Dieu la sainte trinite

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                        « Le Sauveur me dit un jour » par Sœur Marie Lataste 

LIVRE PREMIER,  Dieu, la Sainte Trinité.

  Gloire et louange, amour et reconnaissance soient à jamais rendus à Jésus au saint sacrement de l’autel, au Père et au Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles, Amen.

 

chapitre 1

  Le Sauveur Jésus m’a ainsi parlé de la divinité : « Dieu est un en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Les trois personnes sont Dieu et ne forment pourtant qu’un seul Dieu. Le Père est le principe du Fils et du Saint-Esprit, mais non leur créateur, parce qu’ils sont éternels comme le Père et qu’ils n’ont jamais eu de commencement. De toute éternité, le Père engendre son fils par la connaissance qu’il a de lui-même. Le Père se comprend, et cette intelligence de Dieu le Père, c’est Dieu le Fils. Le Saint-Esprit n’est point engendré par le Père et le Fils, mais il procède de l’un et de l’autre. Dieu le Père se comprend, et se plaît dans son intelligence qu’il aime et dans laquelle il trouve son repos : cet amour du Père pour son intelligence, c’est le Saint-Esprit, union du Père et du Fils.

  « Le Père est souverainement parfait et communique ses perfections au Fils, qui les communique avec le Père au Saint-Esprit. Ainsi le Fils est semblable au Père, le Saint-Esprit au Père et au Fils, les trois personnes semblables entre elles. Le Père est distinct du Fils, le Saint-Esprit distinct du Père et du Fils. Le Père est la première personne de la Trinité ou la personne sans principe autre qu’elle-même; le Fils est l’intelligence du Père ou la deuxième personne; le Saint-Esprit, l’union amoureuse du Père et du Fils, ou la troisième personne; et ces trois personnes ne font qu’un seul Dieu parce qu’elles n’ont qu’une même nature divine.

  « Le Père est éternel, le Fils est éternel, le Saint-Esprit est éternel, et cette trinité d’éternités ne forme qu’une éternité, l’éternité de Dieu.

  « Le Père est saint, le Fils est saint, le Saint-Esprit est saint, et cette trinité de saintetés ne forme qu’une sainteté, la sainteté de Dieu.

  « Le Père est infiniment sage, le Fils infiniment sage, le Saint-Esprit infiniment sage, et cette trinité de sagesses ne forme qu’une sagesse, la sagesse de Dieu.

  « Le Père est tout-puissant, le Fils tout-puissant, le Saint-Esprit tout-puissant, et cette trinité de toutes-puissances ne forme qu’une toute-puissance, la toute-puissance de Dieu.

  « Le Père est miséricordieux, le Fils miséricordieux, le Saint-Esprit miséricordieux, et cette trinité de miséricordes ne forme qu’une miséricorde, la miséricorde de Dieu.

  « Le Père est juste, le Fils juste, le Saint-Esprit juste, et cette trinité de justices, ne forme qu’une justice, la justice de Dieu.

  « Le Père a une volonté, le Fils une volonté, le Saint-Esprit une volonté, et cette trinité de volontés ne forme qu’une volonté, la volonté de Dieu.

  « Quant le Père veut une chose, le Fils et le Saint-Esprit la veulent aussi, et chacune des trois personnes divines coopère à toute action de la Divinité.

  « Il n’y a point de lieu ni d’espace pour les trois personnes divines : elles occupent l’immensité. Elles sont partout au ciel et sur la terre; mais elles manifestent plus particulièrement dans le ciel leur gloire et leur majesté aux êtres intelligents et raisonnables qu’elles ont créés. »

LIVRE PREMIER, chapitre 2

  « Le Père est le principe du Fils et du Saint-Esprit, il est aussi le principe de tout ce qui a été fait, il doit en être, il en est aussi la fin.

  « L’âme humaine vient de ce principe; elle doit se le proposer pour dernière fin, diriger par conséquent vers lui ses pensées, ses désirs, ses affections, ses actions, ses prières, et ne rien désirer dans toutes ses œuvres que le parfait accomplissement de la volonté de Dieu le Père. En agissant ainsi, l’âme rend hommage au Père, au Fils et au Saint-Esprit, parce qu’en faisant la volonté du Père, elle fait aussi la volonté du Fils et du Saint-Esprit. »

  Ces dernières paroles firent impression sur mon esprit qui cherchait, mais inutilement, à en connaître le sens. Le Sauveur Jésus s’en aperçut, et voyant ce qui se passait en moi, il ajouta :

  « Après le péché de l’homme, Dieu envoya son Fils au monde pour le sauver. Le Fils, pendant sa vie, accomplit en tout la volonté du Père. Le Père veut que l’homme suive l’exemple de son Fils et qu’il lui rende hommage en l’imitant. Le Fils veut que l’homme suive la volonté du Père, comme il l’a suivie lui-même, et se trouve honoré de ce que l’homme marche sur ses traces quand il était sur la terre. Le Saint-Esprit, premier opérateur du bien dans les âmes, donne le mouvement à la volonté, éclaire l’esprit par ses lumières, et désire que l’homme corresponde à tout ce qu’il fait pour lui, en suivant l’exemple du Fils et se soumettant à la volonté du Père, par l’observation de ses commandements. Il se trouve honoré de ce que l’homme ne résiste pas à ce qu’il opère en lui. C’est ainsi que les trois volontés du Père, du Fils et du Saint-Esprit ne forment qu’une volonté, et en accomplissant celle du Père, on accomplit aussi celle du Fils et du Saint-Esprit. »

  Telles sont les pensées qui, de la bouche du Sauveur Jésus, sont venues en mon esprit; je les ai conservées par le souvenir; mais je dois faire remarquer dès ce commencement que je ne puis exprimer tout ce qu’il m’a dit, tout ce qu’il lui a plu de me montrer, tout ce qu’il a voulu me faire sentir. Jésus est vraiment la parole de Dieu, et tout est parole en lui. Ce n’est point seulement quand il parle que je l’entends; je l’entends aussi et le comprends dans son regard, dans son maintien, dans ses marques d’affection, de près, de loin, au ciel, sur la terre, dans mon cœur, partout. Cette parole n’est point comme la parole de l’homme; voilà pourquoi la parole des hommes est insuffisante pour exprimer la parole de Jésus; je tacherai pourtant de l’exprimer de mon mieux et aussi bien qu’il me le permettra.

LIVRE PREMIER, chapitre 3

  J’entendis un jour sa voix. Elle s’exprimait avec force et vigueur : « Laissez tous le secret de vos maisons. Accourez, enfants et vieillards, jeunes gens et hommes faits, princes et sujets, riches et pauvres, savants et illettrés, grands et petits, venez reconnaître et admirer les perfections de votre Dieu dans ses œuvres. Les œuvres de Dieu sont parfaites, parce qu’il est parfait lui-même, parce que ses jugements sont parfaits et que ses vues sont parfaites aussi. Les vues des hommes, leurs pensées, leurs intentions, leurs jugements, sont loin de ressembler aux vues, aux pensées, aux intentions, aux jugements de Dieu. Car il est écrit que la justice et la vérité éclatent dans les œuvres du Très-Haut, tandis que le cœur de l’homme est endurci, qu’il chérit la vanité et cherche le mensonge. L’homme voudrait pénétrer les perfections intimes de Dieu. L’insensé! Ne voit-il donc pas que son esprit est trop borné, et que ses connaissances ont des limites trop étroites? Que serait Dieu, si l’homme pouvait le comprendre? Que serait l’infini, s’il était pénétré par le fini? Que serait le Créateur, si la créature était à son niveau? C’est par bonté pour l’homme que Dieu a fait le monde; c’est par bonté qu’il y conserve l’ordre, l’harmonie; par bonté pour l’homme qu’il a fait tout ce qui a été fait, et l’homme méconnaît cette bonté pour scruter les desseins de Dieu qu’il ne scrutera jamais. C’est par sa toute-puissance que Dieu a fait le monde et le conserve, par sa providence et sa sagesse qu’il le fait marcher d’une manière si admirable, et l’homme méconnaît cette bonté, cette providence, cette sagesse, pour se perdre en de vains raisonnements qui l’éloignent de Dieu ou le lui font oublier. Cette perfection dans la création inanimée, animée, raisonnable, ne proclame-t-elle pas un créateur parfait au-dessus de la créature? Contentez-vous donc de reconnaître Dieu, enfants des hommes, amis ne cherchez pas à le comprendre. Car, chercher à comprendre Dieu, c’est le comble de la présomption ou la preuve assurée de la plus grande incrédulité. C’est le comble de la présomption de vouloir renfermer Dieu en l’homme, l’éternel dans le temporel, l’infini dans le fini; c’est la preuve assurée de la plus grande incrédulité, car c’est dire que Dieu ne peut pas plus que l’homme, puisque la puissance de Dieu consiste dans l’intelligence qu’il a de lui-même, et que l’homme comprend Dieu autant que s’il était Dieu.

  « Hommes présomptueux et incrédules, sachez qu’il est écrit que Dieu résiste aux superbes, et qu’il donne sa grâce aux humbles, que celui qui s’abaisse sera élevé, et que celui qui s’élève sera abaissé. Sachez que j’ai dit, lorsque j’étais sur la terre, que celui qui observe ma parole et croit à Celui qui m’a envoyé, sera sauvé. Il ne suffit pas de savoir, il faut croire.

