instruction pour avancer dans la vie interieure

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L’Imitation de Jésus Christ

De Thomas A Kempis

Traduction de l’Abbé Félicité de Lamennais

 

Livre 2 :

Livre deuxième – Instruction pour avancer dans la vie intérieure p. 29

1.De la conversation intérieure

2.Qu’il faut s’abandonner à Dieu en esprit d’humilité

3.De l’homme pacifique

4.De la pureté d’esprit et de la droiture d’intention

5.De la considération de soi-même

6.De la joie d’une bonne conscience

7.Qu’il faut aimer Jésus-Christ par-dessus toutes choses

8.De la familiarité que l’amour établit entre Jésus et l’âme fidèle

9.De la privation de toute consolation

10.De la reconnaissance pour la grâce de Dieu

11.Du petit nombre de ceux qui aiment la Croix de Jésus-Christ

12.De la sainte voie de la Croix

 

Livre deuxième – Instruction pour avancer dans la vie intérieure

1. De la conversation intérieure

 

 

 

 

1.Le royaume de Dieu est au dedans de vous, dit le Seigneur.

Revenez à Dieu de tout votre coeur, laissez là ce misérable monde, et votre âme

trouvera le repos.

Apprenez à mépriser les choses extérieures et à vous donner aux intérieures, et vous

verrez le royaume de Dieu venir en vous.

Car le royaume de Dieu est paix et joie dans l’Esprit Saint, ce qui n’est pas donné aux

impies.

Jésus-Christ viendra à vous et il vous remplira de ses consolations, si vous lui préparez

au-dedans de vous une demeure digne de lui.

Toute sa gloire et toute sa beauté est intérieure; c’est dans le secret du coeur qu’il se

plaît.

Il visite souvent l’homme intérieur et ses entretiens sont doux, ses consolations

ravissantes; sa paix est inépuisable, et sa familiarité incompréhensible.

2.Ame fidèle, hâtez-vous donc de préparer votre coeur pour l’époux, afin qu’il daigne

venir et habiter en vous.

Car il a dit: Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et nous viendrons à lui, et

nous ferons en lui notre demeure. Laissez donc entrer Jésus en vous, et n’y laissez

entrer que lui.

Lorsque vous posséderez Jésus, vous serez riche et lui seul vous suffit. Il veillera sur

vous, il prendra de vous un soin fidèle en toutes choses, de sorte que vous n’aurez plus

besoin de rien attendre des hommes.

Car les hommes changent vite et vous manquent tout d’un coup; mais Jésus-Christ

demeure éternellement: inébranlable dans sa constance, il est près de vous jusqu’à la

fin.

3.On ne doit guère compter sur un homme fragile et mortel, encore bien qu’il vous soit

utile et que vous soyez chers l’un à l’autre, et il n’y a pas lieu de s’attrister beaucoup si

quelquefois il vous traverse et s’élève contre vous.

Ceux qui sont aujourd’hui pour vous pourront être demain contre vous et

réciproquement: les hommes changent comme le vent.

Mettez en Dieu toute votre confiance: qu’il soit votre crainte et votre amour; il

répondra pour vous et il fera ce qui est le meilleur.

Vous n’avez point ici de demeure stable; en quelque lieu que vous soyez vous êtes

étranger et voyageur, et vous n’aurez jamais de repos que vous ne soyez uni intimement

à Jésus-Christ.

4.Que cherchez-vous autour de vous ? Ce n’est pas ici le lieu de votre repos.

Votre demeure doit être dans le ciel et vous ne devez regarder toutes les choses de la

terre que comme en passant.

Tout passe, et vous passez avec tout le reste.

Prenez garde de vous attacher à quoi que ce soit de peur d’en devenir l’esclave et de

vous perdre.

Que sans cesse votre pensée monte vers le Très-Haut, et votre prière vers Jésus-Christ.

Si vous ne savez pas encore vous élever aux contemplations célestes, reposez-vous

dans la passion du Sauveur, et aimez à demeurer dans ses plaies sacrées.

Car, si vous vous réfugiez avec amour dans ces plaies et ces précieux stigmates, vous

sentirez une grande force au temps de la tribulation; vous vous inquiéterez peu du

mépris des hommes et vous supporterez aisément les paroles médisantes.

5.Jésus-Christ aussi a été méprisé des hommes en ce monde, et dans les plus extrêmes

angoisses, abandonné des siens, de ses amis, de ses proches, au milieu des opprobres.

Jésus-Christ a voulu souffrir et être méprisé; et vous osez vous plaindre de quelque

chose !

Jésus-Christ a eu des ennemis et des détracteurs, et vous voudriez n’avoir que des amis

et des bienfaiteurs !

Comment votre patience méritera-t’elle d’être couronnée s’il ne vous arrive rien de

pénible ?

Si vous ne voulez rien souffrir, comment serez-vous ami de Jésus-Christ ?

Souffrez avec Jésus-Christ et pour Jésus-Christ, si vous voulez régner avec

Jésus-Christ.

6.Si une seule fois vous étiez entré bien avant dans le coeur de Jésus, et que vous eussiez

ressenti quelque mouvement de son amour, que vous auriez peu de souci de ce qui peut

vous contrarier ou vous plaire ! Vous vous réjouiriez d’un outrage reçu parce que

l’amour de Jésus apprend à l’homme à se mépriser lui-même.

Celui qui aime Jésus et la vérité, un homme vraiment intérieur et dégagé de toute

affection déréglée, peut librement s’approcher de Dieu et, s’élevant en esprit au-dessus

de soi-même, se reposer en lui par une jouissance anticipée.

7.Celui qui estime les choses suivant ce qu’elles sont et non d’après les discours et

l’opinion des hommes, est vraiment sage; et c’est Dieu qui l’instruit plus que les

hommes.

Celui qui vit au-dedans de lui-même et qui s’inquiète peu des choses du dehors, tous

les lieux lui sont bons et tous les temps pour remplir ses pieux exercices.

