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Les Gloires de Marie
Saint Alphonse-Marie de Liguori
(1ère partie : commentaire du Salve Regina)
CHAPITRE I : Nous vous saluons, ô Reine, Mère de miséricorde !
MARIE, NOTRE REINE, NOTRE MÈRE
III Combien est grand l’amour que nous porte Marie, notre Mère
Après avoir établi que Marie est notre Mère, il est juste de considérer à quel point elle nous aime.
L’amour des parents envers leurs enfants est un amour nécessaire ; c’est pour cette raison, suivant la
remarque de saint Thomas, que la loi divine, qui impose aux enfants l’obligation d’aimer leurs parents, ne
fait point aux parents un précepte formel d’aimer leurs enfants. La nature a si profondément implanté
dans les entrailles de tout être vivant l’amour de sa progéniture, que, comme le dit saint Ambroise, les
bêtes même les plus sauvages ne peuvent s’empêcher d’aimer leurs petits. On raconte même qu’aux cris
de leurs petits, embarqués par les chasseurs, les tigres se jettent à la met, et suivent le vaisseau à la nage
jusqu’à ce qu’ils le rejoignent. Si donc, nous dit notre tendre Mère Marie, si les tigres mêmes aiment tant
leurs petits, comment pourrais-je, moi, cesser de vous aimer, d’aimer mes enfants ? Une mère peut-elle
oublier son enfant, et perdre toute tendresse à l’égard du fruit de ses entrailles ? mais, quand même
elle l’oublierait, moi, je ne l’oublierai point, disait le Seigneur à son peuple ; Marie nous dit la même
chose : Non, quand même, par impossible, une mère oublierait son fils, il n’arrivera jamais que je renonce
à ma tendresse envers une âme.
Marie, est notre Mère, comme nous l’avons dit, non par la chair, mais par l’amour : Je suis la Mère de
belle dilection. C’est donc uniquement en raison de sa tendresse à notre égard qu’elle est notre Mère ; et
voilà, remarque un auteur, pourquoi elle se glorifie d’être Mère d’amour ; nous ayant adoptés pour ses
enfants, elle est toute amour pour nous. Qui pourrait expliquer l’amour que Marie nous porte parmi nos
misères ? Selon le même auteur, en assistant à la mort de Jésus-Christ, elle brûlait d’un extrême désir de
mourir avec son divin Fils pour l’amour de nous. Ainsi, ajoute saint Ambroise, pendant que le Fils mourait
pour nous sur la croix, la Mère se présentait aux bourreaux, toute prête à donner également sa vie pour
notre amour.
Mais nous nous ferons une plus juste idée du grand amour de cette bonne Mère envers nous, si nous en
considérons les motifs.
Le premier, c’est son immense amour pour Dieu. Selon saint Jean, l’amour de Dieu et celui du prochain,
sont l’objet du même précepte : C’est là un commendement que nous avons reçu de Dieu : elui qui aime
Dieu, doit aimer aussi son frère ; aussi ces deux amours sont toujours unis, et l’un ne peut grandir sans
que l’autre grandisse d’autant. Voyez les saints, qui aimaient Dieu si ardemment, que n’ont-ils pas fait
pour le bien du prochain ! Dans leur désir de le sauver, ils en sont venus jusqu’à exposer et sacrifier leur
liberté, et même leurs jours. Leurs histoires sont pleines de traits de la plus héroïque charité. Afin de venir
en aide aux peuplades barbares de l’Inde, saint François Xavier gravissait en rampant des montagnes
escarpées, et allait à travers milles dangers, trouver au fond des cavernes les malheureux qui y vivaient
comme des bêtes sauvages, et qu’il voulait amener à Dieu. Dans ses missions aux hérétiques du Chablais,
saint François de Sales se hasarda chaque jour, une année durant, à passer une rivière en se cramponnant
des mains et des pieds sur une poutre parfois couverte de glaçons, afin d’aller sur l’autre rive prêcher ses
obstinés. Saint Paulin se fit esclave, pour rendre à liberté le fils d’une pauvre veuve ; saint Fidèle de
Sigmaringen s’estima heureux de perdre la vie en prêchant la vraie foi à un peuple hérétique. Comment les
saints ont-ils pu pousser si loin l’amour du prochain ? C’est qu’ils aimaient Dieu très ardemment. Or, qui
l’a plus aimé que Marie ? Elle a plus aimé Dieu au premier moment de sa vie, que ne l’ont aimé tous les
saints et tous les anges dans tout le cours de leur existence, comme nous le feront voir au long, en parlant
de ses vertus.