  « JE NE CONDAMNE PAS L’EXAMEN DES CHOSES POUR CONSOLIDER LA FOI, AFIN QUE CETTE FOI SOIT UNE FOI PLEINE DE CONVICTION. QU’ON CHERCHE LA SOLUTION AUX DIFFICULTÉS QUI SE PRÉSENTENT À L’ESPRIT, ON LE PEUT; QU’ON ESSAIE DE FAIRE DISPARAÎTRE UN DOUTE POUR CROIRE ENSUITE PLUS FERMEMENT, C’EST PRUDENCE ET SAGESSE; MAIS IL FAUT FAIRE CELA AVEC UN CŒUR DROIT, AVEC BONNE VOLONTÉ ET UN DÉSIR SINCÈRE DE TROUVER LA VÉRITÉ POUR S’Y ATTACHER. AUJOURD’HUI ON VEUT TOUT COMPRENDRE QUAND IL S’AGIT DE DIEU. PAUVRES ESPRITS, QUI VOUDRAIENT UNE LUMIÈRE DONT L’ÉCLAT LES RENVERSERAIT; QUI VOUDRAIENT COMPRENDRE DIEU ET NE SE COMPRENNENT PAS EUX-MÊMES! QUELLE FIERTÉ REPOUSSANTE DANS CES HOMMES, QUEL SOT ORGUEIL, QUELLES FOLLES PRÉTENTIONS! ILS SE CROIENT SAVANTS ET SONT DES IGNORANTS. LA VRAIE SCIENCE A FUI LOIN D’EUX POUR SE RETIRER PARMI LES HOMMES SIMPLES QUI ADORENT SANS VOIR ET CROIENT SANS COMPRENDRE. LA SCIENCE N’EST POINT L’APPUI DU JUSTE. LE JUSTE RENONCE VOLONTIERS À LA SCIENCE POUR S’APPUYER SUR LA VÉRITÉ ET LA JUSTICE DE DIEU, QUI PARAISSENT DANS SES ŒUVRES. AUSSI SON CŒUR EST TRANQUILLE; IL MET SON ESPÉRANCE DANS LE SEIGNEUR, ET ATTEND LE MOMENT OÙ IL SERA EXALTÉ AU-DESSUS DE SES ENNEMIS. »

LIVRE PREMIER, chapitre 4

« Ma fille, me dit un jour le Sauveur Jésus, vous n’ambitionnez point la science des savants, ni la sagesse des sages selon le monde; mais je veux vous donner un livre qui vous rendra plus sage et plus savante que tous les savants et tous les sages. Ce livre sera toujours ouvert pour vos yeux, et la lumière du ciel, qui brillera sur ce livre, vous permettra de le parcourir chaque jour et à chaque instant du jour. Venez avec moi, ma fille, placez-vous sur un lieu élevé et regardez. La création tout entière se présente à vos regards. Considérez les cieux au-dessus de votre tête, le soleil qui parcourt à pas de géant sa route dans l’espace, et le firmament qui, chaque nuit, déploie sa magnificence toujours ancienne, toujours nouvelle. Puis, abaissez vos regards sur la terre ferme et solide sous vos pieds, parsemée de plantes et de fleurs, couverte de mille espèces différentes d’arbustes et d’arbrisseaux dans vos jardins, de chênes et de cèdres dans vos forêts. Parcourez les campagnes : quelle infinité prodigieuse d’insectes, de reptiles et d’animaux de toutes sortes! Contemplez la mer : quelle immense réunion d’eau! quelle profondeur! Ne pouvez-vous point reconnaître à ces œuvres la puissance de Dieu qui les a faites, et les conserve encore chaque jour par une puissance égale à celle de la création? Eh bien! Cela n’est rien encore auprès de l’homme, qui est la créature la plus parfaite sortie des mains de Dieu. L’homme! ah! ma fille, la composition de son être seul est capable de fournir une matière indéfinie de considérations et de réflexions. En lui se trouvent un corps et une âme; un corps fait de matière, une âme qui est le souffle de Dieu. Quel art dans la disposition de ce corps, quelle perfection! Que de merveilles dans les facultés de l’âme, dans l’entendement, dans la volonté, dans la mémoire! Quelle union entre les diverses parties du corps! Quelle union entre les diverses facultés de l’âme! L’ouvrier qui a fait l’homme n’est-il point un ouvrier divin? n’est-il point Dieu?

  « De l’homme en particulier, portez votre attention sur l’homme en société, sur les peuples, sur les nations. Qui a fait l’homme individu particulier? Qui a fait l’homme vivant en famille? Qui a fait l’homme attaché à une nation, à un empire? N’est-ce pas Dieu qui attache l’homme par ces liens mystérieux? Oui, c’est Dieu, car l’homme de lui-même est ennemi du joug; il aime ce qu’il nomme la liberté, et cette liberté le détacherait de sa patrie et de son prince. Une loi existe pour régir les nations et les empires; cette loi est un joug qui semble briser la liberté de l’homme mais au-dessus des volontés des hommes se trouve la volonté de Dieu qui soumet les hommes à ceux qu’il a établis pour les gouverner.

  « La voix de Dieu s’élève : il soumet les peuples aux princes et aux rois. La voix de Dieu s’élève : il se fait obéir des monarques et des potentats. La voix de Dieu s’élève : il fait trembler les têtes couronnées comme un enfant dans son berceau. La voix de Dieu s’élève : il proclame sa bonté, sa miséricorde ou sa justice sur les peuples et les rois. La voix de Dieu s’élève : il donne la prospérité aux nations et à leurs rois. La voix de Dieu s’élève : il préserve de tout mal les peuples et leurs souverains. La voix de Dieu s’élève : il brise les monarques et fait disparaître leur empire comme un nuage que le vent chasse du ciel.

  « L’homme vit, se remue, marche, s’agite, se débat; mais c’est Dieu qui le mène et le conduit. Il en est de même des nations. Tout a été fait par Dieu, et Dieu conserve tout. Tout a été fait par Dieu, et rien ne résiste à sa volonté. Tout a été fait par Dieu, et tout sert d’instrument à Dieu dans l’exécution de ses desseins et de ses jugements. Il pourrait les exécuter seul; mais il lui plaît de se servir des instruments qu’il a créés, et il n’indique à personne ni la manière de parvenir à ses desseins, ni le moment où il atteindra son but, ni le motif pour lequel il avance ou retarde l’accomplissement de sa volonté.

  « Insensé qui ne reconnaît pas Dieu dans le gouvernement des hommes! Insensé qui ne reconnaît pas Dieu dans ses œuvres du ciel et de la terre! Insensé qui a sous ses yeux le grand livre de la création et n’y trouve point à chaque page ce nom : Dieu!

  « Ils sont insensés, ils sont aveugles aussi, et leur folie et leur aveuglement les détournent de Dieu pour qu’ils ne pensent qu’aux choses de la terre.

  « Ils sont aveugles et insensés et ne voient et ne cherchent point Dieu, parce qu’ils sont séparés de Dieu, parce qu’ils sont révoltés contre lui, parce que le péché règne dans leur cœur.

  « S’ils étaient justes et saints, ils pénètreraient jusqu’à Dieu, jusque dans son cœur; ils verraient avec admiration ses œuvres et ne cesseraient de louer sa puissance, sa bonté, sa miséricorde, sa providence. Ils comprendraient partout, que Dieu dirige tout. La création serait pour eux le premier livre où ils apprendraient la science véritable de la dépendance universelle de toutes choses à l’égard de Dieu, parce que tout a été fait par Dieu. »

LIVRE PREMIER, chapitre 5

  Deux amis véritables, éloignés l’un de l’autre, ne se contentent pas de penser chacun à son ami; ils veulent aussi se voir de temps en temps, s’entretenir, et ces visites et ces entretiens augmentent leur affection réciproque. J’aime bien le Sauveur Jésus, mais je sens que je pourrais l’aimer davantage ; et l’aimer de plus en plus est le désir le plus intime de mon cœur. C’est pourquoi je vais, aussi souvent que je le puis, le visiter dans le sacrement de son autel. Là, je lui ai longtemps parlé toute seule. Je lui disais peu de choses, je ne savais lui dire que ces paroles : O mon Jésus, je vous aime; ou bien : Jésus, je vous donne mon cœur! Ou encore : Sauveur Jésus, augmentez mon amour pour vous. Puis, quand je le quittais, je lui disais pour adieu : Mon Sauveur, bénissez votre très-humble servante!

  Le Sauveur Jésus m’a longtemps écoutée sans me faire entendre sa voix d’une manière sensible, mais j’entendais pourtant comme une voix intérieure qui ne prononçait pas de paroles, et cette voix pleine de douceur et de suavité me disait aussi : « Ma fille, je vous aime; ma fille, j’accepte l’offrande de votre cœur; ma fille, je vous bénis, » et je me retirais contente.

  Depuis qu’il a voulu me permettre d’entendre sa parole, j’ai remarqué que c’était toujours dans le lieu saint, pendant l’offrande du sacrifice de l’autel. Souvent il attend d’être descendu dans mon cœur; c’est alors qu’il commence à m’entretenir; quelquefois aussi c’est au moment de mon action de grâces. Il m’a rarement parlé avant la sainte messe, il l’a fait pourtant quelquefois. Quand je l’entends, je le vois face à face. Alors, il s’opère en moi comme un changement subit que je ne saurais exprimer. Il me semble que je suis seule avec le Sauveur Jésus; je ne vois plus autre chose, je n’ai plus d’œil ni d’oreille pour les objets sensibles qui sont près de moi, je ne sens rien. Mes yeux ne voient que le Sauveur Jésus; mes oreilles n’entendent que le Sauveur Jésus; mon cœur n’aime que le Sauveur Jésus; tout mon être n’a de sentiment que pour le Sauveur Jésus.

  Voici ce qu’il m’a dit un pour en me parlant de l’homme :

  « Dieu a créé l’homme. Le corps de l’homme a été fait de terre par les mains de Dieu. L’âme de l’homme a été produite par le souffle de Dieu, souffle plein de vie qui a animé le corps. Au commencement donc l’homme n’existait pas; c’est Dieu qui l’a tiré du néant, et quand il a commencé, l’homme est encore demeuré semblable au néant; car il n’a pu exister, il n’a pu se mouvoir, il n’a pu agir qu’autant que Dieu lui a continué l’existence, lui a donné le mouvement, lui a prêté l’action. Voilà pourquoi l’homme ne devrait jamais se fier sur soi-même, compter sur soi-même, espérer quelque chose de soi-même; voilà pourquoi l’homme ne devrait vouloir que ce que Dieu veut, opérer que ce que Dieu commande. Ainsi l’homme tournerait son œil vers Dieu et non vers la terre; ainsi l’homme marcherait vers Dieu qui l’attend et l’a fait pour lui, et non vers le mensonge et la vanité qui seront sa perte. L’homme vient de Dieu et doit retourner à Dieu. Il y a deux mouvements en l’homme : de son être créé par Dieu vers l’existence et de son être existant vers Dieu. Ces deux mouvements sont donnés à l’homme par Dieu; et par ces deux mouvements, l’homme, s’il le veut, retournera infailliblement à Dieu. Je dis s’il le veut, parce que l’homme peut changer la direction de ce mouvement.

  « Dieu, au commencement, avait fait l’homme : il l’avait fait grand et heureux. Il lui avait donné un monde dont il était le roi, un paradis dont il était le maître. Il l’avait fait son représentant sur la terre, il l’avait fait Dieu visible dans le monde pour rendre hommage au Dieu invisible du ciel. Il l’avait fait l’âme du monde, et son âme était celle par laquelle le monde donnait à Dieu son amour, et son esprit était celui par lequel le monde connaissait son auteur et son Dieu. Il devait en être ainsi, car l’ordre était là. Cet ordre a été dissous. Le second mouvement que Dieu avait donné à l’homme pour qu’il retournât à lui, l’homme le changea pour recevoir le mouvement du prince des ténèbres. Dès lors, l’homme ne marcha plus dans la voie de Dieu qui est la vérité, il marcha dans la voie de Satan qui est le mensonge. Le second mouvement donné à l’homme par son créateur devait être à jamais anéanti, mais la miséricorde de Dieu vint s’opposer au triomphe de Satan. Je vins arrêter le mouvement de l’enfer en offrant à l’homme la force et le pouvoir de quitter ce mouvement. Je montrai de nouveau à l’homme la vérité, je montrai de nouveau à l’homme la voie; je fis plus, je lui redonnai la vie qu’il avait perdue.

