par limperfection du corps, lintelligence, arrêtée par sa pesanteur, ne peut me voir tel que je suis dans mon essence, et la volonté, enchaînée par ses liens, ne peut me goûter sans peine, comme je te lai fait comprendre. Ainsi Paul avait bien raison de dire : Jai dans mon corps une loi qui combat la loi de mon esprit. De même mes serviteurs que je tai montrés parvenus au troisième et au quatrième degré dunion parfaite avec moi, crient aussi quils désirent être délivrés et séparés des liens de leur corps.
LXXXIV.- Des causes qui font désirer à lâme dêtre séparée de son corps.
1.- Mes, fidèles serviteurs ne connaissent pas la crainte, et langoisse de la mort, ils la désirent au contraire. Dans la rude guerre quils ont faite à leurs corps avec une sainte haine, ils ont perdu cette tendresse naturelle qui unit le corps et lâme ; ils ont vaincu et détruit lamour deux-mêmes, et ils désirent mourir par amour pour moi. Ils disent : Qui me délivrera de ce corps de mort? Je désire en être affranchi pour être avec le Christ. Ils disent avec lApôtre : La mort est mon désir, mais je prends la vie en patience. Dès que lâme est élevée à lunion parfaite, elle ne souhaite plus que de me contempler et de me voir glorifié en tontes choses.
2.- (Le chapitre LXXXIV commence ici dans lédition italienne ) Quand lâme revient à ses sens corporels, qui avaient été absorbés en moi par leffet de lamour, elle (136)
supporte péniblement la vie, parce quelle se voit privée de lunion quelle avait avec moi, et de la société désirable des Bienheureux qui nie rendent sans cesse gloire. Elle se retrouve parmi les hommes, dont elle voit les iniquités si nombreuses. Ce spectacle lui cause une amère douleur et augmente son désir de me voir. La vie lui devient insupportable.
3.- Cependant comme sa volonté ne lui appartient plus et quelle est devenue par lamour une même chose avec moi, elle ne peut vouloir et désirer autre chose que ce que je veux. Elle désire venir, mais elle est contente de rester si je lordonne, et de souffrir beaucoup pour ma gloire et pour le salut des âmes. Elle ne séloigne en rien de ma volonté, mais elle court avec ardeur ; revêtue de Jésus crucifié, elle passe par le pont de sa doctrine, en se glorifiant dans les opprobres et dans la peine. Plus elle souffre, plus elle se réjouit : la multitude des tribulations calme le désir quelle a de la mort, et souvent lamour des souffrances adoucit la peine quelle éprouve de nêtre
pas délivrée de son corps.
4.- Non seulement mes serviteurs souffrent alors avec patience comme ceux qui Sont au troisième degré, mais ils se glorifient encore de souffrir beaucoup en mon nom ; quand ils souffrent, ils se réjouissent ; et quand ils ne souffrent pas, ils sen affligent, parce quils craignent que je ne veuille les récompenser en cette vie, et que le sacrifice de leurs désirs ne me soit point agréable. Dès que je leur envoie au contraire beaucoup dépreuves, ils sont heureux de se voir revêtus des peines et des opprobres de Jésus-Christ.
5.- Sils pouvaient être vertueux sans fatigue, ils ny consentiraient pas ; ils préféreraient se réjouir sur la croix avec le Christ, et acquérir la vie éternelle par la souffrance plutôt que par tout autre moyen. Pourquoi? Parce quils sont abîmés et embrasés dans ce sang où ils trouvent ma charité, ce feu qui sort de moi pour ravir leur coeur, leur esprit et consumer le sacrifice de leur désir. Cest ainsi que le regard de lintelligence sélève à cette contemplation de ma divinité, où lamour sunit et se développe en suivant lentendement. Cette vue surnaturelle est une grâce infinie que je donne à lâme qui maime et me sert en vérité. (138)
LXXXV.- Ceux qui sont arrivés à cet état unitif sont éclairés dans leur intelligence par une lumière surnaturelle et infuse de la grâce.- Il vaut mieux consulter, pour le salut de son âme, un humble qui a une conscience pure, quun savant qui a de lorgueil.
1.- Cest avec cette lumière qui éclairait son intelligence que me vit saint Thomas dAquin et quil acquit, les clartés de la science, comme le firent saint Augustin saint Jérôme et nies autres saints docteurs. Ils étaient éclairés den haut et comprenaient dans les ténèbres ma vérité, cest-à-dire la Sainte Ecriture qui parait obscure parce quelle nest pas comprise, non par le défaut de lÉcriture, mais par lignorance de celui qui ne la comprend pas. Aussi jai donné ces lampes pour éclairer les
aveugles et les intelligences grossières, afin que lhomme puisse connaître la vérité dans les ténèbres.
2.- Moi, le feu qui consume le sacrifice, je les ai ravis en leur donnant la lumière surnaturelle qui fait comprendre la vérité dans les ténèbres. Et alors ce qui paraissait obscur est devenu évident pour les ignorants comme pour les savants. Chacun reçoit la lumière selon sa capacité et selon la préparation quil apporte à mie connaître ; car je ne méprise les bonnes dispositions de personne.
3.- Lintelligence reçoit une lumière infuse par la grâce, supérieure à la lumière naturelle, une lumière avec laquelle les saints docteurs et mes autres serviteurs ont connu la lumière dans les ténèbres. Des ténèbres est venue la lumière, car lintelligence a été formée avant lÉcriture ; cest dé lintelligence que vient la science, puisque cest en voyant quelle discerne.
4.- Avec cette lumière, les prophètes ont vu lavènement et la mort de mon Fils ; les apôtres lont possédée après la descente du Saint-Esprit ; les évangélistes, les docteurs, les confesseurs, les vierges, les martyrs en ont tous été éclairés ; tous lont reçue selon que le demandaient leur salut, le salut des âmes et lenseignement de la Sainte Écriture. (139)
5.- Les docteurs lont reçue pour expliquer la doctrine de ma Vérité, la prédication des Apôtres et les textes des Évangélistes ; les martyrs, pour montrer par leur sang la lumière de la foi, le trésor et le fruit du sang de lAgneau ; les vierges lont montrée par la charité et la pureté. Les obéissants ont fait briller lobéissance du Verbe, cette obéissance parfaite que mon Fils a embrassée pour courir à la mort ignominieuse de la Croix.
6.- Cette lumière est visible dans lAncien et dans le Nouveau Testament. Dans lAncien Testament, par les prophètes dont lintelligence a été surnaturellement éclairée par ma grâce ; dans le Nouveau Testament, par la vie évangélique révélée au chrétien fidèle. La nouvelle loi venait de la même lumière, car elle na pas détruit lancienne, elle en est inséparable ; elle en a seulement ôté limperfection, parce quelle était fondée sur la crainte.
7.- Lorsque le Verbe mon Fils vint avec la loi damour, il laccomplit en lui donnant lamour, en ôtant la crainte de la peine, et en ne lui laissant que la bonne et sainte,
crainte. Aussi, mon Fils disait à ses disciples pour montrer quil ne détruisait pas la loi : « Je ne suis pas venu pour- détruire la loi, mais laccomplir » (S. Matth., V. 17 ). Comme sil disait : Jusquà présent, la loi était imparfaite ; mais avec mon sang je la rendrai parfaite et je laccomplirai en ce qui lui manque, parce que jôterai la crainte de la peine ; je létablirai sur lamour et sur la crainte sainte et filiale.
8.- Comment la Vérité est-elle connue? Par la lumière surnaturelle qui est donnée à qui veut la recevoir de ma grâce. Toute lumière qui sort de la sainte Ecriture, sort de cette lumière. Les ignorants, orgueilleux de leur science, saveuglent dans la lumière, parce que leur orgueil et les nuages de lamour-propre en couvrent et en cachent la clarté. Ils comprennent la lettre et lapparence de lÉcriture plus quils nen saisissent le sens ; ils goûtent la lettre en consultant beaucoup de livres, mais ils ne goûtent pas la moelle de lÉcriture, parce quils sont privés de la lumière avec laquelle lÉcriture a été formée et présentée.
9.- Ceux-là sétonnent et murmurent quand ils voient des gens sans instruction plus éclairés sur la vérité que (140) ceux qui ont longtemps étudié. Ce nest pas surprenant, puisquils possèdent la cause de la lumière doù vient la science ; mais, parce que, les superbes ont, perdu la lumière, ils ne voient pas et ne connaissent pas ma bonté et la lumière de la grâce répandue sur mes serviteurs.
10.- Aussi je te dis quil vaut mieux prendre pour le conseiller de son âme une personne humble qui a une conscience droite et pure, quun savant orgueilleux qui a beaucoup étudié. Car on ne peut donner que ce quon a soi-même. Une vie de ténèbres change souvent en ténèbres pour les autres la lumière des Saintes Écritures. Tu trouveras le contraire dans mes serviteurs parce que la lumière quils ont en eux, ils la présentent avec lardent désir du salut des âmes.
11.- Je te dis cela, ma très douce fille ; pour te faire connaître la perfection de létat unitif, où lintelligence est ravie par le feu de ma charité qui donne la lumière surnaturelle. Lâme maime avec cette lumière, parce que lamour suit lintelligence ; plus elle connaît, plus elle aime, et plus elle aime, plus elle connaît. Lintelligence et lamour se nourrissent réciproquement.
12.- Cest par cette lumière que lâme isolée du corps parvient à mon éternelle vision, où elle me goûte en vérité, comme je te lai dit en texpliquant le bonheur que lâme reçoit en moi. Cest létat le plus élevé où lâme dans sa vie mortelle puisse goûter la vie des Bienheureux. Souvent son union est si grande, quelle sait à peine si elle est avec son corps ou sans son corps. Elle a un avant-goût de la vie éternelle, parce quelle mest étroitement unie, et que sa volonté est morte en elle : cest cette mort qui lunit à moi, et il ny a pas dautre moyen de sunir à moi parfaitement. Lâme goûte la vie éternelle dès quelle est délivrée de lenfer de sa volonté propre. Lhomme souffre comme un damné quand il obéit à sa volonté sensitive.
LXXXVI.- Résumé de ce qui précède.- Dieu invite lâme à prier pour toute créature et pour la sainte Église.
1.- Tu as vu avec ton intelligence et tu a entendus (141) avec ton coeur, comment tu devais profiter pour toi et pour ton prochain de la doctrine et de la connaissance de ma Vérité. Je te lai dit en commençant, tu dois arriver à la connaissance de la vérité par la connaissance de toi-même ; mais cette connaissance de toi-même doit être jointe et unie à la connaissance de moi-même en toi. Cest ce qui te donnera lhumilité, la haine, le mépris personnel et le feu de la charité que tu trouveras dans ma connaissance ; tu parviendras ainsi à lamour du prochain, en lui étant utile par la doctrine et les exemples dune vie sainte.
2.- Je tai montré un pont et les trois degrés qui représentent les trois puissances de lâme. Personne ne peut avoir la vie le la grâce sil ne monte ces trois degrés, cest-à-dire, sil ne réunit toutes ses puissances en mon nom. Je tai montré plus parfaitement ces trois degrés de lâme figurés sur le corps de mon Fils unique, dont je fais un moyen de vous élever, en parvenant à ses pieds percés, à louverture de son côté, et à sa bouche où lâme goûte la paix et le repos.
3.- Je tai fait connaître limperfection de la crainte servile, et limperfection de lamour de ceux qui maiment à cause de la douceur quils trouvent en moi. Tu as vu la perfection du troisième degré, celle de ceux qui sont arrivés à la paix de la bouche, après avoir couru avec un ardent désir sur le pont de Jésus crucifié et avoir monté-les trois degrés principaux, en unissant les puissances de leur âme et toutes leurs opérations en mon nom, comme je te lai clairement expliqué. Tu les as vus, après avoir franchi les trois degrés particuliers, passer de létat imparfait à létat parfait dans lequel ils courent en vérité.
4.- Je tai fait goûter la perfection de lâme et les parfums de ses vertus. Je tai montré aussi les pièges où elle peut tomber avant darriver à la perfection, si elle ne sapplique pas toujours à se connaître et à me connaître Je tai montré le malheur de ceux qui se noient dans le fleuve, en ne passant pas par le pont de la doctrine de ma Vérité, que -je vous ai donné pour que vous ne périssiez pas ; mais les insensés ont préféré se noyer dans les misères et la fange du monde. (142)
5.- Je tai montré ces choses pour augmenter en toi le feu des saints désirs et la douleur de la perte des âmes, afin que la douleur et lamour te poussent à me faire violence par les larmes, les sueurs, les humbles et continuelles prières que tu moffriras avec ardeur. Je tai parlé pour que beaucoup dautres qui me servent mentendent, et pour quenflammés de ma charité, vous mimploriez tous et vous me forciez à faire miséricorde au monde et au corps mystique de la sainte Église pour lequel tu mas tant prié.
6.- Je tai promis, si tu te le rappelles, dexaucer vos saints désirs et de récompenser vos peines. Je réformerai la sainte Église en lui donnant de bons et saints pasteurs. Ce ne sera pas avec la guerre, le glaive et la cruauté, mais avec la paix, le calme, les larmes et les sueurs de mes amis ; je vous ai envoyés travailler à vos âmes et à celles du prochain, dans le corps mystique de la sainte Église, en agissant par la vertu, lexemple et la doctrine, en moffrant de continuelles prières pour le salut des hommes, et en produisant des vertus dans le prochain. Car je veux que vous soyez utiles à votre prochain, cest le moyen véritable de faire fructifier votre vigne.