Un homme intérieur se recueille bien vite parce qu’il ne se répand jamais tout entier

au-dehors.

Les travaux extérieurs, les occupations nécessaires en certain temps, ne le troublent

point; mais il se prête aux choses selon qu’elles arrivent.

Celui qui a établi l’ordre au-dedans de soi ne se tourmente guère de ce qu’il y a de bien

ou de mal dans les autres.

L’on n’a de distractions et d’obstacles qu’autant que l’on s’en crée soi-même.

8.Si vous étiez ce que vous devez être, entièrement libre et détaché, tout contribuerait à

votre bien et à votre progrès.

Mais beaucoup de choses vous déplaisent et souvent vous troublent, parce que vous

n’êtes pas encore tout à fait mort à vous-même et séparé des choses de la terre.

Rien n’embarrasse et ne souille tant le coeur de l’homme que l’amour impur des

créatures.

Si vous rejetez les consolations du dehors, vous pourrez contempler les choses du ciel

et goûter souvent les joies intérieures.

 

 

 

 

2. Qu’il faut s’abandonner à Dieu en esprit d’humilité

 

 

 

 

1.Inquiétez-vous peu qui est pour vous ou contre vous; mais prenez soin que Dieu soit

avec vous en tout ce que vous faites.

Ayez la conscience pure et Dieu prendra votre défense.

Toute la malice des hommes ne saurait nuire à celui que Dieu veut protéger.

Si vous savez vous taire et souffrir, Dieu sans doute vous assistera.

Il sait le temps et la manière de vous délivrer: abandonnez-vous donc à lui.

C’est de Dieu que vient le secours, c’est lui qui délivre de la confusion.

Il est souvent très utile, pour nous retenir dans une plus grande humilité, que les autres

soient instruits de nos défauts et qu’ils nous les reprochent.

2.Quand un homme s’humilie de ses défauts, il apaise aisément les autres et se concilie

sans peine ceux qui sont irrités contre lui.

Dieu protège l’humble et le délivre, il aime l’humble et le console, il s’incline vers

l’humble et lui prodigue ses grâces, et après l’abaissement, il l’élève dans la gloire.

Il révèle à l’humble ses secrets, il l’invite et l’attire doucement à lui.

Quelque affront qu’il reçoive, l’humble vit encore en paix, parce qu’il s’appuie sur Dieu

et non sur le monde.

Ne pensez pas avoir fait de progrès si vous ne vous croyez au-dessous de tous les

autres.

 

 

 

 

3. De l’homme pacifique

 

 

 

 

1.Conservez-vous premièrement dans la paix: et alors vous pourrez la donner aux autres.

Le pacifique est plus utile que le savant.

Un homme passionné change le bien en mal, et croit le mal aisément. L’homme paisible

et bon ramène tout au bien.

Celui qui est affermi dans la paix ne pense mal de personne; mais l’homme inquiet et

mécontent est agité de divers soupçons: il n’a jamais de repos, et n’en laisse point aux

autres.

Il dit souvent ce qu’il ne faudrait pas dire, et ne fait pas ce qu’il faudrait faire.

Attentif aux devoirs des autres, il néglige ses propres devoirs.

Ayez donc premièrement du zèle pour vous-même, et vous pourrez ensuite avec justice

l’étendre sur le prochain.

2.Vous savez bien colorer et excuser vos fautes, et vous ne voulez pas recevoir les

excuses des autres.

Il serait plus juste de vous accuser vous-même et d’excuser votre frère.

Si vous voulez qu’on vous supporte, supportez aussi les autres.

Voyez combien vous êtes loin encore de la vraie charité et de l’humilité, qui jamais ne

s’irrite et ne s’indigne que contre elle-même.

Ce n’est pas une grande chose de bien vivre avec les hommes doux et bons, car cela

plaît naturellement à tous; chacun aime son repos, et s’affectionne à ceux qui partagent

ses sentiments.

Mais vivre en paix avec des hommes durs, pervers, sans règle, ou qui nous contrarient,

c’est une grande grâce, une vertu courageuse digne d’être louée.

3.Il y en a qui sont en paix avec eux-mêmes et avec les autres.

Et il y en a qui n’ont point la paix, et qui troublent celle d’autrui: ils sont à charge aux

autres, et plus à charge à eux-mêmes.

Il y en a, enfin, qui se maintiennent dans la paix et qui s’efforcent de la rendre aux

autres.

Au reste toute notre paix dans cette misérable vie, consiste plus dans une souffrance

humble que dans l’exemption de la souffrance.

Qui sait le mieux souffrir possédera la plus grande paix. Celui-là est vainqueur de soi

et maître du monde, ami de Jésus-Christ et héritier du ciel.

 

 

4. De la pureté d’esprit et de la droiture d’intention

 

 

 

 

1.L’homme s’élève au-dessus de la terre sur deux ailes, la simplicité et la pureté.

La simplicité doit être dans l’intention, et la pureté dans l’affection.

La simplicité cherche Dieu, la pureté le trouve et le goûte.

Nulle bonne oeuvre ne vous sera difficile si vous êtes libre au-dedans de toute

affection déréglée.

Si vous ne voulez que ce que Dieu veut et ce qui est utile au prochain, vous jouirez de

la liberté intérieure.

Si votre coeur était droit, alors toute créature vous serait un miroir de vie et un livre

rempli de saintes instructions.

Il n’est point de créature si petite et si vile qui ne présente quelque image de la bonté de

Dieu.

2.Si vous aviez en vous assez d’innocence et de pureté, vous verriez tout sans obstacle.

Un coeur pur pénètre le ciel et l’enfer.

Chacun juge des choses du dehors selon ce qu’il est au-dedans de lui-même.

S’il est quelque joie dans le monde, le coeur pur la possède.