D’après une révélation de la bienheureuse Vierge elle-même à la soeur Marie-Crucifiée, le feu dont elle
brûle pour Dieu, mettrait en cendres en un instant le ciel et la terre, et, auprès de ses ardeurs, toutes celles
des séraphins sont comme le souffle d’un vent frais. Si donc, parmi tous les esprits célestes, aucun n’aime
Dieu plus que Marie, nous n’avons ni n’auront jamais, Dieu seul excepté, qui nous aime plus que cette
tendre Mère. Quand même on réunirait l’amour de toutes les mères pour leurs enfants, de tous les époux
pour leurs épouses, de tous les saints et de tous les anges pour leurs protégés, tous ces amours
n’égaleraient point ensemble celui que Marie porte à une seule âme. La tendresse de toutes les mères pour
leurs enfants est une ombre en comparaison de celui que Marie porte à chacun de nous, assure
Nieremberg ; et elle nous aime, à elle seule, immensément plus que tous les anges et tous les saints
ensemble.
Un autre motif pour lequel notre sainte Mère nous aime beaucoup, c’est que nous lui fûmes donnés pour
enfants, et recommandés par son bien-aimé Jésus, quand, sur le point d’expirer, il lui dit : Femme, voilà
votre Fils. Comme il a été vu plus haut, il lui désignait ainsi tous les hommes dans la personne de saint
Jean. Ces paroles furent les dernières que son divin Fils lui adressa en ce monde. Trop précieuses sont les
suprêmes recommandations d’une personne chérie aux prises avec la mort, pour qu’on en puisse jamais
perdre la mémoire.
De plus, nous sommes des enfants excessivement chers à Marie, parce que nous lui coûtons d’excessives
douleurs. Une mère ressent toujours une affection spéciale pour l’enfant auquel elle n’a conservé la vie
qu’à force de soins et de peines. Tels sommes-nous à l’égard de Marie : pour nous faire naître à la vie de
la grâce, il lui a fallu – quel supplice pour son coeur ! – il lui a fallu sacrifier elle-même la vie si précieuse
de son Jésus, et se résigner à voir de ses yeux ce fils qui expirait dans les tourments. C’est à ce grand
sacrifice de Marie, je le répète, que nous sommes redevables de la vie de la grâce ; sa tendresse pour
nous, pour des enfants qui lui ont coûté tant de peines, est donc extrême. Ainsi, ce qui est dit du Père
éternel, à savoir, qu’il a aimé les hommes jusqu’à livrer pour eux son Fils unique, nous pouvons,
remarque saint Bonaventure, le dire pareillement de Marie : elle nous a aimés, elle aussi, au point de nous
donner son Fils unique. Et quand nous le donna-t-elle ? Elle nous le donna,. répond le père Nieremberg,
d’abord, quand elle lui permit d’aller à la mort. Elle nous le donna quand, les autres manquant à leur
devoir par haine ou par crainte, elle pouvait bien, elle seule, défendre auprès des juges la vie de son Fils.
Ne doit-on pas croire, en effet, que les paroles d’une mère si sage, si tendre à l’égard de son Fils, eussent
pu faire assez d’impression, du moins sur Pilate, pour le dissuader de condamner à mort un homme dont
il avait lui-même reconnu et proclamé l’innocence ? Mais non, Marie ne voulut pas prononcer le moindre
mot en faveur de son Fils, afin de ne pas s’opposer à sa mort, à laquelle notre salut était attaché.