  « Aujourd’hui, tout homme reçoit, comme au commencement, le premier mouvement, qui le lance dans la vie; mais le second mouvement, qui relance l’homme vivant vers Dieu, ne lui est plus donné avec le premier mouvement. Le second mouvement le lance vivant dans la mort; mais je suis là pour ressaisir l’homme par le baptême et le remettre sur le chemin qui mène à Dieu. Alors tout est réparé : l’homme est régénéré; il marchera, s’il le veut, vers Dieu ou retournera à Satan, dont je l’ai délivré; il marchera dans la vérité ou le mensonge.

  « Voyez jusqu’où va la bonté de Dieu : il n’a pas voulu que je retirasse une seule fois l’homme de la voie de perdition; il a voulu encore qu’à chaque heure du jour où l’homme criera vers Dieu, j’accourusse vers l’homme pour lui redonner la vie et le mouvement vers son Créateur par le sacrement de pénitence.

  « Voilà ce que Dieu a fait pour l’homme, ce qu’il fait encore chaque jour : et l’homme, que fait-il pour Dieu? Peut-on comprendre l’ingratitude de l’homme pour son créateur et son Dieu? Dieu est le bienfaiteur continuel et quotidien de l’homme, et l’homme un ingrat qui oublie chaque jour ce que Dieu fait pour lui. »

LIVRE PREMIER, chapitre 6

  Le lendemain du jour où le Sauveur Jésus m’adressa ces paroles, j’étais revenue auprès de lui. Pendant la sainte messe, je me rappelais ce qu’il m’avait dit la veille des deux mouvements de la créature, l’un de Dieu à l’existence, l’autre de l’existence vers Dieu. Afin de donner plus de force au mouvement qui me porte vers Dieu, je lui fis après la consécration l’offrande de mon corps, de mon âme, de mes facultés, de mes affections, de tout ce qui était en moi. Après cela, je vis le Sauveur Jésus au milieu de l’autel, assis sur un trône d’or. Sa figure était plus resplendissante que le soleil; j’en étais éblouie. Il daigna voiler son éclat en ma faveur. Un ange sous une forme humaine s’approcha de moi, me prit par la main et me conduisit près de l’autel. Je restai là jusqu’à la fin de la messe, à genoux devant le Sauveur Jésus. L’ange était à ma droite, aussi à genoux. Il se leva, et je me levai avec lui pour aller vers Jésus qui me dit : « Vous avez présenté à Dieu une offrande qui lui a été agréable. Je vous accepte pour ma servante; ma fille, réjouissez-vous! »

  Puis il ajouta : « Vous vous êtes reconnue la servante de Dieu : cette reconnaissance est pleine de vérité et de justice, car l’homme est et doit être le serviteur de Dieu. Il doit vivre sous la servitude de Dieu, et pas un ne doit être exempt de cette servitude. Voyez l’homme! Qu’est-il? est-il quelque chose par lui-même? s’est-il donné l’existence lui-même? a-t-il formé son corps et les membres de son corps? leur a-t-il donné la force, la vigueur, le mouvement, l’action? est-ce de l’intime de son être qu’il a tiré son âme? de quelle manière a-t-il donné à son âme l’intelligence? où a-t-il pris pour son âme la puissance de vouloir? Comment a-t-il doué son âme de souvenir? Est-ce l’homme qui conserve par sa propre vertu et son corps et son âme? est-ce l’homme qui, par lui-même, et de lui-même, se donne le jour? est-ce l’homme qui fixe et règle l’heure de sa mort? L’homme, de qui dépend-t-il dans sa naissance, dans son existence, dans sa mort? N’est-ce pas de Dieu son créateur? La création de l’homme par Dieu, voilà la première servitude envers Dieu; et nul homme ne peut s’en exempter, parce que nul homme ne peut se créer lui-même.

  « O servitude admirable, servitude pleine de gloire, servitude infiniment heureuse, et combien peu comprennent cette servitude! Dieu est Dieu, et par conséquent maître tout-puissant; sa souveraineté n’a pas de bornes. Elle s’étend sur le corps et sur l’âme, sur toutes les actions possibles de l’homme, sur toutes ses pensées, même les plus secrètes. Elle s’étend sur sa vie, elle s’étend sur sa mort, elle va même au-delà du trépas. Cette souveraineté dure par delà le temps, et pendant l’éternité Dieu sera encore le souverain de l’homme.

  « Dieu est souverain de l’homme et souverain plein de bonté, plein d’amour, plein de tendresse. Pourquoi a-t-il créé l’homme? est-ce pour les mérites de l’homme qui n’existait pas, ou par pure bonté? Comment Dieu exerce-t-il sa souveraineté sur l’homme? n’est-ce pas avec l’affection la plus tendre qu’un père puisse avoir pour son enfant? Ne semble-t-il pas que ce souverain de l’éternité se fasse l’esclave de l’œuvre de ses mains? À chaque instant du jour il veille sur son existence, il pourvoit à ses besoins, il le protège contre ses ennemis, il vient à lui quand il l’appelle, il lui accorde ce qu’il lui demande, il reçoit le nom de Père, il traite l’homme comme son fils, il s’abaisse vers sa créature infiniment plus que la créature ne le pourra jamais comprendre.

  « Dieu créateur est le souverain tout-puissant et tout aimant de l’homme. L’homme vit-il de bon cœur ou par force sous cette servitude? l’homme est-il sujet soumis de Dieu? l’homme accepte-t-il ce joug de Dieu? Non; l’homme se révolte contre Dieu, méprise les commandements de Dieu, oublie Dieu et s’écrie même : Il n’y a point de Dieu.

  « Il n’y a point de Dieu! parole insensée d’un serviteur coupable. Il n’y a point de Dieu! Amis il y aura pour celui qui parle ainsi une main puissante qui brisera la parole sur ses lèvres; il y aura pour celui qui parle ainsi un bras vigoureux qui le terrassera et l’empêchera de se relever; il y aura pour celui qui parle ainsi un lien, que les doigts de l’homme n’auront point tressé, qui enveloppera tous ses membres, le retiendra pendant l’éternité, et lui fera éprouver la justice de celui dont il n’a point voulu recevoir la miséricorde et l’amour. Il n’y a point de Dieu! Il a dit vrai : pour cet homme, il n’y aura point de Dieu, félicité et bonheur suprême; il n’y aura point de Dieu, souverain éternellement bon, éternellement aimable; mais il y aura un Dieu éternellement offensé, un Dieu éternellement redouté, un Dieu éternellement juste, un Dieu éternellement vengeur de l’offense qui lui aura été faite.

  « C’est là la seconde servitude de l’homme; servitude dans la gloire, par laquelle participant au bonheur de la vue de Dieu il le louera éternellement; ou bien servitude dans la malédiction, par laquelle éprouvant les effets de la justice de Dieu il lui rendra hommage dans les flammes de l’éternité.

  « Ainsi Dieu sera toujours le souverain éternel de l’homme; ainsi l’homme sera toujours le serviteur de Dieu. L’homme appartient à Dieu, parce que Dieu est son créateur; l’homme appartient à Dieu, parce que c’est de lui qu’il a tout reçu; l’homme appartient à Dieu parce qu’il n’est rien sans lui. Ces là le souverain domaine de Dieu sur l’homme : jamais personne n’en dessaisira Dieu. Les hommes l’oublient, mais Dieu ne l’oubliera pas.

LIVRE PREMIER, chapitre 7

  « Ma fille, me dit un autre jour le Sauveur Jésus, Dieu connaît toute chose, et rien n’arrive que par son ordre et selon sa volonté. Conservez cette pensée dans votre cœur; elle est pleine de vérité et de consolation. Elle est pleine de vérité; car Dieu, créateur et maître du monde et de tout ce qui est dans le monde, a, pour tout diriger, pour tout régler, pour tout conduire, une puissance égale à celle qui fit tout sortir du néant. Le Dieu qui a créé une première fois est le Dieu qui conserve tout, et, par cette conservation, semble tout créer de nouveau. Ainsi le ciel, la terre, les éléments sont soumis à la volonté de Dieu depuis le commencement des temps, comme ils lui furent soumis alors qu’il leur dit d’exister. Ainsi l’homme marche sous l’impulsion de la volonté de Dieu, naît, vit et meurt, s’agite et se remue, parce que Dieu lui dit de naître, de vivre, de mourir, et lui permet de s’agiter et de se mouvoir.

  « Cette pensée est pleine de consolation pour ceux qui la possèdent et l’entretiennent dans leur cœur, parce que, dans quelque situation, dans quelque danger, dans quelque épreuve qu’ils se trouvent, sachant que c’est Dieu qui le veut ou le permet, ils peuvent mettre en lui leur espérance, et, loin de s’alarmer, lui dire, pleins de confiance : Mon Dieu, que votre volonté soit faite et non la mienne!

  « Ne soyez jamais du nombre de ces insensés qui attribuent au hasard, au destin, à la volonté ou à la combinaison des hommes les événements heureux qui réjouissent, ou les malheurs qui affligent. Ne voyez en tout, ma fille, que la providence de Dieu, réglant, gouvernant et dirigeant tout ici-bas.

  « L’âme juste voit la Providence dans tous les événements du monde, et ne cesse de la louer et la bénir.

  « L’âme juste n’attribue point le gain d’une bataille à la valeur, au courage, au nombre des soldats, à l’habileté des capitaines; elle l’attribue à la providence de Dieu qui donne la victoire à qui il lui plaît.

  « L’âme juste n’attribue point la prospérité d’un empire au gouvernement du prince de cet empire; elle l’attribue à la providence de Dieu, lumière, conseil, puissance et soutien de ce prince.

  « L’âme juste n’attribue point la chute d’une dynastie royale à la faiblesse ou à l’incurie des membres de cette dynastie; elle l’attribue à la providence de Dieu, qui fait et défait les rois de la terre pour sa gloire et le bonheur des peuples ou leur châtiment.

  « L’âme juste n’attribue point les fléaux, les inondations, la fureur des flots des mers, l’irritation du tonnerre, la famine, la peste, la guerre, les maladies, la mort, à des causes naturelles; elle attribue tout à Dieu, qui commande à l’Océan comme à la foudre, qui donne l’abondance ou la stérilité, qui conserve la paix ou permet le trouble parmi les hommes, et leur envoie, quand il lui plaît, la maladie ou la santé.

  « Si elle échappe à un danger, à un péril, à une mort imminente, l’âme juste reconnaît qu’elle a été protégée, délivrée, sauvée par son Dieu.

  « Si elle réussit dans une entreprise, l’âme juste en remercie le Dieu du ciel qui lui a donné ce succès.

  « En un mot, l’âme juste voit en tout et partout le doigt de Dieu; et, toute pleine de reconnaissance et d’admiration, de soumission et de respect pour la Providence divine, elle bénit celui qui veille avec tant de soin sur elle et sur toute créature, qui pourvoit à tous les besoins spirituels et temporels de l’humanité, comme une mère à ceux de ces enfants, et dispose tout de manière à augmenter la couronne du juste et à ramener le pécheur à résipiscence.

