les plus beaux textes sur le purgatoire

 

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Les Plus Beaux Textes sur l’Au-Delà

Le Purgatoire  p.183-255

Mgr Cristiani



p.183

Existence et nature du Purgatoire

L’un des premiers effets de la résurrection et du jugement dernier sera de

mettre fin au purgatoire on a pu remarquer que le jugement général ne doit

comporter que deux alternatives : le royaume de Dieu pour l’éternité ou le

feu de l’enfer sans rémission il n’y aura pas pour parler le langage

sarcastique des protestants du XVIe siècle de "troisième lieu" et pourtant

la tradition catholique a cru au purgatoire nous en donnerons les preuves

elles sont nombreuses et décisives elles s’appuient sur un fait indubitable

et constant : la prière pour les morts a quoi bon prier en effet si le sort

des défunts est fixé de façon irrévocable dès le jugement particulier de

chaque âme ? la raison profonde qui devait pousser les premiers chrétiens à

la foi au purgatoire c’était le sentiment intense de la pureté nécessaire

pour entrer au ciel sans doute on admettait que le baptême remet toute peine

et toute faute à la foi en vertu des mérites de Jésus-Christ mais toute

faute grave commise après le baptême  présente le caractère de l’ingratitude

envers le Sauveur l’horreur de cette ingratitude se traduisit dans la

primitive Eglise par l’institution de la pénitence publique cette pénitence

devait se prolonger pour les péchés particulièrement graves jusqu’à la mort

mais si le pénitent quittait cette vie peu de temps après avoir entamé sa

pénitence on lui donnait bien l’absolution comme nous l’avons appris de

saint Cyprien ci-dessus mais on se sentait pressé de prier pour lui car il

n’avait pas eu le temps de payer sa dette et l’on ne pouvait avoir de doute

sur la nécessité d’une purification ultérieure

p.184

Le purgatoire apparaissait ainsi comme une annexe de la terre qui est le

lieu normal de la pénitence voyons  maintenant les sources bibliques de la

foi au purgatoire La prière pour les morts dans l’Ancien Testament Judas (

Maccabée) ayant son armée la conduisit à la ville d’Odollam et le septième

jour de la semaine étant arrivé ils se purifièrent selon la coutume et

célébrèrent le sabbat en ce lieu le jour suivant Judas vint avec les siens

selon qu’il était nécessaire relever les corps de ceux qui avaient été tués

pour les inhumer avec leurs proches dans les tombeaux de leurs pères ils

trouvèrent sous les tuniques de chacun des morts des objets consacrés

provenant des idoles de Jamnia que la loi interdit aux Juifs il fut donc

évident pour tous que cela avait été la cause de leur mort tous bénirent

donc le Seigneur juste Juge qui rend manifestes les choses cachées puis ils

se mirent en prières demandant que le péché commis fût entièrement pardonné

et le vaillant Judas exhorta le peuple à se garder pur de péché ayant sous

les yeux les conséquences du péché de ceux qui étaient tombés puis ayant

fait une collecte qui atteignit deux mille drachmes il l’envoya à Jérusalem

pour être employée à un sacrifice expiatoire belle et noble action dans la

pensée de la résurrection ! Car s’il n’avait pas cru que les soldats tués

dussent ressusciter c’eût été chose inutile et vaine de prier pour les morts

il considérait en outre qu’une très belle récompense est réservée à ceux qui

s’endorment dans la piété et c’est là une pensée sainte et pieuse voilà

pourquoi il fit ce sacrifice expiatopire pour les morts afin qu’ils fussent

délivrés de leurs péchés (II Macch., XII, 38-46) Si ce texte est isolé dans

l’Ancien Testament cela ne prouve pas le moins du monde que la croyance

qu’il indique et qu’il canonise fut une exception en Israel de fait le

Talmud fournit la preuve de la foi des Juifs à l’éfficacité des prières pour

les défunts dans les écrits du Nouveau Testament on ne trouve pas de

confirmation formelle de cette croyane mais seulement des allusions assez

concluantes

p.185

Notre-Seigneur parlant du péché contre le Saint-Esprit dit en effet qu’il "

ne sera remis ni en ce monde ni dans l’autre" ( Matth., XII, 32) Et cela

laisse entendre que pour des fautes moins graves il y a une rémission en ce

monde et dans l’autre mais voici un passage plus explicite : Saint Paul sur

le feu qui purifie  Selon la grâce de Dieu qui m’a été donnée j’ai connue un

sage architecte posé le fondement et un autre bâtit dessus seulement que

chacun prenne garde comment il bâtit dessus car personne ne peut poser un

autre fondement que celui qui est déjà posé savoir Jésus-Christ si l’on

bâtit sur ce fondement avec de l’or de l’argent des pierres précieuses du

bois du foin du chaume l’ouvrage de chacun sera manifesté car le jour du

Seigneur le fera connaître parce qu’il va se révéler  dans le feu et le feu

même éprouvera ce qu’est l’oeuvre de chacun si l’ouvrage que l’on a bâti

dessus subsiste on recevra une récompense si l’ouvrage de quelqu’un est

consumé il perdra sa récompense lui pourtant sera sauvé mais comme à travers

du feu (I Cor., III, 10-15) Nous admettons sans difficulté que ce texte

n’est pas pour nous d’une clarté sans nuage cependant il en ressort avec

évidence ces trois choses : 1° Paul parle des prédicateurs qui construisent

sur le fondement de la foi en Jésus-Christ Parmi ces prédicateurs il fait

une distinction : donc 2° Tout en gardant la foi on peut bâtir sur le

fondement de cette foi avec des matériaux divers c’est-à-dire avec des

intentions personnelles plus ou moins pures 3° Le feu du Seigneur fera le

départ entre ce qui résiste et ce qui ne mérite que d’être consumé il y aura

donc des prédicateurs qui recevront la récompense des fidèles serviteurs du

Christ et il en est d’autres moins parfaits et moins fidèles qui ne seront

sauvés " qu’à travers le feu" Et c’est justement cela que suggère notre

dogme du purgatoire il y a aussi dans la première Epître aux Corinthiens une

indication bien curieuse mais qui malheureusement demeure très obscure pour

nous voulant réfuter ceux qui –

p.186

ne croient pas à la  résurrection des morts saint Paul emploie l’argument

que voici : Baptême pour les morts   Autrement ( c’est-à-dire si les morts

ne réssuscitent pas ) que feraient ceux qui se font baptiser pour les morts

? Si les morts ne ressuscitent pas pourquoi se font-ils baptiser pour eux ?

( I Cor., XV, 29 ). Les exégètes sont restés en arrêt devant ce passage sans

pouvoir en donner une explication sûre ce baptême " pour les morts " ne

pouvait être notre baptême à nous qui ne peut être conféré qu’aux vivants et

s’il s’agit d’adultes à des sujets consentants le mot baptême peut du reste

se traduire par ablution quoi qu’il en soit d’un usage qui a disparu si

promptement dans l’Eglise qu’il n’en est resté aucune trace il est évident

qu’il y avait là une sorte de rite d’intervention en faveur des morts on

croyait donc que les suffrages des vivants peuvent avoir pour les morts de

bons effets et c’est cela même qui est impliqué dans la doctrine du

purgatoire l’Eglise est en droit d’employer ses ressources spirituelles en

faveur  des défunts c’est donc que leur sort n’est pas fixé à jamais au

moins pour certain d’entre eux mais ces déductions prennent une force

singulière si on les commente au moyen des données de la tradition

chrétienne c’est ce que nous allons essayer de faire Sainte Perpétue et son

frère Dinocrate Parmi les documents les plus vénérables et les plus

authentiques de l’antiquité chrétienne on compte la Passion de sainte

Perpétue et sainte Félicité cette Passion fut en grande partie rédigée par

Perpétue elle-même dans sa prison c’est un témoignage autobiographique

saisissant et presque unique pour l’époque il se situe autour de l’an 202 en

Afrique : Après peu de jours ( de son interrogatoire ) pendant que nous

étions tous en prière ( dans la prison ) tout à coup –

p.187

je parlai malgré moi et nommai Dinocrate je fus stupéfaite de n’avoir pas

encore pensé à lui et affligée en me rappelant son malheur et je reconnus

que j’étais maintenant digne d’intercéder pour lui je commençai donc à faire

pour lui beaucoup de prières et à pousser des gémissements vers le Seigneur

pendant la nuit j’eus une vision : je voyais Dinocrate sortant d’un lieu

ténébreux où se tenaient beaucoup d’autres personnes : son visage était

triste pâle défiguré par la plaie qu’il avait lorsqu’il mourut Dinocrate

avait été mon frère selon la chair mort à sept ans d’un cancer à la face et

d’une manière qui avait fait horreur à tous entre lui et moi je voyais un

grand intervalle que ni l’un ni l’autre nous ne pouvions franchir dans ce

lieu où se trouvait Dinocrate il y avait une piscine pleine d’eau dont la

margelle était trop haute pour la taille d’un enfant Dinocrate se dressait

comme pour y boire et je m’affligeais en voyant cette piscine pleine d’eau

et cette margelle trop haute pour qu’il y pût atteindre je m’éveillai et je

compris que mon frère souffrait  les martyrs furent alors changés de prison

et enfermés probablement sous l’amphithéâtre où on allait les exhiber ils

furent maltraités et mis aux fers Perpétue continuait à prier pour son jeune

frère et elle eut la joie de le revoir en une vision nouvelle la lumière

avait succédé aux ténèbres Dinocrate lui apparut avec un visage souriant et

joyeux il était bien vêtu la plaie de son visage avait disparu ou était

cicatrisée la margelle du puits s’était abaissé et il pouvait y puiser

librement il buvait également à un vase posé près de lui et dont l’eau ne

diminuait pas Perpétue le vit enfin désaltéré et jouant comme font les

enfants elle s’éveilla alors tout heureuse que l’on mette de côté tout ce

qui dans ces visions est symbole imaginatif il reste bien des éléments

précieux pour nous en tout ce récit : en premier lieu Perpétue nous est un

témoin de l’usage de son temps de prier pour les défunts en second lieu elle

est convaincue que ses prières sont utiles à son jeune frère elle le voit

dans un lieu qui n’est ni le ciel ni l’enfer en ce lieu il souffre au début

il est triste et semble attendre de l’aide il est incapable de s’aider

lui-même mais par les suffrages de sa soeur il se trouve consolé aidé rendu

à la santé et conduit au bonheur

p.188

comme le fait remarquer justement Paul Allard l’historien des persécutions

si extraordinaire que paraisse cette vsion elle est en complet accord avec

les pratiques et l’enseignement de la primitive Eglise On y croyait à

l’efficacité de la prière pour les morts " Puisse Dieu rafraîchir ton

esprit." Spiritum tuum Deus refrigeret :ces mots ou leur équivalent se

lisent sur un grand nombre de marbres funéraires des trois premiers siècles

l’Eglise mettait sur les lèvres de ses prêtres de semblables demandes

l’antique liturgie gallicane contient au Commun d’un Martyr cette oraison :

" Seigneur par l’intercession de vos saints martyrs accordez à nos biens

-aimés qui dorment dans le Christ le rafraîchissement ( refrigerium ) dans

la région des vivants " et dans la messe des saints Corneille et Cyprien il

est dit : " Que leur intercession nous appuie près de vous Seigneur afin que

vous accordiez le rafraichissement éternel ( refrigeria aeterna ) à nos

bien-aimés qui dorment dans le Christ." Mone a découvert une messe qui

remonte certainement à l’époque des persécutions car on y lit ces mots : "

Seigneur accordez-nous de vous adorer aux jours de la tranquillité et de ne

pas vous renier aux jours de l’épreuve !" Or cette messe contient la

collecte suivante : " Que les âmes des fidèles qui jouissent de la paix nous

secourent  que celles qui ont encore besoin d’être  consolées soient

absoutes grâce aux prières de l’Eglise." L’âme du jeune frère de Perpétue "

avait encore besoin d’être  consolée " elle expiait dit saint Augustin des

péchés commis après le baptême peut-être quelque acte d’idolâtrie auquel le

père encore paien avait entraîné son enfant grâce aux prières de sa soeur il

obtient le refrigerium c’est-à-dire le paradis la participation au céleste

banquet que demandent tant d’invocations gravées sur les marbres des

catacombes et que sollicitent les solennelles prières liturgiques on croit

assez généralement que la passion de sainte Perpétue fut achevée par la

plume du Tertulien s’il en est ainsi on ne saurait douter qu’il ait approuvé

ce qui était dit par la sainte de son frère et du soulagement que ses

prières lui avaient procuré ce qui est sûr d’autre part c’est que Tertullien

atteste la pratique de l’Eglise de son temps au sujet des prières pour les

morts

p.189

Témoignage de Tertullien dans le Traité de la Couronne  vers 211

Les oblations pour les défunts nous les faisons au jour anniversaire de la

mort…. De ces pratiques et d’autres semblables si tu cherches une loi

formelle dans les Ecritures tu n’en trouveras pas c’est la tradition qui les

garantit la coutume qui les confirme la foi qui les observe

Dans le Traité de la Monogamie en 217

Pour son âme (de son mari) elle ( l’épouse ) prie et elle réclame pour lui

le rafraîssement et sa société au temps de la première résurrection et elle

offre des oblations aux jours anniversaires de sa dormition Avec saint

Cyprien nous ne sortons pas de l’Afrique du IVe siècle il rappelle dans une

de ses lettres la loi établie par un concile épiscopal pour interdire aux

clercs d’être exécuteurs testamentaires et il expose la sanction de cette

loi en ces termes :

Témoignage de saint Cyprien ( vers 235 ) Si l’un d’eux y contrevient qu’on

ne fasse pas d’oblation pour lui qu’on ne célèbre pas le sacrifice pour son

repos il ne mérite pas en effet d’être nommé à l’autel dans la prière des

prêtres celui qui a voulu éloigner de l’autel les prêtres et les ministres

de l’autel Un tel texte prouve que l’usage de prier au sacrifice de la messe

pour les défunts était absolument général il en reste la trace évidente dans

notre liturgie actuelle au Memento des morts Dans ses Institutions divines

datées de 305 à 310 Lactance après avoir parlé de l’enfer et des damnés

parle en ces termes des justes : Témoignage de Lactance  Lorsque Dieu

examinera les justes il le fera aussi au moyen du feu Ceux chez qui les

péchés aurons prévalu par –

p.190

leur poids ou leur nombre seront enveloppés par le feu et purifiés ceux au

contraire qu’une justice parfaite ou la maturité de la vertu aura mis à

point ne sentiront pas cette flamme ils ont en effet en eux quelque chose de

la part de Dieu qui repousse et rejette ce feu Que l’usage d’offrir le saint

Sacrifice pour les défunts ait été absolument général au IVe siècle nous en

avons bien des preuves Si nous avons cité jusqu’ici surtout des Africains

voici un Syrien et de grande marque saint Ephrem docteur de l’Eglise (

306-373). Nous citons un passage de son propre Testament : Testament de

saint Ephrem Au trentième jour après ma mort frères faites mémoire de moi

les morts en effet sont aidés par l’offrande que font pour eux les vivants

si les hommes de Mattathias qui étaient chargés des mystères comme vous

l’avez lu expièrent par des oblations les crimes de ceux qui étaient tombés

à la guerre et dont les moeurs avaient été impies combien plus les prêtres

du Fils expient-ils les fautes des défunts par les saintes offrandes et les

prières de leurs lèvres pour les défunts Si maintenant nous ouvrons les

Catéchèses de saint Cyrille de Jérusalem qui sont un tableau si précieux des

pratiques et des croyances du IVe siècle en son milieu (348) nous y trouvons

des textes dont la clarté sur la foi au purgatoire ne laisse rien à désirer

: Saint Cyrille de Jérusalem sur la prière en faveur des morts Ensuite ( au

Canon de la messe ) nous faisons mémoire de ceux qui sont morts d’abord des

patriaches des prophètes des apôtres des martyrs afin que Dieu par leurs

prières et leurs intercessions reçoive notre prière à nous ensuite pour nos

saints morts nos pères et évêques et en général pour tous ceux qui ont

quitté cette vie d’entre nous car nous croyons que c’est un secours

souverain pour toutes les âmes pour  lesquelles la prière est offerte

p.191

au moment où la sainte Victime est gisante sainte redoutable sur l’autel !