Elle nous le donna enfin, elle nous le donna mille et mille fois, pendant ces trois heures qu’elle passa au
pied de la croix, veillant sur l’agonie de son Fils. Oui, autant d’instants il y eut dans ces trois heures, autant
de fois elle fit pour nous, avec une douleur extrême et un extrême amour enver nous, le sacrifice de son
Jésus. Et, selon saint Anselme et saint Antonin, telle était sa constance, qu’au défaut des bourreaux, elle
l’eût crucifié elle-même pour obéir au Père éternel, qui voulait nous sauver par la mort de son Fils. Et, en
effet, si Abraham eut la force de consentir à immoler son Fils de sa propre main, nous ne devons pas en
douter, bien plus sainte plus obéissante qu’Abraham, Marie eût accompli le sacrifice avec plus de courage
encore.
Mais, pour revenir à notre sujet, combien de reconnaissance ne devons-nous pas à Marie en retour d’un
acte d’amour si généreux, je veux dire, du douloureux sacrifice qu’elle a fait de la vie de son Fils unique,
afin de nous voir tous sauvés ! Magnifique fut le prix dont le Seigneur récompensa le sacrifice
qu’Abraham avait voulu lui faire de son fils Isaac : mais nous, que pouvons-nous rendre à Marie pour
nous avoir réellement sacrifié la vie de son Jésus, Fils bien plus auguste et bien plus aimé que le fils
d’Abraham ? Cet amour de Marie nous impose une grande obligation de l’aimer ; car, selon la remarque
de saint Bonaventure, jamais créature ne nous aimera à l’égal de Celle qui nous a abandonné son unique
Fils, un Fils qui lui était plus cher que sa propre vie.
De là pour Marie un nouveau mortif qui la presse de nous aimer : elle considère en nous le prix auquel
nous fûmes achetés, la mort de Jésus-Christ. Une reine qui aurait un serviteur racheté par son fils chéri au
prix de vingt années de prisons et de souffrances, combien, à ce seul point de vue, n’estimerait-elle pas ce
serviteur ! Marie sait que son Fils est venu en ce monde à l’unique fin de nous arracher à notre misère,
ainsi qu’il l’a déclaré lui-même : Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ; elle
sait que, pour nous racheter, il a bien voulu donner jusqu’à son sang, et s’est fait obéissant jusqu’à la
mort. Nous aimer peu après cela, ce serait, de la part de Marie, faire peu de cas du sang versé par son
Fils pour notre rançon. Il fut révélé à la vierge sainte Élisabeth, qu’à partir de son entrée dans le temple, la
vie de Marie fut une prière incessante pour qu’il plût à Dieu d’envoyer sans retard son Fils au secours du
monde perdu ; or, nous devons le penser, elle nous aime bien plus encore, depuis qu’elle a vu son Fils
nous priser si haut, et payer si cher notre délivrance.