  « Voilà bien, en effet, ma fille, à quoi se résume l’action de Dieu sur les hommes : à rendre plus juste celui qui est dans la justice, et surtout à ramener dans la voie droite celui qui l’a quittée.

  « L’homme souvent oublie Dieu pour s’appuyer sur des bras de chair : Dieu se retire un instant pour lui faire comprendre la faiblesse de l’appui qu’il a choisi, et l’homme revient à Dieu, qui lui tend les bras avec bonté. Le premier soutien de l’homme doit être Dieu; c’est à sa providence qu’il doit s’abandonner et ne compter que sur elle.

  « Néanmoins, il ne faut pas tellement tout attendre de Dieu qu’on néglige d’accomplir ce que la raison ou la nécessité prescrivent, car agir ainsi, serait agir avec témérité et tenter Dieu. Or, Dieu ne cherche point à favoriser les téméraires; il ne récompense que la foi de ceux qui espèrent de lui ce qu’ils doivent ou peuvent espérer.

  « Oui, confiance en Dieu, confiance pleine et entière. Son bras n’est pas raccourci; il fera plutôt un miracle, s’il est nécessaire, pour vous délivrer de vos ennemis ou empêcher la ruine de votre âme, que de laisser votre espérance déçue et frustrée. N’espérez donc qu’en Dieu et dans sa providence, et quelque chose qui vous arrive, sachez que tout vient de Dieu, et que pas même un cheveu ne tombera de votre tête sans permission.

LIVRE PREMIER, chapitre 8

« Le ciel des cieux est pour le Seigneur, me dit un jour le Seigneur Jésus; mais il a donné la terre aux enfants des hommes.

  « Dieu a fait le ciel et la terre; le ciel que vous voyez au-dessus de votre tête, la terre que vous foulez sous vos pas. Dieu a fait le ciel qui porte aux hommes la lumière pour le travail du jour, et les ténèbres pour le repos de la nuit; il a fait aussi la terre qui leur donne la nourriture du corps et les vêtements pour le couvrir; et ainsi le ciel et la terre que Dieu a faits et qui appartiennent à Dieu, sont pour l’homme; et quand la terre disparaîtra pour l’homme, un nouveau ciel lui apparaîtra pour le recevoir; non plus un ciel matériel, dans lequel se font le jour et la nuit, la lumière et les ténèbres, le calme et la tempête, mais un ciel spirituel, un ciel tout plein de Dieu, un ciel qui montre à découvert Dieu et sa gloire, qui permet à l’homme de le voir, de le contempler, de le comprendre; de le voir assez pour n’avoir pas besoin d’autre lumière, de le contempler assez pour ne désirer pas d’autre satisfaction, de le comprendre assez pour que son intelligence trouve en Dieu son repos. Voilà le ciel qui est aussi pour l’homme le ciel que Dieu veut lui donner, comme il lui a donné la terre, le ciel dont il veut le faire sujet, comme il l’a fait sujet de la terre, le ciel qui sera la félicité suprême que l’homme cherche vainement sur la terre.

  « Ce ciel appartient à Dieu; il est la résidence particulière de Dieu, le lieu de sa manifestation aux créatures, le trône de sa majesté et de sa gloire : voilà pourquoi il est dit que le ciel est à Dieu et la terre pour les enfants des hommes. Le ciel est le temple de Dieu, comme la terre est le temple de l’homme; le ciel est le lieu de la glorification éternelle de Dieu, comme la terre celui de la glorification éternelle de Dieu, comme la terre celui de la glorification temporelle de l’homme. Dieu est roi du ciel, l’homme roi de la terre. Dieu pourtant n’a reçu le ciel de personne, mais l’homme a reçu la terre de Dieu. La terre n’est point donnée à l’homme à perpétuité, parce que la terre est insuffisante pour l’homme. L’homme n’est pas seulement terrestre, il est aussi céleste. L’homme a été d’abord fait de terre, puis un souffle céleste lui a donné la vie. Le ciel est descendu sur cette terre, chair de l’homme, pour la prendre et l’élever au ciel. La terre n’est que le marchepied sur lequel l’homme prend position pour s’élever au ciel. La terre, c’est un lieu élevé d’où l’homme prend son élan vers le ciel. La terre, c’est une haute montagne que l’homme gravit et dont le sommet permet à l’homme d’entrer au ciel. La terre, c’est un arc bandé fortement vers le ciel et dans lequel l’homme doit se placer pour être envoyé au ciel. La terre n’a été donnée à l’homme que pour le mettre à même de posséder un jour le ciel, qui est à Dieu. C’est Dieu qui a donné la terre aux enfants des hommes, c’est Dieu qui veut aussi leur donner le ciel.

  « Mais voyez les hommes : ils montent sur le marchepied de la terre, non pour s’élever au ciel, mais pour se précipiter dans l’abîme; ils gravissent le lieu élevé et cette haute montagne, qu’elle figure, non pour gagner le ciel, mais pour tomber plus sûrement dans les ténèbres éternelles; ils se placent sur l’arc bandé vers le ciel, mais ils détournent la direction de cet arc dans le sens opposé, comme pour montrer qu’ils ne veulent point du ciel et qu’ils sont tout à la terre. Malheureux! Dieu est le tout de l’homme et la terre n’est rien pour eux, et ils disent à la terre : Vous êtes tout pour nous; ils disent à Dieu : Pour nous, Seigneur, vous n’êtes rien, laissez-nous à la terre.

  « N’agissez-vous point ainsi, jeunes hommes et jeunes filles? Au lieu de vous rappeler que vous êtes faits pour le ciel, au lieu de consacrer à Dieu le printemps de vos années, au lieu de lui faire abandon de tout ce qui vous appartient, au lieu de vous avancer de plus en plus dans le chemin de la vertu, au lieu de vous rapprocher du ciel, vous ne désirez que la terre; eh bien! vous ne recevrez pas autre chose, et la terre se changera pour vous en un supplice éternel.

  « N’est-ce point ainsi que vous agissez, pères et mères, cherchant à accroître le domaine de vos enfants, à leur acquérir de plus grandes richesses, à les attacher de plus en plus à la terre. Au lieu de les attacher de plus en plus au ciel, au lieu d’augmenter et d’accroître leurs vertus, ces trésors que la rouille et les voleurs ne peuvent faire disparaître, vous ne désirez pour vous et pour eux que la terre; eh bien! vous ne recevrez pas autre chose, et la terre se changera pour vous en un supplice éternel.

  « N’est-ce point ainsi que vous agissez, hommes d’affaires et de négoce, qui n’avez qu’une probité apparente, qu’une justice fausse et mensongère, qu’une prudence fondée sur l’or et sur l’argent? Au lieu de vous rappeler le travail seul nécessaire, qui doit vous donner les trésors du ciel, vous ne désirez que la terre; eh bien! vous ne recevrez pas autre chose, et la terre se changera pour vous en un supplice éternel.

  « N’est-ce pas ainsi que vous agissez, magistrats, juges, ministres et potentats? vous êtes l’image du gouvernement de Dieu, l’image des jugements de Dieu, l’image de la puissance de Dieu, et vous l’oubliez pour agir comme si vous deviez à jamais administrer la terre, à jamais juger la terre, à jamais commander à la terre; eh bien! vous ne recevrez pas autre chose, et la terre pour vous se changera en un supplice éternel.

  Je vous le dis, ma fille, avec toute la force de la vérité qui demeure éternellement, les hommes se flattent en vain de pouvoir continuer avec impunité et leurs injustices, et leurs rapines, et leurs trahisons, et leurs iniquités qui croissent chaque jour de plus en plus. Ils se trompent en pensant que Dieu, qui ne se venge pas sur la terre, ne se vengera jamais. Qu’ils avancent encore, qu’ils marchent toujours; ils avanceront et marcheront vers l’éternelle justice de Dieu, à laquelle nul, ne pourra échapper. Quand viendra l’heure de la justice, Dieu mettra sous les yeux de chaque homme en particulier toutes ses actions, et alors tous recevront la terre qu’ils auront cherchée.

  « Cette terre matérielle disparaîtra pour eux; l’enfer sera la terre nouvelle et éternelle que Dieu donnera aux réprouvés. Le ciel sera la terre nouvelle et éternelle que Dieu donnera aux réprouvées. Le ciel sera la terre nouvelle et éternelle que Dieu donnera aux élus. La terre de l’humanité sera la possession ou la privation de Dieu : Dieu avec les hommes, Dieu loin des hommes.

  « O ma fille, pensez toujours à la nouvelle terre que vous devez habiter un jour, pensez au ciel que Dieu veut vous donner, à cette terre où Dieu habite, où Dieu se manifeste, où Dieu se donne, où Dieu se livre à ses élus. Fuyez au contraire toujours la terre où Dieu n’habite que par sa justice et ses vengeances, ne se manifeste, ne se donne, ne se livre aux réprouvés que comme Dieu vengeur et souverainement juste. »

LIVRE PREMIER, chapitre 9

  Après ces paroles, le Sauveur Jésus ajouta : « Vous comprenez, ma fille, comment l’homme trouvera ce qu’il cherche dans la terre que Dieu lui a donnée; vous voyez quelle bonté Dieu témoigne à l’homme de vouloir lui donner une place dans le ciel, qui est à Dieu. Je veux vous faire remarquer une chose à laquelle vous n’aviez point pensé.

  « Le ciel est le lieu de la récompense des justes; il est à Dieu et Dieu le donne à ses élus. Mais il est un ciel supérieur à celui que Dieu donnera à l’homme, un ciel qui s’appelle avec vérité et qui est véritablement le ciel du ciel, c’est-à-dire le ciel de Dieu, le ciel qui appartient à Dieu. Ce ciel c’est le sein de Dieu dans lequel le Saint-Esprit unit le Père et le Verbe; ce ciel c’est Dieu même. Ce ciel n’est pas comme celui qui sera donné aux élus. Un ciel créé; c’est un ciel incréé, qui n’a jamais eu de commencement et n’aura jamais de fin, qui existait avant l’origine des choses, qui existera toujours. Ce ciel était en Dieu, ce ciel était Dieu. C’est le ciel du ciel; c’est le bien éternel en lui-même, la félicité éternelle en elle-même, la toute-puissance, la souveraine sagesse, la souveraine perfection, Dieu. »

LIVRE PREMIER, chapitre 10

  Voici ce que m’a dit un jour le Sauveur : « L’homme sur la terre ressemble à un corps qui n’a plus de vie, ou à un malade qui a besoin de recouvrer la santé. Dieu dans le ciel est pour l’homme un médecin qui tue pour vivifier, qui frappe pour guérir. Écoutez le sens de ces paroles.

  « L’homme ressemble à un corps sans vie. Quelle est la vie de l’homme après celle de l’union de l’âme avec le corps? C’est la contemplation de la vérité, la marche dans la voie de la vérité, la demeure dans la vérité. L’homme a-t-il la vérité? Non, il l’a perdue par le péché, par sa révolte contre Dieu, et il lui était impossible de la retrouver jamais, et sans la vérité, l’homme est semblable à un corps sans vie.