Je veux vous démontrer cela par un exemple : je sais en effet que beaucoup

disent : à quoi sert pour l’âme défunte soit sans péché soit dans le péché

qu’il soit fait mention d’elle à la prière ? Mais si un roi a relegué en

exil des sujets qui l’ont offensé et si ensuite leurs parents tressant une

couronne viennent l’offrir au roi pour ceux qu’il a frappés est-ce qu’il ne

leur accordera pas la remise de la peine ?  il en est de même pour nos

défunts même s’ils sont pécheurs en offrant à Dieu des prières pour eux ce

n’est pas une couronne que nous offrons mais le Christ immolé pour nos

péchés que nous offrons en cherchant par là à concilier la clémence de Dieu

aussi bien pour eux que pour nous Avec saint Basile et son frère saint

Grégoire de Nysse qui sont de peu postérieurs à saint Cyrille de Jérusalem

nous trouverions sans peine les mêmes doctrines le second emploie

l’expression de " feu purifiant " pour parler du feu qui atteindra les âmes

qui n’ont pas su assez dominer leurs passions dans la chair Saint Epiphane

dans son grand ouvrage contre les Hérésies : le Panarium qui est de 374 à

377 parle en ces termes : Témoignage de saint Epiphane  Pour ce qui est de

la lecture des noms des défunts que peut-il y avoir de plus utile ? Quoi de

plus opportun et de plus digne d’admiration que les assistants ( au

sacrifice de la messe ) se persuadent bien que les morts vivent  auprès du

Seigneur Et aussi il faut que ce très religieux sentiment soit proclamé

selon lequel ils espèrent que nous prions pour nos frères comme pour des

gens qui sont loin les prières que nous faisons leur sont utiles à eux bien

qu’elles ne puissent effacer tous les péchés mais il arrive que bon gré mal

gré en ce monde nous glisssons souvent sans oublier cependant ce qui serait

plus parfait nous faisons mention devant Dieu des justes et des pêcheurs Des

pêcheurs en ce sens que nous implorons pour eux la miséricorde divine et des

justes des –

p.192

pères et patriaches des prophètes apôtres évangélistes martyrs et

confesseurs et des évêques et des anachorètes et de toute l’assemblée des

saints afin de mettre Notre Seigneur Jésus-Christ tout à fait à part de

l’ordre des humains dans notre culte afin de lui rendre celui qui lui est dû

lorsque nous le situons dans notre esprit : sachant bien qu’il ne doit

jamais être mis au rang des mortels même de ceux qui se sont distingués par

une justice exemplaire Avec saint Augustin nous revenons en Occident et de

nouveau en Afrique Ses écrits sont presque innombrables et c’est trés

souvent que l’on y trouve la mention du purgatoire ou de cette prière pour

les morts qui en suggère l’existence il prêche par exemple un jour sur le

psaume XXXVII et il y trouve ce verset : " Seigneur ne me condamnez pas dans

votre indignation et ne me corrigez pas dans votre colère ! (Ps. XXXVII, 2

). Sur quoi il fait les réflexions suivantes : Le purgatoire selon saint

Augustin  Purifiez-moi en cette vie et rendez-moi tel que je n’aie pas

besoin de ce feu purificateur (igne emendatorio ) qui a été fait pour ceux

qui doivent être "sauvés comme par le feu " ( I Cor., III, 15 ) Il est écrit

en effet : " Il sera sauvé lui mais comme par le feu ! " Et parce qu’il est

dit : " Il sera sauvé " il en est qui méprisent ce feu ! Mais en vérité bien

qu’il soit sauvé par le feu il ne faut pas ignorer que ce feu est plus

redoutable que tout ce que l’homme peut souffrir en cette vie Une autre fois

dans un sermon Augustin nous fait bien remarquer ce que nous avons pu noter

déjà dans les textes déjà présentés qu’il est des morts que l’on prie et

d’autres pour qui l’on prie et il ne faut certes pas confondre les uns avec

les autres  On prie les Martyrs : on ne prie pas pour eux la discipline

ecclésiastique contient cette règle bien connue des fidèles lorsque les

martyrs sont récités à l’au –

p.193

tel de Dieu  que l’on ne doit pas prier pour eux on prie par contre pour les

autres défunts qui sont commémorés ce serait en effet une injure de prier

pour un martyr alors que c’est nous qui devons être recommandés par ses

prières à lui Pourquoi nous prions pour les morts  Toujours de saint

Augustin : Il n’est pas douteux que les morts soient soulagés par les

prières de la sainte Eglise et par le sacrifice du salut et les aumônes qui

sont faites au profit de leurs esprits en sorte que Dieu agisse plus

miséricordieusement envers eux que leurs péchés ne l’ont mérité c’est là en

effet une tradition venue des Pères et que toute l’Eglise observe savoir que

pour ceux qui sont morts dans la communion du corps et du sang du Christ

l’on prie au lieu où dans le sacrifice même il est fait mémoire d’eux et que

l’on rappelle que c’est pour eux que le sacrifice est offert du moment en

effet que l’on opère des oeuvres de miséricorde  pour leur profit spirituel

qui pourrait douter que nos suffrages servent à ceux pour qui des prières

qui ne sont point vaines sont offertes à Dieu ? Il est donc indiscutable que

cela est utile aux défunts mais à ceux-là seulement qui avant leur mort ont

vécu de telle façon que ces choses puissent leur servir après la mort  Il

semble bien évident que les novateurs du XVIe siècle n’auraient pas lancé

tant de plaisanteries sur " le troisième lieu " s’ils avaient bien lu leur

saint Augustin et pesé comme il convenait les raisons qu’il donne d’une

telle distinction il suffit en effet de connaître un peu l’humanité pour

savoir qu’elle comporte des héros et des saints au sommet de l’échelle des

misérables  et des scélérats au bas mais que le milieu est occupé par une

immense quantité d’être humains qui ne sont ni tout à fait bons ni tout à

fait mauvais sans vouloir discuter ici la psychologie religieuse propagée

par un Luther ou un Calvin qui confodent tous les hommes dans une même

corruption par suite du péché d’Adam il ne saurait être douteux que la

doctrine traditionnelle de l’Eglise est beaucoup plus proche de la réalité

observable que les divisions absolues du luthéranisme et du calvinisme

p.194

Dans son livre si célèbre de la Cité de Dieu Agustin a indiqué ces

distinctions de degrés entre les hommes et entre les peines qui les frappent

car les peines répondent aux fautes : Distinction des peines  Pour les

peines temporelles les uns ne les  subissent qu’en cette vie d’autres

qu’après la mort d’autres et maintenant et après mais les uns et les autres

avant ce jugement très sévère du dernier jour tous en effet ne tombent pas

dans les peines éternelles qui doivent suivre ce jugement de ceux qui

subissent des peines temporelles auparavant   Distinction des personnes

Pour certains défunts la prière soit de l’Eglise soit de quelques chrétiens

pieux est exaucée mais seulement pour ceux qui étant régénérés dans le

Christ n’ont pas ici-bas vécu si mal qu’ils ne soient pas jugés reconnus

n’avoir pas besoin de ce secours  Les prières pour les morts ne peuvent donc

être utiles qu’aux âmes du purgatoire ni les saints au ciel ni les damnés

aux enfers n’en reçoivent le bénéfice nous invoquons les saints mais nous

prions pour nos défunts Saint Augustin ayant dressé dans sa cité de Dieu le

tableau saisissant des deux cités ennemies : celle qui obéit à Dieu et celle

qui s’est livrée au démon n’ignore pas qu’après le jugement dernier il n’y

aura plus que ces deux alternatives : éternellement vivre en Dieu ou

éternellement souffrir en enfer  avec Satan mais avant le jugement voici

comment il conçoit la situation des âmes qui ne sont pas damnées :  L’état

des âmes jusqu’au jugement dernier  Le temps qui s’écoule entre la mort de

l’homme et la résurrection finale retient les âmes en des retraites cachées

selon les mérites de chacune : soit dans le repos soit dans

p.195

la souffrance (aerumna )selon ce qu’elle a gagné pendant qu’elle vivait dans

la chair et on ne peut pas nier que les âmes des défunts soient soulagées (

relevari ) par la piété des vivants qui sont leurs proches soit que l’on

offre pour eux le sacrifice du médiateur soit que l’on fasse des aumônes

dans l’Eglise mais tout cela ne sert qu’à ceux qui au cours de leur vie ont

mérité qu’un tel secours leur soit profitable il y a en effet un certain

mode d’existence qui n’est ni tellement bon que ce secours soit superflu

après la mort ni tellement mauvais que cela ne puisse servir de rien il en

est au contraire qui ont si bien vécu qu’ils n’aient pas besoin de ces

suffrages et d’autres qui ont si mal vécu qu’après leur mort on ne puisse

les secourir  On peut donc dire que saint Augustin a répété à satiété sa

distinction des " trois lieux " et des  " trois sortes de personnes " il

attachait semble-t-il à cette question une si grande importance qu’il

publiait en 421 un opuscule qui a précisément pour titre : Du soin que l’on

doit avoir pour les morts on pourrait dire que c’est le plus ancien traité

du purgatoire que nous possédions  l’histoire de ce livre vaut la peine

d’être  résumée ici parce que cela donnera une idée du souci que les

chrétiens avaient alors de prier pour les défunts Saint Paulin de Nole bien

qu’il fût lui-même fort instruit aimait dans sa belle humilité à recourir

aux lumières de son collègue dans l’épiscopat l’évêque d’Hippone  souvent il

lui envoyait des messagers porteurs de longues lettres et de questions

doctrinales diverses dans une de ces lettres saint Paulin parlait à Augustin

de la dévotion très répandue alors dans l’Eglise de se faire ensevelir près

des tomneaux des martyrs célèbres dans les sanctuaires chrétiens ce sera une

dévotion toute semblable qui placera les champs des morts appelés dans la

belle langue de la foi nouvelle des cimetières c’est-à-dire des dortoirs à

l’ombre des clochers de paroisses  Paulin demandait donc à Augustin comment

on pouvait accorder cette dévotion avec la doctrine de saint Paul suivant

lequel chacun recevra la récompense pour ce qu’il aura fait dans le corps

Augustin pressé de multiples soucis mit assez longtemps à répondre mais un

prêtre nommé Candidien ne cessait

p.196

de lui rappeler ce problème qui semble avoir suscité alors une curiosité

générale l’évèque d’Hippone finit donc par s’éxécuter dans les principes que

nous avons déjà contrés chez lui : 1° Sans doute saint Paul a dit que chacun

recevra selon ce qu’il aura fait dans son corps mais l’Eglise a toujours cru

et enseigné que les prières sont utiles pour les morts 2° Cette doctrine et

cette pratique de l’Eglise ont une valeur démonstrative par elles-mêmes  en

dehors de toute référence scripulaire mais il y a un texte fameux à ce sujet

celui du second livre des Macchabées 3° Quant au fait d’être enseveli auprès

des martyrs cela ne peut être d’aucune utilité en soi parce que seules les

prières des vivants peuvent servir aux défunts toutefois le fait d’être

enterré près des saints est un gage certain que l’on recevra des prières à

l’occasion de celles qui sont faites aux tombeaux des saints 4° Enfin le

saint Docteur cite dans son ouvrage de nombreux cas d’apparition de morts et

de saints à des personnes vivantes apparitions qui confirment la foi de

l’Eglise  5°  Naturellement il n’oublie pas de réaffirmer son grand principe

selon lequel les prières pour les morts ne sont utiles qu’à ceux qui ont

vécu de telle façon durant leur existence terrestre qu’elles leur servent

après leur mort de ce petit traité nous retiendrons ici le passage suivant

très important sur l’autorité doctrinale de l’Eglise en dehors de toute

référence biblique  Autorité souveraine de l’Eglise  Aux livres des

Macchabées ( II Macch., XII, 43 ) nous lisons qu’un sacrifice fut offert

pour les morts mais même si nulle part dans les antiques Ecritures on ne

lisait rien sur ce sujet ce n’est pas une petite autorité que celle de

l’Eglise en tant qu’elle éclate dans cette coutume selon laquelle dans les

prières du prêtre offertes au  Seigneur Dieu à son autel il y a une place

pour la recommandation des morts  mais la tradition catholique si ferme et

si unanime en ce qui concerne le purgatoire et les secours que nous pou –

p.197

vons apporter aux âmes qui y achèvent leur purification est-elle aussi

claire au sujet du genre de fautes qui retiennent les défunts en ce lieu de

souffrance ? Quelques textes vont permettent de répondre à cette importante

question en premier lieu saint Augustin est très affirmatif au sujet de ces

petites fautes qu’il appelle " quotidiennes " et que nous appelons " les

péchés véniels " Il croit et il dit que ces fautes-là inévitables en notre

état actuel de fragilité sont aussi éffacées " quotidiennement " par les

prières et bonnes oeuvres qui ne peuvent manquer dans une vie chrétienne et

en particulier par la récitation du Notre Père  Expiation des fautes

vénielles  L’oraison quotidienne que Jésus lui-même nous a enseignée ce qui

la fait appeler " dominicale " efface ( delet ) assurément les péchés

quotidiens puisque chaque jour il est dit : " Pardonnez- nous nos péchés ."

Le purgatoire est donc bien comme nous l’avons indiqué une annexe de la

terre en ce que sont les péchés graves remis par l’absolution au tribunal de

la pénitence mais non suffisamment expiés ici-bas par la pénitence qui

doivent y être expiés sans préjudice toutefois des péchés véniels qui au

moment de la mort n’auraient pas été éffacés par le jeu normal de la vie

chrétienne voici sur tout cela un texte important de saint Césaire d’Arles

dont on sait le souci de conformité à la tradition et surtout à celle que le

grand nom d’Augustin avait consacrée : Les péchés expiés en purgatoire

Bien que l’Apôtre ait rappelé plusieurs péchés graves ( capitalia ) nous

pour ne désespérer personne nous dirons en bref quels ils sont : le

sacrilège l’homicide  l’aldultère  le faux témoignage  le vol  la rapine

l’orgueil  l’envie  l’avarice  et si on la garde longtemps la colère et si

elle est habituelle ( assidua ) l’ivresse doivent aussi être comptées dans

le nombre quiconque se reconnaît assujetti à l’un ou l’autre de ces péchés à

moins de s’être amendé et s’il

p.198

en a eu le temps d’avoir fait péintence durant un long temps et répandu de

larges aumônes et de s’être abstenu de ces mêmes péchés ne pourra pas être

purifié par ce feu transitoire dont parle l’Apôtre mais sera tourmenté par

la flamme éternelle sans remède possible pour ce qui est en revanche des

péchés moindres bien qu’ils soient connus de tous et qu’il soit long de les

énumérer tous il faut bien que nous en nommions au moins quelques-uns :

toutes les fois que l’on prend en nourriture ou en boisson plus qu’il est

nécessaire on doit savoir que l’on commet l’un de ces péchés moindres de

même toutes les fois que l’on parle ou se tait plus qu’il ne faut ou ne

convient par de tels péchés nous ne croyons pas que l’âme soit tuée mais ils

la rendront difforme comme par des pustules et une sorte de gale horrible en

sorte qu’elle ne peut dans un tel état parvenir aux embrassements du céleste

époux ou qu’elle n’y arriverait qu’avec une grande confusion si donc nous ne

savons pas bénir le Seigneur dans nos épreuves ni racheter nos péchés par de

bonnes oeuvres nous serons retenus au feu du purgatoire aussi longtemps

qu’il sera nécessaire pour que de tels péchés comme du bois  du foin  et de

la paille y soient consumés Il ressort de ce texte que l’objet principal des

peines du purgatoire est l’achèvement de cette longue pénitence que l’on

aurait dû faire en cette vie pour les péchés très graves et en second lieu

seulement l’expiation des péchés moindres que les bonnes oeuvres n’ont pas

suffisamment compensés sur la terre et pour terminer ce premier chapitre du

purgatoire nous citerons d’abord un passage des Dialogues de saint Grégoire

le Grand en date de 593-594 sur le même sujet :  Les péchés expiés en

purgatoire  Tel on est au sortir de la vie tel on est présenté au jugement

mais en ce qui concerne certains péchés légers il faut admettre avant le

jugement ( dernier ) un feu purifiant ( ignis purgatorius ) car la vérité a

dit que si l’on prononce un blasphème contre le Saint- Esprit " il ne sera

remis ni dans ce monde ni dans l’autre " ( Matth., XII, 32 ). Par cette

sentence il est donné à entendre que certains

p.199

péchés sont remis en ce monde et d’autres dans le monde à venir ce qui est

nié d’un péché est en effet concédé des autres mais on doit croire qu’il ne

s’agit dans ces derniers que des péchés moindres ou tout pétits ( de parvis

et minimis ) Puis nous donnerons ce texte de saint Isidore de Séville (+ 636

) L’usage universel de l’Eglise   Offrir le sacrifice pour le repos des

défunts prier pour eux est une conduite observée dans le monde entier c’est

pourquoi nous croyons que c’est une tradition apostolique l’Eglise

catholique en effet la garde partout et si elle ne croyait pas que les

péchés sont remis aux fidèles défunts elle ne ferait pas d’aumônes pour les

âmes ni n’offrirait pour eux de sacrifice à Dieu ( De eccl.  offic., 1. I,

c. XVIII, n. 11)

p.200

Le purgatoire chez les Théologiens prédicateurs et écrivains catholiques

Après les nombreux textes que nous avons cités et qu’il eût été facile de

multiplier encore nous ne serons pas surpris de rencontrer chez les

théologiens  de nouvelles précisions sur les peines du purgatoire précisions

fondées sur des déductions légitimes à partir des affirmations convergentes

et des pratiques de la grande tradition catholique le grand mystique du XIIe

siècle Richard de saint- Victor ne craint pas de parler " des joies du

purgatoire " Richard de Saint- Victor disciple et successeur de Hugues de

Saint- Victor fut prieur du monastère célèbre des Augustins de Saint- Victor

de Paris où il mourut vers 1173 dans son ouvrage sur les Degrés de la

Charité il dit ceci : Les joies du Purgatoire  L’âme en purgatoire est

arrivée à la perfection de la charité le Seigneur fait sentir sa présence de

telle sorte qu’il ne montre cependant point son visage il répand au dedans

sa douceur mais il ne manifeste point sa beauté il y répand sa suavité mais

il n’y montre point sa clarté on y sent donc sa douceur mais on n’y voit

point ses charmes il est encore environné de nuages et d’obscurités son

trône  est encore sous une colonne de nuée a la vérité ce que l’on sent est

extrêmement doux et plein de caresses mais ce que l’on voit est tout dans

les ténèbres car le Seigneur n’apparaît pas encore dans la lumière le feu

chauffe plutôt  qu’il n’éclaire il enflamme bien la volonté mais n’illumine

pas l’entendement l’âme donc en cet état peut bien sentir

p.201

son Bien- Aimé mais il ne lui est pas permis de l’aperçevoir si elle le voit

c’est comme dans la nuit comme derrière un nuage enfin l’âme voit bien comme

dans un miroir en une énigme mais non pas face à face : de là vient qu’elle

s’écrie : " Faîtes  luire sur votre serviteur la lumière de votre visage."

Le maître par excellence de la théologie car il ne saurait être question de

citer ici tous les auteurs est Thomas d’Aquin cette partie de sa théologie

est ajoutée à sa Somme dans le Supplément mais elle est formée de textes

tirés de ses autres oeuvres ou émanant sûrement de lui : Qui peut prier pour

les âmes du Purgatoire ?  Les saints qui sont dans la patrie prient pour

ceux qui sont  en purgatoire au même titre et de la même manière qu’ils

prient pour nous si donc leur prière est efficace pour nous elle le sera

aussi pour ceux qui sont en purgatoire et les délivrera de leur peine : ce

qui n’est pas ; car dans ce cas les suffrages de l’Eglise pour les défunts

seraient superflus les suffrages de l’Eglise pour les défunts sont des

satisfactions que les vivants font à la place des morts : c’est pourquoi ils

délivrent les morts de la peine que ceux-ci n’ont pas encore payée mais les

saints qui sont dans la patrie ne se trouvent pas en état de satisfaire

c’est pourquoi on ne peut pas assimiler leurs prières aux suffrages de

l’Eglise  Ou se trouve le purgatoire ?  On ne trouve dans l’Ecriture aucune

précision sur l’emplacement du purgatoire et on n’a aucune raison certaine

de le fixer ici plutôt que là cependant à se référer aux paroles des saints

et aux révélations particulières il est probable qu’il y a deux endroits

pour le purgatoire le premier est fixé par la loi commune c’est un lieu

inférieur contigu à l’enfer de sorte que ce serait le même feu qui

tourmenterait les damnés en enfer et purifierait les justes en purgatoire

mais comme les damnés sont inférieurs aux justes il faut placer l’enfer

au-dessous du purgatoire  il y a un second lieu du purgatoire qui est

exceptionnel c’est

p.202

pourquoi l’on raconte que certains défunts sont châtiés en divers endroits

soit pour l’instruction des vivants soit pour le soulagement des morts par

le fait que leurs souffrances se trouvant révélées aux vivants peuvent être

adoucies par les suffrages de l’Eglise cependant quelques auteurs enseignent

que selon la loi commune le lieu du purgatoire est celui où l’homme péche ce

qui ne paraît pas probable parce que le même individu peut être puni en même

temps pour les péchés commis en divers lieux par ailleurs certains veulent

que selon la loi commune le lieu de leur punition soit au-dessus de nous

parce que disent-ils leur état les place entre Dieu et nous raison sans

valeur parce que la cause de leur châtiment qui est le péché les fait non

nos supérieurs mais nos inférieurs  Quelles sont les peines du purgatoire ?