7.- Ne cessez jamais de faire monter vers moi le bon encens de vos prières pour le salut des âmes, parce que je veux faire miséricorde au monde. Je laverai avec vos prières, vos sueurs et vos larmes, la face de mon épouse, la sainte Église, que je tai montrée sous la forme dune femme dont le visage est sali et pour ainsi dire couvert de lèpre, parce que les ministres de la religion et tous les chrétiens lont souillée de leurs fautes, comme je te lexpliquerai bientôt.
LXXXVII.- Lâme demande à Dieu de vouloir bien lui faire connaître les différentes sortes de larmes.
1.- Alors cette âme tourmentée dun immense désir, et tout enivrée de son union avec Dieu et de ce quelle avait entendu de la Vérité suprême, se désolait de laveuglement des créatures qui méconnaissaient leur bienfaiteur et lardeur de la charité divine. Elle se réjouissait cependant de (143) lespérance que Dieu lui avait donnée, en lui enseignant ce quelle devait faire avec ses autres serviteurs, pour obtenir sa miséricorde au monde. Elle fixa le regard de son intelligence dans la douce Vérité à laquelle elle était unie, parce quelle voulait savoir quelque chose des états de lâme dont Dieu lui avait parlé. Et comme elle voyait que lâme passe
à ces états par les larmes, elle désirait apprendre de la Vérité la différence des larmes, ce quelles sont, doù elles viennent et les fruits quelles produisent.
2.- La vérité ne pouvant être connue et comprise que par la Vérité même, elle sadressait à la Vérité, où rien ne saperçoit que par lintelligence. Celui qui veut la connaître doit sélever vers elle par lardeur du désir, en ouvrant loeil de son intelligence par la lumière de la foi, en fixant son regard sur la Vérité. Quand donc cette âme eut connu quelle ne sétait pas écartée de la doctrine que Dieu, la Vérité même, lui avait enseignée, et quil ny avait pas dautres moyens de connaître ce quelle voulait savoir des différentes larmes et de leurs fruits, elle séleva au dessus delle-même par un effort extraordinaire de son désir, et à la lumière dune foi vive, elle fixait son regard dans la Vérité éternelle où elle vit et connut la vérité de ce quelle demandait. Dieu se manifestait à elle, et sa bonté condescendait à son ardent désir et accueillait favorablement sa demande.
LXXXVIII.- Des larmes qui se rapportent aux différents états de lâme.
1.- La Vérité suprême lui disait doucement : Ma très douce et très chère fille, tu me demandes de tapprendre les causes des larmes et leurs résultats ; je veux satisfaire ton désir. Ouvre donc loeil de ton intelligence, et je -te montrerai par les trois états de lâme les larmes imparfaites qui viennent de la crainte. Mais avant je texpliquerai celles que répandent les hommes coupables du monde : ce sont des larmes de damnation. Les secondes larmes sont celles de la crainte, celles de ceux qui fuient le péché pour éviter le châtiment et qui pleurent par crainte. Les troisièmes sont celles de ceux qui, purifiés du péché, pleurent avec douceur en commençant à me goûter et à me servir. Mais, parce que leur (144) amour est imparfait, leurs larmes sont encore imparfaites. Les quatrièmes sont celles de ceux qui sont arrivés à la perfection de la charité du prochain, en maimant sans intérêt pour eux-mêmes. Ceux-là pleurent, et leurs larmes sont parfaites. Les cinquièmes sont mêlées aux quatrièmes ; ces larmes sont dune douceur extrême, et il y a un grand charrue à les répandre, comme je te le dirai bientôt.
2.- Je te parlerai aussi des larmes de feu, que loeil ne verse pas, parce que ce sont celles de ceux qui voudraient pleurer et ne le peuvent pas. Lâme passe par ces différentes larmes en quittant la crainte et lamour imparfait pour arriver à la charité parfaite de létat unitif. Je vais texpliquer toutes ces larmes.
LXXXIX.- Des différentes sortes de larmes.
1.- Apprends, ma fille, que toute larme vient du coeur, car aucune partie du corps ne correspond si parfaitement que loeil aux affections du coeur. Si le coeur souffre, loeil le fait paraître. Si sa douleur est sensuelle, les larmes le sont aussi et engendrent la mort, parce quelles procèdent dun amour déréglé qui moffense et qui empoisonne la douleur et les larmes. Cette douleur et ces larmes sont plus ou moins
coupables, selon la mesure de lamour déréglé, ceux qui pleurent ainsi répandent les larmes de mort dont je tai parlé.
2.- Voici maintenant les larmes qui commencent à donner la vie : ce sont les larmes de ceux qui à la vue de leurs fautes commencent à pleurer par crainte du châtiment. Ces larmes sont humaines et sensibles, parce que lâme na pas encore la haine parfaite de sa faute, à cause de loffense quelle ma faite ;sa douleur vient de la peine qui suit le péché commis, et loeil pleure parce quil obéit au mouvement du coeur.
3.- Lorsque lâme sexerce à la vertu, elle commence à perdre la crainte, parce quelle connaît que la seule crainte ne suffit pas pour donner la vie éternelle, comme je te lai expliqué dans le second état de lâme. Alors elle sélève avec amour à la connaissance delle-même et de ma bonté jour elle, et elle commence à espérer de ma miséricorde dans laquelle se réjouit son coeur. La douleur de sa faute se mêle à la joie de lespérance dans ma miséricorde, et loeil commence à verser des larmes qui viennent de la source du cur (145).
4.- Mais, parce que lâme nest pas parvenue à la véritable perfection, souvent ces larmes sont encore sensuelles. Et si tu me demandes pourquoi, je te répondrai : Parce que la racine de lamour-propre nest pas détruite : Je ne parle pas de lamour-propre sensitif, car il est vaincu, mais de lamour-propre spirituel, qui fait désirer à lâme les consolations qui viennent de moi ou de quelque créature quelle afme dune affection spirituelle.
5.- Lorsquelle est privée de ces consolations intérieures ou extérieures, intérieures si elles viennent de moi, ou extérieures si elles viennent des créatures, lorsquelle est éprouvée par les tentations du démon et par les persécutions des hommes, son coeur souffre, et aussitôt loeil ressent sa douleur et commence à répandre des larmes personnelles qui viennent de la tendresse que lâme u pour elle-même, parce que sa volonté propre nest pas encore entièrement foulée aux pieds et détruite. Ces larmes sont sensuelles, car elles procèdent dune passion spirituelle dont je tai montré limperfection.
6.- Mais si lâme, en augmentant la connaissance delle-même, se méprise et se hait parfaitement ; si elle acquiert ainsi une vraie connaissance de ma bonté et un ardent amour, elle commence à unir et conformer sa volonté à la mienne, et à ressentir intérieurement la joie de la compassion, la joie de lamour et la compassion du prochain, comme je te lai dit en parlant du troisième état. Aussitôt loeil qui veut satisfaire le coeur verse des larmes excitées par ma charité et par lamour du prochain. Lâme pleure sur loffense qui mest faite, et sur le malheur du prochain, sans penser à la peine quelle peut en recevoir elle-même, parce quelle soublie pour ne penser quà rendre gloire à mon nom ; et dans lardeur de son désir elle se rassasie à la table de la sainte Croix, en imitant lhumilité, la patience de lAgneau sans tache, mon Fils unique, dont jai fait un pont pour les hommes.
7.- Lorsque lâme a passé sur ce pont, en suivant la doctrine de rua Vérité et lexemple de mon Verbe, elle souffre avec une sincère patience les épreuves et les afflictions que je permets pour son salut ; non seulement elle les supporte avec patience, mais encore avec joie et empressement. Elle trouve que cest une gloire dêtre persécutée pour mon nom (146), selon ma volonté et non selon la sienne. Elle est contente, pourvu quelle souffre, et elle goûte une consolation et une paix quaucune langue nest capable dexprimer.
8.- En suivant ainsi la doctrine de mon Fils, elle fixe son intelligence en moi, la Vérité suprême ; en me voyant elle me connaît, en me connaissant elle, maime. Lamour suit lintelligence et savoure ma divinité quelle connaît et quelle voit dans la nature divine unie à votre humanité. Elle se repose en moi, locéan de la paix, et son coeur mest uni par les liens de lamour, comme je lai dit dans le quatrième état unitif. Le sentiment de ma divinité fait verser aux yeux de douces larmes qui sont un lait pur dont lâme se nourrit clans la patience. Ces larmes sont un baume précieux qui répand un parfum dune extrême suavité.
9.- O ma fille bien-aimée! quelle gloire pour cette âme qui a réellement su passer de la mer orageuse du monde à moi, locéan de la paix, pour y remplir le vase de son coeur dans les abîmes de ma divinité! Loeil, qui est le canal dit cur, en reçoit les larmes et les répand avec abondance. Cest le dernier état, où lâme est heureuse et affligée : heureuse par lunion quelle éprouve en moi, et par lamour divin quelle goûte ; affligée par loffense quelle voit faire à ma bonté, à ma grandeur quelle a vue et goûtée dans la connaissance delle-même. Cest par cette connaissance et. par la mienne quelle arrive à ce dernier état.
10.- Cet état unitif nempêché pas quelle ne répande des larmes dune extrême douceur, que lui causent la connaissance delle-même et la charité du prochain. Elle pleure damour pour ma divine miséricorde, et de douleur pour loffense du prochain ; elle pleure avec ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent. Lâme se réjouit avec ceux qui vivent dans la charité, parce quelle me voit rendre grâce et honneur par mes serviteurs.
11.- Les secondes larmes nempêchent pas les dernIères, cest-à-dire celles du second état dunion. Les unes conduisent aux autres. Si les dernières larmes, où lâme a trouvé une si grande union, nétaient pas venues des secondes, cest-à-dire du troisième état de la charité du prochain, elles ne seraient pas parfaites. Il faut quelles viennent les unes des autres : sans cela la présomption serait à craindre ;
le vent perfide de la propre estime pourrait faire tomber (147) lâme des hauteurs de la vertu jusquaux abîmes des premières chutes.
12.- Il faut soutenir et entretenir la-charité du prochain par la vraie connaissance de soi-même. Ainsi salimentera le feu de ma charité dans lâme, parce que la charité du prochain vient de ma charité, cest-à-dire de cette connaissance que lâme a delle et de ma bonté en elle. Elle voit un amour ineffable envers elle, et du même amour dont elle se voit aimée, elle aime toute créature raisonnable. Cest pour cela que lâme, aussitôt quelle me connaît, aime le prochain, et elle aime avec ardeur ce quelle voit que jaime le plus.
13.- Elle comprend quelle né peut mêtre utile personnellement et me rendre ce pur amour que je lui porte ; alors elle sapplique à me rendre cet amour par le moyen que je lui ai donné, cest-à-dire par le prochain. Cest le moyen dont vous devez profiter ; car, comme je te lai dit, toute vertu saccomplit par le moyen du prochain, en agissant envers lui en général et en particulier, selon les grâces de la vocation que je vous donne.
14.-Vous devez aimer du même amour pur dont je vous aime. Vous ne le pouvez faire à mon égard, parce que je vous ai aimés sans être aimé et sans aucun intérêt, car je vous ai aimés avant même votre existence. Lamour ma porté à vous créer à mon image et ressemblance. Vous ne pouvez me rendre cet amour gratuit, mais vous devez le rendre aux créatures raisonnables ; vous devez les aimer sans en être aimés et sans songer à aucun intérêt spirituel ou temporel. Vous devez les aimer uniquement pour lhonneur et la gloire de mon nom, parce que je les aime : et ainsi vous accomplirez le commandement de la loi qui est de maimer par dessus toute chose et daimer le prochain comme vous-mêmes.
15.- Il est vrai quon ne peut arriver à cette hauteur que par le second degré de lunion ; et, quand on y est parvenu, on ne peut le conserver, si on séloigne de cet amour qui conduit aux secondes larmes. Il est impossible daccomplir ma loi sans celle qui regarde le prochain. Ce sont les deux pieds de laffection qui font observer les commandements et les conseils que vous a donnés ma Vérité, Jésus crucifié. Ces deux états, qui nen font (148) quun, nourrissent lâme dans la vertu, en augmentant sa perfection et son état dunion. Lâme ne change pas détat quand elle est parvenue à ce degré ; mais à ce degré augmente la richesse de la grâce par de nouveaux dons et dadmirables extases, avec une connaissance de la Vérité qui semble être du ciel plus que de la terre, parce que le sentiment de sa propre sensualité est vaincu, et que sa volonté est morte par lunion quelle a avec moi.
16.- Oh ! combien cette union est douce pour lâme qui en jouit et qui voit ainsi mes secrets! Souvent lesprit de prophétie lui fait connaître les choses futures ; cest un don de ma bonté, que lâme humble ne doit pas demander, parce quelle doit fuir, non pas les effets de ma charité, mais le désir des consolations. Pour entretenir sa vertu, elle sa reconnaît indigne de la paix et du repos ; elle ne sarrête pas au second état, mais elle descend dans la vallée de la connaissance de sa faiblesse.
17.- Ma grâce lui accorde cette lumière pour quelle grandisse. Car lâme nest jamais si parfaite en cette vie, quelle ne puisse arriver à une plus grande perfection damour. Il ny a que mon Fils bien-aimé, votre Chef, qui ne pouvait pas croître en perfection, parce quil était une même chose avec moi et moi avec lui. Son âme était bienheureuse par lunion de sa nature divine. Mais vous qui êtes ses membres, vous pouvez, pendant votre pèlerinage, croître toujours en perfection ; vous ne pouvez, cependant arriver à un autre état que celui dont je vous ai parié ; vous êtes arrivés au dernier, mais vous pourrez toujours y croître dans la perfection, autant que vous le désirerez, avec le secours de ma grâce.