Et, comme tous les hommes ont été rachetés par Jésus-Christ, Marie les aime et ne refuse à aucun ses
faveurs. C’est d’elle qu’il s’agit dans ce passage de l’Apocalypse : Un grand signe parut dans le ciel : une
Femme revêtue du soleil. Elle fut montrée ainsi à saint Jean, pour signifier que comme, selon le psaume,
il n’est personne sur la terre qui échappe à la chaleur du soleil, de même nul homme vivant n’est exclu
de la tendresse de Marie. C’est l’explication de l’Idiot : Par la chaleur du soleil, dit-il, il faut entendre ici
l’amour de Marie. Eh ! s’écrie saint Antonin, qui pourrait comprendre la sollicitude de cette tendre Mère
envers chacun de nous ? Elle ouvre à tous le sein de sa miséricorde, à tous elle prodigue ses bienfaits. Car
elle a désiré le salut de tous les hommes et contribué au salut de tous. Il est certain, dit saint Bernard,
qu’elle s’est vivement intéressées au bien du genre humain tout entier. On voit par là combien est utile la
pratique familière plusieurs serviteurs de Marie, de prier le Seigneur qu’il leur accorde les grâces dont la
bienheureuse Vierge lui fait pour eux la demande. Or, cette manière de prier, est fondée en raison,
remarque Conelius a Lapide, car notre céleste Mère nous souhaite des biens plus excellents que nous n’en
pouvons nous-mêmes désirer. Et, comme l’assure le pieux Bernardin de Bustis, Marie est plus empressée
à nous combler de ses bienfaits, à nous dispenser des grâces, que nous-mêmes à les recevoirs. Aussi le
bienheureux Albert le Grand lui applique-t-il ces paroles de la Sagesse : Elle prévient ceux qui la désirent,
et elle se montre à eux la première. Oui, Marie, elle la trouvent avant de l’avoir cherchée. Telle est à
notre égard la tendresse de cette bonne Mère, ajoute Richard, qu’à la première vue de nos besoins et
avant même d’être invoquée par nous, elle vient à notre secours.
Mais si Marie est si bonne envers tout le monde, sans en excepter les ingrats qui l’aiment peu et qui sont
négligents à l’invoquer, combien plus tendre sera-t-elle à l’égard de ceux qui l’aiment sincèrement et
l’invoquent fréquemment ? Ceux qui l’aiment la découvrent aisément, et ceux qui la cherchent la trouve.
Oh ! s’écrie le même bienheureux Albert, qu’il est facile à qui aime Marie de la trouver, et de faire
l’heureuse expérience de sa bonté, de son amour ! J’aime ceux qui m’aiment, dit-elle par la bouche du
Sage. Or, bien que cette très aimante Souveraine aime tous les hommes comme ses enfants, elle sait
néanmoins ceux qui l’aiment davantage, assure Saint Bernard, et elle a pour eux des tendresses de choix.
Selon l’Idiot, quand une âme est assez heureuse pour brûler ainsi de l’amour de Marie, celle-ci ne se
contente pas de la chérir, elle s’abaisse jusqu’à la servir : " Trouvez la Vierge Marie, dit-il, c’est trouver
tous les biens, car elle aime ceux qui l’aiment, elle sert même ceux qui la servent. "
Il est question, dans les chroniques des Dominicains, d’un frère nommé Léodat, qui avait coutume de se
recommander deux cent fois le jour à cette Mère de miséricorde. Quand il fut sur le point de mourir, il vit
tout à coup près de son lit une reile d’une merveilleuse beauté, qui lui dit : " Léodat, voulez-vous mourir,
et venir auprès de mon Fils et de moi " ? Il répondit : " Mais, qui êtes-vous " ? Et la sainte Vierge reprit : "
Je suis la Mère de miséricorde, que vous avez tant de fois invoquée ; me voici venue pour vous prendre
avec moi, allons-nous en en paradis ". Léodat mourut ce jour-là même ; et, comme il y a tout lieu de le
croire, il alla rejoindre Marie au séjour des Élus.
O douce Marie ! heureux celui qui vous aime ! – Le saint frère Jean Berchans, de la Compagnie de Jésus,
disait : " Si j’aime Marie, je suis assuré de la persévérence, et j’obtiendrai de Dieu tout ce que je désire ".
Aussi, le pieux jeune homme ne se lassait pas de renouveler sa résolution de l’aimer ; il répétait souvent
en lui-même : " Je veux aimer Marie ! Je veux aimer Marie ! "
Oh ! combien cette bonne Mère surpasse en amour tous ses enfants ! Qu’ils l’aiment autant qu’ils le
pourront, dis saint Ignace martyr, jamais ils ne l’égaleront en amour.