  « L’homme est semblable à un malade. En quoi consiste la santé de l’homme, après la proportion dans ses membres et la force adhérente à chacun de ses membres? Elle consiste dans la rectitude et le facile exercice de ses facultés. L’homme a-t-il la rectitude dans ses facultés? a-t-il un facile exercice de ses facultés? Non, l’homme a été blessé jusque dans le plus intime de son être intellectuel et moral par le péché. La rectitude n’est plus en lui; ses facultés ne suivent plus la ligne droite. Il a l’exercice de ses facultés, mais c’est un exercice plein de labeur et qui n’est point conforme à la sagesse. L’homme est donc un malade qui a besoin de recouvrer la santé.

  « Un principe de vie sera donné à ce mort, ce sera le Fils de Dieu fait homme, et ce mort reviendra à la vie. Un remède plein d’efficacité sera donné à ce malade, ce sera le sang du Fils de Dieu fait homme, et ce malade recouvrera la santé.

  « Le médecin de l’homme qui possède l’existence et qui cependant est mort, qui possède la santé et qui cependant est malade, ce médecin, c’est Dieu. Or, Dieu tuera cet homme pour le vivifier; il le frappera pour le guérir.

  « Vous allez comprendre, ma fille, et vous adorerez l’œuvre et les desseins bien admirables de la Providence.

  « Dieu est un médecin qui tue pour vivifier. Quelle est la vie de l’homme? La vie de l’homme est une vie dans le péché, dans le crime, dans l’injustice, dans l’impiété; vie dans la fornication, vie dans le vol, vie dans les meurtres, vie dans l’oppression du faible, vie dans le parjure, vie dans le blasphème, vie dans la révolte contre Dieu. Dieu s’approche de cet homme, tue en lui l’homme de l’iniquité et lui donne la vie de la justice; il tue cet homme à la concupiscence du mal et le fait vivre dans l’amour des vertus; il tue l’homme adultère et impie pour faire vivre l’homme chaste et vertueux. Telle est l’œuvre par excellence de Dieu sur l’homme.

  « Dieu est un médecin qui frappe pour guérir. Il frappe les hommes par ses commandements pour les guérir de leurs vices; il les frappe par ses menaces pour les guérir de leurs révoltes; il les frappe par la vue de l’enfer pour tourner leurs regards vers le ciel; il les frappe en leur découvrant les artifices de Satan pour leur faire observer les œuvres de sa divine miséricorde.

  « Acceptez, ma fille, le principe de vie qui vous sera donné par mon Père; acceptez le remède qu’il vous offrira. Je ne vivifie que ceux qui veulent être vivifiés, je ne guéris que ceux qui veulent être guéris; mais la guérison que j’opère n’est pas une guérison passagère, elle est pleine d’efficacité et conserve la santé à jamais; et la vie que je rends n’est pas une vie d’un jour, c’est une vie qui mène à l’éternité de la vie.

  « Celui qui refusera la vie que je veux lui donner, restera éternellement dans la mort; et celui qui refusera la santé que je veux lui rendre, l’aura perdue pour l’éternité. »

LIVRE PREMIER, chapitre 11

  Je me tenais un jour attachée d’esprit et de cœur à Jésus dans le sacrement adorable de l’autel; j’étais heureuse si près de mon Dieu et j’attendais qu’il me fit entendre sa parole, toujours pleine de douceur pour mon âme.

  Bientôt j’entendis la voix de Jésus, elle me dit : « Prends un livre, ouvre-le et lis ce qui se présentera sous tes yeux. » Je pris mon livre et je lus ce verset du psaume : « Le Seigneur est infiniment élevé, il regarde cependant les humbles avec complaisance et ne voit que de loin les orgueilleux. »

  « Je veux vous expliquer aujourd’hui ces paroles. Écoutez-moi, ma fille :

  « Le Seigneur est infiniment élevé; car il est éternel, immuable, immense, tout-puissant, souverainement sage et juste; il connaît tout, il sait tout, il commande à tout, il est maître de tout. Toute grandeur devant sa grandeur est bassesse; toute puissance, faiblesse devant sa puissance; tout savoir, ignorance devant son savoir. Il est la seule bonté véritable et réunit seul toutes les perfections. Il a tout créé par sa volonté, et il a conservé le souverain domaine de toutes choses pour lui seul.

  « Au commencement, il créa le ciel et la terre; puis il créa l’homme. Après avoir formé son corps de terre, il souffla sur lui et l’anima. Ce souffle de vie est l’âme de l’homme. Dieu doua l âme de nobles facultés : la raison, l’entendement, la volonté et la mémoire. Par ces facultés, il rendit l’âme capable de le connaître et de connaître ses devoirs envers son créateur et bienfaiteur. Il établit la volonté reine et maîtresse de toutes les autres facultés et de l’homme tout entier. Il donna à la volonté la raison pour guide et pour compagne. L’entendement fut donné à l’homme comme un flambeau, comme une lumière pour diriger ses pas et lui montrer la voie qu’il devait suivre. Enfin, pour sa gloire et aussi pour celle de l’homme, Dieu ne voulut point que l’homme lui fût soumis par force. Aussi, avec les facultés qui lui faisaient connaître ses devoirs envers son auteur, Dieu lui donna-t-il la liberté de les lui rendre ou de les lui refuser, voulant que l’accomplissement de ses devoirs devint pour l’homme un sujet de mérites, tandis qu’il n’aurait dû être qu’une obligation de stricte justice. Quelle ne fut pas l’ingratitude et l’audace de l’homme lorsque, par son péché, il se révolta contre Dieu et tourna contre lui, en l’offensant, les dons et les bienfaits qu’il en avait reçus! La justice divine criait vengeance, mais Dieu ne pouvait se résoudre à détruire le plus noble ouvrage de ses mains et à perdre cette âme sortie de lui et faite à son image. Dans ce combat de la justice et de la miséricorde, celle-ci l’emporta. Dieu, dont la bonté est infinie, envoya son Fils pour sauver l’homme, et le Fils, par sa mort et ses mérites vint satisfaire à la justice éternelle et donner la réparation que l’homme ne pouvait donner.

  « Dieu regarde cependant les humbles avec complaisance. »

  À l’occasion de ces paroles, le Sauveur Jésus me traça le portrait de l’homme humble et m’indiqua les sentiments qui le caractérisent. « Voyez, me dit-il, voyez cet homme d’une humilité parfaite, combien il est agréable à Dieu! Considérez ses sentiments envers son Créateur, envers son prochain, envers lui-même. Premièrement, envers son Créateur. Il reconnaît ses infinies perfections, il le proclame auteur et souverain maître de toutes choses, son Dieu, son conservateur et bienfaiteur perpétuel. Il s’abaisse profondément devant lui, il lui offre et lui consacre l’être qu’il tient de lui seul, et lui rend hommage en lui témoignant sa reconnaissance pour toutes les grâces, tous les dons, tous les biens, tous les talents, toutes les qualités, toutes les perfections du corps et de l’âme qu’il a reçus. Bien loin de se rien approprier, il rend à Dieu grâces de tout, comme ayant reçu tout de lui, remercie sa bonté et sa miséricorde, et désire que tous les hommes avec lui offrent à Dieu toute sorte d’actions de grâces.

  Deuxièmement, envers lui-même. Il reconnaît ce qu’il est par lui-même, néant et péché. Il reconnaît qu’il a tout reçu de Dieu, qu’il est indigne de paraître devant lui à cause de sa misère, de son peu de fidélité à correspondre aux grâces d’en haut, de sa négligence à accomplir la volonté de son Père qui règne au ciel, et surtout de ses défauts et de ses péchés. Voyant néanmoins que Dieu ne cesse pas de l’aimer et de le combler de ses bienfaits, et ne sachant comment lui témoigner assez sa reconnaissance, il s’abandonne tout entier à lui avec tout ce qu’il est, avec tout ce qu’il a. Se reconnaissant indigne et incapable de tout bien, digne au contraire et capable de tout mal, il met sa confiance en Dieu, et attend de sa bonté tous les secours qui lui sont nécessaires pour vaincre ses ennemis, éviter le péché et pratiquer le bien. Quand il se verrait comblé de tous les dons du ciel, il ne perdrait jamais de vue qu’il ne peut rien par lui-même et que, sans le secours perpétuel de Dieu, il tomberait à chaque instant dans le péché. C’est pour cela qu’il se tient toujours étroitement uni à Dieu, implorant sans cesse sa grâce et son secours.

  Troisièmement, envers le prochain. L’homme humble se regarde comme le dernier des hommes et les place tous au-dessus de lui. Il voit Dieu en chacun de ses semblables et lui rend en leur personne l’honneur qui lui est dû. Il ne s’arrête pas à ce qu’il y a de matériel en eux, mais reconnaissant l’image de Dieu dans son prochain, il est pour lui plein d’égards et lui rend tous les honneurs et services qui sont en son pouvoir. Pour lui, se reconnaissant indigne de toute prévenance et de tout honneur, il croit mériter au contraire, avec l’oubli de tous, toute sorte d’affronts, d’outrage, de souffrances et d’afflictions, l’abandon de toute créature, la mort même, à cause de son néant et de ses péchés; il croit mériter, en un mot, que la création entière s’élève contre lui, parce qu’il s’est élevé contre le Créateur. Aussi, éprouvé par Dieu ou par les hommes, sachant qu’il mérite plus encore, demeure-t-il soumis, conserve-t-il la joie dans son âme et remet-il entre les mains de Dieu, tout ce qui le concerne. Combien cet homme est agréable à Dieu, combien il lui rend gloire, combien il lui plaît, en remplissant ses devoirs avec des sentiments si convenables et si saints!

  « Dieu ne voit que de loin les orgueilleux. Il y a deux sortes d’orgueilleux : l’orgueilleux impie qui s’élève contre Dieu, se révolte contre lui, lui refuse l’honneur et l’hommage qui lui sont dus, et ne reconnaît d’autre Dieu que son plaisir, d’autre loi que sa satisfaction. Cet orgueilleux, Dieu ne le voit que de loin, mais pour la ruine de l’orgueilleux, car cette vue sera sa condamnation. L’autre orgueilleux, c’est celui qui, sous le voile de la vertu, cache un cœur gâté par l’orgueil.