XC.- Résumé du chapitre précédent.- Le démon fuit ceux qui sont arrivés aux cinquièmes larmes.- Les attaques du démon sont la voie véritable pour parvenir à cet état.
1.- Tu as vu maintenant toutes les larmes et leur différence, parce quil a plu à ma Vérité de satisfaire ton désir. Les premières viennent de ceux qui sont dans un état de mort et de péché mortel. Tu as vu que la (149) douleur procède généralement du coeur, et comme le principe du sentiment qui cause les larmes est corrompu, cette douleur est corrompue et misérable, et toutes leurs oeuvres sort mauvaises. Dans le second état. se trouvent ceux qui commencent à connaître leur malheur par le châtiment qui doit suivre la faute. Cest là un premier mouvement que ma bonté donne aux faibles et aux aveugles qui se noient dans le fleuve, en méprisant la doctrine de mon Fils. Mais il en est un très grand nombre qui connaissent leur malheur sans crainte servile du châtiment et qui ressentent aussitôt une grande haine deux-mêmes ; à cause de cette haine ils se reconnaissent dignes de toutes sortes de peines.
2.- Plusieurs sappliquent en toute simplicité à me servir et à se repentir de loffense quils ont faite à leur Créateur. Il est vrai que celui qui a une grande haine de lui-même est plus apte que tout autre à parvenir, à la perfection ; tous y arrivent en sexerçant à la vertu, mais celui-là y arrive le premier. Celui qui avance avec une
grande haine de lui même doit prendre garde de rester dans la crainte servile ; celui qui marche plus simplement doit prendre garde de sengourdir dans la tiédeur :
cette route cependant est la vocation la plus commune.
3.- Dans le troisième et le quatrième état se trouvent ceux qui ont quitté la crainte, pour arriver à lamour et à lespérance ; ils goûtent ma divine miséricorde, et reçoivent de moi des faveurs et des consolations abondantes ; leurs yeux pleurent dabord pour satisfaire le sentiment de leur coeur, mais comme ce sentiment est encore imparfait et mélangé de regrets spirituels, en sexerçant à la vertu, iIs arrivent au degré où lâme, augmentant son désir, sunit et se conforme tellement à ma volonté, quelle ne peut vouloir et désirer que ce que je veux. Elle trouve alors en elle des pleurs damour et de douleur pour loffense et le malheur du prochain. Cet état est inséparable de la perfection où lâme sunit dans la vérité, et augmente lardeur du saint désir.
4.- Le démon fuit ce saint désir et ne peut ébranler lâme, ni par linjure qui lui est faite parce quelle est devenue patiente dans la charité du prochain, ni par les consolations spirituelles ou temporelles parce que la haine (150) delle-même, son humilité sincère lui font tout mépriser. Il est vrai que de son côté le démon ne dort jamais : il vous donne en cela des leçons, lorsque par votre négligence vous perdez à dormir le temps dont vous pourriez profiter. Mais sa vigilance ne peut nuire à cette âme, parce quil ne peut supporter lardeur de sa charité, ni lodeur de lunion quelle a contractée avec moi, locéan de la paix.
5.- Lâme ne peut être trompée tant quelle est unie à moi ; le démon sen éloigne, comme la mouche fuit la vapeur dun vase qui bout sur le feu ; si le vase était tiède, la mouche ne le craindrait pas ; elle sy arrêterait, quoique souvent elle y périsse, en y trouvant plus de chaleur quelle ne croyait. Il en arrive de même pour lâme qui nest pas encore parvenue à létat parfait : le démon, parce quil la croit tiède, sy présente avec beaucoup de tentations ; mais il y trouve une connaissance de soi-même, une ferveur et une horreur des fautes qui lui résistent et fixent la volonté dans les liens de la haine du péché et de lamour de la vertu.
6.- Que lâme se réjouisse quand elle éprouve ces tentations, car cest là le chemin pour arriver à ce doux et glorieux degré. Je te lai dit, vous arrivez à la perfection par la connaissance et la haine de vous-mêmes, et par la connaissance de ma bonté. Jamais lâme ne se connaît aussi parfaitement, si je suis en elle, quau moment de ces combats : elle se connaît en se voyant dans des combats quelle ne peut éviter malgré sa volonté ; elle peut seulement y résister en refusant toujours son consentement mais pas autrement. Elle peut alors comprendre quelle nest pas ; car si elle était quelque chose par elle-même, elle se délivrerait de ces tentations qui lui répugnent.
7.-Elle shumilie ainsi dans la connaissance delle-même, et avec la lumière de la sainte foi elle court vers moi lEternel, dont la bonté conserve sa volonté dans la droiture et la justice, si elle ne consent pas, pendant le combat, à obéir à ces misères qui la tourmentent. Vous avez donc bien raison de vous fortifier dans la doctrine du doux et tendre Verbe, mon Fils unique, lorsque ladversité et les tentations des hommes et du démon vous éprouvent car ce sont des moyens pour augmenter la vertu et parvenir à la perfection. (151)
XCI.- Ceux qui désirent pleurer et ne le peuvent pas, ont des larmes de feu.- Pour quelle raison Dieu retire les larmes corporelles.
1.- Je tai parlé des larmes parfaites et imparfaites toutes sortent du coeur comme dun vase, quelle quen soit la raison : aussi peut-on les appeler toutes des larmes. du coeur. Leur différence vient de lamour réglé ou déréglé, parfait ou imparfait, comme je te lai dit : il me reste maintenant à te parler, pour satisfaire ton désir, de ceux qui souhaitent la perfection des larmes et semblent ne pouvoir latteindre.
2.- Y a-t-il une autre manière de pleurer? Oui, car il y a des larmes de feu, cest-à-dire les larmes dun vrai et saint désir, les larmes de ceux qui se consument damour et qui voudraient perdre la vie dans la douleur, par haine pour eux-mêmes, par zèle pour le salut des âmes ; et il semble quils ne peuvent y réussir. Je te dis que ceux-là ont des larmes de feu, par lesquelles le Saint-Esprit pleure devant moi, pour eux et pour le prochain. Ma divine charité embrase de ses flammes cette âme, qui moffre ses ardents désirs sans pouvoir pleurer.
3.- Ces larmes sont des larmes de feu, et cest pour cela que je te dis que le Saint-Esprit pleure dans cette âme. Au lieu des larmes quelle ne peut répandre, elle offre le désir, la volonté quelle a de pleurer par amour pour moi. Lorsque mes serviteurs exhalent le parfum des saints désirs, et offrent en ma présence dhumbles et continuelles prières, lEsprit Saint gémit en eux. Cest ce que mon glorieux apôtre saint Paul voulait exprimer lorsquil disait que lEsprit Saint me sollicite pour vous par des gémissements inénarrables (Rom., VIII, 26).
4.- Tu vois donc que ces larmes de feu ne sont pas. moins efficaces que les larmes qui coulent des yeux. Souvent même elles valent davantage, selon la mesure de lamour. Lâme ne doit donc pas se troubler et se croire privée de moi parce quelle désire les larmes et quelle ne peut en répandre comme elle le voudrait. Elle doit les désirer en conformant sa volonté à la mienne, et shumilier (152) toujours, quelle les obtienne ou quelle ne les obtienne pas, selon quil plaît à ma bonté divine.
5.- Quelquefois je naccorde pas les larmes dû corps, pour que lâme persévère dans lhumilité, la prière et le désir de me goûter ; car si elle recevait de moi ce quelle me demande, elle nen retirerait pas lutilité quelle en attend, mais elle serait contente de posséder ce quelle désire, et ralentirait son ardeur. Pour soutenir et augmenter sa vertu, je la prive des larmes des yeux ; je lui donne des larmes du coeur tout embrasées du feu de ma divine charité. Je suis le médecin, et vous êtes les malades ; je donne à tous ce qui est nécessaire à votre salut et à la perfection de vos âmes.
6.- Ceci est la vérité et lexplication des différentes sortes de larmes que tu mas demandée, ma fille bien-aimée. Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, dans le sang de lhumble Agneau sans tache, et avance toujours dans la vertu, afin daugmenter en toi le feu de ma divine charité.
XCII.- Dieu veut être servi comme lêtre infini, et non comme une chose finie.
1. -Ces cinq états sont comme cinq canaux principaux dont quatre versent une abondance et une variété de larmes infinies, qui toutes donnent la vie si elles sont appliquées à la vertu. Vous nêtes pas infinis dans votre douleur, mais vos larmes sont infinies par le désir infini de lâme.
2.-Tu sais maintenant que toute larme procède du coeur, cest le coeur qui donne les larmes aux yeux lorsque lardeur du désir les y fait naître. Quand le bois vert est dans le feu, la force de la chaleur le fait pleurer, parce quil est vert ; sil était sec il ne pleurerait pas. De même le coeur reverdit par laction de la grâce, et perd la sécheresse de lamour-propre qui dessèche lâme ; ce coeur renouvelé trouve des larmes dans le feu des saints désirs, et, parce que le désir ne finit jamais, il ne peut être rassasié en cette vie.
3.- Plus lâme aime, moins il lui semble aimer. Aussi excite-t-elle sans cesse le saint désir, qui est fondé sur la (153) charité et qui lui fait répandre des larmes. Mais dès que lâme est séparée du corps et quelle est arrivée à moi, sa fin, elle nabandonne plus le désir qui la porte vers moi et vers la charité du prochain ; car la charité est entrée dans le ciel comme une reine, avec le fruit de toutes lés autres vertus.
4.- Il est vrai que la peine du désir est finie, mais le désir dure toujours. Lâme .me désire, mais elle me possède en vérité ; sans aucune crainte de perdre ce quelle a si longtemps désiré, et de cette manière elle se nourrit de sa faim, elle a faim et elle est rassasiée ; elle est rassasiée et elle a faim, sans jamais connaître le dégoût de la satiété, ni la douleur de la faim, parce que sa béatitude est parfaite.
5.- Ainsi votre désir est infini. Aucune vertu ne pourrait vous mériter la vie éternelle, si vous me serviez dune manière finie ; car moi, le Dieu infini, je veux être servi par vous dune manière infinie, et vous navez dinfini que le désir et lélan de votre âme. Aussi je disais que vous aviez une variété de larmes infinies, et cest la vérité, à cause du désir infini qui se mêle à vos larmes..
6.- Aussitôt que lâme est séparée du corps, les larmes des yeux lui sont étrangères ; mais lardeur de la charité attire le fruit des larmes quelle a consumées, comme leau est absorbée par une fournaise : leau ne reste pas dehors, mais la chaleur du feu lattire et la détruit. De même, lâme qui est parvenue à goûter le feu de ma charité divine, et qui a quitté la vie avec lardeur de ma charité et de la charité du prochain dans lamour unitif qui lui faisait répandre des larmes, ne cesse jamais de moffrir ses saints désirs, toujours pleins de bonheur et de larmes.
7.- Ces larmes ne sont pas pénibles comme celles que loeil répand et que le feu a consumées, mais ce sont les larmes de feu du Saint-Esprit. Tu vois donc que ces larmes sont infinies, et dans cette vie même, la langue ne peut suffire à raconter la variété de celles qui coulent en cet état. Je tai expliqué la différence des quatre états des larmes, il me reste à te dire le fruit des larmes du désir et ce quil produit dans lâme (Dans lédition de Gigli, cette dernière phrase commence le chapitre suivant. La traduction latine nous semble préférable.). (154)
XCIII.- Du fruit des larmes que répandent les hommes du monde.
1.- Je commencerai dabord par les premières larmes dont je tai parlé, cest-à-dire par celles que répandent les -malheureux qui ,vivent dans le monde, et qui font leur
Dieu des choses créées et de leur propre sensualité, ce qui entraîne la ruine de leur âme et de leur corps. Je te dirai que toute larme procède du coeur, et cest la vérité ; car le coeur souffre autant quil aime. Les hommes du monde pleurent quand leur coeur souffre, cest-à-dire quand il est privé de ce quil aime.
2.- Ils ont bien des sortes de larmes. Sais-tu combien?-Autant quils ont de sortes damour. Et parce que la racine est corrompue par lamour-propre sensuel, tout ce qui en sort est corrompu : cest un arbre qui na que des fruits de mort, des fleurs infectes, des feuilles souillées, des rameaux qui traînent à terre et quagitent tous les vents. Tel est larbre de lâme. Vous êtes tous des arbres damour, et sans lamour vous ne pouvez vivre ; car vous avez été faits par moi, par amour. Lâme qui vit saintement place la racine de son arbre dans la vallée de lhumilité véritable ; mais celle qui vit misérablement lenterre dans la montagne de lorgueil, et, parce que larbre est mal planté, il ne produit pas des fruits de vie, mais des fruits de mort.
3.- Ces fruits sont leurs oeuvres, qui sont toutes empoisonnées par le péché, et si parfois ils font quelque bien, comme, la racine est gâtée, ce qui en sort lest aussi. Lâme qui est en péché mortel ne peut faire aucune chose méritoire pour la vie éternelle, puisquelle nest pas en état de grâce. Elle ne doit pas cependant abandonner les bonnes oeuvres, parce que tout bien est récompensé et toute faute punie. Le bien fait en dehors de la grâce ne sert pas à la vie éternelle, mais ma bonté et ma justice divine donnent une récompense imparfaite comme loeuvre imparfaite que lâme me présente.