Qu’ils l’aiment donc autant qu’un saint Stanislas Kotska, dont la tendresse pour sa céleste Mère était si
vive, qu’à l’entrendre seulement parler d’elle on sentait le désir de l’aimer aussi. Il avait imaginé des
expressions nouvelles et de nouveaux titres pour l’honorer. Il ne commençait aucune action, sans s’être
tourné d’abord vers une image de Marie pour demander sa bénédiction. Quand il récitait en son honneur
l’office, le rosaire, ou d’autres oraisons, c’était avec le sentiment, l’expression d’une personne qui parlerait
face à face avec Marie. Entendait-il chanter le Salve Regina, l’embrasement de son coeur colorait son
visage. Comme il allait un jour visiter une image de la bienheureuse Vierge avec un père de la Compagnie,
celui-ci lui demanda s’il aimait beaucoup Marie : " Mon père, répondit Stanilas, elle est ma Mère ! Que
puis-je vous dire de plus ? " Mais, racontait ensuite ce religieux, le saint jeune homme prononça ces mots
d’une vois si émue, d’un air si affectueux, d’un coeur si pénétré, qu’on eût dit un ange qui parlait de
Marie.
Qu’ils l’aiment autant qu’un bienheureux Herman Joseph, qui l’appelait son Épouse d’amour, Marie ayant
daigné l’honorer du nom d’Époux ; autant qu’un saint Philippe de Néri, qui était tout consolé au seul
souvenir de Marie, et qui la nommait ses Délices ; autant qu’un saint Bonaventure, qui, non content de lui
donner les titre de Dame et de Mère, osait encore, pour mieux exprimer la tendresse de son affection,
l’appeler son Coeur et son Ame.
Qu’ils l’aiment autant que ce grand serviteur de Marie, saint Bernard : il aimait tant cette douce Mère, qu’il
l’appelait la Ravisseuse des coeurs : Raptrix cordium ; et, ne sachant comment lui dire l’amour dont il
brûlait pour elle : N’est-il pas vrai, lui disait-il, que vous avez ravi mon coeur ?
Qu’ils l’appellent leur Amante, comme un saint Bernardin de Sienne, qui allait la visiter chaque jour dans
une dévote image ; là il épanchait son coeur dans de tendres colloques avec sa Reine bien-aimée ; et,
quand on lui demandait où il se rendait tous les jours, il répondait qu’il allait trouver son Amante.
Qu’ils l’aiment autant qu’un saint Louis de Gonzague, qui brûlait continuellement d’un sigrand amour
envers Marie : rien qu’à entendre le nom si doux de cette Mère chérie, il sentait son coeur tout embrasé ;
la flamme qui le consumait apparaissait à l’extérieur ; son visage en rougissait et attirait tout les regards.
Qu’ils l’aiment autant qu’un saint François Solano qui semblait transporter d’une sainte folie d’amour
envers Marie ; parfois, devant une de ses images, on le voyait qui chantait en s’accompagnant d’un
instrument de musique ; il voulait, disait-il, à l’imitation des amants du monde, donner une sérénade à la
Reine de son coeur.
Qu’ils l’aiment comme l’ont aimée un si grand nombre de ses serviteurs, qui croyaient n’avoir jamais assez
fait pour lui témoigner leur amour. – Le père Jean de Trexo, de la Compagnie de Jésus, prenait plaisir à
s’appeler esclave de Marie, et, en signe de sa serviture, il allait souvent la visiter dans une de ses églises ;
là, que faisait-il ? à peine arrivé, il se livrait tellement aux tendres émotions de son amour pour Marie qu’il
arrosait l’église de ses larmes, puis les essuyait avec la langue et le visage, baisant mille fois le pavé, tant il
était touché de se trouver dans la maison de sa chère Dame. – En récompense de sa dévotion, le père
Jacques Martinez, de la même Compagnie, se voyait porté au ciel par les anges, en chacune des fêtes de
Notre-Dame, pour être témoin de la pompe avec laquelle elles s’y célèbrent. Il avait coutume de dire : " Je
voudrais avoir tous les coeurs des anges et des saints, afin d’aimer Marie comme ils l’aiment ; je voudrais
avoir les vies de tous les hommes, pour les consacrer toutes à l’amour de Marie.