Et s’il y a des angoisses et des tribulations, avant tout elles sont connues de la mauvaise

conscience.

Comme le fer mis au feu perd sa rouille et devient tout étincelant, ainsi celui qui se

donne sans réserve à Dieu se dépouille de sa langueur et se change en un homme

nouveau.

3.Quand l’homme commence à tomber dans la tiédeur, alors il craint le moindre travail et

reçoit avidement les consolations du dehors.

Mais quand il commence à se vaincre parfaitement et à marcher avec courage dans la

voie de Dieu, alors il compte pour rien ce qui lui était le plus pénible.

 

 

5. De la considération de soi-même

 

 

 

 

1.Nous ne devons pas trop compter sur nous-mêmes, parce que souvent la grâce et le

jugement nous manquent.

Nous n’avons en nous que peu de lumière, et ce peu, il est aisé de le perdre par

négligence.

Souvent nous ne nous apercevons pas combien nous sommes aveugles au-dedans de

nous.

A de mauvaises actions souvent nous donnons de pires excuses.

Quelquefois nous sommes mus par la passion et nous croyons que c’est par le zèle.

Nous relevons de petites fautes dans les autres et nous nous en permettons de plus

grandes.

Nous sentons bien vite et nous pesons ce que nous souffrons des autres; mais tout ce

qu’ils ont à souffrir de nous, nous n’y songeons point.

Qui se jugerait équitablement soi-même, sentirait qu’il n’a droit de juger personne

sévèrement.

2.L’homme intérieur préfère le soin de soi-même à tout autre soin: et lorsqu’on est

attentif à soi, on se tait aisément sur les autres.

Vous ne serez jamais un homme intérieur et vraiment pieux, si vous ne gardez le

silence sur ce qui vous est étranger, et si vous ne vous occupez principalement de

vous-même.

Si vous n’avez que Dieu et vous-même en vue, vous serez peu touché de ce que vous

apercevrez au-dehors.

Où êtes-vous quand vous n’êtes pas présent à vous-même ? Et que vous revient-il

d’avoir tout parcouru, et de vous être oublié ?

Si vous voulez posséder la paix et être véritablement uni à Dieu, il faut laisser là tout le

reste, et ne penser qu’à vous seul.

3.Vous ferez de grands progrès si vous vous dégagez de tous les soins du temps.

Vous serez, au contraire, fatigué bien vite, si vous comptez pour quelque chose ce qui

n’est que de ce monde.

Qu’il n’y ait rien de grand à vos yeux, d’élevé, de doux, d’aimable, que Dieu seul, ou ce

qui vient de Dieu.

Regardez comme une pure vanité toute consolation qui repose sur la créature.

L’âme qui aime Dieu méprise tout ce qui est au-dessous de Dieu.

Dieu seul, éternel, immense et remplissant tout, est la consolation de l’âme et la vraie

joie du coeur.

 

 

 

 

6. De la joie d’une bonne conscience

 

 

 

 

1.La gloire de l’homme de bien est le témoignage de sa conscience.

Ayez la conscience pure et vous posséderez toujours la joie.

La bonne conscience peut supporter beaucoup de choses et elle est pleine de joie dans

les adversités.

La mauvaise conscience est toujours inquiète et troublée.

Vous jouirez d’un repos ravissant si votre coeur ne vous reproche rien.

Ne vous réjouissez que d’avoir fait le bien.

Les méchants n’ont jamais de véritable joie, ils ne possèdent point la paix intérieure,

parce qu’il n’y a point de paix pour l’impie, dit le Seigneur.

Et s’ils disent: Nous sommes dans la paix, les maux ne viendront pas sur nous; et qui

oserait nous nuire ? ne les croyez pas car la colère de Dieu se lèvera soudain, et leurs

oeuvres seront réduites à rien, et leurs pensées périront.

2.Se faire un sujet de gloire de la tribulation n’est pas difficile à celui qui aime: car se

glorifier ainsi, c’est se glorifier dans la croix de Jésus-Christ.

La gloire que les hommes donnent et reçoivent est courte.

La tristesse accompagne toujours la gloire du monde.

La gloire des bons est dans leur conscience et non dans la bouche des hommes.

L’allégresse des justes est de Dieu et en Dieu, et leur joie vient de la vérité.

Celui qui désire la gloire véritable et éternelle dédaigne la gloire du temps.

Et celui qui recherche la gloire du temps et ne la méprise pas de toute son âme montre

qu’il aime peu la gloire éternelle.

Il jouit d’une grande tranquillité de coeur, celui que n’émeut ni la louange ni le blâme.

3.Il sera aisément en paix et content, celui dont la conscience est pure.

Vous n’êtes pas plus saint parce qu’on vous loue, ni plus imparfait parce qu’on vous

blâme.

Vous êtes ce que vous êtes, et tout ce qu’on pourra dire ne vous fera pas plus grand que

vous ne l’êtes aux yeux de Dieu.

Si vous considérez bien ce que vous êtes en vous-même, vous vous embarrasserez peu

de ce que les hommes disent de vous.

L’homme voit le visage, mais Dieu voit le coeur. L’homme regarde les actions; mais

Dieu pèse l’intention.

Faire toujours bien et s’estimer peu, c’est le signe d’une âme humble.

Ne vouloir de consolation d’aucune créature, c’est la marque d’une grande pureté et

d’une grande confiance intérieure.

4.Quand on ne cherche au-dehors aucun témoignage en sa faveur, il est manifeste qu’on

s’est entièrement remis à Dieu.

Car ce n’est pas celui qui se recommande lui-même qui est approuvé, dit Saint Paul,

mais celui que Dieu recommande.

Avoir toujours Dieu présent au-dedans de soi et ne tenir à rien au-dehors, c’est l’état de

l’homme intérieur.

 

 

 

 

7. Qu’il faut aimer Jésus-Christ par-dessus toutes choses

 

 

 

 

1.Heureux celui qui comprend ce que c’est que d’aimer Jésus, et de se mépriser soi-même

à cause de Jésus.

