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Les Gloires de Marie
Saint Alphonse-Marie de Liguori
(1ère partie : commentaire du Salve Regina)
CHAPITRE III : O notre espérance, nous vous saluons !
MARIE, NOTRE ESPÉRANCE
I Marie est l’espérance de tous les hommes
Les hérétiques modernes sont révoltés de nous entendre saluer et invoquer Marie comme notre
Espérance. Spes nostra, salve ! Dieu seul, disent-ils, est notre espérance, et il maudit quiconque met son
espérance dans la créature, car il est écrit : Malédiction à l’homme qui se confie en un homme. Comment
donc Marie peut-elle être notre espérance, puisqu’elle est une simple créature ? Ainsi disent les hérétiques
; mais, nonobstant leurs clameurs, la sainte Église veut que, chaque jour, tous les ecclésiastiques et tous
les religieux élèvent la voix vers Marie, et qu’au nom de tous les fidèles, ils l’invoquent et la saluent du
nom si doux de notre Espérance, Espérance de tous les hommes : Spes nostra, salve ! " ô notre
Espérance, nous vous saluons ! "
Selon saint Thomas, il est deux manières de placer son espérance en une personne, selon qu’on la
considère comme cause principale, ou comme cause intermédiaire, Ceux qui attendent du roi quelque
faveur, l’attendent de lui comme souverain, et de son ministre ou favori comme intercesseur. Si la grâce
est accordée, elle viendra principalement du roi, mais par l’intercession de son favori ; ainsi, celui qui la
sollicite, a bien raison d’appeler l’intercesseur son espérance. Le Roi du ciel, en raison de sa bonté infinie,
désire extrêmement nous enrichir de ses grâces ; mais pour cela la confiance est nécessaire de notre part ;
voulant donc augmenter en nous cette confiance, il nous a donné pour Mère et pour Avocate sa propre
Mère, et l’a investie de tout pouvoir pour nous appuyer ; il veut en conséquence que nous mettions en elle
l’espoir de notre salut et de tous les biens. Ceux qui placent leur espérance dans les créatures, et d’une
manière indépendante de Dieu, comme font les pécheurs, qui ne reculent pas devant l’offense de Dieu,
pour gagner l’amitié ou la faveur d’un homme, ceux-là sans aucun doute sont maudits de Dieu, ainsi que
le déclare le prophète. Mais ceux qui espère en Marie comme Mère de Dieu, ayant le pouvoir de leur
obtenir la grâce et la gloire, sont bénis du Seigneur ; ils font ce qui est agréable à son coeur, car Dieu se
plaît à voir honorer cette sublime créature, qui l’a aimé et glorifié en ce monde plus que tous les hommes
et tous les anges.
C’est donc à juste titre que nous proclamons la bienheureuse Vierge notre Espérance, puisque, selon le
cardinal Bellarmin, nous espérons obtenir par son intercession ce que n’obtiendraient pas nos prières
seules – Nous la prions, dit Suarez, afin que la dignité d’une telle Médiatrice supplée à notre bassesse. Or,
ajoute-t-il, prier Marie avec une telle espérance, ce n’est pas témoigner que nous nous défions de la
miséricorde divine, mais que nous tremblons à la pensée de notre indignité.
Ainsi, l’Église a raison d’appeler Marie, par un mot emprunté à l’Ecclésiastique, la Mère de la sainte
espérance, c’est-à-dire, celle qui fait naître en nous, non la vaine espérance des biens misérables et
passagers de cette vie, mais la sainte espérance des biens immenses et éternels de la vie future.
Saint Ephrem, s’adressant à la divine Mère, s’écrie : " Recevez mes hommages, ô Marie, ô l’espérance de
mon âme, le slut assuré des chrétiens, le refuge des pécheurs, le rampart des fidèles et le salut du monde
entier " ! – Saint Bonaventure nous avertit qu’après Dieu, nous n’avons pas d’autre espérance que Marie.
Et saint Ephrem, considérant l’ordre présent de la Providence, selon lequel Dieu a décrété, comme
l’affirme saint Bernard, que tous ceux qui se sauvent, soient redevables de leur salut à l’intercession de
Marie, saint Ephrem, disons-nous la prie en ces termes : O grande Reine ! ne cessez point de veiller sur
nous et de nous couvrir du manteau de votre protection, car après Dieu, vous être notre seul espoir. Saint
Thomas de Villeneuve proclame également Marie notre unique refuge, notre unique ressource, notre
unique asile.