4.- Quelquefois je la récompense par des biens temporels ; quelquefois je lui accorde, comme je te lai dit ; du (155) temps pour quelle puisse se corriger. Dautres fois je lui donne la vie de la grâce par le moyen de mes serviteurs que jaime et que jécoute. Ainsi lai-je fait pour mon glorieux apôtre saint Paul, qui, par la prière de saint Étienne, cessa dêtre infidèle et de persécuter les chrétiens. Dans quelque état que lhomme se trouve, il ne doit jamais cesser de bien faire.
5.- Je tai dit que les fleurs de cet arbre étaient corrompues, et cest la vérité. Ces fleurs sont les pensées infectes du coeur qui moffense et qui déteste le prochain ; lhomme, comme un voleur, dérobe mon honneur pour se le donner à lui-même. Ses fleurs répandent linfection des faux jugements de deux manières. Dabord lhomme me juge faussement en jugeant mal mes jugements secrets et mes mystères ; il reçoit avec haine ce que jai fait par amour ; il voit le mensonge où jai mis la vérité, et la mort où jai placé la vie. Il juge et condamne daprès sa faiblesse et son ignorance. Parce quil a obscurci loeil de lintelligence recouvert la pupille de la sainte foi avec lamour-propre sensuel, il ne peut plus voir et connaître la vérité.
6.- Il juge ensuite faussement le prochain ; ce qui cause souvent de grands maux. Ce pauvre homme, qui signore lui-même, veut connaître le coeur et les sentiments de la créature raisonnable, et les juger daprès un acte quil verra ou une parole quil entendra. Mes serviteurs jugent toujours en bien, parce quils sappuient sur moi, le Bien suprême ; les malheureux, au contraire, jugent tout en mal, parce quils partent dun principe mauvais. Leurs Jugements engendrent souvent la haine, lhomicide, laversion pour le prochain et léloignement de lamour de la vertu dans mes serviteurs.
7.- Viennent ensuite les feuilles, qui sont les paroles qui sortent de la bouche pour me blâmer, pour profaner le sang de mon Fils et pour injurier le prochain. Ils ne songent à autre chose quà maudire et condamner mes oeuvres, à blasphémer et à dire du mal de tous ceux quils rencontrent et quils jugent témérairement. Ils ne pensent pas, les malheureux, que la langue et uniquement faite pour mhonorer., pour confesser leurs fautes, pour pratiquer la vertu et travailler au salut du prochain. Ce sont (156) là les feuilles du péché, car le coeur doù elles viennent nest pas pur ; il est tout souillé de fausseté et- de misère, Outre le tort que cause à lâme la privation de la grâce, que de malheurs temporels occasionnent ces langues coupables! car par leurs paroles combien ne voit-on pas de changements de fortune, de bouleversements dans les villes, dhomicides et de catastrophes? Une parole entre dans le coeur de celui qui lentend ; elle pénètre là où ne pouvait arriver le poignard.
8.- Cet arbre a sept branches qui traînent par terre et qui donnent des fleurs et dès feuilles, comme je viens de le dire. Ces branches sont les sept péchés capitaux, qui en portent tant dautres. Leur commune racine est lamour de soi-même et lorgueil, doù partent les fleurs des pensées mauvaises, les feuilles des paroles coupables et les fruits des actions criminelles.
9.- Les branches sont courbées jusquà terre, car les péches mortels inclinent vers la terre et abaissent vers les choses fragiles du monde les hommes qui ne songent quà sen repaître sans pouvoir sen rassasier Ils sont insatiables et insupportables à eux-mêmes. Il est bien juste quils soient toujours inquiets, toujours vides, puisquils ne désirent quune chose qui ne pourra jamais les satisfaire. Ce qui les empochent dêtre rassasiés, cest quils désirent une chose finie, tandis quils sont une chose infinie, puisque leur être ne finira jamais, quoiquils meurent à la grâce par le péché.
10.- Lhomme est au-dessus des choses créées, et les choses créées ne sont pas au dessus de lui ; il ne peut se rassasier et trouver le repos que dans une chose plus grande que lui. Au dessus de lui ; il ny a rien que moi, lÉternel, aussi je puis seul le rassasier. Tant quil se prive de moi par sa faute, il est dans une peine et un tourment continuels Après la peine viendront les larmes, et les vents frapperont larbre de lamour sensuel, qui est le principe de tout mal.
XCIV.- Les mondains qui pleurent sont battus par quatre vents différents.
1.- Les mondains sont agités par quatre sortes de vents, (157) le vent de la prospérité, le vent de ladversité, le vent de la crainte et le vent de la conscience. Le vent de la prospérité nourrit dans lâme lorgueil, la haute estime de soi-même et le mépris du prochain. Sil domine, il multiplie linjustice, la vanité du coeur, les impuretés du corps et de lesprit, lamour-propre, et tous les vices qui en viennent. Ta langue ne suffirait pas à les raconter.
2.- Est-ce le vent de la prospérité qui est corrompu lui-même? Non certainement, ni ce vent ni les autres. Ce qui est corrompu, cest la racine de larbre, et tout ce qui en sort est corrompu. Moi qui suis la Bonté suprême, je vous donne toute chose, et le vent de la prospérité que je vous envoie ne peut être mauvais. Si les mondains pleurent, cest que leur coeur nest pas rassasié, il désire ce quil ne peut avoir; cette privation cause sa peine et la peine cause les larmes; parce que loeil veut toujours satisfaire le coeur.
3.- Vient ensuite le vent de la crainte servile, qui fait que lhomme a peur de son ombre, tant il craint de perdre ce quil aime. Il craint de perdre, ou sa vie, ou ses enfants, ou dautres créatures. Il tremble pour sa fortune ou celle des autres qui lintéressent, pour ses honneurs et ses richesses. Cette crainte ne le laisse pas jouir en paix, parce quil ne possède pas selon les règles de ma volonté: de là sa crainte servile et continuelle. Il se rend lesclave malheureux du péché; il sassimile à la chose quil sert, et comme le péché est un néant, il va au néant.
4.- Lorsque le vent de la crainte la frappé, il ressent bientôt celui de ladversité, quil redoutait et qui le prive de ce quil possède, en tout ou en partie. Quelquefois il perd tout en perdant la vie; la mort le dépouille de toute chose. Quelquefois la ruine nest pas si complète il perd la santé, ou ses enfants, ses richesses, son rang, ses honneurs, selon que moi, le bon médecin, je vois que votre salut le réclame. Je vous avais donné ces choses pour votre bien, mais votre fragilité a tout corrompu. Lâme méconnaît la vérité et ne goûte pas le fruit de la patience. Elle produit limpatience, les scandales, les murmures, la haine, laversion pour moi et pour mes créatures.
5.- Ainsi, ce que je lui avais donné pour la vie, elle le reçoit pour la mort, et la douleur de leur perte est (158) proportionnée à leur amour. Elle est réduite à des larmes pleines dimpatience, qui la dessèchent et la tuent, en lui enlevant la vie de la grâce. Le corps lui-même se consume et dépérit; lhomme malheureux perd la vue spirituelle et corporelle; il na plus de bonheur, despérance, parce quil est privé de ce quil aimait, de ce qui était son affection, sa foi, son espérance ; et il verse des larmes. Ce ne sont pas seulement ces larmes qui causent ces tristes effets, cest aussi lamour déréglé et la peine du coeur doù viennent ces larmes.
6.- Les larmes des yeux ne donnent pas la mort, cest la racine doù elles procèdent, cest à-dire lamour propre déréglé du coeur. Si le coeur était réglé et avait la vie de la grâce, ses larmes seraient réglées, et il connaîtrait que moi, lÉternel, je veux lui faire miséricorde. Jai dit que les larmes donnaient la mort, car les larmes sont des messagères qui vous annoncent la vie ou la mort qui est dans le coeur.
7.- Le vent de la conscience se fait aussi sentir, et cest un acte de ma divine bonté. Jai voulu attirer lhomme par lamour, au moyen de la prospérité. Jai essayé ensuite la crainte, pour le porter par le trouble de son coeur à aimer dune manière sainte et méritoire. Je Iai enfin éprouvé par la tribulation, afin qu il connut la fragilité et le peu de consistance du monde. Lorsque tout a été inutile, mon amour ineffable lui accorde le remords de la conscience, afin quil ouvre la bouche et quil vomisse la corruption du péché par la sainte confession. Mais les malheureux obstinés séloignent toujours de moi par leurs fautes et ne veulent recevoir ma grâce daucune manière. Ils fuient le remords de la conscience, et sen délivrent par des plaisirs coupables, par des offenses contre moi et contre le prochain Il en est ainsi parce que la racine et larbre sont corrompus tout devient mortel pour eux, et ils sont dans des peines continuelles et des larmes amères.
8.- Sils ne se convertissent pas pendant quils ont encore le temps de se servir du libre arbitre, ils passent des larmes finies à des larmes infinies. Le fini devient infini, parce que ces larmes ont été répandues avec une haine infinie de la vertu, cest-à-dire avec un désir de lâme fondé sur une haine infinie. Il est vrai que, sils avaient voulu, ils seraient (159) sortis de ces larmes, avec le secours de ma grâce, quand ils étaient encore libres. Jai dit ces larmes infinies quant au désir et à lêtre de lâme, mais non quant à la haine et à lamour qui est dans lâme. Car, tant que vous êtes dans cette vie, vous pouvez aimer et haïr à votre gré : mais si lhomme finit dans lamour de la vertu, il reçoit un bien infini, et sil finit dans la haine, il reste dans une haine infinie en recevant léternelle damnation, comme je te lai dit lorsque je te parlais de ceux qui se noyaient dans le fleuve.
9.- Ceux-là ne peuvent désirer le bien parce quils sont privés de ma miséricorde et de la charité que goûtent les saints, les uns avec les autres. Ils sont privés aussi de votre charité pendant que vous êtes voyageurs sur cette terre, où je vous ai placés pour que vous arriviez à moi, la Vie éternelle ; les prières, les aumônes, les autres bonnes oeuvres ne leur servent plus de rien. Ce sont des membres retranchés du corps de ma charité divine, parce que, pendant quils ont vécu, ils nont pas voulu être unis à lobéissance de mes saints commandements, dans le corps mystique de la sainte Église, leur mère, dans sa douce obéissance, où vous puisez le sang de lAgneau sans tache, mon Fils bien-aimé.
10.- Ils recueillent le fruit de léternelle damnation, avec les pleurs et les grincements de dents. Ce sont les martyrs du démon ; le démon leur donne le fruit quil a lui-même. Ainsi, tu le vois, les pleurs des mondains leur procurent des peines amères dans le temps, et à la mort la société éternelle des démons.
XCV.- Du fruit des secondes et des troisièmes larmes.
1.-Il me reste maintenant à te parler du fruit que reçoivent ceux qui commencent à quitter le péché par crainte du châtiment. Quelques-uns sortent de la mort du péché mortel par crainte du châtiment, et, comme je te lai dit, cest la vocation commune. Quel fruit en retirent-ils? ils commencent à purifier la demeure de leur âme des souillures du péché. Le libre arbitre y est déterminé par la crainte, et dès quils ont ainsi purifié lâme de ses fautes, ils reçoivent la paix de la conscience, disposent (160) leur âme à lamour, et, en considérant leur intérieur, où ils napercevaient, avant- de lavoir débarrassé, que la corruption de leurs nombreux péchés, ils commencent à recevoir la consolation, parce que le ver de la conscience est tranquille et quils sont prêts à prendre la nourriture des vertus.
2.- Ainsi fait lhomme lorsque son estomac est débarrassé des humeurs mauvaises ; son appétit le porte à prendre des aliments. De même ceux-ci attendent que la main du libre arbitre prépare avec le désir la nourriture des vertus que lâme doit prendre. En effet, lâme, en éprouvant cette crainte, purifie du péché ses affections ; elle reçoit le second fruit, cest-à-dire le second état des larmes où lâme, poussée par lamour, commence à orner de vertus sa demeure, quoiquelle soit encore imparfaite. Pourvu quelle quitte la crainte, elle reçoit la consolation et la douceur, parce que son coeur jouit de ma vérité et de moi, qui suis lamour même. Et à cause de la douceur, et de
la consolation quelle trouve en moi, elle commence à aimer avec bonheur, parce quelle jouit de moi et des créatures à cause de moi.
3.- En exerçant lamour qui est entré dans le coeur purifié par la crainte, lâme commence à goûter les fruits de ma divine bonté ; et dès que lamour est maître de lâme, elle commence à jouir en recevant les fruits nombreux et variés de la consolation. Par la persévérance, elle, obtient enfin de sasseoir au festin, cest-à-dire que, quand elle a passé de la crainte à lamour des vertus, et quelle est arrivée aux troisièmes larmes, elle sasseoit à son festin, elle dresse la table de la très sainte Croix dans son coeur ; dès quelle la mise, elle y trouve la nourriture du doux et tendre Verbe, qui lui montre mon honneur et votre salut ; car cest pour mon honneur et votre salut que le coeur de mon Fils bien-aimé a été ouvert, et que sa chair vous a été offerte en aliment. Alors elle se nourrit de mon honneur et du salut des âmes, avec la haine et lhorreur, du péché.