Qu’ils parviennent à l’aimer autant que l’aimait Charles, fils de sainte Brigitte ; rien au monde, assurait-il,
ne le réjouissait comme de savoir combien Marie est aimée de Dieu. " Et, disait-il encore, si la grandeur
de Marie pouvait subir quelque amoindrissement, de bon coeur je souffrirais n’importe quelle peine pour
lui épargner cette perte ; il y a plus : si la gloire de Marie m’appartenait, j’y renoncerais en sa faveur,
sachant qu’elle en est incomparablement plus digne que moi. "
(NOTE DE L’ÉDITEUR) Nous qui traduisons notre Bienheureux Père, pourquoi n’ajouterions-nous pas :
Qu’ils l’aiment autant qu’un saint Alphonse-Marie de Liguori, fondateur de la Congrégation du très saint
Rédempteur, lequel sera dorénavant cité avec les Bernard, les Bonaventure, les Anselme, parmi les plus
fidèles et les plus zélés serviteurs de cette glorieuse Vierge.
Encore enfant, il passait déjà des heures entières dans une oraison extatique devant l’image de la Madone.
Ce fut à ses pieds que, résolu de quitter le monde, il déposa son épée. Il s’obligea par voeu à réciter
chaque jour le chapelet et à prêcher tous les samedis les gloires de Marie.
Il récitait l’Ave Maria à tous les quarts d’heure ; il jeûnait tous les samedis et la veille de toutes les fêtes de
la Vierge, s’abstenant alors de toute boisson et se contentant d’un morceau de pain pour toute nourriture.
Jusque dans son extrême vieillesse il se plaisait à appeler Marie sa Mère : " Le démon a voulu me jeter
dans le désespoir, disait-il au sortir d’une violente tentation ; mais ma Mère Marie m’a secouru, je n’ai pas
offensé Dieu ".
Il aspirait à tenir après Dieu la première place parmi ceux qui aiment la Reine du ciel ; le nom béni de
Marie se retrouve presque à toutes les pages de ses nombreux ouvrages, sans compter le livre des
Gloires, le plus beau peut-être que l’ont ait composé sur ce sujet.
Enfin, il fit un précepte spécial aux membres de son Ordre de professer un amour filial envers la divine
Mère.
De son côté, Marie sut bien faire éclater sa tendresse envers son cher Alphonse. Elle le guérit subitement
d’une maladie mortelle occasionnée par un excès de travail.
Elle lui apparaissait fréquemment dans une grotte où il se livrait à la prière et à la pénitence, et lui donnait
conseil sur tout ce qui concernait la Congrégation fondée par lui.
A plusieurs reprieses, elle se montra à lui et le ravit tandis qu’il prêchait et s’efforçait d’animer ses
nombreux auditeurs à la confiance envers elle.
Elle lui apparut encore deux fois la veille de sa mort, comme il l’en avait priée tant de fois, et changea son
agonie en une douce extase. (FIN DE LA NOTE DE L’ÉDITEUR)
Qu’à l’exemple d’Alphonse Rodriguez, ils désirent donner leur vie en preuve de leur amour pour Marie ;
qu’à l’imitation du saint religieux François Binans, et de sainte Radegonde, femme du roi Clotaire, ils
aillent jusqu’à graver avec une pointe de fer, l’aimable nom de Marie sur leur poitrine, ou bien que, pour
rendre l’empreinte plus profonde et ineffaçable, ils l’y impriment à l’aide d’un fer rouge, comme firent
dans le transport de leur amour ses dévots serviteurs Jean-Baptiste Archinto et Augustin d’Espinosa, tous
deux de la Compagnie de Jésus.