Il faut que notre amour pour lui nous détache de tout autre amour, parce que Jésus veut

être aimé seul par-dessus toutes choses.

L’amour de la créature est trompeur et passe bientôt; l’amour de Jésus est stable et

fidèle.

Celui qui s’attache à la créature tombera avec elle; celui qui s’attache à Jésus sera pour

jamais affermi.

Aimez et conservez pour ami Celui qui ne vous quittera point alors que tous vous

abandonneront, et qui, quand viendra votre fin, ne vous laissera point périr.

Que vous le vouliez ou non, il vous faudra un jour être séparé de tout.

2.Vivant et mourant, tenez-vous donc près de Jésus et confiez-vous à la fidélité de celui

qui seul peut vous secourir lorsque tout vous manquera.

Tel est votre bien-aimé, qu’il ne veut point de partage; il veut posséder seul votre coeur

et y régner comme un roi sur le trône qui est à lui.

Si vous saviez bannir de votre âme toutes les créatures, Jésus se plairait à demeurer en

vous.

Vous trouverez avoir perdu presque tout ce que vous aurez établi sur les hommes et

non sur Jésus !

Ne vous appuyez point sur un roseau qu’agite le vent et n’y mettez pas votre confiance,

car toute chair est comme l’herbe, et sa gloire passe comme la fleur des champs.

3.Vous serez trompé souvent si vous jugez des hommes d’après ce qui paraît au-dehors;

au lieu des avantages et du soulagement que vous cherchez en eux, vous n’éprouverez

presque toujours que du préjudice.

Cherchez Jésus en tout, et en tout vous trouverez Jésus. Si vous vous cherchez

vous-même, vous vous trouverez aussi, mais pour votre perte.

Car l’homme qui ne cherche pas Jésus se nuit plus à lui-même que tous ses ennemis et

que le monde entier.

 

 

8. De la familiarité que l’amour établit entre Jésus et l’âme fidèle

 

 

 

 

1.Quand Jésus est présent, tout est doux et rien ne semble difficile; mais quand Jésus se

retire, tout fatigue.

Quand Jésus ne parle pas au-dedans, nulle consolation n’a de prix; mais si Jésus dit une

seule parole, on est merveilleusement consolé.

Marie-Madeleine ne se leva-t’elle pas aussitôt du lit où elle pleurait, lorsque Marthe lui

dit: Le maître est là, et vous appelle ?

Heureux moment où Jésus appelle des larmes à la joie de l’esprit !

Combien, sans Jésus, n’êtes-vous pas aride et insensible !

Et quelle vanité, quelle folie, si vous désirez autre chose que Jésus-Christ ! Ne serait-ce

pas une plus grande perte que si vous aviez perdu le monde entier ?

2.Que peut vous donner le monde sans Jésus ?

Etre sans Jésus, c’est un insupportable enfer; être avec Jésus, c’est un paradis de délices.

Si Jésus est avec vous, nul ennemi ne pourra vous nuire.

Qui trouve Jésus trouve un trésor immense, ou plutôt un bien au-dessus de tout bien.

Qui perd Jésus perd plus et beaucoup plus que s’il perdait le monde entier.

Vivre sans Jésus, c’est le comble de l’indigence; être uni à Jésus, c’est posséder des

richesses infinies.

3.C’est un grand art que de savoir converser avec Jésus, et une grande prudence que de

savoir le retenir près de soi.

Soyez humble et pacifique, et Jésus sera avec vous.

Que votre vie soit pieuse et calme, et Jésus demeurera près de vous.

Vous éloignerez bientôt Jésus et vous perdrez sa grâce, si vous voulez vous répandre

au-dehors.

Et si vous l’éloignez et le perdez, qui sera votre refuge et quel autre ami

chercherez-vous ?

Vous ne sauriez vivre heureux sans ami; et si Jésus n’est pas pour vous un ami

au-dessus de tous les autres, n’attendez que tristesse et désolation.

Qu’insensé vous êtes, si vous mettez en quelque autre votre confiance ou votre joie !

Il vaudrait mieux avoir le monde entier contre vous, que d’être dans la disgrâce de

Jésus.

Qu’il vous soit donc plus cher que tout ce qui vous est cher.

4.Aimez tous les autres pour Jésus, et Jésus pour lui-même.

Lui seul doit être aimé uniquement, parce qu’il est le seul ami bon, fidèle, entre tous les

amis.

Aimez en lui et à cause de lui vos amis et vos ennemis, et priez-le pour tous afin que

tous le connaissent et l’aiment.

Ne souhaitez jamais d’obtenir aucune préférence dans l’estime ou l’amour des hommes;

car cela n’appartient qu’à Dieu, qui n’a point d’égal.

Ne désirez point que quelqu’un s’occupe de vous dans son coeur, et ne soyez

vous-même préoccupé de l’amour de personne; mais que Jésus soit en vous et en tout

homme de bien

5.Soyez pur et libre au-dedans, sans aucune attache à la créature.

Il vous faut être dépouillé de tout, et offrir à Dieu un coeur pur, si vous voulez être

libre et goûter comme le Seigneur est doux.

Et certes, jamais vous n’y parviendrez si sa grâce ne vous prévient et ne vous attire: de

sorte qu’ayant exclu et banni tout le reste, vous soyez seul uni à lui seul.

Car lorsque la grâce de Dieu visite l’homme, alors il peut tout; et quand elle se retire,

alors il est pauvre et infirme, et ne semble réservé qu’aux châtiments.

En cet état même, il ne doit ni se laisser abattre ni désespérer, mais il doit se soumettre

avec calme à la volonté de Dieu et souffrir pour l’amour de Jésus-Christ tout ce qui lui

arrive: car l’été succède à l’hiver, après la nuit revient le jour, et après la tempête une

grande sérénité.