Tous ces beaux titres décernés à la divine Mère, saint Bernard semble vouloir les justifier quand il écrit : "
Considère, ô homme, le dessein de Dieu, en vue de nous dispenser ses miséricordes avec plus
d’abondance : ayant décrété le rachat du genre humain, il a remis entre les mains de Marie tout le prix de
la rédemption afin qu’elle le leur distribue à son gré ".
Quand Dieu commanda à Moïse de faire le propitiatoire : Tu le feras, dit-il, d’un or très pur ; c’est de là
que je te parlerai et te donnerai mes ordres. Selon la remarque d’un auteur, Marie est le vrai propitiatoire
d’où le Seigneur parle aux hommes, et leur accorde le pardon de leurs fautes, ses grâces, et tous ses
bienfaits : " Vous êtes pour l’univers entier le propitiatoire d’où le Seigneur nous parle au coeur, rend des
oracles pleins de douceur et de clémence, nous distribue ses faveurs, et répand, en un mot, tous les biens
sur nous ". Avant de s’incarner dans le sein de Marie, le Verbe divin lui fit demander son consentement
par un archange. Pourquoi cela ? Il voulait, répond saint Irénée, que de Marie nous vinssent tous les
biens, notamment l’Incarnation, qui les renferme tous. Ainsi, conclut le savant Idiot, tout ce que les
hommes ont reçu ou recevront jamais de biens, de secours, de grâces, c’est pas l’intercession et par les
mains de Marie que Dieu le leur a toujours accordé, et le leur accordera toujours.
O Marie, s’écrier avec raison le pieux Louis de Blois, quel sera l’insensé, le malheureux qui refusera de
vous aimer, vous, si aimable et si généreuse envers ceux qui vous aiment ! Vous éclairez l’esprit de ceux
qui s’adressent à vous dans leurs doutes et leurs perpléxités ; vous consolez dans leurs afflictions ceux qui
se confient en vous ; vous secourez ceux qui vous invoquent dans le péril. Après votre divin Fils, vous
êtes le salut assuré de vos serviteurs fidèles. Je vous salue donc, ô espérance des désespérés et secours
des abandonnés ! O Marie, vous êtes toute-puissante, puisque votre Fils vous honore au point d’accomplir
sans nul retard vos désirs.
A son tour, saint Germain voyait en Marie la source de tous les biens et en attendait la délivrance de tous
les maux. " O ma Souveraine, lui disait-il, par la volonté de Dieu, vous êtes ma consolation, le guide de
mon pèlerinage, la force de ma faiblesse, la richesse de mon indigence, le remède de mes blessures, le
soulagement de mes douleurs ; vous seule pouvez briser mes chaînes, sur vous je fonde l’espoir de mon
salut ; exaucez mes prières, soyez touchée de mes soupirs, ô vous, ma Maîtresse, mon refuge, ma vie,
mon secours, ma force et mon espérance " !
Elle est donc pleine de justesse, l’application que fait saint Antonin à Marie, de ces mots de la Sagesse :
Tous les biens me sont venus conjointement avec elle. Et, en effet, comme l’affirme ce saint, Marie étant
la Mère et la Dispensatrice de tous les biens, le genre humains, et spécialement quiconque qui est attaché
au service de cette grande Reine, peut se féliciter d’avoir obtenu tous les biens par le moyen de Marie et
de la dévotion envers elle. De là cette affirmation absolue de l’abbé De Celles : " Qui trouve Marie, trouve
tous les biens ". Il trouve toutes les grâces, toutes les evertus, car, par sa puissante intercession, elle lui
obtient tout ce dont il a besoin, et l’enrichit de tous les dons célestes. Elle-même nous fait savoir par la
bouche du Sage, qu’elle tient entre ses mains toutes les richesses de Dieu, c’est-à-dire, les divines
miséricordes, pour les distribuer à ceux dont elle est aimée. Nous devons donc, selon l’avertissement de
saint Bonaventure, tenir sans cesse les yeux fixés sur les mains de cette tendre Mère, afin de recevoir par
son moyen les biens que nous souhaitons.