Au purgatoire la peine est de deux sortes l’une la peine du dam à savoir que

ces âmes sont privées pour un temps de la vision de Dieu l’autre celle du

sens à savoir que les âmes sont éprouvées par un feu corporel et quant à ces

deux peines ensemble la plus petite du purgatoire dépasse la plus grande de

cette vie Ce dernier sentiment que nous avons rencontré chez saint Augustin

est commun chez les docteurs sans nous arrêter davantage à ceux du Moyen-

Age nous passerons aux temps modernes voici l’enseignement de saint François

de Sales d’après son ami P. Camus l’auteur de l’ Esprit de saint François de

Sales : Les peines du purgatoire  Il est vrai que les tourments en sont si

grands que les plus extrêmes douleurs de cette vie n’y peuvent être

comparées mais aussi les satisfactions intérieures sont telles qu’il n’y a

point de prospérité ni de contentement sur la terre qui les puisse égaler

les âmes y sont dans une continuelle union à Dieu elles y sont parfaitement

soumises à sa volonté elles s’y purifient volontairement et amoureusement

elles veulent y être

p.203

en la façon qui plaît à Dieu et pour autant de temps qu’il lui plaira elles

sont impeccables et ne peuvent avoir le moindre mouvement d’impatience ni

commettre la moindre imperfection elles aiment Dieu  plus qu’elles-mêmes et

que toute chose d’un amour parfait pur et désintéressé elles sont consolées

par les anges elles sont assurées de leur salut leur amertume très amère est

dans une paix très profonde si c’est une espèce d’enfer quant à la douleur

c’est un paradis quant à la douceur que répand dans leur coeur charité plus

forte que la mort Heureux état plus désirable que  redoutable puisque ces

flammes sont des flammes d’amour et de charité Comme on le voit le saint

Docteur combinait les données de Richard de Saint- Victor avec celles de

saint Thomas d’ Aquin Même note dans son " Traité de l’ amour de Dieu "  Les

âmes qui sont en puragatoire y sont sans doute pour  leurs péchés qu’elles

ont détestés et détestent souverainement mais quant à l’abjection et peine

qui leur en reste d’être arrêtées en ce lieu-là et privées pour un temps de

la jouissance de l’amour bienheureux du paradis elles la souffrent

amoureusement et prononcent dévotement le cantique de la justice divine : "

Vous êtes juste Seigneur et  vos jugements sont droits" ( Ps. CXVIII, 137 )

Mais saint François de Sales tout en insistant sur le côté consolant des

peines en purgatoire n’avait garde d’oublier d’appuyer aussi sur le devoir

de charité qui nous incombe de prier pour les âmes qui y sont détenues :

Devoir de charité envers les âmes du purgatoire  N’est-ce pas visiter en

quelque façon les malades que d’obtenir par nos prières le soulagements des

pauvres âmes qui sont dans le purgatoire ?

p.204

N’est-ce  pas donner à boire à ceux qui ont si grande soif de la vision de

Dieu et qui sont parmi ces dures flammes que de leur donner part à la rosée

de nos oraisons ? N’est-ce pas nourrir les affamés que d’aider à leur

délivrance par les moyens que la foi nous suggère ? N’est-ce pas vraiment

racheter des prisonniers ? N’est-ce pas vêtir les nus que de leur procurer

un vêtement de lumière et de lumière de gloire ?  N’est-ce pas une insigne

hospitalité que de procurer leur entrée dans la céleste Jérusalem et les

rendre concitoyens des saints et amis de Dieu dans l’éternelle Sion ? En

sens inverse il ne faut pas oublier que les  âmes du purgatoire peuvent

intercéder pour nous comme le font les saints dans le ciel citons à ce sujet

un trait emprunté à César Baronius le célèbre auteur des Annales

ecclésiastiques fin du XVIe siècle ( + 1607 ) Il raconte qu’une personne

très pieuse se trouvait à son lit de mort horriblement tentée par les démons

tout à coup elle vit le ciel s’ouvrir des milliers de défenseurs venaient à

son secours et lui assuraient la victoire toute émue de cette protection

miraculeuse elle demanda à ses défenseurs qui ils étaient : " Nous sommes

répondirent-ils les âmes que vos suffrages ont délivrées du purgatoire nous

venons de la part de Dieu vous récompenser et vous conduire directement au

paradis." Si nous rouvrons Pascal qui nous a fourni de si hautes pensées sur

la mort nous avons peine à comprendre parmi ses  Pensées la phrase suivante

qui est en complet désaccord  avec ce que nous avons recueilli chez saint

François de Sales  Incertitude du salut ?  La peine du purgatoire la plus

grande est l’incertitude du salut Deus absconditus  Par contre le même

Pascal dit d’excellentes choses du purgatoire à propos de la mort de son

père parlant de la consolation de savoir que son père est mort dans la foi

du Seigneur il ajoute :

p.205

Comment venir en aide aux âmes du purgatoire  Considérons donc la grandeur

de nos biens dans la grandeur de nos maux et que l’excès de notre douleur

soit la  mesure de celui de notre joie il n’y a rien qui puisse la  modérer

sinon la crainte qu’il ( son père ) ne languisse pour quelque temps dans les

peines qui sont destinées à purger le reste des péchés de cette vie et c’est

pour fléchir la  colère de Dieu sur lui que nous devons soigneusement nous

employer la prière et les sacrifices sont un souverain remèdes à ses peines

mais j’ai appris d’un saint homme (  probablement M. Singlin, de Port- Royal

) dans notre affliction qu’une des plus solides et plus utiles charités

envers les morts est de faire les choses qu’ils nous ordonneraient s’ils

étaient encore au monde et de pratiquer les saints avis qu’ils nous ont

donnés et de nous mettre en l’état auquel ils nous souhaitent à présent par

cette pratique nous les faisons revivre en nous en quelque sorte puisque ce

sont leurs conseils qui sont encore vivants et agissants en nous et comme

les hérésiaques sont punis en l’autre vie des  péchés auxquels ils ont

engagé leurs sectateurs dans lequel leur venin vit encore  ainsi les morts

sont récompensés outre leur propre mérite pour ceux auxquels ils ont donné

suite par leurs conseils et leurs exemples faisons-le donc revivre devant

Dieu en nous de tout notre pouvoir et consolons-nous en l’union de nos

coeurs dans laquelle il me semble qu’il vit encore et que notre réunion nous

rend en  quelque sorte sa présence comme Jésus- Christ se rend présent en

l’assemblée de ses fidèles…. Bossuet consulté sur le purgatoire nous

offrira cet avantage de résumer pour nous les décisions du Concile de Trente

en 1563 sur cet article et de les justifier contre les attaques des

protestants et de Paolo Sarpi ce dernier accuse en effet le concile d’avoir

donné à ses décisions une allure trop vague et trop générale voici la

réponse de Bossuet dans son  Histoire des Variations ( livre XV, chap. CLIX

).  Le Concile de Trente et le purgatoire  Sur la controverse du purgatoire

le Concile de Trente a cru fermement comme une vérité révélée de Dieu que

p.206

les âmes justes pouvaient sortir de ce monde sans être entièrement purifiées

Grotius prouve clairement que cette vérité était reconnue par les

protestants … sur ce fondement commun de la Réforme que dans tout le cours

de cette vie  l’âme n’est jamais tout à fait pure d’où il suit qu’elle sort

du corp encore souillée mais le Saint – Esprit a prononcé que " rien d’impur

n’entrera dans la cité sainte" ( Apoc., XXI, 27 ) et le ministre Spanheim

démontre très bien que  l’âme ne peut être présentée à Dieu " qu’elle ne

soit sans tache et sans ride toute pure et irréprochable" conformément à la

doctrine de saint Paul ce qu’il avoue  qu’elle n’a point durant cette vie la

question reste après cela si cette purification de l’âme se fait dans cette

vie au dernier moment  ou après la mort et Spanheim laisse la chose indécise

" Le fond dit-il est certain mais la manière et les circonstances ne le sont

pas." Mais sans presser davantage cet auteur par les principes de la secte

l’Eglise catholique passe plus avant car la tradition de tous les siècles

lui ayant appris à demander pour les morts le soulagement de leur âme la

rémission de leurs péchés et leur rafraîchissement elle a tenu pour certain

que la parfaite purification des âmes se faisait après la mort et se faisait

par de secrètes peines qui n’étaient point expliquées de la même sorte par

les saints docteurs mais dont ils disaient seulement qu’elles pouvaient être

adoucies ou relâchées tout à fait par les oblations et les prières

conformément aux liturgies de toutes les Eglises sans vouloir ici examiner

si ce sentiment est bon ou mauvais il n’y a plus d’équité ni de bonne foi si

l’on refuse du moins de nous accorder que dans cette présupposition le

concile a dû former son décret avec une expression générale et définir comme

il a fait : premièrement qu’il y a un purgatoire après cette vie : et

secondement que les prières des vivants peuvent soulager les âmes des

fidèles trépassés sans entrer dans le particulier ni de leur peine ni de la

manière dont elles sont purifiées parce que la tradition ne l’expliquait pas

mais en faisant voir seulement qu’elles ne sont purifiées que par Jésus-

Christ puisqu’elles ne le sont que par les prières et oblations en son nom

Pour bien comprendre cette page de Bossuet il faut se rappeler que les Pères

grecs avaient coutume de présenter

p.207

les peines du purgatoire sous la forme d’une détention en une prison obscure

sans parler du feu bien que cette expression on l’a vu se trouve dans saint

Grégoire de Nysse tandis que les Pères latins ont toujours insistés sur

l’action du feu du purgatoire mais c’est un point que le Concile de Trente

s’est très justement refusé à trancher il n’y a donc que deux points à

retenir comme appartenant au dogme catholique au sujet du purgatoire :  1°

il y a un purgatoire  2° nous pouvons secourir les âmes qui s’y trouvent par

nos prières suffrages et sacrifices D’autre part une preuve que Bossuet ne

partageait pas le sentiment  de Pascal sur l’éclat d’incertitude des âmes du

purgatoire au sujet de leur salut se trouve dans une phrase d’une de ses

lettres en date du 26 octobre 1694 à Mme Cornuau :  Certitude des âmes du

purgatoire sur leur salut  Je puis presque vous assurer que je vous verrai

le jour  des Morts s’il plaît à Dieu je vous mets cependant ma fille avec

ces âmes pour qui l’Eglise travaille en ce saint jour et je vous unis à

elles pour participer à leurs purifications inouies et inexplicables O Dieu

quel artifice de la main de Dieu de savoir faire des douleurs extrêmes dans

un fond où est sa paix et la certitude de le posséder Qui sera le sage qui

entendra cette merveille ? Pour moi je n’en ai qu’un léger soupçon Si

Bossuet avoue ne pas bien pénétrer le mystère du  purgatoire il a cependant

essayé dans un de ses sermons d’expliquer l’action du feu purifiant : c’est

que ce feu est joint à la pénitence tandis que le feu de l’enfer est uni à

l’impénitence : L’esprit de pénitence au purgatoire  Le caractère propre de

l’enfer ce n’est pas seulement la peine mais la peine sans la pénitence car

je remarque deux sortes de feux dans les Ecritures divines : " il y a un feu

qui purge et un feu qui consume et qui dévore…" Ce dernier est appelé dans

l’Evangile " un feu qui ne s’éteint pas " pour le distinguer de ce feu qui

s’allume pour nous

p.208

épurer et qui ne manque jamais de s’éteindre quand il a  fait cet office la

peine accompagnée de la pénitence c’est un feu qui nous purifie la peine

sans la pénitence c’est un feu qui nous dévore et nous consume et tel est

proprement le feu de l’enfer c’est pourquoi nous concluons selon ces

principes que les flammes du purgatoire purifient les âmes parce qu’où la

peine est jointe à la pénitence les flammes sont purgatives ou purifiantes

et au contraire que le feu de l’enfer ne fait que dévorer les âmes parce

qu’au lieu de la composition de la pénitence il ne produit que de la fureur

et du désespoir   Joseph de Maistre  Si Bossuet cherchait à démontrer aux

protestants qu’ils devaient admettre le purgatoire selon leurs principes

c’est tout autre chose que leur reproche non sans ironie Joseph de Maistre :

Un des grands motifs de la brouillerie du XVIe siècle fut précisément le

purgatoire  les insurgés ne voulaient rien rabattre de l’enfer pur et simple

cependant lorsqu’ils sont devenus philosophes ils se sont mis à nier

l’éternité des peines laissant néanmoins subsister un enfer à temps

uniquement pour la bonne police et de peur de faire monter au ciel tout d’un

trait Néron et Méssaline à côté de saint Louis et sainte Thérèse mais un

enfer temporaire n’est autre chose que le purgatoire en sorte qu’après

s’être brouillés avec nous parce qu’ils ne voulaient pas de  purgatoire ils

se brouillent de nouveau car ils ne veulent que le purgatoire c’est cela qui

est extravagant  Le curé d’Ars  Avec le saint curé d’Ars ce n’est pas un

savant au sens ordinaire du mot que nous allons rencontrer mais ce prêtre

qu’on eut de la peine à ordonner pour défaut de science devint par la

puissance de son amour et par les ins -pirations que cet amour lui valut de

la part de Dieu l’un des maîtres de la sainteté catholique la page que voici

empruntée à son plus récent biographe

p.209

M. l’abbé Trochu ne relève pas des sources d’information humaines : Une dame

avait perdu son mari homme irréligieux qui avait fini sa vie par le suicide

inconsolable sur son sort qu’elle croyait être la damnation éternelle elle

fut amenée par hasard à Ars et chercha à recontrer le saint Curé pour

l’interroger sur le malheureux défunt elle réussit à l’approcher et avant

même qu’elle eût pu lui dire un mot le saint lui murmura à l’oreille : il

est sauvé… Oui il est sauvé insista-t-il la pauvre femme fit un geste de

la tête  qui voulait dire : Oh ! ce n’est pas possible alors d’un ton

affirmatif encore  " Je vous dis qu’il est sauvé qu’il est en purgatoire et

qu’il faut prier pour lui… Entre le parapet du pont et l’eau il a eu le

temps de faire un acte de repentir c’est la très Sainte  Vierge qui a obtenu

sa grâce rappelez-vous le mois de Marie élevé dans votre chambre votre époux

irréligieux ne s’y est point opposé il s’est même parfois uni à votre

prière… Cela lui a mérité un suprême pardon." A un saint qui possède de

telles intuitions on peut aussi demander une leçon de très simple cathécisme

sur le purgatoire c’est ce que nous ferons avec l’abbé Tocanier son premier

compagnon de ministère et le narrateur de sa vie et de ses vertus :

Cathéchisme du Curé d’Ars sur le purgatoire  Comment pourrai-je faire le

tableau déchirant des maux  qu’endurent ces pauvres âmes puisque les saints

Pères nous disent que les maux qu’elles endurent dans ces lieux semblent

égaler les souffrances que Jésus – Christ a endurées pendant sa douloureuse

Passion ? Le feu du purgatoire est le même que celui de l’enfer la

différence qu’il y a c’est qu’il n’est pas éternel ce feu est si violent

qu’une heure semblent à ceux qui l’endurent des milliers de siècles si l’on

pouvait comprendre la grandeur de leurs supplices nuit et jour nous

crierions miséricorde pour elles il faudrait que le bon Dieu dans sa

miséricorde  permit qu’une de celles qui brûlent dans les flammes parût ici

à ma place tout environnée des feux qui la dévorent et qu’elle vous fit

elle-même le récit des maux qu’elle endure il faudrait

p.210

qu’elle fit retentir cette église de ses cris et de ses sanglots peut-être

enfin cela attendrirait-il vos coeurs ! " Oh! nous souffrons crient-elles!

Oh! nos frères délivrez-nous de ces tourments: vous le pouvez! Brûler dans

un feu allumé par la justice d’un Dieu Souffrir des douleurs

incompréhensibles Etre dévoré par le regret sachant que nous pouvions si

bien les éviter " Nous lisons dans l’Histoire ecclésiastique qu’un saint

resta six jours en purgatoire avant d’entrer dans le ciel il apparut ensuite

à l’un de ses amis en lui disant qu’il avait enduré des souffrances si

grandes qu’elles surpassaient toutes celles qu’ont endurées et qu’endureront

jusqu’à la fin des siècles tous les martyrs réunis ensemble Oh mon Dieu que

votre justice est redoutable pour le pécheur cependant qui peut entendre

sans frémir le récit de ce qu’on enduré les martyrs chacun en particulier ?

Les uns ont été plongés dans des chaudières d’eau bouillante  d’autres sciés

avec des scies de bois  celui-ci étendu  sur un chevalet déchiré avec des

crochets de fer qui lui arrachaient les entrailles d’autres foulés aux pieds

celui-là étendu sur des brasiers ardents auquel il ne restait que ses os

tout noircis et brûlés enfin d’autres ont été mis sur des tables garnies de

lames tranchantes et qui perçaient de part en part ces innocentes victimes!

