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RÉCIT DE L’APPARITION DE NOTRE-DAME DE LA SALETTE
PAR L’ABBÉ GIRAY, MISSIONNAIRE DE LA SALETTE
(Le mois de Marie de la Salette, livret du pèlerin, 1911)
C’était le 19 septembre 1846, veille de la fête de Notre-Dame des Sept-Douleurs, vers 3 heures du soir : il n’y avait point de nuages au ciel, point de brouillards dans l’air… À ce moment-là, par un soleil radieux qui rendait impossible toute illusion, toute supercherie , un prodige eut lieu, sur la montagne de La Salette, à 1 800 mètres d’altitude, en présence de deux petits pâtres : une « belle Dame » apparut soudain aux yeux émerveillés de Pierre-Maximin Giraud et de Françoise-Mélanie Calvat-Mathieu. Les deux enfants, dont l’un avait onze ans révolus et l’autre près de quinze ans, étaient nés à Corps et avaient, comme traits communs, leur origine, leur pauvreté, leur ignorance, leur innocence et même leur profession de berger. (…)
Maximin et Mélanie
Les deux enfants se connaissaient à peine. Maximin ne rencontra Mélanie, pour la première fois, que le jeudi soir 17 septembre. Le lendemain, ils s’occupaient surtout à mettre des pierres les unes sur les autres pour faire des « paradis », ornés de fleurs alpestres, et c’est là que nous verrons s’asseoir la « belle Dame ».
Le 19, ils se retrouveront au même endroit, c’est-à-dire au Mont-sous-les-Baisses, avec leurs petits troupeaux. Vers midi, au son de l’Angelus, ils mènent boire leurs vaches à la Fontainedes Bêtes ; puis, ils remontent jusque dans le vallon où coule la Sézia, qui est alimentée par la Fontainedes Hommes, située un peu plus haut ; et près de la Petite Fontaine, alors tarie, ils prennent leur frugal repas, et, contrairement à leur habitude, s’endorment sur le gazon, à quelque distance l’un de l’autre.
Vers 2 h 30, Mélanie se réveille la première et réveille Maximin : tous deux gravissent le plateau qui domine le ravin ; et, une fois sur leCollet, ils aperçoivent leurs vaches couchées sur le versant du Gargas. Ils redescendent, tranquillisés, lorsque Mélanie pousse un grand cri, à la vue d’un globe de lumière qui rayonnait et dont l’éclat emplissait tout le vallon… Cependant, Maximin était accouru ; et, devant l’effroi de sa petite compagne qui avait laissé choir sa houlette : « Garde ton bâton, lui dit-il… S’il nous fait quelque mal, je lui jetterai un bon coup ! »
À ce moment, la clarté mystérieuse s’entrouvrit, et une « belle Dame » apparut, assise sur les pierres superposées, dans l’attitude d’une inconsolable affliction, la tête dans ses mains et les coudes sur ses genoux… Bientôt, elle se lève de son siège rustique ; puis, interpellant les petits pâtres et faisant quelques pas vers eux, elle leur dit : « Avancez, mes enfants, n’ayez pas peur : je suis ici pour vous conter une grande nouvelle. »
Rassurés, ils descendent jusque dans le ravin et s’approchent de la Vision, qu’ils peuvent contempler à leur aise. Coiffure brillante avec un diadème de rayons et une couronne de roses. Fichu blanc jeté sur les épaules et croisé autour de la ceinture, avec une guirlande de roses pour bordure. Robe de lumière, toute blanche avec paillettes d’or. Sur la poitrine et plutôt à l’intérieur, un crucifix, avec tenailles et marteau « qui tenaient sans rien pour les attacher » ; mais, pour soutenir la croix et son Christ, il y avait une petite chaîne passée autour du cou ; puis, une seconde chaîne, en forme de galon et sans anneaux, semblait, de son poids très lourd, écraser les épaules comme pour symboliser le fardeau de nos péchés. Enfin, c’était un tablier jaune d’or, humble livrée de « la servante du Seigneur » , et des souliers blancs avec boucle d’or et touffe de roses…