 

 

 

 

9. De la privation de toute consolation

 

 

 

 

1.Il n’est pas difficile de mépriser les consolations humaines quand on jouit des

consolations divines.

Mais il est grand et très grand de consentir à être privé tout à la fois des consolations

des hommes et de celles de Dieu, de supporter volontairement pour sa gloire cet exil du

coeur, de ne se rechercher en rien, et de ne faire aucun retour sur ses propres mérites.

Qu’y a-t’il d’étonnant si vous êtes rempli d’allégresse et de ferveur lorsque la grâce

descend en vous ? C’est pour tous l’heure désirable.

Il avance aisément et avec joie, celui que la grâce soulève.

Comment sentirait-il son fardeau, quand il est porté par le Tout-Puissant et conduit par

le guide suprême ?

2.Toujours nous cherchons quelque soulagement, et difficilement l’homme se dépouille

de lui-même.

Fidèle à son évêque, le saint martyr Laurent vainquit le siècle parce qu’il méprisa tout

ce que le monde offre de séduisant, et qu’il souffrit en paix, pour l’amour de

Jésus-Christ, d’être séparé du souverain prêtre de Dieu, de Sixte, qu’il aimait avec une

vive tendresse.

Pour l’amour du Créateur surmontant l’amour de l’homme, aux consolations humaines

il préféra le bon plaisir divin.

Et vous aussi, apprenez donc à quitter, pour l’amour de Dieu, l’ami le plus cher et le

plus intime.

Et ne murmurez point s’il arrive que votre ami vous abandonne, sachant qu’après tout il

faudra bien un jour se séparer tous.

3.Ce n’est pas sans combattre beaucoup et longtemps en lui-même, que l’homme apprend

à se vaincre pleinement et à reporter en Dieu toutes ses affections.

Lorsqu’il s’appuie sur lui-même, il se laisse aisément aller aux consolations humaines.

Mais celui qui a vraiment l’amour de Jésus-Christ et le zèle de la vertu ne cède point à

l’attrait des consolations, et ne cherche point les douceurs sensibles; il désire plutôt de

fortes épreuves, et de souffrir de durs travaux pour Jésus-Christ.

4.Quand donc Dieu vous accorde quelque consolation spirituelle, recevez-la avec actions

de grâces; mais reconnaissez-y le don de Dieu et non votre propre mérite.

Ne vous en élevez pas, n’en ayez point trop de joie, n’en concevez pas une vaine

présomption. Que cette grâce, au contraire, vous rende plus humble, plus vigilant, plus

timide dans toutes vos actions; car ce moment passera et sera suivi de la tentation.

Quand la consolation vous est ôtée, ne vous découragez pas aussitôt; mais attendez

avec humilité et avec patience que Dieu vous visite de nouveau: car il est tout-puissant

pour vous consoler encore plus.

Cela n’est ni nouveau ni étrange pour ceux qui ont l’expérience des voies de Dieu: les

grands saints et les anciens prophètes ont souvent éprouvé ces vicissitudes.

5.Un d’eux, sentant la présence de la grâce, s’écriait: J’ai dit dans mon abondance: Je ne

serai jamais ébranlé ! Mais la grâce s’étant retirée, il ajoutait: Vous avez détourné de

moi votre face, et j’ai été rempli de trouble.

Dans ce trouble cependant, il ne désespère point; mais il prie le Seigneur avec plus

d’insistance, disant: Seigneur, je crierai vers vous, et j’implorerai mon Dieu.

Enfin il recueille le fruit de sa prière et il témoigne qu’il a été exaucé: Le Seigneur m’a

écouté, il a eu pitié de moi, le Seigneur s’est fait mon appui.

Mais comment ? Vous avez, dit-il, changé mes gémissements en chants d’allégresse,

et vous m’avez environné de joie.

Or, puisque Dieu en use ainsi avec les plus grands saints, nous ne devons pas perdre

courage, pauvres infirmes que nous sommes, si quelquefois nous éprouvons de la

ferveur et quelquefois du refroidissement: car l’esprit de Dieu vient et se retire comme

il lui plaît. Ce qui faisait dire au bienheureux Job: Vous visitez l’homme dès le matin,

et aussitôt vous l’éprouvez.

6.En quoi donc espérer, et en quoi mettre ma confiance, si ce n’est uniquement dans la

grande miséricorde de mon Dieu et dans l’attente de la grâce céleste ?

Car, soit que j’aie près de moi des hommes vertueux, des religieux fervents, des amis

fidèles; soit que je lise de saints livres et d’éloquents traités, soit que j’entende le doux

chant des hymnes, tout cela aide peu et ne touche guère quand la grâce se retire, et que

je suis délaissé dans ma propre indigence.

Alors il n’est point de meilleur remède qu’une humble patience et l’abandon de

soi-même à la volonté de Dieu.

7.Je n’ai jamais rencontré d’homme si pieux et si parfait qui n’ait éprouvé quelquefois

cette privation de la grâce et une diminution de ferveur.

Nul saint n’a été ravi si haut ni si rempli de lumière qu’il n’ait été tenté avant ou après.

Car il n’est pas digne d’être élevé jusqu’à la contemplation de Dieu, celui qui n’a pas

souffert pour Dieu quelque tribulation.

La tentation annonce d’ordinaire la consolation qui doit suivre.

Car la consolation céleste est promise à ceux qu’a éprouvés la tentation. Celui qui

vaincra, dit le Seigneur, je lui donnerai à manger du fruit de l’arbre de vie.

8.La consolation divine est donnée afin que l’homme ait plus de force pour soutenir

l’adversité.

La tentation vient après, afin qu’il ne s’enorgueillisse pas du bien.

Car Satan ne dort point, et la chair n’est pas encore morte: c’est pourquoi ne cessez de

vous préparer au combat, parce qu’à droite et à gauche sont des ennemis qui ne se

reposent jamais.