peut-on bien penser à tout cela sans se sentir pénétré de douleur jusqu’au

fon de l’âme ? Or une âme en purgatoire souffre encore plus que tous les

martyrs ensemble Qui pourra donc y tenir ? Mon Dieu mon Dieu ayez pitié de

ces pauvres âmes mais ce n’est pas là tout leur supplice elles souffrent

plus encore de la privation de la vue de Dieu l’amour qu’elles ont pour lui

est si grand la pensée qu’elles sont privées de le voir par leur faute leur

cause une douleur si violente que jamais il ne sera donné à un mortel d’en

conçevoir la moindre idée au milieu de ces flammes qui les brûlent elles

voient les trônes de gloire qui leur sont  préparés et qui les attendent une

voix semble leur crier :" Ah! que vous êtes privés de grands biens! Si vous

aviez eu le bonheur de redoubler vos pénitences et vos larmes vous seriez

aujourd’hui assises sur ces beaux trônes tout rayonnants de gloire! Oh! que

vous avez été aveugles de retarder un tel bonheur par votre faute!" Ah mes

amis nous crient ces âmes s’il vous reste encore

p.211

quelque amitié pour nous ayez pitié de nous arrachez nous de ces flammes

vous le pouvez Beau ciel quand le verons-nous ? Oh si vous sentiez la

douleur d’être séparés de Dieu Cruelle séparation Hélas quand de tels

supplices ne dureraient qu’un jour qu’une heure qu’une demi-heure cela

paraitrait infiniment plus long à ces pauvres âmes que des millions de

siècles dans les supplices les plus rigoureux pourquoi cela ? Le voici quand

Dieu punit quelqu’un en ce monde ce n’est que sous le règne de sa bonté et

de sa misricorde car si Dieu envoie une infirmité une perte de biens ou

d’autres misères tout cela ne nous est donné que pour faire éviter les

peines du purgatoire ou pour nous faire sortir du péché dans l’autre monde

au contraire Dieu n’est conduit que par sa justice et sa vengeance nous

avons péché et nous avons passé le temps de sa miséricorde il faut que sa

justice soit accomplie et sa vengeance satisfaite " Oh ! qu’il est terrible

de tomber entre les mains d’un Dieu vengeur !"  Les âmes du purgatoire

prient pour nous   Au sein de leurs souffrances si elles ne peuvent rien

pour elles-mêmes ces âmes peuvent beaucoup pour nous cela est si vrai qu’il

n’y a presque personne qui ait invoqué les âmes du purgatoire sans avoir

obtenu la grâce demandée cela n’est pas difficile à comprendre si les saints

qui sont au ciel et n’ont pas besoin de nous s’intéressent à notre salut

combien plus encore les âmes du purgatoire qui reçoivent nos bienfaits

spirituels à proportion de notre sainteté ne refusez pas cette grâce

disent-elles ô mon Dieu à ces chrétiens qui donnent tous leurs soins à nous

tirer des flammes oui toutes les fois que nous aurons quelque grâce à

demander adressons-nous avec confiance à ces saintes âmes et nous sommes

sûrs de l’obtenir quel bonheur pour nous d’avoir dans la dévotion aux âmes

du purgatoire un moyen excellent pour nous assurer le ciel voulons-nous

demander à Dieu la douleur de nos péchés ? Adressons-nous à ces âmes qui

depuis tant d’années pleurent dans les flammes ceux qu’elles ont commis

voulons-nous demander au bon Dieu le don de persévérance Invoquons-les :

elles en sen-

p.212

tent tout le prix car il n’y a que ceux qui persévèrent qui verront Dieu

dans nos maladies dans nos chagrins tournons nos prières vers les âmes du

purgatoire : elles obtiendrons leur effet  Une comparaison originale du Curé

d’Ars  Dans ses catéchismes il revenait fréquement sur la dévotion aux âmes

du purgatoire il eut un jour la belle comparaison suivante : C’est comme les

hirondelles qui sont enfermées dans une chambre elles cherchent partout une

issue pour s’envoler au dehors elles donnent de la tête contre les vitres

contre le plafond elles tombent de lassitude puis quand elles se sont un peu

reposées elles se relèvent recommençent à voler et veulent toujours échapper

! pauvres petites hirondelles ! pauvres âmes du purgatoire ! Qui leur

donnera la liberté après laquelle elles aspirent ? Nous si leur captivité

nous touche ! S’ils est permis d’ajouter quelque chose à ces tableaux si

colorés et si saisissants du purgatoire brossés par un saint on dira

peut-être qu’il doit y avoir en ce lieu d’expiation comme en enfer des

cercles différents les uns des autres et que la justice divine y frappe

diversement les fautes des uns et des autres il est clair en effet que les

péchés très graves qui n’ont peut-être été remis qu’à la dernière minute à

de grands coupables doivent mériter des châtiments tout autres que les

fautes vénielles des saints qui ne peuvent échapper entièrement aux suites

de l’humaine fragilité nous allons maintenant demander à Newman dans la

suite de ce Songe de Gérontius auquel nous avons beaucoup emprunté déjà de

nous introduire poétiquement jusqu’au sein du purgatoire  L’entrée au

purgatoire  L’Ange  Gloire à son Nom ! L’esprit inquiet a échappé à mon

étreinte

p.213

Et avec l’énergie immodéré de l’amour, Il fuit jusqu’aux pieds aimés de

l’Emmanuel ! Mais avant d’y arriver la sainteté pénétrante Qui de ses

effluves comme une gloire revêt et enveloppe le Crucifié a saisi et brûlé et

grésillé l’âme : et elle gît à présent  passive et inerte devant le Trône

redoutable ! O heureuse ô souffrant âme ! Car elle est sauve Consumée et

pourtant vivifiée par le regard de Dieu !  L’ Ame  Emmenez-moi : et dans les

dernières profondeurs laissez-moi demeurer ! et là dans l’espoir passer les

longues veillées nocturnes décrétées pour moi ! Là immobile et heureuse dans

ma peine seule mais non abattue là je chanterai mon triste et perpétuel

refrain jusqu’au matin ! Là je chanterai et apaiserai mon coeur brisé qui ne

peut plus cesser de battre et soupirer et languir jusqu’à la possession de

l’unique Paix Là je chanterai mon Seigneur absent et mon Amour : Emmenez-moi

pour que plutôt je puisse me lever et remonter ! et le voir dans la vérité

du Jour éternel !  L’Ange  Ouvrez maintenant les portes de la prison d’or

qui rend une douce musique à chaque tour accompli sur ses gonds si souples

et vous Grandes Puissances Anges du purgatoire recevez de moi Mon dépôt une

âme précieuse jusqu’au jour où délivrée de tout lien et souillure je la

réclamerai pour les cercles de Lumière !  Prière des âmes du purgatoire  1.

Seigneur vous été notre refuge en toute génération

p.214

2. Avant que les collines fussent nées et avant le monde : d’âge en âge vous

êtes Dieu 3. Ne nous rejetez pas Seigneur car vous avez dit : Revenez vous

les fils d’Adam 4. Mille ans devant vos yeux sont comme hier et comme une

veille nocturne qui vient et passe ! 5. L’herbe pousse au matin et le soir

elle se dessèche et meurt 6. Ainsi nous défaillons en votre colère et votre

courroux nous a troublées ! 7. Vous avez étalé nos péchés à votre vue et

tout le cycle de nos jours dans la lumière de votre face 8. Revenez Seigneur

! Jusques à quand ! Soyez miséricordieux pour vos serviteurs 9. En votre

matin nous serons remplis de votre miséricorde nous nous réjouirons et

seront en joie tous nos jours ! 10. Nous serons heureux selon les jours de

notre humiliation et selon les années durant lesquelles nous avons vu le

meilleur 11. Regardez Seigneur vos servantes et votre ouvrage et dirigez vos

enfants 12. Et que la bonté du Seigneur notre Dieu soit sur nous et

l’ouvrage de nos mains établissez-le vous-même ! Gloire au Père et au Fils

et au Saint-Esprit comme il était dès le commençement et maintenant et

toujours en un monde sans fin Ainsi soit-il !  L’Ange   Doucement gentiment

âme chèrement rachetée en mes bras très aimants je t’étreins à présent et

au-dessus des eaux pénales qui roulent ici je te balance et t’incline et te

tiens ! Et avec soin je te plonge dans le lac et toi sans un sanglot ni une

résistance tu prends ta course rapide dans le courant enfonçant de plus en

plus profond dans l’obscur espace les anges à qui en est confiée la tâche

volontaire te prendront guideront et berceront durant ton séjour

p.215

Et les messes sur la terre et les prières du ciel t’aideront devant le trône

du Très-Haut ! Adieu mais non pour toujours ! frère aimé ! sois brave et

patient sur ton lit de douleur la nuit d’épreuve passera vite pour toi ici

et je viendrai t’éveiller demain ! Avec le P. Faber nous ne quittons pas

l’Angleterre et c’est à peine si nous quittons Newman car c’est l’exemple du

célèbre écrivain converti en 1845 qui le fit entrer lui-même dans l’Eglise

catholique où il devint prêtre en 1847 entra à l’Oratoire et mourut à

Londres en 1863 ce qui le touche lui c’est la belle assurance de l’Eglise en

ce qui concerne l’au-delà !  Assurance de l’Eglise La dévotion aux âmes du

purgatoire exerce notre foi dans les effets du sacrifice de la messe et des

sacrements qui sont des choses que nous ne voyons pas mais dont nous parlons

tous les jours ainsi que de leurs effets par rapport aux morts effets que

nous regardons comme des faits accomplis et indubitables elle élève si haut

notre foi dans la communion des saints qu’un hérétique sourirait si on lui

disait qu’il doit croire à une doctrine en apparence si extravagante elle

traite les indulgences comme les affaires les plus ordinaires de la vie elle

connait le trésor invisible d’où sont tirées ces indulgences les clés

également invisibles qui ouvrent ce trésor la puissance illimité qui les met

à sa dispositions et les rend sûrement efficaces elle sait que Dieu les

agrée sans qu’il l’ait révélé et elle est convaincue de toutes ces choses

comme on est convaincu de l’existence des arbres ou des moissons qu’on a

sous les yeux la doctrine si difficile de la satisfaction n’offre aucune

difficulté à la foi de cette dévotion au contraire elle s’y trouve à l’aise

elle fait ses dispositions à son gré transporte ses satisfactions çà et là

dirige l’une d’un côté l’autre de l’autre comptant que Dieu les agréera

toutes une maîtresse de maison n’ordonne pas les détails de son ménage avec

plus de tranquilité que notre dévotion n’en met à disposer ces choses

secrètes qui offrent à chaque instant les questions les plus ardues les plus

difficiles à saisir

p.216

pour l’intelligence et celles auxquelles elle a le plus de peine à se

soumettre elle fait preuve d’une foi égale dans diverses dévotions

catholiques qui viennent toutes se grouper autour de la dévotion aux âmes du

purgatoire comme autour d’un centre commun Le purgatoire selon le P. Faber

La violence la confusion les gémissements la terreur remplissent ce lieu qui

ne se distingue de l’enfer que par la durée tel est le sentiment du P. Faber

Voici une description de lui : Pas de péché dans cette région rien que des

vertus héroiques et une magnifique tranquilité parmi les âmes qui s’y

trouvent certaines sont là depuis bien longtemps les hommes les ont oubliées

par ingratitude ou par frivolité ou aussi parce qu’ils les ont crues

meilleures qu’elles n’étaient les unes viennent seulement d’arriver et ont

encore à subir toute leur peine les autres sont prêtes à partir toutes

savent qu’elles seront sauvées toutes savent à quel moment leur châtiment

finira prenons une de ces âmes : cet homme était pauvre il eut beaucoup de

difficultés à conserver sa foi non sans tomber dans le péché mais il avait

la foi les sacrements : il allait à l’église Dieu l’a envoyé en purgatoire

l’heure de la délivrance est sur le point de sonner cela dépend de nos

prières Oh ! comme il soupire après le moment où il verra Dieu la lumière

augmente Silence ! Quelqu’un vient ! sa beauté rayonne comme une vision

divine sa présence semble répandre une lumière et un doux parfum et  descend

jusqu’au bord du feu et embrasse cette âme qui est dans l’attente et la

soulève elle devient belle sous cet embrassement et quitte le purgtoire a

travers le silence saint Michel et l’âme montent montent à une vitesse

croissante O heureuse âme heureuse au delà de toute expression et maintenant

heureuse à jamais… Notre tour viendra à nous aussi notre entrée au ciel

notre merveilleux couronnement notre premier regard jeté sur le Dieu à

jamais béni le commencement de notre éternité bienheureuse ! Avec Mgr Gay

1815-1892  nous rencontrons un théologien des plus éminents et des plus sûrs

son ouvrage prin –

p.217

cipal : de la vie et des vertus chrétiennes est devenu rapidement classique

il va nous parler de ce qu’on nomme l’acte héroique qui consiste dans

l’abandon général  au profit des âmes du purgatoire de tous les suffrages de

toutes les indulegnces que l’on peut gagner ici-bas cet acte appelé héroique

parce qu’il consiste à se dépouiller soi-même pour les âmes souffrantes du

purgatoire cela inspire à Mgr Gay les réflexions suivantes : Gravité de

l’acte héroique  Les indulgences que gagnent ceux qui ont fait l’acte

héroique ne constituent pas pour eux un avantage personnel puisque toutes

ces richesses vont aux âmes du purgatoire l’avantage personnel vient

d’ailleurs il est basé sur le mérite de l’acte héroique lui-même nous

l’avons dit : l’acte héroique ne nous dépouille en faveur des habitants du

purgatoire que du fruit satisfactoire de nos oeuvres il laisse intact à

notre compte le trésor des mérites proprement dits le désintéressement est

ce qui nous vaut un accroissement de grâce ici-bas et de gloire au ciel il

est d’autant plus grand que l’acte que l’on fait est plus parfait en

lui-même Or l’acte héroique se classe au premier rang des actes parfaits

inspiré qu’il est par la charité la reine des vertus et non par une charité

quelconque mais par une charité héroique qui nous pousse à oublier nos

propres intérêts pour procurer le bonheur de nos frères et augmenter par là

la gloire de Dieu nous admirons saint Martin donnant à un pauvre grelottant

de froid la moitié de son manteau mais celui qui fait l’acte héroique est

bien plus admirable et son aumône a un prix incomparablement plus élevé

Saint Martin garda pour lui la moitié de son manteau ceux qui font l’acte

héroique se dépouille absolument de tout ce qui peut les préserver non pas

des rigueurs de l’hiver terrestre mais des flammes expiatoires du purgatoire

mais de l’incendie allumé par l’amour sevré de la présence du Bien-Aimé :

tourments incomparablement plus douloureux que ceux qu’on peut éprouver

ici-bas et voyez la nature de leur aumône : c’est Dieu lui-même qu’ils

donnent aux âmes  prisonnières en leur ouvrant le paradis bien plus : "

C’est au ciel tout entier qu’ils font une charité insigne." Ils versent une

immense joie en cet abîme de joie ils font poindre

p.218

un nouveau soleil en ce monde de lumière : ils ajoutent une mélodie vivante

à ce concert de vie. Dante a un mot sublime. Il montre une âme entrant en

paradis : aussitôt les élus s’écrient : " Voilà qui accroîtra nos amours."

Qui  tire une âme du purgatoire fait pousser ce cri aux bienheureux. Il

réjouit les neuf choeurs des anges; il paye Marie de ses larmes ; il fait

fleurir la croix et rayonner le Calvaire. Il glorifie le Précieux Sang et

met un degré de plus au trône de l’Agneau céleste. Il ordonne à l’humanité

sainte du Sauveur un surcroît de voix pour louer le Père ; enfin, et c’est

tout dire, il complète à Dieu son Jésus. Il n’y a pas de plus grand

bienfait…. Si l’on se dépouille ainsi, qu’on prenne la peine de réfléchir

et de consulter. Qu’on se rende compte de ce que l’on donne et partant de ce

qu’on abandonne, et du redoutable surcroît de peine qui peut en être la

conséquence forcée. Il  n’est pas rare de voir des âmes agir en ceci avec un

empressement qui dénote sans doute en elles un grand zèle, mais qui laisse

aussi quelque doute sur la clarté et l’étendue de leur intelligence des

choses divines. Rien ne ressemble moins à un jeu que cet acte de

renonciation, et l’Eglise n’agit point étourdiment en acceptant qu’on le

nomme héroique. Qu’on ne le fasse donc jamais par entraînement  ni par manie

d’imitation ; puis, suivant librement en ceci ses attraits vérifiés, qu’on

respecte toujours inviolablement ceux des autres. Rien n’est moins selon

Dieu que cet esprit enthousiaste, exclusif et indiscret, qui prétend imposer

à tout le monde les préférences de sa piété et les formes de sa dévotion. Je

sais des âmes ainsi affectées que pleines d’admiration pour ces sortes de

générosité, elles ont définitivement plus de goût  à laisser aux mains de

Jésus leurs satisfactions et leurs mérites, et leur vie, et tout leur être,

sans vouloir convenir d’avance avec lui de l’emploi qu’il en devra faire.

L’amour de Dieu chez les âmes du purgatoire : Quand on aime on obéit ;

l’amour, c’est l’union des  volontés. Quel charme souverain s’élève pour

elles de cet acquiescement à la volonté divine ! Au purgatoire tout cède. A

ce que la justice dit, à ce qu’elle veut, à ce qu’elle fait, la paix répond

toujours et répond toute seule. Justice et

p.219

paix sont inséparablement unies et comme dans les bras l’une de l’autre.

L’Amen que les bienheureux disent à Dieu, qui les glorifie, ces âmes le

disent à Dieu, qui les épure : elles sont dans les mains de Dieu; elles s’y

tiennent, elles s’y attachent. Leur religion envers la sainteté divine est

tout à fait sans mesure, et c’est ce qui se conçoit de plus fondamental en

leur état. Elles sont liés et se lient incessamment elles-mêmes, avec des

liens d’amour et de feu, sur l’autel de cette sainteté et s’y immolent en

son honneur avec d’ineffables délices. Leur état, leur vie, tout leur être

fait un écho doux, plein et perpétuel à ce cantique qui ne s’interrompt

jamais dans le ciel : " Saint, Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des

armées." Ce qu’est la basse dans une symphonie, cette mélodie si grave et si

constante de leur hymne vivant l’est dans le concert universel que la

création sanctifiée donne à Dieu. Oh! qu’elles souffrent noblement et sont

pures d’égoisme! elles ont une joie sans nom de voir que Dieu est une

lumière si sainte que l’ombre même empêche d’être consommé en lui. Cette

évidence les réjouit beaucoup plus que leur supplice ne les afflige. Elles

ne voudraient pour rien que ce supplice fût moins intense et moins long

qu’il ne doit l’être. Si elles demandent à être délivrées, et parfois avec

tant d’instances, c’est bien plus par amour pour Dieu que pour échapper à la

peine. A partir de 1873 et jusqu’eà 1890, le prédicateur de Notre-Dame à

Paris, durant le Carême, fut le dominicain Monsabré. Il exposa le dogme

catholique en son entier, en dix-huit volumes de prédications, toujours

solidement appuyées sur saint Thomas d’Aquin. Il est mort en 1907. Voici un

passage de son exposé du purgatoire : Etat de L’âme au purgatoire L’âme au

purgatoire ne rencontre que ses peines et Dieu ne lui demande plus que de

souffrir pour se purifier. Mais quelles souffrances endure-t-elle ? Ici les

esprits, même les plus orthodoxes, se sont ouvert une large carrière. Pour

certains théologiens (saint Thomas), le supplice du purgatoire " ne diffère

de celui des réprouvés que par la résignation et la consolante confiance de

ceux qui souffrent". Ici (Soto) l’on enseigne que l’attente du bonheur

éternel ne

p.220

peut pas dépasser un certain nombre d’années; là (Bède et Denis le

Chartreux), qu’elle peut se prolonger jusqu’à la fin des temps; ici (saint

Bonaventure), qu’il y a dans le purgatoire des peines moindres que les plus

grandes peines de la terre; là (saint Augustin) que les plus grandes peines

de cette vie n’égalent pas la plus petite peine de l’autre monde. Que

faut-il croire ? Rien que ce que l’Eglise enseigne : c’est sa doctrine qui

fixe notre foi. Or l’Eglise affirme que l’homme pécheur doit subir une peine

temporelle dans cette vie ou dans l’autre pour obtenir la pleine rémission

de ses péchés et entrer dans le royaume des cieux; que le purgatoire existe

et que les âmes qui y sont détenues sont aidées par les suffrages des

fidèles et surtout par le précieux sacrifice de l’autel. Comme on le voit,

le célèbre prédicateur se tient sur la réserve. Il refuse de se laisser

entrainer aux descriptions plus ou moins imagées que nous trouvons chez

d’autres orateurs et que nous trouverons, au chapitre suivant, chez les

mystiques. Il y a donc bien à faire le départ entre le dogme proprement dit

et les " pieuses croyances", qui peuvent varier selon les auteurs,

c’est-à-dire en somme selon les imaginations, intuitions ou inspirations

personnelles. Ainsi que nous l’avons noté toutefois, il faut toujours se

souvenir de la précision infaillible de la divine justice,  toujours

accompagnée de sa miséricorde. La justice exige que les peines du purgatoire

soient dosées selon le degré de gravité des fautes à purifier. Il peut

arriver qu’un homme ayant vécu dans le crime fasse, au dernier moment, de

tels actes de foi et d’amour qu’il expie en un instant toutes ses fautes,

comme ce fut le cas du bon larron, à qui Notre-Seigneur put dire : "

Aujourd’hui même tu seras avec moi en paradis !" Il peut se faire, au

contraire, que l’on ait évité l’enfer de justesse et qu’une longue expiation

s’impose avant d’entrer au ciel. Et entre le plus haut degré de culpabilité

et le moindre, s’étend une gamme de degrés qu’on peut à peine imaginer. Dans

un ouvrage qui a pour titre : Le purgatoire et les moyens de l’éviter, un

théologien tout récent, le R. P. Martin Jugie, s’est posé quelques questions

auxquelles il essaie de donner des réponses, qui ne sont pas sans intérêt.