4.- Quel fruit reçoit lâme de ce troisième état des larmes? Elle reçoit une force fondée sur une sainte haine de la sensualité, avec le doux fruit dune humilité véritable et dune patience qui ôte tout scandale et délivre lâme de toute (161) affliction, parce quavec le glaive de la haine elle a tué sa propre volonté, principe de vos peines. Il ny a que la volonté sensitive qui se scandalise des injures, des persécutions, de la privation des consolations temporelles et spirituelles, comme je te lai dit, et çest ainsi que lâme tombe dans limpatience. Mais quand sa volonté est morte dans les douces larmes du désir, elle commence à goûter le fruit de la patience.
5.- O fruit dune extrême suavité, combien tu es doux à qui te goûte, et combien tu mes agréable! Tu fais trouver la douceur dans lamertume, la paix au milieu des injures. Lorsque la mer est bouleversée par la tempête, et que les vents furieux poussent des vagues immenses sur la barque de ton âme, tu restes calme et tranquille sans recevoir aucun mal. Ta barque est protégée par la volonté divine, une ardente charité lenveloppe comme dun vêtement, et il est impossible à leau dentrer.
6.- O ma fille bien-aimée, la patience est une reine qui résiste sur un roc inébranlable ; elle est toujours victorieuse, jamais vaincue. Elle nest pas seule, car la persévérance laccompagne ; elle est la moelle de la charité, et cest celle qui montre quon porte la robe nuptiale. Si ce vêtement est déchiré par limperfection, elle le fait voir sur-le-champ par son contraire, cest-à-dire par lImpatience.
7.- Toutes les vertus peuvent tromper quelque temps et faire croire quelles sont parfaites, lorsquelles sont imparfaites ; mais elles ne peuvent se cacher devant, toi, ô Patience, parce que tu es le miroir de lâme : tu es lessence de la charité et tu montres si les vertus sont vivantes et parfaites. Dès que tu es absente, on voit que toutes les vertus sont imparfaites, et quelles ne sont pas encore nourries à la table de la sainte Croix. Lâme te conçoit dans la connaissance delle-même et dans la connaissance de ma bonté ; elle tenfante par une sainte haine et te fortifie par une humilité véritable ; tu peux toujours prendre la nourriture de mon honneur et du salut des âmes, et tu ten rassasies sans cesse.
8.- Ma fille bien-aimée, regarde mes doux et glorieux martyrs, qui se nourrissaient des âmes par la patience. Leur mort donnait la vie ; ils ressuscitaient les morts, et chassaient les ténèbres du péché. Le monde et toutes ses (162) grandeurs, les princes et toute leur puissance ne pouvaient leur résister, à cause de la royale vertu de la patience.
9.- Cette vertu est la lampe sur le candélabre ; cest le fruit glorieux que donnent les larmes, lorsque lâme, parvenue à la charité du prochain, se nourrit avec lAgneau sans tache, mon Fils unique, par le supplice de son, désir, et le tourment quelle ressent de loffense qui moutrage. Ce nest pas une peine qui lafflige, parce que lamour avec la vraie patience tue la crainte et lamour-propre, qui donnent la peine. Mais cest une peine pleine de douceur qui vient de loffense qui mest faite, et du malheur du prochain. Elle a pour principe la charité, et cette peine engraisse lâme qui sen réjouit, parce que cest une preuve qui lui montre que je suis en elle par ma grâce.
XCVI.- Du fruit des quatrièmes larmes unitives.
1.- Je tai dit le fruit des troisièmes larmes ; vient ensuite le quatrième et dernier état des larmes unitives, qui nest pas séparé du troisième. Ils sont unis ensemble, comme ma charité avec celle du prochain ; lune est préparée par lautre ; mais, en arrivant au quatrième état, lâme a fait tant de progrès, quelle souffre non seulement avec patience, mais quelle désire encore souffrir. Elle méprise toute jouissance, de quelque côté quelle vienne, pourvu quelle puisse ressembler à Jésus crucifié.
2.- Elle reçoit un fruit de paix spirituelle, une union par sentiment avec ma nature divine, dont elle goûte le lait comme lenfant qui se repose paisiblement sur le sein de sa mère, pendant que ses lèvres y puisent la nourriture de même, lâme arrivée à ce dernier état repose sur le sein de ma divine charité, Elle tient les lèvres du saint désir sur la chair de Jésus crucifié : cest-à-dire quelle suit ses traces et sa doctrine ; car elle a bien compris dans le troisième état, quon ne pouvait avancer par moi le Père, parce quen moi ne peut se trouver la peine ; elle se trouve dans mon Fils bien-aimé, le doux et tendre Verbe.
3.- Oui, vous ne pouvez avancer sans peine ; cest en souffrant beaucoup que vous arriverez à des vertus solides. Lâme se placé donc sur le sein de Jésus crucifié ; elle tire à (163) elle le lait des vertus qui lui donnent la vie de la grâce, elle y goûte ma nature divine qui rend douces les vertus. Les vertus en elles-mêmes nétaient pas douces, mais elles le sont devenues, parce quelles ont été faites et unies en moi,
lAmour suprême ; car lâme na pas pensé à elle, mais seulement à mon honneur et au salut des âmes.
4.- Regarde, ma fille, combien est doux et glorieux cet état où lâme sattache tellement au sein de la charité, que jamais ses lèvres ne se séparent de cette source inépuisable. Lâme ne se trouve ainsi jamais sans Jésus crucifié, et sans moi le Père, quelle a trouvé en goûtant léternelle et souveraine Déité. Oh! qui pourra comprendre combien senrichissent les puissances de cette âme? La mémoire se remplit continuellement de mon Souvenir ; elle se rappelle avec amour tous mes bienfaits ; non pas à cause des bienfaits eux-mêmes, mais à cause de la charité avec laquelle je les lui ai accordés. Elle se rappelle dabord le bienfait de la création
qui la faite à mon image et ressemblance ; puis, dans le premier état, la peine qui a puni son ingratitude, et ensuite la délivrance de ses fautes par le bienfait du sang du Christ dans lequel je lai fait renaître à la grâce en lui ôtant la lèpre du péché. Elle se rappelle que, dans le second état, elle a goûté la douceur de lamour et le repentir du péché quelle voit mavoir tellement déplu que je lai puni sur le corps de mon Fils unique. Elle se rappelle enfin le bienfait de la venue du Saint-Esprit, qui la éclairée, et qui léclaire dans la vérité.
5.- Quand lâme reçoit-elle cette lumière? Lorsquelle a reconnu, dans le premier et le second état, ma libéralité envers elle. Elle reçoit alors la lumière parfaite ; elle connaît ma vérité, cest-à-dire que par mon amour paternel je lai créée pour lui donner la vie éternelle ; et cette vérité je lai montrée par le sang de Jésus crucifié. Dès quelle la connaît elle laime ; dès quelle laime, elle le prouve en aimant purement ce que jaime et en haïssant ce que je hais. Elle se trouve ainsi dans le troisième état de la charité du prochain. La mémoire se nourrit alors sur le sein de la charité ; elle se dépouille de toute imperfection, parce quelle sest rappelé et quelle a retenu mes bienfaits.
6.- Lintelligence a reçu la lumière ; en regardant dans la mémoire elle a connu la vérité, et en perdant laveuglement (164) de lamour-propre, elle est restée dans le soleil de son objet, Jésus crucifié, quelle connaît vrai Dieu et vrai homme. Outre cette connaissance que lui donne cette union, elle sélève à une lumière acquise, non par sa nature, ni par son propre mérite, mais par la grâce particulière que lui donne ma Vérité, qui ne méprise jamais lardeur des désirs et les fatigues
quon offre devant moi. Alors le coeur qui suit toujours lintelligence, sunit à moi dun amour très parfait et très enflammé. Et si quelquun me demandait ce quest cette âme, je répondrais : Un autre moi-même par lunion de lamour.
7.- Quelle langue pourrait dire lexcellence de ce dernier état, et les fruits nombreux et variés quen retirent les trois puissances de lâme? Cest de leur sainte union que je te parlais en texpliquant, à loccasion des trois degrés, la parole de ma Vérité. Non, la langue ne peut le dire ; cependant les saints docteurs, éclairés par cette glorieuse lumière, lont montrée en- expliquant la Sainte Écriture. Tu sais que le grand saint Thomas dAquin, de ton Ordre, puisa plutôt la science dans la prière, lextase et la lumière de lintelligence, que dans les études humaines. Cest une lumière que jai donnée au corps mystique de la sainte Eglise pour dissiper les ténèbres de lerreur.
8.-Si tu regardes le glorieux évangéliste saint Jean, quelle lumière puisa-t-il sur le sein du Christ, ma Vérité! Et avec cette lumière, combien longtemps il annonça ma Vérité! Tous, par leur parole, ont propagé cette lumière dune manière ou dune autre. Mais quant au sentiment intérieur, à la douceur ineffable que donne lunion parfaite, la langue ne pourra jamais lexprimer, puisquelle est une chose finie.
Cest ce que saint Paul affirmait en disant : « Loeil ne peut voir, loreille entendre, le coeur imaginer le bonheur que Dieu a préparé pour ceux qui laiment véritablement »
(I Cor., II, 9).
9.- Oh! quelle est douce cette demeure! douce au dessus de toutes les douceurs, par lunion parfaite de lâme en moi. Cette union est telle que la volonté disparaît de lâme, parce quelle ne fait plus quun avec moi. Elle répand par le monde le parfum et le fruit de ses humbles et continuelles prières ; lencens de son désir prie sans cesse pour le salut des âmes ; cest une voix sans parole humaine, qui crie toujours en présence de ma divine Majesté. (165)
10.- Ce sont ces fruits de lunion qui. nourrissent lâme pendant la vie, dans ce dernier état, acquis par bien des fatigues, des larmes et des sueurs. Elle passe ainsi avec la persévérance dans la grâce de cette union qui est encore imparfaite, à lunion durable et éternelle. Je dis imparfaitement, uniquement parce quelle ne peut se rassasier de ce quelle désire tant quelle est dans les liens dun corps mortel, où se trouve une loi perverse ; cette loi est endormie par lamour de la vertu : elle nest pas morte, et elle peut se réveiller, si la puissance de la vertu qui lendort, disparaît. Cest pour cela quon peut appeler cette union imparfaite, mais cette union imparfaite conduit lâme à recevoir la perfection durable que rien ne peut détruire, comme je te le disais en parlant des Bienheureux qui me goûtent véritablement, moi la Vie, le Bien suprême qui ne finit jamais.
11.- Ceux-là ont reçu la vie, tandis que les autres nont recueilli de leurs larmes que la mort. Ils sont arrivés à la joie par des larmes qui leur ont mérité des récompenses éternelles, et leur ardente charité crie toujours vers moi et moffre sans cesse des larmes de feu pour vous. Maintenant je tai dit les différents degrés de larmes, leur valeur, leurs perfections et les fruits quen retirent les âmes. Les parfaits reçoivent la vie éternelle et les méchants léternelle damnation.
XCVII.- Lâme remercie Dieu de lui avoir appliqué les larmes, et elle lui fait trois demandes.
1.- Alors cette âme enflammée dun ardent désir par les explications que Dieu, la Vérité même, lui avait données des différents états de larmes, disait dans la violence de son amour : Grâces, grâces vous soient rendues, ô Père, qui satisfaites les saints désirs, et qui vous passionnez pour nôtre salut ; vous qui, au moment où nous étions en guerre avec vous, nous avez montré tant damour, par le moyen de votre Fils unique! Au nom de cet amour ineffable, je vous demande, par grâce et miséricorde, de pouvoir arriver sûrement à vous, non dans les ténèbres, mais dans la lumière ; ne suivre la doctrine de votre Vérité, que vous mavez clairement montrée.
2.- Afin de pouvoir distinguer deux pièges que je crains (166) de rencontrer, je voudrais, ô Père éternel, quavant de finir ce sujet vous mexpliquiez ces deux points : Dabord, si quelquun sadressait à moi ou à un de vos autres serviteurs, et demandait conseil sur la manière de vous servir, quelle doctrine faudrait-il lui donner? Je sais bien ; mon Dieu, que vous mavez déjà expliqué cette parole que vous mavez dite : « Je suis celui qui aime peu de mots et beaucoup dactions ». Cependant, sil plaisait fi votre bonté de men dire e-acore quelque chose, je serais bien heureuse.
3.- Si en priant pour vos créatures et particulièrement pour vos serviteurs, je voyais, dans loraison, une âme bien disposée et paraissant jouir de vous et si jen voyais une autre qui semblerait obscure, devrais-je, ô Père éternel, juger que lune est dans la lumière et lautre dans les ténèbres? Ou si je voyais quelquun faire de grandes pénitences et un autre y être étranger, devrais je juger qu il y a une plus grande perfection dans celui qui fait de grandes pénitences que dans celui qui a en fait pas ? Faites, mon Dieu, que je ne mégare pas dans mon peu de clairvoyance, et expliquez moi plus particulièrement ce que vous m avez dit dune manière générale.
4.- La seconde chose que je vous demande, cest de me montrer davantage, le signe auquel on reconnaît si cest vous qui visitez lâme, ou si ce nest pas vous. Il me semble que vous me disiez, Ô Vérité éternelle, que lâme reste alors joyeuse et portée à la vertu. Je voudrais savoir si cette joie peut être une illusion de la passion spirituelle ; si cela était, je ne marrêterais quau signe de la vertu. Ces choses, je vous les demande afin de pouvoir vous servir dans la vérité, afin de servir le prochain et de ne faire aucun faux jugement à légard de vos créatures et de vos serviteurs. Car juger ainsi éloigne lâme de vous, et je ne voudrais pas tomber dans ce malheur.