Oh ! combien d’orgueilleux ont trouvé l’humilité dans la dévotion à Marie ! combien de colères, la
mansuétude ! combien d’aveugles, la lumière ! combien de désespéré, la confiance ! combien d’âmes
perdues, le salut ! Mais tout cela, n’est-il pas renfermé dans quelques mots prophétiques de Marie
elle-même ? Dans le sublime cantique qu’elle chanta chez Élisabeth, n’a-t-elle pas dit : Voici que
désormais toutes les nations me proclameront bienheureuse ? Ces paroles, saint Bernard les lui redit en
les complétant : Oui, toutes les générations vous proclameront bienheureuse, parce qu’à toutes les
générations vous avez donné la vie et la gloire ; car en vous les pécheurs trouvent le pardon, et les justes
la persévérance dans la grâce de Dieu.
Le pieux Lansperge fait ainsi parler Notre-Seigneur à l’humanité entière : Pauvres enfants d’Adam, qui
vivez au milieu de tant d’ennemis et parmi tant de misères, ayez soin d’honorer avec une affection
particulière celle qui est ma Mère et la vôtre. Car j’ai donné Marie au monde comme le modèle dont vous
puissiez apprendre à vivre saintement, et comme le refuge auquel vous puissiez recourir dans vos
afflictions. Je l’ai formée moi-même de telle sorte que personne ne puisse la craindre ni avoir de
répugnance à l’invoquer ; c’est pourquoi je l’ai créée avec un naturel si plein de bonté et de compassion,
qu’elle ne saurait mépriser aucun de ceux qui ont recours à elle, ni refuser une faveur qu’on lui demande ;
elle tient ouvert à tous le sein de sa miséricorde, et ne permet jamais qu’après s’être jeté à ses pieds, on se
retire sans être consolé. – Louée soit donc et bénie à jamais l’immense bonté de notre Dieu, qui nous a
donné cette Mère, et cette Avocate si tendre et si aimante.
O Dieu ! quelle tendresse dans les sentiments de confiance que saint Bonaventure, si embrasé du divin
amour, ressentait à l’égard de notre très aimant Rédempteur Jésus, et de notre très aimante Avocate Marie
! Le Seigneur m’eût-il réprouvé, disait-il, je sais qu’il ne peut se refuser à quiconque l’aime et le cherche
de coeur. Je le serrerai dans les bras de mon amour, et, s’il ne me bénit, je ne le laisserai point aller ; il ne
pourra se retirer, sans m’entraîner avec lui. Si je ne puis faire autre chose, je me cacherai au moins dans
ses plaies ; tant que je demeurerai là, il ne pourra me trouver hors de lui. – Enfin, ajoutait-il, si, en haine
de mes péchés, mon Rédempteur me chasse loin de lui, j’irai me jeter aux pieds de sa Mère ; et là
prosterné, je ne partirai point qu’elle ne m’ait obtenu mon pardon. Car cette Mère de miséricorde ne sait
et n’a jamais su être insensible aux misères, ni refuser d’exaucer les misérables qui ont recours à sa
protection. Ainsi, concluait le saint, si ce n’est par obligation, au moins par compassion, elle ne manquera
pas d’engager son divin Fils à me pardonner.
Terminons, en disant avec Euthymius : Abaissez, ô Mère de miséricorde, abaissez vos regards
miséricordieux sur nous, qui sommes vos serviteurs, et qui avons mis en vous toute notre espérance.
EXEMPLE
On lit dans le Trésir du Rosaire, qu’un gentil homme, animé d’une grande dévotion envers la Mère de
Dieu, s’était fait dans sa maison un pieux oratoire où il allait souvent prier devant une belle image de
Marie, non seulement pendant le jour, mais encore pendant la nuit, interrompant son repos pour honorer
ainsi sa Reine bien-aimée. Or, son épouse, personne du reste de beaucoup de piété, observant qu’il se
levait dans le plus profond silence de la nuit, sortait de la chambre, et ne revenait qu’au bout d’un temps
considérable, conçut malheureusement de mauvais soupçons. Tourmentée par cette cruelle épine, elle
hasarda un jour de demander à son mari s’il aimait une autre femme qu’elle. Il lui répondit en souriant : "
Sache que j’aime la dame la plus aimable du monde. Je lui ai donné tout mon coeur, et je mourrais plutôt
que de cesser de l’aimer. Si tu la connaissais davantage, tu me dirais toi-même de l’aimer davantage. "
Il entendait parler de la Sainte Vierge, qu’il aimait d’un amour si tendre ; mais la pauvre femme, ne faisant
que tomber dans une plus grande inquiétude, voulut s’assurer de la vérité et l’interrogea de nouveau, afin
de savoir si c’était pour aller trouver cette dame qu’il se levait la nuit et sortait de l’appartement. Le
gentilhomme, qui ne connaissait pas la violente agitation de son épouse, répondit que oui. Ainsi persuadée
d’une chose qui n’était pas, et aveuglée par la passion, que fit alors cette malheureuse ? Une nuit que son
mari était sorti de sa chambre à l’ordinaire, de désespoir, elle prit un couteau et se coupa la gorge ; peu
après, elle expira.