En premier lieu :

p.221

Le nombre des âmes détenues en purgatoire. Le recensement du purgatoire est

une opération qui dépasse totalement nos moyens. Dieu seul et les saints, à

qui sans doute il le révèle, savent quelle est à tout moment de notre durée

la population exacte de l’Eglise souffrante. Mais on ne peut  parler de

cette population sans se hasarder à fournir des chiffres. On peut tout

d’abord faire remarquer que cette population est continuellement flottante.

Comme dans un immense port, comme dans une gare gigantesque, comme dans un

aéroport aux vastes dimensions, il y a sans interruptions, un grand nombre

d’arrivées et un grand nombre de départs : arrivées de la terre, départs

pour le ciel. A notre époque où la population du globe arrive à deux

milliards d’hommes environ, il en meurt en moyenne six mille par heure, soit

cent quarante mille en un jour. Combien sur ce nombre vont en purgatoire ?

Question pour nous absolument insoluble, surtout quand on songe que sur ces

six mille âmes humaines qui à chaque heure paraissent au tribunal du

souverain juge, on ne compte qu’une minorité d’âmes baptisées; et, parmi

cette minorité, la moitié à peine ont appartenu à l’Eglise catholique.

Autant que nous pouvons le conjecturer d’après ce que nous révèle

l’expérience, même parmi la minorité catholique, bien petit doit être le

contingent qui gagne directement le ciel. Et qui nous dira le nombre des

recrues de l’enfer ? Quant à la phalange joyeuse des âmes délivrées qui à

chaque instant voient s’ouvrir devant elles la porte du paradis, impossible

aussi de l’évaluer, car nous ignorons tout ce qu’il faudrait savoir pour

tenter un chiffre approximatif. A propos de la population actuelle du

purgatoire, on s’est demandé s’il pouvait s’y trouver encore des

représentants de l’humanité qui a précédé l’incarnation du Verbe et le

sacrifice de la Croix. A cette question curieuse mais non pas oiseuse,

l’Eglise grecque semble répondre par l’affirmative. En effet, depuis le IXe

siècle au moins, elle a établi une commémoration générale des défunts, la

veille de la Pentecôte, où l’on prie pour tous les hommes qui sont morts

pieusement depuis Adam. Il pourrait donc y avoir encore en purgatoire des

âmes qui arrivèrent bien avant que le Sauveur parût. Cela ne doit pas trop

nous surprendre, s’il

p.222

est vrai que devant Dieu et sa justice " un jour est comme mille ans, et

mille ans sont comme un jour " ( II Pierre, III ), et si méritent quelque

créance telles révélations faites à de saintes âmes, d’après lesquelles

certains défunts sont condamnés à rester en purgatoire jusqu’au jugement

dernier. Saint Thomas aussi favorise l’affirmative. Dans sa Somme

théologique ( III Pars, q. 3, a. 8 ), il n’admet point  que lors de sa

descente aux enfers après sa mort sur la croix, Notre-Seigneur ait vidé le

purgatoire accordant motu proprio une indulgence plénière à toutes les âmes

qui s’y trouvaient. Il soutient au contraire que cette visite du Sauveur aux

séjour d’outre-tombe ne changea rien au cours normal de la justice divine

pour ce qui regarde le purgatoire. Ne furent délivrées alors que les âmes

qui étaient arrivées au terme de leur expiation et avaient mérité pendant

leur vie que leur délivrance coincidât avec la venue du Rédempteur. En

second lieu : y a t-il une hiérarchie, au purgatoire ? Y a-t-il une

hiérarchie en purgatoire ? Nous répondons : les âmes du purgatoire vivent en

société, mais il ne semble pas qu’il y ait parmi elles de hiérarchie

proprement dite. La raison en est d’abord que ce groupement est provisoire

et non permanent. C’est une voie de garage sur la ligne qui conduit au ciel,

un retard plus au moins long imposé aux voyageurs en route vers la cité

permanente, le vestibule de la maison paternelle. Or une hiérarchie suppose

un état de chose stable. De plus et c’est l’argument le plus solide c’est

une même raison qui réunit en purgatoire tous ceux qui s’y trouvent, à

savoir le péché et les suites du péché. Un pareil motif place toutes les

âmes du purgatoire sur le même niveau et ne peut  servir de base pour

établir entre elles une hiérarchie. Et tant qu’elles sont dans cette prison

on ne découvre entre elles aucune raison de déclarer les unes supérieurs aux

autres. Elles ont toutes le même motif de s’humilier : toutes ont été

pécheresse et font leur mea culpa. Il faut donc concevoir le purgatoire

comme une république de soeurs en détresse, rivalisant entre elles

d’humilité, aucune ne se préférant aux autres, aucune ne s’élevant au-dessus

des autres, mais toutes animées de la plus tendre, de la plus compatissante

charité mutuelle, pratiquant à la perfection les recommandations de l’Apôtre:

p.223

"Soyez pleins d’affection les uns pour les autres, vous prévenant d’honneur

les uns les autres… N’aspirez pas à ce qui est élevé, mais laissez-vous

attiré par ce qui est humble " ( Rom., XII, 10-11, 16). " Que chacun, en

toute humilité, regarde les autres comme au-dessus de soi, chacun ayant

égard non à ses propres intérêts, mais à ceux des autres" ( Phil., II, 3-4).

Les âmes du purgatoire ne sont donc pas des isolées, non seulement parce

qu’elles ont des relations avec les fidèles de l’Eglise de la terre et avec

les élus du ciel, mais aussi parce qu’elles vivent en société, se

connaissent entre elles, s’aiment, s’entr’aident comme des soeurs. Enfin,

quelle est l’importance de la dévotion aux âmes du purgatoire ?  Une

discussion mémorable. On raconte dans les Annales de l’Ordre de

Saint-Dominique la curieuse discussion qu’eurent entre eux deux frères du

même couvent, le premier, Fra Benedetto, offrait toutes ses prières et tous

ses sacrifices pour le soulagement des âmes du purgatoire, tandis que

l’autre, Fra Bertrando, réservait aux pauvres pécheurs toutes ses richesses

spirituelles. Il s’agissait de savoir lequel des deux faisait oeuvre plus

salutaire et plus agréable à Dieu. Fra Bertrando commença par écrire l’état

pitoyable des âmes pécheresses privées de la grâce de Dieu, esclaves de

Satan, exposées à tous les instants à se perdre pour l’éternité. Quoi de

plus pressant que de leur venir en aide ? Et il rappelait, l’Evangile en

main, la bonté miséricordieuse du Coeur de Jésus pour la brebis égarée, sa

tendresse pour l’enfant prodigue, la joie des anges à l’annonce d’un nouveau

converti. Quant aux âmes du purgatoire, disait-il, elles sont sûres de leur

salut. Qu’elles souffrent un peu plus, un peu moins, ce n’est pas une si

grave affaire. Il faut aller au plus pressé. A quoi Fra Benedetto répondit

que les pêcheurs n’étaient pas tant à plaindre, attendu qu’ils sont retenus

par les chaînes qu’ils se forgent eux-mêmes et qu’ils n’ont qu’à dire un

mot, à crier vers le ciel un miserere pour obtenir leur pardon et rentrer en

grâce avec Dieu. De deux mendiants, dont l’un fort et bien portant refuse de

gagner sa vie, et l’autre est malade, perclus de tous ses membres

p.224

et incapable de tout mouvement, lequel est le plus digne de pitié ? Par

ailleurs, si Jésus aime tant les pécheurs, il aime bien davantage les

saintes âmes du purgatoire qui lui sont unies par la charité la plus pure,

la plus désintéressé, et désirent avec une ardeur inexprimable, qui est leur

grand tourment, de voir la face du Bien-Aimé. Il paraît que Fra Bertrando ne

fut pas convaincu. Quoique Dominicain, il n’était pas de l’avis de saint

Thomas d’Aquin, qui a écrit : "La prière pour les trépassés est plus

agréable aux yeux de Dieu que la prière pour les vivants. Les morts ont en

effet un plus grand besoin de secours par ce seul fait qu’ils ne peuvent

s’aider eux-mêmes, comme le font les vivants." Les deux jouteurs se

couchèrent donc chacun sur leur position. Mais la légende ajoute que, durant

son sommeil, Fra Bertrando eut une céleste vision qui lui découvrit que Fra

Benedetto avait raison. Il se rallia désormais à la pratique de son

confrère. Sans doute le mesager céleste dut lui révéler les secrets de la

Communion des Saints et lui montrer comment, en faisant du bien aux âmes du

purgatoire, il pouvait atteindre en même temps les pauvres pécheurs avec un

pouvoir d’intercession déculpé et comment lui-même ferait, par ce divin

commerce, centuple pour le ciel. Pour terminer ce chapitre, nous

emprunterons à un théologien tout à fait contemporain, Mgr Chollet,

archevêque de Cambrai, la page suivante : Rappelons-nous les émotions qui

étreignent notre âme aux jours des grands naufrages et les joies qui la

dilatent quand nous apprenons que les passagers sont tous sauvés.

Imaginons-nous surtout le bonheur qui inonde tout l’être du naufragé quand,

après un dernier effort et une brasse suprême, il a enfin touché la rive.

Depuis des heures il était sur le pauvre navire dont l’épave s’était engagée

entre les brisants. La mer en furie s’agitait dans de perpétuelles

tentatives pour saisir la proie et pour l’engloutir ! Les vagues, pressées

comme une charge monstre de la cavalerie de la mort, accouraient colossales,

se brisaient sur les flans du vaisseau, balayaient le pont, hurlaient le

chant du désastre, et des craquements lugubres retentissaient du haut des

mâts au fond de la cale. A cette attaque brutale, tumultueuse de la mer s’en

joignait une autre plus sourde, plus traîtresse et plus dangereuse à la fois:

p.225

des fissures s’élargissaient dans les parois du navire ; des voies d’eau se

déclaraient ; la mer envahissait, remplissait les étages inférieurs,

appesantissait sa victime, et le moment approchait où ce qui n’aurait pas

été brisé par l’ouragan et par les vagues serait noyé par cette innondation

et sombrerait pour toujours. Et les passagers épouvantés, l’équipage

héroique tentaient des efforts surhumains pour gagner la terre, que quelques

centaines de mètres séparaient à peine. Les barques de sauvetage coulaient

ou se brisaient les amarres lancées n’arrivaient pas. Enfin un va-et-vient

avait pu être établi et, porté par une ceinture de sauvetage, soutenu par la

corde, le malheureux passager, tiraillé par les flots, abandonné par ses

forces défaillantes, avait accompli lentement, douloureusement, mais enfin

avec succès, le voyage du navire à la terre. Qu’on juge de sa joie quand il

arrive, quand il tombe dans les bras des courageux sauveteurs de la rive,

sur la poitrine peut-être de parents, d’amis accourus à la nouvelle du

danger ; quand, se retournant, il voit toujours là le vaisseau en perdition,

la mer en fureur, et qu’il se dit que c’est bien vrai qu’il a échappé à la

mort ; que les flots ont beau se cabrer : ils ne peuvent plus rien contre

lui. Sauvé ! Qui dira jamais ce qu’il y a de félicité dans ce mot ? Hé bien

! c’est le mot, c’est le refrain du purgatoire. Sauvé ! On y est sauvé ! On

était un passager de ce monde ; on en a parcouru l’océan ; on y a rencontré

des tempêtes. On y a été assailli par les vagues, par les entreprises des

mauvais conseils, des exemples pervers, des sollicitations impures ou

impies. La maladie ouvrait dans les flancs de l’être humain des brèches par

où la vie s’en allait et la mort accomplissait son oeuvre lente et sûre.

Arriverait-on au port ; serait-on sauvé ou périrait-on misérablement dans le

gouffre infernal : c’était la question posée si pleine d’angoisse jadis,

heureusement résolue aujourd’hui. Comme le naufragé qui, de la rive, voit

plus nettement encore la grandeur et l’imminence du péril auquel il a

échappé, l’âme du purgatoire saisit plus vivement l’horreur du danger et la

fragilité du fil qui l’a empêchée d’y tomber. Ce qui causait ce danger est

toujours là : la vie avec ses agitations et ses incertitudes, l’enfer avec

ses rages ; mais on est sur la rive hors de la vie terrestre, hors d’attente

de l’enfer. Sauvé ! on est sauvé ! Quel bonheur, quelle émotion poignante et

douce à la fois.

p.226

Les mystiques se sont senti en général très attirés par le mystère si

touchant des âmes du purgatoire. Ce sont des âmes qui aiment Dieu et que

Dieu aime, car il les a rachetées de son Sang infiniment précieux et il

désire les reçevoir en paradis. Ce sont des âmes qui ne peuvent rien pour

s’aider elles-mêmes, mais que l’Eglise nous apprend avec force, autorité et

certitude que nous pouvons aider par nos prières, nos suffrages de toute

nature, et spécialement par l’oblation du sacrifice eucharistique. Il était

inévitable que les hautes âmes, attentives aux oeuvres de l »amour, soit de

l’amour envers Dieu, soit de l’amour envers le prochain dans la détresse et

le besoin, se portent avec prédilection vers les âmes du purgatoire, et

qu’elles reçoivent, à cette occasion, des indications ou inspirations

privées que nous avons profit à recueillir, sans être tenus pourtant à y

ajouter foi autrement que dans la mesure où nous les trouvons conformes aux

enseignements de l’Eglise et aux vraisemblances découlant de ces

enseignements mêmes. Ce que nous en dirons ici est donc placé sous le sceau

d’une certaine réserve : nous y chercherons de quoi alimenter notre piété,

de quoi animer notre charité pour les âmes souffrantes du purgatoire, de

quoi nous exciter à tout faire pour éviter un trop long séjour dans ce lieu

de purification. Il a été question plus haut, avec Mgr Gay, de l’acte

héroique. Si nous en croyons un biographe de sainte Gertrude, qui vivait au

XIIIe siècle en Saxe, et qui mourut en l’an 1302, cette grande mystique

aurait eu déjà l’insira –

p.227

tion de faire un tel acte, sans avoir d’exemple antérieur pour la guider.

L’acte héroique chez Sainte Gertrude.  Sainte Gertrude, poussée par son

amour pour les âmes souffrantes du purgatoire, leur abandonna toute la

partie satisfactoire de ses bonnes oeuvres. Elle ne parait pas avoir songé à

renoncer aux suffrages qu’on pourrait offrir pour elle après sa mort. Il est

vraisemblable que si elle y avait pensé, elle n’aurait pas hésité à pousser

le sacrifice jusque là, car cette âme, toute embrasée du divin amour, se

portait naturellement vers tout ce qu’elle savait être  agréable à Jésus, et

l’héroisme n’était pas fait pour l’effrayer. Elle avait bien conscience

cependant que la renonciation qu’elle avait faite au profit des âmes n’était

pas un jeu et qu’elle s’exposait aux exigences de la divine justice pour ses

propres fautes. On raconte qu’un jour pour une Soeur défunte, elle voulut

renouveler au profit de cette âme la totale donation de ses satisfactions

déjà consentie depuis longtemps. Soudain envahie et comme accablée par le

sentiment de ses propres besoins, elle se tourna vers Jésus et lui dit : "

Je compte, Seigneur, que votre infinie miséricorde regardera plus souvent

votre servante entièrement dépouillée de ses mérites et devenue pareille à

une mendiante. Que pourrais-je faire, répondit le Seigneur, pour celle que

la charité priva de ses trésors, sinon l’envelopper de ma tendresse ainsi

que d’un manteau, et travailler plus diligemment avec elle, afin de regagner

ce que l’amour la pressa de donner ? En vain vous travailleriez avec moi,

Seigneur bien-aimé, objecta-t-elle. Toujours il me faudra vous arriver nue

et les mains vides, puisque j’ai cédé non seulement ce que j’ai acquis, mais

ce que je puis acquérir." Le Sauveur repartit : " Une mère qui verrait ses

enfants chaudement vêtus se contenterait de les asseoir près d’elle tandis

qu’elle presserait entre ses bras un bébé grelottant, et pour le réchauffer,

le couvrirait de ses propres habits. Possèdes-tu moins que d’autres, si je

te place maintenant tout proche de l’océan des grâces ? Envierais-tu ceux

qui reposent sur la berge d’un ruisselet ?" Consolée par les divines paroles

la sainte comprit sans peine leur sens caché : les personnes immobiles

auprès du mince filet d’eau désignaient les âmes

p.228

dont la prévoyance jalouse conserve, en vue de l’avenir, le bénéfice des

bonnes oeuvres. Notre-Seigneur, lui, désireux de récompenser le charitable

renoncement de son épouse, épuiserait, afin de l’enrichir, l’abîme de ses

richesses. Comment la charité profite aux âmes du purgatoire. Gertrude

priait pour un Frère défunt qui avait toujours été très dévoué à la

congrégation ; le Seigneur lui dit : "J’ai déjà, à cause des prières de la

congrégation, récompensé son dévouement en trois choses : sa bienveillance

naturelle lui donnait déjà une grande joie intime de pouvoir rendre service

à quelqu’un ; or, toutes ces joies qu’il éprouvait, après chaque service

nouveau, sont aujourd’hui réunies ensemble et il les ressent toutes à la

fois dans son âme. Il possède encore la joie de tous les coeurs qu’il a

réjouis de ses bienfaits : ceux des pauvres par une aumône, ceux des enfants

par des présents, ceux des malades par un fruit ou quelque autre soulagment.

Enfin il a de plus la joie de savoir que toutes ces actions m’étaient

agréables et, s’il faut encore quelque chose pour que son soulagement soit

parfait, cela ne lui manquera pas longtemps. Il y a dans ce passage un trait

de psychologie de l’au-delà que nous ne devons pas négliger, car il est

d’une extrême importance : c’est celui où l’on nous apprend qu’au purgatoire

l’âme ressent les joies de ses bonnes actions toutes ensemble. Ici-bas, en

effet, nos actions sont échelonnées sur toute la ligne du temps de notre

existence. La mémoire peut bien en rappeler le souvenir, mais ce rappel ne

se fait que selon des lois strictement limitées, pour éclairer, fortifier,

par l’expérience du passé, l’acte présent, il est rare que l’on puisse

revivre le souvenir pour lui-même, sans aucune référence au présent. Même

lorsque cela se produit, on ne revit qu’un souvenir à la fois, et cette

reviviscence est généralement faible et imparfaite. A la mort, au contraire,

l’âme reprend son mode d’être intégral à elle. Le cerveau n’est plus là pour

limiter étroitement en elle la possession totale d’elle-même, de tout son

passé comme de son présent. En un mot, nos richesses d’âme, au lieu d’être

dispersées sur le parcours des années, sont réunies ensemble ; elles forment

un seul trésor, qui est acquit, notre

p.229

bien, l’ensemble de nos mérites et de nos droits au bonheur divin. Il va

sans dire, du reste, que la même loi se vérifie chez les damnés et que tous

leurs forfaits font bloc pour les tourmenter, les accabler, les désespérer.