Le visage était divinement beau, mais empreint d’une profonde tristesse. Maximin n’en vit que le front et le menton : le reste était trop éblouissant pour qu’il sut rien distinguer, tandis que Mélanie put contempler la physionomie tout entière. « Comment, demandait-on plus tard à Maximin, comment se fait-il que vous n’ayez pu voir la figure de la Sainte Vierge, puisque Mélanie l’a vue ? Je ne sais pas, moi ; je n’étais peut-être pas assez sage. Mélanie était donc plus sage que vous ? Dieu le sait… Peut-être Mélanie avait besoin d’être convertie. Je ne sais pas ! » Cette boutade inoffensive laisserait entendre que Maximin enviait un peu Mélanie, plus favorisée que lui : il avait pourtant deviné, à l’accent désolé de la voix, qu’il s’agissait d’une âme affligée, « d’une maman que ses enfants auraient battue et qui se serait ensauvée dans la montagne pour pleurer à son aise ! » Mélanie vit aussi des larmes qui tombaient des yeux de la Sainte Vierge pour s’évanouir dans la lumière comme des étincelles de feu ; de plus elle observa, non seulement que les mains étaient croisées l’une sur l’autre dans les manches de la robe, mais que les oreilles aussi étaient cachées, comme les cheveux, sous une sorte de coiffe ou de bandeau…
Écoutons les plaintes de cette Reine-Mère affligée :
« Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis forcée de laisser aller le bras de mon Fils. Il est si lourd et si pesant que je ne puis plus le retenir. Depuis le temps que je souffre pour vous ! Si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, je suis chargée de le prier sans cesse pour vous ; et vous autres, vous n’en faites pas cas ! Vous aurez beau prier, beau faire, jamais vous ne pourrez récompenser la peine que j’ai prise pour vous !
« Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis réservé le septième et on ne veut pas me l’accorder. C’est ça qui appesantit tant le bras de mon Fils ! Ceux qui conduisent des charrettes ne savent pas jurer sans mettre le nom de mon Fils ! Ce sont les deux choses qui appesantissent tant le bras de mon Fils.
« Si la récolte se gâte, ce n’est rien qu’à cause de vous autres ; je vous l’ai fait voir, l’année dernière, par les pommes de terre : vous n’en avez pas fait cas ; c’est au contraire, quand vous en trouviez de gâtées, vous juriez, vous mettiez le nom de mon Fils. Elles vont continuer à pourrir et à Noël il n’y en aura plus. »
À cet endroit du discours, Mélanie regarde Maximin comme pour lui demander ce que signifiaient les paroles de la « belle Dame ». Mais la Sainte Vierge leur dit aussitôt : « Ah ! vous ne comprenez pas le français, mes enfants : je vais vous le dire autrement » Elle reprend alors, en patois de Corps, ces dernières phrases : « Si la récolte se gâte… », et le reste. Puis, elle poursuit son discours dans le même dialecte populaire : « Si vous avez du blé, il ne faut pas le semer. Tout ce que vous sèmerez, les bêtes le mangeront, et ce qui viendra, tombera en poussière quand vous le battrez. Il viendra une grande famine ; avant que la famine vienne, les enfants au-dessous de sept ans prendront un tremblement et mourront entre les bras des personnes qui les tiendront, les autres feront pénitence par la famine. Les noix deviendront mauvaises et les raisins pourriront. »
Après ces mots, la Sainte Vierge continue de parler ; mais, tout en voyant le mouvement de ses lèvres, Mélanie ne l’entend plus ; Maximin reçoit un secret. Bientôt après, la Belle Dame confie aussi à Mélanie un secret, et Maximin cesse de l’entendre parler. (…)
La Salette et Fatima sont les deux seules apparitions reconnues par l’Église, qui aient ainsi un prolongement caché, prophétique, apocalyptique. On devine aisément l’intérêt que, depuis cent cinquante, ou quatre-vingts ans, les catholiques attentifs aux volontés du ciel portent à ces deux messages qui annoncent l’avenir du monde.