  « Un homme est dans la bonne voie, il veille sur soi, il s’observe sur tout et déteste le péché. Voici comment de juste il peut devenir coupable, et de fils de Dieu, fils de Satan. L’ennemi de son salut ne lui proposera pas, dès le commencement, des fautes graves, il lui inspirera pas de mauvaises pensées, il sait qu’agir ainsi serait s’exposer à une défaite. Non, le Démon laisse cet homme en repos pendant quelque temps, il le soutient même dans sa dévotion, bien loin de l’en détourner; il lui inspire dans l’oraison des pensées sublimes, qui sont pour lui pleines de consolations, et auxquelles il s’attache aux dépens de la gloire de Dieu, qu’il devrait uniquement chercher. Alors le Démon suggère à cet homme une vaine complaisance pour lui-même, lui persuade qu’il est quelque chose et même plus que les autres, et cet homme, au lieu de repousser ces pensées pour tourner ses regards vers Dieu et lui rapporter tout ce qu’il a, écoute la voix du séducteur, reçoit avec calme ses malignes inspirations, et, par une criminelle injustice, ravit à Dieu, en se l’appropriant, un bien qu’il tenait de sa miséricorde. Ainsi, cet homme pratique la vertu non en vue de Dieu, mais pour sa propre satisfaction, croyant être aussi bon qu’il se le persuade à cause de la paix et des consolations qu’il éprouve. Le Démon profite de cela pour endormir sa vigilance, il l’amuse par de vaines imaginations, lui persuade qu’il jouit de Dieu et lui fait négliger la garde de son cœur. Dès lors il rallume les passions dans le cœur de ce malheureux, qui, aveuglé par son amour-propre, ne s’en aperçoit pas. Voyez pourtant comme l’abîme s’entr’ouvre sous ses pas. S’il reçoit la moindre injure, lui qui se croit un saint, il la supporte avec grande peine et ne peut guère l’oublier ni la pardonner. Il ne peut souffrir ni un reproche ni une représentation quelconque, parce qu’il se croit plus sage et plus éclairé que nul autre; tout l’offense, un mot, une parole, un rien. Il finit par n’avoir plus qu’un désir, celui d’être loué et honoré par tout le monde. »

LIVRE PREMIER, chapitre 12

  Pour que je comprisse mieux ces paroles, Jésus sut passer sous mes regards les divers mouvements du cœur humain et tout ce que le cœur éprouve par ces mouvements. Et je vis l’aveuglement, la folie, l’injustice de l’homme, l’injure qu’il fait à Dieu en le perdant de vue pour s’attacher aux choses de la terre, satisfaire ses passions et leur tout sacrifier.

  « Voyez, me dit ensuite le Sauveur Jésus, voyez cet homme tout occupé des choses de la terre, il oubli que Dieu est le créateur de tout et que rien ne doit lui être préféré; il oublie qu’il a reçu tous ses biens de Dieu, il les regarde comme une chose qu’on ne peut lui ravir, qu’il ne peut perdre, et il fait tous ses efforts pour les accroître. Aussi son cœur s’endurcît sur la misère des pauvres, il les voit de mauvais œil, il préférerait qu’il n’y en eut point, et s’il vient à leur aide, ce n’est qu’avec regret. Dieu, voulant ramener à lui cet homme en le détachant des biens de la terre, lui envoie des afflictions et des épreuves. Mais, ne comprenant pas l’action de Dieu, cet homme se trouble, s’agite, se révolte contre Celui de qui il a tout reçu, tourne sa haine contre son prochain, et cherche dans son esprit, parmi ses semblables, celui qui a pu causer son malheur. Sil est devenu pauvre en réalité, il ne cesse pas d’être riche d’esprit et de cœur, en s’attachant encore au peu qui lui reste, ou s’il le dépense, ce ne sera que pour satisfaire ses passions.

  « Voyez, au contraire, l’homme vertueux, possède-t-il des richesses? Il reconnaît que Dieu en est le maître, tandis que lui n’en est que l’économe, le conservateur, le gardien au nom de Dieu. Il entre vis-à-vis des pauvres dans les desseins de la Providence, en leur donnant une part de ce qu’il possède. Si quelqu’un veut lui ravir une partie de son bien ou lui susciter un procès, il remet tout entre les mains de Dieu, il prend selon sa divine volonté toutes les mesures nécessaires à la conservation de ce qui lui appartient, sans rien négliger; mais il ne perd jamais Dieu de vue et demeure en paix avec celui à qui il a affaire. Réussit-il? Il rend grâce à Dieu; s’il échoue, il l’attribue à ses défauts, qui ont détourné la bénédiction de Dieu, et ne conserve pour personne ni animosité ni ressentiment. Est-il pauvre? Il ne regarde pas d’un œil jaloux le riche; il est content de sa pauvreté et se soumet à la volonté de Dieu dont il fait toute sa richesse. Est-il souffrant, malade, infirme? Il offre à Dieu ses infirmités, sa maladie, sa souffrance il lui fait même le sacrifice de sa vie. Est-il bien portant? Il en remercie Dieu et emploie sa force et sa vigueur à le mieux servir, à le mieux honorer.

  « Ainsi l’homme vertueux rapporte tout à Dieu richesses ou pauvreté, bien-être ou épreuves, maladie ou santé, et se repose uniquement en celui qu’il nomme son père et son Dieu. »

LIVRE PREMIER, chapitre 13

  « Le Dieu du ciel et de la terre, m’a dit un jour le Sauveur Jésus, est un Dieu de paix. Il y a en Dieu trois personnes, mais ces trois personnes sont si étroitement unies entre elles, qu’elles ne forment qu’un seul Dieu, et qu’il existe entre elles une paix souveraine et éternelle. Le trouble ou la discorde ne se peut concevoir entre les trois personnes, car elles sont l’ordre et la tranquillité de l’ordre par essence et par nature.

  « Aussi ce que Dieu aime le plus sur la terre, ce sont les âmes pacifiques; ce qu’il déteste le plus, ce sont les âmes qui se plaisent dans la discorde et sèment la zizanie parmi leurs frères.

  « Une âme pacifique est celle qui a la paix avec Dieu, la paix avec le prochain, la paix avec elle-même. Elle a la paix avec Dieu, parce qu’elle est soumise en tout à sa volonté sainte, et que cette soumission entretient l’harmonie entre le Créateur et sa créature. Elle a la paix avec Dieu, parce qu’elle suit et exécute ponctuellement tout ce que Dieu lui commande, et que cette obéissance l’unit à lui de plus en plus. Elle a la paix avec Dieu, parce qu’elle l’aime de tout son cœur, de toutes ses forces, et que rien comme l’amour ne peut mettre la paix entre elle et Dieu.

  « Elle a la paix avec son prochain, parce qu’elle ne fait jamais rien qui lui puisse déplaire, parce qu’elle oublie le mal qu’elle en peut recevoir et ne lui fait que du bien, parce qu’elle excuse les défauts de tous et qu’elle cherche à corriger de plus en plus les siens.

  « Elle a la paix avec elle-même, parce qu’elle est toute à Dieu et que Dieu lui rend au centuple ce qu’elle lui donne. La récompense des âmes dans le ciel sera la paix éternelle; sur la terre, quoiqu’elle ne soit pas une paix parfaite et entière, la situation d’une âme pacifique est comme l’avant-goût de ce qui l’attend au ciel.

  « Voilà les âmes que Dieu chérit et affectionne; celles qui sont et demeurent dans l’ordre qu’il a établi et constitué : dans l’ordre vis-à-vis de lui-même par l’accomplissement de sa volonté, dans l’ordre vis-à-vis du prochain en vivant avec lui dans la charité, dans l’ordre vis-à-vis d’elles-mêmes en faisant le bien, en évitant le mal; et Dieu n’aime d’un amour de prédilection que ces âmes, parce qu’elles sont véritablement pacifiques.

  « L’âme des impies n’est point une âme pacifique; c’est en vain qu’ils étouffent le remords en eux-mêmes; ils sentent que Dieu est là, ils le voient prêt à les frapper, la conscience les torture affreusement. Ils n’ont point la paix avec Dieu, ils ne l’ont point avec eux-mêmes, ils ne l’ont point avec le prochain, parce que l’impiété n’est pas seulement une lutte contre Dieu, elle est aussi une lutte contre le prochain et contre soi.

  « L’âme tiède qui, par le nombre de ses infidélités, en est venue au point de n’éprouver guère de remords, et de résister sans peine au souffle de la grâce et du Saint-Esprit, n’est point une âme pacifique. Elle sent que Dieu a droit de plus exiger d’elle; elle comprend que se familiariser dans l’offense contre Dieu n’est point agir selon l’ordre. Sa conduite envers Dieu dirigera sa conduite envers son prochain, et, en opposition avec Dieu, elle sera aussi en opposition avec le prochain.

  « L’âme qui n’agit que par des vues humaines, et qui, pour cela, ne craint point de pactiser avec le monde, avec ses maximes, avec ses doctrines, n’est point une âme pacifique. Le monde ne repose point sur l’ordre, il est l’opposé de l’ordre, et par conséquent de la paix.

  « Entre ces trois sortes d’âmes, il y a une grande différence; mais pourtant un rien les sépare, et l’âme qui vit dans la tiédeur peut tomber et mourir dans l’impiété; plus facilement encore l’âme qui vit selon les maximes du monde : car le monde est l’empire de Satan; et vivre selon le monde, c’est vivre selon Satan, et la vie de Satan est la vie de l’iniquité.

  « Aussi, de même que les âmes pacifiques sont aimées de Dieu, de même les âmes qui ne le sont point sont aimées de Satan. Dieu est l’ordre souverain, il aime ce qui est dans l’ordre ou les âmes pacifiques; Satan est le désordre, il aime ce qui est dans le désordre, les âmes non pacifiques.

  « Être pacifique, c’est ressembler à Dieu, c’est imiter Dieu, c’est suivre les inclinations qui, des trois Personnes divines, passent dans les facultés de l’âme et produisent l’union, la concorde, par l’ordre. N’être point pacifique, c’est ressembler à Satan, c’est imiter Satan, c’est suivre les inclinations qui, de Satan, passent dans les facultés de l’âme et produisent la désunion, le trouble, par le désordre.

  « Malheur à ceux qui n’aiment point la paix avec Dieu, la paix avec le prochain, la paix avec eux-mêmes, la paix dans les familles, la paix dans les cités, la paix dans les empires; ils marchent au souffle de Satan, ils sont fils de Satan.