XCVIII.- La lumière de la raison est nécessaire à celui qui veut servir Dieu.- De la lumière générale.
1.- Alors lÉternel, se délectant de la soif et de la faim de cette âme, de la pureté de son coeur et du désir avec lequel elle demandait les moyens de le servir, jeta-sur elle les regards de sa miséricordieuse bonté, en lui disant : Ma (167) bien-aimée, ma chère et douce fille, mon épouse fidèle, élève-toi au dessus de toi-même, et ouvre loeil de ton intelligence pour contempler ma bonté infinie et lamour ineffable que jai pour toi et pour mes autres serviteurs. Ouvre loreille de ton coeur et de ton désir ; car, si tu ne voyais pas, tu ne pourrais pas entendre et connaître ma Vérité.
2.- Lâme qui ne voit pas avec loeil de son intelligence lobjet de ma Vérité, ne peut entendre ni connaître ma Vérité, et je veux que, pour la mieux connaître, tu télèves au dessus de tes sens. Tes demandes et tes désirs me sont agréables et je vais y satisfaire. Mon bonheur ne peut venir de vous, car je suis Celui qui suis ; je puis vous enrichir, et vous ne pouvez rien pour moi ; je nie réjouis en moi-même de mes oeuvres.
3.- Alors cotte âme obéissante séleva au dessus delle-même, pour connaître la vérité sur ce quelle demandait ; et lÉternel lui dit : Afin que tu puisses mieux comprendre ce que je te dirai, je commencerai par te parler des trois lumières qui sortent de moi, la vraie Lumière.
4.- La première lumière est une lumière générale pour ceux qui sont dans la charité commune. Je ten ai déjà entretenu de plusieurs manières, mais je te répéterai certaines choses, afin que ton faible entendement comprenne mieux ce que tu désires savoir : Les deux autres lumières sont pour ceux qui se séparent du monde et veulent atteindre la perfection ; et sur ce sujet je te dirai ce que tu mas demandé, et je texpliquerai particulièrement ce que jen ai dit dune manière générale.
5.- Tu sais que, sans la lumière de la raison, personne ne peut aller par la voie de la vérité ; et cette lumière de la raison, vous la tirez de moi, la vrai Lumière, au moyen de lintelligence et avec la lumière de la foi que je vous ai donnée dans le saint baptême, si vous ne vous en privez pas par vos fautes.
6.- Le baptême, par la vertu du sang de mon Fils unique, vous a donné la forme de la foi ; et cette foi sexerce par la vertu, par la lumière de la raison. La raison sillumine de cette lumière qui vous donne la vie et vous fait marcher dans la voie de la vérité. Avec cette lumière vous parvenez à moi, la vraie Lumière, et sans elle vous narriverez quaux ténèbres. (168)
7.- Deux lumières qui viennent de cette lumière vous sont nécessaires, et à ces deux lumières jen joindrai une troisième. La première vous fait clairement comprendre les choses transitoires du monde qui passe comme le vent ; mais vous ne pouvez le bien connaître, si vous ne connaissez pas dabord votre propre fragilité, et combien elle sincline vers la loi perverse qui est attachée à vos membres pour combattre contre moi, votre Créateur. Cette loi ne peut forcer personne à commettre le moindre péché, si la volonté ny consent pas, mais elle combat violemment contre lesprit.
8.- Je nai pas donné cette loi pour que la créature raisonnable fût vaincue, mais pour que la vertu augmentât et fût éprouvée dans lâme, car la vertu ne séprouve que par les contraires. La sensualité est contraire à lesprit, et cest par la sensualité que lâme montre lamour quelle a pour moi, son Créateur. Comment le prouve-t-elle? Lorsquelle se combat elle-même par le mépris.
9.- Jai aussi donné cette loi aux hommes, pour les, conserver dans lhumilité véritable. Tu dois voir quen créant lâme à mon image et à ma ressemblance, et en lélevant à une si haute dignité et beauté, je lai associée en même temps aux choses les plus viles en lui donnant cette loi perverse, en la liant à un corps formé de la fange de la terre, afin que, voyant sa beauté, elle ne levât pas orgueilleusement la tête contre moi.
10.- Ainsi donc, lhomme fragile qui a cette lumière, a raison dhumilier son âme, et na aucun sujet de senorgueillir, mais il doit concevoir une humilité sincère et parfaite. Cette loi ne peut aucunement forcer au péché, mais elle est un moyen de vous donner la connaissance de vous-même et de linstabilité de la vie présente. Cest ce que doit voir loeil de lintelligence avec la lumière de la sainte foi qui est, comme je te lai dit, la prunelle de loeil.
11.- Cette lumière est nécessaire à toute créature raisonnable qui désire, dans quelque état que ce soit, participer à la vie de la grâce et au fruit du sang de lAgneau sans tache. Cest la lumière générale que chacun doit avoir : et. sil ne lavait pas, il serait en état de damnation. Et ce qui lempêche dêtre en état de grâce, cest de navoir pas la lumière ; celui qui na pas la lumière ne connaît pas le mal (169) de la faute et ce qui en est la cause, et par conséquent il ne peut pas fuir et détester cette cause.
12.- Il ne connaît pas non plus le bien et la cause du bien, cest-à-dire la vertu ; il ne peut maimer et me désirer, moi qui suis le Bien suprême ; il ne peut aimer et désirer la vertu, que je vous ai donnée comme instrument et comme moyen pour obtenir ma grâce et le bien véritable. Tu dois comprendre quel besoin vous avez de cette lumière ; car vos fautes ne consistent quà aimer ce que je hais et à haïr ce que jaime. Jaime la vertu et je hais le vice ; celui qui aime le vice et hait la vertu, moutrage et se prive de ma grâce. Il va comme un aveugle, ne connaissant pas la cause du vice, qui est lamour-propre sensitif. Il ne se hait pas lui-même ; il ne connaît pas le vice et le mal qui vient du vice ; il ignore aussi la vertu, et il mignore, moi qui lui donne la vertu et qui lui accorde la vie et la dignité où il se conserve et acquiert la grâce par le moyen de la vertu. Tu vois que son aveuglement est la cause de son mal, et que cette lumière vous est nécessaire.
XCIX.- De la seconde lumière, plus parfaite que la lumière générale.
1.- Lorsque lâme est parvenue à la lumière générale dont je viens de te parler, elle ne doit pas sen contenter ; car tant que vous êtes dans le pèlerinage de cette vie, vous pouvez avancer, et celui qui navance pas recule. Il faut avancer dans la lumière générale acquise par ma grâce et sefforcer datteindre la seconde lumière en allant de limparfait au parfait, parce quil faut avec la lumière arriver à la perfection.
2.- Dans cette seconde lumière il y a deux sortes de parfaits ; les parfaits sont ceux qui ont quitté la vie commune du monde, et dans cette perfection il y a deux états :
le premier, où sont ceux qui sappliquent entièrement à châtier leur corps par de rudes et de grandes pénitences, pour que leurs sens ne se révoltent pas Contre la raison ; ils mettent plus de soin à mortifier leur corps quà tuer leur volonté, comme je te lai déjà dit.
3.- Ceux-là se nourrissent à la table de la pénitence. (170) Ils sont bons et parfaits si leur pénitence est fondée en moi, avec la lumière de la discrétion, cest-à-dire avec lhumble connaissance deux-mêmes et de moi, surtout sils sappliquent plus à voir ma volonté que celle des hommes. Sil en était autrement, cest-à-dire sils ne se revêtaient pas humblement de ma volonté, ils nuiraient souvent à leur perfection, en jugeant mal ceux qui ne suivent pas la voie où ils marchent. Et sais-tu pourquoi cela leur arriverait ? Parce quils mettent plutôt leurs soins et leurs désirs à mortifier leur corps quà tuer leur volonté.
4.- Ils veulent choisir eux-mêmes le temps, le lieu des consolations spirituelles, comme aussi les tribulations du monde et les attaques du démon, Ils se laissent égarer par la volonté propre que jai appelée la volonté spirituelle, et ils disent : Je voudrais cette consolation et non cette tentation, cette attaque du démon. Je ne le désire pas pour moi, mais pour plaire davantage à Dieu et avoir une grâce plus abondante dans mon âme ; car il me semble que je le servirai bien mieux de cette manière que dune autre.
5.- Cest ainsi que souvent lâme tombe dans la peine et lennui, et quelle devient insupportable à elle-même. Elle nuit de la sorte à sa perfection et ne saperçoit pas de la corruption de lorgueil qui lenvahit. Car, si lâme était véritablement humble et sans présomption, elle verrait, à la lumière de la raison, que moi, la Vérité même, je distribue à chacun létat, le temps, le lieu, la consolation, la tribulation, selon que le réclament votre salut et la perfection à laquelle jappelle les âmes ; elle verrait que toute chose vient de mon amour et quelle doit recevoir tout par conséquent avec soumission et amour, comme le font ceux qui parviennent au troisième état et qui restent dans la lumière parfaite.
C.- De la troisième et parfaite lumière.- Des oeuvres de lâme parvenue à cette lumière.
1.- Ceux qui arrivent à cette glorieuse lumière sont parfaits dans toutes les conditions où ils se trouvent. Ils reçoivent avec respect tout ce qui leur arrive par ma (171) permission, ainsi que je te lai dit en te parlant du troisième état unitif de lâme. Ils se croient dignes des peines, des scandales du monde, et de la privation de toute sorte
de consolation ; comme ils se croient dignes des peines, ils se trouvent indignes des récompenses qui suivent les peines.
2.- Ils connaissent et goûtent dans la lumière mon éternelle volonté qui ne veut autre chose que votre bien, car tout ce que je donne et permet est afin que vous soyez sanctifiés en moi. Dès que lâme la reconnu, elle se revêt de ma volonté ; elle ne songe à autre chose quau moyen de conserver et daccroître sa perfection pour la gloire et lhonneur de mon nom. Elle fixe par la lumière de la foi loeil de son intelligence sur Jésus crucifié, mon Fils unique, en, aimant et en suivant sa doctrine
qui est la règle et la voie des parfaits et des imparfaits. Elle voit que le tendre Agneau, mon Fils, lui donne la doctrine de la perfection, et cette vue la remplit damour.
3.- La perfection est la connaissance de ce doux et tendre Verbe, mon Fils unique, qui sest nourri à la table du saint désir, en cherchant lhonneur de son Père et votre salut. Cest ce désir qui la fait courir avec ardeur à la mort ignominieuse de la Croix, et satisfaire à lobéissance que moi le Père, je lui avais imposée. Il na pas craint la fatigue et les opprobres ; il na pas reculé devant votre ingratitude et votre aveuglement à ne pas reconnaître les bienfaits dont il vous comblait. Il ne
sest pas laissé arrêter par les persécutions des Juifs, les mépris, les affronts, les murmures du peuple ; mais il a triomphé de tout comme un vaillant capitaine, un
généreux chevalier que javais envoyé sur le champ de bataille pour vous tirer des mains du démon, pour vous affranchir, vous délivrer du plus triste esclavage où vous puissiez tomber, pour enseigner la voie et la doctrine qui peut vous conduire à moi, la Vie éternelle, au moyen de son sang précieux, répandu avec tant damour et avec tant de haine de vos fautes.
4.- Cest comme si le doux ,et tendre Verbe, mon Fils, vous disait : Voici que je vous ai tracé la voie et que je vous ai ouvert la porte avec mon sang ; ne soyez donc pas négligents à la suivre, ne vous arrêtez pas dans (172) votre amour-propre, dans lignorance de la voie et dans la prétention de vouloir me servir à votre manière et non à la mienne. Je vous ai tracé la voie droite par -le moyen du Verbe incarné qui la arrosée de son sang. Levez-vous donc et suivez-le, car personne ne peut venir à moi, le Père, si ce nest par lui. Il est la voie et la porte par laquelle il faut entrer en moi, locéan de la paix.
5.- Lorsque lâme est parvenue à goûter cette lumière et quelle en connaît la douceur parce quelle la goûtée, elle court vers moi dans lardeur et la passion de son amour, sans penser à elle, sans chercher les consolations spirituelles et temporelles, comme une personne qui a complètement renoncé à sa propre volonté. Dans cette lumière et cette connaissance, elle ne fuit aucune fatigue, de quelque côté quelle vienne : elle se réjouit au contraire de souffrir les opprobres, les attaques du démon, les murmures des hommes ; elle se nourrit de mon honneur et du salut des âmes sur la table de la sainte Croix. Elle ne demande aucune récompense ni de moi ni des créatures, car elle sest dépouillée de lamour mercenaire qui maime par intérêt. Elle sest revêtue de la lumière parfaite en maimant, sans songer à autre chose quà la gloire, à la louange de mon nom, et en me servant, sans penser au bonheur quelle y trouve et à lutilité que lui procure le prochain, mais en agissant par pur amour.
6.- Ceux-là se sont perdus eux-mêmes et se sont dépouillés du vieil homme, cest-à-dire de la sensualité, pour se revêtir de lhomme nouveau, le Christ, le doux Jésus, ma Vérité, quils suivent avec courage. Ceux-là sont assis à la table du saint désir et sappliquent plus à tuer leur propre volonté quà tuer et à mortifier leur corps. Ils mortifient bien aussi leur corps, mais ce nest pas là leur but principal ;cest seulement un moyen pour les aider à tuer leur propre volonté, comme je te lai dit en texpliquant cette parole : que je voulais peu de mots et beaucoup dactions.