 

 

 

 

10. De la reconnaissance pour la grâce de Dieu

 

 

 

 

1.Pourquoi cherchez-vous le repos lorsque vous êtes né pour le travail ?

Disposez-vous à la patience plutôt qu’aux consolations, et à porter la croix plutôt qu’à

goûter la joie.

Quel est l’homme du siècle qui ne reçut volontiers les joies et les consolations

spirituelles, s’il pouvait en jouir toujours ?

Car les consolations spirituelles surpassent toutes les délices du monde et toutes les

voluptés de la chair.

Toutes les délices du monde sont ou honteuses ou vaines; les délices spirituelles sont

seules douces et chastes, nées des vertus et répandues par Dieu dans les coeurs purs.

Mais nul ne peut jouir toujours à son gré des consolations divines, parce que la

tentation ne cesse jamais longtemps.

2.Une fausse liberté d’esprit et une grande confiance en soi-même forment un grand

obstacle aux visites d’en-haut.

Dieu accorde à l’homme un grand bien en lui donnant la grâce de la consolation; mais

l’homme fait un grand mal quand il ne remercie pas Dieu de ce don et ne le lui rapporte

pas tout entier.

Si la grâce ne coule point abondamment sur nous, c’est que nous sommes ingrats envers

son auteur, et que nous ne remontons point à sa source première.

Car la grâce n’est jamais refusée à celui qui la reçoit avec gratitude, et Dieu

ordinairement donne à l’humble ce qu’il ôte au superbe.

3.Je ne veux point de la consolation qui m’ôte la componction; je n’aspire point à la

contemplation qui conduit à l’orgueil.

Car tout ce qui est élevé n’est pas saint; tout ce qui est doux n’est pas bon; tout désir

n’est pas pur; tout ce qui est cher à l’homme n’est pas agréable à Dieu.

J’aime une grâce qui me rend plus humble, plus vigilant, plus prêt à me renoncer

moi-même.

L’homme instruit par le don de la grâce et par sa privation n’osera s’attribuer aucun

bien, mais plutôt il confessera son indigence et sa nudité.

Donnez à Dieu ce qui est à Dieu; et ce qui est de vous, ne l’imputez qu’à vous. Rendez

gloire à Dieu de ses grâces; et reconnaissez que n’ayant rien à vous que le péché, rien ne

vous est dû que la peine du péché.

4.Mettez-vous toujours à la dernière place et la première vous sera donnée; car ce qui

est le plus élevé s’appuie sur ce qui est le plus bas.

Les plus grands saints aux yeux de Dieu sont les plus petits à leurs propres yeux; et plus

leur vocation est sublime, plus ils sont humbles dans leur coeur.

Pleins de la vérité et de la gloire céleste, ils ne sont pas avides d’une gloire vaine.

Fondés et affermis en Dieu, ils ne sauraient s’élever en eux-mêmes.

Rapportant à Dieu tout ce qu’ils ont reçu de bien, ils ne recherchent point la gloire que

donnent les hommes et ne veulent que celle qui vient de Dieu seul; leur unique but,

leur unique désir, est qu’il soit glorifié en lui-même et dans tous les saints, par-dessus

toutes choses.

5.Soyez donc reconnaissants des moindres grâces et vous mériterez d’en recevoir de plus

grandes.

Que le plus léger don, la plus petite faveur aient pour vous autant de prix que le don le

plus excellent et la faveur la plus singulière.

Si vous considérez la grandeur de celui qui donne, rien de ce qu’il donne ne vous

paraîtra petit ni méprisable; car peut-il être quelque chose de tel dans ce qui vient d’un

Dieu infini ?

Vous envoie-t’il des peines et des châtiments, recevez-les encore avec joie, car c’est

toujours pour notre salut qu’il fait ou qu’il permet tout ce qui nous arrive.

Voulez-vous conserver la grâce de Dieu, soyez reconnaissant lorsqu’il vous la donne,

patient lorsqu’il vous l’ôte. Priez pour qu’elle vous soit rendue, et soyez humble et

vigilant pour ne pas la perdre.

 

 

11. Du petit nombre de ceux qui aiment la Croix de Jésus-Christ

 

 

 

 

1.Il y en a beaucoup qui désirent le céleste royaume de Jésus, mais peu consentent à

porter sa Croix.

Beaucoup souhaitent ses consolations, mais peu aiment ses souffrances.

Il trouve beaucoup de compagnons de sa table, mais peu de son abstinence.

Tous veulent partager sa joie; mais peu veulent souffrir quelque chose pour lui.

Plusieurs suivent Jésus jusqu’à la fraction du pain, mais peu jusqu’à boire le calice de

sa passion.

Plusieurs admirent ses miracles; mais peu goûtent l’ignominie de sa Croix.

Plusieurs aiment Jésus pendant qu’il ne leur arrive aucune adversité.

Plusieurs le louent et le bénissent, tandis qu’ils reçoivent ses consolations.

Mais si Jésus se cache et les délaisse un moment, ils tombent dans le murmure ou dans

un excessif abattement.

2.Mais ceux qui aiment Jésus pour Jésus et non pour eux-mêmes, le bénissent dans toutes

les tribulations et dans l’angoisse du coeur comme dans les consolations les plus

douces.

Et quand il ne voudrait jamais les consoler, toujours cependant ils le loueraient,

toujours ils lui rendraient grâces.

3.Oh ! que ne peut l’amour de Jésus, quand il est pur et sans mélange d’amour ni d’intérêt

propre !

Ne sont-ce pas des mercenaires ceux qui cherchent toujours des consolations ?

Ne prouvent-ils pas qu’ils s’aiment eux-mêmes plus que Jésus-Christ, ceux qui pensent

toujours à leurs gains et à leurs avantages ?

Où trouvera-t’on quelqu’un qui veuille servir Dieu pour Dieu seul ?