  « Bonheur et félicité à jamais à ceux qui veulent la paix avec Dieu, la paix avec le prochain, la paix avec eux-mêmes, la paix dans les familles, la paix dans les cités, la paix dans les empires; ils marchent au souffle de Dieu, ils sont fils de Dieu. »

LIVRE PREMIER, chapitre 14

  Je pensais un jour à la rédemption de l’homme, et à la miséricorde de Dieu qui nous avait donné son divin Fils pour nous sauver. Je remerciais Dieu dans le fond de mon âme, et remerciais aussi le Sauveur Jésus qui s’immolait en ce moment sous mes yeux entre les mains de son ministre. « Ma fille, me dit alors le Sauveur, Dieu veut le salut de tous les hommes et il le veut sincèrement. Que n’a-t-il pas fait pour cela? Que ne fait-il pas encore? Il le veut, mais d’une volonté conditionnelle, pourvu que l’homme fasse ses efforts pour profiter des moyens de salut qu’il lui donne, pourvu qu’il corresponde à ses grâces, qui ne lui manqueront jamais. Si l’homme se perd, ce n’est point faute de connaissance, car Dieu a gravé dans le cœur de chacun des hommes une loi, la loi naturelle, et la connaissance de cette loi avec sa pratique suffit à tout homme pour être sauvé, s’il n’a pas la connaissance de la loi de grâce que j’ai établie sur la terre. Ce n’est point faute de secours, Dieu appelle à lui tous les hommes par l’offrande et le don de sa grâce. Quand une personne est tentée, Dieu lui offre une grâce proportionnée à sa tentation; à elle de recevoir cette grâce et d’y correspondre. De cette correspondance dépend l’opération du bien et par suite le salut; et la grâce est plus ou moins grande, plus ou moins pressante, selon le jugement de justice ou de miséricorde que Dieu porte; et nul ne doit ni ne peut trouver mauvais la distribution que Dieu fait de ses grâces. Car il ne doit sa grâce à personne; il est maître de ses dons, il en dispose comme il lui plaît, nul n’y a droit par son propre mérite. Trouveriez-vous injuste un roi qui aurait choisi l’enfant d’une famille pauvre et nombreuse pour faire sa fortune, quand même il n’en ferait pas autant pour ses frères, et quand cet enfant, seul et à l’exclusion de tout autre, devrait jouir de la fortune que le roi lui a faite? De même, Dieu a des vues de prédilection sur quelques âmes, et veut leur faire éprouver la grandeur de ses miséricordes par des grâces plus abondantes qu’il donnera à l’heure qui lui plaira. Mais qui se flattera de pareille prédilection? Qui, dans l’incertitude où sont tous les hommes, n’opérera pas son salut avec crainte et tremblement, s’il n’est insensé? Qui, dans cette incertitude, fut-il le plus juste des hommes, ne se sentira humilié et couvert de confusion? Qui, surtout, osera condamner un pécheur, fut-il le plus grand pécheur du monde? Vous êtes juste à cette heure et votre frère mériterait la réprobation; qui vous a dit que, demain, vous ne serez pas réprouvé, parce que Dieu ne vous donnera plus que les grâces suffisantes et que vous ne correspondrez pas à cette grâce; et votre frère sauvé, parce que Dieu lui accordera des grâces abondantes qui le retireront de l’abîme, pour le placer au nombre des saints? Celui qui est bien pénétré de ces vérités ne néglige rien de ce qui peut être agréable à Dieu et fuit avec soin tout ce qui peut l’offenser ou lui déplaire. »

LIVRE PREMIER, chapitre 15

  « La gloire de Dieu ne dépend nullement du salut de l’homme. il est à lui-même sa propre gloire. Il veut néanmoins que l’homme lui rende gloire, mais il lui laisse la liberté de la lui refuser. S’il rend gloire à Dieu, l’homme sera sauvé; s’il la lui refuse, il sera réprouvé. Mais que l’homme soit sauvé ou damné, Dieu ne perdra rien de sa gloire; les élus rendront gloire éternellement à sa miséricorde et les réprouvés à sa justice. C’est là, du reste, la destination de tous les hommes. Dieu, dans ses jugements secrets et impénétrables, a voulu qu’une partie de l’humanité glorifiât sa miséricorde dans l’éternité, et l’autre, sa justice. »

LIVRE PREMIER, chapitre 16

  Ces dernières paroles avaient fait une profonde impression sur mon esprit; je ne les comprenais pas, je ne savais les expliquer. Aussi, quand on me demanda quelle signification j’avais voulu leur donner, je dus répondre seulement qu’elles s’étaient gravées dans mon esprit comme le Sauveur Jésus les avait prononcées. Mais un jour que j’avais le bonheur de le posséder en moi par la sainte communion, je me mis à genoux près de lui, comme un enfant près de sa mère, et, avec la simplicité d’un enfant, je le suppliai aussi de m’expliquer le sens de ces paroles, si telle était sa volonté. Alors le Sauveur Jésus me dit : « Ma chère fille, Dieu, dans ses jugements secrets et impénétrables, a destiné les uns pour glorifier sa miséricorde et les autres pour glorifier sa justice. Voici l’explication de ces paroles :

  « Dieu, étant souverainement parfait, connaît tout? » Je répondis : « Oui, Seigneur, — Le passé, le présent et l’avenir ne sont pour Dieu qu’une seule et même chose; pour lui, l’avenir et le passé sont toujours présents? » Je répondis : « Oui, Seigneur. — Or, Dieu avait résolu de toute éternité de créer le monde et de créer l’homme. il savait de toute éternité que l’homme pêcherait; il savait de toute éternité quels seraient les péchés des hommes. Aussi, quand il est dit dans les livres saints que Dieu se repentit d’avoir créé le monde à cause des péchés des hommes, vous ne devez point l’entendre en ce sens que Dieu, avant la création du monde, n’avait point prévu les péchés des hommes. Car s’il en eut été ainsi, Dieu ne serait pas parfait. Dieu, dans sa prescience, connaissant les iniquités de tous les hommes, savait donc le véritable nombre des élus et des réprouvés; en sorte que pas un ne sera damné ou sauvé que Dieu ne l’ai prévu de toute éternité. Mais ne pensez pas pour cela que Dieu refuse aux réprouvés les grâces qui leur sont nécessaires pour se sauver. Dieu les leur accorde, mais ils n’y correspondent pas; et c’est pour cela qu’ils sont réprouvés, et c’est pour cela aussi que Dieu a prévu leur réprobation. Or, cette prévision de Dieu n’influe en rien sur la réprobation des hommes, car elle n’a aucune action sur l’homme qui conserve toute sa liberté, et peut abuser ou non des grâces de Dieu. Si la prévision de Dieu influait sur la réprobation de quelqu’un, Dieu ne voudrait pas le salut de celui-là. Or, il est certain que Dieu veut le salut de tous, et qu’il donne à tous les grâces nécessaires pour qu’ils opèrent leur salut. C’est parce que l’homme se perd que Dieu le prévoit, et non parce Dieu le prévoit que l’homme se perd et se damne. Dieu donne des grâces, mais il laisse avec elles la liberté, et l’homme, en donnant ou refusant sa correspondance à ces grâces, se damne ou se sauve librement.

  « Quand Dieu créa l’homme, il lui donna une âme douée de nobles qualités et capable de le connaître, de l’aimer et de le servir. Il lui donna la liberté de le servir ou de lui être infidèle, de lui obéir ou de se révolter contre lui; car il veut une servitude libre et volontaire. Il fit l’homme roi de la nature et lui permit de manger du fruit de tous les arbres, excepté d’un seul, le menaçant de mort s’il en mangeait, mais ne lui enlevant pas pour cela la liberté d’en manger s’il le voulait.

  « L’homme, usant de sa liberté, mangea du fruit défendu, et Dieu, qui est souverainement juste, dut le punir. Dès lors la justice de Dieu éclata sur l’homme tant spirituellement que temporellement. Cette offense de Dieu demandait séparation radicale et éternelle entre l’homme, péché, et son Créateur, sainteté par excellence; ou bien il fallait à Dieu une réparation de l’offense de l’homme. L’homme ne pouvait donner cette réparation, il ne pouvait que demeurer victime de l’éternelle malédiction. La miséricorde de Dieu pourtant, touchée de compassion pour l’homme, qui était son ouvrage, ne put se résoudre à le détruire, à le perdre pour jamais. Elle me proposa de donner la satisfaction que l’homme ne pouvait donner. J’acceptai le rôle de réparateur, et, en donnant à Dieu réparation, j’obtins non-seulement le pardon de l’offense de l’homme, mais encore les grâces qui lui étaient nécessaires pour opérer son salut. Car le péché du premier homme l’avait tellement dégradé et entraîné, lui et toute sa postérité, vers le mal que, de lui-même, il lui était impossible de résister au mal et d’opérer le bien. C’est moi qui, par ma mort, ai procuré à l’homme la résistance au mal et l’opération du bien. Ainsi, l’homme se sauve et obtient la grâce de Dieu par moi seul, depuis que je suis venu sur la terre; et avant que je me fusse incarné, par la foi en ma réparation, en mes mérites de Rédempteur et de Sauveur, foi fondée sur la promesse que Dieu fit à Adam, immédiatement après sa faute, de lui donner un réparateur dont la mort effacerait le péché des hommes.

  « La grâce, avant comme après ma naissance et ma mort, est offerte à l’homme à cause de mes mérites. Tous les hommes la reçoivent, et tous ont la liberté d’y correspondre ou d’y résister : ils obtiennent le salut par leur correspondance, et se perdent par leur résistance à cette même grâce. Ainsi, si l’homme se perd, ce n’est pas parce que Dieu ne lui a pas donné assez de grâces pour se sauver, ni parce que la grâce de ma rédemption n’a pas été suffisante ou ne s’est pas appliquée à tous; non, la grâce donnée à chaque homme lui suffit pour opérer son salut, et la grâce de ma rédemption aurait seule pu sauver mille mondes. L’homme ne correspond pas à la grâce et se perd.

  « Or, il est certain qu’il y a des hommes qui résistent et résisteront encore à la grâce, et qui par conséquent seront damnés. Il est certain que Dieu sait tout de toute éternité, et qu’il connaît par conséquent quels sont ceux qui seront rebelles. Il est certain que Dieu aurait pu sauver tous les hommes. Pourquoi donc, prévoyant quels sont ceux qui seraient damnés, les a-t-il créés? Pourquoi, pouvant les sauver tous ne l’a-t-il point fait? C’est là un chose que l’esprit de l’homme ne peut pénétrer et devant laquelle il doit abaisser et soumettre sa raison, pour adorer profondément les conseils et les jugements secrets de Dieu, qu’il n’est point permis à l’homme d’approfondir. Il doit suffire à l’homme de savoir qu’il peut et qu’il doit se sauver, qu’il a les grâces nécessaires pour cela, et que, s’il se perd ou se sauve, ce sera parce qu’il l’aura voulu, et non parce que Dieu, pour qui tout est présent de toute éternité, aura toujours prévu que l’homme serait sauvé ou damné. Il suffit à l’homme de savoir que Dieu aurait pu ne pas lui donner un Sauveur, et que, ne le lui donnant pas, il aurait été souverainement juste en punissant éternellement tous les hommes. Il suffit à l’homme de savoir que si Dieu a voulu lui donner un Sauveur, ce n’a été que pour lui permettre de glorifier éternellement sa miséricorde, s’il correspond à la grâce de son salut; et pour l’obliger à glorifier sa justice si, après s’être révolté contre Dieu son Créateur, il se révolte aussi contre Dieu son Sauveur. »

  Après ces paroles, que le Sauveur Jésus m’adressa à peu près ainsi, autant que je me le rappelle, il m’interrogea de la manière suivante : « Ma fille, l’homme est-il libre de faire le bien ou le mal? » Je répondis : Oui, Seigneur. — Peut-il faire le bien? — Oui, Seigneur, avec la grâce de Dieu. — De qui attend-il la grâce? — De Dieu. — L’homme peut-il, à cause de lui-même, attendre cette grâce de Dieu? — Non, Seigneur, c’est en votre considération, par vos mérites et par la miséricorde de Dieu qu’elle lui est donnée. — Que faut-il pour être sauvé ou damné? Correspondre à la grâce ou bien y résister. — L’homme peut-il de lui-même correspondre à la grâce? — Non, Seigneur, il faut encore pour cela une grâce nouvelle, la grâce de la correspondance. — Dieu est-il obligé de la donner? — Dieu n’est pas obligé de la donner mais il s’est engagé à l’accorder à tous ceux qui la lui demandent. — Dieu la donne-t-il toujours à ceux qui la lui demandent? — Oui, Seigneur, à ceux qui la lui demandent comme il faut. — Comment Dieu veut-il le salut de tous les hommes? — Il le veut d’une volonté conditionnelle, c’est-à-dire en ce sens que les hommes feront ce qu’il leur demande, et non d’une volonté absolue, parce qu’il veut laisser aux hommes la liberté de se sauver. — Pourquoi Dieu veut-il que l’homme ait la liberté de se sauver? — Seigneur, parce qu’il le veut. Je ne puis en dire davantage.