Interrogé un jour sur le contenu du premier par le R. P. Giraud, supérieur général des Missionnaires de La Salette, Pie IX répondit : « Vous voulez connaître les secrets de La Salette ? Eh bien, les voici : Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous ! » Il y a donc grand péril de perdition, pour nos âmes, nos familles, nos nations, pour la société tout entière ! La Vierge Marie nous avertit dans sa sagesse maternelle des graves « maux spirituels et temporels » qui nous menacent, selon l’expression de Mgr de Bruillard, qui, le premier, avait lu le Secret, et nous n’en ferions aucun cas ? Puisque l’un et l’autre ont confié qu’ils y avaient trouvé profit et réconfort, qu’il nous soit permis d’en espérer pour nous la même grâce aujourd’hui.
La Sainte Vierge continua ensuite son discours de manière à être entendue des deux bergers, en leur disant : « S’ils se convertissent, les pierres et les rochers se changeront en monceaux de blé, et les pommes de terre seront ensemencées par les terres »
« Faites-vous bien votre prière, mes enfants ? » leur demanda-t-elle ensuite. Et les enfants répondirent : « Pas guère, Madame. » « Ah ! mes enfants, il faut bien la faire soir et matin ; quand vous ne pourrez pas mieux faire, dites seulement un Pater et un Ave Maria ; et quand vous aurez le temps, il faut en dire davantage.
« Il ne va que quelques femmes un peu âgées à la messe ; les autres travaillent, tout l’été, le dimanche, et l’hiver, quand ils ne savent que faire, ils ne vont à la messe que pour se moquer de la Religion ; le Carême, ils vont à la boucherie comme des chiens ! »
Puis la Sainte Vierge ajouta : « N’avez-vous jamais vu du blé gâté, mes enfants ? » Tous deux répondirent : « Oh ! non, Madame. » Alors, elle dit à Maximin : « Mais toi, mon enfant, tu dois bien en avoir vu une fois, vers la terre du Coin, avec ton père. Le maître de la pièce a dit à ton père : Venez voir comme mon blé se gâte. Vous y allâtes tous les deux. Ton père prit deux ou trois épis dans sa main, les froissa et tout tomba en poussière ; puis, quand vous reveniez et n’étiez plus qu’à une demi-heure de Corps, ton père te donna un morceau de pain en te disant : Tiens, mon enfant, mange encore du pain cette année, car je ne sais qui en mangera l’année prochaine, si le blé continue encore (à se gâter) comme ça. » Et Maximin répondit : « C’est bien vrai, Madame, je ne me le rappelais pas. »
La Sainte Vierge termina son discours par ces paroles prononcées en français : « Eh bien ! mes enfants, vous le ferez passer à tout mon peuple » Laissant les bergers, elle traverse le torrent de la Sézia et sans se retourner vers eux, elle dit une seconde fois : « Eh bien ! mes enfants, vous le ferez passer à tout mon peuple » Puis, elle se dirige vers le plateau, d’où elle s’élève au-dessus de terre, pour regagner ensuite les hauteurs sereines du firmament et du Paradis L’eau de la petite Fontaine s’était remise à couler ! Le soir, lorsque le soleil fut sur son déclin, Maximin et Mélanie s’empressèrent de rentrer, avec leurs troupeaux, au village des Ablandens, et racontèrent à leurs maîtres tout ce qu’ils avaient vu et entendu sur la montagne.
Et le récit que les petits pâtres firent le jour même du 19 septembre 1846, ils l’ont répété depuis, invariablement, devant un nombre incalculable de pèlerins, comme devant les autorités civiles et religieuses. (…)
Oui, toujours les esprits droits et judicieux s’inclineront devant l’évidence et feront éclater leur reconnaissance enthousiaste, une fois éclairés par la lumière des faits et des arguments. S’il en était, parmi nos lecteurs, qui aient à cet endroit quelque perplexité douloureuse, tout comme le Curé d’Ars en a eue lui-même, nous espérons qu’ils concluront bientôt avec lui, mieux renseigné et tout heureux de connaître enfin la consolante vérité : « Maintenant, il ne me serait pas possible de ne pas croire à La Salette. J’ai demandé des signes pour croire à La Salette, et je les ai obtenus : on peut et on doit croire à La Salette ! »