Nous passons du successif au simultané. Au lieu que certains esprits déliés,

tels que saint Augustin, ont pu entreprendre de démontrer que la vie

présente est sans consistance parce que le présent nous échappe sans cesse,

que le passé n’est plus et que l’avenir n’est pas encore, en sorte que nous

n’avons jamais rien entre les mains, pour ainsi dire, puisque tout nous fuit

à mesure que nous cherchons à l’étreindre ; au lieu de cela, disons-nous, au

purgatoire, comme au ciel et en enfer, il n’y a plus de passé, plus

d’avenir, mais  seulement un présent où notre tout, en bien comme en mal,

est entre nos mains. Le purgatoire, toutefois, en raison de son caractère

passager, offre encore une ombre de ce successif que nous avons connu il

faisait dire par l’Ange à l’Ame, que, sur la terre, nous mesurons le temps

par le cours des astres, mais qu’une fois hors de cette vie, cette sorte de

temps n’existe plus pour les âmes, mais seulement une chronologie tout

interne, provenant de la succession des actes personnels, mais n’ajoutant

rien au total des richesses ou des dettes de l’esprit désincarné. Il y avait

donc, dans les révélations faites à sainte Gertrude, une idée extrêmement

profonde, ce qui est bien fait pour nous donner confiance en ses pieuses

intuitions. Nous continuerons donc de l’interroger, au sujet du purgatoire :

Sentiment d’indignité temporaire chez les âmes du purgatoire. Sainte

Gertrude eut un jour une révélation. Elle vit en esprit l’âme d’une

religieuse qui avait passé sa vie dans l’exercice des plus hautes vertus.

Elle se tenait en présence de Notre-Seigneur, revêtue des ornements de la

charité ; mais elle n’osait lever les yeux pour le regarder. Elle les tenait

baissés, comme si elle eût été honteuse de se trouver en sa présence, et

témoignait par ses gestes le désir qu’elle ressentait de s’éloigner de lui.

Gertrude, étonnée d’une telle conduite, osa s’adresser à Jésus pour en

savoir la cause : " Dieu de bonté, dit-elle, pourquoi ne recevez-vous pas

cette

p.230

âme dans le sein de votre infinie charité ? Que signifient ces étranges

mouvements de défiance que je remarque en elle ?" Alors Notre-Seigneur

étendit son bras droit vers l’âme de la religieuse pour l’attirer à lui ;

mais elle, avec un sentiment de profonde humilité et de grande modestie, se

retira de lui. La sainte, en proie à un étonnement toujours croissant, lui

demanda pourquoi elle fuyait les caresses d’un époux si digne d’être aimé ;

et la religieuse lui répondit : "Parce que je ne suis pas entièrement

purifiée des taches que mes péchés ont laissés après eux ; et même si mon

Dieu me permettait d’entrer librement dans le ciel dans l’état où je suis,

je ne l’accepterais pas ; car si brillante que je ne puisse paraître à vos

yeux, je sais que je ne suis pas encore une épouse digne du Seigneur."

Sortes de fautes punies au purgatoire. Sainte Gertrude priait pour Frère

Hermann, convers, récemment décédé. Cette âme lui ayant été montrée :"Pour

quelle faute, lui demanda-t-elle, souffrez-vous davantage ? – Pour ma

volonté propre : même lorsque je faisais du bien, j’aimais mieux en faire à

ma tête que de suivre l’avis des autres. J’en souffre maintenant une si

grande peine que, si l’on réunissait toutes les peines qui accablent le

coeur de tous les hommes, elles n’arriveraient à rien de pareil à ce que je

souffre." Comme Gertrude récitait pour lui l’Oraison dominicale, quand elle

prononça ces paroles : " Pardonnez-nous nos péchés comme nous pardonnons",

cette âme prit un air plein d’anxiété et lui dit : "Lorsque j’étais dans le

monde, j’ai beaucoup péché pour n’avoir pas facilement pardonné à ceux qui

avaient agi contre moi ; pendant longtemps, je gardis mon sérieux avec eux

et, pour expiation, je souffre, lorsque j’entends ces paroles, une honte

intolérable et pleine d’anxiété." Comme on offrait pour cette âme le saint

Sacrifice, elle parut en être merveilleusement réjouie et glorifiée. Ce que

voyant Gertrude, elle demanda au Seigneur : " Cette âme a-t-elle acquitté

maintenant tout ce qu’elle devait souffrir ?" Le Seigneur répondit : " Elle

en a plus acquitté que toi ou quelqu’un des hommes ne pourrait le penser,

cependant elle n’est pas tellement purifiée qu’elle puisse être admise à

jouir de ma présence. Mais sa consolation et son

p.231

soulagement vont toujours croissant à mesure que l’on prie pour elle.

Cependant vos prières ne peuvent la secourir aussi dans le monde cette faute

de se montrer dure et inexorable et de ne pas fléchir sa volonté au gré de

la volonté des autres, ne voulant pas accorder ce qu’elle n’avait pas dans

sa volonté." On a vu que les prières de l’Eglise sont bienfaisantes pour les

défunts. C’est un point sur lequel la tradition s’est prononcée avec le plus

de force et d’unanimité. Mais saint Augustin a bien précisé que les prières

sont utiles à ceux qui ont vécu ici-bas de telle sorte qu’elles puissent

leur servir. On pourrait être tenté de croire que par là il n’exclut que les

damnés. Sainte Gertrude va nous dire cependant que, même au purgatoire,

certaines âmes peuvent être, pour un temps, privées du bénéfice des

suffrages de l’Eglise. Précisons de nouveau que l’Eglise, en canonisant un

saint ou une sainte, ne consacre pas pour autant ses " révélations privées".

Ces révélations n’en gardent pas moins, parfois, un vif intérêts pour tous.

Privation au purgatoire du bienfait des suffrages de l’Eglise.  Sainte

Gertrude apprit du Seigneur que quand une âme meurt après avoir commis

certaines fautes nombreuses et très graves, elle ne peut pas être aidée par

les suffrages communs de l’Eglise : il faut qu’après un certain temps de

purgatoire elle dépose ce fardeau de péché qui faisait obstacle à ces

suffrages de l’Eglise, que les âmes souffrantes reçoivent, à chaque instant,

comme une rosée salutaire ou un baume plein de suavité ou comme le plus

rafraîchissant breuvage. La sainte obtenu du Seigneur qu’une âme qu’on lui

recommandait et qui était dans cette condition fût délivrée de ce terrible

obstacle. Elle lui demanda par quels travaux et quelles prières on peut

obtenir cette grâce pour les âmes si malheureuses. Le Seigneur répondit :

"Tu ne peux faire aucun travail ni aucune prière qui puisse apporter à une

âme un si puissant secours, parce que cela ne peut s’obtenir tout à coup que

par une affection d’amour semblable à celle que tu viens d’éprouver tout à

p.232

l’heure. Or, c’est là une faveur qu’on ne peut avoir, à moins que je ne la

donne. De même un tel secours ne peut être accordé à une âme après la mort,

à moins que par une grâce spéciale elle ne l’ait mérité en cette vie. Mais

sache qu’une telle peine peut être soulagée à la longue par les prières ou

les travaux accomplis avec fidelité par les amis de cette âme. Ce temps est

donc plus ou moins long, selon que ses amis y mettent pour elle plus de

dévotion et plus d’amour, et aussi selon qu’elle l’a mérité durant sa vie."

Il est intéressant de noter, avec le R. P. Saudreau, que sainte Véronique

Giuliani ( 1660-1727), cette grande mystique qu’on a pu surnommer " l’époque

du Crucifié" – Sposa del Crocifisso , parle également des âmes qu’elle

appelle les oubliées – anime scordate – auxquelles le Seigneur, pour un

temps, n’applique pas les prières que chaque jour l’Eglise fait

indistinctement pour tous les trépassés, ni celles que font pour elles

parents et amis. Pourquoi nous devons prier les âmes du purgatoire.  Afin

d’exciter le zèle de Gertrude en faveur des âmes du purgatoire, le Seigneur

lui dit : "Suppose un roi plus grands amis, qu’il remettrait volontiers en

liberté si la justice ne l’en empêchait ; poussé par le désir de leur

délivrance, et, voyant que d’eux-mêmes ils ne peuvent y contribuer, ce roi

accepterait avec joie que quelqu’un payât, en or ou en argent, ou d’une

autre manière, ce qui serait nécessaire à l’acquittement de leur dette. De

même, j’accepte tout ce qui m’est offert pour la délivrance des âmes que

j’ai rachetées de mon sang précieux ; j’ai alors une occasion de les

délivrer de leurs peines et de les conduire aux joies qui leur sont

préparées de toute éternité." Gertrude : " Combien vous est agréable la

peine que se donnent ceux qui s’acquittent du Psautier en usage dans notre

congrégation ? " Il répondit : " Elle m’est aussi agréable que si, de leur

argent, ils me rachetaient moi-même de la captivité : chaque fois qu’une âme

est délivrée par leurs prières. Et très certainement je leur rendrai cela en

temps opportum, dans la mesure que comporte la toute-puissante de ma

libérale bonté."

p.233

Il me semble que nous entendions ici un écho de la parole du Christ dans

l’Evangile : " J’étais en prison et vous m’avez visité !" Même sujet  Dans

la nuit de Pâques, Gertrude demandait au Seigneur de délivrer du Purgatoire

les âmes de ceux qui l’avaient aimé ici-bas d’un amour très fidèle, et, pour

l’obtenir, elle faisait cette offrande au Seigneur : " Je vous offre, en

union de votre très innocente Passion, tout ce que mon coeur et mon corps

ont souffert dans les continuelles infirmités." Alors le Seigneur lui fit

voir la multitude d’âmes qui venaient d’être délivrées de leurs peines et

lui dit : " Je les donne toutes en dot à ton amour et l’on verra

éternellement dans le ciel qu’elles ont été délivrées par tes prières, et ce

sera pour toi un éternel honneur en face de tous mes saints." Contemporaine

de sainte Gertrude, sainte Marguerite de Cortone (1247-1297) eut une vie

bien différente d’elle. Après des années de désordres, elle se convertit et

devint l’une des plus éminentes pénitentes de l’histoire chrétienne.

Favorisée, elle aussi, de visions extraordinaires, elle nous fournit, sur le

purgatoire, les indications que voici : Longueur et variété des peines au

purgatoire  Notre-Seigneur apprit à Marguerite de Cortone que son père et sa

mère étaient sortis du lieu d’expiation : " Réjouis-toi, ma fille, à

l’occasion de la délivrance de ta mère : elle est restée dix ans dans le

purgatoire, maintenant elle est dans la gloire du paradis…"  " Je

t’annonce que ton père, pour lequel tu m’as prié avec tant d’instance, est

sorti du purgatoire. N’aie pas d’inquiétude par rapport à sa vie passée que

tu connais, car les peines du purgatoire sont de différentes sortes et il a

souffert lui, les plus afflictives, parce que je voulais le délivrer plus

tôt en le purifiant plus terriblement."  " Quant aux trois défunts pour

lesquels tu m’as prié avec instance, je te dirai qu’ils ne sont pas damnés,

contrairement à l’opinion de ceux qui les jugent ; cependant, ils endurent

des supplices si affreux que s’ils n’étaient

p.234

pas visités par mes anges ils se croiraient damnés, tant ils se trouvent

rapprochés de ceux qui le sont. C’est pourquoi leurs héritiers devraient

célébrer un grand anniversaire en contribuant largement à la construction du

nouvel oratoire du bienheureux François, afin que les larmes qu’on y viendra

répandre adoucissent les peines qu’ils ont encourues par l’injustice de leur

commerce. Pour ce péché, ma justice exigerait qu’ils les subissent jusqu’à

la fin du monde ; cependant en faveur de tes prières, ils n’y resteront que

vingt ans. Ce temps achevé, ma mère les délivrera et les introduira dans la

gloire éternelle." Ne laissons pas perdre l’indication qui termine ce

passage : il nous apprend que la Sainte Vierge a une prédilection pour les

âmes du purgatoire. Et comme nous savons, d’autre part, que toutes les

grâces passent par celle qui fut la Mère de Jésus-Christ, source de toute

grâce, en sorte qu’elle est notre Médiatrice universelle, sous les ordres de

son divin Fils, nous aimerons à recueillir dans la dévotion du XIVe siècle

ce chant à la Vierge, parvenu jusqu’à nous : Prière pour les âmes du

purgatoire (Languentibus) A ceux qui languissent au purgatoire, Qui sont

purifiés dans une flamme excessive Et tourmentés par un redoutable supplice,

Que votre compassion vienne en aide, O Marie ! Vous êtes la source ouverte

pour effacer les fautes, Vous secourez tout le monde et ne repoussez

personne, Etendez votre main sur les infortunés Qui languissent en des

peines sans trève, O Marie ! Vers vous, ô Mère, soupirent les défunts

Désireux d’être arrachés aux tourments, Et d’être en votre douce présence,

Et de jouir des joies éternelles, O Marie !

p.235

Loi des justes, règle des croyants, Vrai salut de ceux qui espèrent en vous,

Pour les défunts employez-vous A prier votre Fils sans relâche, O Marie ! O

Bénie, par vos mérites, Nous vous en prions, relevez les morts, Et leur

remettant leurs dettes Soyez leur voie vers le repos, O Marie ! Clé de David

qui ouvrez le ciel, De votre bonheur, secourez les malheureux Qui sont

tourmentés amèrement : Tirez-les de leur prison, O Marie ! Et quand se fera

le débat serré, Au redoutable jugement de Dieu, Alors aussi implorez votre

Fils, Pour que nous ayons part avec les saints, O Marie ! Puisque nous

sommes au XIVe siècle, nous interrogerons sainte Brigitte de Suède au sujet

du purgatoire. Dans son ouvrage sur Les divines paroles, le P. P. Saudreau

cite d’elle les deux traits suivants :  Le purgatoire de désir  Sainte

Brigitte priait un vieillard, prêtre ermite d’une grande vertu, dont le

corps déjà à l’église attendait la sépulture. La Sainte Vierge lui apparut

et lui dit : " Sache, ma fille, que l’âme de cet ermite, mon ami, serait

entrée dans le ciel aussitôt après son décès si en mourant elle eût un

parfait désir de voir et de posséder Dieu. C’est ce qui fait qu’il est

maintenant détenu en ce purgatoire de désir, où il n’a d’autre peine que le

désir de parvenir à Dieu, mais avant que son corps soit dans le tombeau, son

âme sera dans la gloire."

p.236

L’ange et le démon auprès de l’âme en purgatoire  Sainte Brigitte vit un roi

qui était dans le purgatoire ; à sa gauche se tenait un démon et à sa droite

un ange. La voix du Juge se fit entendre, qui disait : " Toi, ô démon, tu ne

peux voir cette âme à cause de son éclat, et toi, ô ange, tu ne peux la

toucher à cause de son impureté. Le jugement veut que toi, démon, tu la

purifies, et que toi, ange, tu la consoles, jusqu’à ce qu’elle soit arrivée

à la gloire éternelle. Et toi, âme, il t’est permis de regarder l’ange et

de prendre consolation de lui. Tu participeras au Sang de Jésus-Christ, aux

prières de sa Mère et de l’Eglise." Et la sainte vit le démon torturer

horriblement cette âme et lui reprocher ses péchés, mais l’âme élevait les

yeux vers l’ange, ne disant rien, mais marquant par son attitude qu’elle

était consolée par lui et que bientôt elle serait délivrée de ses peines.

Sainte Brigitte eut une continuatrice en sainte Catherine de Sienne

(1347-1380). Dans un de ses Dialogues (IV, 14), nous trouvons le  passage

suivant : Ma sagesse est partout, et si tu regardes en purgatoire tu la

retrouveras encore, toujours ineffable et douce à l’égard de ces pauvres

âmes qui, par ignorance, n’ont pas su tirer profit du temps et qui, séparés

du corps, ne sont plus en état de pouvoir mériter. Aussi est-ce par vous que

j’ai pourvu à leur situation, vous à qui le temps est encore donné tant que

vous êtes dans cette vie mortelle et qui pouvez l’employer pour elles. Et

voici ce qui lui arriva, selon Joannès Joergensen, à la mort de son père :

Catherine offre de souffrir pour son père  Lorsque la sainte perdit son

père, nous dit son biographe, Catherine, agenouillée auprès de la couche

funèbre, supplia le Seigneur de permettre que l’âme de son père, un chrétien

exemplaire, échappant aux tourments du purgatoire allât droit au ciel : " Et

s’il n’en peut être autrement, ô mon Dieu, s’écrie-t-elle, envoie-moi les

souffrances que

p.237

devrait endurer mon père ; je les supporterai pour lui !" Giacomo mourut

ainsi, encouragé par le regard et le sourire de sa fille bien-aimée, et, à

l’instant même où il rendit l’esprit, Catherine ressentit au côté une

douleur à la fois pénible et douce qui ne lui laissa jamais de répit. Alors

elle comprit que sa prière avait été exaucée, et tandis que tous les autres

sanglotaient, une joie immense l’envahit ; elle-même déposa dans le cercueil

le corps de son père, et, penchée sur son pâle et maigre visage à la barbe

dure, elle murmura : " Que ne suis-je où tu es maintenant ! ". Sainte

Catherine affirme, elle aussi, comme sainte Brigitte, que les démons sont

chargés de faire souffrir les âmes du purgatoire comme les damnés de l’enfer

: voici ce qu’elle dit à ce sujet : Moi, vérité éternelle, j’ai constitué

les démons mes instruments, pour exercer mes serviteurs dans la vertu, en

même temps que mes justiciers à l’égard de ceux qui, par leur faute, vont à

l’éternelle damnation, et vis-àvis de ceux aussi qui passent par les peines

du purgatoire. C’est par eux que je manifeste ma justice envers les damnés

et envers les âmes du purgatoire. Ce feu du purgatoire, au surplus, peut

provenir de l’âme elle-même. " Je ferai sortir du milieu de toi le feu qui

dévorera tes entrailles. Je ne l’enverrai pas de loin contre toi, il prendra

dans ta conscience et ses flammes s’élanceront du milieu de toi et ce seront

tes péchés qui le produiront." Née en 1447, Catherine de Gênes, de la noble

famille des  Fieschi, était originaire de la ville dont elle porte le nom.