— « Très bien, ma fille. Ainsi rappelez-vous toujours ce que vous venez de me dire, que ce n’est point la grâce qui fait les saints, mais la correspondance à la grâce; que cette correspondance est une grâce et pour ainsi dire la grâce des grâces; que cette grâce n’est pas au pouvoir de l’homme, mais qu’elle vient de Dieu; que Dieu ne la doit à personne, mais qu’il ne la refuse jamais quand on la lui demande.

  « Dieu a-t-il besoin de l’homme? — Non, Seigneur. — Qu’a mérité l’homme par son péché? — La mort éternelle. — Dieu est-il le maître de l’homme? — Oui, Seigneur. — Qu’est-ce que l’homme? — Une créature raisonnable, dépendante de Dieu, son Créateur. — Qu’a fait dès le commencement cette créature que vous dites dépendante de Dieu? — Elle s’est révoltée contre Dieu. — Était-il juste que Dieu infligeât une punition à l’homme? — Oui, Seigneur. — Pourrait-on trouver injuste que Dieu, après le péché de l’homme, n’eût voulu sauver qu’une partie des hommes? — Non, Seigneur, mais il a voulu les sauver tous, et il veut que tous soient sauvés. — Comment se fait-il que Dieu voulant le salut de tous les hommes, tous ne soient pas sauvés? — C’est que la volonté des hommes est opposée à celle de Dieu. — La volonté de Dieu ne pourrait-elle donc pas triompher de la volonté des hommes? — Elle le pourrait, mais elle ne le veut pas, parce que Dieu a fait l’homme libre. — Dieu abandonne-t-il les âmes, ou bien les âmes abandonnent-elles Dieu? — Ce sont les âmes, Seigneur, qui abandonnent Dieu; elles ne correspondent plus à la grâce, perdent l’amitié de Dieu et tombent dans le péché. — Est-ce volontairement que l’âme commet le péché et avec une entière liberté? — Oui, Seigneur; sans cela il n’y aurait point de péché. — Serait-il impossible à Dieu de l’empêcher de pécher? — Non, Seigneur. — Que fait donc Dieu en n’empêchant point une personne de l’offenser? — Il la laisse user de sa liberté. — Et quand cette âme a parcouru le cours de son existence sur la terre, que fait Dieu? — Il fait ce qu’il doit faire; il exerce sur elle un jugement de justice. — Comment Dieu exerce-t-il sur cette âme un jugement de justice? — En lui rendant selon ses œuvres, c’est-à-dire en la punissant. — Dieu a-t-il le droit de la punir — Oui, Seigneur. — Est-il injuste s’il le fait? — Non, Seigneur parce qu’il ne lui donne que ce qu’elle a cherché, et la justice de Dieu apparaît dans la peine qu’il lui inflige.

— « Pensez-vous que Dieu ne trouve jamais de correspondance à sa grâce? — Non, Seigneur; je crois qu’il y a des âmes qui correspondent aux grâces de Dieu. — Ces âmes correspondent-elles volontairement? — Oui, Seigneur. — Que doit faire Dieu pour les âmes qui correspondent à sa grâce? — Les récompenser, et ne point rendre inutile la miséricorde que vous leur avez procurée par votre mort. — Quel sera donc le jugement de Dieu sur ces âmes? — Un jugement de miséricorde. — Et sur les âmes rebelles — Seigneur, ce sera au contraire un jugement de justice.

— « Que fera donc pendant l’éternité l’âme qui aura résisté à la grâce de Dieu? — Elle servira de témoin à la justice divine qui punit le mal et l’iniquité. — Que pensez-vous de ce témoignage? — Seigneur, il me semble qu’il sera la manifestation de la justice de Dieu. — Et la manifestation de la justice de Dieu, est-ce autre chose que la glorification de cette même justice? — Non, Seigneur; car rendre témoignage à Dieu, c’est le glorifier.

— « Que fera pendant l’éternité l’âme qui aura correspondu à la grâce de Dieu? — Elle servira de témoin à la miséricorde divine qui récompense le bien et la vertu. — Que pensez-vous de ce témoignage? — Seigneur, il me semble qu’il sera la manifestation de la miséricorde de Dieu. — Et la manifestation de la miséricorde de Dieu, est-ce autre chose que la glorification de cette même miséricorde? — Non, Seigneur; car rendre témoignage à Dieu, c’est le glorifier. — Or, croyez-vous qu’il ait fallu que Dieu attendit l’existence des hommes pour savoir s’ils seraient fidèles ou infidèles à sa grâce? — Non, Seigneur. — Pourquoi? — Parce que Dieu est éternel, que le passé n’existe pas pour lui, et qu’il voit en une seule vue le passé, le présent et l’avenir. — Si la vue de Dieu est éternelle, sa connaissance de toutes choses n’est-elle pas éternelle aussi? — Oui Seigneur. — Si Dieu voit et connaît de toute éternité, quel doit être le complément de cette vue et de cette connaissance éternelle? — Seigneur, un jugement éternel. — Quel sera ce jugement en faveur des âmes fidèles? — Un jugement de bonheur éternel. — Et pour les âmes infidèles? — Un jugement de malheur éternel. — Comment nommez-vous ce dernier jugement? — Celui de la justice de Dieu contre l’homme qui a repoussé sa miséricorde divine. — Et le second? — Celui de la miséricorde en faveur de l’homme qui, par Jésus-Christ, a apaisé la justice divine. — Pourquoi appelez-vous un de ces deux jugements, jugement de justice, et l’autre jugement de miséricorde? — J’appelle le premier jugement de justice, parce que c’est la justice de Dieu qui seule m’apparaît dans ce jugement; j’appelle le second jugement de miséricorde, parce que dans ce jugement, c’est surtout la miséricorde de Dieu qui apparaît. — Dans ce second jugement n’y a-t-il que jugement de miséricorde? — Seigneur, il y a en même temps aussi jugement de justice; mais de justice miséricordieuse ou de justice étroitement unie à la miséricorde dont les élus jouiront éternellement, tandis que les réprouvés n’auront jamais plus de miséricorde de la part de Dieu. — Si Dieu voyait, connaissait, jugeait tout de toute éternité et avant l’existence de l’homme, qu’êtes-vous en droit de conclure des paroles que je vous avais adressées précédemment; savoir : Que Dieu, dans ses jugements secrets et impénétrables, a destiné les uns pour glorifier sa justice et les autres pour glorifier sa miséricorde? — Je conclus, Seigneur, que ces paroles, comme toutes celles qui sortent de votre bouche, sont pleines de vérité.

  Après cela, je remerciai le Sauveur Jésus de m’avoir parlé; avec tant de familiarité, et le priai de me bénir. Il leva sa main au-dessus de ma tête, me bénit et je goûtai dans mon âme une félicité inénarrable.

LIVRE PREMIER, chapitre 17

  Un jour, le Sauveur Jésus me parla ainsi : « Les vues de Dieu, ma fille, sont différentes de celles des hommes; nul ne peut les pénétrer, il fait tout tourner à l’accomplissement de ses desseins et au bien des âmes.

  « Il appesantit sa main sur les justes et sur les pécheurs : sur les justes, afin de leur faciliter l’acquisition de plus grands mérites; sur les pécheurs, pour les châtier dans leur corps et sauver ainsi leur âme par une sincère pénitence. La mère la plus tendre ne donne pas toujours du sucre et du lait à son enfant, cela serait contraire à la santé du fruit de ses entrailles. Quand son enfant est malade, elle lui fait prendre les remèdes les plus amers pour le guérir. Personne n’accusera pourtant cette mère de dureté; tous au contraire la blâmeraient si, par une affection mal conçue, elle avait laissé mourir son fils pour ne lui avoir point administré les remèdes que demandait sa maladie. Dieu agit de la même manière, et les hommes ont la folie de regarder comme un effet de sa colère ce qui est plutôt l’effet de sa miséricorde. Ah! prenez toujours les maux que Dieu vous enverra avec respect et soumission, comme venant de la main si douce et si paternelle de Dieu.

  « Voyez encore combien est admirable l’action de Dieu sur les justes et les pécheurs.

  « Dieu répandra quelquefois sur une personne l’abondance de ses grâces et de ses bénédictions; il la comble de ses dons les plus parfaits, il en fait un prodige par les merveilles qu’il opère en elle, et après l’avoir ainsi élevée à un très-haut degré de sainteté et de vertu, il la donne en spectacle aux hommes, et chacun admire en elle la bonté, la miséricorde de Dieu et la puissance de ses œuvres.

  « Quand un homme méchant persécute un homme juste, Dieu le permet pour éprouver la vertu du juste. L’homme juste regarde son persécuteur comme l’instrument dont Dieu se sert pour le punir. Il considère moins la verge qui le frappe que la main souveraine qui la tient, et reçoit chaque coup avec patience et soumission. Aussi, touché bien souvent de la conduite de celui qu’il a persécuté avec tant d’injustice, le méchant se converti et fait pénitence. Voilà comment la persécution du méchant tourne à la perfection du juste, et la patience du juste à la conversion du méchant, tout pour la gloire de Dieu.

  « Parfois aussi Dieu frappe le pécheur au milieu de son crime et de son impiété, pour montrer aux hommes l’éclat de sa justice et de ses vengeances et leur inspirer la crainte et la frayeur.

  « Quelle que soit la conduite de Dieu à l’égard des hommes, nul n’a le droit de l’examiner ou d’en demander raison; nul d’ailleurs ne peut comprendre les jugements de Dieu; ils sont infinis, par conséquent cachés et incompréhensibles; ils sont jugements de Dieu, par conséquent justes et équitables. Ne cherchez donc pas la raison de la conduite de Dieu, mais soumettez-vous à lui entièrement; parce que la justice et l’équité lui appartiennent, et quand de pareilles pensées se présenteront à votre esprit, dites avec foi et humilité : « Vos jugements, Seigneur, sont aussi justes qu’ils sont secrets et impénétrables. »

  Gloire à Jésus au sacrement de son autel!

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