4.Rarement on rencontre un homme assez avancé dans les voies spirituelles pour être

dépouillé de tout.

Car le véritable pauvre d’esprit, détaché de toute créature, qui le trouvera ? Il faut le

chercher bien loin, et jusqu’aux extrémités de la terre.

Si l’homme donne tout ce qu’il possède, ce n’est encore rien.

S’il fait une grande pénitence, c’est peu encore.

Et s’il embrasse toutes les sciences, il est encore loin.

Et s’il a une grande vertu et une piété fervente, il lui manque encore beaucoup, il lui

manque une chose souverainement nécessaire.

Qu’est-ce encore ? C’est qu’après avoir tout quitté, il se quitte aussi lui-même et se

dépouille entièrement de l’amour de soi.

C’est enfin qu’après avoir fait tout ce qu’il sait devoir faire, il pense encore n’avoir rien

fait.

5.Qu’il estime peu ce qu’on pourrait regarder comme quelque chose de grand, et qu’en

toute sincérité il confesse qu’il est un serviteur inutile, selon la parole de la Vérité:

Quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, dites: Nous sommes des

serviteurs inutiles.

Alors il sera vraiment pauvre et séparé de tout en esprit, et il pourra dire avec le

prophète: Oui, je suis pauvre et seul dans le monde.

Nul cependant n’est plus riche, plus puissant, plus libre, que celui qui sait quitter tout et

soi-même, et se mettre au dernier rang.

 

 

 

 

12. De la sainte voie de la Croix

 

 

 

 

1.Cette parole semble dure à plusieurs: Renoncez à vous-mêmes, prenez votre Croix, et

suivez Jésus.

Mais il sera bien plus dur, au dernier jour, d’entendre cette parole: Retirez-vous de moi,

maudits, allez au feu éternel !

Ceux qui écoutent maintenant volontiers la parole qui commande de porter la Croix, et

qui y obéissent, ne craindront point alors d’entendre l’arrêt d’une éternelle

condamnation.

Ce signe de la Croix sera dans le Ciel lorsque le Seigneur viendra pour juger.

Alors tous les disciples de la Croix, qui auront imité pendant leur vie Jésus crucifié,

s’approcheront avec une grande confiance de Jésus-Christ juge.

2.Pourquoi donc craignez-vous de porter la Croix, par laquelle on arrive au royaume du

ciel ?

Dans la Croix est le salut, dans la Croix la vie, dans la Croix la protection contre nos

ennemis.

C’est de la Croix que découlent les suavités célestes.

Dans la Croix est la force de l’âme; dans la Croix la joie de l’esprit, la consommation de

la vertu, la perfection de la sainteté.

Il n’y a de salut pour l’âme et d’espérance de vie éternelle, que dans la Croix.

Prenez donc votre Croix et suivez Jésus, et vous parviendrez à l’éternelle félicité.

Il vous a précédé portant sa Croix et il est mort pour vous sur la Croix afin que vous

aussi vous portiez votre Croix, et que vous aspiriez à mourir sur la Croix.

Car si vous mourez avec lui, vous vivrez aussi avec lui; et si vous partagez ses

souffrances, vous partagerez sa gloire.

3.Ainsi tout est dans la Croix, et tout consiste à mourir. Il n’est point d’autre voie qui

conduise à la vie et à la véritable paix du coeur que la voie de la Croix et d’une

mortification continuelle.

Allez où vous voudrez, cherchez tout ce que vous voudrez, vous ne trouverez pas

au-dessus une voie plus élevée, au-dessous une voie plus sûre que la voie de la sainte

Croix.

Disposez de tout selon vos vues, réglez tout selon vos désirs, et toujours vous

trouverez qu’il vous faut souffrir quelque chose, que vous le vouliez ou non; et ainsi

vous trouverez toujours la Croix.

Car, ou vous sentirez de la douleur dans le corps, ou vous éprouverez de l’amertume

dans l’âme.

4.Tantôt vous serez délaissé de Dieu, tantôt exercé par le prochain, et, ce qui est plus

encore, vous serez souvent à charge à vous-même.

Vous ne trouverez à vos peines aucun remède, aucun soulagement; mais il vous faudra

souffrir aussi longtemps que Dieu le voudra.

Car Dieu veut que vous appreniez à souffrir sans consolations et que vous vous

soumettiez à lui sans réserve, et que vous deveniez plus humble par la tribulation.

Nul n’a si avant dans son coeur la passion de Jésus-Christ que celui qui a souffert

quelque chose de semblable.

La Croix est donc toujours préparée; elle vous attend partout.

Vous ne pouvez la fuir, quelque part que vous alliez; puisque partout où vous irez,

vous vous porterez et vous trouverez toujours vous-même.

Elevez-vous, abaissez-vous, sortez de vous-même, rentrez-y; toujours vous trouverez

la Croix; et il faut que partout vous preniez patience, si vous voulez la paix intérieure

et mériter la couronne immortelle.

5.Si vous portez de bon coeur la Croix, elle-même vous portera et vous conduira au

terme désiré, où vous cesserez de souffrir; mais ce ne sera pas en ce monde.

Si vous la portez à regret, vous en augmentez le poids, vous rendez votre fardeau plus

dur, et cependant il vous faut la porter.

Si vous rejetez une Croix, vous en trouverez certainement une autre, et peut-être plus

pesante.

6.Croyez-vous échapper à ce que nul homme n’a pu éviter ? Quel saint a été dans ce

monde sans croix et sans tribulation ?

Jésus-Christ lui-même, Notre-Seigneur, n’a pas été une seule heure dans toute sa vie

sans éprouver quelque souffrance: Il fallait, dit-il, que le Christ souffrît, et qu’il

ressuscitât d’entre les morts, et qu’il entrât ainsi dans sa gloire.

Comment donc cherchez-vous une autre voie que la voie royale de la sainte Croix ?