Le mari, ayant accompli sa dévotion, retourne dans l’appartement, va pour se remettre au lit, et le trouve
tout trempé ; il appelle sa femme, et elle n rµpond point ; il la secoue de la main, et elle reste insensible. A
la fin, ayant pris de la lumière, il voit le lit plein de sang et son épouse étendue morte. Il comprit alors
qu’elle s’était tuée dans un accès de jalous, et que fit-il ? Il ferma la chambre à clef, et revint à la chapelle,
se prosterna devant la sainte Vierge, et là, pleurant à chaudes larmes, il se mit à dire : " Ma Mère ! voyez
dans quelle affliction je me trouve ; si vous ne me consolez, à qui dois-je recourir ? Songez que c’est pour
être venu ici vous honorer, que j’ai le malheur de voir mon épouse morte et damnée. Ma Mère ! vous le
pouvez, ah ! réparez ce malheur ". Lorsqu’on invoque avec conviance cette Mère de Miséricorde, on en
obtient tout ce qu’on veut. A peine le gentilhomme a-t-il fini sa prière, qu’il entend une servante lui dire : "
Monsieur, veuillez retourner à votre chambre ; Madame vous demande ". Mais, dans l’excès de sa joie, il
n’ose croire cette heureuse nouvelle : " Allez voir, répond-il, s’il est bien vrai qu’elle me demande. – Oui,
dit la servante au retour, venez vite ; Madame vous attend ".
Il va, ouvre la chambre, et voit son épouse pleine de vie, qui, se jetant à ses pieds, les arrose de ses
larmes et le prie de lui pardonner, en disant : " Ah ! mon fidèle époux ! grâce à vos prières, la Mère de
Dieu m’a délivrée de l’enfer " ! Alors tous deux, pleurant de joie, se rendirent à l’oratoire pour remercier la
bienheureuse Vierge. Le lendemain, le mari invita tous ses parents à un festin, et leur fit raconter le fait
par sa femme elle-même ; celle-ci leur montra la marque de sa blessure, qui était encore visible ; et toute
la famille conçut pour la divine Mère des sentiments de confiance plus vifs que jamais.
PRIERE
O Mère du saint amour, notre vie, notre refuge, et notre espérance ! vous savez que Jésus-Christ, votre
Fils, non content de se faire notre perpétuel avocat auprès de son Père, veut en outre que vous
intercédiez auprès de lui-même pour nous obtenir les divines miséricordes. Il a décrété que vos prières
nous aideraient à nous sauver, et il leur a donné tant de force qu’elles sont toujours exaucées. C’est
donc à vous, ô espérance des malheureux, c’est à vous que je m’adresse, moi misérable pécheur ;
j’espère que, par les mérites de Jésus-Christ et par votre intercession, je ferai mon salut. Telle est ma
confiance, et elle va si loin que, si mon salut éternel était entre mes mains, je le remettrais dans les
vôtres ; car je me fie plus en votre miséricorde et en votre protection que dans toutes mes oeuvres. Ma
Mère et mon espérance, ne m’abandonnez pas, comme je le mériterais ; considérez ma misère, et
laissez-vous toucher de ma compassion ; secourez-moi et sauvez-moi. Bien des fois, je le confesse, mes
péchés ont fermé la porte aux lumières et aux secours que vous m’avez obtenu de Dieu ; mais votre
compassion pour les misérables et votre pouvoir auprès du Seigneur surpassent le nombre et la malice
de mes iniquités. C’est une chose connue du ciel et de la terre que celui que vous protégez ne saurait se
perdre. Que je sois donc oublié de toutes les créatures, mais non de vous, ô Mère du Tout-Puissant !
Dites à Dieu que je suis votre serviteur, dites-lui que vous prenez ma défense, et je serai sauvé. O
Marie, je me confie en vous ; c’est avec cette confiance que je vie et que je veux et espère mourir,
disant toujours : " Mon unique espérance est Jésus, et, après Jésus, la vierge Marie ".