En un mot, qu’ils fassent ou aspirent à faire tout ce qui est possible à un amant désireux de témoigner son
affection à la personne qu’il aime : jamais ils n’arriveront à aimer Marie autant qu’elle les aime. Gracieuse
Souveraine, s’écriait saint Pierre Damien, je sais qu’en fait d’amour vous l’emportez sur tous ceux qui
vous aiment ; vous nous aimez d’un amour qui ne se laisse vaincre par aucun autre amour.
Le saint frère Alphonse Rodriguez, de la Compagnie de Jésus, se trouvant un jour au pied d’une image de
Marie, se sentit tellement embrasé d’amour pour cette glorieuse Vierge, qu’il laissa échapper ces paroles :
" Ma très aimable Mère, je sais que vous m’aimez ; mais vous ne m’aimez pas autant que je vous aime. "
Alors Marie, comme blessée en son amour, lui répondit par cette image : " Que dis-tu, Alphonse ? que
dis-tu ? oh ! combien mon amour pour toi l’emporte sur ton amour envers moi ! Il y a, sache-le bien,
moins de distance entre le ciel et la terre, qu’entre mon amour et le tien ".
Saint Bonaventure a donc raison de s’écrier : Heureux ceux qui aiment et servent fidèlement cette tendre
Mère ! – Oui, heureux sont-ils, car cette Reine généreuse ne se laisse jamais vaincre en amour par ses
dévots serviteurs : elle leur rend amour pour amour, dit un auteur, et, à ses faveurs passées, elle en ajoute
toujours de nouvelles. Pareille en cela à Jésus, notre très aimant Rédempteur, elle leur paie au double, en
les comblant de grâces, l’amour qu’ils ont pour elle.
J’emprunterai donc ici les amoureux accents de saint Anselme et je m’écrierai comme lui : Que mon coeur
brûle à jamais, que mon âme se consume tout entière pour vous, ô Jésus, mon bien-aimé Sauveur, et ma
chère Mère Marie ! Et, puisque, sans votre grâce, je ne puis vous aimer, ô Jésus et Marie, faites, je vous
en supplie par vos mérites, et non par les miens, faites que je vous aime autant que vous le méritez. O
Dieu plein d’amour pour les hommes ! vous avez pu mourir pour vos ennemis, et vous pourriez refuser, à
qui vous le demande, la grâce de vous aimer, vous et votre sainte Mère ?
EXEMPLE
Une pauvre jeune fille chargée de la garde d’un troupeau, aimait tendrement la Vierge Marie, raconte le
père Auriemma ; tout son plaisir était de se rendre sur une montagne, à une petite chapelle de
Notre-Dame ; tandis que ses brebis paissaient à l’entour, elle se retirait dans ce sanctuaire, s’y entretenait
avec sa Mère chérie et lui offrait ses hommages. Voyant la petite statue de la sainte Vierge sans
ornements, elle entreprit de lui faire un manteau du travail de ses mains ; et un jour, ayant cueuilli
quelques fleurs dans la campagne, elle en composa une guirlande, monta ensuite sur l’autel, et la mit sur la
tête de la statue, en disant : " Ma Mère ! je voudrais poser sur votre front une couronne d’or et de pierres
; mais, parce que je suis pauvre, recevez de moi cette pauvre couronne de fleurs, et acceptez-la en signe
de l’amour que je vous porte ". Cette pieuse bergère ne cessait point de servir et d’honorer ainsi sa Dame
bien-aimée.
Voyons maintenant comment, de son côté, la bonne Mère récompensa les visites et l’affection de sa fille.