7.- En effet, tous vos efforts doivent tendre à tuer votre volonté, et ne vouloir autre chose que suivre ma douce Vérité, le Christ crucifié, en cherchant lhonneur et la gloire de mon nom et le salut des âmes ceux qui sont dans (173) cette glorieuse lumière le font, et cest pour cela quils sont toujours dans la paix et le repos. Rien ne les scandalise, parce quils ont éloigné ce qui cause le scandale, cest-à-dire la volonté propre. Les persécutions que le monde et le démon peuvent soulever passent à leurs pieds ; ils traversent les grandes eaux de la tribulation et de la tentation sans quelles puissent leur nuire, parce quils sont revêtus et fortifiés par lardeur de leur désir. Ils se réjouissent de tout, et ne jugent pas mes serviteurs ni aucune créature raisonnable.
8.- Ils sont heureux de tout ce quils voient, de tout ce quils rencontrent, et ils disent : Grâces vous soient rendues, ô Père éternel ! de ce quil y a en votre maison plusieurs demeures ( S. Jean, XIV,2 ). Ils se réjouissent plus de voir mes amis suivre des routes différentes que de les voir suivre tous le même chemin, parce quils admirent plus la grandeur de ma bonté ; tout leur est agréable, et leur semble des roses. Non seulement ils sont édifiés du bien, mais ils ne veulent pas juger ce qui est évidemment mal ; ils éprouvent seulement alors une sainte et vraie compassion, me priant pour ceux qui moffensent et disant avec une humilité parfaite : Aujourdhui cest toi, demain ce sera moi, si la grâce divine ne me conserve.
9.- O ma fille bien-aimée ! passionne-toi pour ce doux, cet excellent état. Contemple ceux qui courent à cette glorieuse lumière ; vois comme leurs âmes sont saintes et se nourrissent pour mon honneur de la nourriture des âmes à la table du saint désir. Ils sont revêtus du beau vêtement de lAgneau, mon Fils unique, cest-à-dire de sa doctrine, par lardeur de sa charité. Ils ne perdent pas le temps à faire de faux jugements sur mes serviteurs et sur les serviteurs du monde ; ils ne sont jamais scandalisés daucun murmure contre eux ou contre le prochain. Ils sont contents de souffrir pour mon nom, et quand une injure est faite aux autres, ils la supportent en compatissant au prochain, ne murmurant pas contre celui qui la fait ou contre celui qui la reçoit.
10.- Leur amour est réglé en moi, le Père céleste. Ils ne ségarent jamais, et parce quil est réglé, ma chère fille, ils ne se scandalisent pas de ceux quils aiment ni (174)
daucune créature raisonnable. Leur opinion est morte et non vivante. Ils ne sarrêtent pas à juger la volonté des autres, mais ils ne voient partout que lexpression de ma miséricordieuse bonté. Ils observent la doctrine qui, tu le sais, te fut donnée au commencement de ta vie par ma Vérité, quand tu lui demandais avec un grand désir comment tu pourrais parvenir à une pureté parfaite. Lorsque tu en cherchais les moyens, tu sais ce qui te fut répondu. Tu tétais endormie dans ce désir, et la parole retentit non seulement à ton esprit, mais à ton oreille, de telle sorte, sil ten souvient, que tu fus rappelée à toi-même.
11.- Ma Vérité te disait clairement : si tu veux arriver à la pureté parfaite ; et que ton esprit ne soit troublé par aucun scandale, il faut toujours mêtre unie par lamour, car je suis la souveraine, léternelle Pureté. Je suis le feu qui purifie lâme véritablement. Plus tu tapprocheras de moi, plus tu deviendras pure ; et plus tu ten éloigneras, plus tu seras souillée. Les hommes du monde ne tombent dans de si grandes souillures que parce quils sont séparés de moi ; car lâme qui sunit à moi participe nécessairement à ma pureté.
12.- Il faut faire une autre chose pour arriver à cette union, à cette pureté : il faut tabstenir de tout jugement sur ce que tu vois faire ou dire par quelque créature que ce soit, contre toi ou contre les autres ; il ne faut jamais considérer la volonté de lhomme, mais voir ma volonté en toute chose. Si tu vois un péché ou un défaut évident, il faut tirer de lépine la rose, en moffrant les coupables par une sainte et fraternelle compassion. Au milieu des injures que tu reçois, juge que ma volonté les permet pour éprouver la vertu en toi et en mes serviteurs, pensant que celui qui les dit est un instrument choisi par moi, et que souvent ses intentions sont bonnes ; car personne ne peut juger les secrets du coeur de lhomme.
13.- Ce que tu ne vois pas être évidemment un péché mortel, tu dois ne pas le juger dans ton esprit et ne voir que ma volonté. Lorsque tu vois un péché évident, tu ne dois pas le condamner, mais en avoir compassion ; de cette manière tu arriveras à la pureté parfaite, parce (175) quen faisant ainsi, ton esprit ne sera scandalisé ni en moi, ni dans le prochain. Vous tombez dans le mépris du prochain lorsque vous ne voyez que sa mauvaise volonté envers vous, et non pas ma volonté dans ses actes. Ce mépris et ce scandale séparent lâme de moi, et empêchent sa perfection. Dans quelques-uns même la grâce est détruite plus ou moins, selon la gravité du mépris et de la haine quils ont contre le prochain en le jugeant.
14.- Le contraire arrive à lâme qui en tout, comme je te lai dit, voit ma volonté toujours attentive à votre bien. Tout ce que je donne et permets est pour que vous parveniez à la fin pour laquelle je vous ai créés. Le moyen de rester toujours dans lamour du prochain est de rester toujours dans le mien, et lâme en maimant mest toujours unie.
15.- Si tu veux absolument parvenir à cette pureté que tu me demandes, il faut faire surtout trois choses : Tunir à moi par lamour, en conservant dans ta mémoire le souvenir des bienfaits que tu as reçus de moi ; voir avec loeil de ton intelligence lardeur ineffable de ma charité envers vous ; voir enfin ma volonté dans la volonté de lhomme, et non pas sa méchanceté, parce que cest moi qui suis juge, ce nest pas vous. Tu arriveras ainsi à la perfection. Telle est la doctrine que tenseigna ma Vérité, sil ten souvient bien.
16.- Maintenant, ma très chère fille, je dis que ceux qui suivent cette doctrine ont, dès cette vie, un avant-goût de la vie éternelle. Si tu la conserves dans ton âme, tu ne tomberas jamais dans les pièges du démon ; car tu les reconnaîtras aux signes que tu mas demandés. Mais pour satisfaire plus complètement tes saints désirs, je te montrerai que votre jugement ne doit jamais condamner, mais seulement compatir.
CI.- Ceux qui sont dans la perfection de la troisième Lumière reçoivent dès ce monde un avant-goût de la vie éternelle.
1.- Mes serviteurs reçoivent les arrhes de la vie éternelle (176). Je dis les arrhes et non pas la plénitude de la récompense, parce quils espèrent la recevoir en moi, la Vie durable, où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans souffrance ; la peine alors sera séparée de la faim, parce quils auront ce quils désirent, et leur rassasiement ne connaîtra pas lennui, parce que je suis une nourriture sans aucun défaut. Ici-bas ils reçoivent les arrhes de ce bonheur, parce que lâme est affamée de mon honneur et du salut des âmes ; et comme elle en a faim, elle sen nourrit, cest-à-dire que lâme se nourrit de la charité du prochain, dont elle a faim comme dune nourriture, et en sen nourrissant elle ne sen rassasie jamais, parce quelle est insatiable et quelle a une faim continuelle.
2.- Les arrhes sont une garantie quon donne à lhomme pour quil attende le payement. Cette sûreté nest pas parfaite en elle-même, mais par la foi elle donne la certitude darriver au complément, et de recevoir en totalité le payement. De même cette âme passionnée et revêtue de ma Vérité a reçu, dès cette vie, les arrhes de ma charité et de la charité du prochain ; elle nest pas parfaite, mais elle attend la perfection de la vie éternelle.
3.- Ce quelle reçoit nest pas parfait, parce quelle nest, pas arrivée à cette perfection où elle ne souffre ni en elle, ni dans les autres : en elle, par loffense que me cause la loi perverse qui est dans ses membres et qui combat contre lesprit ; dans les autres, par les fautes du prochain. Ce quelle reçoit est parfait quant à la grâce, mais elle na pas la perfection dont jouissent les saints dans le ciel ; car, comme je te lai dit, leurs désirs sont sans peine, tandis que les vôtres vous font souffrir.
4.- Mes serviteurs, qui se nourrissent à la table des saints désirs, sont heureux et affligés comme mon Fils unique létait sur le bois de la sainte Croix ; car sa chair était douloureuse et tourmentée, tandis que son âme était bienheureuse par lunion de la nature divine. De même ceux-là sont bienheureux par lunion de leur saint désir en moi, parce quils ont revêtu ma douce volonté. Ils souffrent parce quils compatissent au malheur du prochain, et quils affligent leurs sens en leur retranchant tous les plaisirs et toutes les consolations temporelles. (177)
CII.- Comment on doit reprendre le prochain sans tomber dans de faux jugements.
1.- Ma fille bien-aimée, écoute maintenant, afin que tu puisses mieux comprendre ce que tu me demandais. Je tai parlé de la lumière générale que vous devez tous avoir, dans quelque état que vous soyez, dès que vous êtes dans la charité commune. Je tai dit que ceux qui étaient dans la lumière parfaite lavaient de deux manières : les uns se séparent du monde et sappliquent à mortifier leurs corps ; les autres mettent tous leurs soins à tuer leur volonté ; ce sont les parfaits qui se nourrissent à la table du saint désir.
2.- Maintenant je te parlerai plus particulièrement, et en te parlant je parlerai aux autres et je satisferai ton désir. Je veux surtout que, tu fasses trois choses, afin que lignorance nempêche pas la perfection à laquelle je tappelle. Il ne faut pas que, le démon, sous le manteau de la charité du prochain, nourrisse en toi la racine de la présomption pour te faire tomber dans les faux jugements que je tai défendus. Tu croirais juger bien et tu jugerais mal, si tu suivais tes impressions, et le démon te ferait souvent voir beaucoup de vérités pour te conduire au mensonge. Cela tarriverait si tu te faisais juge des pensées et- des intentions des créatures raisonnables ; car comme je te lai dit, je dois seul les juger.
3.- Cest là une des trois choses que je te recommande dobserver. Je veux que tu ne juges personne sans une règle, et je veux que cette règle soit celle-ci : A moins que je ne taie manifesté clairement, non seulement une ou deux fois, mais plusieurs fois, le défaut de ton prochain, tu ne dois pas reprendre particulièrement celui en qui tu crois voir ce défaut, mais tu dois reprendre dune manière générale les vices de celui qui. vient te visiter, et lui prêcher la vertu avec, charité et douceur, en najoutant la sévérité à la douceur que si tu en vois le besoin.
4.- Sil te semble que je tai montré souvent les défauts de quelquun, mais si tu ne vois pas que ce soit (178) une révélation formelle, comme je te lai dit, tu ne dois pas le reprendre particulièrement ; tu dois suivre la voie la plus sûre, afin déviter les pièges et la malice du démon qui pourrait te prendre par lamorce du désir, en te faisant souvent voir dans le prochain ce qui ny serait pas ; tu pourrais ainsi te scandaliser injustement.
5.- Que ta bouche garde donc le silence, ou quelle parle seulement de la vertu pour combattre le vice ; et quand tu croiras reconnaître dans les autres un défaut, reprends-le aussi en toi-même par un acte dune sincère humilité. Si ce défaut est véritablement dans cette personne, elle se corrigera mieux, en se voyant si doucement reprise, et tes avis lui seront plus profitables, en te disant à toi-même ce que tu voulais dire. Tu seras plus tranquille toi-même et tu auras repoussé le démon, qui ne pourra pas te tromper et empêcher la perfection de ton âme.
6.- Je veux que tu saches que tu ne dois pas te fier à ce que tu vois ; il vaut mieux détourner la tête et tâcher de ne rien voir ; mais il faut seulement persévérer dans la vue et la connaissance de toi-même, et dans celle de ma bonté et de ma générosité envers toi. Ainsi font, ceux qui sont arrivés au dernier état dont je te parle. Ils retournent toujours à la vallée de la connaissance deux-mêmes. Cela nempêche pas leur élévation et leur union avec moi. Cest là une des trois choses que je tai dit que je voulais te voir faire pour que tu me serves en vérité.
CIII.- Celui qui voit une âme pleine de ténèbres ne doit pas en conclure quelle est en péché mortel.
1.- Voici maintenant la seconde explication : si, en priant particulièrement pour deux âmes, tu vois dans lune la lumière de ma grâce que tu ne vois pas dans lautre, quoique les deux .me soient fidèles, il ne faut pas conclure des ténèbres de lâme éprouvée que son état vient de quelque faute ; car souvent ton jugement pourrait être faux. Quelquefois, en priant pour quelquun tu trouveras en lui une lumière et un désir de moi si saint, quil te semblera que ton âme sengraisse de sa vertu, comme le (179) veut lardeur de la charité qui fait participer chacun au bien des autres. Une autre fois au contraire, son âme te semblera éloignée de moi et si pleine de ténèbres et de tentations, que ce te sera une fatigue doffrir pour elle tes prières devant moi. Il pourra se faire que cet état vienne de quelque défaut de celui pour qui tu pries. Mais le plus souvent ce ne sera pas la punition dune faute, mais leffet dune de ces privations que jenvoie souvent pour faire parvenir à la perfection, ainsi que je te lai dit en te parlant des états de lâme.