Mariée mais peu heureuse en mariage, elle se tourna tout entière vers Dieu,

obtint la conversion de son mari et le prépara à la mort. Elle fut une très

haute mystique, et mourut le 15 septembre 1510. Elle a laissé des écrits où

il est malaisé de distinhuer sa part et celle de son directeur et biographe,

Dom Catttaneo Marabotto, et d’Hector Vernazza. Ces deux personnages

publièrent en 1551, donc quarante ans après sa mort, le livre de l’admirable

vie et  de la sainte doctrine de la bienheureuse Catherine de Gênes.A la

suite de sa vie, on y voyait le célèbre Traité du purgatoire. C’était une

des idées essentielles de la sainte que l’amour purificateur, luttent en

nous contre la chair, dans

p.238

l’effort vers la sainteté, produit des tourments analogues à ceux que

souffrent les âmes du purgatoire. Il est probable que c’est par cette voie,

et pour illustrer la lutte ici-bas de l’esprit et de la chair, qu’elle fut

amenée à composer ou à dicter son Traité du purgatoire, dont l’attribution

toutefois reste difficile dans le détail. Ce Traité, cependant, constamment

attribué à la sainte, a exercé une durable  et profonde influence. Nous en

donnerons ici quelques extraits : Etat des âmes au purgatoire  Les âmes qui

sont en purgatoire ne peuvent vouloir ni désirer autre chose que d’y

demeurer paisiblement parce qu’elles savent qu’elles y sont par ordre très

équitable de la justice de Dieu. Il est impossible, dans cet état, de faire

aucun retour sur elles-mêmes, comme de dire : " J’ai  fait tel ou tel péché

pour lequel je souffre maintenant ici : je voudrais ne l’avoir pas commis

parce que je jouirais à présent des délices du paradis." Elles ne peuvent

non plus dire : " Celui-ci sortira d’ici avant moi, ou : j’en sortirai plus

tôt que lui." Elles sont tellement abîmées en Dieu qu’elles ne peuvent ni en

bien ni en mal former la moindre pensée d’elles-mêmes ou des autres qui

puissent ajouter à leur tourment. Elles ne s’occupent qu’à considérer avec

quelle bonté Dieu se conduit envers les hommes pour les attirer à lui. Elles

ne peuvent ni vouloir ni désirer autre chose que l’accomplissement de la

volonté de Dieu, qui est lui-même cette pure charité de laquelle elles ne

peuvent s’éloigner (chap. I ).  Les peines du purgatoire  Les âmes endurent

dans ces lieux des tourments si grands et si terribles qu’il n’y a ni langue

pour les exprimer ni entendement pour en conçevoir la moindre étincelle. Il

faut que Dieu, par une faveur particulière, les fasse comprendre à une âme,

comme il a plu à son extrême bonté de le faire à la mienne. J’avoue aussi

que cette vue qu’il a plu à Dieu de m’en donner ne m’est jamais sortie de

l’esprit. J’en ai toujours conservé la mémoire présente à mes yeux, et si je

puis bien en dire ici quelque chose, cependant personne ne

p.239

comprendra parfaitement, que celui à qui Dieu daignera faire la même grâce

qu’il m’a faite (chap. II ). Privation de la vue de Dieu  L’âme est

tellement embrasée du désir qu’elle a de posséder Dieu et d’être transformée

en lui, que c’est en cela que consiste son principal tourment en purgatoire.

Elle ne considère pas toutes ces pensées ni toutes ces flammes qui

l’environnent : ce qui la tourmente et qui la brûle davantage, c’est cette

ardeur violente qu’elle a de jouir de Dieu sans pouvoir le satisfaire. Il

est incroyable qu’elle est la conformité de Dieu avec l’âme. Elle est telle

que lorsque Dieu voit cette âme retourner à la pureté dans laquelle il l’a

créée, il lui lance les rayons de son amour, de façon que cette âme est

tellement transformée en Dieu qu’elle se voit n’être qu’une même chose avec

lui. Et il continue toujours de l’attirer et de l’embraser du feu de son

amour, jusqu’à ce qu’il l’ait rétablit dans sa première pureté. L’âme, de

son côté, se sentant si intimement attiré par son Dieu, est toute pénétrée

d’amour et se fond dans l’ardeur de ce feu divin. Et comme elle ne peut

suivre cet attrait de Dieu, dont le moindre retard lui est si pénible, et

que son instinct naturel et l’ardent désir qu’elle a d’aller à lui se

trouvent empêchés, elle sent alors une peine qui est proprement la peine du

purgatoire ( chap.II ). On ne reprochera pas, certes, à une si belle et si

haute doctrine de ramper à terre. C’est au contraire dans les plus hautes

sphères et les plus profondes expériences de la vie spirituelle que

Catherine puise sa doctrine du purgatoire. C’est aussi, sous l’angle

spirituel, assurément, qu’il faut comprendre ce passage redoutable :

Purgatoire et Enfer  Quelle grande chose que ce purgatoire ! Pour moi, je

l’avoue, je ne puis rien dire ni rien concevoir qui en approche. J’entrevois

seulement que les peines qu’on y endure sont aussi sensibles que les peines

de l’enfer ( chap. VIII ).

p.240

Mais la sainte insiste plus volontiers encore sur les "joies du purgatoire".

Suivons-la : Les joies du purgatoire  Je ne crois pas qu’après la félicité

des saints du paradis il puisse exister une joie comparable à celle des âmes

du purgatoire. Une incessante communication de Dieu rend de jour en jour

leur joie plus vive, et cette communication devient de plus en plus intime,

à mesure qu’elle consume dans ces âmes l’obstacle qu’elle y trouve. Cet

obstacle n’est pas autre chose que la rouille ou les restes du feu. Comme le

feu du purgatoire va sans cesse le consumant, l’âme s’ouvre de plus en plus

à la communication de Dieu. J’explique ma pensée par une comparaison :

exposez au soleil un cristal couvert d’un épais voile, il ne peut recevoir

les rayons ; la faute n’en est point au soleil qui ne cesse de briller, mais

au voile qui intercepte ses rayons. Que cette couverture vienne peu à peu à

se consumer, le cristal sucessivement découvert recevra de plus en plus les

rayons du soleil, et, quand l’obstacle aura entièrement disparu, le cristal

sera tout entier pénétré par le soleil. Ainsi en est-il des âmes du

purgatoire. La rouille du péché est le voile qui intercepte pour elles les

rayons du vrai soleil, qui est Dieu. Le feu va consumant de jour en jour

cette rouille, et, à mesure qu’elle est consumé, les âmes réfléchissent de

plus en plus la lumière de leur vivant soleil. Leur joie augmente à mesure

que la rouille diminue et qu’elles sont plus exposées aux divins rayons.

Ainsi l’un va toujours en augmentant et l’autre en diminuant, jusqu’à ce que

le temps de l’épreuve soit accompli. Qu’on ne croie pas cependant que la

peine diminue : ce qui diminue c’est uniquement le temps de sa durée. Mais

dans l’intime de leur volonté, ces âmes ne pourraient jamais se résoudre à

dire que ces peines sont des peines, tant elles sont heureuses de la

disposition de Dieu à laquelle leur volonté est unie par le lien de la pure

charité (chap. II). Ce sujet des "joies du purgatoire" tient tant au coeur

de la sainte qu’elle y revient à plusieurs reprises. Citons encore cette

page du chapitre X de son Traité du purgatoire :

p.241

Tu vois encore que ce Dieu d’amour, ce Dieu infiniment aimant, lance à l’âme

certains rayons, certains éclairs embrasés qui sont si pénétrants qu"ils

anéantiraient non seulement le corps, mais l’âme même, si c’était possible

(ici-bas). Ces rayons et ces éclairs, dardés par l’amour infini de Dieu,

produisent deux effets : ils purifient et ils anéantissent. Voyez l’or, plus

il reste au creuset, plus il se purifie ; et on peut le purifier de telle

sorte que tout ce qu’il a d’impur et d’étranger se trouve anéanti. L’amour

de Dieu fait dans l’âme ce que fait le feu dans les choses matérielles :

plus elle reste dans ce divin brasier, plus elle se purifie. Ce brasier, la

purifiant toujours davantage, finit par anéantir en elle tout ce qu’elle a

d’imperfections et de taches et la laisse en Dieu entièrement purifiée.

Lorsque l’or a passé par le feu et qu’il a acquis le dernier degré de pureté

qu’on puisse lui donner, il ne se consume plus et ne diminue plus jamais,

quelque grand que puisse être le feu où on l’affine, parce qu’il ne se

trouve alors aucun mélange de corps impurs et étrangers sur lesquels le feu

puisse agir. Ainsi en est-il de l’âme qui se purifie dans le feu de l’amour

divin. Dieu l’y retient jusqu’à ce que ce feu ait consumé en elle toute

imperfection et lui ait communiqué le degré de perfection qu’il lui destine

de toute éternité. Et quand Dieu, de degré en degré, a enfin élevé jusqu’à

lui cette âme purifiée, elle demeure désormais impassible, parce qu’il n’y a

plus rien en elle que le feu puisse consumer ; et supposé que dans cet état

de pureté parfaite elle fût encore retenue dans le feu, ce feu, loin de lui

être pénible, serait un feu de divin Amour et comme la vie éternelle sans

ombre de souffrances. Il est aisé de saisir, dans un tel morceau, l’idée, et

si on peut dire, la méthode très simple, mais très naturelle et très juste

de la sainte : elle part d’une conception fondamentale : Dieu est Amour.

Puis, elle s’appuie sur l’expérience de cet amour, en tant qu’il agit

ici-bas dans les âmes qu’il veut attirer à lui et embraser de ses divins

rayons. La purification de l’âme doit en effet, normalement, se faire en

cette vie. Il n’y a aucune raison que les choses se passent autrement au

purgatoire, qui n’est qu’une

p.242

annexe de la terre, où les âmes suppléent à ce qu’elles ont omis de faire

ici-bas où achèvent ce qu’elles y ont seulement commencé. Mais les deux

termes en présence sont les mêmes au purgatoire et sur la terre : Dieu et

l’âme. Le but recherché est le même : l’identification de l’âme à la

splendeur du Christ qui l’a rachetée et qui est le Chef du Corps mystique,

dont elle est membre. Sainte Catherine de Gênes en conclut logiquement que

les procédés sont les mêmes et que la purification de l’âme en purgatoire

est tout ensemble une oeuvre de souffrance intense et de joie indicible !

C’est ce raisonnement sous-jacent qui donne à la sainte tant d’assurance

dans sa description des purifications du purgatoire. Citons encore d’elle,

des pensées détachées allant au même but : Toujours les joies du purgatoire

Les âmes du purgatoire ont une entière soumission à la volonté de Dieu :

elles sont établies dans une telle conformité à sa justice et à ses ordres

que, n’ayant ni choix, ni vue, ni volonté propre, elles ne choisissent, ne

voient et ne veulent que ce qui plaît à Dieu. C’est pourquoi ces âmes

reçoivent avec autant de joie les effets de sa justice que ceux de sa

miséricorde (chap. XIII ). Enfin, la sainte déclare nettement qu’elle puise

dans ses propres expériences tout ce qu’elle sait du purgatoire : Voie

purifiante sur cette terre et au purgatoire      Ce moyen dont Dieu se sert

pour purifier les âmes qui sont dans le purgatoire  est le même que

j’éprouve en moi depuis deux ans, et je le sens tous les jours et le vois

clairement de plus en plus. Mon âme est dans mon corps, comme da    ns un

purgatoire semblable à celui que Dieu a ordonné pour les âmes… Le seul

retard de la vue et de la possession de Dieu paraît si pénible aux saintes

âmes qu’il se forme en elles, par cela même, comme un feu qui les dévore. Et

nous terminerons ces citations du Traité de sainte Ca-

p.243

therine de Gênes par le passage que voici, tiré du chapitre VI : Pour

comprendre en quelque façon avec quelle ardeur les âmes qui sont dans le

purgatoire désirent de voir Dieu, imaginons qu’il n’y ait dans le monde

qu’un seul pain, et que ce pain ait la vertu d’apaiser par sa seule vue la

faim de toutes les créatures. Si un homme en bonne santé, dévoré par la

faim, savait qu’il n’y a que ce pain qui le puisse rassasier et s’il s’en

voyait néanmoins privé, n’est-il pas vrai que sa faim augmenterait toujours,

et lui deviendrait même d’autant plus intolérable qu’il approcherait de ce

pain de plus près sans pouvoir y toucher ?… Les âmes du purgatoire ont

cette faim ardente de se rassasier de ce pain céleste qui est Dieu même et

notre doux Sauveur. De Catherine de Gênes, passer à sainte Thérèse d’Avila,

ce n’est, en quelque sorte, pas changer d’atmosphère. Dans sa Vie, Thérèse

(1515-1582) nous apprend qu’il y a bien peu d’âmes qui aillent directement

au ciel en quittant cette terre : Petit nombre d’âmes allant tout droit au

ciel Sainte Thérèse parle de trois religieux qui entrèrent au ciel tout de

suite après leur mort sans passer par le purgatoire… Du second, un Carme,

elle raconte qu’assistant à la messe, plongée dans un profond recueillement,

elle vit ce Père rendre l’esprit et monter au ciel sans entrer au

purgatoire. J’ai appris depuis, écrit-elle, qu’il était mort à l’heure même

où j’avais eu cette vision. Je fus fort étonnée de ce qu’il n’avait pas

passé par le purgatoire ; mais il me fut dit, qu’ayant été très fidèle

observateur de sa Règle, il avait joui de la grâce accordée à l’Ordre par

des bulles particulières touchant les peines du purgatoire. J’ignore à

quelle fin cela me fut dit. Ce fut sans doute pour me faire comprendre que

ce n’est pas l’habit qui fait le religieux, mais que pour jouir des biens

d’un état aussi parfait, il faut en accomplir fidèlement tous les devoirs…

Parmi tant d’âmes dont le sort m’a été révélée, ajoute la

p.244

sainte, je n’en ai vu que trois aller au ciel sans passer par le

purgatoire…Et voici le récit détaillé fait par la sainte du sauvetage

d’une âme par le saint Sacrifice de la messe : Don Bernardin de Mendoza,

frère de l’évêque d’Avila, poussé par son amour pour la Sainte Vierge,

offrit à sainte Thérèse une de ses maisons pour la fondation d’un couvent de

Carmélites aux environs de Valladolid. L’offre fut acceptée. Or il arriva

que deux mois après Don Bernardin fut pris d’un malaise subit qui lui enleva

l’usage de la parole. Il ne put se confesser que par signes. Quelques jours

après il expirait dans une localité fort éloignée de l’endroit où se

trouvait alors sainte Thérèse. Le divin Maître, ajoute la sainte, me dit :"

Ma fille, son salut a été en grand danger, mais j’ai eu compassion de lui,

et lui ai fait miséricorde en considérant le service qu’il a rendu à ma Mère

en donnant cette maison pour y établir un monastère de son Ordre.Néanmoins

il ne sortira du purgatoire qu’à la première messe qui sera dite dans ce

nouveau couvent." A partir de ce jour, poursuit la sainte, les grandes

souffrances de cette âme furent sans cesse présentes à mon esprit ; aussi

malgré tout mon désir de la fondation de Tolède, j’y renonçai pour lors, et

sans perdre un moment je travallai de tout pouvoir à celle de Valladolid.

L’exécution de mon dessein ne put être aussi prompte que je le souhaitais ;

je fus contrainte de m’arrêter durant quelques jours au monastère de

Saint-Joseph d’Avila, dont j’étais prieure, et ensuite à Saint-Joseph de

Medina del Campo, qui se trouvait sur mon chemin. Dans ce dernier monastère,

Notre-Seigneur me dit un jour dans l’oraison :"Hâte-toi, car cette âme

souffre beaucoup." Dès ce jour, rien ne put me retenir. Quoique dépourvue de

bien des choses nécessaires, je me mis en route et j’arrivai à Valladolid le

jour de la fête de saint Laurent. Lorsque je vis la maison où nous devions

habiter, j’éprouvai un sensible déplaisir : si le jardin était beau et

agréable, la maison, située sur le bord de la rivière, était malsaine et il

était impossible de la rendre habitable pour des religieuses à moins d’y

faire de très grandes dépenses. Arrivant fatiguée du voyage, il fallut aller

entendre la messe dans un monastère de notre Ordre situé à l’entrée de la

ville ; c’était si loin

p.245

que la longueur du chemin redoubla ma peine. Néanmoins, je n’en témoignai

rien à mes compagnes, de peur de les décourager. Au milieu de ma faiblesse,

ce que Notre-Seigneur m’avait dit me soutenait, et ma confiance en lui me

faisait espérer qu’il remédierait à tout. A mon retour, j’envoyai

secrètement chercher des ouvriers et, à l’aide de quelques cloisons que je

leur fis élever, j’improvisai  des cellules où nous pouvions être

recueillies. Un des deux religieux qui voulait embrasser la réforme et

Julien d’Avila étaient avec nous. Le premier s’informait de notre manière de

vivre ;le second s’occupait d’obtenir par écrit, du prélat, la permission de

fonder ; car à mon arrivée il ne nous avait donné que de bonnes espérances.

Cela ne put se faire de sitôt, et le dimanche étant venu avant que

l’autorisation nous fût accordée, on nous permit seulement de faire dire la

messe dans le lieu destiné à devenir l’église du monastère. Le saint

Sacrifice y fut offert. J’étais en ce moment fort éloignée de songer que la

prédiction de Notre-Seigneur touchant ce gentilhomme dût s’accomplir alors ;

j’étais au contraire persuadée que par ces paroles : " à la première messe

", le divin Maître désignait celle où l’on mettrait le Très Saint-Sacrement

dans notre église. Au moment de la communion, le prêtre s’avança vers nous,

tenant le saint ciboire en main. J’approchai, et à l’instant même où il me

donnait la sainte hostie, ce gentilhomme m’apparut avec un visage tout

resplendissant, l’allégresse peinte sur ses traits et les mains jointes, il

me remercia de ce que j’avais fait le tirer du purgatoire ; et je le vis

ensuite monter au ciel. Je l’avouerai : la première fois que j’entendis de

la bouche du divin Maître qu’il était en voie de salut, j’étais loin d’une

si consolante pensée ; je ressentais, au contraire, une peine très vive ; il

me semblait qu’après la vie qu’il avait menée, il eût fallu un autre genre

de mort. Si ses vertus et ses bonnes oeuvres me rassuraient, je ne laissais

pas de craindre, parce qu’il était engagé dans les choses du monde. Voici

néanmoins un fait qui est bien en sa faveur : il avait dit à mes compagnes

qu’il songeait très sérieusement à la mort. Oh ! qu’un service, quel qu’il

soit, rendu à la très Sainte Vierge est une grande chose ! Qui dira combien

Notre-Seigneur l’agrée, et combien sa miséricorde est grande ! Qu’il soit

béni et loué de ce qu’il imprime à la

p.246

bassesse, au faible mérite de nos bonnes oeuvres, un tel caractère de

grandeur, et de ce qu’il leur réserve pour salaire une vie et une gloire

éternelle ! Nous avons déjà eu l’occasion de nommer sainte Véronique

Giuliani. Elle se nommait, dans le siècle, Orsola Giuliani, et elle était

née, le 27 décembre 1660, à Mercatello, au diocèse d’Urbino. Elle entra chez

les Capucines en 1678, et se révèla bientôt une âme hautement mystique,

reçut les stigmates de la Passion en 1697, et endura les souffrances du

Christ d’une façon extraordinaire. On lui donna, pour cette raison,

avons-nous dit, le nom d’ "épouse du Crucifié ". Elle devait mourir, Abbesse

des Capucines, à Città di Castello, le 9 juillet 1727. Sur les injonctions

de son directeur, Crivelli, elle avait écrit sa Vie. Voici le récit de la

mort de son père : Prières de Véronique pour son père Avant de quitter

Plaisance, la jeune Orsola, prenant tout son courage, avait dit à son père :

"Maintenant que vous avez le temps, pensez à ce que doit faire un chrétien,

faites une bonne confession." Pendant que je lui disais cela, écrit

Véronique, il changea de visage et me demanda : " Pourquoi me dites-vous

cela ?" Je répondis : " je me sens inspirée de vous le dire." Je savais

qu’il y avait longtemps qu’il ne s’était pas confessé. Je sus qu’il se

confessa peu après. Le pauvre Francesco Giuliani retomba ensuite dans ses

faiblesse. "Il me semblait qu’on me disait mystérieusement que mon père

était mort. Je cherchais à me distraire de ces pensées et à me résigner à la

volonté de Dieu. Peu après je vis mon père en songe. Il était très malade et

dans son agonie se recommandait à mes prières. Je m’éveillai, mais je

demeurai sous le coup d’une appréhension telle que j’eus comme la certitude

que tout cela n’était pas un songe. La nuit suivante, je revis encore mon

père : il était mourant, je le vis expirer. Je m’éveillai sous une poignante

impression de douleur et je pleurai beaucoup. Mon coeur était gros de

larmes, j’étais persuadée que je venais d’assister à la mort de mon père.