7.Toute la vie de Jésus-Christ n’a été qu’une croix et un long martyre, et vous cherchez le

repos et la joie !

Vous vous trompez, n’en doutez pas; vous vous trompez lamentablement si vous

cherchez autre chose que les afflictions à souffrir; car toute cette vie mortelle est pleine

de misères et environnée de croix.

Et plus un homme aura fait de progrès dans les voies spirituelles, plus ses croix

souvent seront pesantes, parce que l’amour lui rend son exil plus douloureux.

8.Cependant celui que Dieu éprouve par tant de peines n’est pas sans consolations qui les

adoucissent, parce qu’il sent s’accroître les fruits de sa patience à porter sa Croix.

Car, lorsqu’il s’incline volontairement sous elle, l’affliction qui l’accablait se change

toute entière en une douce confiance qui le console.

Et plus la chair est affligée, brisée, plus l’esprit est fortifié intérieurement par la grâce.

Quelquefois même le désir de souffrir pour être conforme à Jésus crucifié lui inspire

tant de force, qu’il ne voudrait pas être exempt de tribulations et de douleur, parce qu’il

se croit d’autant plus agréable à Dieu, qu’il souffre pour lui davantage.

Ce n’est point là la vertu de l’homme, mais la grâce de Jésus-Christ, qui opère

puissamment dans une chair infirme, que tout ce qu’elle abhorre et fuit naturellement,

elle l’embrasse et l’aime par la ferveur de l’esprit.

9.Il n’est pas selon l’homme de porter la Croix, d’aimer la Croix, de châtier le corps, de le

réduire en servitude, de fuir les honneurs, de souffrir volontiers les outrages, de se

mépriser soi-même et de souhaiter d’être méprisé, de supporter les afflictions et les

pertes, et de ne désirer aucune prospérité dans ce monde.

Si vous ne regardez que vous, vous ne pouvez rien de tout cela.

Mais si vous vous confiez dans le Seigneur, la force vous sera donnée d’en haut et vous

aurez pouvoir sur la chair et le monde.

Vous ne craindrez pas même le démon, votre ennemi, si vous êtes armé de la foi et

marqué de la Croix de Jésus-Christ.

10.Disposez-vous donc, comme un bon et fidèle serviteur de Jésus-Christ, à porter

courageusement la Croix de votre Maître, crucifié par amour pour vous.

Préparez-vous à souffrir mille adversités, mille traverses dans cette misérable vie; car

voilà partout ce qui vous attend, ce que vous trouverez partout, en quelque lieu que

vous vous cachiez.

Il faut qu’il en soit ainsi, et à cette foule de maux et de douleurs il n’y a d’autre remède

que de vous supporter vous-même.

Buvez avec joie le calice du Sauveur, si son amour vous est cher et si vous désirez

avoir part à sa gloire.

Laissez Dieu disposer de ses consolations; qu’il les répande comme il lui plaira.

Pour vous, choisissez les souffrances et regardez-les comme des consolations d’un

grand prix, car toutes les souffrances du temps n’ont aucune proportion avec la gloire

future, et ne sauraient vous la mériter, quand seul vous les supporteriez toutes.

11.Lorsque vous en serez venu à trouver la souffrance douce et à l’aimer pour

Jésus-Christ, alors estimez-vous heureux, parce que vous avez trouvé le paradis sur la

terre.

Mais, tandis que la souffrance vous sera amère et que vous la fuirez, vous vivrez dans

le trouble, et la tribulation que vous fuirez vous suivra partout.

12.Si vous vous appliquez à être ce que vous devez être, à souffrir et à mourir, bientôt vos

peines s’évanouiront et vous aurez la paix.

Quand vous auriez été ravi, avec Paul, jusqu’au troisième ciel, vous ne seriez pas pour

cela assuré de ne rien souffrir. Je lui montrerai, dit Jésus, combien il faut qu’il souffre

pour mon nom.

Il ne vous reste donc qu’à souffrir, si vous voulez aimer Jésus et le servir constamment.

13.Plût à Dieu que vous fussiez digne de souffrir quelque chose pour le nom de Jésus !

Quelle gloire vous serait réservée ! Quelle joie parmi tous les saints ! Quelle

édification pour le prochain !

Car tous recommandent la patience, quoique peu cependant veuillent souffrir.

Avec quelle joie vous devriez souffrir quelque chose pour Jésus, lorsque tant d’autres

souffrent beaucoup plus pour le monde !

14.Sachez et croyez fermement que votre vie doit être une mort continuelle, et que plus on

meurt à soi-même, plus on commence à vivre pour Dieu.

Nul n’est propre à comprendre les choses du ciel, s’il ne se soumet à supporter les

adversités pour Jésus-Christ.

Rien n’est plus agréable à Dieu, rien ne vous est plus salutaire en ce monde, que de

souffrir avec joie pour Jésus-Christ; et si vous aviez à choisir, vous devriez plutôt

souhaiter d’être affligé pour lui que d’être comblé de consolations, parce que vous

seriez alors plus semblable à Jésus-Christ et plus conforme à tous les saints.

Car notre mérite et notre progrès dans la perfection ne consistent point dans la douceur

et l’abondance des consolations, mais plutôt dans la force de supporter de grandes

tribulations et de pesantes épreuves.

15.S’il y avait eu pour l’homme quelque chose de meilleur et de plus utile que de souffrir,

Jésus-Christ nous l’aurait appris par ses paroles et par son exemple.

Or, manifestement, il exhorte à porter sa Croix, et les disciples qui le suivaient, et tous

ceux qui voudraient le suivre, disant: Si quelqu’un veut marcher sur mes pas, qu’il

renonce à soi-même, qu’il porte sa Croix, et qu’il me suive.

Après donc avoir tout lu, tout examiné, concluons enfin qu’il nous faut passer par

beaucoup de tribulations pour entrer dans le royaume de Dieu.

 

 

 

 

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