2.- Je me serai retiré par sentiment et non par grâce. Lâme ne sentira plus de douceur et de consolation ; elle sera plongée dans la sécheresse, laridité, la peine ; et cette peine, je la fais sentir à ceux nièmes qui prient pour cette âme. Jagis ainsi par- amour pour cette âme qui est lobjet de la prière, afin que celui qui prie sunisse à elle pour dissiper le nuage qui lenvironne. Ainsi tu vois, ma douce et chère fille, combien serait ignorant et digne de blâme celui qui jugerait sur les apparences et qui croirait que cest le péché qui cause les ténèbres que je tai montrées dans cette âme ; car tu as vu quelle nétait pas privée de ma grâce, mais seulement de la douceur du sentiment que je lui donnais de ma présence.
3.- Oui, vous tous, mes serviteurs, vous devez désirer vous connaître parfaitement vous-mêmes, afin que vous connaissiez plus parfaitement ma bonté envers vous. Laissez-moi les jugements sur les autres, car cest ma part et non la vôtre. Abandonnez-moi la justice qui mappartient ; ayez seulement compassion de votre prochain, et faim de mon honneur et du salut des âmes. Prêchez la vertu avec lardeur du désir et reprenez le vice en vous et dans les autres, comme je lai dit plus haut.
4.- Cest ainsi que tu viendras à moi en vérité et que tu montreras que tu gardes et que tu observes la doctrine que ta donnée mon Fils. Ne vois que ma volonté et non celle des hommes ; cest le seul moyen dacquérir une vertu réelle et de demeurer dans la parfaite et grande lumière, en te nourrissant à la table des saints désirs, de la nourriture des âmes, pour la gloire et lhonneur de mon nom. (180)
CIV.- On ne doit pas prendre pour fondement de lâme la pénitence, mais lamour de la vertu.
1.- Ma fille bien-aimée, après ces deux choses, je ten dirai une troisième à laquelle je veux que tu fasses attention pour en profiter toi-même, si le démon ou la faiblesse de ta vue te portait à vouloir conduire mes serviteurs par la voie où tu as marché toi-même, car ce serait contre la doctrine que tu as reçue de ma Vérité. il arrive souvent quen voyant marcher les autres par la voie dune austère pénitence, on veut que tous suivent la même route, et sils ne la prennent pas, on en est affligé, scandalisé, et on pense quils font mal.
2.- Vois cependant quelle erreur. Souvent celui quon juge mal parce quil fait moins pénitence, fera mieux et sera plus vertueux, quoiquil ne pratique pas les austérités de celui qui murmure. Je te lai dit, si ceux qui se nourrissent à la table de la pénitence nagissent pas avec une humilité véritable, sils ne prennent pas la pénitence, non comme but principal, mais comme instrument de vertu, leurs murmures nuiront souvent à leur perfection.
3.- Ils doivent savoir que la perfection ne consiste pas à macérer et à tuer son corps, mais à détruire sa propre volonté, et cest par cette voie de la volonté anéantie et soumise à ma douce Volonté que vous devez désirer ce que je veux que tu désires pour tous. Cest la doctrine éclatante de cette glorieuse Lumière, où court lâme passionnée et revêtue de ma Vérité.
4.- Je ne méprise pas cependant la pénitence ; car la pénitence est bonne à dompter le corps, quand il veut combattre contre lesprit. Mais je ne veux pas, ma chère fille, que tu la prennes pour règle générale, parce que tous les corps ne sont pas égaux et nont pas la mémo complexion ; la nature est plus forte dans lun que dans lautre, et souvent il arrive, comme je te lai dit, que les circonstances forcent à abandonner les austérités quon avait commencées. Alors, si tu avais pris ou si tu avais fait prendre la pénitence pour base de conduite, il y aurait découragement, imperfection ; lâme perdrait la consolation et la vertu. (181)
5.- Parce que vous êtes privés dune chose que vous aimiez trop et que vous aviez prise pour votre but, vous vous croyez privés de moi, et en vous croyant séparés de ma bonté, vous tombez dans lennui, le dégoût et le trouble. Vous perdez ainsi la pratique de loraison et la ferveur que vous aviez quand vous faisiez pénitence. Les circonstances vous ont forcés à labandonner, et vous ne trouvez plus dans la prière la douceur que vous goûtiez auparavant. Cela vient de ce que vous avez pris pour fondement lamour de la pénitence, et non lardeur du désir des véritables et solides vertus.
6.- Tu vois le mal qui arrive lorsque vous prenez pour base principale la pénitence : vous êtes dans lerreur et vous tombez dans des murmures contre mes serviteurs. Vous rencontrez lennui, lamertume, et vous voulez nie servir par des oeuvres finies, moi qui suis le Bien infini et qui vous demande un désir infini. La chose principale pour vous est de tuer et danéantir la volonté-propre. Cest en la soumettant entièrement à ma volonté que vous me présenterez, comme une agréable offrande, lardeur de votre désir infini pour mon honneur et le salut des âmes.
7.- Vous vous nourrirez ainsi à la table du saint désir, et vous ne serez jamais scandalisés, ni à votre occasion, ni à celle du prochain ; mais vous vous réjouirez
en, toute chose, et vous profiterez des moyens si variés que je donne à lâme. Ce nest pas ce que font les malheureux qui ne suivent pas cette douce doctrine, et la voie droite donnée par ma Vérité. Ils jugent au contraire selon laveuglement et linfirmité de leur vue ; ils vont comme des insensés qui ignorent leur route ; ils se privent des biens de la terre et du ciel. Dès cette vie, comme je te lai dit dans un autre endroit, ils ont un avant-goût de lenfer.
CV.- Résumé des choses précédentes.- Explication sur la correction du prochain.
1 – Maintenant, ma très chère fille, je satisferai ton désir, et je texpliquerai ce que tu me demandais sur la (182) manière de reprendre ton prochain sans te laisser tromper par le démon, ou par la faiblesse de ta vue. Tu dois le reprendre dune manière générale, et non particulière, à moins que je ne te laie expressément révélé ; mais toujours avec une grande humilité, et en te reprenant toi-même avec les autres.
2.- Je tai dit, et je te répète quen aucune occasion il nest permis de juger les créatures et les âmes de mes serviteurs suivant les dispositions heureuses ou fâcheuses où on les trouve. Car tu es incapable de les juger, et en le faisant tu te tromperais dans tes jugements. Vous devez compatir au prochain, et me le laisser juger.
3.- Je tai dit aussi la règle que tu devais donner à ceux qui viendraient te consulter. et qui voudraient sortir des ténèbres du péché mortel et suivre les sentiers de la vertu. Il faut leur donner pour principe et fondement lamour de la vertu, par la connaissance deux-mêmes et la connaissance de ma bonté envers eux ; il faut leur faire tuer et détruire leur propre volonté, afin quelle ne se révolte jamais contre moi. Montre-leur la pénitence comme un moyen, et non comme un but ; elle ne doit pas être égale pour tous, mais elle doit se régler sur laptitude, les forces et létat de chacun : les uns peuvent beaucoup, les autres moins, selon leurs dispositions extérieures.
4.- Je tai dit quil ne fallait reprendre le prochain que dune manière générale, et cest la vérité. Je ne veux pas cependant que tu penses quen voyant un défaut formel dans quelquun, tu ne puisses le reprendre entre toi et lui. Tu peux le faire, et même sil sobstine et sil ne se corrige pas, tu peux le dire à deux ou trois personnes et si cela ne sert de rien, tu peux le déclarer au corps mystique de la sainte Eglise (S. Matthieu, XVIII, 15-17), Mais je tai dit dêtre prudente et de ne pas te hâter sur
des apparences que tu verras dans ton esprit ou extérieurement. A moins de voir clairement la vérité, ou den recevoir une révélation positive, tu ne dois reprendre personne, si ce nest comme je te lai dit : cest le parti le plus sûr pour que le démon ne te trompe pas sous le manteau de la, charité. Jai fini maintenant, ma bien chère fille, de texpliquer ce qui est nécessaire pour conserver et accroître la perfection de lâme. (183)
CVI.- Des signes qui font connaître si les visites et les visions spirituelles viennent de Dieu ou du démon.
1.- Je vais te dire maintenant ce que tu, me demandais sur le signe que je donne à lâme dans ses visions et ses consolations spirituelles pour distinguer les visites quelle reçoit, et pour reconnaître si elles viennent de moi ou dun autre. Je tai dit que le signe de ma visite était ta joie que je laissais dans lâme et la faim de la vertu
quelle ressent, les sentiments dune humilité sincère et lardeur de la divine charité. Tu mas demandé si dans cette joie ne pouvait pas se rencontrer quelque illusion, parce que tu voudrais suivre la route la plus sûre et le signe de la vertu qui ne peut tégarer. Je te dirai le piège que tu dois craindre et comment tu reconnaîtras si cette
joie est bonne ou mauvaise. Voici la manière dont lennemi peut vous tromper.
2.- Apprends que toute créature raisonnable qui aime et désire une chose, éprouve de la joie lorsquelle la possède ; et plus elle aime cette chose, moins elle la voit
avec discernement, moins elle sapplique à la connaître avec prudence. Elle est tout entière à la jouissance de ce quelle a désiré, et la joie quelle y trouve la rend aveugle à son sujet. Aussi ceux qui aiment et désirent trop les consolations spirituelles, recherchent les visions et sattachent plus aux douceurs des consolations quà moi-même, comme je te lai dit de ceux qui sont dans létat imparfait, parce quils sarrêtent plus aux faveurs quils reçoivent de moi quà lineffable charité avec laquelle je leur donne.
3.- Ces personnes peuvent être trompées dans leur joie, sans compter les autres dangers qui les menacent. Comment sont-elles trompées? Le voici : Lorsque lâme sest passionnée pour la consolation et quelle la reçoit de quelque manière, elle ressent une grande joie, parce quelle voit ce quelle aime et ce quelle désire. Souvent ces consolations peuvent venir du démon, et lâme en ressent cependant de la joie. Mais, je te lai dit, quand cest le démon qui agit, cette visite de lâme commence dans (184) la joie et finit dans la peine, le trouble de la conscience et lindifférence de la vertu.
4.- Quelquefois lâme peut avoir cette joie et la conserver jusquà la fin de loraison, mais si cette joie se trouve sans un ardent désir de la vertu, si elle nest pas embaumée dhumilité et embrasée du feu de ma divine charité, ces visites, ces consolations, ces visions quelle a reçues sont du démon et non de moi, quoiquelle éprouve le signe de la joie. Puisque cette joie nest pas unie à lamour de la vertu, il est évident quelle vient de lamour que lâme avait pour sa propre consolation. Elle jouit, elle est heureuse parce quelle a ce quelle désirait, car cest le propre de tout amour de ressentir de la joie quand il reçoit ce quil aime.
5.- Tu ne dois donc pas te fier à ta seule joie, lors même quelle durerait pendant toute la consolation, et encore davantage. Lamour aveuglé par cette joie ne peut reconnaître la tromperie du démon, sil nagit pas avec prudence, mais en agissant avec prudence, lâme verra si la joie est accompagnée de lamour de la vertu, et par ce moyen elle connaîtra si la visite quelle reçoit vient de moi ou du démon.
6.- Ainsi pour reconnaître quand cest moi qui te visite, il faut que ta joie soit unie à la vertu ; cest le signe que je tai donné et qui te fera discerner lerreur et la vérité, cest-à-dire la joie qui viendra réellement de moi et la joie qui viendra de lamour-propre spirituel uniquement attaché à la consolation. Ma visite donne la joie unie à lamour de la vertu, et celle du démon, donne la joie seulement. Quand on saperçoit que la vertu naugmente pas, on doit en conclure que la joie procède de lamour de la consolation.
7.- Je veux que tu saches que tous ne sont pas trompés par cette joie ; il ny a que les imparfaits qui recherchent la consolation et qui sattachent plus au bienfait quau bienfaiteur. Mais ceux qui sont embrasés pour moi dun amour pur et désintéressé, ceux qui aiment le bienfait à cause du bienfaiteur et non à cause de leur consolation, ceux-là ne peuvent jamais être trompés par cette joie ; car ils ont un signe certain pour reconnaître que le démon veut les tromper en se transformant en ange de lumière et en les remplissant dallégresse. Ils ne sont point passionnés pour la consolation, et ils reconnaissent avec (185) prudence le piège du démon ; leur joie passe vite, et comme ils voient quils sont dans les ténèbres, ils shumilient dans la vraie connaissance deux-mêmes. Ils méprisent toute consolation et embrassent avec ardeur la doctrine de ma Vérité. Le démon, honteux de sa défaite, ne revient jamais ou presque jamais sous cette forme.
8.- Ceux qui aiment leur consolation seront souvent ainsi trompés, mais ils reconnaîtront leur illusion par le moyen que je tindique, cest-à-dire en sapercevant que cette joie nest pas accompagnée de lamour de la vertu, de lhumilité, de la vraie charité, du désir de mon honneur et du salut des âmes. Mon ineffable bonté donne ainsi aux parfaits et aux imparfaits, dans quelque état quils soient, un moyen de nêtre jamais trompé. Si vous voulez conserver la lumière de lintelligence que je vous donne par la sainte foi, ne