J’avais reçu cependant, très peu de temps avant, une lettre où il me disait

qu’il se

p.247

portait bien. Mais après cette dernière nuit, je n’écoutais plus celles qui

venaient pour me persuader que je me trompais et qu’il ne fallait pas croire

aux rêves. Je cherchai à me distraire, mais je ne doutai pas de cette mort.

Enfin, la nouvelle arriva. Il était vraiment mort à l’heure où je l’avais vu

expirer. Mon chagrin fut extrême parce que je craignais pour son âme. Aussi

je priai avec ardeur pour lui. Je vis alors une vision : un endroit horrible

et plein d’épouvante et je compris que l’âme de mon père s’y trouvait.

Jamais je ne pourrais exprimer ma douleur : je craignais que ce ne fût

l’enfer ! Je demeurai longtemps dans cette peine cruelle. Je ne me souviens

pas de lui avoir appliqué des suffrages. Je ne pouvais me mettre à rien, je

ne voulais pas davantage dire la vision que j’avais eue, craignant que ce ne

fût une vision diabolique. Mais cette même vision revint et je vis cette âme

torturée d’une façon affreuse. Dans sa détresse, elle me criait : " C’est à

toi d’obtenir cette grâce." Je la vis souvent dans cet état et elle me

disait qu’elle souffrait encore et qu’elle savait bien qu’elle était dans un

lieu de salut. Je fis beaucoup de pénitences et de prières pour cette âme et

je crus un jour entendre le Seigneur me dire : " Sois tranquille : pour

telle fête, je délivrerai l’âme de ton père des tourments où elle se trouve.

Si tu veux qu’il en soit ainsi, il faut que tu souffres beaucoup." J’étais

prête à tout souffrir pour obtenir cette grâce. Mes soufrances furent très

grandes. Après la fête de sainte Claire, je crus voir l’âme de mon père,

mais non dans le même lieu d’horreur. C’était encore le purgatoire,

cependant. J’ai longtemps supplié le Seigneur de me donner la délivrance de

cette âme. Bien des semaines après, j’eus cette révélation que je devais

avoir beaucoup de regrets de n’avoir pas osé parler à mon père avec la

liberté qu’il eût fallu. Je connaissais bien le lamentable état de sa

conscience, et si je lui en avais dit quelque chose il se serait amendé. Je

fis donc tous les jours mes oraisons pour cette âme et je la vis souffrir

beaucoup.Je suppliai Dieu de toutes les forces de mon coeur de vouloir bien

la délivrer de ses tourments. Je vis cette âme pendant la nuit de Noel. Un

ange vint la prendre par la main et je vis mon père tel qu’il était pendant

sa vie, mais revêtu de blanc. Il me salua et me remercia de ma charité.

Aussitôt, il devint éclatant de lumière. Je ne le vis plus sous une forme

humaine, il disparut avec l’ange. Le matin, après la commu –

p.248

nion, je revis encore cette âme toute belle et resplendissante. Elle me dit

qu’elle n’avait pas été la seule délivrée du purgatoire, beaucoup d’autres

avaient été délivrées aussi. Je les vis toutes, en grand nombre. La plume

est incapable de décrire le bonheur que je ressentais. Je pense que Dieu m’a

accordé cette grâce d’abord par les prières de la Sainte Vierge Marie, puis

par celles de mes Soeurs. Pour racheter les âmes, Véronique souffrait, au

purgatoire même, pour l’âme qu’elle voulait délivrer : Il me semble,

dit-elle en décrivant la peine qu’elle avait à souffrir, il me semble que

mon âme était dans un abandon complet, extérieur et intérieur, comme si Dieu

m’avait dépouillée de tout et que plus jamais, en cette vie ni en l’autre,

je ne participerais à aucun bien, que plus jamais je ne pourrais me

recommander à la Sainte Vierge ni aux saints. C’est une douleur

indescriptible et qui dura le temps que j’eus à passer dans ce lieu affreux.

Il me semblait que ce temps ne finirait jamais et que toujours j’expierais.

Nul ne venait à mon aide. J’étais seule et abandonnée. Une heure de ces

souffrances, c’est une éternité. La douleur physique s’ajoutait à la douleur

morale. Il me semblait qu’on me triturait les os, qu’on me travaillait les

chairs, qu’on me jetait dans une fournaise, puis dans une glacière. Je

tremblais de douleur. En même temps, on me rouait de coups avec toutes

sortes d’instruments. Dans ces tourments, j’eus quelques communications avec

Dieu : il me fit comprendre que les peines que je subissais étaient celles

du purgatoire et qu’il me les faisait endurer pour libérer les âmes.

Contemporaine ou légèrement plus agée que Véronique, sainte Marguerite-Marie

Alacoque (1647-1690) fit des expériences analogues, mais moins dramatiques.

Entrée au ciel de diverses personnes, vues par sainte Marguerite-Marie Le 2

mai (1863), la bienheureuse annonçait à la Mère de Saumaize l’entrée au ciel

de deux religieuses de la Visitation : "Vive Jésus ! ma bonne Mère, mon âme

se sent pénétrée d’une si grande joie que j’ai peine à la contenir en

moi-même. Permettez-moi que je la communique à votre

p.249

coeur pour soulager le mien qui ne sort guère de celui ce Notre-Seigneur

Jésus-Christ. Ce matin, dimanche du bon Pasteur, deux de mes bonnes amies

souffrantes, à mon réveil, me sont venues dire adieu, que c’était le jour

que le souverain Pasteur les recevait dans son Bercail éternel, avec plus

d’un million d’autres, en la compagnie desquelles elles sont allées avec

chants d’allégresse inexplicables. L’une est la bonne Mère de Monthaux,

l’autre, ma Soeur Jeanne-Catherine, qui me répétait sans cesse ces paroles :

"L’amour triomphe, l’amour jouit, l’amour en Dieu se réjouit :" L’ autre

disait : " Bienheureux les morts qui meurent au Seigneur et les religieuses

qui vivent et meurent dans l’exacte observancee de leurs règles." Elles

veulent que je vous dise de leur part : " Que la mort peut bien séparer les

amis mais non les désunir :", ceci est la bonne Mère et l’autre : " Vous

serez aussi bonne fille dans le ciel que vous avez été bonne mère sur la

terre." Si vous saviez combien mon âme est transportée de joie, car en leur

parlant je les voyais peu à peu se noyer et s’abîmer dans la gloire, comme

une personne qui se noie dans un vaste océan.La soeur Marguerite-Marie, dans

cette même année 1683, eut aussi une révélation de la gloire de la Mère

Anne-Séraphine Boulier, cette sainte religieuse, supérieur du monastère de

Dijon, avait rassuré la Mère de Saumaize, lors de la profession de notre

bienheureuse. Elle mourut le 7 septembre. Le 4 novembre, la soeur

Marguerite-Marie la voyait déjà jouissant de son souverain bien, "qui la

rend toute-puissante à nous donner des marques d’une vraie amitié". Plus

tard, elle la vit "bien haute dans la gloire et dans les rangs de ces

séraphins destinés à rendre un continuel hommage au Sacré-Coeur de Jésus,

pour réparer les amertumes que ce saint Coeur a souffertes et souffre encore

au Très Saint-Sacrement, par l’ingratitude et la froideur des nôtres ". Le

plus souvent, en même temps qu’elle était instruites des douleurs endurées

par certaines âmes du purgatoire, elle y participait d’une manière

merveilleuse et terrible. Un jour, elle priait devant le Saint-Sacrement ;

soudain, devant elle se présente une personne tout en feu ; les flammes

brûlent si ardentes qu’il lui semble qu’elle en est toute pénétrée. A cette

vue, sous ces tortures dévorantes, ses larmes jaillissent, abondantes, l’âme

qui lui apparaît est celle d’un religieux bénédictin de la Congrégation de

Cluny.

p.250

Prieur de Paray, il l’avait confessée une fois et lui avait ordonné de faire

la sainte communion.Il lui demande aujourd’hui de lui appliquer pendant

trois mois les mérites de toutes ses prières et de toutes ses souffrances.

Il lui  découvre alors les causes de son rude purgatoire ; trop d’attache à

sa réputation lui a fait préférer son propre intérêt à la gloire de Dieu ;

il manqua de charité envers ses frères ; dans ses entretiens spirituels et

dans ses rapports avec les créatures, il avait trop d’attache naturelle, et

cela déplaisait beaucoup à Dieu. Pendant trois mois, il se tint près de sa

victime volontaire, ne la quittant point, et, du côté où il se trouve, elle

brûle comme tout en feu. La douleur très vive la fait pleurer

continuellement. La supérieure, qui sait tout, qui a tout approuvé, touchée

de compassion, lui ordonne des pénitences et des disciplines. Au bout de

trois mois, le bénédictin lui apparaît, tout éclatant de gloire ; il monte

au ciel ; après l’avoir remerciée, il l’assure qu’à son tour il la

protégera.Dans tous ces morceaux, nous trouvons le même esprit, la même

coloration, le même climat. Tout cela ne s’impose aucunement à notre foi, en

tant que telle, mais tout cela est en pleine conformité à notre foi. Il y a

un purgatoire. Il est en fait pour ce que nous appellerions "les âmes

moyennes", c’est-à-dire pour l’immense majorité des âmes. On ne peut

l’éviter qu’en faisant pleine pénitence ici-bas pour toutes ses fautes. Le

nombre de ceux qui échappent au purgatoire semble être très petit. C’est le

fait des très grands saints seulement. Mais, ce qui est consolant, c’est que

l’Eglise "souffrante", ainsi que nous l’appelons, nous reste étroitement

unie par la pensée et la charité. Nous pouvons beaucoup pour ces âmes et

elles peuvent beaucoup pour nous. Nous citerons en dernier lieu, dans le

même sens, un trait de la vie de la prodigieuse petite Gemma Galgani, vierge

de Lucques, en Italie, 1878-1903. Substitution  Gemma connut par voie

surnaturelle qu’une religieuse passioniste du monastère de Corneto, belle

âme très chère à Dieu, venait de tomber mortellement malade. Elle me demanda

si le fait était exact, et, sur ma réponse affirma-

p.251

tive, supplia Jésus de faire payer ici-bas à sa servante ses dettes de la

justice divine pour qu’à sa mort le ciel lui fût promptement ouvert. Le

Seigneur l’exauça, du moins en partie, car la fervente religieuse ne mourrut

qu’après plusieurs mois de cruelles souffrances. Elle apparut alors à la

jeune fille sous les traits les plus douloureux, implorant son secours dans

les peines terribles qu’elle endurait en purgatoire à cause de certains

défauts. Il n’en fallait pas davantage pour émouvoir toutes les fibres de

son coeur. Afin de procurer à la pauvre Soeur de nombreux suffrages, Gemma

se hâta d’annoncer son décès à sa famille adoptive, la désignant par son nom

de religion pourtant inconnu à Lucques : Marie-Thérèse de l’Enfant-Jésus ;

et elle-même, à partir de ce moment, ne connut plus de repos. Sans trêve,

elle priait, pleurait, luttait amoureusement avec son Seigneur : "Jésus,

sauvez-la ", l’entendait-on s’écrier. "Jésus, envoyez vite Thérèse en

paradis. C’est une âme qui vous est bien chère ; faites-moi beaucoup

souffrir pour elle, je la veux sauvée." Victime volontaire, la généreuse

enfant souffrit cruellement seize jours consécutifs, au bout desquels la

justice divine, étant satisfaite, sonna l’heure de la délivrance. Elle

m’écrivit alors : "Vers une heure et demie de la nuit, la Madone est venue,

m’a-t-il semblé, m’annoncer que le moment était proche. Quelques instants

après, j’ai cru voir s’avancer vers moi Marie-Thérèse, vêtue en religieuse

passioniste, accompagnée de son ange et de Jésus. Ah ! que son état était

différent de celui du jour où je l’avais vue pour la première fois !

S’approchant de moi, toute souriante, elle m’a dit : "Je suis vraiment

heureuse, et je vais jouir de mon Jésus pour toujours." Après de nouveaux

remerciements, elle m’a fait de la main, à plusieurs reprises, un geste

d’adieu, et, avec Jésus et son ange, elle a pris aussitôt son essor vers les

cieux. C’était environ deux heures et demie de la nuit. Cédons la parole

maintenant à une bouche beaucoup moins mystique, Marceline Desbordes-Valmore

(1785-1859) qui, dans un poème intitulé Les sanglots, met en scène une âme

qui aperçoit l’enfer, puis se rend en purgatoire, dont elle espère être

délivrée par Marie, sa mère :

p.252

Les sanglots  Ah ! l’enfer est ici ; l’autre me fait moins peur ; Pourtant

le purgatoire inquiète mon coeur. On m’en a trop parlé pour que ce nom

funeste Sur un si faible coeur ne serpente et ne reste ! Et pourtant le flot

des jours me défait fleur à fleur, je vois le purgatoire au fond de ma

pâleur. S’ils ont dit vrai, c’est là qu’il faut aller s’éteindre, O Dieu de

toute vie, avant de vous atteindre ! C’est là qu’il faut descendre et sans

lune et sans jour, Sous le poids de la crainte et la croix de l’amour, Pour

entendre gémir les âmes condamnées, Sans pouvoir dire : "Allez, vous êtes

pardonnées !" Sans pouvoir les tarir, ô douleur des douleurs ! Sentir

filtrer les sanglots et les pleurs : Se heurter dans la nuit des cages

cellulaires Que nulle aube ne teint de ses prunelles claires ; Ne savoir où

crier au Sauveur méconnu : "Hélas ! mon doux Sauveur, n’étiez-vous pas venu

?" Ah ! j’ai peur d’avoir peur, d’avoir froid, je me cache Comme un oiseau

tombé qui tremble qu’on l’attache. Je rouvre tristement mes bras au

souvenir… Mais c’est le purgatoire et je le sens venir ! C’est là que je

sens après la mort menée, Comme une esclave en faute au bout de sa journée.

Cachant sous ses deux mains son front pâle et flétri, Et marchant sur son

coeur par la terre meurtri ! Ciel ! où m’en irai-je Sans pieds pour courir ?

Ciel ! où frapperai-je Sans clef pour ouvrir ?

p.253

Sous l’arrêt éternel repoussant ma prière, Jamais plus le soleil n’atteindra

ma paupière, Pour l’essuyer du monde et des tableaux affreux Qui font

baisser partout mes regards douloureux. Plus de soleil ! Pourquoi ? Cette

lumière aimée Aux méchants de la terre est partout allumée.Sur une pauvre

coupable à l’échafaud conduit, Comme un doux : "Viens à moi !" l’ordre

s’épanche et luit. Plus de feu nulle part ! plus d’oiseau dans l’espace !

Plus d’Ave Maria dans la brise qui passe ! Au bord des lacs taris plus un

roseau mouvant, Plus d’air pour soutenir un atome vivant ! Ces fruits que

tout ingrat sent fondre sous sa lèvre Ne feront plus couler leur fraîcheur

dans ma fièvre ; Et de mon coeur absent qui viendra m’oppresser J’amasserai

les pleurs sans pouvoir les verser.Ciel ! où m’en irai-je Sans pieds pour

courir ? Ciel ! où frapperai-je Sans clef pour ouvrir ? Plus de ces

souvenirs qui m’emplissent de larmes, Si vivants que toujours je vivrais de

leurs charmes; Plus de famille au soir assise sur le seuil Pour bénir son

sommeil chantant devant l’aieul ; Plus de timbre adoré dont la grâce

invincible Eût forcé le néant à devenir sensible ! Plus de livres divins

comme effeuillés des cieux, Concerts que tous mes sens écoutaient par mes

yeux. Ainsi, n’oser mourir quand on n’ose plus vivre, Ni chercher dans la

mort un ami qui délivre !

p.254

O parents ! pourquoi donc vos fleurs sur nos berceaux, Si le ciel a maudit

l’arbre et les abrisseaux ? Ciel ! où m’en irai-je Sans pieds pour courir ?

Ciel ! où frapperai-je Sans clef pour ouvrir ? Sans la croix qui s’incline à

l’âme prosternée, Punie après la mort du malheur d’être née ! Mais quoi,

dans cette mort qui se sent expirer, Si quelque cri lointain me disait

d’espérer ! Si dans ce ciel éteint quelque étoile pâlie Envoyait sa lueur

mélancolie ! Si des yeux inquiets s’allumaient pour me voir ! Sous ces

arceaux tendus d’ombre et de désespoir. Ah ! ce serait ma mère intrépide et

bénie, Descendant réclamer sa fille assez punie ! Oui, ce sera ma mère,

ayant attendri Dieu, Qui viendra me sauver de cet horrible lieu Et relever

au vent de la jeune espérance Son dernier fruit tombé, mordu par la

souffrance. Je sentirai ses bras si doux, si beaux, si forts, M’étreindre et

m’enlever dans ses puissants efforts. Je sentirai couler dans mes naissantes

ailes L’air pur qui fait monter les libres hirondelles, Et ma mère, en

fuyant pour ne plus revenir, M’emportera vivante à travers l’avenir ! Mais

avant de quitter les mortelles campagnes, Nous irons appeler des âmes pour

compagnes ; Au fond du champ funèbre où j’ai mis tant de fleurs, Nous

abattre aux parfums qui sont nés de mes pleurs ;

p.255

Et nous aurons des voix, des transports et des flammes, Pour crier :

"Venez-vous !" à ces dolentes âmes. Venez-vous vers l’été qui fait tout

refleurir, Où nous allons aimer sans pleurer, sans mourir ! "Venez ! venez

voir Dieu ! Nous sommes ses colombes ; Jetez là vos linceules, les cieux

n’ont plus de tombes ; "Le sépulcre est rompu par l’éternel amour : Ma mère

nous enfante à l’éternel Séjour." Si nous osons comparer ce morceau

d’imagination parfois discutable avec les pages des grandes mystiques, dont

nous avons receuilli les voix, à qui donner la palme ? Quelle sûreté, quelle

élévation, quelle beauté, et même quelle poésie, chez celles-ci, qui les

placent bien au-dessus de celle-là ! Au terme de ces citations sur le

purgatoire, nous n’oublierons pas cette recommandation de la Vierge aux

trois enfants de Fatima, en 1917 : Après chaque dizaine de chapelet, vous

direz maintenant : "Mon Jésus, pardonnez-moi mes offenses, gardez-moi du feu

de l’enfer et consolez les âmes du purgatoire, principalement les plus

délaissez."

 

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