Il arriva que deux religieux passant dans cette contrée, s’arrêtèrent sous un arbre pour se remettre des
fatigues du voyage ; l’un s’endormit, pendant que l’autre veillait, et néanmoins tous deux eurent la même
vision. Ils virent une troupe de vierges extrêmement belles, au milieu desquelles il s’en trouvait une qui
surpassait toutes les autres en beauté et en majesté. L’un d’eux dit à celle-ci : " Auguste Dame, qui
êtes-vous ? et où allez-vous par ce chemin ? – Je suis, répondit-elle, la Mère de Dieu ; je vais avec ces
saintes vierges visiter, au hameau voisin, une jeune bergère qui est sur le point de mourir et qui m’a rendu
visite bien des fois. " Cela dit, la vision disparut ; et aussitôt les deux serviteurs de Dieu s’écrièrent en
même temps : " Allons aussi la voir ". Ils se mirent en chemin, et trouvèrent bientôt l’habitation où était la
mourante ; c’était une pauvre chaumière, où, étant entrés, ils la virent couchée sur un peu de paille. Ils la
saluèrent, et elle leur dit : " Mes frères, priez Dieu qu’il vous fasse voir la compagnie qui m’assiste ". Ils se
mirent à genoux, et aperçurent Marie, qui se tenait à côté de la mourante, avec une couronne en main, et
la consolait. Alors, les saintes qui formaient son cortège, se mirent à chanter : et à ces doux accents, l’âme
bénie de la pauvre fille s’étant détachée de son corps, Marie lui posa la couronne sur la tête, et la conduisit
avec elle en paradis.
PRIÈRE
O douce Souveraine, vous dirai-je avec saint Bonaventure ; vous qui, par les marques de votre amour
et par vos bienfaits, ravissez les coeurs de ceux qui vous servent, ravissez aussi mon misérable coeur,
qui désire vous aimer beaucoup. Quoi ! auguste Mère, par votre beauté, vous avez touché le coeur d’un
Dieu, vous l’avez attiré du ciel dans votre sein ; et moi je vivrais sans vous aimer ? Non, certes ; et je
dis avec un autre de vos enfants qui vous a tant aimée, le pieux Jean Berchmans : Je suis résolu de ne
me donner aucun repos, jusqu’à ce que je sois sûr d’avoir obtenu un amour tendre et constant pour
vous, ma Mère, qui m’avez si tendrement aimé, lors même que j’étais ingrat envers vous. Où en
serais-je maintenant, ô Marie ! si vous ne m’aviez pas aimé et ne m’aviez pas obtenu tant de
miséricordes ? Si donc vous m’avez tant aimé et favorisé quand je ne vous aimais pas, combien plus
dois-je espérer de votre bonté maintenant que je vous aime ! Oui, je vous aime, ô ma Mère ! et je
voudrais avoir un coeur capable de vous aimer pour tous les malheureux qui ne vous aiment point ; je
voudrais avoir une langue capable de vous louer autant que mille langues, pour faire connaître à tout
le monde votre grandeur, votre sainteté, votre miséricorde, et votre amour envers ceux qui vous
aiment.
Si j’avais des richesses, je voudrais les employer toutes à vous honorer ; si j’avais des sujets, je
voudrais leur inspirer à tous votre amour ; je voudrais enfin sacrifier pour votre amour et votre gloire,
s’il le fallait, ma vie même. Je vous aime donc, ô ma Mère ! mais, en même temps, hélas ! je crains de
na pas vous aimer ; car j’entends dire que l’amour rend ceux qui aiment semblable à la personne
aimée. Je dois donc croire que je vous aime bien peu, en me voyant si loin de vous ressembler ; vous si
pure, et moi si souillé ! vous si humble, et moi si orgueuilleux ! vous si sainte, et moi si criminel !
Mais, ô Marie, c’est à vous de rémédier à mes maux ; montrez-moi votre amour en me rendant
semblable à vous. Vous êtes assez puissante pour changer les coeurs ; prenez donc mon coeur et le
changez ; faites voir au monde de quelle puissance vous disposez en faveur de ceux que vous aimez ;
rendez-moi saint, faites que je sois votre digne enfant. Ainsi j’espère, ainsi soit-il.